TEMA 1: L'EMPLOI DES TEMPS • L'aspect : Avant d'aborder l'étude des temps verbaux, il faut présenter la catégorie de l'aspect qui constitue une information sur la manière dont le locuteur envisage le déroulement d'un procès, son mode de manifestation dans le temps. En français, l'aspect concerne surtout le verbe. La catégorie de l'aspect permet d'opposer d'une part, les temps perfectifs aux temps imperfectifs, d'autre part, l'accompli à l'inaccompli. Le passé simple est un temps perfectif, il présente le procès comme un tout indivisible saisi du dehors à un moment déterminé. Le déroulement se réduit à une sorte de « point » qui fait coïncider le début et la fin d'un procès. L'aspect imperfectif saisit le procès de l'intérieur dans son déroulement, sans prendre en compte son début et sa fin. Les divers temps présentent un aspect spécifique ; au passé, le passé simple et le passé composé sont des formes perfectives qui s'opposent à l'imparfait qui est un temps imperfectif. Le PC constitue le passé perfectif du « discours » (selon Benveniste) et le PS celui du « récit ». Nous passons à l'opposition aspectuelle entre accompli et inaccompli : cette opposition est clairement marquée par la morphologie verbale et correspond à l'opposition entre forme simple (je mange/ je mangerai) et forme composée (j'ai mangé/ j'avais mangé). On parle d'aspect inaccompli lorsque le procès se réalise au moment indiqué par l'énoncé. Dans : « je marcherai bientôt » ou « je marchais quand il est arrivé » la marche prend place bientôt ou quand il est arrivé. Le procès est saisi dans son accomplissement. L'aspect accompli, en revanche, indique que le procès est achevé au moment considéré, que l'on envisage donc son résultat. « A huit heures, il avait mangé » : aspect accompli, cet énoncé peut se paraphraser par à huit heures, il était dans la situation de quelqu'un qui a fini de manger. Les formes composées sont également utilisées lorsque le procès est antérieur à un autre repère temporel et qu'il est présenté comme achevé au moment considéré (aspect accompli). Dès que Paul a bu*, il sort. (PC) (*marque un procès antérieur). Dès que Paul avait bu, il sortait. (Plus−que−parfait) Dès que Paul eut bu, il sortit. (Passé antérieur) Dès que Paul aura bu, il sortira. (Futur antérieur) Les formes composées s'emploient de manière privilégiée dans les subordonnées temporelles pour marquer une antériorité par rapport au procès exprimé par le verbe de la principale, lequel se trouve à la forme simple correspondante. La valeur temporelle d'accompli qui subsiste nécessairement dans des énoncés de ce type est interprétée comme valeur temporelle d'antériorité. Nous voyons que le PC peut marquer l'accompli par rapport à un autre procès au présent (1er énoncé). Le procès est présenté comme achevé (et antérieur). EX : À présent, j'ai bu. (Accompli). Le PC indique qu'au moment de l'énonciation le procès est accompli. Cela se paraphrase comme : je suis dans la situation de quelqu'un qui a fini de boire. (Aspect accompli). Il s'agit du résultat présent d'un procès achevé. Le PC a la valeur d'un présent accompli et non pas d'un passé. Il ne faut pas oublier cependant, 1 que le PC est un temps aussi du passé. C'est le temps perfectif du « discours ». Le PC peut être un temps ambigu. (L'étranger de Camus, c'est ici un temps du passé, donc perfectif). • L'opposition passé simple/ passé composé • Emplois habituels : Contrairement à ce qu'on dit parfois, le PS n'est pas en voie de disparition en français. Il n'est pas réservé non plus à la langue savante et recherchée comme c'est le cas des subjonctifs imparfaits et plus−que−parfait. Il est vrai que le PS apparaît essentiellement dans la langue écrite, ce qui est une conséquence de sa valeur énonciative. Le PS envisage le procès en dehors de ses relations avec le moment de l'énonciation. Le locuteur qui rapporte au PS un événement passé ne se considère pas comme prenant part, effectivement, au fait qu'il énonce. Le PS est un temps principal du « récit » qui est coupé de l'instance d'énonciation, il suppose une absence d'embrayage. En opposition avec le PS, le PC présente un rapport étroit avec le présent. Le PC est l'un des temps du « discours ». On rapportera au PC toute action passée qui même si elle est achevée au moment où on parle, est supposée exercer des conséquences sur le moment de l'énonciation. Ou toute action passée par laquelle le locuteur se sent encore concerné d'une façon ou d'une autre. • Pourquoi cette canne ? − Je me suis cassé la jambe il y a 2 mois. • Dans ma jeunesse, j'ai beaucoup pratiqué le sport, • César a vaincu Vercingétorix à Alésia. • PC : l'événement passé a des conséquences évidentes sur le moment de la parole et par ailleurs le PS serait incompatible avec l'embrayeur « il y a 2 mois ». • PC : c'est un procès qui exerce des conséquences sur le moment de l'énonciation. Sous−entendus possibles : il me reste de bons souvenirs, cela me manque, c'est pourquoi je suis en pleine forme maintenant, • On aurait pu avoir un PS : César vainquit... Evénement lointain qui prend une certaine actualité du fait même qu'il est évoqué. Je présente l'événement comme ayant des répercussions sur le présent. Si on utilise le PS, c'est un passé révolu. Cela dépend de la façon dont on veut présenter le procès. Le PC est employé de façon presque exclusive dans la langue parlée courante. Il est aussi en usage dans le style épistolaire, dans l'autobiographie fictive ou réelle. Ex : « Longtemps, je me suis couché de bonne heure. » À la recherche du temps perdu de Proust. (Autobiographie fictive). A l'écrit on pourrait employer le PS dans un récit de type journal à la 1ère personne. Ce n'est pas impossible le PS, on pourrait avoir : « Nous fîmes un voyage qui me laissa fort malade. » mais le ton sera très différent, les événements rapportés sont présentés comme quelque chose de lointain et d'objectif. Ils paraissent ainsi rejetés de la sphère immédiate de l'énonciation. De même, le PS n'est pas tout à fait impossible à l'oral. Ex : « j'ai rencontré M. Legrand qui fut mon professeur de sixième. ». Le locuteur considère son propre passé comme entièrement coupé de son présent. C'est un passé révolu (achevé). Cet énoncé comporte un sous−entendu du type : tout cela est loin, comme le temps passe, ou encore, comme nous avons changé lui et moi. C'est ainsi que l'on a pu entendre à la TV française un ancien résistant énoncer au PS tout un récit autobiographique : « je fus arrêté en janvier 1943, je réussis à m'évader dès février » Un PS employé à l'oral c'est un phénomène exceptionnel mais qui est significatif. Le locuteur considère son 2 passé comme coupé de son présent. Il y a une séparation complète entre le je de l'énoncé et le je de la personne qui parle. En dehors d'exemples de ce type, le PS a entièrement disparu de l'usage oral du français standard. Au XIX et au début du XX, les journaux utilisaient couramment le PS ; aujourd'hui, ils ne l'utilisent plus guère, sauf dans la rubrique sportive où il est nécessaire de raconter des séries successives d'événements ou parfois encore dans les faits−divers. Le PS subsiste dans les récits d'historiens (et pas toujours). Le PC produirait un effet étrange, celui de la présence du sujet de l'énonciation (l'intervention directe de l'historien). Certains historiens utilisent cependant le PC (ils interviennent directement dans le récit) quant aux romans contemporains, ils illustrent diverses possibilités, certains utilisent exclusivement le PS (en combinaison avec l'imparfait), d'autres le remplace par le PC, c'est le cas de l'Étranger de Camus, par le présent de narration ou par l'imparfait narratif. Mais il est exceptionnel que le PS soit entièrement absent. Même dans l'Étranger de Camus, il y a 4 ou 5 PS. Le PS apparaît dès que le récit doit s'objectiver. • L'enchaînement narratif : Le PS est le temps narratif du « récit ». Une forme de PS ne s'emploie qu'associée à d'autres. Chaque PS sert de repère à celui qui suit sans qu'il y ait repérage par rapport au moment de l'énonciation. Une narration au PS se présente comme un enchaînement rigoureux d'actions successives. En revanche, le PC est peu compatible avec l'enchaînement narratif. Il pose les procès comme disjoints (isolés), tous passés par rapport au moment de l'énonciation. Le PC, par ailleurs, peut avoir une valeur aspectuelle d'accompli et de ce fait, il présente les procès comme statiques au lieu de les tourner vers les événements qui suivent (à la différence du PS). Ex : Il acheta un gâteau et il prit le train. Il a acheté un gâteau et il a pris le train. Le premier exemple sera interprété comme une succession d'événements. Par contre, le deuxième peut dénoter 2 faits indépendants (parce qu'il présente les faits comme disjoints). De même, il est impossible d'exprimer au PS une antériorité par rapport à un autre PS dans une proposition postposée. Ex : * Marie épousa Paul qu'elle rencontra dans un café cet été−là. avait rencontré Il est difficile de placer en second le PS qui exprime un événement antérieur, il faudra employer le plus−que−parfait. Le PC par contre, peut marquer l'antériorité parce qu'il peut avoir une valeur aspectuelle d'accompli. On pourra dire parfaitement : Marie a épousé Paul qu'elle a rencontré Photocopie « L'EMPLOI DES TEMPS » (1). Exemple 1 C'est un récit au PS, l'imparfait est complémentaire du PS et du PC (temps de base). Texte au PC : Quand il est revenu, le boulevard Richard−Lenoir était désert, et ses pas résonnèrent. Il y avait d'autres pas derrière lui. Il a tressailli, et s'est retourné involontairement (Simenon). Nous avons une histoire racontée par un narrateur omniscient qui raconte cela du dehors. En revanche, le PC suppose une relation avec un sujet d'énonciation. Avec les PC, on obtient un texte très différent, ce n'est plus un récit (une histoire racontée par un narrateur) mais les propos d'un témoin qui, d'ailleurs, semblent peu 3 naturels. L'emploi de l'adverbe « involontairement » s'explique difficilement, comment un témoin pourrait savoir cela, c'est le privilège d'un narrateur omniscient. Le PC qui présente les événements successifs comme isolés les uns des autres n'est pas bien adapté à la narration (ne favorise pas l'enchaînement narratif). De ce point de vue−là, l'usage du PC dans l'Étranger de Camus est très significatif. Camus utilise presque exclusivement la combinaison je + PC. Cela donne l'impression d'une série de faits qui s'ajoutent les uns aux autres sans qu'il y ait de rapports de cause à effet. Les actes du personnage s'accumulent en quelques sorte sans qu'aucuns ne semblent impliquer le suivant. Le PC provoque une décomposition de la continuité narrative. La narration ne parait pas orientée vers une fin. Cela coïncide avec la vision de l'existence qu'incarne le personnage de Meursault. Il n'y a pas de totalisation signifiante de l'existence. C'est ce qu'on appelle l'absurde. L'intérêt de ce roman c'est qu'il ne développe pas explicitement cette thèse. Il utilise une technique narrative qui est en accord avec sa thèse de départ. Il y a adéquation entre l'histoire racontée et la technique narrative. Le PC n'est pas bien adapté à la narration. C'est pour cette raison que, lorsque l'on veut éviter le PS dans une narration au je, on utilise de préférence le présent de narration, que l'on appelle aussi présent historique que Benveniste appelait présent aoristique. On utilise le présent plutôt que le PC. • L'opposition passé simple ou passé composé/ Imparfait • Valeur aspectuelle L'imparfait est un temps imperfectif par opposition au PS et au PC qui sont des temps perfectifs. Il existe une complémentarité aspectuelle entre l'imparfait et les temps perfectifs (PS/ PC). L'imparfait constitue un micro−système avec ces 2 autres temps. Le PS ou le PC marquent par eux−mêmes un repère temporel. Ils suffisent à inscrire un énoncé dans la temporalité. Un récit peut être constitué par une succession de PS ou de PC. En revanche, un énoncé constitué uniquement d'imparfait sera perçu comme incomplet ou sera, au mieux, interprété comme exprimant l'habitude. • Ce matin, je me suis levé de bonne heure. • Ce matin, je me levais de bonne heure. • Chaque matin, je me levais de bonne heure. • Le PC suffit à inscrire l'événement dans le temps. Enoncé complet. • Ca semble incomplet, comme en suspend et il faut ajouter un repère pour remédier à cette incomplétude. Je dirai par exemple : « je me levais quand le téléphone a sonné. » l'essentiel du message porte sur le procès au PC « le téléphone a sonné » qui constitue le repère par rapport auquel se situe l'imparfait. • Est tout à fait possible mais le PC marque alors l'habitude, la répétition. C'est « chaque matin » qui marque l'imparfait d'habitude. L'imparfait ne constitue pas directement un temps du passé. Il ne situe pas un événement dans le passé mais indique simplement qu'un procès est contemporain d'un repère qui lui est passé. Ex : Paul dormait quand je l'ai vu. Dans cet énoncé, c'est « je l'ai vu » qui relève du passé. « Paul dormait » est seulement présenté comme contemporain de cet événement (du procès au PC). Rien a priori ne permet d'affirmer que le sommeil de Paul appartient au passé car il peut encore dormir encore au moment où l'on parle. Nous avons vu que l'imparfait s'oppose au PC et au PS par son aspect imperfectif. Par rapport à un repère temporel donné par un circonstanciel de temps ou par d'autres verbes au PS ou au PC, l'imparfait présente un procès non limité dont la durée dépasse dans le passé et l'avenir le temps de ce repère. Ce qui veut dire que l'imparfait ne tient pas compte du début et de la fin du procès. De ce fait, l'imparfait ne peut guère être utilisé tout seul et il a besoin d'un repère explicité pat le contexte et ce rôle est tenu par les temps perfectifs en 4 général (PS/ PC). L'imparfait présente donc le procès dans son déroulement, il n'envisage pas ses limites temporelles. Le PS, inversement, cerne le procès en considérant ses limites temporelles. Le procès peut indifféremment être de durée brève ou longue, cela dépend du sémantisme du verbe. Ex : À 10 heures, la voiture s'écrasa contre un arbre. (Le procès a une durée brève) La guerre dura trente ans. (Durée longue) Opposition PS/ Imparfait : Ex : Les élèves chahutaient abominablement quand le proviseur entra. Le PS prend en considération les 2 limites temporelles du procès d'entrée du proviseur qui est censé être ici plutôt bref mais qui pourrait être aussi long. « entra péniblement en escaladant un amoncellement de chaises. » ici, le procès a une certaine durée. Quant au chahut des élèves, il est envisagé dans son déroulement. Rien n'indique qu'il a eu un commencement et son éventuel achèvement n'est pas marqué non plus. • La mise en relief Dans l'usage ordinaire de la langue, l'imparfait dénote des procès contemporains d'un repère passé, marqués par les temps perfectifs (PC/PS). Cette complémentarité entre l'imparfait et les formes perfectives joue un rôle essentiel dans la narration littéraire. Dans la narration, il faut distinguer 2 niveaux : ◊ D'une part, les verbes à un temps perfectif constituent les événements qui font progresser l'action, ◊ D'autre part, les verbes à l'imparfait qui présentent la toile de fond, des indications sur le décor, des commentaires du narrateur, etc. Le passage à l'imparfait correspond toujours à une interruption dans le cour des événements du récit, à un suspens du temps narration. Cette complémentarité de l'imparfait et des formes perfectives s'explique assez bien. Les formes au PS impliquent une succession, tandis que l'imparfait d'un point de vue aspectuel marque que le procès est « ouvert ». Ex : Il pleuvait quand il arriva. Passé Présent Futur Axe temporel Il pleuvait Nous n'avons pas la fin du procès pleuvoir. Le procès pleuvoir n'est pas limité sur sa date, il se prolonge et prend une valeur stative (le procès reste ouvert et par conséquent, il reste extérieur à la dynamique narrative. Le procès ne bouge pas, il n'est pas tourné vers les événements qui suivent. Il ne fait pas partie d'une succession d'événements. Exemple 2 : Élan : animal. 5 Rutabaga : navet. Il faut distinguer dans ce texte, deux niveaux différents. Les PS, d'une part, qui assurent la progression de l'histoire et d'autre part, les imparfaits qui marquent les procès qui ne participent pas à cette progression. Nous allons séparer les 2 niveaux : en lisant les passages au PS nous avons un récit tout à fait cohérent. Les passages à l'imparfait n'ont pas de sens. Les formes d'imparfaits sont associées aux formes perfectives et c'est ainsi que la deuxième phrase est inséparable de la première phrase. Ce qui vaut pour le PS est aussi valable pour les PC perfectifs même si comme on l'a vu, ils sont peu propices à la construction d'un enchaînement narratif. Exemple 3 : C'est un récit basé sur le PC. Les passages au PC font un récit et ceux à l'imparfait ne le font pas. Le linguiste allemand Harald Weinrich a proposé de dénommer mise en relief ce phénomène. Weinrich utilise une métaphore de type picturale : il parle de premier plan pour les formes perfectives et d'arrière−plan ou second plan pour les formes d'imparfait. Cet arrière−plan sert essentiellement à la description par opposition à la progression narrative. L'arrière−plan est destiné à préciser le caractère, l'identité du personnage, leurs émotions il fournit aussi des informations sur l'atmosphère, il sert à donner des commentaires, etc.. Il y a donc complémentarité entre le 1er plan et l'arrière−plan et c'est ce que Weinrich appelle mise en relief. Ce phénomène fonctionne aussi bien dans le « discours » que dans le « récit ». Mais il est particulièrement efficace dans le récit littéraire. Dans le texte de Tournier, si on élimine les formes d'arrière−plan, on obtient un texte encore relativement cohérent. Par contre, si on met les formes d'arrière−plan l'une après l'autre, isolées du 1er plan sur lequel elles s'appuient, on obtient une séquence assez décousue (incohérente). Il faut bien comprendre qu'il n'existe pas a priori de verbes de 1er ou d'arrière−plan. C'est le narrateur qui opère la répartition et non, le sens des verbes. Exemple 4 : Les 2 passages sont tout à fait possibles. Cette répartition différente des 2 plans suffit à changer complètement la signification des 2 textes. Dans la fiction littéraire, la répartition des énoncés entre les 2 plans obéit à des contraintes essentiellement textuelles. Tout dépend de la façon dont le narrateur veut présenter les procès. Le sens des énoncés n'a pas de rôle déterminant dans la répartition des 2 plans. La répartition des procès entre le PS et le PC d'une part, et l'imparfait d'autre part, se fait en fonction du statut qui est accordé à ce procès dans la narration. On trouvera au PS et au PC, les événements qui ont une importance particulière dans le déroulement du récit. Les événements qui font progresser le récit. On trouvera à l'imparfait, ce qui relève du cadre, du décor ou des circonstances accessoires de la narration. L'auteur répartit à sa convenance les énoncés sur les 2 plans. En tout cas, il faut bien comprendre que ce n'est pas l'imparfait en tant que tel qui attribue à un énoncé le statut de forme d'arrière−plan, c'est la relation entre l'imparfait et les formes perfectives (PS/PC/Présent de narration). Employé différemment, l'imparfait peut prendre d'autres valeurs (itérative : imparfait d'habitude). 4a) Brillait : imparfait d'arrière−plan. • L'imparfait de rupture 6 Dans certaines séquences au PS/PC suivit d'un imparfait, l'imparfait peut ne pas marquer l'arrière−plan. Exemple 5 : 5a) La séquence présente des actions successives de 1er plan. 5b) Oppose le 1er plan à l'arrière−plan. (Combinaison PS/ Imparfait) 5c) Nous avons un imparfait de rupture et l'énoncé peut être interprété comme une succession de procès perfectifs. On se serrait attendu à trouver un PS au lieu d'un imparfait. Cet imparfait vient prendre la place d'un PS. Normalement ce passage fait partie d'un récit au PS. Ex : Le 1er septembre 1939, les troupes allemandes envahissaient la Pologne. On aurait pu avoir un PS : « envahirent ». L'imparfait prend la place du PS pour exprimer un événement important dont il modifie la perception. Cet imparfait est le plus souvent accompagné d'une indication temporelle précise. EX : À dix heures, la voiture s'écrasait contre un arbre. Ça fait partie d'un récit au PS. Conformément à la valeur aspectuelle de l'imparfait, les 2 limites temporelles du procès visé (début et fin) ne sont pas prises en compte. Le procès est présenté dans son déroulement et l'imparfait efface ses limites qui sont pourtant bien réelles. Ce procédé sert paradoxalement, à mettre en relief le fait évoqué qui acquiert de l'importance par le temps ouvertement consacré à le considérer dans son déroulement. Certains linguistes comparent l'effet produit par l'imparfait de rupture avec ce qu'est au cinéma le ralenti. Cet effet de ralenti disparaît si on remplace l'imparfait par le PS. Les imparfaits de rupture sont apparus dans la littérature dans la seconde moitié du 19ème siècle. Ils sont souvent employés pour clore un récit passé. On les rencontre à la fin de nombreux contes de Maupassant. Exemple 6 : Un paysan est accusé injustement de ramasser un portefeuille et de l'avoir gardé alors qu'il avait ramassé un bout de ficelle. Le passage correspond à toute la fin du conte. Le lendemain : c'est la localisation temporelle qui accompagne l'imparfait de rupture « rendait ». L'imparfait de rupture évite au récit une fin nette et brutale et lui confère une fin ouverte. L'imparfait ne marque pas les limites du procès, il donne l'impression de l'inachevé et laisse attendre une suite (dans ce contexte−ci). L'imparfait ne peut pas situer temporellement les énoncés, de ce fait, l'imparfait de rupture devra suivre nécessairement une forme perfective qui introduit le cadre narratif. De même, il est accompagné d'un circonstant temporel « le lendemain » dans l'exemple de Maupassant, qui joue le rôle de repère narratif indispensable sur lequel s'appuie tout imparfait. Ce circonstant insiste sur la rupture chronologique, sur l'apparition d'un nouvel élément l'imparfait est plus qu'un simple chaînon dans une chronologie. Le procès est présenté comme lié au reste du récit mais il est du même coup souligné. Le procès à l'imparfait n'est pas un 7 événement de plus qui viendrait s'ajouter à une succession d'événements au PS. L'imparfait de rupture marque un événement qui se détache de façon spéciale par rapport aux autres. Exemple 7 : C'est un récit basé sur le PS/ Imparfait. Il fumait encore : imparfait d'arrière−plan. Il prenait place : imparfait de rupture. Cet emploi contraste nettement avec les emplois habituels de l'imparfait. L'imparfait de rupture permet au récit de progresser, il appartient au 1er plan (comme la succession des PS). Il y a un emploi très proche de l'imparfait de rupture qui est très utilisé dans le discours journalistique : l'imparfait narratif. On rencontre fréquemment dans la narration journalistique des séries d'imparfaits à valeur perfective employés de la même manière que des PS. Exemple 8 : 8a) C'est un récit basé sur le PS. 8b) C'est un récit conventionnel qui respecte la distinction 1er plan/ arrière−plan. 8a) C'est un emploi qui est en expansion dans le français actuel. Nous avons une série d'imparfaits narratifs qui nivelle les actions sur un seul plan. La mise en relief est effacée. Ce type d'emplois permet parfois de donner la 1ère place à la chronologie des événements plutôt qu'aux événements eux−mêmes. L'imparfait est dépourvu ici, de point d'appui perfectif (pas de PS). On peut alors penser qu'il provoque une tension chez le lecteur qui accélère la progression du texte. On a une impression d'accélération. On a l'impression que les événements se succèdent très vite. Comme l'imparfait envisage le procès de l'intérieur, dans son déroulement, on a un peu l'impression de se trouver au milieu d'une action dont on ne maîtrise ni le début ni la fin. L'imparfait narratif permet d'éviter la mise en relief du texte assuré par l'alternance de l'imparfait avec le PS/PC. Cela donne un ton plus neutre, plus objectif aux événements qui ne sont plus pris en charge par un narrateur qui sépare ce qui est essentiel de ce qui ne l'est pas. • Autres emplois de l'imparfait : • Valeurs temporelles de l'imparfait En plus de l'emploi habituel comme imparfait d'arrière−plan et de l'imparfait de rupture ou imparfait narratif, nous verrons tout d'abord : L'imparfait itératif (d'habitude) : Ex : Tous les soirs, il passait chez le bouquiniste. L'habitude est plutôt marquée par « tous les soirs ». L'imparfait de discours indirect : Ex : Marie s'écria : « Je suis heureuse » (DD) 8 Marie s'écria qu'elle était heureuse. (DI) *Marie s'écria qu'elle fut heureuse. (DI) Marie exprima sa joie. Ah ! qu'elle était heureuse. (DIL) L'imparfait remplace le présent dans le passage du DD au DI ou DIL. C'est ce qu'on appelait dans la grammaire traditionnelle la concordance des temps. Le remplacement du présent par l'imparfait dans le DI correspond à un phénomène plus général. Dans le passage du DD au DI, les embrayeurs sont remplacés par des éléments à référence discursive (hier : la veille). C'est ainsi que le présent qui est un temps embrayé sera remplacé par l'imparfait. L'imparfait se repère de façon discursive par rapport au temps des événements racontés comme les PS. L'Euphémisation ou Imparfait de politesse : Ex : Je voulais vous dire que l'électricité va être coupée cette après−midi. Venais On emploie cette tournure lorsqu'on veut demander quelque chose à un allocutaire avec qui on n'a pas de familiarité. Ce phénomène concerne essentiellement Je + imparfait et un nombre très limité de verbes modaux (désirer, vouloir, tenir à, souhaiter). Tout se passe comme si ces verbes étaient porteurs d'une charge d'agressivité à l'égard de l'allocutaire. Lorsque le locuteur s'adresse à quelqu'un, il utilise la langue pour obliger à cette personne à l'écouter et surtout à lui répondre. Lorsqu'on parle, on impose sa parole à autrui. On constitue l'autre en allocutaire, on fait pression sur lui. Le fait de poser une question oblige l'allocutaire à répondre. Le fait de donner un ordre, l'oblige à obéir. S'il n'y a pas de familiarité suffisante entre les interlocuteurs, le locuteur aura tendance à euphémiser la violence inhérente à sa prise de parole. Cette euphémisation se traduit par un déplacement du présent d'énonciation vers l'imparfait. La demande est alors exclue de l'actualité renvoyée vers un passé fictif. Elle est alors moins agressive pour l'allocutaire. Si le locuteur n'emploie pas le PC c'est que ce temps introduirait une rupture avec le présent de l'énonciation (j'ai désiré mais je ne désire plus). En revanche, l'imparfait ne marque pas une telle coupure, « je désirais » constitue un procès qu'on ne ferme pas sur sa droite et qui peut se poursuivre de façon continue jusqu'au moment d'énonciation. L'Imparfait dit : « Hypocoristique » C'est un terme qui vient du grec qui veut dire employer un diminutif affectueux. C'est en général, les noms qui sont hypocoristiques. Et c'est là, un emploi de l'imparfait qui est particulier au français, il n'est pas possible en espagnol. EX : J'avais de beaux yeux, moi. Il était gentil le chien à sa mémère. Il s'agit de la langue que les adultes emploient pour s'adresser aux petits enfants ou aux animaux familiers. Nous avions déjà vu que la non−personne ou le « je » remplacent « tu » lorsque l'allocutaire n'est pas doué de parole. Cette substitution s'accompagne très souvent d'une autre, l'imparfait remplace le présent. C'est ce qu'on appelle l'imparfait hypocoristique. 9 L'impossibilité de l'échange est marquée à la fois dans les personnes et dans le temps verbal. Il faut dire qu'il n'y a pas de distinction nette entre les valeurs temporelles et modales de l'imparfait. Ces deux derniers emplois sont proches des valeurs modales. • Valeurs modales de l'imparfait L'imparfait modal : Ex : Si Marie montait sur une chaise, elle serait aussi grande que Paul. Nous avons une subordonnée hypothétique avec une proposition en si. On appelle imparfait modal, l'imparfait qui apparaît dans la proposition en si des systèmes hypothétiques. Dans ce cas, l'imparfait a pour fonction de créer le décor d'un monde possible dont le conditionnel donnera les implications. L'imparfait sert à créer un monde dans lequel Marie monte sur une chaise. Dans certains cas il s'agit d'un monde dit contrefactuel (l'irréel) c−a−d, un monde inverse du monde de ce qui est. Ex : Si Marie était un garçon elle s'appellerait Paul. L'imparfait modal peut fonctionner aussi sans « si » pour créer le monde contrefactuel du jeu. EX : On était des grandes personnes et on était des marchandes Dans ces valeurs modales, l'imparfait n'a plus aucun rapport avec le passé. Les mondes dont il crée le décor sont futurs ou présents. L'imminence contrecarrée : Ex : Cinq minutes plus tard, je manquais mon avion.* Cinq minutes après, tu ne me trouvais pas. * si j'étais arrivé 5 minutes plus tard, j'aurais manqué mon avion. L'imparfait qui nous intéresse « manquais » se trouve dans la principale et non plus dans la proposition en « si ». La réalisation du procès est rendue impossible par une condition qui n'a pas été remplie. L'imparfait équivaut à un conditionnel passé marquant l'irréel du passé. Le procès ne s'est pas réalisé dans le passé. A la différence du conditionnel, l'imparfait permet d'envisager fictivement le procès comme déjà en cours de développement, ce qui augmente la dramatisation du récit. Ex : Une minute plus tard, le train déraillait. Hors contexte, cet énoncé est ambigu : ♦ Valeur modale, le procès n'a pas lieu. ♦ Ou imparfait de rupture qui vient prendre la place d'un PS et ça a une valeur temporelle : « le train dérailla ». Si le circonstant a une valeur temporelle, l'imparfait équivaut à un PS. Si le circonstant a une valeur modale, l'imparfait équivaut à un conditionnel passé, c'est un imparfait 10 d'imminence contrecarrée. • Le Présent : • Le présent de l'énonciation : Le présent est le temps de base du « discours ». Il marque une coïncidence entre le procès de l'énoncé et le moment de son énonciation. De ce point de vue−là, le présent appartient à la classe des embrayeurs, c'est un temps embrayé (il se repère par rapport au présent du locuteur). Cette contemporanéité entre l'acte d'énonciation et le procès désigné n'est pas nécessairement absolue. Ex : Le café bout. Le café a pu commencer avant que je dise cela et il peut continuer à bouillir par la suite. Très généralement, il n'y a pas coïncidence exacte entre les limites temporelles de l'acte d'énonciation et celles du procès visé. En général, le temps auquel réfère le présent est plus étendu que l'acte d'énonciation. Ex : Il pleut depuis 10 jours. Stéphanie a les yeux bleus. (Propriété permanente). Il faut accorder une place spéciale au dit « présent d'habitude » (ou fréquentatif). Ex : Nicole promène son chien chaque matin. Ce n'est pas le présent qui marque par lui−même le procès habituel, dans notre exemple, c'est chaque matin qui exprime l'habitude. L'habitude n'est pas marquée par le temps mais par le circonstant. Le présent est simplement compatible avec une interprétation habituelle. Le présent peut être un temps embrayé, il se repère alors par rapport au moment de l'énonciation mais ce n'est pas là le seul emploi possible du présent. • Les présents décalés par rapport à leur énonciation : Le présent est la forme non marquée de l'indicatif et il peut donc entrer dans des énoncés exprimant le passé ou le futur. Ex : « Je suis épuisé, j'arrive tout juste de NY. » Suis : présent embrayé, présent de narration. J'arrive : je viens d'arriver. Passé immédiat. C'est un présent décalé qui marque le passé immédiat. Le procès est déjà achevé mais il est encore considéré comme présent par ses conséquences. Ex : Quand l'as−tu vu ? −Je le quitte à l'instant. (= je viens de le quitter). Passé immédiat. Ex : Je suis prêt, je pars (à l'instant). = je pars maintenant. Futur immédiat. Dans le cas du passé ou du futur immédiat, l'acte énonciatif est décalé par rapport au procès visé qui se trouve fictivement intégré à l'instance d'énonciation par l'une au moins de ces limites temporelles. Il est rattaché au présent. Lorsque le présent est employé pour référer au passé/ futur immédiat, on peut considérer qu'on demeure dans 11 le cadre du présent. Le présent peut cependant exprimer un procès futur ou passé qui présente un décalage plus grand par rapport au moment de l'énonciation. Ex : « Dans six mois, je m'installe dans le Larzac. » Demain, Paul va à Nice. Dans les énoncés exprimant le futur, le procès est si proche ou si inéluctable que son déclanchement est considéré comme déjà présent. Ex : Hier, je vais chez lui, sa mère ne veut pas que je rentre. C'est un présent à valeur de passé. Dans les énoncés exprimant un passé, le procès est considéré comme présent par ses conséquences, même s'il est achevé. Dans les 2 cas, les procès sont rattachés d'une certaine manière au présent. Ce n'est pas le présent qui exprime le futur ou le passé, ce sont les adverbes ou les circonstants qui portent l'information temporelle de l'énoncé. La langue parlée recourt beaucoup à ce procédé. Cet usage est possible parce que le présent est une forme aspectuelle peu définie. Il existe une dissymétrie entre le futur et le passé. L'emploi des présents à valeur de futur peut concerner des énoncés isolés. Cependant, le présent dans un contexte de passé s'associe en séquences. Photocopie Exemple 2 : (1) Il s'agit d'un présent à valeur de passé. S'il faut une série d'événements dans ce cas−là, c'est que chaque présent, comme le PS, s'appuie sur le précédent au lieu d'être repéré par rapport au moment d'énonciation. En revanche, le présent se substitue au futur sans difficultés parce que le futur est avant tout une projection à partir du présent. • Le présent atemporel : Le présent atemporel présente comme vrai tous les temps indépendamment de son énonciation et de son locuteur. On parle aussi de « présent de vérité générale » ou encore de « présent de définition ». Ex : La terre tourne autour du soleil. Paris est la capitale de la France. Le fait que la Terre tourne autour du soleil constitue une vérité qui perdure, indépendant de son énonciation. Cet énoncé demeure valide dans n'importe quelle situation. Ici, il ne peut pas y avoir d'embrayeurs et le présent du verbe ne peut pas être opposé à un passé ou à un futur. Il s'agit là d'une forme temporelle au degré zéro, atemporelle ou générique et non pas le seul présent (on parle donc d'énoncés génériques, par exemple des proverbes). Les proverbes et les textes théoriques (scientifiques, philosophiques) recourent beaucoup à ce présent qui permet de construire un univers de définition, de propriété, de relation, tout à fait étranger à la temporalité ou qui cherche à se présenter comme telle : Ex : « Qui va à la chasse, perd sa place », « Bien fol est qui s'y fie ». Dans le cas des proverbes, on parlera de présent générique ou de présent gnomique. C'est un temps qui se présente comme généralement vrai, indépendamment de son locuteur. 12 (2) Le narrateur emploie un présent de vérité générale pour imposer en fait, une opinion personnelle. Rien ne distingue le présent de vérité générale du présent qui se donne pour une vérité générale. Ex : La gourmandise est un vilain défaut. En utilisant un présent de vérité générale, je fais semblant de m'appuyer sur un savoir, sur une sagesse collective, comme pour les proverbes. Lorsqu'un locuteur dit un proverbe, par exemple : « Qui trop embrasse, mal étreint », il fait entendre, à travers sa propre voix, une autre voix, celle de la « sagesse des nations », à laquelle il attribue la responsabilité de l'énoncé. Le locuteur n'explicite pas la source de cet énoncé, c'est l'allocutaire qui doit identifier le proverbe comme tel. • Le présent de narration : Nous avons associé le « récit » à l'emploi du PS et non−personne, en fait, cette définition ne correspond qu'à la situation la plus courante. Il faut définir le « récit » comme un mode de narration où il y a rupture avec la situation d'énonciation et absence de déictiques. Le présent peut être employé dans un texte relevant du « récit » à la place du PS avec lequel il alterne très facilement. C'est ce qu'on appelle traditionnellement « présent de narration » ou « présent historique » (Benveniste l'appelle « présent aoristique »). Il s'agit en fait du présent du « récit ». C'est un emploi réservé à la langue écrite et qui ne doit pas être confondu avec le présent de la langue parlée en fonction de passé ou de futur, lequel constitue une forme de « discours » associé aux déictiques et aux personnes. Le présent de narration n'est pas déictique ; il n'indique pas que le procès est contemporain du moment d'énonciation. Le présent de narration suscite de nombreux débats d'ordre théorique. La conception traditionnelle du présent considère que ce temps a, avant tout, une valeur déictique. Il marque la coïncidence avec le présent du locuteur. Les autres emplois du présent ne seraient que secondaires par rapport à cette valeur première énonciative. Pour justifier l'existence du présent de narration, on considère alors qu'il s'agit d'un présent transposé à valeur stylistique. On vit les événements comme s'ils se déroulaient au présent. Selon cette conception traditionnelle, le présent de narration est un présent décalé, il présente ce qu'on appelle une énallage temporelle. Ex : Le 14 juillet 1789, les Parisiens prennent la Bastille. Ils guillotineront leur roi quelques mois plus tard. Normalement, on dirait que le présent se repère ici par énallage par rapport à un repère temporel qui est donné par le contexte linguistique, à savoir, la date complète (repérage absolu) « 14 juillet 1789 ». Le futur est un futur par rapport à ce présent. Toujours dans cette conception traditionnelle, il y a ici substitution du temps de l'énonciation par un repère temporel qui coïncide avec l'instant où se déroulent les événements narrés. Le narrateur se situe au présent dans le passé, à la faveur d'un artifice rhétorique ; il fait comme si les faits narrés étaient contemporains de la narration. Des travaux récents ont mis en question cette conception traditionnelle du présent. On considère aujourd'hui que le présent de l'indicatif n'a pas de signifié temporel propre, c'est une forme non temporelle et non déictique du verbe, elle sera compatible avec toute datation passée ou future, avec la valeur panchronique des proverbes et des vérités générales. En l'absence de tout autre repère, le présent s'appuiera sur la situation de l'énonciation et sera interprété comme déictique. Le présent est une forme temporellement neutre, qui présente le procès dans son accomplissement même. Le présent de narration présente un décrochage énonciatif para rapport au temps de la narration. Il permet de faire revivre le passé sous les yeux du destinataire. Le présent de narration est une forme non déictique du verbe, il 13 génère sa propre actualité. C'est le procès lui −même qui fournit son propre repère. Ce point de repère est mobile par définition, il suit le déroulement des procès. Le présent crée sa propre actualité par son énonciation même. Il s'auto−repère et il saisit le procès dans son accomplissement, dans son déroulement. Photocopie Exemples 2 (3) Ici, c'est l'emploi habituel du présent de narration dans un récit au PS. Le présent isole l'épisode. Le passage au présent contribue à la structuration du texte. Le présent de narration occupe une place normalement réservée au PS. Comme le PS, il se repère par rapport au temps des événements racontés, au temps de l'énoncé, sana alternance avec le PS, il marque souvent un effet de contraste. Il manifeste un changement de repérage par rapport à la narration basée sur la combinaison « PS + imparfait ». Le présent de narration est un temps qui est coupé du présent de l'énonciation, il marque une relation d'isochronie (contemporanéité) entre le moment du procès et le repère temporel posé par ailleurs, par exemple, il y a isochronie entre « prennent » et « le 14 juillet 1789 ». (4 a et b) Le PS livre les faits dans leur accomplissement total. Ils appartiennent à un passé révolu (coupé du présent). Le présent relate les faits semblants d'ignorer leur accomplissement. De là, le fait de suspens. Le présent de narration relate les événements de l'intérieur dans leur devenir. Le présent de narration est particulièrement courant dans les textes d'histoire, dans l'autobiographie, la biographie. (5) C'est un texte rédigé après les événements. Ce temps génère sa propre actualité, il transporte avec lui son repère. Dans un texte au présent de narration, les localisations temporelles fixées dans le texte sont soit des repérages absolus, soit des repères anaphoriques discursifs comme : à ce moment−là, le lendemain, etc. Cependant, le présent de narration est incompatible avec les localisations temporelles déictiques. Dans notre texte on aura « dans quelques mois » et il en est de même pour ce « maintenant ». Ces déictiques se localisent par rapport au point de repère fourni par le présent de narration. Le PS « disparut » marque une rupture. Le repérage par le PS est entièrement différent. Il met les événements en perspective. Ce sont des événements qui appartiennent à un passé révolu, coupé de l'instance d'énonciation. En règle générale, le présent de narration ne remplace pas purement et simplement le PS. Il n'équivaut pas à un PS. Il possède des valeurs stylistiques propres. (6) C'est un récit au PS : reconnut, ordonna Rupture : on passe au présent de narration (passent). A la fin, le récit continue, on retourne au PS. Dans cet extrait, c'est le PS qui définit l'armure narrative. Le présent de narration n'intervient que ponctuellement. Il semble posséder ici une fonction d'organisation textuelle. Il y a mise en contraste des 2 plans, d'une part au PS, les actes dont Bonaparte est l'agent, d'autre part au présent, on a des épisodes secondaires, dont les protagonistes sont des personnages anonymes (quelques sapeurs, un officier) Le présent isole ici un épisode secondaire dans la narration. Les effets de sens liés à ce présent de narration concernent essentiellement la distance entre les événements évoqués et l'instance d'énonciation. Tantôt l'effet est plutôt de proximité, l'allocutaire a le sentiment qu'il est témoin de l'événement ou qu'il s'agit d'un zoom qui grossit certains détails ; tantôt l'effet est plutôt d'éloignement, de commentaire comme s'il s'agissait de la légende d'une photographie, une sorte d'effet de figement. L'interprétation des effets de sens liés au présent de 14 narration ne peut donc se faire qu'en contexte. Photocopie d'Exemples 3 (1) C'est un récit au PC : ont lancé On a un long passage au présent de narration encadré de PC. L'emploi du présent est expliqué par le statut du passage : il s'agit d'une description qui suspend momentanément le cours de l'histoire. Si le texte avait été au PC, l'effet aurait été très différent. Les gestes de Rambert auraient été présentés comme une série d'actes uniques. Grâce au présent de narration. Les mouvements du lanceur de boule sont posés comme exemplaires, il représente tous les lanceurs de boule. Le présent permet de donner à la description du joueur un effet distanciant d'arrêt sur image. Nous trouvons aussi des textes dans lesquels le présent de narration se substitue au PS (ou au PC, mais + rare) alors que l'imparfait se maintient avec la valeur qu'il aurait dans un texte rédigé dans le système du passé. (2) Nous avons un récit au PS + non−personne (accourut, demanda) Était, avait dit : imparfait de discours indirect. Le récit passe au présent de narration : insiste. Les présents de narration alternent avec des imparfaits d'arrière−plan (ou plus−que−parfait). Ce système permet de conserver l'opposition explicite des plans marquée par les formes verbales. On pourrait avoir des présents à la place de ces imparfaits mais il n'y aurait plus alors de mise en relief entre 1er et arrière−plan. C'est pour conserver la mise en relief que Stendhal a choisi de conserver dans ce texte l'opposition entre les présents de 1er plan et les imparfaits ou plus−que−parfait de second plan. Dans l'écriture contemporaine, on remarque chez de nombreux écrivains une tendance à remplacer la narration au passé par une narration au présent. Le présent ne se substitue plus provisoirement au PS, toute la narration se fait au présent. (3) Texte basé sur un présent de narration et des PC pour marquer l'accompli. Ce type de narration au présent présente un inconvénient, il efface toute opposition entre l'imparfait et le présent. Autrement dit, le présent de narration permet de neutraliser dans un texte l'opposition entre les formes qui font progresser la narration et celles qui sont descriptives. Le texte perd tout étagement en profondeur. « Sommes rencontrés » : PC qui marque l'antériorité et l'accomplissement. « Ai jamais connu » : // // // Les présents de ce texte peuvent dans bon nombre de cas être sentis comme ambigus. On ne sait pas parfois si ce sont des formes de 1er plan ou de 2ème plan. Si on transposait le texte dans le système du passé (PS/ Imparfait) on ne saurait pas si certains présents correspondent à un PS ou à un imparfait. Certains présents sont clairement de 1er plan : « j'ai une illumination, nous sommes quelques minutes silencieux, je remets » D'autres présents appartiennent nettement au 2ème : « nous sommes voisins ». Et d'autres présents sont plus difficiles à transposer : je feins, il me semble que Renée me regarde. (PS ou imparfait ?). Cette dénomination recouvre aussi les présents de 1er plan que les présents de 2ème plan. Le présent est un temps non marqué aspectuellement, cela permet d'entretenir sur quelques formes, du moins, une certaine hésitation. 15 TEMA 2 : L'ANAPHORE I) Anaphore, cataphore et coréférence : On entend par « phénomène anaphorique » les relations de reprise d'un élément par un autre dans la chaîne textuelle. L'anaphore se définit traditionnellement comme toute reprise d'un élément antérieur dans un texte. Le cas d'anaphore le plus simple c'est la pronominalisation. Ex : Cet homme, tu le connais ? J'ai vu la nouvelle voiture de Paul. Elle est bleue alors que je la voyais verte. Nous appellerons « source sémantique » le segment auquel renvoie l'anaphorique. On parle aussi d'éléments anaphorisés et d'éléments anaphorisants. Une expression est anaphorique si son interprétation référentielle dépend d'une autre expression qui figure dans le contexte verbal. Les pronoms sont des éléments anaphorisants. Pour leur attribuer une référence, il faut avoir recours à un GN antécédent (l'élément anaphorisé). Il existe d'autres types de reprises dont certaines mettent en jeu d'autres substitutions lexicales. Ex : Il était une fois un chien. Ce chien GN anaphorique qui reprend 1 groupe anaphorique « un chien » On parle de cataphore lorsque le substitut (l'élément anaphorisant) précède l'élément anaphorisé. Dans la cataphore, l'élément anaphorique renvoie par anticipation à ce qui va suivre. Ex : Elle est encore en retard, Sylvie. Suis bien ce conseil, ne boit que de l'eau. Nous emploierons le mot « anaphore » dans un sens général qui comprend comme cas particulier la cataphore. L'attribution du référent se fait différemment par les déictiques et par l'anaphore. Dans le cas des déictiques, il y a référence directe (RD). Ex : Je veux ceci/ Je n'ai pas ça ! L'objet du monde extérieur auquel réfère par exemple « ça » se trouve directement dans la scène d'énonciation (référence situationnelle). Par contre, si je dis « Je suis arrivé dans mon bureau et là vous ne savez pas qui j'ai trouvé » = phénomène d'anaphore. « Là » renvoie d'abord à son antécédent (source sémantique). « Mon bureau » : référence indirecte (RI), référence discursive. On dit que l'anaphore c'est une relation de coréférence entre 2 éléments du discours. Ces 2 éléments ont le même référent. Il faut cependant distinguer « anaphore » et « coréférence ». La coréférence est une notion plus large que celle d'anaphore. Il peut y avoir coréférence sans qu'il y ait forcément anaphore. Certains termes peuvent renvoyer au même référent sans qu'il y ait entre eux de relation intradiscursive. C'est le cas 16 dans la reprise nominale de la répétition du GN. On dira qu'il y a coréférence dans la réitération des noms propres aussi bien que dans celle des personnes JE/TU. On ne peut pas vraiment parler d'anaphore dans ce cas car la relation entre les 2 termes est symétrique. Aucun des termes ne tire tout au parti de sa référence d'une autre mais ils sont tous coréférents, ils désignent parallèlement et de la même manière le même sujet. II) Types d'anaphores : On distinguera 3 grands ensembles de phénomènes anaphoriques : • Premièrement : la forme d'anaphore la + connue est l'anaphore pronominale. C'est la reprise par un pronom personnel, par un relatif, un démonstratif (celui−ci, celui−là), un indéfini (certains, chacun), un numéral. Ex : Paul est mécontent, il s'en va. Les jours étaient alignés, aucun ne manquaient, chacun attendait, trois étaient debout. • Deuxièmement : l'anaphore nominale. Il peut s'agir de la reprise du même mot avec changement de déterminant. Ex : « Une jeune fille La jeune fille » = anaphore nominale fidèle. Il peut y avoir des substitutions lexicales (reprises par des noms différents). Ex : « La jeune fille La pauvre enfant. » = anaphore infidèle. • Troisièmement : anaphore lexicale. A l'intérieur de l'anaphore lexicale nous trouvons l'anaphore adverbiale. Dans certaines conditions les adverbes : là/ là−bas, alors et ainsi sont des anaphoriques. Ils jouent le rôle de substituts. Voir Photocopie « L'Anaphore ». Exemple (1) : pas expliqué, seulement lu. D'autres exemples : • Paul travaille plus que ne fait Luc. • Quand Paul vient et qu'il pleut, on lit. • Luison Bodet a dû abandonner dans le col de l'Tscram telle est la dure loi du sport. A = anaphore lexicale du verbe ou anaphore verbale. « Faire » est ici un verbe substitut. B = anaphore lexicale d'une conjonction de subordination. C = anaphore adjectivale, « telle » résume le contenu de ce qui précède. (Anaphore résomptive). Remarque : en ce qui concerne le référent, le terme anaphorisé, il peut être un GN indéfini aussi bien qu'un nom propre ou un GN défini. L'élément anaphorisé peut être aussi toute une proposition. Ex : Le travail est un trésor, retenez bien cela. • L'anaphore pronominale : 17 Les pronoms sont des éléments anaphorisants. Ils possèdent des marques de nombre et de genre mais pour leur attribuer un référent il faut avoir recours à un GN antécédent (l'élément anaphorisé). Lorsque plusieurs groupes nominaux peuvent jouer le rôle d'antécédent d'un même pronom, l'allocutaire rencontre des ambiguïtés. Dans un paragraphe, il existe un GN, hiérarchiquement dominant qui peut être le groupe le plus proche ou le sujet de l'énoncé. (2) Élément distingué par la dynamique du texte= groupe dominant « l'odieuse créature ». L'antécédent n'est pas nécessairement le GN le plus proche mais l'objet que le contexte distingue, met en relief. En plus, dans cet exemple, le GN est le sujet. D'un point de vue référentiel, certains pronoms permettent la reprise totale du référent du GN. Si je dis « Paul est mécontent, il s'en va », il y a reprise totale. Mais il peut y avoir reprise partielle de ce référent, par exemple, avec « certains, plusieurs, quelques−uns ». C'est seulement un sous−ensemble qui est concerné. (3) L'anaphorique « une » tire sa référence de quelques femmes mais il y a reprise partielle du référent. C'est une chaîne anaphorique. L'anaphore « en, une » est paraphrasable par « une telle » qui vient reprendre « une ». « Une/ en /qui » construit une chaîne anaphorique dont le fait est d'attirer l'attention sur le personnage de Manon. Une chaîne anaphorique est une suite de termes entre lesquels s'établit une identité référentielle. Dans cet exemple, la tête de la chaîne anaphorique « une » est extraite du groupe indéfini « quelques femmes ». Certains pronoms, par exemple : une/ certain/ chacun, peuvent opérer une extraction à partir du GN anaphorisé. Il y a reprise partielle du référent. Dans ce passage, les anaphorisants suivent le regard d'un autre personnage. De l'ensemble de femmes, il en extrait une sur laquelle il focalise son récit à l'aide d'une chaîne anaphorique. Il y a par ailleurs des phénomènes plus subtiles où l'anaphore concerne seulement la référence virtuelle de la source sémantique et non son référent (la référence actuelle). C'est le cas avec « le mien », pronom possessif, ou avec « enun ». Ex : « Ce sont tes lunettes qui sont sur la table, les miennes sont dans la voiture. » Le pronom possessif reprend le GN « tes lunettes » mais on ne peut pas dire qu'il représente la même réalité, le même référent que le groupe « les lunettes » auquel il renvoie. Il n'y a pas coréférence, mais il y a anaphore. Le pronom reprend la référence virtuelle du groupe remplacé (le concept de « lunettes »). Il faut éviter la répétition du substantif. On peut faire une remarque analogue pour les pronoms démonstratifs. Ex : « Mes lunettes sont sur la table, celles de Paul sont restées dehors » (pas de coréférence mais anaphore). Il en va de même pour la reprise par « en » d'une expression quantitative. Les exemples sont de Milner : Ex : « Jean a vu 10 lions et toi tu en as vu 15. » Ici, le pronom « en » anaphorise « lion » mais cela ne suppose pas l'identité de référence actuelle (pas le même référent). Il y a uniquement identité de référence virtuelle. C'est la signification en langue de « lion » qui est reprise. « En » n'implique pas qu'il s'agisse des mêmes segments de réalité (du même référent). • L'anaphore fidèle : L'anaphore nominale fidèle est une reprise du nom avec un simple changement des déterminants. Il s'agit d'un GN « un N » repris par « le N » = un chien : le chien. 18 Il y a coréférence entre le GN anaphorique et sa source sémantique. Le GN indéfini est considéré comme identifié par le seul fait d'avoir été introduit dans le texte et il peut être repris comme GN défini. (4) Ce texte introduit des objets nouveaux avec le déterminant « un » et les reprend ainsi identifiés avec « le/ce ». Tous les GN introduits par « un » ne font pas l'objet d'une reprise fidèle. C'est ainsi que nous avons « un tableau » qui est un GN défini qui passe à « le tableau ». • L'anaphore infidèle : L'anaphore nominale infidèle s'accompagne d'un changement d'unité lexicale (la jeune fille La pauvre enfant, le chien L'animal). Ces reprises lexicales sont fondées sur des équivalences régies par le savoir lexical et le savoir encyclopédique des sujets parlants. Dans certains cas, la relation entre l'anaphorisant et l'anaphorisé est accidentelle. Elle résulte d'un savoir encyclopédique d'une certaine connaissance du monde. On peut trouver dans un texte : Mme Bovary suivi de « la maîtresse de Lyon » ou Louis XIV, repris par le fils d'Anne d'Autriche. Louis XIV et Mme Bovary sont des noms propres repris par des descriptions définies. Seules les connaissances extra−linguistiques me permettront d'identifier les 2 expressions (le nom propre et la description définie) comme désignant un même individu. (5) Texte informatique. Ici le nom propre « Le Niger » qui est directement référentiel (il ne peut s'appliquer qu'à un seul même objet) est repris par « le fleuve », qui est une description définie. Le GN fournit une caractérisation, une description du même objet qui est désignée alors par une de ses propriétés caractéristiques (Le Niger est un fleuve). Beaucoup de substituts sont constitués par des périphrases descriptives ou des périphrases en anaphore. Et c'est ainsi que Ravillac devient « l'assassin d'Henri IV » et Londres devient la capitale du Royaume−Uni. Ces périphrases en anaphore relèvent d'un savoir encyclopédique. Le fonctionnement des substituts lexicaux renvoie à la question de la connaissance partagée (ou savoir partagé). L'identification entre la source sémantique et l'anaphorique dépend étroitement de la connaissance du monde que doit avoir le récepteur. Il est vrai que le contexte contient parfois des indications qui sont suffisamment claires. Parfois, il n'est pas toujours facile de savoir si c'est le contexte linguistique ou les connaissances préalables qui éclairent la relation anaphorique. (6) C'est un texte informatif (manuel, livre de géographie). Ici, ce sont surtout les connaissances préalables qui jouent un rôle dans l'identification de l'antécédent. Nous savons que Paris est une ville, c'est connu. Mais à supposer qu'on ne le sache pas, l'identification entre l'antécédent « Paris » et l'anaphorique « la ville » est préparée par le GN « mettre le siège ». Ça dépend du contexte. Ex : «Ils pillent les faubourgs de Byzance, mais ne peuvent entrer dans la ville d'Or. » C'est un nom propre repris pas une description définie. On peut penser que l'identification repose sur une connaissance préalable de cette désignation de Byzance comme la « ville d'Or ». En fait, la liaison entre l'anaphorique et la source sémantique peut s'établir automatiquement, en quelques sortes, parce qu'il n'y a pas d'autres solutions. 19 L'anaphorique n'est pas alors seulement un moyen d'assurer la cohérence du texte en disant autrement la même chose. La reprise lexicale est aussi un moyen d'apporter une information nouvelle. (7) Nous avons ici un nom propre « Malraux », repris par des anaphores pronominales « il », puis pas une anaphore infidèle : « cet aventurier ». Les reprises en ce + N marquent une mise en relation directe qui impose clairement la coréférence indépendamment de tout savoir extra−linguistique. Ici, la reprise en ce N permet au locuteur de porter un regard subjectif sur la personne de Malraux. La relation anaphorique permet au locuteur de donner son opinion sur Malraux. C'est encore un apport d'informations. Les reprises lexicales se fondent sur des équivalences régies par le savoir lexical et par le savoir encyclopédique des sujets parlants. Nous passons à expliquer qu'est−ce que le savoir lexical. Les mots du lexique entretiennent entre eux des relations sémantiques telles que le sens de certains d'entre eux est inclus dans celui de certains autres. Ce sont les rapports d'hypéronymie hyponymie. Le terme d'hyperonyme qualifie les noms génériques. Le terme d'hyponyme qualifie les noms spécialisés. Dans un exemple du type : « Une tulipe La fleur. » Hyponyme hyperonyme L'anaphorisant « fleur » indique une propriété essentielle de l'anaphorisé « tulipe ». Une propriété qui fait partie en quelques sortes du savoir lexical et qui est codifié dans la langue, une tulipe est une fleur. Et de même, on aura « Un dictionnaire cet ouvrage », « le soleil l'astre ». Dans tous les cas, nous avons des hyponymes repris par un hyperonyme. Les reprises lexicales contribuent à la fois à la cohésion et à la progression du texte. Elles sont, en général, assurées tantôt pas des synonymes ou des parasynonymes tantôt par des hyperonymes. Ex : Son nouveau métier lui plaisait. Jamais il n'avait pensé que cette profession serait si agréable à exercer. Ex : J'ai rencontré un chien. L'animal m'a suivi. • Métier repris par profession. C'est une reprise par parasynonyme. • Chien= animal. Anaphore infidèle, reprise par hyperonyme. Les reprises par hyperonyme sont rares et ressenties comme déviantes. Ex : ? J'ai rencontré un animal, ce chien m'a suivi. (C'est bizarre) Les reprises par hyponyme sont cependant possibles comme des cas particuliers de cataphore narrative. On a une cataphore narrative lorsque les événements dans un récit ne sont pas racontés selon l'ordre linéaire. Le début du récit anticipe la suite de l'histoire et il n'est compréhensible que lorsqu'on a lu le reste. (8) Vache= hyperonyme. Frisonne = hyponyme. (Type de vache). Ça passe très bien parce que nous avons une cataphore narrative. On nous raconte l'histoire à l'envers. On a d'abord la fin de l'histoire et elle est expliquée par la suite. L'information n'est pas livrée tout d'abord, de manière maximale. L'identification d'un référent donné peut alors se faire selon une échelle ascendante de précision. Donc, nous avons ici, une reprise par hyponyme en fonction de cataphore narrative. Frisonne c'est 20 une race de vache laitière. • L'anaphore associative : On parle d'anaphore associative ou anaphore par association ou encore anaphore implicite. L'anaphore associative est légitimée par un savoir encyclopédique partagé. Elle permet, par exemple, une fois qu'on a parlé d'une maison d'en détailler les parties en disant : Ex : « Le toit et les murs sont en bon état mais les fenêtres et les volets sont è refaire. Le propriétaire est sympathique. » C'est une anaphore associative. Ces reprises sont rendues possibles grâce aux connaissances communes au locuteur d'un groupe culturel donné. Chacun sait qu'une maison a un toit, des murs, un propriétaire, etc. L'anaphore associative fait souvent appel à un savoir extra−linguistique. Elle exige le recours à une série d'inférences fondées sur un savoir partagé. Inférence est un terme de logique et signifie une implication logique, une déduction. Ex : Le portrait de Marcel est raté, les yeux sont flous. L'interprétation de cet énoncé fait appel à des connaissances du type : tout portrait représente un visage, tout visage comporte deux yeux, etc. Cela nous permet de récupérer la totalité de l'anaphorisant : les yeux du visage de Marcel. L'anaphore nominale par association est un cas particulier d'anaphore infidèle. Ex : Nous arrivâmes dans un village. L'église était fermée. Nous arrivâmes dans une église. Le curé lisait la messe. GN1 GN2 Dans tous ces emplois un GN2 défini anaphorise un GN1 indéfini, sans qu'il y ait coréférence entre les 2 expressions. La relation anaphorique est induite par l'article indéfini. Le GN défini est non−autonome référentiellement, il ne renvoie pas par lui−même à un référent. On ne peut fixer son référent que par rapport au GN indéfini qui le précède. Les groupes nominaux anaphoriques associatifs sont donc dépendants contextuellement. Leur interprétation dépend du lien qui s'établit avec leur source sémantique. C'est là le fonctionnement général de tous les anaphoriques et c'est surtout le cas des groupes nominaux définis anaphoriques classiques (fidèles ou infidèles) du type : Ex : Nous arrivâmes dans un village. Le village/ la bourgade/ le patelin était situé(e) sur une hauteur. Le village : anaphore fidèle. La bourgade/ le patelin : anaphore infidèle. La seule particularité des anaphores associatives réside dans le fait qu'il n'y a pas coréférence entre l'anaphorisant et l'anaphorisé. C'est une anaphore indirecte. L'anaphorisant introduit un nouveau référent non coréférentiel. Dans l'anaphore associative, le lien qui unit le GN défini et le GN indéfini qui le précède est très souvent du type partie/tout. C'est le cas le plus typique et qui explique le lien entre village et église, portrait 21 et yeux. Toutes les associations partie/tout ne marchent cependant pas : Ex : ? Une femme rêvait. Les yeux étaient fermés. ? Paul ne dit mot. Les jouent étaient gonflées à bloc. ? Les souris fuyaient le chat. Les oreilles étaient dressées. On ne dit pas ça. C'est l'opposition animé/ inanimé qui joue ici. Une femme, Paul, le chat ce sont des noms animés. Ce sont les parties du corps de l'animé qui font obstacle alors que le village/ un portrait sont des noms inanimés. Il faudrait mettre ici un possessif : Ex : « Une femme rêvait. Ses yeux étaient fermés. » Il en est de même pour les vêtements que porte l'animé : Ex : Paul entra. Le chapeau flottait sur sa tête. Pour que la relation associative soit rétablie, il faut mettre un possessif : Ex : Une femme rêvait. Ses yeux étaient fermés. Le problème se pose dans des constructions interphrastiques (dans des constructions de phrase à phrase). Les constructions intraphrastiques (dans la même phrase) ne posent aucun problème. Ex : « une femme rêvait, les yeux fermés. » : aucun problème. « Les yeux fermés, Paul ne dit mot. » // « Les oreilles dressées, le chat faisait fuir les souris » // L'anaphore associative exploite, par ailleurs, des relations plus lâches que la relation « partie/tout ». Ex : Pierre se coupa du pain, puis rangea le couteau. « Un pâtre à ses brebis, trouvant quelque mécompte, Voulut à toute force attraper le larron. » Ce sont des anaphores associatives, mais on ne peut pas les décrire en terme de relation partie/tout. Dans l'extrait de Lafontaine, l'interprétation du lien associatif suppose la mise en uvre d'un processus inférentiel (une série d'implications logiques). Si un pâtre trouve quelque mécompte à son troupeau c'est qu'il y a eu vol et s'il y a eu vol c'est qu'il y a un larron. C'est une série d'implications logiques. L'anaphore associative implicite systématiquement le principe de l'association voulant par exemple que s'il y a village, il y a église ou que si quelqu'un se coupe du pain il le fasse avec un couteau. La relation exploitée dans l'interprétation d'une anaphore correspond à des connaissances généralement partagées à caractère conventionnel, elle n'est pas sujette à contreverse (no es paradójica). La relation repose le plus souvent sur des représentations d'objets stéréotypés, par exemple : un village a une église (stéréotype), une maison a un toit, ou encore sur des scénarios (des scripts) plus ou moins conventionnels (par exemple : on coupe le pain avec 22 un couteau, lorsqu'il y a vol c'est qu'il y a eu un voleur). Il y a une relation stéréotypique qui est valable dans nos connaissances avant même la production linguistique. On dira qu'elle est préconstruite. Un stéréotype : c'est un lieu commun, c'est une opinion partagée par les membres d'une collectivité, d'une classe, d'une ethnie Un scénario : il définit une série d'actions ordonnées et stéréotypées. Par exemple, le script du restaurant : on s'assit à table, on consulte le menu, on commande, on mage, on paie et on sort. • L'anaphore conceptuelle : On parlera d'anaphore conceptuelle ou encore résomptive (qui résume). Elle permet de condenser et de résumer sous la forme d'un substantif le contenu de tout un énoncé ou d'un segment d'énoncé. Exemple 9 : Ce deuil : anaphore conceptuelle, résume ce qui a été dit « il a perdu sa mère ». Cette perte : // Votre préjugé : // Dans les 2 derniers exemples, ce type de substitutions, permet d'introduire de façon économique, l'appréciation du locuteur sur les faits qu'il rapporte. Ce « préjugé » c'est le locuteur qui indique son appréciation subjective. Il y a un apport d'informations subjectives qu'il n'y a pas dans ce « deuil ». Les anaphores conceptuelles ont une fonction de liaison interphrastique tout comme les connecteurs argumentatifs : mais, pourtant Elles marquent très nettement la progression du texte en prenant en compte les apports discursifs (apports d'informations). La reprise prend souvent la forme d'une nominalisation. Le groupe nominal anaphorique contient un nom formé à partir d'un verbe ou d'un adjectif. « Cette perte »−> perdre −>c'est une nominalisation à partir d'un verbe. Normalement, lorsqu'il y a nominalisation, il y a anaphore conceptuelle mais la notion d'anaphore conceptuelle est plus large et recouvre aussi d'autres types de reprises. Ex : Nous avions perdu notre chat, nous avons longtemps cherché avant de le trouver. L'aventure s'est bien terminée. « Aventure » : GN qui reprend l'ensemble de la phrase antérieure grâce à un processus de condensation. Ici la reprise anaphorique implique une analyse du sens des éléments concernés. C'est une anaphore conceptuelle. L'anaphore conceptuelle est un type d'anaphore infidèle. On peut parler dans certains cas de nominalisation « infidèle ». Exemple 10 : Cet interrogatoire : c'est un nominalisation du verbe interroger mais nous pas exactement ce verbe. C'est une nominalisation à partir d'un verbe interroger qui découle facilement de « harceler de questions ». C'est une anaphore conceptuelle par nominalisation infidèle directe. 23 La nominalisation est la transformation d'un énoncé en groupe nominal et de ce fait, elle permet d'organiser en un seul énoncé ce qui aurait fait l'objet de 2 énoncés successifs. Ex : L'eau de mer s'évapore, ceci produit des cristaux. = L'évaporation de l'eau de mer produit des cristaux. (Nominalisation à partir du verbe s'évaporer) Passage de verbe au nom. La nominalisation peut se faire aussi à partir d'un adjectif : Ex : Cet ouvrage est difficile. = La difficulté de cet ouvrage. Dans certains cas, la nominalisation résume, reprend une information développée dans le contexte antérieur. Le groupe nominalisé joue alors le rôle d'anaphorique. Exemple 11 : Durcissement : le GN joue de substitut. Il y a anaphore mais il n'y a pas d'apport d'information para rapport au contexte antérieur. A la place de « durcissement », il pourrait y avoir « ceci, cela » et ça serait parfait parce qu'il n'y a pas d'apport d'informations. Exemple 12 : Cette vielle forcée : anaphore conceptuelle. C'est une nominalisation « infidèle » (indirecte). Le GN ne reprend pas exactement, formellement un segment de l'énoncé qui précède (pas le verbe veiller). A partir de « n'a pas fermé l'il » nous obtenons veiller, donc : « cette veille forcée » = nominalisation infidèle. La nominalisation n'ajoute ici aucune information nouvelle par rapport au contexte antérieur. On pourrait avoir un pronom démonstratif : ceci/ cela. D'autres fois la nominalisation permet de conserver des données anciennes, des informations connues qu'on nous a déjà données avant et, d'ajouter des précisions complémentaires. Feuille d'exemples 2 (1) Cette bonté : nominalisation. Reprends l'adjectif « bon ». On pourrait mettre « cela » à la place mais ce n'est pas équivalent. La nominalisation permet ici au narrateur de donner une appréciation, un commentaire ironique sur les événements précédents. On peut voir des dans cette bonté un commentaire ironique de l'auteur. C'est ce que l'on appelle un phénomène de contamination lexicale du discours rapporté. Le narrateur reprend ce terme bon, ce sont des rapports tenus par le Duc mais ce n'est pas assumé par l'auteur. Il n'assume pas, il l'attribue à quelqu'un d'autre, c'est le Duc qui se considère bon, idée que ne partage pas Michelet. La nominalisation permet ici un ajout d'informations. Exemple 2 : Ce jeu ridicule : GN qui fait référence au contexte antérieur. Anaphore conceptuelle résomptive. Il s'agit d'une reprise anaphorique. Il s'agit en fait d'une nominalisation infidèle. La nominalisation permet au narrateur de donner une appréciation « ce jeu ridicule ». Cela apporte une appréciation subjective. Le substantif ne reprend pas forcément, de façon exacte un segment d'énoncé qui le précède. D'ordinaire, le GN nominalisé est placé en début de phrase en position de sujet, il se présente comme connu. Mais, en fait, le 24 degré de connaissance partagé pourra varier en fonction du lecteur. La nominalisation peut introduire une information nouvelle plus ou moins rattachée au contexte. Exemple 3 : C'est une information que le locuteur présente comme déjà connue par le lecteur. La nominalisation « cette innovation » pourrait être transformée en énoncé verbal sans qu'il y ait vraiment redondance (on innovait considérablement et cela rencontra). Il y a apport d'informations, il y a anaphore puisqu'il y a référence discursive. Par ailleurs, le groupe nominalisé peut très bien ne pas renvoyer au contexte ou n'y renvoyer que partiellement. A ce nom−là, la nominalisation n'implique pas de rôle anaphorique puisqu'il n'y a plus de substitut. Exemple 4 : On peut remplacer la nominalisation par un énoncé correspondant. Il n'y a pas d'anaphore. C'est une information nouvelle par rapport au contexte antérieur ou supposée connue. Exemple 5 : Il y a une ellipse de l'énoncé « cette roche est dure », énoncé remplacé par une nominalisation « la dureté de la roche » est une description définie qui présente un présupposé d'existence (présupposition existence). Ce genre de textes peuvent présenter des difficultés d'interprétation et exigent un certain nombre de connaissances du monde préalables à la lecture. (Texte informatif). La nominalisation véhicule des présupposés qui n'existent pas si l'on remplace le groupe par un énoncé correspondant. Ex : cette roche est dure = information implicite. Il n'y a pas de présupposition d'existence. Il peut s'agir aussi d'un moyen pour l'auteur de donner des informations nouvelles de façon détournée en les présentant comme connues. Par ailleurs, les nominalisations accroissent la densité du texte. La transformation d'un énoncé permet de condenser l'information, de la concentrer dans un seul énoncé. C'est un procédé qui est bien adapté à la rédaction des résumés. On les utilise beaucoup dans les titres des journaux III) La cataphore : Quand l'élément anaphorique qui précède l'élément anaphorisé, il y a cataphore. Dans la cataphore, le substitut renvoie para anticipation à ce qui va suivre. • Je vais te le donner, ton renseignement ! • Il l'avait rencontrée au cinéma, Marie lui avait plu immédiatement. Source sémantique • cataphore intraphrastique (à l'intérieur du cadre de l'énoncé). Ces cataphores intraphrastiques sont fréquentes à l'oral, dans des constructions segmentées mais elles se rencontrent aussi dans l'écrit : Ex : Ils ont eu froid les deux jumeaux hollandais qui se sont perdus avant−hier soir, au−dessus du Crans−Montana. C'est une dislocation à droite (très fréquents à l'oral). C'est une tournure qui permet de postposer (placer le GN derrière le verbe) un sujet particulièrement long. Le français préfère une séquence « groupe court »/ groupe 25 long plutôt que l'inverse. Ex : [(Dès que je l'ai vu), j'ai reconnu Paul.] Le pronom est un élément cataphorique placé dans une subordonnée antéposée. Cet emploi est contraignant. Il ne peut exister que si l'anaphorisant pronominal se trouve dans une proposition dépendante de celle qui contient l'anaphorisé. Ex : Quand elle fait de la planche à voile, Marie ne parvient jamais à faire demi−tour. C'est comme s'il y avait inversion. On peut trouver aussi l'anaphorisé dans la subordonnée et le pronom dans la principale (Marieelle). Par contre : Ex : Elle ne parvient jamais à faire demi−tout quand Marie fait de la planche à voile. Ex : je l'ai reconnu, dès que j'ai vu Paul. = Il n'y a pas coréférence, il n'y a pas cataphore. Pour qu'il y ait cataphore, il faut que le pronom soit placé dans une subordonnée antéposée. Ex : Dès que je l'ai vu, j'ai vu reconnu Paul » « Dès que j'ai vu ce garçon, j'a reconnu Paul. » = pas coréférence, pas cataphore. Si je remplace le pronom par un GN, cela produit une interprétation externe non coréférentielle de l'expression référentielle. • Cataphores transphrastiques interprétées hors du cadre de la phrase stricte et permettant aussi bien l'emploi d'un pronom que celui d'un syntagme défini/ démonstratif. Dans ces renvois transphrastiques, les cas d'anaphores sont plus nombreux que ceux de cataphores. On peut trouver, cependant, des cataphores dans des textes narratifs. Le texte narratif construit de manière autonome et progressive son univers de référence. La cataphore sert souvent, même à grande distance, à introduire un protagoniste ou un actant du récit en ménageant une sorte de suspens conventionnellement admis. Exemple 6 : Incipit du roman. Cataphore transphrastique. Sorte de suspens. Exemple 7 : C'est encore un incipit. Cataphore « tout ça » joue à la fois un rôle déictique et cataphorique selon que l'on accepte le point de vue du narrateur ou celui du lecteur. La narrateur a convoqué dans sa mémoire tous les événements de son séjour à Calabre avant les livrer à son lecteur. « Tout ça » est un renvoi déictique de synthèse par le narrateur. Du point de vue du déroulement du récit, il s'agit d'une cataphore narrative avec son effet de suspens (les lecteurs du texte sont incités à découvrir par la suite les éléments anaphorisés). IV) Démonstratifs insolites et mémoriels : « Ce » ne sert pas uniquement à reprendre un élément du contexte antérieur. Il fonctionne aussi dans des textes littéraires pour désigner de manière insolite un référent qui n'a pas été introduit dans le texte. 26 Exemple 8 : Incipit. GN « ce Bâtiment » = le référent est présenté comme identifiable même s'il n'a pas été mentionné auparavant. Ce GN est modifié par une subordonnée relative qui permet d'identifier le référent. Traditionnellement, on parle de « ce » cataphorique mais en fait, on ne peut pas parler de cataphore, il y a détermination a posteriori du référent par une expansion du GN. Il n'y a là aucun phénomène de reprise mais simplement explicitation de l'emploi du démonstratif. Exemple 9 : Cet emploi d'un démonstratif d'ouverture semble anormal puisqu'il n'y a aucun moyen d'identifier le cheval en question. Le démonstratif renvoie en fait à un centre déictique (l'instance à laquelle on attribue les marques de subjectivité dans un texte à la non−personne). Un tel emploi du démonstratif a pour effet de créer une empathie du lecteur à l'égard de ce centre déictique, de cette subjectivité, empathie beaucoup plus forte qu'avec un simple article défini. Définition de Empathie : La saisie de l'intériorité du protagoniste au moment des événements narrés. L'empathie rend possible l'identification du lecteur avec un personnage. L'exemple de Duras est très moderne, le récit fait semblant de supposer connu le centre déictique et le référent visé. La narration classique évite ce genre d'emplois et fait suivre le groupe « Ce N » d'un adjectif, d'un groupe prépositionnel ou d'une subordonnée relative. Cela permet de conserver l'effet d'empathie associé au démonstratif, tout en donnant au lecteur le moyen d'identifier plus ou moins précisément le référent. Exemple 10 : Ce que nous avons ici ce sont des généralisations à partir de cas particuliers. Les expansions du GN servent d'une part à caractériser un objet particulier (le sourire d'un certain personnage en un certain lieu) et d'autre part, ces expansions présentent ce sourire comme exemplaire d'une classe, donc, c'est un sourire qui est caractéristique du parisien en général. L'empathie prend ici la forme d'une connivence culturelle, du partage d'un univers de stéréotypes. On peut distinguer un autre emploi : l'évocation d'une expérience personnelle. Exemple 11 : On a 2 démonstratifs : ce temps de Gambert et Mamèche, cette grande haine. Ici, le centre déictique est un personnage bien identifié, c'est le « il ». Le recours au démonstratif provoque une empathie forte. Le lecteur a l'impression d'accéder au référent à travers la conscience de ce personnage. Le « ce » sert à faire partager une expérience familière au personnage. Pour ces emplois, les linguistes parlent de deixis mémorielle, il ne s'agit pas d'une anaphore et ce n'est pas non plus un emploi déictique qui viserait un référent présent dans l'environnement et accessible au lecteur. TEMA 3 : LA GRAMMAIRE TEXTUELLE I) La cohérence textuelle : L'analyse grammaticale s'effectue le plus souvent dans le cadre de la phrase. C'est ce que fait la linguistique traditionnelle (la linguistique structurale et la grammaire générative). Cette théorie étudie des phrases isolées 27 et non pas des textes ou des discours. Il y a beaucoup de phénomènes linguistiques qui ne peuvent pas être expliqués si on reste dans ces limites (le cadre de la phrase). Il est nécessaire d'élargir la perspective et de se placer dans le cadre du texte, des textes définis comme un ensemble organisé de phrases. La grammaire textuelle n'étudie pas des phrases isolées mais des textes. Un texte n'est pas une simple succession de phrases ; il constitue une unité linguistique spécifique. Par exemple, l'emploi des temps concerne souvent l'ensemble du texte, rarement des phrases isolées. L'interprétation des pronoms anaphoriques et de l'anaphore en général dépend du contexte linguistique large. Depuis la fin des années 60 s'est développée une branche de la linguistique appelée linguistique textuelle ou grammaire textuelle qui étudie les phénomènes relevant de la cohérence textuelle. Les sujets parlants sont capables de dire d'une suite de phrases si elle est cohérente ou non. La structuration du texte, comme celle de la phrase, obéit à des règles, sans doute moins strictes. Un texte n'est pas une simple suite linéaire de phrases, de même qu'une phrase n'est pas une simple suite de mots. Un texte possède une structure globale. Il est formé de parties ou séquences dont le sens se définit par rapport à son sens global. Pour qu'un texte soit cohérent il doit respecter un certain nombre de règles d'organisation textuelle ou « règles de cohérence ». Le linguiste Michel Charolles a proposé 4 règles de cohérence qui doivent rendre compte de notre intuition selon laquelle un texte est cohérent ou incohérent. Règle de la répétition : Pour qu'un texte soit cohérent il doit comporter dans son développement linéaire des éléments récurrents, c'est−à−dire, des éléments qui se répètent d'une phrase à l'autre pour constituer un fil conducteur qui assure la continuité thématique du texte. Certaines informations doivent être reprises d'une phrase à l'autre pour que la continuité du texte soit assurée. C'est surtout le rôle des reprises anaphoriques qui marquent la cohésion des textes. Règle de progression : Pour qu'un texte soit cohérent il doit apporter dans son développement des éléments apportant une information nouvelle. On transmet à autrui un message pour lui apporter une information qu'il ignore. Une phrase doit apporter au moins un élément d'information nouvelle par rapport à la précédente. La cohérence d'un texte résulte d'un équilibre variable entre ces 2 exigences fondamentales : une exigence de progression et une exigence de répétition. En d'autres termes, un texte doit, pour une part, se répéter ; pour l'autre part, il doit intégrer des informations nouvelles. Si la répétition est insuffisante, la continuité n'est pas assurée. Si la progression est réduite ou inexistante, le texte ne comporte plus, à proprement parler, de développement. Les énoncés qui ne respectent pas ces règles seront jugés incohérents. VOIR PHOTOCOPIE. Exemples (1) (1) Cette séquence ne respecte pas la règle de progression. Aucune phrase n'apporte d'informations nouvelles par rapport à la précédente. C'est une séquence incohérente. (2) (Séquence incohérente). Il y a apport d'informations mais le discours est incohérent parce qu'il n'y apporte que des informations nouvelles. La règle de répétition n'est pas respectée. Il y a rupture de continuité, ce qui fait un effet de coq−à−l'âne. Règle de non−contradiction : Pour qu'un texte soit cohérent il faut que son développement n'introduise aucun élément sémantique contredisant un contenu posé ou présupposé par le contexte linguistique antérieur. C'est−à−dire qu'il ne faut pas introduire dans le développement du texte un élément qui apporte une contradiction implicite ou explicite avec un autre élément. 28 Par exemple : « Premièrement je n'ai pas de grand−mère. Deuxièmement ma grand−mère n'a pas de chat. » : Dans cette séquence il y a progression et continuité. Cependant, elle est incohérente parce que la 2ª phrase contient un présupposé (j'ai une grand−mère : présupposition d'existence) qui se trouve en contradiction logique avec ce qui est posé (ce qui est dit explicitement) dans la 1ª phrase. POSÉ : Ce qui est dit explicitement. PRÉSUPPOSÉ : Ce qui est dit implicitement. Exemple : Jean ne fume plus. Posé = Jean ne fume pas maintenant ; Présupposé = Jean fumait auparavant. Parfois un énoncé apparaît comme contradictoire mais cette contradiction peut n'être qu'apparente, par exemple : Ton célibataire, eh bien, il est marié. Dans une réfutation cet énoncé est acceptable. La contradiction linguistique sert ici d'auxiliaire à l'argumentation et donne plus de force à la réfutation. Le terme de célibataire est emprunté au discours de l'allocutaire. Il n'est pas pris en charge par le locuteur. Le locuteur n'assume pas la responsabilité de la contradiction. Il l'impute en fait à l'allocutaire. Il s'agit du phénomène de contamination lexicale. Règle de relation : Pour qu'une séquence ou un texte soit cohérent il faut que les faits qu'il dénote dans le monde représenté soient reliés. Cette règle implique que les actions, états ou événements exprimés dans la séquence discursive soient congruents dans le monde reconnu par celui qu'il évalue. Exemple 3 : Cette séquence comporte une anomalie ; elle serait moins bizarre si on remplace le « lapin blanc » par l'ambassadeur. Dans ce texte, l'impression d'anomalie est liée à l'univers de référence par rapport auquel l'énoncé est interprété. Dans le monde de tous les jours, il est plus courant de voir auprès d'une reine un ambassadeur qu'un lapin blanc. En revanche, dans un univers de fiction, l'horizon d'attente du lecteur s'élargit et se modifie. Un texte de fiction construit son propre univers de référence. Cet exemple est tiré d' « Alice au pays des merveilles » de Lewis Carroll. Il devient pertinent et parfaitement admissible ; il est congruent avec l'univers de fiction mis en place par le texte même. La cohérence relevant de la règle de relation dépend de tout un réseau d'informations implicites auquel les sujets parlants d'une communauté ont accès, indépendamment du discours lui−même, des connaissances culturelles ou encyclopédiques, des lieux communs argumentatifs (topos = l'argent ne fait pas le bonheur), des évidences perceptives et situationnelles. Cet ensemble de connaissances partagées par les interlocuteurs ne peut pas par conséquent être parfaitement stable et invariant, il ne peut pas être décrit de façon exhaustive. La règle de relation est cependant nécessaire pour justifier la cohérence d'une séquence comme celle−ci : Ex : « La lampe ne marche pas. Il y a une panne de courant» Nous avons ici une séquence tout à fait banale que nous interprétons comme cohérente, mais dans laquelle aucun élément de la 1ª phrase n'est explicitement repris dans la 2ª. Cette séquence est cohérente dans une société où il est notoire que le courant électrique fait marcher les lampes. On peut comparer : Ex : La lampe s'éteignit. Il n'y avait pas de pétrole. Cette 2ª séquence serait valable dans un autre état de civilisation. 29 II) La répartition de l'information : thème et rhème 1. Thème et rhème Toute séquence discursive obéit en principe à une règle générale de répétition et à une règle générale de progression. Il est intéressant d'étudier comment s'établit dans les textes l'équilibre entre le retour d'éléments identiques déjà mentionnés et l'apparition d'information nouvelle. Ce sont les linguistes de l'École de Prague qui ont établit les bases de la problématique de la perspective fonctionnelle [1930 : Jakobson ; avant la II GM : Mathesius ; à partir des années 60 : Danes et Firbas]. Il faut signaler en France les travaux de B. Combettes. Ces linguistes ont surtout travaillé sur la progression thématique, c'est−à−dire, la manière dont les divers groupes syntaxiques d'une phrase vont porter 2 types d'information : celles qui sont acquises et celles qui sont nouvelles. *Phrase : séquence textuelle, segment de texte. Une phrase dans un texte peut être analysée d'abord comme une structure syntactico−sémantique. Il y a donc un plan syntaxique (on parlera de sujet, attribut, COD) et un plan sémantique (on parle d'actants, de procès). La perspective fonctionnelle propose d'analyser les phrases sur un 3º plan qu'on peut appeler thématique ou informationnel. Une phrase est une structure porteuse d'information à l'intérieur de la dynamique textuelle. On peut ainsi soumettre les phrases à une analyse de type informationnel, indépendante de la structure syntactico−sémantique. On distinguera alors ce qui est nouveau (ce qui est nouveau c'est le rhème ; on parle parfois de propos et en anglais de focus) de ce qui est récurrent, déjà connu et qui sert de point de départ à l'énoncé, à savoir, le thème. Le thème est le groupe qui porte l'information déjà acquise ; le rhème, le groupe qui porte l'information nouvelle. Pour déterminer le thème et le rhème dans une phrase donnée, il faut prendre en compte le contexte linguistique et, plus particulièrement, le passage qui précède la phrase antérieur. EX : Jean vivait à Perpignan en 1980. Dans un énoncé à ordre sujet, verbe + 2 compléments, il est impossible de dire hors contexte quel est le thème et quel est le rhème c'est−à−dire, comment se fait la progression de l'information. C'est le contexte qui nous permettra de déterminer le thème et le rhème. En fait, cet énoncé peut apparaître dans des contextes linguistiques très différents et à chaque fois on pourra faire une analyse différente de la répartition de l'information. On peut imaginer un enchaînement comme le suivant : Ex : Tu te rappelles à quelle époque Jean vivait à Perpignan ? On pourrait imaginer une réponse comme : Il vivait à Perpignan en 1980. [La réponse pourrait être sans plus « en 1980 »] : Le thème correspond à l'information connue (déjà donnée par la question) = Jean vivait à Perpignan à une certaine époque ; le rhème correspond à l'information nouvelle = en 1980. On peut envisager d'autres enchaînements discursifs : Ex : Je me demande où Jean vivait en 1980. − Il vivait à Perpignan, en 1980. 30 Ici, le circonstant de temps n'est plus l'apport principal d'information (il appartient au thème). Pour cet énoncé : thème = Jean vivait quelque part en 1980 ; rhème = à Perpignan. [L'intonation est différente]. Thème : Jean vivait quelque part en 1980. Rhème : à Perpignan. Exemple 4 : Thème : Jean faisait quelque chose à Perpignan à 1980 ; Rhème : il vivait. Le thème est le point de départ de l'information et le rhème l'apport d'information. L'analyse fonctionnelle de la phrase permet de distinguer la structure suivante : A. Jean a téléphoné hier. B. Hier, Jean a téléphoné. ! Entre ces deux énoncés il y a une différence dans la répartition de l'information. Les questions acceptables pour chacune d'elles sont : A. Quand Jean a−t−il téléphoné ? B. Que s'est passé hier ? Dans le 1º cas, hier est présenté comme apportant l'information nouvelle, l'information maximalement pertinente, c'est le rhème ; dans B, « hier » fait partie du thème, le rhème ce sera « Jean a téléphoné ». Ces deux énoncés sont différents quant à la répartition de l'information nouvelle et ancienne et ils entrent, par conséquent, dans des contextes verbaux différents. Dans une langue comme le français, l'ordre des mots joue un rôle primordial pour la détermination du thème et du rhème. La tendance générale est de placer les unités thématiques avant le rhème (ordre : thème + rhème). Le thème occupe de préférence la position frontale de l'énoncé (devant). De ce fait, le thème coïncide fréquemment avec le sujet grammatical. EX : J'ai vu Paul. Il m'a raconté ses vacances. (Thème/sujet) « Il » reprend Paul, c'est un élément connu donc le thème. Cependant, la structure syntaxique et la structure thématique (ou informationnelle) sont, en droit, indépendant l'une de l'autre. Par conséquent, le thème ne correspond pas forcement au sujet grammatical. C'est notamment le cas lorsque un complément circonstanciel est placé en tête de phrase. Exemples : · Hier, Jean a téléphoné. Thème · [Tous les samedis soir], [l'astronome observe Véga de la Lyre]. 31 Thème Rhème Hier est détaché en position frontale. Cet énoncé peut constituer une réponse à : « qu'est−ce que c'est passé hier ? ». Dans les 2 cas, c'est un circonstant disloqué à gauche. Le complément antéposé fait partie du thème. Le reste de la phrase joue le rôle de rhème. Ex : Paul, je l'ai aperçu hier. Dislocation à gauche. Paul est l'élément disloqué. Paul fait ici office de thème. Avant, nous avons quelque chose à propos de Paul. L'ordre habituel thème/rhème peut être inversé dans certaines structures. C'est alors le rhème qui occupe la position frontale. Ainsi, quand un adverbe ou un GN ajoute un commentaire incident à une phrase, il joue le rôle de rhème, quelque soit leur place, avant ou après la phrase (qui est le thème). Ex : Heureusement, [il est revenu sain et sauf] (, heureusement). Rhème Thème EX : Chose extraordinaire, [il est sorti indemne de l'accident]. Rhème Thème · Hier : (Paul a téléphoné) Adverbe de constituant. Il fait partie du SV et détermine le verbe. · Heureusement : Adverbe de phrase. Il porte sur l'ensemble de la phrase. C'est un rhème. Le rhème peut être placé en tête de phrase, avant le thème dans la phrase sans verbe à 2 éléments. &Phrases sans verbe à deux éléments: · Génial, ce film ! (= ce film est génial). R · Excellentes, ces frites R Le rhème y est placé au commencement (ordre T/R). Par définition, le rhème qui porte le message est obligatoirement présent dans l'énoncé, alors que le thème peut se trouver uniquement dans la situation (il peut être implicite). C'est ce qui se passe dans les phrases à un terme. Le thème est explicite. EX : Feu ! Au secours ! Ce sont des phrases rhématiques. Dans ces phrases, le terme unique constitue le rhème et le thème est constitué par la situation. Nous avons un phénomène similaire dans les constructions impersonnelles, surtout lorsqu'elles marquent un phénomène météorologique. EX : Il pleut ! C'est un apport d'information, c'est un rhème. Ici, l'ensemble de l'énoncé constitue le rhème, tandis que la situation constitue le thème. 32 EX : Il arrive une drôle d'histoire : [Emma est la maîtresse de Léon] Rhème. Ici, étant donné le contexte crée par le 1º énoncé, le 2º énoncé correspond entièrement à un rhème, il est entièrement rhématique. Le sujet grammatical peut correspondre au rhème : EX : Survint le loup. Ici, le sujet grammatical, grâce à l'inversion, constitue le rhème. L'ensemble de l'énoncé est rhématique. Supposons que cela répond à une question du type : Que se passa−t−il alors ? La réponse joue toujours entièrement le rôle de rhème. On ne reprend rien, c'est toujours nouveau. Nous avons vu que tous les énoncés ne s'analysent pas en 2 parties distinctes Thème/Rhème. Les phrases sans verbe à un seul élément ne peuvent évidemment comporter que l'un des deux : EX : Quel mistral ! Entrée interdite ! Ici, l'énoncé se limite au rhème et le thème est implicite, il est donné par la situation. Les présentatifs : voici, voilà, c'est, introduisent par définition un rhème. Ex : Voici un chien méchant, est entièrement rhématique. Il en est de même pour il y a. EX : Il y a un tuyau qui fuit. C'est un énoncé entièrement rhématique. Les constructions impersonnelles marquant un phénomène météorologique ont bien un verbe, mais elles représentent des énoncés sans thème. L'ensemble constitue un rhème. EX : Il Pleut. Cependant, certains compléments circonstanciels antéposés peuvent jouer le rôle de thème dans ces phrases impersonnelles. Ex : [La nuit de Saint−Laurent], [il se produit une pluie d'étoiles filantes]. Thème Rhème Thème : CCT détaché en position frontale, segmenté par une pause. C'est un thème. L'ordre des mots joue un rôle très important dans la répartition de l'info. C'est le dernier terme de l'énoncé qui normalement constitue le R, l'apport d'information. Hors contexte : Il ira à Paris demain / Il ira demain à Paris. TRTR L'élément situé en dernier sera plus probablement le rhème. Les constructions impersonnelles permettent de même de changer l'ordre des mots et par conséquent, la distribution en thème/rhème. EX : a) 3 trains sont arrivés, et b) Il est arrivé 3 trains. TR Ce qui était le sujet est le rhème dans la phrase impersonnelle. A) Ce GN sera le T dans la phrase avec un verbe à une forme personnelle et, en principe, sera le rhème dans la construction impersonnelle (b). Les circonstanciels de temps et de lieu détachés en position frontale sont, en général, thématiques, alors que les circonstants de manière sont rhématiques. Exemple 5 : 33 A−B : Les indications spatio−temporelles initiales représentent une sorte de repérage hautement prévisible faisant partie du stock d'expériences communes au locuteur et à l'allocutaire. Elles ne sont pas totalement dénuées de pertinence informative à un moindre degré. Elles sont thématiques, surtout lorsqu'elles sont détachées en position frontale. [Le 1º jour ; le lendemain ; les jours suivants = thème. A gauche ; à droite = thème] Dans C : c'est un CC de manière, détaché en position frontale (lentement). Il ne correspond pas au T, comme le montre bien le test de l'interrogation : c) ne pourrait pas répondre à une question :* Que fit l'avion lentement ? Le circonstant de manière est imprévisible, et il ne peut pas être considéré comme déjà compris dans la question. La question serait plutôt : que fit l'avion ? « Lentement » fait partie du rhème. Cette antéposition du rhème est caractéristique de la langue littéraire. Elle permet d'introduire dans l'énoncé une sorte de suspens cataphorique. 2. Tests linguistiques : L'analyse d'un énoncé en T et R doit s'effectuer en tenant compte du contexte linguistique ou situationnel. Dans un texte, la détermination du T dépend du contexte antérieur. Le T assure la continuité du texte selon la règle de répétition, alors que le R, qui apporte une info nouvelle, assure la progression. On peut utiliser plusieurs tests linguistiques pour identifier le T et le R. On recourt habituellement à la négation et à l'interrogation, qui sont des opérations à portée variable (qui peuvent porter sur tel ou tel élément d'un énoncé). La négation porte sur le R, jamais sur le T. Le thème se trouve hors de portée de la négation. Ex : Jean ira demain à Paris. Dans cet énoncé la négation peut porter sur demain ou sur Paris. La négation permet d'identifier le rhème par contraste. Elle met en évidence à chaque fois un rhème différent. EX : Où Jean ira−t−il demain ? Demain appartient au thème. Il ira demain à Paris. R Non, Jean n'ira pas demain à Paris, mais à Rome. La négation porte sur « à Paris ». La négation porte sur le rhème. EX : Quand Jean ira−t−il à Paris ? Il ira demain à Paris. Je mets un accent d'insistance sur « demain ». Rh Non, Jean n'ira pas demain à Paris, mais après−demain. De la même manière, l'interrogation peut faire ressortir l'élément rhématique, il suffit de considérer l'énoncé comme la réponse à une question. Un énoncé comme : « Paul a embrassé Marie » peut être une réponse à différentes questions : Supposons un contexte : 34 − Qu'a fait Paul ? Paul a embrassé Marie. (T : Paul a fait quelque chose, R : il a embrassé Marie). − Qui Paul a−t−il embrassé ? (T : Paul a embrassé quelqu'un ; R : Marie). − Qui a embrassé Marie ? (T : quelqu'un a embrassé Marie ; R : Paul). Dans ce cas, à l'oral, il faudrait mettre l'accent d'intensité sur Paul. On aura un ordre R/T. le R est posé en position frontale et reçoit un accent d'insistance à l'oral. On pourrait avoir aussi : C'est Paul qui a embrassé Marie. (Structure rhématique). 3. Thématisation et focalisation Le français moderne n'a pas des désinences casuelles. L'ordre des constituants revêt, par conséquent, une grande importance. Ce n'est pas la même chose de dire : EX : Pierre bat Paul/Paul bat Pierre. En français, l'ordre canonique serait le suivant : sujet−verbe−attribut/complément d'objet − (compl. Circons) − (compl. Circons). Les parenthèses marquent que les compléments sont facultatifs : on peut avoir un ou 2 circonstanciels. Ex : Jean a téléphoné hier. C'est une phrase canonique du français. Ex : Hier, Jean a téléphoné. Ce n'est pas une phrase canonique, nous avons une dislocation à gauche. Hier est disloqué à gauche. On admet généralement que l'ordre linéaire de la phrase reflète l'ordre de l'information. Sur le plan informationnel le T occupe souvent la position frontale. Il est plutôt placé en tête de phrase suivi par le R. On trouvera donc souvent en position frontale les éléments thématiques quelque soient leur fonction. Le français peut mettre en uvre différents procédés emphatiques (d'insistance, de mise en relief) qui introduisent des modifications dans la répartition des constituants en thème et rhème. &La dislocation de la phrase : Un énoncé canonique peut être disloqué ou segmenté par suite du détachement d'un constituant à son début ou à sa fin. On parlera alors de dislocation à gauche ou à droite. · Ces montagnes, je les trouve sublimes. Thème Rhème · Je les trouve sublimes, ces montagnes. [les annonce le constituant détaché] Thème Rhème · Je trouve ces montagnes sublimes. (ordre canonique). Le constituant détaché (montagnes) reçoit un accent d'intensité et peut se trouver séparé de l'ordre de l'énoncé par une pause (à l'oral) ou/et une virgule (à l'écrit). Il est repris ou annoncé par un pronom personnel ou un démonstratif. Sur le plan informationnel, le constituant détaché occupe la place du thème. Le reste de l'énoncé constitue le rhème. Dans cet exemple, la dislocation permet de prendre comme thème de l'énoncé un autre élément que le sujet grammatical (ici le COD c'est le thème). On parlera alors de thématisation. On parle parfois de topicalisation (de l'anglais topic). Lorsque le constituant est détaché en position frontale il est repris par un pronom. 35 Dans le cas de la dislocation à droite, on parlera de thème de rappel. En français, le thème explicite peut se présenter sous trois formes : · Paul dort : thème non marqué. · Paul, il dort : thématisation. · Il dort, Paul : thème de rappel. · À ma fille, je lègue ma Mercedes 500 : thématisation. · Cette étoile, il ne se lasse pas de la contempler : thématisation. · Marcel, il m'embête : Marcel = thème. À la limite, le déplacement peut affecter plusieurs constituants : · Pierre, cette fille, il ne l'avait jamais vue. Thématisé (reprise par l') Cela entraîne des constructions qui sont ressenties comme très détachées, voire incorrectes. Il y a par ailleurs certaines formules de détachement qui soulignent la dislocation et marquent une rupture thématique dans le déroulement d'un texte : − en ce qui concerne (= pour moi) ; − pour (ce qui est de) ; − quant à. Ces formules introduisent un GN qui est ainsi thématisé. Le GN s'oppose à un autre qui figure souvent dans le contexte antérieur. EX : Pour moi, la beauté me ravit partout où je la trouve. On a ici une thématisation (pour moi), qui marque une rupture thématique ; cela permet d'introduire un thème nouveau. Exemple 6 : Il y a 3 thématisations qui se suivent. La 3ª est soulignée par la formule de détachement quant à. Le GN qui est introduit par quant à s'oppose au précédent. L'ordre des mots joue un rôle fondamental dans l'établissement du dynamisme communicatif. La tendance générale est de placer les unités thématiques avant les unités rhématiques. L'inverse (rhème/thème) n'intervient que dans des cas particuliers : Ex : Il boit (th) pour oublier (rh). L'énoncé est produit pour indiquer le pourquoi. EX : Pour oublier, il boit. = déplacement du circonstant (qui est thématisé). Cela relève de la perspective fonctionnelle. C'est la répartition des informations nouvelles et des renseignements déjà connus qui est modifié. L'inversion des thèmes produit un dynamisme communicatif différent (répartition en T/R différente). Pour oublier, il boit, cela enchaîne sur un énoncé : il a beaucoup de problèmes. Il boit devient une information nouvelle rhématique. &L'extraction : « Claire aime le chocolat ». À partir de cette phrase canonique on obtient par extraction : « C'est Claire qui aime le chocolat ». L'extraction est un procédé emphatique qui associe un présentatif et un relatif pour extraire un constituant de la phrase. Cela permet d'obtenir une phrase clivée. Dans la dislocation l'élément détaché en position frontale 36 est le thème de la phrase. Par contre, dans l'extraction, l'élément extrait est le rhème. L'extraction permet de mettre en relief le rhème. On appellera ce procédé focalisation. Le contexte antérieur possible est : qui aime le chocolat ? (C'est Claire qui aime le chocolat) [Thème : quelqu'un aime le chocolat ; rhème : Claire]. EX : C'est à vous que je pensais (vous = rhème). EX : C'est vous que je venais voir. Nous avons un phénomène similaire dans les phrases pseudo−clivées : EX : Ce que j'ai acheté c'est une péniche / Celui qui a gagné, c'est Pierre. Cette structure combine l'extraction et le détachement en tête de phrase. L'élément focalisé au moyen de c'est occupe ici la position finale. Il se trouve annoncé par une forme pronominale d'anticipation (c'est que annonce la péniche ; Pierre et la péniche sont focalisés ; ils constituent le rhème parce qu'ils vont après c'est). Thème : j'ai acheté quelque chose ; rhème : une péniche. On peut établir une comparaison avec les phrases clivées correspondantes : ·C'est une péniche que j'ai achetée/ c'est Pierre qui a gagné. a. La rose est une belle fleur : thème non marqué (la rose). Ordre canonique. b. La rose, c'est une belle fleur : thématisation. c. C'est une belle fleur, la rose : du point de vue syntaxique c'est une dislocation à droite. Le thème est disloqué en tête de phrase. D'un point de vue informationnel on parlera de thème de rappel. d. C'est une belle fleur que la rose : focalisation. EX : Rude épreuve que celle des concours des prépas = le que permet de déplacer en position frontale le rhème. C'est une focalisation que nous avons ici. C'est rude épreuve qui est focalisé. On pourrait avoir une phrase clivée ou extraction. Nous pourrions avoir c'est une rude épreuve que celle des concours des prépas. On pourrait avoir l'ordre canonique : les concours sont une rude épreuve (T/R) III) La progression thématique Le principe de l'analyse en T/R semble indiscutable mais dans le fait son utilisation est difficile. Il est parfois très difficile de repartir de manière assurée les contenus thématiques et rhématiques. Le même énoncé peut être soumis à diverses analyses. La progression thématique étudie la répartition de l'information de phrase à phrase dans un texte, comment un texte maintient l'équilibre entre les éléments connus qui sont répétés et l'apport d'information. A partir des travaux de F. Danes (repris pas B. Combettes), on distingue 3 grands types de progression. 1. La progression à thème constant C'est le type le plus simple et sans doute le plus fréquent. Un même thème est repris d'une phrase à l'autre associé à des rhèmes différents. Exemple 7 : Le même élément est repris en position thématique. C'est une chaîne anaphorique, une reprise par 37 hyperonyme (anaphore nominale infidèle). Cela correspond à un schéma : P1 : Th1 ! Rh1 P2 : Th1 ! Rh2 P3 : Th1 ! Rh2 La progression à thème constant peut s'étendre sur des extraits assez longs. Les textes de type narratif privilégient cette forme de progression. Les désignations d'un personnage, p.e. sont en position de thème et ses actions sont développées dans les rhèmes successifs. Exemple 8 : Récit. C'est un texte narratif. Jean Valjean (nom propre) est repris par toute une suite d'anaphores pronominales (« il »), ce qui produit une chaîne anaphorique. Cette progression se rencontre aussi dans les textes descriptifs où les rhèmes successifs apportent des informations sur le même thème. Exemple 9 : Texte descriptif : description de la Pension Vauquer. Nous avons encore ici une chaîne anaphorique : une suite d'éléments coréférentiels. Nous avons d'abord un groupe nominal « cette première pièce » qui est repris par des pronoms anaphoriques en position de thème. Progression à thème constant. 2. La progression linéaire (ou à thème évolutif) Dans la progression linéaire le rhème de la phrase antérieure devient le thème de la phrase qui suit. Exemple 10 : « Dans le jardin, il y a un arbre. Sur l'arbre, il y a des feuilles. Sous les feuilles, il y a des oiseaux. » Dans le jardin : dislocation à gauche, donc thématisation. Thème 1. Il y a un arbre : rhème 1 (GN indéfini, donc rhème). Sur l'arbre : thème 2 qui reprend le Rh1 (thématisation). GN défini. Sous les feuilles : thème 3. Cette progression correspond à un schéma : P1 : Th1 ! Rh1 P2 : Th2 (= rh1) ! Rh2 P3 : Th3 (= rh2) ! Rh3 Le thème reprend totalement ou partiellement des informations qui sont apportées par le rhème précédent. Cet exemple montre bien par l'alternance des déterminants indéfinis et définis comment s'opère le passage de la valeur rhématique à la valeur de thème. (Ce sont des anaphores nominales fidèles). Dans la progression linéaire, le thème d'une phrase est issu du rhème de la phrase précédente. Il est rare que le thème soit équivalent à la totalité du rhème en question. Dans la plupart des cas, il ne s'agit que d'une partie du rhème. Ceci se produit souvent dans une description. 38 Exemple 11 : C'est un texte descriptif. Le thème ne reprend pas la totalité du rhème précédent. Thème 2 : thématisation, dislocation à gauche, ça reprend le rhème 1. Thème 3 : le syntagme n'est pas cité tel quel dans le contexte mais la présence du terme « un flambeau » permet de considérer cet élément comme connu, comme thématique. L'essentiel ici est que chaque thème soit contenu en tant qu'élément rhématique dans le rhème précédent. « Elle » : anaphore pronominale. Thème qui reprend une partie du Rhème 3. La progression linéaire se prête particulièrement à la description. Un élément décrit entraîne l'apparition d'un nouvel élément, lui−même, repris à son tour. Il est plus difficile de trouver ce type de progression dans des passages narratifs. Les passages narratifs s'articulent surtout autour des personnages ; ils se construisent alors sur la progression à thème constant (il, ex : 8) ou encore autour des circonstants temporels (c'est la progression à thème dérivé). On rejoint alors, comme nous le verrons, la progression à thèmes dérivés. De toute façon, qu'il s'agisse de description ou de narration, la progression linéaire ne peut être maintenue trop longtemps, à moins qu'il n'y ait une volonté nettement marquée de la part de l'auteur. La description ne peut éviter la progression à thème constant qui se prête aussi très bien à la narration. Il est difficile de construire dans chaque phrase des rhèmes qui introduisent systématiquement le thème de la phrase suivante. La progression linéaire sera donc d'une étendue restreinte dans les textes. 3. La progression à thèmes dérivés (ou à thème éclaté) Cette progression est plus complexe. Les thèmes sont dérivés d'un hyperthème initial qui peut se trouver au début du passage ou dans un passage précédent. Exemple 12 : Hyperthème : les barbares (en position de thème dans la première phrase). Cet hyperthème éclate en différents sous−thèmes. Ces GN se suivent en position de sous−thème, ce qui permet d'identifier les différentes sous−classes de Barbares. Il y a aussi un parallélisme entre les différents groupes verbaux rhématiques (alignèrent, disposèrent, se firent). Ces différents groupes verbaux rhématiques correspondent à l'énumération des variantes du rh1 : « s'établirent dans la plaine » et, cela est développé par la suite. La progression à thème dérivé apparaît lorsque l'hyperthème est un collectif ou encore un objet décomposable en parties. On peut ainsi en thématiser les différents membres ou éléments selon un procédé qui rappelle celui de l'anaphore associative. L'hyperthème n'est pas obligatoirement le thème de la première phrase du passage. Il peut s'agir aussi du rhème d'une phrase précédente. Exemple 13 : « Il fit remettre à neuf son vieux fauteuil. Les accoudoirs tout griffés furent décapés et reteints. Le dossier fut recollé et les coussins recouverts. » Son vieux fauteuil : hyperthème en position de rhème repris par différents sous−thèmes selon une progression à thèmes dérivés. Les sous−thèmes sont : les accoudoirs, le dossier et les coussins. Ce sont des anaphores associatives du type partie/tout. Ce type de progression est fréquent dans les descriptions. On trouve de nombreux exemples dans les textes de 39 fiction, mais elle est aussi bien représentée dans les textes explicatifs ou argumentatifs dans lesquels, justement, il s'agit de développer différents points. Les textes explicatifs sont, par exemple, les manuels et les textes argumentatifs : les essais, un texte qui manie des idées, présente un débat L'hyperthème n'est pas forcement présent dans le contexte linguistique. C'est alors un élément implicite qui doit être rétabli, tiré du contexte par raisonnement. C'est la récurrence de certains éléments en position de sous−thème qui permettra de retrouver un hyperthème dominant (implicite). Exemple 14 : Incipit. L'hyperthème se déduit de la première phrase. C'est un hyperthème préparatif de départ du bateau. Puis, on a une progression à thème dérivé. Par rapport à cet hyperthème implicite il y a des sous−thèmes. Les phrases suivantes décrivent à partir d'un thème dérivé particulier l'activité provoquée par cette situation (préparatifs de départ du bateau). Ce sont des sous−thèmes. Aspect particulier de la progression à thème dérivé : Ce sont des textes qui s'articulent sur des circonstants de lieu ou temporels. Exemple 5 :(voir photocopie) Ce sont des sous−thèmes qui renvoient à un hyperthème implicite : déroulement dans le temps. C'est le retour de ces circonstants en position de thème qui permettent parler d'un hyperthème implicite. b) détachés en position frontale : thématisation à thème dérivé, sous−thèmes qui renvoient à un thème implicite « répartition dans l'espace ». Les textes de fiction présentent beaucoup d'exemples de cela, il s'agit surtout de descriptions construites sur une progression qui s'appuie sur des circonstants spatiaux. Feuille d'exemples 2 : (1) Texte descriptif à partir du point de vue du personnage, qui est l'hyperthème implicite, cela rend le texte cohérent (réparti dans l'espace d'après ce point de vue). Sous−thème : circonstants spatiaux. « Puis » et « ensuite » donnent une sorte de vraisemblance (le personnage ne saisit pas la réalité en bloc, il voit d'abord certains détails, puis d'autres, etc). La liaison thématique se fait ici à travers des circonstants détachés. Ce sont là des sous−thèmes à partir d'un hyperthème implicite. Si nous appliquons le test de l'interrogation on obtient : Que voyait−il à tel endroit ? 4. La rupture thématique : La rupture se produit lorsque le thème d'une phrase ne peut pas être rattaché au contexte précédent, lorsqu'on ne peut pas trouver une progression linéaire ou à thème constant. Un élément nouveau peut très bien être introduit sans lien avec le contexte. Exemple 2 : La rupture est produite par un groupe nominal indéfini placé en position de sujet. La chant du coq est présenté ici comme un événement qui n'a pas de lien explicite avec le contexte. 40 Ceci dit, il se rattache à un hyperthème temporel implicite (déroulement des événements dans le temps) qui est présent dans l'horizon d'attente du lecteur. On pourrait ajouter : « à ce moment précis, un coq chanta ». Si on applique le test de l'interrogation on peut dire : Que se passa−t−il ? Ce qui prouve que l'élément temporel est thématique. Après la rupture, le texte reprend une progression linéaire ; un coq chanta n'est pas une vraie rupture puisqu'on peut le rattacher à son hyperthème implicite. La vraie rupture thématique est extrêmement rare, l'élément qui marque la rupture peut généralement être rattachée au contexte linguistique à travers un hyperthème implicite. On pourrait plutôt considérer ce phénomène comme une variante du schéma à thème dérivé. Exemple 3 : « Un jeune homme » : GN indéfini en position de thème qui n'a pas été mentionné auparavant. La rupture n'est pas totale parce qu'il s'agit d'un des personnages du bateau, il se rattache à un hyperthème initial. Quant à la progression, elle est à thème constant (anaphores pronominales). Ce genre de rupture montre, par ailleurs, que le thème de la phrase n'est pas toujours connu au préalable. Il vaut mieux considérer le thème comme le point de départ de l'énoncé. 5. Combinaisons : Un texte même pur peut mener plusieurs sortes de progression thématique. C'est d'ailleurs la règle. Les textes combinent constamment les trois types d'enchaînements dans des proportions très variables. Exemple 4 : Progression à thème dérivé. // // constant. // // dérivé. Même schéma. Le rhème devient hyperthème, et il éclate en différents sous−thèmes. La dynamique de la progression dans ce texte è l'intérieur de la progression constante (Salomé, elle, elle) viennent s'intercaler différentes progressions à thème dérivé. La progression thématique, c'est−à−dire, la répartition et l'enchaînement des parties « informatives » de l'énoncé n'est pas un phénomène isolé et il convient de mettre en rapport avec d'autres faits linguistiques. La progression thématique présente beaucoup de points en commun avec l'opposition des plans (mise en relief = PP/AP). Ces 2 phénomènes interviennent de façon parallèle dans la dynamique textuelle. Exemple 5 : Progression linéaire => progression à thème constant => progression à thème constant. « Mouettes et grève » : sous−thème d'un hyperthème implicite « paysage ». Ces 2 GN sont encadrés par des énoncés dont le thème est « il/ Robinson » enchaînés par une progression à thème constant. On a donc une progression à thème constant et une progression à thème dérivé qui sont entremêlés. En fait, le lecteur ne perd pas le fil parce que ce flottement dans la progression thématique est compensé par la répartition « formes au PS et à l'imparfait ». Les sous−thèmes sont placés à l'arrière−plan par contre, les 41 énoncés dont Robinson est le thème sont au passé simple (Premier plan). Il y a donc, un parallélisme entre la progression thématique et l'organisation des plans. On dit d'une phrase qu'elle est canonique quand elle répond aux normes les plus habituelles de la grammaire. Focalisation : mise en relief du rhème. Thématisation : mise en relief du thème. Suite de termes entre lesquels s'établit une identité référentielle. 40 42