Apprendre à vivre ensemble grâce à l - unesdoc

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RAPPORT FINAL DU COLLOQUE
SUR LE THÈME
APPRENDRE À VIVRE ENSEMBLE
GRÂCE À
L’ENSEIGNEMENT DE
L’HISTOIRE
ET DE LA GÉOGRAPHIE
12 JUIN 1998, GENÈVE, SUISSE
ORGANISÉ CONJOINTEMENT PAR LE
BUREAU INTERNATIONAL D’ÉDUCATION
ET L’UNIVERSITÉ DE GENÈVE
BUREAU INTERNATIONAL D’ÉDUCATION
RAPPORT FINAL DU COLLOQUE
SUR LE THÈME
APPRENDRE À VIVRE ENSEMBLE
GRÂCE À L’ENSEIGNEMENT DE
L’HISTOIRE ET DE LA GÉOGRAPHIE
12 JUIN 1998, GENÈVE, SUISSE
ORGANISÉ CONJOINTEMENT PAR LE
BUREAU INTERNATIONAL D’ÉDUCATION
ET L’UNIVERSITÉ DE GENÈVE
Rédacteurs: Yves André et Abdelkrim Mouzoune
BUREAU INTERNATIONAL D’ÉDUCATION
Sommaire
I.
Introduction, par Yves André, Antoine Bailly, Bernard Ducret, Bernard Huber et
Abdelkrim Mouzoune, page 3
II.
Donner un sens nouveau à l’enseignement de l’histoire et de la géographie, par
Antoine Bailly, page 5
III.
La manière d’enseigner le vivre ensemble au Liban, au Salvador et en République
tchèque : analyse à travers les connaissances explicites et implicites, par
Abdelkrim Mouzoune, page 8
IV.
Géographie et formation au vivre ensemble à Genève, par Bernard Huber, page 16
V.
Enseignement de la géographie et idéologie en Angleterre et au Pays de Galles,
par Norman Graves, page 19
VI.
Les orientations de l’enseignement de la géographie au Portugal, par Sérgio
Claudino, page 24
VII.
L’éducation aux nouvelles citoyennetés en géographie : le cas de la France, par Robert
Ferras, page 27
VIII. De Costa Rica : El libro de geografía de Costa Rica para niños de 4 grado de escuela,
par Guillermo Carvajal, page 32
IX.
Vivre ensemble grâce à l’enseignement de l’histoire et de la géographie au Maroc, par
El Hassane Boubekraoui, page 41
X.
Devoir et vouloir vivre ensemble : enjeux de la citoyenneté chez les jeunes au Sénégal,
par Cissé Kane, page 46
XI.
Apprendre à vivre ensemble grâce à l’enseignement de l’histoire et de la géographie
au Burundi : idéal et limites, par Angelo Barampama, page 52
XII.
Les modèles d’enseignement de l’histoire et de la géographie, par Bernard Ducret,
page 63
XIII. Nouvelles directions pour l’enseignement de l’histoire et de la géographie, par
Antoine Bailly, page 69
XIV. Conclusions : le dessous des cartes. Propositions pour l’enseignement de l’histoire de
la géographie, par Yves André, page 71
ANNEXE : Liste des participants, page 63
© 1998. Bureau international d’éducation, Case postale 199, 1211 Genève 20, Suisse
CHAPITRE I
Introduction
Yves André, Antoine Bailly, Bernard Ducret,
Bernard Huber et Abdelkrim Mouzoune
L’enseignement de l’histoire et de la géographie a trop longtemps et trop souvent permis,
et permet encore aujourd’hui, de justifier les conflits et les exclusions. Sans doute, parce
que le développement de cet enseignement a accompagné la formation des États-nations
au cours des XIXe et XXe siècles, l’objectif de « faire aimer son pays » et celui de justifier la
légitimité historique et l’identité spatiale des territoires se sont-ils imposés avec force.
Cette demande politique et sociale, qui pèse encore grandement sur l’enseignement
de l’histoire et de la géographie, répondait à un besoin : « Les sociétés attendent
principalement de la connaissance du passé qu’elle les instruise sur leur propre histoire,
qu’elle fortifie le sentiment de leur originalité, quand elles ne demandent pas à l’historien
de la créer de toutes pièces en entretenant des mythes fondateurs » (Rémond, 1988). De
même, en géographie : « L’identité spatiale vise avant tout à légitimer les droits des
sociétés qui ont créé, produit, organisé un espace politiquement affirmé » (Guérin, 1991).
Fonction sociale fondée donc, mais propre à donner prise, si on la détourne de son objectif
de cohésion sociale, aux dérives nationalistes les plus extrêmes.
Machine à produire de l’identité historique, spatiale et sociale, l’enseignement de
l’histoire et de la géographie peut-il cependant nous apprendre aussi à vivre ensemble, à
connaître nos voisins et à les comprendre ? Tel est le thème de la recherche lancée à
l’initiative du Bureau International d’Éducation (BIE) et menée par une équipe de
l’Université de Genève sous la conduite du professeur Antoine Bailly. Ce groupe de
recherches s’est donné trois objectifs : 1) connaître, par des analyses de manuels et par des
enquêtes (notamment dans trois pays choisis pour leur sensibilité au concept de « vivre
ensemble » - Liban, République tchèque, Salvador -), la place qu’occupe l’enseignement
de l’histoire et de la géographie dans la construction des représentations de la société d’un
pays, de son territoire et du monde extérieur ; 2) mesurer l’ampleur des changements
induits par la mondialisation dans l’épistémologie des deux disciplines et dans leur rôle
politique et social (dans un monde en mouvement, que devient l’enseignement de
l’histoire et de la géographie ?) ; 3) proposer des éléments de réflexion pour une
recomposition de l’enseignement de l’histoire et de la géographie, propres à apprendre à
vivre ensemble dans un monde qui s’internationalise et remet en cause le rôle de l’Étatnation.
Ces travaux ont permis d’identifier et de comprendre les représentations des
manuels, des maîtres et des élèves, et leur rôle dans l’enseignement de l’histoire et de la
géographie (UNESCO/BIE, 1998). Il restait à élargir le champ des investigations. C’est
pourquoi, à l’initiative du BIE et de son directeur, M. Jacques Hallak, un colloque
international s’est tenu à Genève le 12 juin 1998. Les participants, représentant tous les
continents et dont on retrouvera les contributions dans la présente publication, ont exposé,
à travers leur connaissance de l’enseignement et des manuels, à travers leur vécu
également, les diverses manières de « vivre ensemble » dans leurs pays. Comment mieux
enseigner les valeurs de la connaissance, de reconnaissance, de tolérance, d’ouverture
grâce à l’histoire et à la géographie ? Comment profiter des expériences bénéfiques pour
aider ceux qui ont besoin d’un nouvel apprentissage pour « vivre ensemble » ?
3
Il est apparu, au cours des discussions, que les changements qui affectent le monde
ont des conséquences sur cet enseignement, et qu’il est désormais non seulement possible,
mais également nécessaire, d’enseigner l’histoire et la géographie d’une façon nouvelle.
Les processus de mondialisation réduisent l’espace-temps, ils font s’affronter les cultures
et ils troublent les identités. Les forces économiques s’affranchissent des contraintes et
considèrent le monde comme un tout. Les États s’interrogent sur leurs pouvoirs et sur leur
pertinence.
Autant de processus qui conduisent à proposer de nouveaux objectifs à
l’enseignement de l’histoire et de la géographie. Être de chez soi et être citoyen du monde
en même temps, comprendre la continuité qui relie désormais l’espace vécu quotidien et le
vaste monde, vivre ensemble en bonne intelligence et pour le bien de tous, tel est le sens
des conseils-cadres délivrés par les participants. Encore faut-il qu’un minimum de
conditions soient réunies. Trois d’entre elles paraissent fondamentales :
- Le droit à l’éducation qui implique une priorité politique et des conditions matérielles
décentes : des classes, des livres, des crayons, des maîtres formés.
- Le droit à un enseignement objectif, honnête, ouvert et non pas doctrinal ou « officiel ».
Ce qui suppose des maîtres formés à la critique scientifique et l’existence d’un contexte
démocratique.
- Une volonté politique affirmée de rechercher le concept de « savoir-vivre ensemble ».
On mesure encore en de nombreux points du globe, la difficulté de réunir ces trois
conditions. Cela représente la justification d’un nouveau rôle de l’État qui, poussé vers la
porte par la mondialisation, reviendrait par la fenêtre comme l’agent de la cohésion sociale
et de l’apprentissage au « vivre ensemble ».
RÉFÉRENCES
Guérin, J.-P. 1991. « Enseigner l’Europe » dans CHAM’S, Enseigner la géographie en Europe,
Anthropos/Reclus, Paris, pp. 11-24.
Rémond, R. (dir. pub.). 1988. Être historien aujourd’hui UNESCO, Éditions Erès, Toulouse (France).
UNESCO, Bureau International d’Éducation. 1998. « Apprendre à vivre ensemble grâce à l’enseignement de
l’histoire et de la géographie », Perspectives Vol. XXVIII, n° 106, Genève.
ENGLISH SUMMARY
The social and particular function of history and geography teaching is now widely accepted. But can history
and geography education also teach us peaceful co-existence? This was the theme of the seminar organized
by the IBE and the University of Geneva and structured around three major themes:
the place of history and geography teaching in constructing conceptions of society, of locality and
of other peoples;
the epistemological changes affecting these two disciplines and their political and social role
resulting from the process of globalization;
the influences affecting the structure of history and geography teaching for peaceful co-existence in
a world undergoing major changes.
The work of the seminar demonstrated the vital need to give a new meaning to history and geography
teaching in order to understand the continuity between one’s daily living space and the world. This should
be conditioned by a political will enabling objective teaching to take place inculcating a sense of peaceful
co-existence.
RESUMEN ESPAÑOL
La función social y espacial de la enseñanza de la historia y de la geografía no necesita ser más demostrada,
sin embargo, la enseñanza de las mismas nos puede enseñar a convivir? Este es el tema del coloquio
organizado conjuntamente por la OIE y la Universidad de Ginebra, articulado alrededor de tres grandes
temas:
4
-
el lugar de la enseñanza de la historia y de la gegrafía en la construcción de las respresentaciones
sociales, de territorio y de las poblaciones que nos rodean;
los cambios inducidos por la mundialización dentro de la epistemología de las disciplinas y dentro
de sus roles políticos y sociales;
los elementos de recomposición de la enseñanza de la historia y de la geografía apropiados para
convivir en un mundo de continua mutación globalizante.
Los trabajos del coloquio evidenciaron la necesidad imperativa de dar un nuevo sentido a la enseñanza de la
historia y de la geografía con el fin de comprender la continuidad entre el espacio cotidiano y el mundo, esto
estando condicionado a la existencia de una voluntad política que grantice una enseñanza objetiva
permitiendo así una enseñanza para la convivencia.
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CHAPITRE II
Donner un sens nouveau à l’enseignement
de l’histoire et de la géographie
Antoine Bailly
Université de Genève
L’enseignement de l’histoire et de la géographie véhicule un enracinement à la fois dans le
temps et dans l’espace. Il trouve actuellement des directions variées qui passent par
l’identification de différentes échelles de territoires (quartier, ville, village, localité, petite
région, nation, grande région, continent, monde). Ces derniers, organisés en réseaux et par
des réseaux, sont dotés d’identités et de citoyennetés. Cet enseignement nécessite la
légitimation de ces découpages et leur fiabilité, d’où la mise en place d’une didactique
nouvelle, et dans certains pays, de méthodes nouvelles (dialogues, représentations).
POUR UNE ÉDUCATION AU CONCEPT DU « VIVRE ENSEMBLE »
La légitimité de l’histoire et de la géographie est d’autant plus forte qu’elle est au cœur
d’un projet de société véhiculé par l’école. Mais ces projets sont en constante évolution en
fonction des idéologies dominantes qui modifient la hiérarchie des valeurs. Si ces
mutations sont souvent perçues comme une crise et une décomposition de l’ordre ancien,
elles reflètent aussi l’émergence de nouvelles valeurs qui redéfinissent le rôle de ces
disciplines au sein de la société. Ainsi, après avoir été les garants de la connaissance du
monde (cosmographie, cartographie) et de son évolution, l’histoire et la géographie sont
devenues sciences des inventaires géographiques (population, ressources) et historiques
(repères dans le temps, dates symboliques) avant de s’intégrer au XIXe siècle dans la
mouvance des réflexions scientifiques du siècle des lumières. Aux grandes valeurs de la
découverte du monde et du naturalisme se substituent celles de la nation, de la région, puis
celles qui parlent d’espaces diversifiés du local au global, pour s’adapter aux nouveaux
projets économiques, sociaux et culturels.
Dès la fin du XIXe siècle, le nouveau paradigme patriotique se renforce. Le
phénomène colonial et le nationalisme se retrouvent dans les manuels. L’histoire et la
géographie officielles se fondent sur cette école de pensée fascinée par l’émergence des
États-nations et le progrès de la civilisation dans le monde. Elles enseignent le monde des
nations et leurs colonies. Jamais les découpages du monde n’avaient exprimé aussi
nettement les processus de production sociale et de conscience identitaire.
La fin de la deuxième guerre mondiale marque le début de la guerre froide qui a
donné naissance à une vision du monde dominée par deux grandes puissances, les ÉtatsUnis d’Amérique et l’U.R.S.S. Les concepts de blocs antagonistes et de réseau sont alors
apparus ; ils favorisent l’émergence de l’idée de système-monde. L’accélération des
déplacements, de la mobilité des personnes, des services et des biens, a incité certains
auteurs à évoquer la fin de la géographie et de l’histoire et la mise en place d’un nouvel
ordre mondial sur une planète sans frontière, comme si l’on pouvait gommer les
« territoires » avec leurs histoires, leurs cultures et leurs limites. Si l’État moderne se
caractérise par l’affirmation de son pouvoir sur un territoire, la citoyenneté moderne se
rapporte quant à elle, à des maillages bien définis que transcrivent l’histoire et la
géographie. On peut se demander si le « retour au local » et aux valeurs communautaires
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n’apparaît pas en opposition avec les réseaux à l’échelle du monde ; d’un côté un système
fluide mondial, de l’autre, un système spatial ancré dans le territoire et fondé sur des
valeurs locales. Le temps des architectures régionales apparaît corrélativement à la mise
en place du système-monde. On évoque de nouveaux systèmes de citoyenneté fondés sur
des avantages locaux et une nouvelle gouvernance à l’échelle locale. S’agit-il d’un modèle
transitoire ou d’une prise de conscience durable ? La question des découpages infranationaux et des enjeux géo-politiques qui en résultent est au centre de débats qui se
reflètent déjà dans l’enseignement.
Ainsi va le changement des valeurs et des découpages du monde qui suscite des
interrogations : quelle histoire et quelle géographie enseigner au XXIe siècle ? Comment
construire la citoyenneté d’aujourd’hui et à quelle échelle ? Comment résoudre les conflits
entre les échelles ? Quel type de maillage enseigner et quelle sera sa légitimité ? Quelle
identité va-t-on privilégier ?
DÉMOCRATIE ET CITOYENNETÉ
Actuellement, la globalisation, l’importance que prennent les villes et les régions,
l’émergence de nouveaux modes de vie dans ce système de globalisme, posent le
problème de la gestion de ce système, en repensant notamment la démocratie et la pratique
de la citoyenneté. En effet, les régions ne sont pas uniquement des moteurs économiques,
mais sont également des communautés sociales. Ces deux dimensions de la vie régionale
se mêlent l’une à l’autre, dans des relations d’interdépendance complexes. Lorsque les
régions se caractérisent aussi par des particularités communautaires, ethniques,
linguistiques ou culturelles qui les distinguent des autres régions, l’identité et l’expérience
communautaire deviennent importantes. Nous devons toutefois faire la distinction entre la
renaissance de l’identité et des politiques régionales et le régionalisme atavique qui est
pour une bonne part l’expression d’injustices et de haines ethniques réprimées pendant
longtemps.
Dans les sociétés modernes, les individus sont également pris dans de vastes
réseaux de relations, dont beaucoup peuvent coïncider avec un quartier, une région ou un
État particulier, tandis que de nombreux autres trouvent leur définition principale dans des
attributs non spatiaux, sociaux ou culturels. La région offre la perspective d’un style de
citoyenneté plus immédiat et plus personnalisé que dans l’État-nation. Il s’agit d’une
citoyenneté conçue non seulement comme un droit acquis à la naissance et accordé par un
État souverain, mais aussi comme un attribut civil qui s’obtient par la résidence officielle
en un lieu déterminé, ce qui entraîne des droits et des obligations propres à cet endroit.
Ainsi, la citoyenneté serait maintes fois acquise et réacquise, puisque les personnes se
déplacent et changent d’endroit au cours de leur vie. Cette conception de la citoyenneté
introduit une nouvelle pratique démocratique liée à la collectivité locale. C’est un moyen
d’affranchissement des populations marginalisées des villes cosmopolites, ce qui
faciliterait leur insertion dans la vie politique de la communauté et favoriserait
l’application du concept de « vivre ensemble ». La mosaïque des régions qui se profile
fournit un terrain propice à de nombreuses formes de convivialité sociale, et à de
nouveaux types de communautés économiques au sein d’une nouvelle gouvernance à
l’échelle locale et mondiale. Mais dans un système-monde organisé en régions ou en
villes-régions caractérisées par des pratiques citoyennes tendant à l’intégration, comment
peut-on à l’échelle d’un pays, concevoir et apprendre à « vivre ensemble » à travers les
cours d’histoire et de géographie ?
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RÉFÉRENCES
André, Y. 1998. Enseigner les représentations spatiales. Paris, Anthropos, 254 p.
Bailly, A. et al. 1995. Représenter la ville. Paris, Économica.
Gould, P. et Bailly, A. (dir. publ.). 1995. Le pouvoir des cartes. Paris, Anthropos.
Gumuchian, H. 1991. Représentations et aménagement du territoire. Paris, Anthropos.
ENGLISH SUMMARY
History and geography are disciplines that are particularly sensitive to the evolution of values. After having
once been the repository of our knowledge about the world (cosmography, cartography) and its evolution,
they became the sciences of geographical data (population, resources) and historical data (key periods and
dates), before forming part of scientific thought in the nineteenth century (The Age of Enlightenment).
Instead of learning about the major discoveries of the world and of nature, it is the nation and the region that
have become more important offering the prospect of instant and mobile citizenship linked to the place of
residence, but not necessarily of birth. In this new context, how do we learn about peaceful co-existence
through history and geography teaching?
RESUMEN ESPAÑOL
La historia y la geografía son disciplinas particularmente afectadas por la evolución de valores. Después de
haber sido los garantes del conocimiento del mundo (cosmaografía, cartografía) y de su evolución, se
convirtieron en ciencias de los inventarios geográficos (poblaciones, recursos) e históricas (datos
cronológicos, simbólicos) antes de integrarse en el siglo XIX a los movimientos de reflexión cientiífica del
siglo de las luces. Los grandes valores del descubrimiento del mundo y del naturalismo se sustituyen por los
de la nación y de la región que ofrecen una perspectiva de una ciudadanía inmediata y fluida ligada a la
residencia y no al nacimiento. En este nuevo contexto, cómo enseñar a convivir a través de la enseñanza de
la historia y de la geografía?
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CHAPITRE III
La manière d’enseigner le « vivre ensemble »
au Liban, au Salvador et en République tchèque :
analyse à travers les connaissances explicites
et implicites
Abdelkrim Mouzoune•
Université de Genève
L’enseignement de l’histoire et de la géographie assure la transmission, voire la
construction de la mémoire singulière ou plurielle d’une société. Son contenu essaie
d’inscrire le pays dans l’histoire d’un territoire, d’une culture, d’une langue, d’une
religion, d’une nation, de rendre lisibles les représentations sur soi (son pays) et sur les
autres. Il véhicule ainsi un discours cherchant à transmettre de la connaissance, et donc du
sens sur la complexité sociale, que celle-ci exalte l’identification à une communauté
(communautarisme), à une localité (localisme), à une région (régionalisme), à une nation
(nationalisme), ou à un espace transnational (transnationalisme). Les manuels scolaires
traduisent les demandes éducatives et les représentations socio-spatiales et spatiotemporelles des acteurs qui les élaborent. Or, à quel apprentissage débouche leur
contenu : apprendre à être, à faire, à apprendre, à vivre ensemble ? Quelle est l’attitude des
enseignants et des élèves à l’égard de cet apprentissage ? Nous tenterons de répondre à ces
questions à partir de l’analyse des manuels et d’enquêtes menées auprès des maîtres et des
élèves au Liban, au Salvador et en République tchèque.
« VIVRE ENSEMBLE », UNE VALEUR TRANSMISE
PAR LES MANUELS D’HISTOIRE ET DE GÉOGRAPHIE
Le contenu des manuels institutionnels d’histoire et de géographie diffuse un discours
uniforme sur les pays, notamment composites comme le Liban, le Salvador et la
République tchèque. En répondant à la demande de l’État, ce discours s’appuie sur son
système de références et de sources centralisées en vue de « créer un citoyen sans
mémoire communautaire ou ethnique ». Celle-ci est remplacée par une mémoire
institutionnelle, figée dans un discours historico-géographique confondant deux visages du
temps : le temps du mythe de l’histoire de la nation non segmentée, et le temps de
l’histoire réelle plurielle, segmentée, conflictuelle.
L’enseignement de la citoyenneté
Au Liban, les manuels diffusent les connaissances censées être communes à tous les
Libanais, c’est-à-dire liées par essence à une « éducation citoyenne » dont l’objectif est de
former de façon identique tous les élèves. Le résultat escompté est que tous les élèves se
•
Ce texte est rédigé par A. Mouzoune à partir des analyses et enquêtes de M. Lungo, Z. Wienerova et de
l’auteur. Des articles sur ce thème sont publiés par ces auteurs dans le numéro 106, vol. XXVIII, de la revue
Perspectives du BIE
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sentent des citoyens du Liban à part entière, et non des citoyens libanais à part, attachés à
leurs communautés avec leurs mémoires, leurs mythes fondateurs, leurs histoires et leurs
pratiques religieuses. Destinés à contribuer à l’unité nationale, les manuels ont évacué
toute référence aux communautés religieuses qui constituent le pays afin de créer un homo
libanicus, c’est-à-dire un citoyen n’appartenant qu’à la nation libanaise une et indivisible.
Au Salvador, les manuels d’histoire et de géographie valorisent le passé
précolombien du pays. Cette emphase traduit l’appartenance de ce pays aux deux cultures
méso-américaines, maya et aztèque, fondement de l’identité régionale d’Amérique
centrale. Par ailleurs, les manuels véhiculent d’autres valeurs comme la paix, les droits et
les devoirs du Salvadorien dont le respect permet d’assurer la coexistence pacifique entre
des citoyens.
En République tchèque, les manuels d’histoire et de géographie diffusent le concept
d’État-nation tchèque où la citoyenneté plonge ses racines dans le passé et se nourrit d’une
longue histoire. Ils soulignent aussi l’ancienneté de cette nation en tant qu’entité
indépendante ancrée en Europe occidentale, entité qui aspire à vivre en paix avec ses
voisins. Une connaissance approfondie des pays frontaliers renforce cette attitude
pacifique.
Appréciation du « vivre ensemble » enseigné dans les manuels
Les manuels officiels libanais, salvadoriens et tchèques se veulent facteurs d’unité
nationale, ce faisant, ils véhiculent un concept de « devoir-vivre ensemble » évacuant
souvent toute référence aux communautés ethnico-religieuses qui constituent le pays.
Cependant, l’élimination de ce qui représente l’essence du pays est sciemment ordonnée
afin que le territoire national soit le support du « devoir-vivre ensemble » d’une population
dotée d’une seule identité. Par leur transparence, les manuels transmettent ainsi l’idée qu’il
n’y a dans le pays qu’un système social globalisant, alors que dans les faits il en existe
plusieurs, segmentés, dont la somme constitue la nation. C’est dire que la citoyenneté,
telle qu’elle ressort des manuels, est souvent artificielle, fabriquée sur le modèle de
représentations collectives du territoire comme fixation du lien à la nation et non comme
une symbolique de la différence. Tout sentiment d’appartenance à une communauté
(Liban), à une ethnie (Salvador) est annihilé, et avec lui les affects qui forment le territoire
espace vécu porteur de sens. Être citoyen ne passe-t-il pas par la reconnaissance des
différentes composantes ethnico-communautaires, et donc par un vouloir-vivre ensemble
dans la différence ? Dans l’affirmative, cela n’est possible que si les manuels d’histoire et
de géographie transmettent les connaissances appropriées sur les sociétés libanaise et
salvadorienne.
Le passage au « réel citoyen » ne signifie nullement les communautés, les ethnies
contre l’État, mais plutôt une alliance entre interactions et hétérogénéités, alliance qui
abolit le système des équivalents généralisés dans le domaine des valeurs, du sens et des
affects.
Le « vouloir-vivre ensemble » ne se construit pas sur l’évacuation de l’autre, mais, au
contraire, sur sa connaissance et sa reconnaissance. Au Liban et au Salvador, la mission de
transparence que doivent remplir les manuels d’histoire et de géographie sur ce qui fait la
nation est remplacée par la diffusion d’un apparent pays homogène, uni et uniforme. Dans
ce cas, on ne peut que s’interroger sur cette citoyenneté factice. À défaut d’une réelle
transparence sur le « vivre ensemble » dans la différence, les maîtres, qui le peuvent,
essaieront de combler les lacunes des manuels, et les élèves de s’appuyer sur les
connaissances acquises à travers l’interaction sociale. Or, sur quel type de « vivre
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ensemble » déboucheront ces savoirs transmis par les maîtres et les acquis de l’interaction
entre les élèves ?
LES VALEURS DE « VIVRE ENSEMBLE » ET LEURS ÉCHELLES SOCIOGÉOGRAPHIQUES CHEZ LES ENSEIGNANTS ET LEURS ÉLÈVES
Des enquêtes séparées ont été menées auprès des maîtres et des élèves au Liban, au
Salvador et en République tchèque.
L’enseignement du « vivre ensemble » tel qu’il est perçu par les enseignants
Selon une enquête menée auprès des maîtres libanais, salvadoriens et tchèques, l’histoire
et la géographie préparent les élèves à être citoyens successivement de leur pays, de leurs
villes, puis de leurs régions. Cette triple identification citoyenne exprime une hiérarchie
dans le sentiment d’être et d’appartenir à des espaces vécus signifiant à la fois des lieux
d’enracinement et d’attachement. Mais qu’est-ce qu’une identité qui ne se définit pas par
un territoire ? L’ancrage territorial est essentiel ; il permet de structurer, spatialement, les
éléments de l’identité (mémoire collective, culture, mythes fondateurs communs, etc.)
puisqu’il devient leur référent, avec néanmoins le risque de fonder une unité territoriale
classique inapte à éveiller une véritable conscience nationale.
Citoyen
entité englobante espace lieu d'enracinement
d'interaction
Pays
Ville
Région
FIGURE 1. Processus de citoyenneté chez les élèves selon les maîtres
Une telle identification peut s’expliquer, d’une part par le contenu de ces disciplines qui
permet aux élèves de connaître davantage ces lieux, malgré le flux d’informations sur leur
continent et le monde. D’autre part, l’intérêt des élèves porte essentiellement sur les
concepts de région et de communauté. La région intéresse plus les élèves ; elle constitue
pour eux un espace vécu car elle est synonyme d’enracinement, de mise en évidence du
sentiment « local » fait d’opposition, de séparation et de singularité. À la région succède la
communauté ou le groupe ethnique auquel s’identifient les élèves beaucoup plus qu’à la
nation, sauf dans le cas de la République tchèque. La communauté ou l’ethnie structure,
organise les individus qui y adhèrent et l’espace-région dans lequel ils vivent. Elle les
imprime donc d’une identité basée sur le sentiment d’appartenir à un groupe homogène.
Les programmes d’histoire et de géographie enseignent un « devoirvivre ensemble » au Liban occultant tout ce qui fait référence aux particularismes et à
l’hétérogénéité qui caractérisent la société libanaise. Il importe, selon les maîtres,
d’inculquer aux élèves un « pouvoir-vivre ensemble » dans la différence, car les
apprenants sont conscients de la diversité communautaire de leur pays et des tensions
existantes entre ses communautés. Tant que les manuels, secondés par les maîtres, ne leur
enseignent pas les raisons des guerres ayant secoué le Liban, ni la persistance des
dissymétries des relations, ils ne se sentiront pas prêts à vouloir vivre ensemble avec
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d’autres peuples ; d’où l’absence d’intérêt à l’égard de tout ce qui est multiculturalisme ou
cosmopolitisme.
Au Salvador, les maîtres estiment que les manuels d’histoire et de géographie
n’abordent pas suffisamment les questions de l’identité, de la culture et de l’histoire du
pays. Cela est dû à la crainte des pouvoirs publics d’attiser les divisions religieuses ou
politiques au sein de la société salvadorienne. Ils témoignent donc du contenu consensuel
des manuels qui cache la réalité d’une société multiple.
Selon les enseignants d’histoire et de géographie en République tchèque, les
manuels préparent les élèves à être des citoyens de leur pays et à bien connaître celui-ci.
C’est pourquoi l’accent est mis dans les programmes sur les notions de frontière, de
conflit, de patrie, de nation, de communauté et d’identité culturelle. Les manuels traitent
aussi de la connaissance du continent, puis du monde, insérant le pays dans un espace plus
vaste. Ils véhiculent également l’idée d’une identité transnationale puis mondiale.
Connaissances acquises et spécificités de l’enseignement de l’histoire et de la géographie
selon les élèves
Les élèves pensent que les programmes d’histoire et de géographie leur ont permis de
connaître d’abord leur pays, ensuite le monde, avant la ville et la région.
Région
Ville
Monde
Pays
FIGURE 2. L’échelle géographique de la connaissance territoriale chez les élèves
La hiérarchie de l’appartenance chez les élèves libanais
Au Liban, plus de la moitié des élèves enquêtés prétend connaître le monde. Or, il s’agit
de trois mondes différents : le monde arabe (Syrie, Egypte, Arabie Saoudite, Jordanie et
Palestine), le monde occidental (États-Unis d’Amérique, France et Canada) et le monde
communiste (Russie, appelée toujours l’URSS, et Chine). Il découle de cette classification
que la notion de monde repose sur le paradigme de la proximité culturelle et économique.
En ce qui concerne le sentiment d’appartenance, les élèves déclarent appartenir à
leur pays caractérisé par la diversité religieuse et la pratique d’une langue commune,
l’arabe, véritable vecteur d’unification à l’échelle du pays. S’il n’existe qu’une nationalité,
la libanaise, celle-ci renvoie à plusieurs communautés, chacune dotée d’une identité
reposant sur sa spécificité culturelle, sa mémoire collective, son mode de vie et ses
traditions propres. Ce sont là les ingrédients d’une nation plurielle, fragmentée, proie
facile des tensions et déchirements intercommunautaires qui menaceraient sa pérennité.
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Chez les élèves, être libanais n’a de sens que s’il y a attachement à des espaces vécus
spécifiques comme le pays, la région, le quartier, la ville, avant le monde dont
l’appartenance demeure virtuelle, c’est-à-dire par le biais des livres et des médias. Cette
hiérarchie spatiale de l’appartenance reflète la consubstantialité entre identité
communautaire et territoire. Elle enferme l’individu dans des cercles concentriques aux
limites, surtout symboliques, très visibles.
Monde
Pays
Région
Quartier
Ville
FIGURE 3. Hiérarchie de l’appartenance spatiale chez les élèves
Au premier cercle représenté par le pays, entité englobante, succède la région, espace à la
fois vécu et d’enracinement. Le troisième cercle représente le quartier. L’élève s’y sent
appartenir car il constitue un espace supplémentaire d’homogénéité, voire de singularité
communautaire, comme pour les Libanais par exemple. D’ailleurs au Liban, l’élève lie son
appartenance à un groupe ayant la même religion que lui à l’espace urbain dans lequel il
réside. Cette relation engendre une nouvelle identité de quartier où s’imbriquent les liens
familiaux, claniques et de voisinage, liens organisés par une force locale traditionnelle
politico-religieuse. Un degré relativement important d’appartenance se situe dans le
quatrième cercle. Il s’agit de la ville, lieu où s’expriment toutes les identités ethnicocommaunautaires fondées sur la mémoire partagée, aussi bien religieuse que profane. À
chaque niveau d’appartenance correspond un référent territorial que la géographie
s’emploie à graver dans l’esprit.
Le sentiment d’identification chez les élèves salvadoriens
Les élèves salvadoriens expriment des sentiments d’identification communautaire,
nationale et régionale. Cette dernière se confond avec l’identité centraméricaine, voire
américaine. En plus, ils ne se sentent pas comme appartenant à une culture cosmopolite ou
globale. En somme, identification et appartenance ne dépassent pas les limites du
continent américain.
Les élèves libanais et salvadoriens entrent à l’école avec un ensemble de
connaissances sur leur société, voire sur le monde, d’où des échelles identitaires de plus en
plus manifestes, reflet du glissement de la société vers des identités closes, segmentées et
le rejet de l’hétérogène.
Identification et appartenance chez les élèves tchèques
13
Les élèves tchèques donnent plus d’importance à leur pays dont la cohésion repose
essentiellement sur la langue et la nationalité. Leurs connaissances s’ouvrent ensuite sur
des espaces plus vastes : le continent, puis le monde, tandis que les espaces de dimension
inférieure - la région et la ville - sont négligés. L’enseignement de l’histoire et de la
géographie semble donc privilégier l’ouverture vers l’extérieur. Cependant, le sentiment
d’appartenance se porte essentiellement vers un espace vécu plus restreint : celui de la
ville, de leur ville, comme Prague. En somme, le sentiment d’appartenance des élèves est
le reflet d’un repli, du pays vers la ville.
Il ressort des enquêtes menées auprès des enseignants et des élèves que si l’école a
permis aux élèves d’avoir des acquis sur leur ville, leur région, leur pays et certains pays
du monde (connaissances explicites), des connaissances implicites viennent se greffer sur
le transmis. Ces connaissances émanent de l’interaction sociale et véhiculent des valeurs
extra-scolaires comme l’appartenance communautaire, ethnique, régionale et nationale.
Or, comment se manifestent ces connaissances notamment dans les représentations du
monde ?
L’APPROCHE MENTALE DU MONDE
Dans notre enquête, nous nous sommes aussi intéressés à l’approche mentale du monde
par les maîtres d’histoire et de géographie et leurs élèves, au Liban, au Salvador et en
République tchèque. Il s’agit de dégager la manière dont les deux catégories se
représentent cet espace aussi vaste que varié. Vont-ils le représenter comme un espace de
« vivre ensemble », ou au contraire comme un conglomérat d’espaces de vivre ensemble
emboîtés, délimités et clos ?
Les maîtres et les élèves ont montré leur capacité à représenter le monde à partir de
leurs connaissances, de leurs perceptions propres et de leurs aspirations. Comment seront
alors les représentations mentales de ce monde par leurs élèves ?
Du monde perçu au monde représenté
Chez les maîtres libanais, on a distingué trois catégories de représentations : les cartes
arabocentrées, les cartes de flux d’échanges économiques et les cartes du monde subdivisé
en sous-systèmes. Chez les élèves on a classé les cartes en quatre catégories : les cartes du
monde familier (le monde arabe), les cartes des sous-systèmes du monde, les cartes du
monde discontinu et les cartes du monde divisé en blocs idéologiques.
Les enseignants du Salvador ont montré leur connaissance générale du monde grâce
à sa bonne représentation. Ils ont aussi donné des sens aux lieux, sens que dégagent la
proximité ou l’éloignement, la grandeur ou la petitesse des objets spatiaux dessinés.
L’absence de frontières traduit la continuité des espaces ainsi que leur ouverture. Chez les
élèves, les cartes font apparaître quatre catégories de cartes : cartes américentrées, cartes
du globe égocentré, du monde réduit à l’Amérique centrale et cartes de sous-systèmes
monde.
Les cartes dessinées par les maîtres et les élèves tchèques ont un caractère
européocentré. Elles représentent les continents, sans tracé de frontières intérieures et sans
appellation des espaces. Implicitement, l’auteur de la carte se retrouve au centre du monde
et construit une centralité autour de lui-même, de sa ville, de son pays. En plus, la coupure
Europe de l’Est-Europe de l’Ouest est gommée, comme pour donner au territoire de ce
continent un caractère de continuité.
14
Analyse des représentations du monde
Les cartes mentales nous ont permis de nous rendre compte que les connaissances des
auteurs sont structurées après leur filtrage, leur sélection et leur balisage intentionnel. Elles
reflètent aussi une double connaissance : une connaissance spontanée chargée d’affects,
mais souvent confuse, et une connaissance scolaire précise et prédictive. Elles constituent
enfin un moyen d’expression signifiant, autorisant une formulation plus spontanée et plus
directe que l’écriture.
Grâce à ces supports, nous avons pu constater que le monde est vaste, complexe,
discontinu, fermé et hétérogène. Le vouloir-vivre ensemble avec l’Autre et l’Ailleurs
semble se limiter à un pays, à une région ou à un continent. Ce sont des territoires
compacts, emboîtés, clos, qui peuvent s’étirer comme se rétrécir. Chaque étirement
signifierait l’ouverture, la convivialité, la proximité culturelle, tandis que le rétrécissement
exprimerait les conflits.
FIGURE 4. Champ des représentations des autres espaces nationaux
Le monde, ainsi perçu puis représenté, est une juxtaposition d’espaces vécus du possible,
c’est-à-dire de vivre ensemble dans la ressemblance. L’identique se substitue au différent,
d’où des mailles territoriales privilégiant souvent le proche, le connu, mais excluant le
lointain, l’inconnu, synonymes de méfiance et d’évitement.
Les connaissances implicites et explicites organisent, structurent le mental des
élèves, et influencent leurs représentations socio-spatiales. Elles permettent aux
enseignants comme aux élèves d’identifier l’essentiel des objets sociaux, qu’ils soient des
idées, des croyances, des besoins d’appartenance ou d’identification. Néanmoins, si
l’enseignement institutionnel met l’accent sur les notions de nation, de territoire national,
de réseaux à l’échelle monde, l’enseignement implicite révèle le retour aux valeurs
ethnico-communautaires ancrées dans l’espace local clos. Les échelles géographiques se
trouvent hiérarchisées, ce qui oblige l’histoire et la géographie à les transcrire.
15
CONCLUSION
La diversité des acquis en histoire et en géographie reflète celle des systèmes dans lesquels
on vit, que ces derniers reposent sur la communauté, le canton, la région, l’État-nation, ou
sur un espace aux frontières illimitées (transnationalisme). Chaque maille territoriale
correspond à un espace hiérarchisé de vivre ensemble ; elle est structurée, organisée soit
par l’État, soit par des réseaux de pouvoirs parallèles de types clanique, tribal,
communautaire ou ethnique. Cette diversité traduit aussi les manières d’être, de faire et de
vivre. De ce fait, elle peut être un vecteur de socialisation, d’intégration, d’assimilation, de
partage de ce qui est commun, de paix, de tolérance, de responsabilité, d’ouverture, ou au
contraire un facteur de manifestation identitaire, et donc de tensions.
L’enseignement de l’histoire et de la géographie répond à trois fonctions : 1) une
fonction identitaire : c’est le travail de légitimation à la fois historique, géographique,
politique, économique ou idéologique ; 2) une fonction d’intégration tournée vers
l’extérieur. Dans le cas de la mondialisation et de la globalisation par exemple, il s’agit de
l’adaptation de l’héritage culturel de chaque peuple à celui véhiculé dans le monde, ou de
la simple intégration à un système mondialisé, globalisé en restant soi-même ; et 3) une
fonction de transmission des valeurs, mais alors de quelles valeurs s’agit-il ?
Cependant, dans le cadre du régionalisme, du mondialisme et du globalisme, on se
pose la question sur le devenir du sens de l’histoire et de la géographie. Autrement dit,
quelle culture reconnaître, la culture locale, la culture régionale, la culture nationale, la
culture internationale ou la culture mondiale ? À quelle condition peut-on coexister avec
les autres cultures dans un monde qui se globalise ? Quel sens peut-on donner à la
rencontre avec les autres ?
ENGLISH SUMMARY
History and geography teaching guarantee the transmission, even the creation, of the individual and
communal memory of a society. The vehicle of this teaching—the textbook—usually conveys a bland
description of a country using generalized knowledge. Depending on the country, these books contribute to
natural unity by avoiding any reference to religious communities (as in Lebanon), by dwelling on the preColombian past (as in El Salvador) or by stressing the ancient origins of citizenship (as in the Czech
Republic). The textbook draws a veil over conflicts between existing religious and ethnic communities,
which may be the source of strife, and sets out to teach the pupils how to accept their differences. History
and geography prepare the pupil to be a citizen of a particular territory. According to the teachers, the
subjective knowledge of pupils about history and geography depends upon the groups in which they live,
which may be the local community, the district or the nation. History and geography teaching give us our
identity and show us how to belong to a group. But in this age of globalization, how can we live alongside
other cultures?
RESUMEN ESPAÑOL
La enseñanza de la historia y de la geografía asegura la transmición, ve la construcción de la memoria
singular y plural de una sociedad. El vector de esta enseñaza, el manual, difunde un discurso uniforme sobre
el país a partir de fuentes centralizadas. Según el país, la obra contribuye a la unidad nacional, evacuando
toda referencia a las comunidades religiosas ( Líbano), valorizando el pasado precolombino (Salvador), o
insistiendo sobre la ancianidad de las raíces de la ciudadanía (República Checa). El manual oculta las
cuestiones relativas a las comunidades religiosas y étnicas en el país que son la fuente de la discordia pero
tiene por vocación de enseñar a los alumnos a convivir en la diferencia. La historia y la geografía preparan al
alumno a ser un ciudadano territorial. Según los enseñantes, la diversidad de los adquirido por los alumnos
en historia y en geografía refleja aquello de los sistemas en los que se vive, que reposan sobre la comunidad,
sobre el cantón o sobre el Estado. La enseñanza de la historia y de la geografía cumplen una función de
identidad y una función de integracón. Pero a partir de la mundialización, a qué condición pueden coexistir
unas culturas con otras?
16
CHAPITRE IV
Géographie et formation au
« vivre ensemble » à Genève
Bernard Huber•
Université de Genève
OSCILLATIONS ENTRE PACIFISME ET NATIONALISME
L’histoire de l’école le montre : l’enseignement de la géographie a parfois oscillé entre la
défense d’intérêts nationalistes et la promotion d’idées généreuses. Quelques exemples
s’imposent pour illustrer notre propos.
Victime des affres de la guerre de Trente Ans, Coménius, dans sa Grande
didactique, évoque déjà le rôle que peut jouer cet enseignement. Pour lui, il doit être
envisagé «... comme un moyen propre à relever l’humanité, à l’ennoblir, à la rendre plus
heureuse, à rapprocher et à réconcilier les peuples, en les élevant au-dessus des luttes de
partis, de confessions et de nationalités » (Guex, 1906, p. 169).
Par opposition, la lecture de certains manuels scolaires français de la fin du XIXe
siècle et du début du XXe met en évidence le fait que cette discipline a pu servir des
intérêts cocardiers voire revanchards. L’Allemagne n’est-elle pas présentée comme une
véritable ogresse dans nombre de ces ouvrages ? Ce pays est, selon un auteur de manuels
scolaires de géographie, «... comme un immense atelier et comme une grande caserne : en
tenant d’une main l’outil qui crée et de l’autre l’arme qui menace et tue, elle aspirait à
dominer l’Europe et le monde » (Baudrillard et Le Léap, 1923, p. 89).
Ne lit-on pas, autre exemple, que les savants allemands, quoique de premier ordre,
sont «... arrogants, passionnés, très hostiles à la France » (Eysséric, 1898, p. 135) ?
Il est probable, nous ne l’avons toutefois pas vérifié, que les manuels allemands de
cette époque devaient présenter les mêmes caractéristiques. Nous sommes là, chacun en
conviendra, très loin de l’idée d’« apprendre à vivre ensemble grâce à l’enseignement de
l’histoire et de la géographie »...
LE CANTON DE GENÈVE
Qu’en est-il de la situation dans le canton de Genève ? L’idée d’apprendre à vivre
ensemble est relativement ancienne. Elle est présente dès la fin du XIXe siècle. À cette
époque, en effet, le puissant parti radical au pouvoir, prône des idées sinon
révolutionnaires du moins progressistes. L’école, en général, est l’une des grandes
bénéficiaires de cette orientation. Outre la construction de bâtiments scolaires souvent
imposants, l’une des innovations les plus spectaculaires est certainement la création des
fameuses cuisines scolaires.
Ces idées nouvelles font naturellement leur apparition dans l’enseignement
proprement dit. Elles sont notamment véhiculées par le pédagogue et auteur de manuels
scolaires de géographie W. Rosier : « Il faut que l’école enseigne la collaboration, la
•
Extrait de la communication du Dr Bernard Huber dont un article sur le thème est publié dans le numéro
106 de la revue Perspectives du BIE
17
solidarité, qu’elle développe la tolérance..., qu’elle place l’intérêt de la collectivité audessus de celui de l’individu » (Rosier, cité par Terrier, 1930, p. 6).
Les plans d’études genevois relatifs à l’enseignement primaire, en revanche,
accusent un retard certain par rapport aux positions prises dans les écrits de cet enseignant.
Ce n’est en effet qu’en 1942 qu’une mention relative à la question qui nous intéresse ici
apparaît. Trente ans plus tard, le plan d’études dira, au chapitre « géographie », que
l’enseignement de cette discipline a pour but d’intéresser l’enfant «... affectivement au
mode d’existence, aux conditions de vie d’autres communautés que la sienne et, par là, de
contribuer à une compréhension toujours meilleure entre les peuples » (Office romand des
services cantonaux des éditions et du matériel scolaires, 1972, p. CE 1).
Quelques années plus tard, en 1979, est assignée à l’enseignement de la géographie,
la tâche d’offrir à l’enfant les conditions propres à lui permettre de nuancer ses
appréciations par l’écoute d’autres points de vue, d’établir un système de valeurs dans
lequel le sens des responsabilités conduise au respect et, au besoin, à la défense du milieu
naturel et humain, et de comprendre mieux les problèmes et les comportements d’autres
communautés.
L’apprentissage d’un esprit de tolérance par le biais de cet enseignement est l’une
des préoccupations majeures du plan d’études actuellement en vigueur. Cette réalité se
traduit matériellement dans les moyens d’enseignement. C’est ainsi que nous pouvons lire
par exemple que la géographie doit «... aider l’enfant à s’intégrer dans des communautés, à
se situer dans le milieu qui l’entoure, à mieux comprendre les comportements des diverses
communautés vivant dans son pays et ailleurs sur la Terre » (Primatesta, 1986, p. 3).
Cette finalité est d’autant plus importante aujourd’hui que l’école genevoise, déjà
très cosmopolite en raison du rôle international que joue Genève et de la présence de
nombreux travailleurs immigrés, est confrontée à un afflux de réfugiés en provenance des
Balkans.
L’« AILLEURS », UN INTERET RECURRENT CHEZ L’ENFANT
Nous pensons que le rôle que peut jouer cet enseignement dans ce domaine est facilité par
le fait que l’enfant a toujours été attiré par l’« ailleurs ». Aux XVIIIe et XIXe siècles déjà,
certains enfants avaient accès à l’« ailleurs » grâce à de nombreux livres. Nombre
d’auteurs ont notamment mis en évidence le constant attrait que représentent les atlas pour
la jeunesse. Nous abordons ce sujet, par exemple, dans l’un de nos articles consacré aux
rapports entre l’enfant et la carte au XVIIIe siècle (Huber, à paraître). C. Baudelaire quant à
lui, dans son poème Le Voyage, dit : « Pour l’enfant amoureux de cartes et d’estampes,
l’univers est égal à son vaste appétit » (Baudelaire, 1958, p. 278).
L’enfant d’aujourd’hui a un accès des plus aisés aux nouveaux médias. Il est
véritablement « inondé » par les informations venant de l’extérieur. L’« ailleurs » vient à
lui en d’autres termes. Qu’il le veuille ou non, il y est confronté. Pour l’enfant genevois,
cet « ailleurs » n’est pas seulement théorique ; il est, au contraire, très concret. Il se traduit
en effet dans sa vie quotidienne par la présence de ces camarades bosniaques ou kosovars
dont nous parlons précédemment. Il résulte de ce qui précède que les enseignements dont
nous parlons ici doivent désormais tenir compte de ces sources d’information nouvelles et
tirer parti des situations qui se présentent (événements politiques, économiques etc.) afin
que tout enfant soit amené à prendre conscience que la différence est source
d’enrichissement.
18
RÉFÉRENCES
Baudelaire, C. 1958. Les fleurs du mal. Strasbourg, France.
Baudrillard, J. ; Le Léap, H. 1923. Géographie générale ; les cinq parties du monde ; la France, métropole
et colonies. Paris, Delagrave. 176 p.
Eysséric, J. 1898. Nouvelle géographie générale. Paris, Delagrave. 224 p.
Guex, F. 1906. Histoire de l’instruction et de l’éducation. Lausanne, Suisse, Payot. 736 p.
Huber, B. (à paraître). « L’enfant et la carte au XVIIIe siècle ». Mappemonde (Montpellier, France).
Office romand des services cantonaux des éditions et du matériel scolaires. 1972. Plan d’études pour
l’enseignement primaire de Suisse romande. S.l. Pagination irrégulière.
—. 1979. Plan d’études pour les classes de 5e et de 6e de Suisse romande. S.l. Pagination irrégulière.
Primatesta, G. 1986. Le Moyen-Pays, livret du maître. Neuchâtel, Suisse, Delachaux et Niestlé. 32 p.
Terrier, C. 1930. « Hommage à la mémoire de William Rosier, professeur à l’Université de Genève, ancien
conseiller d’État ». Bulletin de l’Institut national genevois (Genève, Suisse), t. XLVIII. 18 p.
ENGLISH SUMMARY
In historical terms, the teaching of geography has wavered between defending national interests and
conveying great ideas, two objectives far removed from learning to live together. In the Canton of Geneva,
this concept has been evident in educational policies since the end of the nineteenth century through the
construction of educational infrastructures designed to teach us to live together. This policy affected the
teaching of geography since it was given a new mission, that of teaching pupils a better understanding of
other communities’ problems and attitudes. Nowadays, acquiring a tolerant attitude through this form of
education is one of the major concerns of the present curriculum. This is increasing in important since
geography teaching must now take into consideration new sources of information and bear in mind
particular political and economic situations, as well as migrations, so that the child learns that being different
can be a benefit.
RESUMEN ESPAÑOL
Históricamente, la enseñanza de la geografía osciló entre la defensa de los intereses nacionalistas y la
promoción de ideas generosas, dos objetivos muy distantes de la idea de enseñar a convivir. En el Cantón de
Ginebra después del siglo XIX este concepto está presente en la política educativa a través de las
construcción de infraestructuras escolares destinadas a la enseñanza para convivir. Pronto esta política
repercute sobre la enseñanza de la geografía a la cual se le asigna una nueva misión, la de enseñar a los
estudiantes a comprender mejor los problemas y los comportamientos de otras comunidades. En la
actualidad, el aprendizaje de un espíritu de tolerancia por el sesgo de esta enseñanza es una de las
preocupaciones mayores del plan de estudios en vigor. Esto en tanto que lo más importante en la enseñanza
de la geografía debe en lo sucesivo, tener en cuenta las nuevas fuerzas de información y sacar partido de las
situaciones políticas, económicas y migratorias que se presenten con el fin de que el niño/a tome conciencia
de que la diferencia es fuente de enriquecimiento.
19
CHAPITRE V
L’enseignement de la géographie et
l’idéologie en Angleterre et au pays de Galle
Norman Graves•
Université de Londres
RAPPEL HISTORIQUE SUR L’ENSEIGNEMENT DE LA GÉOGRAPHIE
L’introduction de l’enseignement de la géographie dans les établissements d’enseignement
secondaire britannique remonte à peu près au début du XXe siècle. Cet enseignement s’est
développé pendant les années 30, 40 et 50 pour atteindre son plein essor entre 1960 et le
milieu des années 80. Mais les établissements secondaires relevant des autorités scolaires
locales, fondés après l’adoption de la loi sur l’éducation de 1902, inscrivirent la
géographie parmi les matières au programme. Cette géographie a eu un caractère régional,
dont les principes ont été exposés par le géographe français Vidal de la Blache et revus par
Halford Mackinder et Andrew Herbertson (Graves, 1984). L’influence des idées de
l’époque y est tout à fait évidente. On remarque : 1) un choix de pays et de régions étudiés
où l’Empire britannique occupait une place prépondérante ; 2) l’acceptation du fait que les
relations entre le Royaume-Uni et ses colonies étaient de nature hiérarchique et que la
Grande-Bretagne était dominante. La mission civilisatrice des Britanniques était évoquée
parfois de manière tacite, mais dans la plupart des cas ouvertement, le commerce n’étant
qu’un aspect accessoire de cette mission. En tout état de cause, les échanges étaient
considérés comme mutuellement bénéfiques ; 3) la géographie était un moyen utilisé
(comme d’autres matières) pour inculquer un sentiment patriotique aux élèves. Des cartes
de l’Empire britannique étaient souvent accrochées aux murs des salles de classe.
Les programmes de géographie demeurèrent inchangés. Cette stagnation ne donnait
pas de la géographie l’image d’une matière propre à préparer les jeunes à un monde en
pleine transformation. Ce fut sous l’influence de jeunes géographes (Chorley et Haggett,
1965) et grâce à la création du Schools Council for the Curriculum and Examinations
(Conseil scolaire pour les programmes et les examens) dans les années 60 que l’on
expérimenta de nouveaux programmes de géographie, comme celui de géographie pour les
jeunes en fin de scolarité ou celui de géographie pour les jeunes de 16 à 19 ans, ainsi que
de nouveaux manuels (Everson et Fitzgerald, 1969) qui adhéraient à la révolution
conceptuelle (Davies, 1972) de cette époque.
On pourrait imputer au conservatisme des enseignants ces vingt années de
stagnation de l’enseignement de la géographie, mais ce ne serait là qu’une explication
superficielle. Il faut rechercher les causes profondes de cette inertie dans une société qui
avait de grandes difficultés à s’adapter aux réalités économiques, sociales et politiques de
la seconde moitié du XXe siècle. Aujourd’hui encore, bien que de nombreux changements
soient intervenus depuis la fin des années 80, l’hésitation du Royaume-Uni face à l’entrée
dans l’Union monétaire européenne est symptomatique d’une société qui a du mal à
penser autrement sa place dans le monde.
À partir de 1970, l’enseignement de la géographie dans les écoles s’est transformé
•
Extrait de la communication du professeur Norman Graves dont un article sur le thème est publié dans le
numéro 106 de la revue Perspectives du BIE
20
peu à peu. On a progressivement abandonné la géographie régionale au profit de la
géographie thématique à la suite de la révolution conceptuelle qui a agité les milieux des
chercheurs. Cette évolution de la géographie est devenue perceptible dans les programmes
scolaires et dans les programmes d’examen, où la géographie humaine a pris une place
nettement plus importante tandis que celle de la géographie physique diminuait
relativement. Dans les faits, cela signifiait une étude plus poussée de la géographie
urbaine, de la géographie sociale et des problèmes des pays en développement, ainsi qu’un
développement considérable de l’analyse des problèmes d’environnement sous l’angle de
la géographie.
Il faut souligner que, à cette époque, le Ministère britannique de l’éducation et de la
science (qui était le principal organe gouvernemental responsable de l’éducation) n’avait
aucune compétence en matière de programmes scolaires, sauf pour l’éducation religieuse.
Par conséquent, la mise au point des nouveaux programmes à soumettre aux organes
intéressés, les divers Conseils des examens (School Examination Boards), était du ressort
des comités chargés des programmes. Dans les années 70, ces comités commencèrent à
compter dans leurs rangs des enseignants et des professeurs d’université relativement
jeunes qui étaient favorables à ce que l’on appelait alors, la « nouvelle géographie » et qui
mirent en place de nouveaux programmes plus conformes à leurs idées. Dans les
changements qui furent apportés transparaissait une position idéologique particulière.
À cette date, les enseignants d’université avaient lu les œuvres de David Harvey
(1973) Social justice and the city [La justice sociale et la cité], de Yi-Fu Tuan (1974)
Topophilia [Topophilie], d’Edward Relph (1976) Place and placelessness [Lieu et
privation de lieu], de David Smith (1977) Human geography : a welfare approach [La
géographie humaine : approche par l’aide sociale], de Brian Coates, de Ronald Johnston et
de Paul Knox (1977) Geography and inequality [Géographie et inégalité], et de
Richard Peet (1977) Radical geography [La géographie radicale]. Les étudiants qui
sortaient de l’université dans les années 70 n’adhéraient pas tous aux idéologies exprimées
dans ces ouvrages, mais un grand nombre d’entre eux estimaient que la géographie devrait
contribuer à la lutte contre les inégalités sociales et spatiales. Par conséquent, sans adopter
nécessairement une démarche strictement marxiste, bon nombre d’enseignants de
géographie sympathisaient avec les idées de la gauche.
Comment ces positions idéologiques se traduisaient-elles dans l’enseignement
dispensé en classe ? À partir de 1975, on commença à introduire dans les programmes de
géographie scolaire une analyse critique de l’urbanisme et de la ségrégation sociale, des
différences existant entre le nord et le sud de l’Angleterre en matière d’emploi et de
revenus, des disparités dans les possibilités d’épanouissement personnel et la qualité de la
vie offertes aux populations des différentes régions d’un pays, voire à celles du monde
développé par opposition à celles du monde en développement. Le terme de
« néocolonialisme » fit son apparition dans les programmes de géographie. Le projet
d’élaboration d’un programme de géographie pour les élèves de 16 à 19 ans du Conseil
des écoles (Schools Council), s’adressant aux élèves en fin d’enseignement secondaire ou
entrant dans le postsecondaire, fit beaucoup pour encourager l’adoption d’une « démarche
critique en géographie ». Le programme de préparation au General Certificate of
Education, Advanced Level (Niveau A, c’est-à-dire supérieur) s’articulait autour de quatre
thèmes : 1) l’enjeu de la protection de l’environnement ; 2) l’utilisation et le gaspillage
des ressources naturelles ; 3) les problèmes de portée mondiale ; et 4) la gestion des
environnements humains (Naish, Rawling et Hart, 1987).
Il correspondait manifestement aux idées des enseignants et des élèves, puisque
depuis sa publication, son usage a progressé à pas de géant.
21
RÉFORME DE L’ENSEIGNEMENT DE LA GÉOGRAPHIE
Lorsque le Parti conservateur arriva au pouvoir sous la conduite de Margaret Thatcher en
1979, le gouvernement engagea un processus de réforme du système d’enseignement
britannique, auquel furent apportés les plus vastes changements qu’il ait connu depuis
l’adoption en 1944 de la loi sur l’éducation qui avait marqué l’avènement du système
éducatif de l’après-guerre. Le gouvernement conservateur décida que les écoles n’auraient
plus la liberté de définir leur propre programme scolaire et enseignerait désormais un
programme scolaire national commun sous la tutelle centrale du Ministère, alors Ministère
de l’éducation et de la science. Le programme de géographie élaboré en 1990 (qui d’une
certaine manière représentait un retour à la description de lieux) s’est révélé trop chargé et
impossible à enseigner entièrement dans les délais impartis. Un nouveau comité fut chargé
de revoir l’ensemble du programme national et, en 1994, le rapport Dearing concluait que
le programme global devait être considérablement allégé, tandis que les programmes
d’études devaient être simplifiés et devaient laisser aux enseignants plus de latitude dans
l’exercice de leur profession (Dearing, 1994).
Un nouveau groupe de travail sur la géographie fut chargé d’établir une nouvelle
mouture du programme ; il présenta son rapport en 1995. Un grand changement s’était
produit du fait que le programme était surchargé : la géographie n’était plus obligatoire au
stade 4. C’est pourquoi le nouveau programme national de géographie ne couvre que les
programmes d’étude des stades 1, 2 et 3. Chaque programme d’étude comporte trois
parties (Ministère de l’éducation, 1995) : a) Techniques de géographie : utilisation de la
terminologie appropriée, apprentissage du travail sur le terrain, lecture et établissement de
cartes, exploitation de sources secondaires, notamment celles accessibles grâce aux
technologies de l’information, etc. ; b) Étude de lieux : par exemple, au stade 1, on étudie
la localité où se trouve l’école et une localité très différente située au Royaume-Uni ou à
l’étranger ; au stade 2, on étudie la localité de l’école, deux localités très différentes au
Royaume-Uni et une en Afrique, Asie (Japon excepté), ou Amérique latine, Caraïbes
comprises ; et au stade 3, on étudie deux pays étrangers parvenus à un stade de
développement sensiblement différent, choisis parmi les groupes ci-après : pour le
premier, Australie et Nouvelle-Zélande, Europe, Japon, Amérique du Nord et Fédération
de Russie ; pour le second, les pays d’Afrique, d’Asie (Japon excepté), d’Amérique latine,
Caraïbes comprises ; et c) Études thématiques : celles-ci deviennent de plus en plus
poussées et nombreuses au rythme de la progression des élèves du stade 1 au stade 3. Par
exemple, au stade 3 les thèmes étudiés comprennent, entre autres, les processus
tectoniques, les processus géomorphologiques, les phénomènes météorologiques et le
climat, les écosystèmes, la population, les zones de peuplement, les activités économiques,
et les problèmes de développement et d’environnement.
IDÉOLOGIE ET PROGRAMME NATIONAL DE GÉOGRAPHIE
À première vue, le programme national de géographie de 1995 semble neutre du point de
vue idéologique. Il ne fait aucune référence aux finalités générales de l’enseignement de la
géographie dans les établissements scolaires. Celles-ci doivent être déduites des
programmes d’études et de la loi sur l’éducation de 1988 ainsi que des lois adoptées
ultérieurement. Pour chaque stade fondamental, le programme énonce ce que « les élèves
devraient avoir la possibilité d’apprendre ». On peut résumer ainsi ces directives
(Ministère de l’éducation, 1995) : 1) étudier des lieux et des thèmes se situant à des
échelles très différentes ; 2) apprendre à poser des questions telles que « Qu’est-ce que
c’est ? », « À quoi ça ressemble ? », « Comment est-ce arrivé ? », « Quelles sont les
22
conséquences ? » ; 3) apprendre à travailler sur le terrain et savoir tirer des informations
pertinentes des sources documentaires et des cartes, ainsi que des données stockées dans
des fichiers et sur des disques informatiques ; 4) comprendre les processus physiques et
humains, ainsi que leurs interactions, et être capable de les expliquer ; 5) analyser les
problèmes soulevés par les phénomènes d’interaction des populations avec leur
environnement ; et 6) comprendre comment des lieux s’inscrivent dans un contexte global
et comment différentes régions sont devenues interdépendantes et se trouvent donc
affectées par des phénomènes intervenant dans d’autres parties du monde (Graves, 1997).
L’un des objectifs fondamentaux des réformes du système d’enseignement britannique
engagées depuis 1979 est de faire en sorte que l’enseignement soit beaucoup mieux adapté
aux besoins économiques du pays. En géographie notamment, un projet intitulé
Geography, Schools and Industry est venu favoriser les liaisons entre l’école et
l’entreprise. En matière de formation pédagogique, un autre projet, dit Economic and
Industrial Understanding in Teacher Training, veut inciter les enseignants à initier leurs
élèves à l’économie et aux pratiques en vigueur dans le monde de l’entreprise. Enfin, la
décision de confier aux écoles le soin de se gérer elles-mêmes et le fait que beaucoup ont
été encouragées à devenir financièrement indépendantes des autorités scolaires locales
attestaient aussi que l’idéologie sous-jacente était de créer une culture de l’entreprise. On
peut trouver confirmation de cette opinion dans la description que fait Rex Walford des
travaux du premier groupe de travail sur la géographie (Walford, 1992).
Ce qui est absent du programme de géographie est aussi révélateur. Par exemple,
dans le document consacré au programme national de géographie, National curriculum in
geography, il n’est fait que par deux fois allusion à l’Union européenne. Dans les deux
cas, il s’agit d’une phrase laconique apparaissant dans la section consacrée aux études
thématiques pour les stades 2 et 3, à savoir : « Les contextes devraient inclure le
Royaume-Uni et l’Union européenne ». On aurait du mal à en conclure que la construction
de l’Union européenne avait une importance primordiale ou que son approfondissement
était une entreprise digne d’intérêt. Dans quelle mesure ce silence sur l’Union européenne
traduit-t-il une quelconque objection idéologique au concept d’une Europe intégrée ? On
sait que les gouvernements conservateurs de Margaret Thatcher et de John Major avaient
une attitude ambivalente vis-à-vis du concept d’Union européenne. Ils voulaient bénéficier
des avantages d’un marché unique, mais n’étaient pas disposés à accepter les changements
constitutionnels que la mise en place d’un tel marché impliquait s’il fallait un partage de la
souveraineté.
CONCLUSION
En Angleterre et au pays de Galles et, dans une certaine mesure, dans d’autres parties du
Royaume-Uni, il ne fait guère de doute que le programme de géographie a généralement
servi l’idéologie dominante quand l’Empire britannique était à son apogée et même durant
sa période de déclin dans les années 30 et 40. Dans les années 60 et 70, une nouvelle
idéologie qui mettait en avant les droits des populations défavorisées a commencé à
s’exprimer dans un programme de géographie qui échappait au contrôle des autorités
centrales. Dans les années 80, ceux qui détenaient le pouvoir politique ont inversé cette
tendance, mais ils ont justifié le contrôle plus strict du programme en faisant référence aux
besoins économiques du pays et à la volonté de relever le niveau d’instruction. Mais il est
évident que les dirigeants de l’époque considéraient que la raison d’être de l’enseignement
était de favoriser l’apparition d’une culture de l’entreprise.
RÉFÉRENCES
23
Chorley, R. ; Haggett, P. (dir. publ.). 1965. Frontiers in geographical teaching [Les frontières dans
l’enseignement de la géographie]. Londres, Methuen.
Coates, B. E. ; Johnston, R.J. ; Knox, P. L. 1977. Geography and inequality [Géographie et inégalité].
Oxford, Oxford University Press.
Davies, W. K. D. (dir. publ.). 1972. The conceptual revolution in geography [La révolution conceptuelle en
géographie]. Londres, University of London Press.
Dearing, R. 1994. The national curriculum and its assessment : final report [Le programme national
d’enseignement et son évaluation : rapport final]. Londres, HMSO.
Everson, J. A. ; Fitzgerald, B. P. 1969. Concept in geography : settlement patterns [Concept géographique :
modèles d’établissement]. Harlow, Longmans, Green & Co.
Graves, N. J. 1984. Geography in education [La géographie en éducation]. 3e éd. Londres, Heinemann.
——. 1988. The education crisis : which way now ? [La crise de l’éducation : où allons-nous maintenant ?].
Londres, Christopher Helm.
——. 1997. « Geographical education in the 1990s » [L’enseignement de la géographie au cours des
années 90]. Dans : Tilbury, D. ; Williams, M. (dir. publ.), Teaching and learning geography
[Enseigner et apprendre la géographie]. Londres, Routledge.
Harvey, D. 1973. Social justice and the city [La justice sociale et la cité]. Londres, Arnold.
Naish, M. ; Rawling, E. ; Hart, C. 1987. Geography 16-19 : the contribution of a curriculum project to 1619 education [La géographie des 16-19 ans : contribution d’un projet de programme pour
l’enseignement des 16-19 ans]. Harlow, Longman.
Peet, R. (dir. publ.). 1977. Radical geography [La géographie radicale]. Chicago, Maaroufa Press.
Relph, E. 1976. Place and placelessness [Lieu et privation de lieu]. Londres, Pion.
Royaume-Uni. Department for Education. 1995. Geography and the national curriculum [La géographie et
le programme national d’enseignement]. Londres, HMSO.
Smith, D. 1977. Geography : a welfare approach [Une approche sociale de la géographie]. Londres, Arnold.
Tuan, Yi-Fu. 1974. Topophilia [Topophilie]. Englewood Cliffs, Prentice Hall.
Walford, R. 1992. « Creating a national curriculum : a view from inside » [Créer un programme national
d’enseignement : vue de l’intérieur]. Dans : Hill, A. D. (dir. publ.). International perspectives on
geographic education [Perspectives internationales sur l’enseignement de la géographie]. Boulder,
Colorado, Center for Geographic Education, University of Colorado.
ENGLISH SUMMARY
While displaying a certain level of conservatism, geography in the United Kingdom was employed for a
long time to teach patriotism to pupils. It was not until the 1970s that a new ideology put forward by
university academics came to the fore. In order that geography teaching should correspond to this ideology,
these academics favoured the introduction of a critical analysis based on such features as urbanization, social
segregation and imbalances between different regions of the world, drawing attention to the rights of
disadvantaged populations. In the 1970s, the Thatcher government stopped this process by steering the
geography curriculum toward satisfying the country’s economic needs and also with the desire to raise the
level of teaching. The purpose of teaching was to encourage a business culture.
RESUMEN ESPAÑOL
En el Reino Unido, largo tiempo la enseñanza de la geografía mostró una cierta resistencia al cambio. Esta
fue utilizada para inculcar un sentimiento patriótico a los estudiantes. Hubo que esperar a los años 70 y a la
emergencia de una nueva ideología defendida por los profesores de la universidad favorables a la
introduccón en los programas de geografía y al análisis crítico del urbanismo, a la segregación social y de las
disparidades entre las diferentes regiones del mundo, insistiendo sobre el derecho de las poblacines
desfavorecidas para hacer evolucionr la enseñanza de la geografía . En los años 80, el gobierno de Thatcher
invirtió esta tendencia orientando los programas de gegrafía hacia las necesidades económicas del país y
bajo la voluntad de subir el nivel de instrucción. La razón de ser la enseñanza era favorecer la aprición de
una cultura de la empresa.
24
CHAPITRE VI
Les orientations de l’enseignement de la
géographie au Portugal
Sérgio Claudino•
Université de Lisbonne
FORMER LE NOUVEL HOMME LIBÉRAL
C’est à l’occasion des premières réformes libérales de l’enseignement primaire et
secondaire de 1835 et 1836 qu’a été institué l’enseignement commun de la géographie et
de l’histoire. Dans la réforme de 1837, est créée une discipline intitulée Brèves notions
d’histoire, de géographie et de constitution. La géographie y apparaît, alors, comme un
savoir lié à la formation idéologique du nouvel homme libéral.
La réforme du lycée de 1844 met en place une discipline appelée Histoire de la
chronologie et de la géographie, principalement « commerciale », reflétant le progrès
économique que connaissait le continent européen. Dans les manuels scolaires, la
préoccupation est d’apprendre aux jeunes citoyens le régime politique, les divisions
administratives, militaires et religieuses, les principaux accidents géographiques, les lieux
et les peuples portugais, une géographie très naturaliste.
LES TENDANCES PRO-EUROPÉENNES ET AFRICAINES EN GÉOGRAPHIE
En 1860, la discipline Histoire de la chronologie et de la géographie acquiert en classe de
5ème l’appelation Histoire-Géographie, spécialement celle du Portugal et de ses colonies,
ce qui traduit une attention croissante envers les colonies africaines, confirmée par la
réforme de 1863. Les intellectuels de la célèbre génération des 7, d’une part, et la Société
de Géographie de Lisbonne (SGL) d’autre part, s’interrogent sur le rôle de la nation. Les
premiers, dont le poète Antero de Quental, s’ouvrent à une géographie du centre de
l’Europe grâce à l’amélioration des communications et de l’information. Ils souhaitent
intégrer le Portugal dans un projet de modernité européenne et valorisent la connaissance
physique de la Terre, aussi bien au niveau scientifique qu’au niveau de sa création et de
son évolution. Les africanistes de la SGL, défendent en revanche, une géographie centrée
sur l’Empire colonial portugais. De l’enseignement de la géographie, on attend une
diffusion d’information sur les territoires africains, destinée à une population qui préfère
continuer à émigrer vers le Brésil.
Les programmes de géographie vont traduire l’influence des deux perspectives, proeuropéenne et pro-africaine. Avant 1884, prédomine l’option européenne avec la
comparaison entre le Portugal et les autres États de l’Europe. Le programme de 1889 met
en place une géographie politique et fait de la géographie du Portugal et de ses colonies le
thème le plus développé, sur lequel portent les questions d’examen. L’enseignement de la
géographie atteint, à ce moment là, son apogée et mobilise des personnalités connues pour
l’élaboration des manuels scolaires.
•
Extrait de la communication du professeur Sérgio Claudino dont un article sur le thème est publié dans le
numéro 106 de la revue Perspectives du BIE
25
GÉOGRAPHIE ET CAUSE COLONIALE APRÈS LA SECONDE GUERRE MONDIALE
Les programmes de 1948 portent une attention plus grande à la géographie portugaise,
valorisent les aspects économiques des colonies, et font appel à la valeur potentielle de
l’Empire. Les autorités éducatives ordonnent, d’une manière durable, le livre unique, et
adoptent un discours dirigiste pour l’enseignement de l’Empire portugais :
Il faut obliger l’élève à s’engager à prendre des initiatives, à résoudre des difficultés, à envisager des
problèmes à travers la formation de son esprit, et non pas à travers le prisme que son maître lui fournit. Il
n’aura pas d’abrégé ; au lieu de cela il aura une indication de bibliographie, de statistiques, de cartes, de tous
les éléments nécessaires pour l’étude et la discussion des problèmes (Décret n° 37112, du 22 octobre 1948).
Dans les années 60, avec le début des guerres coloniales en Angola, au Mozambique et en
Guinée, l’enseignement de la géographie se renforce. Cela se répercute sur la réforme du
cycle préparatoire de l’enseignement secondaire, en 1968. Dans le décret sur l’histoire et
la géographie du Portugal, on peut lire :
La conscience de chaque petit Portugais devrait s’éveiller et se fortifier pour connaître avec exaltation
l’histoire de sa patrie et pour comprendre d’une manière claire le très vaste territoire qu’elle embrasse
(Arrêté n 23601, du 9 Septembre 1968).
Cette nouvelle attention, donnée à la formation géographique, permet une actualisation
thématique des programmes qui introduisent, pour la première fois, des références à
l’espace rural et urbain, aux régions industrielles et aux zones touristiques.
VERS UN ENSEIGNEMENT DE L’EUROPE EN GÉOGRAPHIE
Avec la Révolution du 25 avril 1977, l’enseignement colonial de la géographie est mis en
question. Il s’agit de lui substituer un enseignement sur le Portugal dans ses nouvelles
dimensions nationales. Le programme sur le Portugal de 1978 (approuvé en 1980) évite
tout ce qui peut susciter les controverses, ignorant totalement les situations particulières de
Macau et Timor. Il omet même d’évoquer le statut des régions autonomes des Açores et de
Madère. Il dresse le portrait d’un Portugal rural dans lequel les nouvelles générations se
reconnaissent difficilement. Ce n’est qu’en 1987 que sera débattue publiquement une
proposition de réforme de l’éducation correspondant à la nouvelle réalité de l’intégration
du Portugal dans la Communauté européenne. Le pouvoir politique donne à la géographie
un nouvel objectif : identifier les jeunes Portugais à la grande patrie plurinationale
européenne, tout en enseignant le Portugal en classe terminale.
À travers cette brève histoire de la géographie, nous constatons que son rôle dans le
système d’enseignement dépend plus de son utilité pour le pouvoir que de sa capacité à
s’affirmer, de façon autonome, pour la formation des jeunes ; un constat qui doit
interpeller tous ceux qui enseignent cette discipline, même s’il semble aujourd’hui que la
géographie puisse s’engager dans de nouvelles voies plus indépendantes du contexte
politique.
RÉFÉRENCES
Ferreira-Deusdado, M. A. 1896. A reforma do ensino secundário [La réforme de l’enseignement
secondaire]. Lisbonne.
Júnior, M. H. 1919. A geografia no ensino secundário [La géographie dans l’enseignement secondaire].
Tipografia do Comércio, Lisbonne.
Machado, B. 1899. O ensino primário e secundário [L’enseignement primaire et secondaire]. Typographia
França Amado, Coimbra.
26
Ortigão, R. 1876. « A instrução pública » [L’instruction publique], As Farpas, tome XV. Clássica Editora,
Lisbonne. p. 23-78.
Sociedade de Geografia de Lisboa. 1876. « Relatório e programa de trabalhos, secção de geografia e
estatística militar » [Rapport et programme de travail :section de géographie et de statistiques
militaires]. Boletim da sociedade de geografia de Lisboa, Lisbonne, nº 1, Actas, p. 28-31.
ENGLISH SUMMARY
After the liberal reforms of Portuguese primary and secondary education at the beginning of the nineteenth
century, geography lessons appeared to be concerned with knowledge linked to the ideological creation of
the new liberal personility. The new geography curriculum conveyed the influence of a pro-European and a
pro-African perspective, emphasizing political geography and colonial matters. As successive reforms
followed each other, geography teaching became more and more limited to the geography of Portugal and,
from 1987 onwards, on its integration into the European Community, while this teaching is now becoming
involved with new non-political approaches.
RESUMEN ESPAÑOL
En Portugal a principios del siglo XIX, después de las reformas liberales de la enseñanza primaria y
secundaria la geografía aparecía como un saber ligado a la formación ideológica del nuevo hombre liberal.
Los nuevos programas de geografía política muestran la influencia de dos perspectivas, pro-esuropeas y
proafricana, poniendo en evidencia la geografía política y las cuestiones coloniales. A medida que se
establecen las reformas de la enseñanza de la geografía está, más en más, centrada en la geografía de
Portugal ,y a partir de 1987 sobre su integración en la Comunidad Europea, atendiendo que esta enseñanaza
se compromete con las nuevas vias independientes del contexto político.
27
CHAPITRE VII
L’éducation aux nouvelles citoyennetés
en géographie : le cas de la France
Robert Ferras
I.U.F.M. Montpellier
La réflexion sur ce qu’il faut peut-être enseigner en géographie pour « apprendre à vivre
ensemble » est double. Elle repose sur la prise en compte des instructions et des
programmes officiels, et sur le contenu des manuels qui en découlent. Par ailleurs, la
classe de première dont l’essentiel du programme porte par tradition sur la France semble
bien se prêter à l’exercice. Quels que soient les sous-titres proposés, et quelles que soient
les années de parution, les contenus des manuels méritent examen.
QUELLE GÉOGRAPHIE « OFFICIELLE » SUR LA FRANCE ?
En 1998, les nouveaux programmes de géographie viennent d’être publiés, occasion de
voir de plus près la réponse des nouveaux manuels au cadre proposé. En classe de
première, on se penche sur la « France en Europe et dans le monde ». Distribution et
dynamiques spatiales sont mises en lumière par le biais de différentes échelles, locale,
régionale, nationale, européenne, mondiale, soit cinq au total et à des degrés divers. Le
titre renvoie implicitement, sans aucune précision, d’abord au « système-monde » pris en
compte au cours de ces dernières années dans la réflexion géographique, et explicitement à
l’Europe - déjà engagée, encore en construction - au risque d’un rituel systématique et
finalement sans intérêt. Le programme comporte trois parties : 1) la France en perspective,
en Europe et dans le monde ; 2) le territoire français et son organisation ; et 3) les États et
les régions, de France et d’Europe.
Il est certain que ces trois niveaux se prêtent à une réflexion sur l’État et ses
composantes territoriales, en particulier la région. Un terme qui recouvre des choses bien
différentes, mais qui se pose en spécialité de la géographie française. Sans autre précision,
le terme recouvre de plus en plus un contenu administratif, celui des régions dites autrefois
« de programme » qui émergent peu à peu, sans assise définitive, et avec toutes leurs
carences. Une assez longue histoire déjà, depuis la naissance en 1956 des Circonscriptions
d’Action Régionale (C.A.R.) sur la base des départements repris en inclusion.
Philippe Piercy nous rappelle à ce propos (La France, le fait régional, Hachette,
Paris, 1997) que : « Les géographes s’accordent à peu près sur l’idée que la région est une
partie d’un tout. » Mais la région est-elle le résultat d’une opération de découpage
intellectuelle ou politique, ou bien est-ce la réalité qui dicte le découpage ? À en croire
A. Reynaud (Encyclopédie philosophique universelle, vol. 2), « le mot a un sens large qui
renvoie à l’idée de découpage d’un ensemble spatial quelconque, les régions étant le
résultat de ce découpage ».
Face à cette régionalisation à géométrie variable, le préambule des nouveaux
programmes recommande de choisir une problématique, de structurer le travail sur les
points essentiels, d’encourager l’élève à une attitude active. « La réflexion contribue à la
formation civique des élèves en leur permettant d’acquérir les connaissances et les repères
essentiels à l’exercice de leur citoyenneté. » Formation civique, citoyenneté, les termes
28
essentiels sont mis en avant. Ils résonnent un peu « à l’ancienne », dans la lignée des
travaux de la fin du XIXe siècle.
Lors du colloque organisé conjointement par le BIE et l’Université de Genève le
29 octobre 1997, Antoine Bailly soulignait un changement de valeurs dans nos sociétés
depuis la fin du XIXe siècle, à travers une évolution rapide de la géographie naturaliste vers
la géographie-nation, de la géographie-nation vers le concept de réseaux internationaux,
multinationaux, qui remet l’héritage naturaliste à sa place et gomme l’État-nation.
Le parallèle est intéressant à mener avec le premier manuel sur la France, intitulé
Tour de France par deux enfants, à un siècle de distance. L’introduction précise : « Nos
maîtres savent combien il est difficile de donner à l’enfant l’idée nette de la patrie, ou
même simplement de son territoire et de ses ressources. » La démarche est simple, il faut
connaître son pays, donc l’aimer, donc le servir. On prenait garde d’oublier trois choses ;
le sous-titre du livre, « Devoir et Patrie » ; le fait que ce soit un livre de lecture courante,
également utilisé en histoire et géographie et enfin, que la préface commence par « La
connaissance de la patrie est le fondement de toute véritable instruction civique ». Or,
c’est le rôle de la géographie de proposer « la connaissance de la patrie ».
HYPOTHÈSES DE TRAVAIL
Trois hypothèses sont avancées :
1. Il n’y a plus de géographie citoyenne parce qu’il n’y a plus de territoires bien identifiés,
de « terres à citoyens » pouvant servir de support. Le dilemme passe par la prise en
compte de l’échelle d’identification à privilégier. En reconnaissant les défauts de
chacun des niveaux géographiques pratiqués qui sont à la fois, de façon très ambiguë,
source de territorialisation et source de chauvinisme divers. On peut les évoquer,
successivement : a) Commune et campanilisme : l’unité de vie la plus petite et les
représentations qui vont avec sont à prendre en compte, comme premier niveau des
échelles d’une micro-géographie du quotidien, à travers le quartier, la rue, le hameau
rural ; b) Petit pays et localisme : un des lieux de règlements de compte à ce niveau
passe par les productions, toutes « de qualité » par rapport aux proches : les « produits
de pays » ; c) Petite ville et chauvinisme : les terrains de sport, entre autres, traduisent
parfois quelques-uns de ces affrontements. On les retrouve dans la fréquentation
commerciale, dans les articles de presse ; et d) Grande ville et impérialisme : qui n’a
pas sa capitale ?
Région, régionalisme, rarement régionalisation, nous retombons sur le niveau scalaire
le plus important, en tout cas le plus imbriqué en France avec les institutions politiques.
2. En revanche, à la naissance de la géographie contemporaine au XIXe siècle, chaque
citoyen ou apprenti-citoyen se retrouvait dans des découpages de la France qui étaient
clairs : a) le territoire national avec, de l’autre côté, « les autres », Allemagne,
Angleterre, Espagne... (et toutes les formes de nationalisme allant avec) ; b) la petite
Patrie, ancienne province ou même commune. Entre les deux, ni le pays (trop petit), ni
le département (trop récent) n’offraient un grand poids.
Deux exemples extraits de l’ouvrage de Bruno soulignent le vocabulaire utilisé pour
évoquer les découpages géographiques et les qualifier : « Le Lyonnais est une petite
province dont l’intelligence des habitants a fait d’elle une des plus importantes de
France. » La suite de la légende cite les villes, et on distingue très mal sur la carte les
départements de la Loire et du Rhône dans un bloc, cerné par le Bourbonnais, la
Bourgogne, le Dauphiné, le Languedoc et l’Auvergne.
L’Ile de France, située entre la Normandie, la Picardie, la Champagne et l’Orléanais « a
formé cinq départements dont les chefs-lieux sont : Beauvais, (occasion de citer Jeanne,
29
Hachette), Versailles, Paris, Melun, Laon ». Ce qui donnerait les départements
suivants : Oise, Seine-et-Oise, Seine, Aisne et Seine-et-Marne.
3. Il n’y a pas de géographie sans territoire, pas de territoire sans modes de vie sur le
territoire et sans société. Le renvoi systématique à la société du moment donne une
impression de cycles qui reviennent, depuis la naissance de la géographie moderne au
moment de la guerre de 1870. Cycles marqués par des concepts toujours exprimés,
mais rarement explicités, le territoire, la nation, l’ethnie, la culture, la frontière, le lieu
de vie, la communauté de vie, etc. Il suffit de consulter des manuels de dates différentes
pour en retrouver trace, mais sans davantage de prise en compte. Peut-être était-ce le
prix à payer pour sortir du XIXe siècle et entrer dans le modèle français, centralisateur et
républicain. Cela revenait à atténuer le poids des différences sous de grands ensembles
géographiques englobants, le bassin parisien, le massif alpin, le sillon rhodanien, le
seuil du Poitou, en d’autres termes des espaces géographiques, pas des territoires.
LES ENSEIGNEMENTS DES CINQ MANUELS LES PLUS RÉCENTS
On peut décortiquer l’effet d’annonce de la quatrième de couverture, les avant-propos et
les introductions, le mode d’emploi, les index, le sommaire enfin, sans oublier
l’illustration.
1. Le découpage de la géographie de la France flotte entre l’héritage encombrant du
naturalisme (le « bassin » parisien, qui n’a plus aucun sens), et les nouvelles partitions
de l’espace, à la fois images et artefacts, qui relèvent de la fantaisie de tel spécialiste ou
de tel manuel. Le Languedoc-Roussillon, en 1997, en constitue un bel exemple. Il n’y a
plus de cadrage géographique explicité. Choisi hors de l’éventail des manuels analysés,
l’un d’entre-eux, destiné à la classe de troisième, inclut le Languedoc-Roussillon dans
un ensemble « Lyon et les nouveaux pôles du Sud-est ». Exemple de grand
regroupement, souhaitable peut-être, aberrant certainement, qui se traduit par des
escalades spatiales entre Montpellier et Nîmes pour les plus modestes, Toulouse et
Marseille pour les forcenés d’un midi méditerranéen élargi à l’extrême, ou même de
Bordeaux à Nice pour proposer une sorte de sud ectoplasmique.
2. Le « non-dit » des titres de chapitres renvoie en fait à des constructions politiques plus
ou moins avancées dites « eurorégions », qui seraient deux fois moins nombreuses que
les régions officielles actuelles, mais qui fluctuent au gré des stratégies politiques. En
Languedoc-Roussillon, les alternatives proposées en termes de coopération
interrégionales sont : a) Un « Grand Sud » [Aquitaine, Midi-Pyrénées, LanguedocRoussillon (L.R.), Provence Alpes Côte d’Azur (PACA), Corse] ; b) Le « Grand
Delta » (PACA, Languedoc-Roussillon, Rhône-Alpes) ; c) L’Eurorégion (L-R, MidiPyrénées, Catalogne) ; et d) Le Centre (Auvergne, Limousin, Centre, Midi-Pyrénées,
Languedoc-Roussillon, Rhône-Alpes).
Deux choses sont à noter :
- l’aspect méditerranéen stricto sensu, sans cesse mis en avant dans les publicités
touristiques, n’est jamais repris dans les découpages, chacune des régions voisines est
toujours considérée dans son intégralité avec l’arrière-pays montagnard ; et
- les deux premiers découpages (Grand Sud, Grand Delta), sont les plus fréquemment
proposés dans les manuels. En revanche, la seule région frontalière (la Catalogne),
malgré tout le discours sur l’Europe est superbement ignorée.
3. Il faudrait donc donner des repères géographiques clairs pour tout territoire. Or, un seul
existe (qui vaut ce qu’il vaut), la Région. Elle a au moins l’avantage de donner lieu à
des exercices variés : compositions, décompositions, recompositions pour les besoins
de la cause. Ce qui est de la bonne géographie. Il reste à éviter le chauvinisme régional,
30
et les variations devenant obligatoires sur l’Europe très à l’ordre du jour. À l’inverse,
les remontées périodiques des « pays-départements » sont toujours présentes dans le
discours sur le territoire.
TABLEAU 1. Dépouillement du « vocabulaire territorial » exprimé dans 4 manuels
Bouvet
carrefour
(Europe)
sun belt
Carnat
sud-Midi
interface
(Europe)
arc méditerranéen
Gauthier
sud
arc méditerranéen
région
axe bas-Languedoc
capitales
Hagnerelle
Effet sud
Région
Département
Axe bas-Languedoc
Le manuel de Bouvet est le moins riche, dans la mesure où le chapitre s’ouvre par un
tableau statistique des trois régions. Sud et Midi sont synonymes et constituent un
discriminant très répandu. Carrefour, interface et contact relèvent du niveau européen.
La « sun belt » est réhabillée en arc méditerranéen dont l’axe bas-languedocien est un
des éléments. Mais, ce sont finalement les régions (administratives) qui sont les plus
présentes. L’aspect commandement, technopôle, l’emporte chez Gauthier qui propose
une carte de Montpellier sur laquelle la ville a pratiquement disparu, sauf dans ses
aspects technopolitains et les différentes implantations qui la structurent (et la cernent).
Les « capitales » sont de deux niveaux, Marseille pour l’ensemble de l’arc
méditerranéen, Montpellier et Nice pour leur région. Dans l’ouvrage d’Hagnerelle,
l’axe bas-languedocien est considéré comme « structurant ». En dehors des villes qu’il
relie, « quelques centres d’importance moyenne s’affirment au contact des arrières-pays
montagneux » (en l’occurrence, Alès et Carcassonne).
4. Des territoires identifiés, pour vivre ensemble
La région ancienne n’était finalement pas autre chose qu’un projet de vivre ensemble.
Cela n’a pas été assez dit. Constat d’échec, l’éducation à une nouvelle citoyenneté
semble se trouver dans une impasse après avoir usé d’une série de terres et de territoires
dans ses enseignements : a) des ensembles climatiques : les pays tropicaux, les pays
froids ; b) des empires coloniaux, ceux qui coloraient en rose et en bleu pâle les cartes
murales de la collection Vidal de la Blache ; c) des blocs économiques, Est et Ouest, si
commodes dans leur dichotomie armée, puis Nord et Sud ; d) des grandes puissances,
le plus souvent réduites à deux, États-Unis d’Amérique et URSS, ou trois avec le
Japon ; et e) des frontières de toutes sortes, à recréer, ou à supprimer (dernière en date
l’Europe),
Clarifier les choses passe certainement par l’identification du territoire, ce qui, en jouant
sur les mots, contribue déjà à lui octroyer une identité. Cela n’a de valeur qu’à titre
d’introduction à travers l’exemple français. Il convient de jeter un pont entre l’actualité
immédiate et la première géographie, grâce à un passage en revue des manuels. Le propos
n’étant pas de saisir l’évolution des découpages sur un siècle, mais de répondre à la
thématique territoire et citoyenneté.
Depuis le XIXe siècle, la déterritorialisation semble être allée de pair avec la perte de
tout civisme.
31
RÉFÉRENCES
ANNEXE I
Manuels de géographie, pour la classe de première, publiés en 1997, conformément aux derniers
programmes de 1995 (Bulletin officiel du 29 juin 1995).
Collection Bouvet, chez Hachette, chapitre 8, « L’ensemble régional méditerranéen », en 10 pages.
Collection Carnat, chez Bertrand-Lacoste, chapitre 14, « Les Suds français dans l’arc méditerranéen », en 10
pages.
Collection Gauthier, chez Bréal, chapitre 15, « L’arc méditerranéen », en 10 pages.
Collection Hagnerelle, chez Hatier, chapitre 6, « Le Languedoc-Roussillon, nouvel espace de
développement », en 2 pages.
Collection Mathieu, chez Bordas, Le Languedoc-Roussillon n’est pas traité.
ANNEXE II.
Territoire traité
Bouvet : Trois régions : Languedoc-Roussillon, PACA, Corse, soit 13 départements aux limites nettes,
celles des régions.
Carnat : Quatre régions : Midi-Pyrénées, Languedoc-Roussillon, PACA, Corse, soit 21 départements aux
limites floues, dépassant « l’administratif » pour rejoindre le « naturel ».
Gauthier : Trois régions : Languedoc-Roussillon, PACA, Corse, soit 13 départements aux limites nettes,
celles des régions.
Hagnerelle : Une région : Languedoc-Roussillon et ses cinq départements, limites nettes, mais pas de carte.
ENGLISH SUMMARY
Study of what should be taught in geography in order to favour peaceful co-existence is partly concerned
with official guidelines and curricula, and partly with the content of textbooks. In France, based on a
common national curriculum recommending the teaching of French geography through the study of its
different regions and its place in Europe and in the world, textbooks have presented extremely varied
approaches. The comparative study of these books, taking into consideration different strategies and
different periods of time, brings out a territorial or social approach to geography and citizenship. History and
geography teaching are therefore given a new purpose—that of constructing bridges between territories,
isolated spaces and the world in order to oppose the disappearance of citizen geography. Henceforth, the
school should teach us to think about our differences in order that we may achieve universalities, and teach
us to understand the continuity between the locality and the world through a global approach to history and
geography.
RESUMEN ESPAÑOL
La reflexión sobre que hace falta enseñar en geografía para aprender a vivir juntos reposa, por una parte
sobre las instrucciones y los programas oficiales, y por la otra sobre el contenido de los manuales. En
Francia, sobre la base de un programa nacional común, recomendadando la enseñanza de la geografía
francesa, a partir del estudio de sus regiones y de su lugar en el contexto europeo y mundial, los manuales
presentan tres tratamientos diferentes. El estudio comparativo de sus obras hace aparecer, al grado de sus
estrategias políticas y de su tiempo, un tratamiento territorial o social de la geografía y de la ciudadanía. Una
nueva misión es así atribuida a la enseñanza de la historia y de la geografía, la de construir un puente entre
los territorios los espacios fragmentados y el mundo por luchar contra la desparición de la geografía
ciudadana. En adelante la escuela debe enseñar a pensar sobre la alteridad para permitir el acceso a la
universalidad y a hacer comprender y aprender la continuidad del territorio en el sistema mundial por el
conjunto de la historia y de la geografía.
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CHAPITRE VIII
Entender la diversidad ambiental, cultural
y social de Costa Rica :
el libro de geografía de Costa Rica
para niños de 4 grado de escuela
Guillermo Carvajal
Universidad de Costa Rica
Este libro forma parte de un proyecto mayor cuyo objetivo es dotar a los estudiantes de
1,2, y 3 ciclo de la Enseñanza General Básica de libros de textos. La serie lleva el nombre
de Hacia el siglo XXI y fue elaborada por profesores universitarios de cada una de la
especialidades.
El objetivo de la serie es no sólo dotar a los niños y niñas que cursan estos ciclos de
textos de un alto contenido científico, sino a la vez introducir nociones novedosas desde el
punto de vista pedagógico, que faciliten el proceso de enseñanza aprendizaje, que
permitan innovador la enseñanza de la geografía desde la más temprana infancia. Por eso
se buscó usar el aparato conceptual y técnico propio de la geografía y de la historia,
aunque el libro versa en más de un 90 por ciento en temas propio de la geografía.
LA ESTRUCTURA DEL LIBRO DE ESTUDIOS SOCIALES DE 4 GRADO DE ESCUELA
Las unidades que se presentan no forman una sección completa del libro de texto. Por el
contrario, se trata de unidades que se incluyen en diversas secciones del mismo. El
principio que hemos seguido es el de tratar los temas en unidades cortas, de modo que
cada unidad sea comprensible en sí misma. Para verificar hasta qué punto se ha logrado el
objetivo, hemos decidido enviar a su consideración unidades sueltas del trabajo.
Cada tema, por supuesto, forma parte de un argumento mayor. Para facilitar la
comprensión del nexo existente entre cada unidad y el argumento mayor, nos permitimos
ofrecer una síntesis del mismo. Subrayamos las secciones del argumento que se
desarrollan en las unidades presentadas.
LOS GRANDES ARGUMENTOS DEL LIBRO DE 4 GRADO
La Tierra es el hogar de la humanidad. El hogar de la humanidad -la Tierra- no siempre ha
sido igual. En un principio todas las tierras emergidas constituían una sola masa, que
progresivamente fue separándose, para dar nacimiento a los continentes y mares que
conocemos hoy día y que continúan desplazándose. En ese proceso general de expansión,
también como resultado de factores más locales, se formó el territorio que hoy conocemos
como Costa Rica.
Costa Rica es parte de uno de los continentes del mundo, conocido como Continente
Americano. Está ubicada entre la América del Norte y la del Sur y entre el mar Caribe y el
Océano Pacífico.
El estar localizada en medio de dos grandes masas continentales y en medio,
también, de dos mares, la existencia de un cinturón montañoso, que atraviesa el país
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longitudinalmente, así como las elevadas precipitaciones y temperaturas, propias de la
zona intertropical, confieren a Costa Rica una gran diversidad climática, vegetal,de
ambientes y recursos naturales. Esta diversidad de recursos y de ambientes es aumentada
por el extenso espacio marítimo, tanto en el Pacífico como en el Caribe, que los acuerdos
internacionales conceden a Costa Rica. A la diversidad natural debe agregarse que Costa
Rica disfruta de una gran variedad cultural, producto del proceso histórico de mestizaje.
Los factores naturales y culturales mencionados, hacen Costa Rica posea una gran
diversidad de paisajes. Los distintos paisajes del país y la diversidad natural y cultural del
mundo, necesitan ser representadas. La cartografía es uno de los mejores instrumentos que
tenemos para hacer esa representación del mundo. Del mismo modo que el texto, en su
conjunto, tiende a un objetivo general, cada unidad tiene su objetivo específico. Con el
objetivo de mostrar al lector el tipo de texto que se construyo se han entresacado varias
capítulos del libro del estudiante, para poder fijar con mayor claridad la forma en que se
plasmaron los contenidos.
Los textos seleccionados presentan dos grandes aspectos que constituyen en buena
medida la base argumentativa del libro, pero debe quedar claro que tan sólo es una
selección preliminar. Es evidente que los textos o capítulos son cortos, algunos estan están
escrito en un lenguaje convencional propio de la geografía, pero deliberadamente los
autores quisieron romper la forma tradicional de escribir estos textos introduciendo el
dialogo. Este aspecto es innovador por lo menos en lo que es la preparación de textos en
Costa Rica y América Central. Desde este punto de vista la parte de forma del cómo
presentar las ideas fue siempre una preocupación de los autores. Se buscó darle al
estudiante la posibilidad de contar con un texto, en este caso concreto el de 4 grado de
escuela, que fuera además entretenido y que mezclara el discurso narrativo con el dialogo.
El libro va acompañado de ilustraciones realizados por un artista y por material
cartográfico y gráfico que es también parte del texto y no una simple manera de llenar
páginas. Fue una experiencia riquísima discutir con la ilustradora los textos y el momento
preciso para introducir una imagen figura, dibujo y mapa.
Por eso afirmamos que las imágenes son parte integrante del texto, ayudan a apoyar
los argumentos. Esta idea provenía ciertamente de que nuestros niños viven un mundo de
imágenes, muy rico audiovisualmente, pero las imágenes por si solas pueden decir mucho
o nada, por eso se busco incorporarlas al argumento y con ello al texto.
Desde el punto de vista conceptual de la ciencia geográfica se utilizan los términos
adecuados y precisos, pero en algunos casos se respetaron aspectos de la idiosincracia
propia de los costarricense, así se habla de invierno y verano, esto por cuanto es de uso
arraigado en nuestra población, pero el maestro debe insistir en los valores relativos de
ciertos conceptos. De igual manera que se habla de dos mares en ambas costas cuando en
realidad se debía de hablar de un océano y el mar Caribe, pero aquí fue más un aspecto
formal de tipo estilístico que incluso el mismo texto resuelve.
A diferencia de muchos otros textos que constituyen verdaderas geografía patrias, se
renunció a presentar un texto que enfatizara en aspectos excesivamente particularistas de
la geografía y la sociedad costarricense.
Se reconoce la diversidad ambiental y cultural pero esta característica es reconocida
con el conjunto de la región de la América central, desde el punto de vista del
conocimiento las características más generales tanto ambientales como sociales pueden ser
referidas a la región centroamericana. De hecho, cada país tomado como una sola unidad
ve emprobrecida su riqueza natural. En el texto no interesaba marcar límites, en eso se
diiferencia de las viejas geografías patrias, que se produjeron desde principios del siglo
XIX hasta mas o menos los años 1950 y 1960. El objetivo de estas geografías patrias era
mostrar la diferencia, el particularismo de un país a otro, marcar límites, señalar la riqueza
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de tal o cual recurso en un determinado país. En esta segunda parte se introducen algunas
de las unidades que contiene el libro, el propósito es mostrar los argumentos, la forma en
que esta escrito el libro y las diferentes formas de presentación de los argumentos. Por el
tipo de presentación de este documento se omite la reproducción de los dibujos y las
figuras a color,, puesto que si bien se insiste son parte integrante del argumento, por
tratarse de una discusión entre especialistas se prescinde de ellas, aunque sabemos que con
ello debilitamos un tanto los textos seleccionados. De igual manera, los textos elegidos se
han hecho más bien siguiendo las dos grandes líneas definidas en el título del artículo, es
decir lo ambiental y lo cultural. Pero en ningún momento se piense que estas son las
mejores partes del libro, necesariamente las más llamativas. Como todos los capítulos son
importantes y como cada uno afirma o sostiene un argumento, esta selección puede ser
engañosa.
CAPÍTULO 1. SOMOS PARTE DE LA HUMANIDAD
Y LA TIERRA ES NUESTRO HOGAR
LA TIERRA : EL HOGAR DE LA HUMANIDAD
Tierras en constante cambio y movimiento. Hace millones de años, en nuestro planeta solo existía una gran
isla, llamada Pangea. Rodeando esta masa de tierra se encontraba un único mar, conocido como Panthalassa.
Con el tiempo, la gran isla comenzó a dividirse en dos partes, llamadas Laurasia y Gondwana. Estas dos
islas se separaron cada vez más, pues se movían en diferentes direcciones. Las islas también se partieron en
secciones. El espacio que iba quedando entre las islas fue ocupado por el agua. Así se formaron las
diferentes masas de tierra y de agua que existen hoy en día.
La Tierra : el hogar de la humanidad.
Los seres humanos han ido poblando y construyendo sus hogares en las diferentes masas terrestres. Al
principio solo vivían en Africa. Desde allí viajaron a todos los rincones del planeta, para hacer de la Tierra el
hogar de la humanidad.
Para poder sobrevivir en los diferentes lugares, los seres humanos debieron agruparse y ayudarse
mutuamente. El convivir en grupo y compartir un mismo territorio les permitió desarrollar rasgos en común,
como el idioma, la religión y las costumbres.
Los grupos humanos, cada uno con su propia cultura, empezaron a sentirse diferentes de los otros. Cada
sociedad reclamó su territorio, para formar un hogar separado. A veces fue un valle o una montaña. Otras
veces, como en el presente, el territorio de un grupo es un país.
CINCO OCÉANOS ; CINCO CONTINENTES
Los océanos y los continentes son otro tipo de división que los grupos han hecho de las tierras y aguas, que
la naturaleza creó en millones de años. Existen cinco océanos y cinco continentes. Los océanos son el
Pacífico, el Atlántico, el Indico, el Antártico y el Artico. Como continentes conocemos a América, Africa,
Asia, Europa y Oceanía.
Los océanos ocupan la mayor parte de la Tierra. El Océano Pacífico es más grande que todos los
continentes juntos. Sin embargo, la inmensa mayoría de la humanidad vive en los continentes.
De los cinco continentes, Asia es el más grande y donde viven más personas. Si comparamos los
continentes de Europa y Oceanía, vemos que Europa tiene la mitad del tamaño de Oceanía. Sin embargo, la
población de Europa es más numerosa.
UNA TIERRA ; MIL HOGARES
La Tierra es un planeta, que las fuerzas de la naturaleza han transformado por millones de años. Ha sido
ocupada y dividida, para que en ella tengan su hogar los miles de grupos que forman la humanidad.
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COSTA RICA EN UN PLANETA DE CONTRASTES CULTURALES
Arnisa : Aló, Tomás, soy Arnisa.
Tomás : Hola, Arnisa, Qué alegría escucharte. Preparaste ya el equipaje ? Aquí en la casa estamos muy
contentos de que vengás a visitarnos.
Arnisa : Yo también estoy muy feliz, aunque mis papás están un poco preocupados.
Tomás : Preocupados porqué, Arnisa ?
Arnisa : Bueno, porque nunca he hecho un viaje tan largo y porque no sabemos qué va a hacer el gobierno
de tu planeta, si se entera de mi visita.
Tomás : El gobierno de mi planeta ? En mi planeta no tenemos un sólo gobierno, Arnisa.
Arnisa : Cómo ? No entiendo. Aquí hay un único gobierno para todos.
Tomás : La Tierra está dividida en países. Cada país tiene su propio gobierno. En la actualidad hay como
180 países.
Arnisa : Y todos son iguales ?
Tomás : Mamá...mamá, todos los países del mundo son iguales ?
Doña Angela : No, Tomás. Unos son grandes, otros son pequeños. Es decir, algunos tienen mucho territorio,
otros poco. Costa Rica tiene 51 100 km2.
Tomás : Y eso es mucho o poco ?
Doña Angela : Me parece que poco, si pensamos en países tan grandes como China, Canadá o Brasil. Pero
también hay países más pequeños, como Macao o San Marino.
Tomás : Arnisa, dice mi mamá que...
Arnisa : Ya oí, Tomás. Decime otra cosa : Y en cuánto a gente ? Tienen todos los países las misma cantidad
de habitantes ?
Tomás : Mamá, mamá. Y en cuánto a gente ?
Doña Angela : En eso también hay grandes diferencias. Hay zonas de gran concentración de población y
otras poco pobladas. Creo que vivimos en un área que no es muy poblada.
Tomás, los países también se diferencian en otros aspectos, por ejemplo, en lo que producen. Unos son
países industriales, que producen maquinaria, automóviles o electrodomésticos. Otros, como Costa Rica,
viven de la agricultura y la ganadería.
Tomás : También cambian los idiomas, verdad, mamá ?
Doña Angela : Sí, claro. En el mundo se hablan cientos de idiomas diferentes. Solo en nuestro continente, en
América, se hablan el español, el portugués, el inglés, el francés y muchas lenguas indígenas. En nuestro
país, y en la mayoría de América, el idioma más común es el español.
Tomás : Estás oyendo, Arnisa ?
Arnisa : Sí, Tomás, pero creo que ya tengo que colgar. Te vuelvo a llamar otro día. Hasta luego.
Tomás : Hasta luego, Arnisa.
GRANDES en km2
Rusia
Canadá
China
Estados Unidos
Brasil
Australia
Sudán
Zaire
India
Kazakstán
PEQUEÑOS en km2
17 075 350
9 220 970
9 326 410
9 166 600
8 456 510
7 617 930
2 376 000
2
267 600
2 973
190 2 717 430
Macao
San Marino
Liechtenstein
Islas Marshall
Seychelles
Maldivas
Malta
Granada
San Cristóbal y Nevis
San Vicente y Las Granadinas
36
20
60
160
180
270
300
320
340
360
390
UN PAÍS TROPICAL, MARITIMO, MONTAÑOSO Y VERDE
Costa Rica tiene sus propias características de relieve, clima y vegetación. Existen regiones que se parecen a
nuestro país y otras, por el contrario, son muy diferentes.
UN CLIMA TROPICAL LLUVIOSO
Al tener la Tierra una forma más o menos esférica, los rayos del sol no llegan igual a todos los lugares. En la
zona tropical, situada entre el trópico de Cáncer y el de Capricornio, los rayos llegan casi verticalmente
durante todo el año. La zona tropical tiene un clima caliente todo el año. Presenta unas regiones que son
lluviosas y otras secas. Costa Rica con su clima lluvioso y caliente, se localiza en la zona tropical lluviosa.
Más allá de los trópicos, los rayos del sol llegan inclinados y el clima es cada vez más frío, hasta llegar a los
polos, que permanecen congelados todo el año.
DOMINIO MARITIMO
Costa Rica se encuentra en una faja angosta de tierra, llamada istmo, donde el mar domina sobre la tierra. La
influencia del mar origina un clima húmedo. Esta misma situación se presenta en Filipinas y Madagascar. En
otras regiones, como Mongolia en Asia, y el centro de Australia, hay grandes extensiones de tierra y el mar
esta muy lejos ; por eso, el clima es desértico.
VOLCANICO Y MONTAÑOSO
América y Asia presentan, cerca del océano Pacífico gran cantidad de volcanes. A esta cadena de volcanes
se le conoce con el nombre de “Cinturón de Fuego del Pacífico”. Costa Rica se localiza dentro de esta zona
de intensa actividad volcánica. Los procesos de formación del relieve han hecho que Costa Rica sea un país
montañoso. Por estas características, se diferencia de otras regiones del mundo, como en Africa y en Europa,
donde el relieve es plano y que casi no hay actividad volcánica.
UNA GRAN RIQUEZA DE VEGETACION
Por su clima tropical lluvioso, en Costa Rica predomina el bosque muy húmedo, semejante al del Amazonas,
al del centro de Africa, al de Sumatra y al de Borneo, en Asia. Esta vegetación de árboles gigantes y de
clima húmedo contrasta con los desiertos del Sahara y Kalahari, en Africa, o el norte de México. Un clima
caliente y húmedo, un paisaje marítimo, volcánico, montañoso y verde, son los rasgos que identifican a
Costa Rica en la geografía física del mundo.
CAPÍTULO 2. EL TERRITORIO DE COSTA RICA
COSTA RICA Y SUS VECINOS
Costa Rica es el hogar de los costarricenses. ¿Cómo es ese hogar ? Si observamos el mapa del mundo,
podemos ver varias diferencias. Por ejemplo, que en el mundo hay unos países muy grandes y otros
diminutos. Hay países que están rodeados por agua. Otros, en cambio, están rodeados por otros países y no
tienen salida al mar. ¿Cómo es Costa Rica ?
De poco territorio
El mapa nos indica que Costa Rica es un país de poco territorio. Es mucho más pequeño que Brasil, Canadá,
Estados Unidos, China y Rusia. En Centroamérica, Costa Rica tiene menos extensión que Guatemala,
Honduras, Nicaragua y Panamá. Solo es más grande que Belice y El Salvador. La superficie de Costa Rica
es de 51 000 kilómetros cuadrados. De esa extensión, 344 kilómetros corresponden a las pequeñas islas que
tiene el país. En ellas viven más de.... costarricenses. Unas islas están muy cerca de la costa. Otras, en
cambio, están muy lejos. La isla del Coco, por ejemplo, está a 496 kilómetros de distancia.
Angosto y alargado
Por ser parte del istmo centroamericano, Costa Rica es un país angosto y alargado. Tan angosto es que,
desde la cumbre de algunas cordilleras, pueden verse los dos mares que bañan las costas del país. Dentro del
istmo centroamericano, los vecinos que están más cerca de Costa Rica son Nicaragua y Panamá. Costa Rica
está separada de ellas por límites, que son las líneas que indican dónde termina un país y empieza otro. Costa
Rica es un país angosto, alargado y pequeño. Bueno, no tan pequeño si lo pensamos mejor...
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UN PAÍS DE TRES PISOS
Costa Rica no es un país plano : tiene partes altas y bajas. Estas diferencias del terreno se llaman relieve. Se
distinguen tres formas de relieve : llanuras, valles y montañas. Todas ellas existen en nuestro país. El relieve
montañoso ocupa la mayor parte del territorio. Existen altitudes desde los 0 metros, a nivel del mar, hasta los
3 820, en el Cerro Chirripó. Estas se agrupan en pisos. Se pueden diferenciar tres pisos : el baja altitud, el
intermedio y el de montaña. En cada piso se destaca una forma relieve.
El piso baja altitud
Está entre los 0 y los 500 metros de altitud. Las llanuras son el rasgo sobresaliente. Existen en el lado Caribe
y en el Pacífico, pero son diferentes. Las del Caribe son anchas, con pequeños cerros que rompen la
monotonía del terreno plano. Hacia el río San Juan y el mar Caribe presentan lagunas y pantanos. Entre las
principales llanuras están la de Guatuso, San Carlos, Sarapiquí,Tortuguero y Matina. En el Pacífico, las
llanuras son angostas, por estar muy cerca las cordilleras. Estas llanuras se conocen como valles. Las
principales son la del valle del Tempisque, la del Parrita, la del Diquís y la del Coto-Colorado. [Foto]
El piso intermedio
Abarca desde los 500 a los 2 000 metros. Comprende los principales valles interiores del país. El Valle
Central es en realidad, una depresión rodeada por la cordillera Volcánica Central y una prolongación de la
cordillera de Talamanca. Se divide en dos secciones : la oriental o este, cuyas aguas son recogidas por el río
Reventazón, y la Occidental u oeste, que es drenada por el río Grande de Tárcoles. Los otros valles se
encuentran entre la Cordillera de Talamanca y la Cordillera Costeña y son : el valle de El General, el de
Coto Brus, el de Candelaria y el de Los Santos.
El piso de montaña
Este es el piso de las montañas y los volcanes. Se ubica entre los 2 000 metros y la cima de las cordilleras.
En la parte central y norte de Costa Rica, las cordilleras son volcánicas y muchos de los volcanes están
activos. En la cordillera de Guanacaste destacan los volcanes Rincón de la Vieja y el Miravalles. En la
cordillera de Tilarán no hay volcanes activos, pero si tuvieron actividad hace millones de años. Cercana a
ésta, se localiza el volcán Arenal que está en constante acción desde 1969. La cordillera Volcánica Central
comprende una serie de volcanes que tienen actividad periódicamente, entre ellos el Poás y el Irazú. En la
parte sur del país está la cordillera de Talamanca. Esta no es volcánica. Es la más elevada del país y su
mayor altitud es el cerro Chirripó, con 3 820 metros.
UNA GRAN RIQUEZA DE VEGETACION NATURAL
De dónde vino la vegetación de Costa Rica ? Cuando se terminó de formar el istmo centroamericano, quedó
formado un gran puente entre la América del Norte y la del Sur. Ese puente fue aprovechado por miles de
especies para viajar desde tierras lejanas a Costa Rica. De la distante cuenca del río Amazonas llegaron los
árboles que formarían el bosque húmedo de Costa Rica. Del sur de México, de Venezuela y de Brasil vino la
vegetación del bosque seco y la caliente sabana. Desde las montañas Rocosas, en Estados Unidos, viajaron
especies que se quedaron a vivir en las montañas del país. Las partes más altas de las montañas se
convirtieron en el hogar de muchas plantas, que habían iniciado su viaje en los Andes de la América del sur.
RIQUEZA Y DIVERSIDAD DE LA VEGETACION
Toda esa vegetación vino de viaje y se quedó a vivir en Costa Rica. Como el país tiene variedad de climas, y
como es una casa de varios pisos, los diversos tipos de vegetación encontraron lugares buenos para hacer su
hogar.
DEL BOSQUE SECO A LA SABANA
En la provincia de Guanacaste, caliente y menos lluviosa, creció el bosque seco. Los árboles del bosque seco
tienen un tronco grueso y corto, y copas muy anchas. El Guanacaste, árbol nacional, es un ejemplo de estos
hermosos árboles. Durante la estación seca, los árboles del bosque seco pierden sus hojas y se cubren de
vistosas flores amarillas, rosadas, violetas y rojas. [Figura]. El bosque seco existió en toda la provincia
Guanacaste y se extendió hasta el río Tárcoles. En la actualidad casi no existe y solo se encuentra en los
parques nacionales de la provincia de Guanacaste. En su lugar apareció la sabana, en la que abundan las
plantas con espinas y los pastos.
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UN BOSQUE DE GIGANTES
El bosque muy húmedo prefirió las partes más bajas y lluviosas del país, en el Caribe y en la Península de
Osa, en el Pacífico Sur.Los árboles del bosque muy húmedo son verdaderos gigantes, que alcanzan hasta 50
metros de altura. Sus copas son angostas y sus hojas se mantienen durante todo el año.
LOS BOSQUES DE MONTAÑA
En la montaña se da una gran variedad de bosques, entre los 1 500 y 3 000 metros. Allí se instalaron las
grandes palmeras ricas en palmito o los bosques de robles y aguacatillos. Una vegetación enana en las
cumbres. Todavía más arriba, sobre los 3 000 metros, la vegetación es enana, de hojas pequeñas y duras. A
esta vegetación se le llama Páramo. Casi la totalidad de la vegetación del páramo viene de las altas montañas
de Suramérica. La vegetación de Costa Rica es como una caja de lápices de muchos colores. En el país hay
árboles gigantescos y vegetación enana ; hay sabanas secas y bosques húmedos. Hay plantas que crecen en
las frías cumbres de las montañas y hay otras que florecen en la costa.
UN PAÍS DE MESTIZAJE CULTURAL PRIVADO
Nuestra forma de ser y de pensar, el idioma que hablamos, lo que comemos, muchas de las enfermedades
que padecemos o el color de nuestra piel, son el resultado de la combinación de indígenas, españoles y
negros. De la mezcla de estos tres grupos se formó un país que se caracteriza por su diversidad cultural.
Quiénes llegaron primero ?
Cuando llegaron los españoles, en 1502, los indígenas ya residían en el país. Los indígenas viven en estas
tierras desde hace unos 10 000 años. Con la llegada de los españoles cambió la vida económica y social de
los indígenas. Muchos de ellos murieron a causa de las guerras, los trabajos forzados y las enfermedades.
Otros se resistieron al dominio español y todavía preservan su modo de vida. También hubo muchos que
formaron familias con los españoles.
LA LLEGADA DE LOS NEGROS A COSTA RICA
Los primeros negros fueron traídos por los españoles, desde Africa, después de 1502. Durante el período
colonial, los negros trabajaron en las plantaciones de cacao y en la ganadería. Posteriormente, entre 1873 y
1890, para la construcción del ferrocarril del Atlántico, se trajo población negra de las islas del Caribe,
especialmente de Jamaica. Muchos de ellos, después de concluido el ferrocarril, permanecieron en la costa
caribe, trabajando en las plantaciones bananeras y cacaoteras. El mosaico cultural se enriqueció en los siglos
XIX y XX.
A finales del siglo pasado se necesitaban trabajadores para la siembra y recolección de café y para las
obras de construcción del ferrocarril a Limón. Nuestros gobernantes crearon políticas especiales para que
vinieran extranjeros a vivir al país. Por esta razón llegaron a Costa Rica muchos asiáticos, hindúes, judíos,
libaneses, alemanes, ingleses, franceses, italianos, suecos y entre otros. De los hermanos países
centroamericanos ha existido una migración constante. Para esa época vinieron otras personas por su cuenta,
porque las condiciones de vida en sus países eran difíciles. Somos un país de muchas culturas. Los
costarricenses provenimos de la unión de diversas culturas, naciones y pueblos. Cada uno de ellos ha
contribuido en la formación de lo que somos. Por eso se dice que al pueblo costarricense lo caracteriza el
pluralismo cultural. Pluralismo cultural significa diversidad, y diversidad es riqueza.
PRESENCIA VIVA DE UNA HERENCIA CULTURAL DIVERSA PRIVADO
Era viernes. Terminadas las clases de ese día, Tomás apresuró el paso para llegar a la casa. Salió
entusiasmado con la asignación que había dejado su maestra. Ella explicó que somos un país con una gran
diversidad cultural. Concluyó su lección expresando : “Hasta en lo que comemos se refleja el origen y el
aporte de quienes han venido a vivir en este país”. Para la siguiente clase los estudiantes debían traer una
lista de los alimentos que comerían en los dos próximos días. Tomás esperó con entusiasmo la comida del
primer día. Sus papás le notaron algo extraño. Con su mirada revisaba cuidadosamente los alimentos. Doña
Angela, su madre, había preparado picadillo de papas y vainicas, arroz, frijoles y fresco de naranja.
Concluida la comida Tomás corrió a escribir en el cuaderno. Lista de alimentos : vainicas, papas, arroz, chile
dulce, cebolla, ajo, carne molida, culantro, naranjas y azúcar.
Al siguiente día, al desayuno, observó los alimentos : café, leche, azúcar, pan, mantequilla y jalea de
guayaba. Tomó nota de ellos.
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A mediodía regresó a la casa. Pensó : Qué habrá de almuerzo hoy ? Tocó la puerta, y su padre, don Rafael, le
abrió. Don Rafael : Qué tal te fue en la escuela ? Qué cosas nuevas aprendiste hoy ?Tomás : Aprendí mucho.
Hoy tengo que completar la asignación de Estudios Sociales.
Don Rafael : Están estudiando en la escuela la dieta de los costarricenses ?
Tomás : No, papá, estamos estudiando la diversidad cultural de los costarricenses.
Doña Angela : Almorzamos ? Hoy les preparé una olla de carne. Mientras comían, don Rafael comentó :
Qué tiene que ver lo que comemos con la diversidad cultural ?
Doña Angela : Conque de eso se trata Ya veo por qué estás tan preocupado por conocer mis recetas. Claro,
pensemos en el origen de cada uno de los alimentos que componen esta olla de carne. Veamos : el elote, el
maíz, era la base de la alimentación indígena en América Central y México. La yuca, la papa, el tiquisque, el
camote, el chayote, el ayote y el zapallo son de origen americano, y también eran alimento de los indígenas.
Las zanahorias y el apio son de origen europeo. La carne de res también vino de afuera. Fueron los
españoles los que trajeron las vacas, los caballos y los cerdos. El plátano y la caña de azúcar fueron traídos
de Asia.
Tomás, un tanto asombrado, preguntó : Mamá, en otras partes del mundo comen olla de carne ?
Doña Angela : Bueno, sé que en otros países se prepara un plato parecido, como la cazuela en Chile.
Pero...con ese nombre y ese sabor tan especial, con el gusto que da esta mezcla de alimentos de todo el
mundo...sólo la olla de carne.
Don Rafael : Ahora entiendo. Recuerdan lo que almorzamos la última vez que fuimos a Puerto Limón ? Sí,
sí, dijeron todos. “Rice and beans” y su apetitoso aceite de coco. Ahí tenemos la influencia caribeña en
nuestra dieta.
Tomás : Hasta en lo que comemos se nota la herencia de los diferentes grupos que han venido a Costa Rica.
REPENSANDO EL ROL DE LA GEOGRAFIA EN LA CONFORMACIÓN
DE UNA NUEVA CONCEPCIÓN DE LA CIUDADANIDAD HACIAEL SIGLO XXI
Hasta muy recientemente en todos los países de la región centroamericana primaron
enfoques deliberadamente muy distorsionados de lo que debía ser la enseñanza de la
geografía y de la historia. La geografía aportaba una visión idílica, del medio físico de
cada país. Los textos existentes enfatizaban las bondades con que la madre naturaleza
había premiado a cada país.
Detrás de ese chauvinismo geográfico donde privaba una visión mesiánica y
marcadamente cristiana estaban los ideólogos de las viejas aristocracias nacionales
europeizantes y los militares. Sus metas eran muy claras, la historia y la geografía fueron
utilizados como conocimiento de los llamados héroes nacionales y la geografía como un
conocimiento memorístico cuya utilidad básica estaba en la diferencia del vecino y en
mostrar la grandeza de los recursos naturales con que la mano del Señor había dotado
generosamente a una nación que estaba destinada a lograr la meta del ansiado desarrollo
económico y social que salvaría a todos los ciudadanos de las condiciones de vida
desventajosas que prevalecían en los países. El subdesarrollo era visto como un fenómeno
interno y donde el trabajo y la disciplina nos sacarían del atascadero.
AL ANDAR SE HACE CAMINO... LA GEOGRAFÍA PARA LA CIVILIDAD
Romper los viejos moldes y los conocimientos que como mitos se nos han impuesto por
siglos nos es fácil quebrarlos. Y quien sabe aún cuanto de ellos queda en nosotros por
exhorcizar, fuimos educados y moldeados por una determinada concepción del rol de la
educación. En el fondo quizás el reto que enfrente los educadores y los estudiantes en el
futuro es crear y recrear una educación liberadora, enseñar y aprender en libertad, cultivar
la verdadera libertad de pensamiento. Esta primera experiencia de escribir un texto para
niños, Desde el punto de vista de lo que es la producción de un texto escolar, no solo se
trataba de cubrir un temario, de antemano determinado por el Ministerio de Educación.
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Este temario presentaba inconvenientes en el orden lógico de hilar argumentos. Por eso
parte del trabajo dde reflexión que mereció mucha atención era producir un libro que al
igual que cualquier libro tuviera argumento y un orden lógico en la exposición y
explicación de los argumentos que sustentan los autores. Evidentemente esto rompe la
forma convencional de los manuales o textos que se comercializan en el mercado
costarricense que para lograr la aprobación del Consejo Superior de educación siguen a
pie juntillas los contenidos del programa oficial del Ministerio de Educación.
Pero de igual manera que cualquier los capítulos se apoyan unos a otros y se
amarran en una trama final. No obstante, el maestro y el niño curioso podrá avanzar o
revisar en el orden que mejor convenga, pero esto sólo le mostrará que se trata de un libro
y no de un conjunto de páginas que no se sostienen entre sí. Ahora después de presentados
algunos resultados del libro, resulta más facil comprender las dimensiones pedagógicas de
un texto de esta naturaleza. El científico social, el maestro y todo el personal involucrado
en el proceso de enseñanza-aprendizaje debe dimensionar los cambios que han venido
llegando como rafagas a nuestros países, modernizar el estilo de hacer docencia. Modificar
la forma en que las nuevas generaciones recibirán los conocimientos deben ser tarea
prioritaria de todos. Hacer la educación agradable, profunda, arraiga en valores científicos,
la responsabilidad y la ética ante la naturaleza y la sociedad implican grandes retos que
cada ciencia debe afrontar.
RÉSUMÉ FRANÇAIS
Cet article présente le livre « Vers le XXI siècle » destiné aux enfants des cycles 1, 2 et 3. Il a pour objectif
d’introduire des notions de géographie et d’histoire d’une manière pédagogique innovatrice permettant de
les intégrer dès l’enfance. Cet ouvrage est composé de sections qui comprennent des cartes, des images, des
textes explicatifs et des dialogues. Les différents chapitres du livre détaillent la situation, les caractéristiques
et la diversité culturelles géographiques et historiques du Costa Rica dans le contexte du continent
américain. L’ouvrage a recours à un language et à des concepts propres à la fois aux costaricéens et au
domaine des sciences en général.
ENGLISH SUMMARY
This article describes the textbook ‘Towards the twenty-first century’ intended for children in the first,
second and third cyclesb of primary education. Its objective is to introduce geographical and historical
concepts in an innovatory educational manner allowing children to grasp these matters. It consists of units
containing maps, pictures, explanatory texts and dialogues. These methods deal with the situation, the
features and the cultural, geographical and historical diversity of Costa Rica in its regional context. For these
purposes, it uses the language and the concepts typical of Costa Rica, and at the same time those of science.
41
CHAPITRE IX
Vivre ensemble grâce à l’enseignement de
l’histoire et de la géographie au Maroc
El Hassane Boubekraoui•
Université de Marrakech
INTRODUCTION GÉNÉRALE
« Apprendre à vivre ensemble » avec les autres constitue aujourd’hui un enjeu primordial
en matière d’éducation. Les comportements de l’homme ont souvent entraîné les conflits,
la violence, et l’exclusion. « Vivre ensemble » passe d’abord par la connaissance de soi,
de son identité, une tâche ardue qui relève de la famille, de la société et de l’école.
L’objectif fondamental que doit s’assigner la nouvelle éducation est de permettre la
connaissance, la reconnaissance de l’autre, en l’acceptant dans sa différence. Cependant,
une question se pose : est-il possible d’imaginer une nouvelle éducation qui prenne en
considération l’unité culturelle de l’espèce humaine dans sa diversité ?
L’enseignement intelligent de l’histoire et de la géographie, basé sur une politique
pédagogique cohérente, pourra permettre de se comporter en citoyen universel. En tenant
compte de ces considérations, nous avons analysé six manuels d’histoire et de géographie
du niveau secondaire, au Maroc. Ces supports mettent l’accent sur les notions d’identité,
de souveraineté, de territoires, de frontières, de localité, de région, de migration,
d’échanges économiques et de conflits. L’idéologie y est importante, que ce soit du côté
de la commission qui décide du contenu des programmes que de celui de l’enseignant
chargé de le transmettre à l’élève ; ce dernier a ses propres représentations des
connaissances qu’il acquiert à l’école, de la famille ou de l’interaction avec les autres.
LA REPRÉSENTATION DES COMPOSANTES ETHNIQUES
MAROCAINES DANS LES MANUELS
Au Maroc, les manuels d’histoire lient la naissance de l’État aux Arabes (la dynastie
Idrisside), arrivés au pays au VIIe siècle. Par cette relation, ils occultent le rôle qu’a joué la
tribu berbère « Aouraba » dans la naissance de la dynastie Idrisside. De plus, les apports
Amazighs dans la civilisation arabo-musulmane ne sont pas mentionnés. L’identité
Amazigh n’est représentée que par certaines personnalités charismatiques (Yougurtha,
Massinisma, Tacfarines) ayant lutté contre l’envahisseur romain, ou ayant résisté à
l’occupant espagnol et français (Abdelkrim Khattabi, Mouha Ou Hammou Zaïyani). Les
dynasties berbères ayant gouverné le Maroc (les Almoravides et les Mérinides) sont
enseignées, mais sous le couvert de l’identité arabo-musulmane. Les tribus et les langues
berbères ne sont nullement mentionnées ; on insiste en revanche sur la langue arabe.
Dans les manuels, il n’existe qu’une identité arabo-musulmane au sein de laquelle
sont dissoutes les différentes identités berbères. Cette identification exclusive a pour but
d’atomiser les particularismes qui caractérisent la société marocaine aux composantes
ethniques multiples. L’élève marocain est donc préparé dès son enfance à se considérer
comme marocain ayant une appartenance unique. En réalité, les élèves berbères sont
•
Ce texte a été rédigé en collaboration avec A. Mouzoune.
42
conscients de leur origine distincte de celle des Arabes. Ils pratiquent leurs « langues »
dans leurs interactions sociales quotidiennes avec les autres Berbères. Ces « langues » leur
permettent de fixer leur culture en vue de la transmettre et de la perpétuer.
En ignorant la « berbérité » qui enrichit la culture marocaine, les manuels rejettent la
diversité ethnique du Maroc pour renforcer la cohésion sociale et donner sur le pays une
fausse vision d’homogénéité culturelle, une sorte de déni de la diversité. Cela, alors même
que le « vivre ensemble » dans la distance par rapport à l’autre (l’Arabe) caractérise le
vécu dans les régions berbères de l’Atlas et du Souss par exemple.
Par ailleurs, les manuels insistent sur l’appartenance du Maroc à l’aire culturelle
arabo-musulmane et sur son ancrage dans ce monde, préféré à l’espace méditerranéen. Les
puissants vecteurs d’identification à cette vaste aire culturelle sont la langue arabe et
l’Islam. Or, ce monde arabo-musulman est présenté comme une grande région pacifique,
ouverte et prospère, occultant ainsi les tensions, les conflits et les oppositions idéologiques
entre certains de ses pays qui vont jusqu’à la guerre, la fermeture et la surveillance des
frontières ou le gel des relations diplomatiques.
LE TERRITOIRE NATIONAL : COMPOSITION ET LIMITES
L’identité marocaine a pour support le « territoire national », lieu d’enracinement de tous
les Marocains. Ce territoire est l’espace sur lequel s’exerce « la souveraineté monarchique
qui veille sur son intégrité ». Les frontières du pays sont clairement délimitées dans les
manuels de géographie, alors qu’elles ne le sont pas dans les faits. En effet, les enclaves de
Ceuta et Mellila sont considérées comme appartenant au Maroc. En réalité, elles sont sous
contrôle espagnol et par conséquent, elles sont intégrées dans l’espace de ce pays. Si des
chapitres traitent du processus de recouvrement du Sahara occidental, aucun d’entre-eux
n’évoque comment les villes de Ceuta et Mellila ont été concédées à l’Espagne, ni leur
revendication actuelle par les autorités marocaines.
En outre, le territoire national est présenté comme un ensemble de localités et de
régions, sans qu’aucune définition de ces découpages ne soit donnée. Ainsi, les localités
désignent certaines zones agricoles ou d’extraction minière. En ce qui concerne la région,
l’interprétation de ce concept se base sur la hiérarchie des échelles géographiques, passant
du local au mondial. L’échelle locale est utilisée pour décrire les régions marocaines de
montagne et de plaine, les régions désertiques et irriguées ; leurs composantes ethniques,
leurs modes de vie et leurs cultures ne sont malheureusement pas abordées. L’approche
économique de la région est également adoptée. De ce fait, le Maroc est découpé en
régions en fonction de leur production (régions céréalières, de production d’agrumes et
d’élevage) ou de leur spécialisation sectorielle (régions agricoles, industrielles ou de
services).
Le territoire marocain demeure caractérisé par les inégalités régionales. Les activités
industrielles et de services sont concentrées le long du littoral atlantique, sur l’axe allant
de la ville de Kénitra à El-Jadida. Les habitants se regroupent fortement dans les grandes
villes qui constituent les bassins d’emplois (Casablanca, Rabat, Marrakech, Fès, Agadir).
Les concentrations socio-économiques différenciées dans l’espace entraînent l’émergence
de pôles assez distincts : un pôle « agriculture », un pôle « industries-artisanat » et un pôle
d’activités de type « tertiaire ». Ces pôles reflètent les hiérarchies graduelles du système
territorial marocain qui fonctionne comme une mosaïque de régions emboîtées.
L’échelle mondiale se reflète à travers l’étude des zones bioclimatiques de la Terre
et la distinction Nord-Sud sur le plan économique. Dans ce dernier cas, il est fait référence
aux régions économiques riches et développées, pauvres et sous-développées, d’où des
flux migratoires vers les pays riches « en quête de main-d’œuvre bon marché ».
43
L’OUVERTURE SUR L’ÉTRANGER
L’émigration des Marocains vers la France, la Belgique, la République Fédérale
d’Allemagne et les Pays-Bas est analysée au niveau statistique et économique. On
s’intéresse notamment au nombre d’émigrés et à la part de leurs transferts de fonds dans la
balance des paiements du Maroc. Les conditions de vie et d’accueil des travailleurs
marocains à l’étranger ne sont nullement traitées dans les manuels.
Les contacts avec l’étranger se font aussi par les échanges et la coopération
économiques, en particulier avec l’Union européenne, l’Amérique du Nord et le Japon. En
géographie, une large place est accordée à l’étude économique et sociale de certains pays
comme la France, la République Fédérale d’Allemagne, le Canada, les États-Unis
d’Amérique et le Japon. Parmi les stéréotypes véhiculés sur ces sociétés on trouve : le
développement technologique et économique, la guerre de conquête des débouchés, le
développement culturel, la démocratie, la liberté, la violence, le racisme, la xénophobie et
l’exclusion. La Russie est présentée comme un pays développé en pleine restructuration
socio-économique. L’Egypte, le Brésil, le Mexique, l’Inde et la Chine sont aussi enseignés
sur le plan économique. Une analyse ethnique est également réalisée au cours de l’étude
de la structure sociale du Brésil, du Mexique, de l’Inde et de la Chine, mais il n’est pas fait
référence à la diversité communautaire (Musulmans et Coptes) dans le cas de l’Egypte.
LES CONFLITS : UNE MANIÈRE D’ENSEIGNER
LES DIFFICULTÉS DE VIVRE ENSEMBLE
Les conflits sont enseignés dans les manuels d’histoire. Il s’agit de ceux ayant opposé le
Maroc aux Romains, aux Portugais, aux Espagnols et aux Français ainsi que les guerres de
type régional (la guerre israélo-arabe) ou mondial. Concernant les conflits dans lesquels le
Maroc était engagé, ils se situent à deux époques :
- L’époque médiévale où ils ont un double caractère : horizontal et vertical. Horizontal
dans la mesure où les dynasties des Almoravides et des Almohades ont réussi à
conquérir les territoires qui constituent actuellement l’Algérie et la Tunisie. Vertical du
fait que ces mêmes dynasties se sont confrontées aux royaumes de la péninsule
ibérique. Les conflits ont aussi caractérisé les relations entre la dynastie sâadienne et
l’Empire ottoman.
- À l’époque contemporaine, la bataille d’Isli opposant le Maroc à la France s’est soldée
par la signature en 1845 d’un compromis sur le tracé des frontières. À cela s’ajoute la
guerre d’indépendance menée contre la présence espagnole et française.
La guerre d’indépendance, avec son cortège de bombardements, d’arrestations,
d’exécutions, de disparitions, de fuites, d’exils, de restrictions, de rationnements, est
décrite dans les textes d’histoire, justement pour expliquer les limites du
« vivre ensemble » entre autochtones et colonisateurs dans les sociétés vivant sous
occupation. Des valeurs telles que l’héroïsme, le courage, le martyre, l’honneur, la
liberté... constituent des références auxquelles doivent s’identifier les Marocains. Elles
sont souvent instrumentalisées afin de préserver la culture et les traditions du Maroc.
Les guerres régionales traitées par les manuels se rapportent d’abord aux guerres
d’indépendance des pays arabes en vue de défendre et de préserver leur identité, leur
culture et leur dignité. Les textes rendent compte de la violence des colonisateurs (anglais,
français et italiens), aussi bien sur la population que sur les leaders nationalistes (l’Émir
Abdelkader et Ferhat Abbas en Algérie, Ferhat Hachad en Tunisie, Omar el-Mokhtar en
Libye). Le conflit israélo-arabe est présenté comme une guerre régionale sanglante
44
opposant « un sionisme conquérant à des pays tels que la Palestine, la Syrie et le Liban ».
Pour expliquer cette guerre, les manuels d’histoire remontent à l’éclatement de l’Empire
ottoman en plusieurs États dont la Palestine qui a été divisée en deux entités : une entité
arabe et une autre juive. Or, seul un État juif, appelé Israël, a vu le jour, d’où les tensions
actuelles dans la région, d’autant plus qu’« Israël empiète sur les territoires des pays
voisins arguant des raisons de sécurité ».
Le conflit israélo-arabe reflète l’impossibilité de vivre ensemble dans la tolérance et
la reconnaissance entre Juifs et Arabes. Cette impossibilité s’exprime par une rhétorique
basée sur les termes suivants : guerres, représailles, attentats, enlèvements, conquêtes,
expropriations, expulsions, bannissements, destructions, bouclages, interdictions,
extrémismes, intolérances, fanatismes. Autant de mots, une fois instrumentalisés, qui
provoquent des tensions en dehors même de la région du Proche et du Moyen-Orient. En
outre, les cartes utilisées dans les manuels d’histoire et de géographie ne mentionnent
nullement Israël, remplacé par la Palestine, territoire encore considéré comme entièrement
unifié.
La première et la seconde guerre mondiale occupent une place importante dans les
manuels d’histoire. Dans l’analyse de leurs causes et de leurs conséquences économiques,
politiques, sociales et culturelles, il est montré à l’élève la difficulté, voire l’impossibilité
de vivre ensemble même au sein de pays à haut niveau de développement. Les minorités,
représentant le différentialisme religieux, culturel et idéologique, ont été persécutées au
nom de la supériorité raciale, ce qui témoigne du refus de l’autre, présenté comme
menaçant car différent.
Comme on peut le constater, les manuels ne font aucune allusion aux différentes
guerres internes au pays qui ont opposé les tribus berbères au pouvoir central. En effet, le
territoire marocain a connu des conflits internes (conflits de pouvoirs et/ou sur le pouvoir)
qui ont multiplié les frontières entre les régions de montagne et de plaine, entre les espaces
sous contrôle étatique et d’autres espaces appelés pays de la désobéissance, d’où une
discontinuité territoriale avec une multiplication de lieux de communication homogènes,
fragmentés et fermés à l’instar des régions de l’Atlas. Cette évacuation des dissymétries
relationnelles endogènes a pour but de donner du Maroc l’image d’un pays paisible, où la
population vit en toute symbiose et sans anicroches.
ABSENCE D’ENSEIGNEMENT SUR L’AFRIQUE SUBSAHARIENNE
Les manuels d’histoire et de géographie situent le Maroc au nord-ouest de l’Afrique.
Cependant, cette appartenance à l’Afrique ne se concrétise pas par une étude de pays
d’Afrique subsaharienne, exception faite de la République démocratique du Congo et du
Kenya. En effet, les élèves marocains n’ont aucune connaissance sur des pays comme le
Sénégal, le Nigéria, la Côte d’Ivoire ou le Cameroun. Deux questions se posent alors :
- Est-ce que l’ancrage territorial dans un continent peut signifier l’appartenance à sa ou à
ses cultures ?
- Le fait de ne pas enseigner les pays d’Afrique subsaharienne, exception faite de la
République démocratique du Congo et du Kenya, n’augmente-t-il pas la distance
culturelle des élèves marocains avec ces pays ?
Faire partie, appartenir, être enraciné, être ancré en Afrique ne suffisent pas à rapprocher
les Marocains des autres Africains, ni à leur rappeler leur africanité. Ces mots demeurent
insignifiants, car à l’école, rien n’est appris sur ce qui fait l’Afrique, notamment son
histoire, sa population, sa diversité ethnique, ses mythes fondateurs, sa ou ses mémoire(s)
collectives(s), son foisonnement culturel, ses langues, ses modes de penser, de faire et de
vivre, ses pratiques religieuses. Ignorer le proche et s’intéresser au plus lointain modifient
45
l’échelle des distances, puisque l’élève marocain se sent plus proche - par ses
connaissances - des cultures européenne et américaine que d’une quelconque culture
africaine inconnue.
Vivre ensemble avec les autres Africains sans rien connaître d’eux, paraît difficile.
Par conséquent, les auteurs des manuels d’histoire et de géographie doivent corriger cette
flagrante absence d’enseignement sur l’Afrique subsaharienne, exception faite de la
République démocratique du Congo et du Kenya, car il est inconcevable de faire
comprendre à un élève qu’il est africain alors qu’il n’a aucune connaissance historicoculturelle, ni géographique de ce vaste continent.
RÉFÉRENCES
Ministère de l’éducation nationale. 1994. Histoire. Première année du secondaire, Rabat, Maroc.
Ministère de l’éducation nationale. 1994. Géographie. Première année du secondaire, Rabat, Maroc.
Ministère de l’éducation nationale. 1994. Histoire. Deuxième année du secondaire, Rabat, Maroc.
Ministère de l’éducation nationale. 1994. Géographie. Deuxième année du secondaire, Rabat, Maroc.
Ministère de l’éducation nationale. 1994. Histoire. Troisième année du secondaire, Rabat, Maroc.
Ministère de l’éducation nationale. 1994. Géographie. Troisième année du secondaire, Rabat, Maroc.
Ministère de l’éducation nationale. 1994. Histoire. Quatrième année du secondaire, Rabat, Maroc.
Ministère de l’éducation nationale. 1994. Géographie. Quatrième année du secondaire, Rabat, Maroc.
ENGLISH SUMMARY
In Morocco, the teaching of history and geography is designed to build upon the colonial past ant to
strengthen social cohesion. The study of history and geography textbooks shows us that ideology has had an
influence on the way they are taught. These books accept the existence of a unique Arab/Moslem identity
within which different Berber identities are dissolved, in order to unify the multitude of ethnic components
making up Moroccan society. The national territory is presented as a grouping of villages and regions and its
interpretation is based on a sequence of geographical scales moving from the local to the global, while
completely ignoring Africa South of the Sahara. The history textbooks make no mention of internal
imbalances, so that Morocco appears as a peaceful country in which the population lives in perfect harmony.
RESUMEN ESPAÑOL
En Marruecos, la enseñanza de la historia y de la geografía apunta a liberarse de su pasado colonial y a
reforzar la cohesión social. El estudio de los manuales de historia y de geografía muestran que la ideología
es importante en el tratamiento de las materias. Las obras reconocen la existencia la sola identidad árabemusulmana en el seno de la cual son disueltas las diferentes identidades bereberes, con el fin de atomizar los
particularismos de los múltiples componentes étnicos que caracterizan la sociedad marroquí. El territorio
nacional está presentado como un conjunto de localidades y regiones, la interpretación está basada sobre la
jerarquía de las escalas geográficas pasando de las escalas locales a las mundiales, así ocultando la
enseñanza sobre Africa subsahariana. Los manuales de historia evacuan las asimetrías relacionales
endógenas con el fin de darle a Marruecos la imagen de un país apacible en el cual la población vive en
perfecta simbiosis.
46
CHAPITRE X
Devoir et vouloir vivre ensemble :
les enjeux de la citoyenneté chez les jeunes
au Sénégal
Cissé Kane
Université d’Utrecht
INTRODUCTION
Le socle sur lequel se bâtit le « vouloir vivre ensemble » à travers l’enseignement de
l’histoire et de la géographie au Sénégal est constitué par l’affirmation des principes de
souveraineté et d’indépendance du pays, partant des frontières héritées de la colonisation.
Après la douloureuse période de la colonisation, il fallait coûte que coûte offrir au peuple
sénégalais l’image d’un Sénégal souverain, indépendant, aux contours spatiaux clairs et
sans équivoque et doté de toutes les caractéristiques d’un État au sens moderne du terme.
Cela se manifeste notamment à travers les ouvrages que nous avons consultés,
d’enseignement de l’histoire et de la géographie. Mais au-delà de cette facette de la
citoyenneté, on est en présence d’autres logiques qui gouvernent le « devoir et le vouloir
vivre ensemble » des jeunes, logiques qui ne manquent pas d’imprimer leur marque sur
cette « citoyenneté originelle ». Avant d’en arriver à ces nouvelles logiques, nous
essayerons d’analyser dans ce texte le contenu de deux manuels d’enseignement de
l’histoire et de la géographie au Sénégal.
L’HISTOIRE
L’accession du Sénégal à l’indépendance le 4 avril 1960 et son adhésion à l’ONU
marquent l’histoire du Sénégal enseignée aux jeunes. Ces événements sont précédés d’un
certain nombre de chapitres qui constituent les péripéties plus ou moins douloureuses de la
longue histoire du contact entre l’Afrique en général, le Sénégal en particulier (ou la partie
de l’espace ouest africain qui y correspondait) et l’Occident.
Un chapitre important de l’écriture de cette histoire est constitué par l’affirmation
de l’African Personnality. Cet épisode démarre généralement avec l’insistance sur
l’Africanité de la civilisation égyptienne « grâce à laquelle notre continent a donc participé
très tôt et de façon décisive à l’enrichissement du patrimoine culturel de l’humanité »
(Thiam et Ndiaye, 1976). Ce chapitre se poursuit par l’exaltation des grandes entités
politico-étatiques qui ont fleuri dans cette partie du continent africain à partir du début de
l’ère chrétienne. Il s’agit entre autres de l’Empire du Ghana (Ier et IIe siècle après J.-C.), de
l’Empire du Mali (XIII-XVe siècle), l’Empire Songhoï (XVIe), pour ne citer que les plus
importants. À côté de ces entités, plusieurs formations étatiques se sont développées plus
tard (plus précisément dans l’espace sénégalais actuel) dont celles du Fouta, du Djolof, du
Baol, du Cayor, du Walo Brack, du Sine, du Saloum, du Boundou, etc.
Le deuxième axe est constitué par la tumultueuse période de contact avec l’occident
qui, pendant quatre siècles et au-delà, a fortement marqué le cours des événements dans
cette partie du monde. Les différents temps forts de cette partie de l’histoire sont :
47
•
Les premiers contacts entre l’Afrique et l’Occident (apparition des comptoirs, traite
négrière et peuplement de l’Amérique, capitalisme en Europe).
• La colonisation (l’arrivée des explorateurs, la conquête).
• Les résistances et les indépendances.
Un accent particulier est mis, dans cette partie, sur les entités politiques (et les dirigeants)
contemporaines de la colonisation : les résistances apparaissent comme un moment fort,
héroïque, d’affirmation de soi, de refus de la domination étrangère et de lutte contre
l’envahisseur. Cette façon de voir qui est résolument privilégiée, présente ces rois Buurs
du Sine et du Saloum, Damels du Cayor, Brack du Walo Almamy du Fouta (etc.), comme
des héros qui préfigurent déjà l’idée de défense du territoire sénégalais (même s’il n’existe
pas encore dans ses limites actuelles) et l’image d’un Sénégal qui a toujours refusé
énergiquement la colonisation. Les figures de proue de ces résistances, entres autres ;
Elhadj Omar Tall, Lat Dior Ngoné Latyr Diop, Alboury Ndiaye, Ma Ba Diakhou Ba, sont
connues et adulées par tous les jeunes écoliers. Voyons ce qu’en disent Thiam et Ndiaye :
Le Sénégal terre de patriotisme.
Le Sénégal qui fut la première colonie française en Afrique noire, et à ce titre, aurait du être l’une des plus
soumises a été pourtant celle où la résistance s’est affirmée avec le plus d’acharnement. Cette résistance a
été menée par les populations sous la conduite éclairée de chefs illustres comme Elhadj Omar, Lat Dior
Diop, Alboury Ndiaye, héros au courage indomptable, animés d’un patriotisme ardent pour défendre la
terre de leurs ancêtres jusqu’au sacrifice de leur vie. C’est pourquoi leur souvenir sans cesse magnifié par
les griots et les historiens, représente pour chaque Sénégalais un motif de fierté. (p. 106)
L’indépendance du Sénégal et ses artisans prennent ensuite le relais pour forger le concept
d’État-nation, socle de la vie commune. Cela est illustré par le grand écho donné à la lutte
pour l’indépendance. Ses héros ont pour noms (entres autres) Blaise Diagne (1er député du
Sénégal et de l’Afrique au Parlement français en 1914), Galandou Diouf, Lamine Gueye
Mamadou Dia et Léopold Sédar Senghor (futur premier président du Sénégal
indépendant).
Pendant cette période de reconquête de la souveraineté, les mouvements de
libération nationale trouvent à travers le concept de négritude (concept de réaction des
peuples noirs contre la volonté assimilatrice de la culture et de la civilisation fondé par
Senghor, Aimé Césaire et Léon Damas) l’arme qui permet de faire cause commune en
enjambant (au-delà de l’Afrique) les frontières qui séparent les peuples noirs dominés.
Cela permet de donner à la lutte pour l’indépendance son caractère héroïque et sa forte
charge émotionnelle. C’est aussi le lieu de rappeler la filiation avec les frères noirs
américains luttant pour leurs droits civiques avec W. E. Dubois et Marcus Garvey. Ce
combat politique gagne aussi en ampleur avec la multiplication des fronts sur le plan
intellectuel, syndical et même estudiantin (naissance de la revue Présence Africaine en
1947).
L’hymne national, le drapeau national et la devise (Un Peuple, Un But, Une Foi)
viennent compléter ce tableau historique et cimenter l’image du jeune État indépendant,
pays de la Téranga (hospitalité en Wolof). Cette perspective installe déjà dans l’imaginaire
des jeunes élèves l’idée d’un Sénégal qui, de concert avec le monde noir tout en entier, a
résisté et combattu pour acquérir sa souveraineté.
LA GÉOGRAPHIE
Elle apparaît comme le pendant naturel de ces schémas qui au niveau de l’histoire, ont
servi pour concevoir l’image du Sénégal en tant qu’entité, puisqu’elle a besoin d’une
assise territoriale. Aussi, c’est cet espace consacré par le congrès de Berlin (de partage de
l’Afrique entre les puissances coloniales en 1884-85) qui sera porté aux nues pour servir
48
de support aux schèmes historiques. L’empire d’Elhadj Omar dépassait de loin le cadre
actuel de même que plusieurs entités politiques se sont développées à partir des groupes
ethniques dominants, sans forcément avoir la conscience d’une nation comme cela
transparaît dans les manuels. C’est ainsi que le Walo Brack ou le Fouta enjambaient aussi
allègrement les frontières héritées de la colonisation pour s’étendre de part et d’autre du
fleuve Sénégal.
Ainsi, fort de cette assise historique, le jeune élève devra aussi retenir : que la
République du Sénégal, avec une superficie de 197 161 km2 est entourée au nord par la
République Islamique de Mauritanie, au sud par la Guinée Bissau et la République de
Guinée, à l’est par la République du Mali et à l’ouest par l’océan Atlantique (toutes ces
entités étatiques sont nées, comme elle, de la colonisation) ; qu’elle entoure la République
de Gambie, petit État enclavé de 10 300 km2, traversé par le cours inférieur de la rivière
du même nom ; qu’elle est composée de régions et de départements dont le nombre n’a
cessé d’augmenter (actuellement respectivement 10 et 31) ; qu’elle est composée de Wolof
(principalement dans l’Ouest et le Nord-Ouest), de Pulaar (dans la vallée du fleuve
Sénégal et dans la Ferlo), de Sereer (dans les régions de Thiès et du Sine Saloum), du
groupe Casamançais (Joola, Baïnouk, Manjak, Mankan, Balante) et de petits groupes
comme les Lébou du Cap vert ; les Bassari du Sénégal Oriental les Sarakhollé, les
Mandingue, les Malinké, et les Bambara. Bien qu’identifiées à des territoires
d’enracinement, les ethnies se sont beaucoup dispersées dans tous les coins du pays,
notamment en ville et, pour la plupart, se retrouvent aussi dans les pays voisins. Elles n’en
gardent pas moins un sens élevé de leur enracinement local. Cette dernière qui trouve ses
racines dans les vicissitudes de l’histoire, permet aussi à ces peuples de vivre moins en
conflit qu’en bonne intelligence. En atteste le cousinage, véritable catharsis sociale aux
sein des groupes ethniques ou entre groupes ethniques. L’un des plus fameux est celui
existant entre Sereer et Toucouleurs. Cette assise territoriale est dotée de caractéristiques
religieuses ; elle est composée de plus de 90 % de Musulmans et de 5 % de Chrétiens.
L’enseignement traite ensuite de l’aspect naturel du pays (où l’hydrographie a une
place importante avec les quatre cours d’eau que sont le Sénégal, le Saloum, la Casamance
et la Gambie) : relief, climat, végétation et ressources (principalement agricoles,
halieutiques minières et touristiques) réparties dans cette entité.
Ce que la géographie laisse ainsi apparaître de fort, c’est un État aux contours aussi
bien naturels, que linguistiques, politiques et territoriaux très précis, servant d’assiette au
substrat historique présenté plus haut. Il se pose alors la question des solidarités culturelles
et linguistiques, principalement lorsqu’elles dépassent les frontières. C’est notamment le
cas sur toutes les frontières terrestres du Sénégal où les communautés linguistiques ont des
prolongements dans les États voisins. Il en est d’ailleurs de même dans la plupart des
nouveaux États africains dont les nouvelles frontières n’épousent presque jamais ces
solidarités culturelles.
NOUVELLES CITOYENNETÉS ET PERMANENCES
DU « DEVOIR VIVRE ENSEMBLE »
Outre le fait de s’interroger sur la portée réelle de ces présentations livresques du Sénégal
(taux d’analphabétisme élevé), cette image du « devoir vivre ensemble » présentée dans
les programmes scolaires est fortement influencée par l’évolution de la répartition de la
population et des ressources du Sénégal. C’est ainsi que cette citoyenneté enseignée est
sérieusement mise à mal par la dualité ville/campagne et par le rôle majeur de Dakar en
tant que pilier du développement d’une identité « monde ».
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L’aménagement de l’espace sénégalais par le truchement de l’histoire coloniale a en
effet permis à certaines populations, les citadins (principalement ceux de Dakar), de
bénéficier des investissements et des infrastructures héritées de la colonisation. Les
faveurs politiques ont successivement jeté leur dévolu sur Dakar, après Gorée, Rufisque et
Saint louis, première capitale de la colonie du Sénégal fondée en 1659.
La dualité ville/campagne, ainsi créée, est le symbole d’inégalités territoriales, ayant
une forte influence sur l’appréhension et la représentation des espaces, et sur celle du
« vouloir vivre ensemble » dans le territoire sénégalais.
Déjà avant l’indépendance, ces privilèges ont permis aux populations résidant dans
les communes de Dakar, Gorée Rufisque et Saint Louis d’avoir le statut de citoyens
français, ce qui a créé un sentiment de frustration, d’exclusion et d’envie de la part des
autres populations et qui explique en partie l’exode vers Dakar).
Les différences d’équipement en infrastructures, ou même d’accès à l’éducation ou à
l’emploi, ont malheureusement continué à creuser l’écart entre ce que l’on a aussi appelé
Dakar et le désert sénégalais, par référence à la formule de Gravier (1947). Elles posent en
effet de sérieux défis à l’impact que pourrait avoir ce « devoir vivre ensemble », même si
elles peuvent être relayées par la conscience populaire et la société sénégalaise.
Après l’indépendance, Dakar a continué à bénéficier de la faveur des
investissements. À cause de ces inégalités spatiales en faveur de Dakar, il y a eu un grand
développement de l’exode rural (recherche d’emploi, mais aussi peut-être désir d’habiter
en ville ?). Ainsi, le pays est divisé en deux avec d’un côté Dakar, fortement marquée par
son poids dans l’espace national, par la force de ses relations avec l’extérieur, par sa
modernisation, et de l’autre, le monde rural. Cela permet de distinguer l’urbanité et la
modernité de Dakar de la ruralité et de l’archaïsme des villes du reste du pays. Ces
oppositions viennent se superposer aux substrats livresques et brouiller l’image voulue
homogène, du « vouloir-vivre ensemble ».
À côté des sentiments de frustration que peuvent créer ces inégalités territoriales, il y
a le pouvoir démesuré du vaste monde dans lequel Dakar va entrer en conflit avec cette
volonté de forger un sentiment national. Dakar est le lieu de tous les pouvoirs, de toutes
les convoitises parce que c’est le lieu à partir duquel on est branché sur le vaste monde et
qui sert de relais pour permettre un deuxième type de brouillage de la « sénégalité ». Ce
sont précisément les jeunes qui représentent le laboratoire le plus visible de ces mutations,
pris en tenaille entre l’enracinement et l’ouverture, thème cher à Senghor. Face à la
« sénégalité », à l’africanité, à la négritude, la mondialisation, la globalisation, fortement
véhiculées par les médias (dont l’effet ne fera que s’accroître avec Internet), ne finira-telle pas par fabriquer d’autres types de citoyens du monde ? On est tenté de répondre par
l’affirmative tant ces jeunes, qui ressemblent décidément plus à leur temps qu’à leur père,
s’éloignent de plus en plus de ces préceptes que l’on trouve dans les manuels.
Un certain nombre de travaux se sont penchés sur l’identité des jeunes. Il en résulte
l’émergence de nouvelles expressions d’identités, notamment urbaines caractérisées par la
conscience et l’affirmation de l’appartenance à un quartier, à un groupe précis qui rappelle
les gangs dans les villes américaines.
Tout en se reconnaissant à travers le prisme social dans les grandes figures
historiques (politiques et religieuses), ces jeunes sont de plus en plus attirés par les
nouvelles formes de citoyenneté universalisantes du vaste monde. Cette nouvelle vague
trouve bien entendu des résistances avec la force des traditions. En effet, comme le note H.
de Reboul (1992) :
Les comportements culturels de types lignagers, d’intégration dans le groupe familial élargi, de distribution,
de pratiques religieuses... ont été préservés car ils procurent une sécurisation que l’État n’a pas été en mesure
50
d’offrir. Cet élément permet à des pratiques traditionnelles de résister à la modernisation et aux influences
extérieures (p. 75).
On peut néanmoins s’interroger sur la force actuelle de ces résistances, tant les
sollicitations extérieures sont grandes, et tant les sympathies voire les adhésions à ces
sollicitations sont massives. Si des constats sur ces résistances nous ont été permis dans le
cadre de nos recherches à travers l’adhésion des jeunes (16 %) à des associations
religieuses (Dahiras), il y a aussi, le développement du sport (football et basket) dans les
activités des jeunes (Association Sportives et Culturelles), l’usage d’un vocabulaire où
l’influence traditionnelle du français est de plus en plus renforcée par celle de l’Anglais,
expressions de manières de vivre importées. C’est ainsi que les plages de Dakar portent
désormais des noms comme Beverly Hills, ou Monaco plage, et que des lutteurs
s’appellent Tyson. Évoquant le parler des jeunes à Dakar, M. Ndiaye écrit :
Les jeunes sénégalais des villes ont commencé dès les années 1980 à développer un goût pour l’usage d’un
Wolof truffé d’anglicismes - un anglais des communautés noires de leurs frères afro-américains de
Brooklyn, Atlanta, Miami. (...) C’est que le Sénégal d’aujourd’hui subit, surtout dans les milieux jeunes, une
mode inconsidérée de l’anglicisme sans doute sous l’influence du cinéma, de la télévision, de la musique et
du sport (le basket-ball notamment). Cela se traduit directement chez les jeunes par l’envie de s’habiller, de
parler, de consommer de se divertir comme les gens connus et admirés. Dès lors, Carl Lewis, Mike Tyson,
Michael Jordan, Spike Lee, Michael Jackson sont des modèles qu’il faut imiter jusque dans les moindres
faits et gestes (1995, 7).
Les jeunes affirment aussi cette identité monde dans la vie de tous les jours à travers la
mode vestimentaire, la musique (profusion de groupes de rap) et les mouvements
associatifs, d’investissements humains comme le Set Setal*. Autant d’expressions du mal
de vivre des jeunes que de leurs frustrations et de leur recherche d’idéal qui transparaissent
notamment à travers les fresques murales.
CONCLUSION
Le cadre dessiné par l’enseignement de la citoyenneté au Sénégal à travers l’apprentissage
de l’histoire, subit ainsi bien des convulsions chez les jeunes. Cela, en raison de l’action
conjuguée des inégalités territoriales, du mauvais développement et de la mauvaise
urbanisation, mais aussi et surtout des influences extérieures « mondialisantes » qui
trouvent en ces jeunes en mal de repères et toublés par les appels de l’enracinement d’une
part, et de l’ouverture d’autre part, un terreau fertile et un réceptacle de choix. Ce que nous
inspire cette situation c’est la portée de ces nouvelles citoyennetés si tant est qu’elles
soient bien ancrées au sein de la jeunesse sénégalaise. Elles remettent en tous cas
d’actualité ces questionnements du chef des Diallobés dans ; L’Aventure ambiguë de
Cheikh Hamidou Kane (1961) :
Si je leur dis d’aller à l’école ils iront en masse. Ils y apprendront toutes les façons de lier le bois au bois que
nous ne savons pas. Mais, apprenant, ils oublieront aussi. Ce qu’ils apprendront vaut-il ce qu’ils oublieront ?
Je voulais vous demander : peut-on apprendre ceci sans oublier cela, et ce qu’on apprend vaut-il ce qu’on
oublie ? (44).
Plus loin La grande Royale proposait aux Diallobés :
*
Opération massive et spontanée des jeunes de Dakar qui a consisté en une campagne de nettoyage des
quartiers et de fresques murales au début des années 1990.
51
L’école où je pousse nos enfants tuera en eux ce que nous aimons et conservons avec soin à juste titre. Peut
être notre souvenir lui même mourra-t-il en eux. Quand ils nous reviendront de l’école, il en est qui ne nous
reconnaîtront pas. Ce que je propose c’est que nous acceptions de mourir en nos enfants et que les étrangers
qui nous ont défaits prennent la place que nous aurons laissée libre » (57).
La réalité aujourd’hui est qu’au-delà de l’école, ces expressions des nouvelles citoyennetés
émanent de la jeunesse toute entière.
RÉFÉRENCES
-
-
Chamard, P. C. ; Sall, M. 1973. Le Sénégal Géographie. Dakar-Abidjan, Nouvelles Éditions Africaines.
De Reboul, H. 1992. Villes inventées, villes rêvées : expressions culturelles, valeurs et représentations
des jeunes in Actes du colloque - Jeunes, Ville, Emploi. Quel avenir pour la jeunesse Africaine ? Paris,
Ministère de la coopération et du Développement, pp. 75-81.
Dièye, A. S. 1996. Génération Surumelet, in Sud Quotidien n° 1001 du samedi 10 août, p. 2.
Enda. 1991. Set Setal : des murs qui parlent, nouvelle culture urbaine à Dakar. Dakar, Enda diffusion.
Gravier, J.-F. 1947. Paris et le désert Français. Paris, Le portulan.
Kane, C. H. 1961. L’aventure ambiguë. Paris, Editions Julliard.
Ndiaye, M. 1995. Nouveau parler des jeunes, le Wolof est-il le paradis de l’emprunt lexical ?, in Walf
Fadjri l’aurore ; numéro 1042 du mercredi 6 Septembre, p. 7.
Thiam, I. D. ; Ndiaye, N. 1976. Histoire du Sénégal et de l’Afrique. Sénégal, Nouvelles Éditions
Africaines.
ENGLISH SUMMARY
In Senegal, following the country’s independence there is a keen desire to create and identify the Nation
State that is to be achieved by asserting the new sovereignty on the basis of the frontiers inherited from
colonialism. Geography teaching presents a State with distinct natural, linguistic, political and territorial
frontiers serving as a platform for history teaching. The concept of ‘learning to live together’ presented in
the curriculum is strongly influenced by the way the population and the resources of Senegal are distributed,
particularly the disparity between the town and the country. These territorial differences are an obstacle to
the introduction of the concept of ‘wanting to live together’ and set in motion, under the influence of global
trends, new identities among young people, such as the need to belong to a particular part of town, leading to
the emergence of new type of citizenship.
RESUMEN ESPAÑOL
En Senegal, al ardiente nacesidad de fundar y de identificar el Estado-nación está ligada a la información de
un territorio, un nueva sobreanía y a la independencia del país partiendo de las fronteras heredadas de la
colonización. La enseñanza de la geografía deja aparecer un Estado de contornos naturales, lingüísticos,
políticos y territoriales muy precisos sirviendo de plato al sustrato histórico. La imágen de "vivir junto"
presentada en los programas escolares está fuertemente influenciada por la evolución de la repartción de la
población y de los recursos de Senegal haciendo aparecer la dualidada campo/ciudad. Las disparidades
territoriales constituyen un obstáculo al poner en la obra el concepto "querer convivir " y engendra bajo la
influencia de corriente mundialización, nuevas formas de identidad en los jóvenes, caracterizadas por la
afirmación de la pertenencia a un barrio y hacen emerger los nuevos ciudadanos.
52
CHAPITRE XI
Apprendre à vivre ensemble grâce à
l’enseignement de l’histoire et de la géographie
au Burundi : idéal et limites
Angelo Barampama
Université de Genève
INTRODUCTION
Venant d’un pays et d’une région qui sont régulièrement en conflits causant des milliers de
mort, un pays et une région où « vivre ensemble » semble devenir de plus en plus une
gageure, j’ai été heureux de recevoir l’invitation à ce colloque et de me voir convier à
participer à la table ronde du colloque BIE-Université de Genève.
« Apprendre à vivre ensemble grâce à l’enseignement de l’histoire et de la
géographie », bel idéal s’il en est un et belle initiative de la part des organisateurs. Mais,
dans le contexte - ou plutôt les contextes - de l’Afrique du XXe siècle finissant, caractérisé
un peu partout par de multiples tensions et des conflits plus ou moins graves, cela est-il
possible ? Ou bien est-ce là un vœu pieux d’intellectuels rêveurs ? Est-ce quelque chose
qui se vit au quotidien par ceux qui transmettent la connaissance dans les deux
disciplines ? Quelque chose de voulu réellement par les différents acteurs qui
interviennent dans la pratique du métier de l’enseignement de ces matières ?
QUELQUES QUESTIONNEMENTS DE DÉPART
« Apprendre à vivre ensemble grâce à l’enseignement de l’histoire et de la géographie ».
Tel qu’il est formulé, le thème proposé à notre réflexion pose plusieurs questions. Avant
d’en voir certains aspects, en les confrontant à la réalité burundaise, j’aimerais faire
quelques observations sur l’intitulé lui-même.
Vivre ensemble
- Où ?
Certainement sur une portion d’espace donnée, par rapport à laquelle entrent en jeu
plusieurs notions telles que celles de relation(s), de pouvoir et de passé (plus ou moins
communs) ;
- Entre qui et qui ?
Entre nationaux (citoyens d’un même pays), entre nationaux et étrangers, entre gens de
conditions et de milieux plus ou moins différents ;
- Dans quelle(s) situation(s) ?
Dans des situations qui peuvent être de paix ou de confrontation, d’abondance ou de crise
(misère) ; situation de richesse matérielle ou de pauvreté, de développement ou de sousdéveloppement.
Apprendre à vivre ensemble
Qui dit « apprendre » laisse entendre qu’il y a un processus d’apprentissage, de
communication entre un émetteur (l’« enseignant ») et un récepteur (l’« enseigné »).
53
Comme il s’agit d’un enseignement par la voie formelle, cela signifie que la transmission
de l’apprentissage de la vie en commun ne concerne, au Burundi, comme dans beaucoup
de pays de l’Afrique subsaharienne, que la tranche de la population qui accède à l’école
secondaire et aux études supérieures. Ce qui est peu par rapport à l’ensemble de la
population. En effet, d’après le Rapport Mondial sur le Développement Humain 1997, le
taux brut de scolarisation (tous âges confondus) était, au Burundi, de 31 % en 1994 contre
11 % en 1980. Au niveau de l’Afrique subsaharienne, ce taux était de 39 % en 1994 et
1980, ce qui signifie que les progrès enregistrés dans quelques pays ont été annulés par les
reculs ou les stagnations enregistrés dans d’autres.
Apprendre … par l’enseignement de la géographie et de l’histoire
Qu’il s’agisse de la géographie, de l’histoire ou de toute autre discipline, la transmission
de la connaissance est faite par une personne habilitée par une autorité et une institution
compétente. Dans le cas du Burundi (et de l’Afrique en général), ce vecteur de
connaissances permettant de vivre ensemble est loin d’être libre. Il est généralement
soumis à des contraintes d’ordre institutionnel qui ne lui permettent pas d’œuvrer
librement. Depuis le milieu des années 60 jusque très récemment, la plupart des pays
africains ont vécu sous des régimes de parti unique de facto ou de juré, caractérisés par
une forte centralisation des institutions nationales. L’un des soucis majeurs de ces régimes
politiques, était d’assurer la légitimité des dirigeants arrivés au pouvoir généralement par
des coups d’État plus ou moins sanglants et d’assurer l’« unité nationale ». Souvent
l’enseignement de l’histoire et de la géographie se ramenait alors à des cours de
« civisme » ; certains sujets devenaient tabous parce que considérés comme risquant de
mettre en danger cette unité tant recherchée, dont J. Ki-Zerbo disait en 1972 « donnonsnous l’unité et nous ferons décoller l’Afrique »1.
Une note de vécu personnel
C’est dans ce contexte que j’ai vécu au début des années 70 la petite expérience que
j’aimerais partager avec vous en guise d’introduction immédiate à ma réflexion. À
l’époque j’enseignais la géographie et l’histoire dans l’équivalent d’un cycle d’orientation.
Malgré les multiples changements survenus dans les programmes après l’indépendance du
Burundi (1er juillet 1962), les programmes, comme les manuels, nous rapprochaient
davantage de l’époque coloniale que de la révolution prônée par les résolutions des
ministres de l’éducation nationale lors des conférences africaines.
L’histoire et la géographie que mes collègues et moi avions à enseigner étaient
plutôt européo-centrées qu’africano-centrées et encore moins burundo-centrées. C’était en
quelque sorte le programme métropolitain d’avant l’indépendance revu et adapté à la
sauce des indépendances africaines. La matière proposée permettait de bien connaître le
monde extérieur (européen et américain principalement et africain accessoirement), mais
pas le « monde local et régional ». Au terme de la filière longue de l’école secondaire (de
la septième à la terminale), comme par exemple celles des « humanités classiques »
(greco-latine ou latin-sciences), l’élève sortait avec une très bonne connaissance de
l’histoire romaine, de l’histoire grecque ou égyptienne et moyen-orientale, de l’histoire et
de la géographie de la France, de la Belgique ou de la République Fédérale d’Allemagne
ou des États-Unis d’Amérique. En revanche, il ne recevait pratiquement aucun
enseignement sur l’histoire et la géographie de son pays et des pays voisins.
Dans un sens, cette connaissance du monde extra-africain était donc un bon prélude à une
plus grande ouverture sur le monde et, de ce fait, un facteur favorisant la vie en commun
entre les jeunes burundais et les citoyens des régions étudiées. Là où le bas blessait - et
1
Ki-zerbo, J. 1972. Histoire de l’Afrique noire. D’hier à demain. Paris, Hatier, p. 607
54
blesse encore aujourd’hui -, c’est par rapport à la question de « vivre ensemble » entre
Burundais. Sur ce plan, l’enseignement prodigué était loin d’être approprié, et les choses
ne semblent pas avoir beaucoup changé aujourd’hui, en dépit des apparences. Alors que
les programmes ne le prévoyaient pas, j’avais introduit dans mes cours une tranche de
quelques cinq minutes au début ou à la fin de chaque leçon. Ces minutes étaient
consacrées à ce que les élèves et moi appelions le « temps des informations générales », au
cours duquel je donnais les nouvelles glanées ici et là, à la radio et dans les quelques rares
journaux ou revues qui nous parvenaient dans le coin où nous nous trouvions.
À l’époque, la lutte contre l’apartheid en Afrique du Sud et la décolonisation de
l’Afrique australe en général, étaient des sujets à l’ordre du jour de l’OUA. Lorsque nous
parlions de la situation en Afrique du Sud, les élèves avaient de la peine à imaginer que les
Blancs de ce pays avaient les mêmes droits que les Noirs et pouvaient prétendre à vivre
dans ce pays. Pour eux, les Blancs n’avaient qu’à « retourner chez eux ». À la question
« chez eux, où ? », les élèves répondaient : « en Europe ». Je leur faisais remarquer ensuite
que la plupart de ces Blancs étaient aussi natifs d’Afrique du Sud et avaient le droit de se
réclamer de ce pays au même titre que les Noirs, leurs ancêtres y étaient arrivés depuis
quatre siècles. Les élèves ouvraient alors de grands yeux, avant de conclure par « quoi
qu’il en soit, il faut qu’ils retournent chez eux ! ». La situation sud-africaine était
intéressante pour l’enseignant burundais de l’histoire et de la géographie que j’étais. Car, à
quelques nuances près, elle reflétait celle de mon pays. Ceux de mes élèves qui étaient les
plus inconditionnels pour « renvoyer chez eux » les racistes Blancs d’Afrique du Sud ne se
posaient pas la question de ceux de leurs parents ou connaissances qui pratiquaient le
même ostracisme envers leurs concitoyens burundais de l’ethnie opposée. Solidarité
ethnique et/ou familiale obligeait !
À l’époque comme aujourd’hui, il était tabou de parler de la question des ethnies
dans le pays et des problèmes qui s’y rapportaient. Ce seul petit moment d’« informations
générales » nous permettait de nous ouvrir sur le monde africain mais aussi de faire des
allusions, très mesurées certes (pour éviter l’emprisonnement - si ce n’est la mort - pour
« comportement subversif et contre-révolutionnaire »). Pourtant, il fallait et il faut encore
aujourd’hui parler de ces choses, surtout dans le cadre de l’enseignement de l’histoire et
de la géographie.
APPRENDRE À VIVRE ENSEMBLE GRÂCE À L’ENSEIGNEMENT
DE LA GÉOGRAPHIE ET DE L’HISTOIRE AU BURUNDI
Est-il possible aujourd’hui ? Théoriquement oui. Mais concrètement, j’en doute fort.
Depuis le début des années 60 le Burundi est entré dans une série de tensions, de violences
et de conflits meurtriers qui rendent cet apprentissage impossible. À la place d’une vie
« harmonieuse » en commun, s’est instauré un système d’exclusion et d’écrasement
savamment organisé, qui rappelle l’apartheid de l’Afrique du Sud d’avant 1994. Comme
le faisait remarquer le professeur R. Lemarchand, au début des années 70, toute différence
raciale mise à part, la situation la plus proche de celle du Burundi se retrouvait en Afrique
du Sud et en Rhodésie de l’époque. Pour l’auteur, le Burundi était le seul État indépendant
d’Afrique noire à défendre les droits d’une société de « castes » et à fixer le monopole du
pouvoir entre les mains des Tutsi, qui ne représentent que 15 % de la population. Une
suprématie qui s’étendait pratiquement à tous les secteurs, et limitait à la seule minorité
55
dominante, l’accès à la richesse matérielle, à l’éducation et à la participation au pouvoir2,
ainsi que le fait ressortir le tableau 1.
TABLEAU 1. Partage du savoir et du pouvoir entre Tutsi et Hutu au Burundi, de 1929 à
19933
Domaine ou activité
École de Muramvya (transférée
à Gitega en 1928)
Groupe scolaire d’Astrida
(Rwanda-Urundi)
Collège du St Esprit
(Bujumbura)
École Professionnelle
d’Usumbura
Athénée Royal d’Usumbura
Administration du RwandaUrundi
Chefs coutumiers
Dont Burundi
Sous-chefs coutumiers
Dont Burundi
Conseil général
Conseil du territoire (Burundi)
Membres auxiliaires de
l’administration tutélaire
Conseil supérieur du Burundi
Premiers commissaires du
Burundi (futurs ministres)
Gouvernement provisoire
Date
1929
Tutsi
117
Hutu
53
1932
45
9
1933
1934
1935
1945
1946
1947
1948
1949
1953
1954
1959
1956
21
26
41
46
44
44
85
85
68
63
279
135
?
13
11
3
9
12
13
14
19
19
143
67
1956
135
117
1956
1959
67
12
81
36
1050
501
12
112
1
1
50
40
2
26
1959
284
112
9.9.19
30
7
3
2
27.1.1
4
2
60
961
2
Lemarchand, R. ; Martin, D. 1974. Génocide sélectif au Burundi, Minority Rights Group, Rapport n° 20,
Londres, p. 4.
3
D’après Sahwanya-Frodebu : « La crise d’octobre 1993 ou l’aboutissement tragique du refus de la
démocratie au Burundi ». Bujumbura, Éditions Sahwanya-Frodebu, décembre 1994. Sauf mention
expresse, les chiffres représentent des valeurs absolues.
56
1er Gouvernement Muhirwa
Comité central de l’UPRONA
1er Gouvernement
Ngendandumwe.
1962-1963
7
(6
ministres +
1 Secrétaire
d’État)
9.1962
4
5
6
1963-1964
7
7
Domaine ou activité
Gouvernement Nyamoya
Date
1964
Répartition des postes dans la
haute administration sous le
Gouvernement Nyamoya
- Ministres
- Chefs de cabinet
- Directeurs généraux
- Directeurs
- Gouverneurs de Province
- Commissaires d’Arrondissement
- Directeurs parastataux
- Parquets (sans précision de
grade)
- Juges Tribunaux Province
- Juges Tribunaux Résidence
- Corps diplomatique
1964
2ème Gouvernement
Ngendandumwe
1965
Répartition des postes dans la
haute administration
Directeurs généraux
Directeurs
Directeurs adjoints
Armée :
Hommes de troupe
7.1965
6
ministres +
1 Secrétaire
d’État (défense
nationale)
Tutsi
8
6 ministres +
2 Secrétaires
d’État (défense
nationale et
gendarmerie)
8
7
9
34
6
15
13
?
11
5
3
4
4
2
3
0
2
0
66
22
3
5
9
7 ministres +
2 Secrétaires
d’État (Défense
nationale et
gendarmerie)
1965
57
Hutu
5
6
12
36
35
7
14
22
20%
80%
Officiers
Gouvernement Biha
1965
29.9.65
90%
8 (4 ministres +
4 Secrétaires
d’État (armée,
gendarmerie.
Planification et
justice)
58
10%
6
Domaine ou activité
Comité national de la révolution
(Micombero)
1er Gouvernement Micombero
Date
1966
Conseil Supérieur de la République
(Micombero)
Gouvernement Micombero
Conseil Suprême révolutionnaire
(Bagaza)
1er Gouvernement Bagaza
1971-76
3e Gouvernement Bagaza
Comité central de l’UPRONA
Assemblée nationale : 65 députés5
4e Gouvernement Bagaza
Comité militaire de salut national
(coup d’État, Major P. Buyoya)
Armée burundaise
Hommes de troupe
Officiers
Commandants de camps
Gouvernement Buyoya
Gouvernement Buyoya
(après Ntega et Marangara)
4e Gouvernement Buyoya
12.12.66
Tutsi
8
Hutu
4
11 (9 ministres + 1 Chef
d’État-major et 1 Secrétaire
général à la Présidence4)
22
5
14.7.1972 11 (10 ministres +Présidence)
11.1976
30
4
0
1977-78
16 (14 ministres +
2 Secrétaires/État)
1979-80
15
12.79
44
22.10.82
48
8.11.1982
15
1987-90
31
4 (3 ministres +
1 Secrétaire/État
4
4
15
5
0
1987
?
30 ( ?)
2
0
5
11 (10
ministres+1
Secrétaire/État
13
11 ministres + 2
Secrétaires/État
16
?
11 970
398
20
1.10.1987
15
19.10.88
13 (12 ministres +
1 Secrétaire d’État)
2.4.92
12 (11 ministres +
Présidence
Commission constitutionnelle
(membres)
0
3.91
19
Après un quart de siècle, la situation n’a pas changé ainsi que nous le confirme le
professeur V. Bamboneyeho : « nous avons une majorité numérique de la population hutu
qui, à cause de ses conditions sociales, est devenue une « minorité politique » (...) et une
minorité tutsi qui est devenue une majorité politique en termes de pouvoir »6. Ce constat
d’un intellectuel de la minorité Tutsi, ancien secrétaire général du gouvernement et ancien
recteur de l’Université du Burundi, prend toute sa valeur au regard des données chiffrées
sur le partage du savoir et du pouvoir au Burundi depuis le début du XXe siècle, comme le
laissent percevoir les graphiques 1 et 27. Cela d’autant plus que, d’après un autre
4
À partir de 1.1967
Soit 52 élus et 13 cooptés par le président Bagaza.
Les 52 élus se décomposaient ainsi : 39 Tutsi, 11 Hutu et 2 dont l’ethnie n’est pas déterminée. Des 13
cooptés, 9 étaient Tutsi et 4 Hutu
6
Cité par Cervenka, Z. ; Legum, C. 1994. Le dialogue national peut-il briser la puissance de la terreur au
Burundi ? Uppsala, Institut Scandinave des Études Africaines, novembre, p.23.
7
D’après Burundi : un apartheid qui ne dit pas son nom, enquête réalisée par le Front pour la Démocratie au
Burundi. Bujumbura, août 1997
5
59
burundais, ancien chef des services de renseignement, « depuis 1965, les Tutsi au pouvoir
ont décrété (secrètement, bien entendu) de faire accéder le moins possible de jeunes Hutus
aux études plus poussées »8. Cette pratique s’est poursuivie tout au long des années 70 et
80 par le système de signalement des copies des élèves - par des lettres comme “I” pour
Tutsi et “U” pour Hutu - au moment de corriger les copies pour les examens d’entrée dans
le cycle secondaire. Cette pratique était facilitée par les concours et les tests auxquels les
candidats doivent se soumettre pour accéder aux différents échelons de la scolarisation.
Graphique 1
Répartition du pouvoir au Burundi selon les ethnies en août 1997
NOTE A L’IMPRIMEUR : Veuillez insérer ici le graphique n°1 qui se trouve sur la
disquette. « Pouvoir _ethnies 12.6.98 » en le présentant dans la largeur de la page et
non dans la hauteur. Merci.
Graphique 2
Représentation des grands partis politiques dans les organes de
l’État au Burundi en août 1997
NOTE A L’IMPRIMEUR : Veuillez insérer ici le graphique n°2 intitulé « Partis—
Organes politiques » sur la disquette, même présentation, dans le sens de la largeur de
la page et non dans le sens de la hauteur. Merci. Les deux graphiques peuvent être sur
la même page, cela ne pose pas de problème.
Figure 1
Système de passage aux différents stades de l’enseignement au Burundi9
NOTE A L’IMPRIMEUR : Veuillez insérer ici la figure n°1 que vous devrez scanner
préalablement. Il serait souhaitable de diminuer les dimensions de cette figure. Merci
8
9
Kiraranganya, B. 1977. La vérité sur le Burundi. Québec, Éditions Naaman, p. 64.
D’après Ndimira, P.-F. 1995. « Le système éducatif et les processus démocratiques au Burundi » in
Guichaoua et al., Les crises politiques au Burundi et au Rwanda (1993-1994). Lille, Université des
Sciences et Technologies de Lille.
60
De ce fait, les Hutu se retrouvent en infime minorité à l’école secondaire, à
l’université et dans l’armée (particulièrement depuis 1972). Par conséquent, au début des
années 90, l’université du Burundi comptait 700 à 800 étudiants Hutu sur un effectif total
de 4000. De plus, comme à l’armée, certaines facultés ou sections de l’université ont
toujours été réservées de facto aux étudiants de la minorité Tutsi, on se trouve devant un
« apartheid intellectuel » qui s’est encore renforcé en 1995, avec le massacre de dizaines
d’étudiants Hutu de l’Université, et la fuite à l’étranger des survivants. Dans ces
conditions, il est normal que l’on enseigne davantage l’histoire et la géographie des autres
pays ou régions du monde que celles du pays natal. Si toutefois on enseigne l’histoire et la
géographie du pays, on en expurge tout ce qui risque de mettre en cause la suprématie de
ceux qui détiennent le pouvoir. Les manuels et les programmes orientent l’enseignant vers
les hauts faits et les actes des rois d’antan, des grands empires ouest-africains ou sudafricains, des Grands-Lacs en général, de la colonisation, de la lutte pour l’indépendance
et des mérites des pères des indépendances africaines. Tout ce qui glorifie le passé est mis
en exergue.
En revanche, les questions touchant le pouvoir dans le pays, et les relations entre les
ethnies sont tabous. Les manuels qui pourraient y faire allusion sont passés aux oubliettes
voire même brûlés. Aborder les questions relatives aux ethnies est considéré comme faire
de la « politique » et, indirectement, de la subversion ; en fait cela représente une menace
pour la minorité qui détient le pouvoir dans le pays et s’identifie à la nation tout entière.
C’est ainsi qu’il est rare d’entendre parler des migrations des « populations bantu » dont
est issue la plus grande partie de la population burundaise. Car, parler de cet aspect du
peuplement de la région des Grands Lacs revient à reconnaître que, selon toute probabilité,
une autre partie de la population du pays est « venue » de la partie orientale du continent –
à noter que l’on est dans une zone de confluence entre l’est et l’ouest, entre le nord-est et
le sud de l’Afrique.
Carte 1
Migration des populations bantu10
NOTE A L’IMPRIMEUR : Veuillez scanner et insérer ici la carte n°1 intitulée « Étapes
de l’expansion bantu. Il serait souhaitable de la réduire à ½ page.
Cette origine d’une partie des ancêtres de la population burundaise tant contestée par
certains est rappelée par Jean-Pierre Raison dans le volume de la Géographie Universelle
consacré aux régions d’Afrique au sud du Sahara, paru très récemment. La région et son
histoire sont marquées par l’existence d’un fleuve mythique, le Nil qui en tire l’essentiel
de ses eaux (Nil Blanc et Nil Bleu ) et qui a contribué à structurer en partie son
peuplement :
10
D’après Mworoha, E. et al., 1987. Histoire du Burundi. Des origines à la fin du XIXe siècle. Paris, Hatier.
61
Les populations dites « nilotiques », caractérisées à l’origine par l’importance de leurs activités pastorales,
ont gagné le centre de l’actuel Ouganda puis, de là, le Kenya occidental, où elles représentent, avec
notamment les Luo, l’ensemble démographique le plus puissant. Par l’axe du Nil Albert d’autre part, ont
progressé les pasteurs couchites qui, du Bunyoro au pays sukuma, au Rwanda et au Burundi, ont établi leurs
chefferies dans la zone dite « interlacustre »11.
Le débat sur la question des ethnies et de l’origine possible ou probable des populations de
la région est faussé par les interprétations erronées de l’époque coloniale qui ont abouti au
« mythe hamite ». Ce dernier consiste à dire que la composante tutsi est d’origine
« blanche » et descendante de Cham, fils de Noé, ce qui lui confère des qualités
supérieures la prédisposant au commandement et justifie la préséance qui lui a été
accordée dans l’enseignement et l’administration depuis l’époque coloniale. Le débat est
ainsi erroné et l’essentiel est oublié : dans une situation de conflits qui durent depuis des
décennies, comme au Burundi, le plus important est de savoir comment les gens se situent
les uns par rapport aux autres à tel ou tel moment de leur histoire et de mettre le doigt sur
les injustices qui s’y rapportent afin d’y mettre fin. Mais cela ne signifie pas qu’il faille
occulter ou nier certains aspects du passé. Quant à l’argument qui consiste à dire que
traiter de telle ou telle question revient à faire de la politique, il est d’autant plus fallacieux
qu’une discipline comme la géographie ne puisse évacuer le volet politique de son contenu
et de sa pratique. Car, comme le rappelle C. Raffestin :
Toute géographie humaine est politique, (…) dimension rarement assumée par le géographe qui veut bien
jouer le rôle de témoin mais qui refuse généralement de jouer le rôle d’une instance de recours pour ceux
dont la territorialité est menacée, modifiée, voire détruite au nom de finalités dont la nécessité n’est pas
pertinente.
Les faits du monde, lutte des minorités, trafic des ressources, marginalisation, terrorisme, etc., sont autant de
relations de pouvoir qui relèvent d’une géographie immédiate. Si nous ne savons pas les analyser ou si nous
refusons de le faire, alors la connaissance scientifique que nous prétendons élaborer n’en est pas une. Elle est
tout au plus l’enregistrement de ce qui arrive, de ce qui se passe, sans gain d’intelligibilité et sans
accroissement d’information régulatrice12.
CONCLUSION
Est-ce à dire que l’on ne peut rien faire pour aller dans le sens de l’idéal prôné par le
colloque de ce jour ? Certainement pas ! Car l’expérience montre que, au Burundi comme
ailleurs (dans des situations similaires), il est possible de faire de petites percées en dépit
des multiples contraintes qui peuvent peser quotidiennement sur l’enseignant de l’histoire
ou de la géographie. Mais cela suppose un certain engagement de celui-ci pour que sa
démarche aboutisse. C’est un peu ce que l’on déduit du témoignage de Claire-Marie
Jeannotat. Cette missionnaire suisse, qui a passé 34 ans de sa vie au pays de l’apartheid,
montre comment à travers des cours d’histoire, de français ou de religion, elle et d’autres
« personnes de sa couleur de peau », ont contribué à faire changer les choses sous le
régime répressif d’Afrique du Sud. Non pas tant grâce aux manuels et à leurs contenus,
mais avant tout par leur choix et leur engagement. Cet engagement là s’avère
indispensable dans le cadre de l’enseignement de la géographie et de l’histoire pour que
l’enseignement de ces disciplines puissent contribuer véritablement à « apprendre à vivre
ensemble ». Voici quelques extraits du témoignage de Claire-Marie Jeannotat qui en dit
long sur ce qui peut être entrepris :
11
12
Dubresson, A. et al., 1994. Les Afriques au sud du Sahara. Paris, Belin/Montpellier, Reclus, p. 263.
Raffestin, C. 1980. Pour une géographie du pouvoir. Paris, LITEC, p. 244 et 246
62
L’enseignement de l’histoire en Afrique du Sud, subordonné aux examens du Département de
l’éducation, était un casse-tête. Les livres d’histoire, écrits par des Blancs, interprétaient l’histoire de leur
point de vue. L’histoire commençait avec l’arrivée des Blancs au pays, Portugais, Hollandais, Britanniques
et tant d’autres visages pâles. Cette histoire faussée, avait pour but d’inculquer aux populations colonisées la
notion qu’elles le resteraient et que là était leur seul avenir.
Nous avions honte de prodiguer à ces étudiants, dans un langage blessant, cet endoctrinement
capitaliste, blanc, européen et chrétien. Mais il y avait les examens. Les résultats positifs leur ouvraient la
voie au niveau supérieur. La sœur directrice, qui n’avait pas oublié le contexte de son enfance en Irlande du
Nord, me parlait avec sagesse du dilemme professionnel dans lequel nous nous trouvions, enseignantes,
religieuses et missionnaires, face à l’« obligation » d’enseigner des mensonges ou des demi-vérités.
Nous avons décidé d’une part, chacune de notre côté d’écouter nos élèves dire ce que les vieux
racontaient dans le township. D’autre part, nous avons essayé de découvrir une vérité plus objective du
développement historique de la colonisation dans des livres de bibliothèque.
Comprendre l’histoire à partir du passé était indispensable à la compréhension de la lutte qui se
préparait dans les coulisses des institutions et dont nous n’étions que faiblement conscientes. Nous avons
donné nos cours en ne cachant pas aux étudiants que cette histoire était écrite par les conquérants et les
dominateurs, dans un but de domestication des conquis. Nous avons, en même temps, expliqué que les
réponses aux examens devaient simplement être conformes au contenu des examens d’histoire prescrits.
Nous avons ouvert un dialogue sur les livres d’histoire prescrits. Nous avons ouvert un dialogue sur les
motivations et les enjeux de l’histoire en Afrique du Sud, telle qu’elle était écrite pour les Noirs et non par
eux ! Ce que j’aimais ces heures d’histoire ! C’était l’utilisation d’une approche pédagogique de
conscientisation alors que le terme n’était pas encore utilisé. C’était aussi prendre un risque. Des étudiants,
parmi les meilleurs, échouèrent aux examens. Ils en savaient trop et n’avaient pu débiter leurs leçons comme
des perroquets, ce que les moins doués faisaient sans problème.
Nous dûmes aussi nous coltiner les instances qui corrigeaient les papiers et leur demander les raisons
des échecs des élèves. C’était peut-être un début de prise de conscience pour certains fonctionnaires. Pour
d’autres nous étions subversives. La confrontation avec les autorités scolaires, en faveur de nos étudiants,
était aussi pour nous, sœurs, une sorte de libération.13
Le Congrès national africain, si nous avions été en contact avec lui, nous aurait aidés à réfléchir sur sa
lutte pour la justice. La police, quant à elle, continuait son travail de terreur, emprisonnant les leaders et
quiconque était suspect d’avoir un regard critique sur les agissements des Blancs. Des emprisonnements
vains, car d’autres leaders surgissaient, prêts au sacrifice et à la prison. La répression blanche était
proportionnelle à la résistance noire. Dans notre école, l’enseignement absorbait la plus grande partie du
temps et de notre énergie, car notre école avait la réputation d’obtenir d’excellents résultats.
C’est à travers l’enseignement de l’anglais, de l’afrikaans, de l’histoire et parfois de la géographie
que nous pouvions canaliser les sentiments des étudiants. Leur niveau de maturité politique était bien
supérieur au nôtre. Ainsi, à travers les essais de nos étudiants, naissait déjà une littérature de résistance sudafricaine qui deviendrait plus tard le foisonnement littéraire des townships face au système. Cette littérature
populaire a surgi parallèlement dans des nombreux pays d’Amérique latine, des Philippines et en Haïti. Il est
regrettable qu’elle ait parfois été récupérée par des écrivains et des poètes européens qui en ont tiré de la
gloire, et ont gagné de l’argent grâce à la souffrance des Noirs.
L’histoire d’en bas a peu de mots ; c’est un cri, de désespoir et d’espérance. Pour nous, à l’école, lire,
comprendre et corriger les longs essais de nos étudiants relevait d’un processus de conscientisation à portée
de la main, de la tête et du cœur. J’aimais beaucoup aussi, avec les élèves, apprendre à connaître « l’ennemi
riche et blanc » en lisant les livres inscrits au programme soit en anglais ou en afrikaans, et en les
confrontants à la réalité.
Je prenais ainsi, dans ce contexte, conscience de moi-même. Je me sentais irréversiblement aspirée
par cette lutte aux côtés des opprimés, et solidaire de leur cause. Cela m’aidait à découvrir le sens de Jésus et
de la bonne nouvelle dans ce pays. Mais mon engagement fut souvent timide, hésitant, à la recherche aussi
de gens qui auraient ma couleur de peau et qui chemineraient dans la même direction. Il s’en trouva, et
d’héroïques. C’est à eux que je dois d’avoir développé le sens de l’obstination dans la lutte14.
ENGLISH SUMMARY
13
Jeannotat, C.-M. 1994. Histoire inavouée de l’apartheid. Chronique d’une résistance populaire. Paris,
L’Harmattan, pp. 66-67.
14
Ibidem.
63
History and geography teaching in Burundi are guided by a strong political will which requires that no
reference is made in the curriculum to any ethnic matters, such as the supremacy of the ruling classes or the
Bantu origins of the general population. Rather, the study of foreign countries and the rest of the world is
favoured. Successive governments have introduced a system limiting the number of Hutu students in the
university system, including their increasing exclusion from some specializations, and combatting a sort of
‘intellectual apartheid’. Any discussion of the ethnic origins of the people living in the region is falsified by
mistaken interpretations arising from the colonial era. In this context, it is up to the history and geography
teachers to change matters, not relying on the content of textbooks but by their choices and their
commitment in favour of peaceful co-existence.
RESUMEN ESPAÑOL
En Burundi, la enseñanza de la geografía y de la historia responde a una voluntad política muy marcada que
exige la exclusión del programa todas las cuestiones relativas a las etnias, a la supremacía de la etnia del
poder y del origen bantú de la población para privilegiar el estudio de los países extranjeros y del resto del
mundo. Los gobiernos sucesivos instauraron un sistema de limitación del número de estudiantes hutu en el
sistema universitario terminanado por la exclusión progresiva con ciertos trámites y por una situación de
"apartheit intelectual". El debate sobre el tema de las etnias y el origen de las poblaciones de la región es
falso por las interpretaciones erroneas de la época colonial. En este contexto, es el papel del profesor de
historia y de geografía contribuir a hacer cambiar las cosas, no gracias al contenido de los manuales sino por
sus elecciones y sus compromisos para enseñar a vivir juntos.
64
CHAPITRE XII
Les modèles d’enseignement
de l’histoire et de la géographie
Bernard Ducret
Lycée Gabriel Fauré, Annecy
Pour mener sa recherche sur le thème du colloque, l’équipe de l’Université de Genève
conduite par le professeur Antoine S. Bailly s’est d’abord intéressée aux diverses
pratiques. Outre les enquêtes menées sur le terrain au Liban, en République tchèque et au
Salvador, l’attention s’est portée sur les concepts que présentaient les programmes et les
manuels d’histoire et de géographie de différents pays du monde. Cette approche,
forcément superficielle, avait comme premier but de mesurer comment les soubresauts
épistémologiques de l’histoire et de la géographie avaient pénétré les manuels. À travers
ceux-la, on peut mesurer l’intention des prescripteurs : volonté politique lorsque les
manuels sont officiels (Mexique, Costa-Rica, Malaisie...) ou étude des marchés lorsque
l’édition scolaire est laissée au secteur privé (France, Italie...). Cette étude ne préjuge pas
de l’usage qui est fait de ces ouvrages ; il est impossible d’évaluer dans quelle mesure les
intentions des auteurs se traduisent dans la réalité de la salle de classe.
L’échantillon utilisé ne prétend pas à l’universalité ni à l’exhaustivité, il est
essentiellement consacré à l’histoire et à la géographie enseignées aux élèves de 11 ans
environ. L’étude ne concerne pas les contenus, car il semblait a priori normal que chaque
ouvrage favorise l’étude de son propre pays. Notre analyse ne se concentre pas non plus
sur les méthodes utilisées en histoire et en géographie ; celles-ci (analyse de cartes, de
croquis, de photos...) semblent assez voisines selon les pays et cette approche du champ
didactique dépasse le but que nous nous sommes assigné. Afin de mettre en évidence la
façon « d’enseigner à vivre ensemble », les différents documents ont été lus avec une
approche conceptuelle concernant le territoire, la nation, la communauté et la mobilité.
Chacun de ces concepts était approché par ses attributs. Ainsi, les notions telles que
l’identité, la frontière, le localisme ou le régionalisme, le global, le système-monde étaient,
parmi d’autres, autant de voies d’approche pour mesurer la notion de territoire que l’on
veut bien transmettre aux enfants.
« Vivre ensemble » est d’abord un problème géographique. Avec qui veut-on vivre
ensemble ? Quelle échelle veut-on privilégier ? S’attache-t-on au niveau local ? au niveau
régional ? au niveau national ? au niveau global ? Le survol de notre documentation
permet de dégager grossièrement trois types de modèle d’enseignement pour « apprendre à
vivre ensemble ». Ces trois modèles sont différents voire antinomiques ; il paraît peu
évident de trouver entre eux une synthèse. On ne peut établir entre eux aucune hiérarchie :
il n’existe pas un bon et un mauvais modèle, car ils s’avèrent tous opératoires dans la
société dont ils sont issus et à l’échelle spatiale qui leur a été assignée.
LE MODÈLE FERMÉ
On se propose d’appeler modèle fermé tout modèle dans lequel l’enseignement de
l’histoire et de la géographie se préoccupe essentiellement de son propre territoire. Il
admet la frontière de l’entité administrative qui a créé le programme. Celle-ci délimite un
dedans et un dehors. L’extérieur est ignoré de manière absolue, l’intérieur fait l’objet
65
d’une analyse approfondie et méticuleuse. On peut prendre comme exemple le cas tchèque
où il apparaît que les frontières sont claires et inscrites dans la nature, qu’il n’y a pas de
Tchèques à l’étranger ni d’étrangers en République tchèque et où l’on explique qu’il s’agit
du plus ancien État d’Europe. Dans la Bavière voisine, le cas est similaire : l’iconographie
reste toujours très locale : seules cinq photos sont prises à l’étranger dont trois proviennent
de Suisse alémanique ou du Tyrol autrichien ; les deux autres photos issues de pays non
germanophones présentent des catastrophes : un séisme en Turquie et les ruines de
Pompéi, comme si le besoin d’enfermement conduisait à une peur ou une méfiance envers
l’extérieur. L’étranger n’est réellement évoqué que trois fois dans l’ouvrage. Chaque fois,
il s’agit de désagréments : les quotas laitiers voulus par l’Union européenne pénalisent les
petits paysans de l’Allgaü et la pollution entraînée par les touristes étrangers détruit la
nature. Dans les modèles fermés, les programmes d’histoire s’attachent à l’étude du pays
même dans les temps anciens quand cet État n’avait pas de réalité, pour mieux l’enraciner
dans le passé.
Cette étude, statique car privilégiant un territoire clairement délimité, se rattache aux
sciences naturelles et privilégie la précision et la quantité des informations fournies. C’est
une façon d’apprendre à vivre ensemble en délimitant un espace étroit dans lequel une
population immobile travaille et veille à son patrimoine naturel à l’abri des vicissitudes du
vaste monde. Le modèle fermé est qualifié de suicidaire par certains, eu égard au thème du
colloque : « Apprendre à vivre ensemble ». Cela n’est pas si évident. Il convient en
premier lieu de mesurer la taille de l’espace fermé étudié : cela peut être une région (la
Bavière...), un État (la République tchèque, Malaisie) ou un continent (l’Amérique pour
les jeunes Mexicains). La quantité de personnes avec qui l’on apprend à vivre ensemble
est donc très variable ! En réalité, ce modèle s’avère opératoire en cherchant à inculquer
une forte identité régionale ou nationale à des enfants qui ne sont pas forcément
originaires de l’espace étudié. Dans certains cas, comme celui de la Bavière, région
frontalière, ayant accueilli de nombreux étrangers et de nombreux Allemands issus
d’autres régions et inscrite dans un pays réputé pour son ouverture internationale, on peut
s’interroger sur le caractère pertinent de cette représentation sur les élèves y habitant.
?
?
?
?
FIGURE 1. Le modèle fermé
LE MODÈLE JUXTAPOSÉ
66
C’est le modèle le plus fréquent. Il se différencie du modèle fermé en ce sens que
l’étranger n’est pas ignoré. Les connaissances historiques et géographiques à propos de
l’autre sont exposées mais sans aucun lien véritable. L’histoire et la géographie abordent
les pays, les régions, les civilisations les unes après les autres. Chaque ensemble est étudié
de façon plus ou moins approfondie selon les exigences du programme. Les manuels
français traitent la préhistoire en Europe occidentale et enchaînent avec l’étude de
l’Antiquité égyptienne, l’étude de l’Antiquité proche-orientale, puis les premières formes
de civilisations en Grèce, en Italie. En géographie, le modèle juxtaposé expose, pour
chaque ensemble, dans un ordre assez immuable, le relief, le climat, la végétation, la
population, les activités.... La cartographie est généralement très informative et arrête sa
description aux limites de l’État considéré. En réalité, il s’agit d’une complexification du
modèle fermé évoqué plus haut.
FIGURE 2. Le modèle juxtaposé
La mise en relation des espaces définis, c’est-à-dire la capacité de connaître l’étranger et
d’apprendre à vivre ensemble avec l’autre, est souvent absente. Certains manuels, en Italie
par exemple, tentent d’y remédier en juxtaposant aux études statiques la présentation des
liens entre les différents ensembles. Ceux-ci restent cependant étudiés au niveau de
l’espace considéré : analyse des balances commerciales par produits ou par pays,
éventuellement de solde migratoire dans les leçons de géographie. En histoire, le souci de
montrer le contact entre les civilisations est moins évident et se résume souvent à une carte
des échanges commerciaux.
Nous sommes toujours dans une histoire ou une géographie des surfaces où des
espaces clos sont étudiés de façon successive. La caricature de ce modèle pourrait être la
présentation des États de l’Union européenne où chaque pays dispose d’une case avec son
drapeau, sa capitale, sa monnaie, sa population, sa langue... L’apport de connaissances est
privilégié, le cours peut très facilement dévier vers la nomenclature et l’encyclopédisme.
La pédagogie induite par ce genre d’histoire et de géographie avantage l’enseignant qui
dispose des connaissances et qui, par divers types d’exercices, s’efforce de les transmettre
ou de les faire découvrir aux élèves. Nous sommes dans une histoire ou une géographie
« d’en haut ».
LE MODÈLE RELIÉ
Ce modèle est moins fréquent et se rencontre plutôt dans les pays de culture anglosaxonne. Il s’agit d’un modèle radicalement différent des précédents, car il s’intéresse peu
aux surfaces et privilégie les acteurs. En caricaturant, là où un manuel mexicain
décompose par produit la balance commerciale du pays, un ouvrage des États-Unis
67
d’Amérique s’intéressera à l’origine des fournitures contenues dans la trousse de l’élève.
On insiste sur la singularité des acteurs et sur la confrontation des différents points de vue
au sein du système-monde. Les acteurs envisagés peuvent être très différents :
administrations, entreprises, communautés ethniques ou linguistiques, individus... Si les
élèves ont une approche partielle ou marginale de certains, en revanche, ils ont une
connaissance parfaite de certains autres auxquels ils adhèrent. L’histoire et la géographie
enseignées ont désormais pour but de mettre en valeur la logique des acteurs, la
confrontation et l’opposition de différentes logiques. Nous quittons un enseignement
imposé « d’en haut » pour une pédagogie « d’en bas » privilégiant les jeux de rôle, les
enquêtes, la discussion. L’apport factuel est beaucoup moins important et cette faiblesse
peut choquer les partisans des modèles fermés ou juxtaposés qui tiennent à une plus
grande transmission de l’identité locale, régionale ou nationale et pour lesquels la part du
contenu scientifique doit être importante.
Le but est d’envisager, dans le territoire considéré, les représentations des différents
acteurs et leurs contradictions éventuelles mais aussi d’envisager les liens qui peuvent unir
chacun de ces acteurs au monde extérieur. En Irlande du Nord, un jeu de rôle se propose
d’étudier une ville imaginaire où les élèves se mettent successivement à la place de
footballeurs gaéliques, d’Orangistes, de résidents protestants, catholiques et d’un
médiateur. Si l’on prend le cas de l’Afrique du Sud, où la nécessité de vivre ensemble
après des décennies d’apartheid est évidente, les manuels, suivant les indications du
Curriculum 2005, montrent les oppositions entre ruraux et urbains, entre Noirs et Blancs,
les solidarités avec le continent africain, la communauté d’intérêt avec les pays en
développement, mais aussi les parentés avec les pays développés. Ce procédé conduit à
jongler avec les échelles et, même pour de jeunes enfants, la démarche est résolument
systémique. Ainsi, on peut lire la proposition de système entre l’aide publique des ÉtatsUnis pour promouvoir l’élevage au Botswana, la consommation croissante de hamburgers
en Europe, la dépendance des éleveurs Botswanais et la dépendance alimentaire croissante
du pays.
FIGURE 3. Le modèle relié
Dans la perspective de « vivre ensemble », ce modèle apparaît comme le plus séduisant
pour un historien ou un géographe, car il promeut les individus et les groupes qui doivent
se côtoyer. Cependant un modèle éducatif est inséparable des institutions qui le portent et
de la société qui le nourrit ; en ce sens, il n’est pas supérieur aux autres modèles envisagés.
Il est opératoire dans des conditions sociales, historiques et institutionnelles particulières.
La volonté la plus explicite de l’appliquer se rencontre dans des sociétés traversées par des
68
tensions violentes comme l’Irlande du Nord ou l’Afrique du Sud dans lesquelles
l’imposition d’un modèle fermé et normatif ne peut conduire qu’à l’échec en niant ou en
oubliant les représentations des jeunes enfants. Il n’est cependant pas assuré que la mise
en pratique soit réelle et aisée.
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69
ENGLISH SUMMARY
There are three types of teaching about peaceful co-existence that can be identified from a study of history
and geography textbooks from different parts of the world. These are based on a conceptual understanding
of the region, the nation and the locality. The closed model, in which history and geography teaching
concentrate on an in-depth and detailed analysis of the country, tends to exclude the surrounding world. The
concept of ‘peaceful co-existence’ is therefore based on a very strong national identity. On the other hand,
the opposing model involves an in-depth study of the outside world. History and geography teaching deal
with countries, regions and civilizations one after the other without establishing definite boundaries or, in
other words, without any real interest in learning to live with others. Finally, there is comprehensive
teaching, encountered less frequently. It stresses the individuality of those involved and the confrontation of
different points of view within the world system in order to study the existing links between the participants
and the surrounding world. This type of teaching encourages people to get to know each other and, in this
way, represents the most suitable model for learning to live together.
RESUMEN ESPAÑOL
Tres tipos de enseñanza para aprender a convivir se desprenden del estudio de los manuales de historia y
geografía de distintos países del mundo, realizado a partir de un tratamiento conceptual del territorio, de la
nación y de la comunidad. El modelo cerrado, en el cual la enseñanza de la historia y de la geografía está
centrada en el análisis profundo y meticulosos del país y que ignora al mundo exterior. El concepto de
"convivir" está entonces fundado sobre una fuerte identidad nacional. El modelo yuxtapuesto ,en oposición,
integra el estudio del mundo exterior. La enesñanza de la historia y de la geografía aborda los países, las
regiones, las civilizaciones unas después de las otras. Sin embargo, no las pone en relación con los espacios
definidos, es decir, sin la real capacidad de aprender a convivir unos con otros. En fin, el modelo de
enseñanza reunido, es más raro, insiste sobre la singularidad de los actores y sobre la confrontación de las
diferentes puntos de vista en el seno del sistema mundial con el fin de estudiar los lazos existentes entre los
actores y el mundo exterior. Este tipo de enseñanza insita a los individuos a frecuentarse, y en este sentido,
constituye el modelo más adecuado para enseñar a convivir.
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CHAPITRE XIII
Nouvelles directions pour l’enseignement
de l’histoire et de la géographie
Antoine Bailly
Université de Genève
L’histoire et la géographie, comme toutes les sciences sociales, sont des disciplines
marquées par les idéologies de l’époque : toute vision du monde est ainsi fondée sur les
représentations que les institutions légitiment à un moment donné. Notre rôle premier
n’est donc pas de faire croire à la scientificité des discours historiques et géographiques,
mais d’en expliciter le sens : pourquoi privilégier, à un moment donné, tel type de
représentation et de découpage ? Pourquoi celui-ci est-il pertinent, c’est-à-dire en
adéquation avec les aspirations de la société à une période donnée ? Quelles sont les
idéologies et les forces contradictoires en jeu dans ces projets de société ?
Il s’agit donc d’engager une véritable histoire et une épistémologie des
territorialités évolutives pour donner sens à l’enseignement. Il s’agit ensuite d’analyser
les potentialités de ces projets pédagogiques pour contribuer à construire un monde
plus juste en se posant cinq questions : pour qui, où, comment, pourquoi, jusqu’où ?
Dans ce but, certains concepts tels que ; le dialogue, la tolérance, l’égalité, l’intégration, la
justice sociale, le partenariat et la diversité.
Ils permettent en effet de réfléchir en termes de « foyers de vie », à des échelles
géographiques et temporelles variées, et de penser en affiliations multiples, en
compréhensions réciproques. À l’inverse, certains concepts tels que ; le nationalisme, le
protectionisme, l’exclusion, les dissymétries et les frustations apparaissent dangereux.
Pour rompre avec une histoire et une géographie à vocation nationaliste, privilégiant
la réflexion à une seule échelle géographique et temporelle, il est nécessaire d’ouvrir les
disciplines pour éviter de masquer ou de cacher ce qui dérange. Cette réflexion se fait à la
fois sur le plan des contenus, qu’il faut expliciter, et des méthodes, indispensables à
l’organisation de la connaissance.
Nous proposons donc de réfléchir en termes : d’échelles géographiques et
temporelles, d’affiliations et d’identités multiples ; d’articulation entre les représentations ;
de dialogue entre les acteurs territoriaux ; d’adaptation aux identités nouvelles et de
valorisation des liaisons territoires-réseaux.
Reste que cela ne pourra voir le jour que si toutes les conditions sont réunies pour un
enseignement démocratique dont le droit à la vie et le droit à l’éducation sont les
fondements.
ENGLISH SUMMARY
As social sciences, history and geography are disciplines strongly influenced by the ideologies of particular
eras. In order that this type of teaching is coherent, it must rely on an epistemology of evolving territories
and on history bringing to the fore concepts such as dialogue, tolerance, integration and social justice, and
rejecting isolating concepts such as nationalism, exclusion, etc., which are considered to be dangerous.
History and geography teaching should make us think about exchanges between individuals and concepts, of
links between territories and networks, and of geographical and time scales evoking the essential right to life
and the right to education.
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RESUMEN ESPAÑOL
La historia y la geografía en tanto que ciencias sociales son disciplinas marcadas por las ideologías de una
época dada. Para que esta enseñanza tenga sentido, debe entonces apoyarse sobre una epistemología de las
territorialidades evolutivas y sobre una historia que ponga en evidencia los conceptos tales como la
tolerencia, la integración, la justicia social y el rechazo de los conceptos aislacionaistas, tales como el
nacionalismo, la exclusión, etc. considerados como peligrosos. La enseñanza de la historia y de la geografía
debe proponer una reflexión en términos de cambios entre los individuos y sus representaciones, de lazos
entre los territorios y redes de las escalas geogrãficas y temporales en la medida que el derecho a la vida y el
derecho a la educación, las condiciones esenciales estén reunidas.
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CHAPITRE XIV
Conclusions : le dessous des cartes :
propositions pour l’enseignement de l’histoire de
la géographie
Y. André
Lycée Berthollet, Annecy
Deux questions essentielles traversent l’ensemble des réflexions de ce colloque. Comment
l’enseignement de l’histoire et la géographie peut-il contribuer à apprendre à vivre
ensemble ? Quels conseils donner pour la conception des programmes, la formation des
professeurs, la transformation des pratiques d’enseignement et l’élaboration de séquences
éducatives ? Il serait évidemment illusoire de vouloir apporter une réponse définitive et
universelle à une telle demande. À la lumière des différentes interventions, et des
précédentes contributions au numéro de Perspectives (UNESCO/BIE, 1998), il paraît
cependant possible d’articuler quelques éléments de réflexion, qui nous paraissent
essentiels, autour de quatre observations préalables et de cinq propositions.
QUATRE OBSERVATIONS
1. L’enseignement de l’histoire et de la géographie a longtemps eu pour rôle, et c’est
encore largement une réalité, de fonder un double enracinement dans le temps et dans
l’espace, privilégiant ainsi le concept d’appartenance, généralement au profit des
échelles de la nation et de l’État (fig. 1). Cet enseignement repose sur une structuration
du monde mise en place à la fin du XIXe siècle et durant la première moitié du XXe
siècle. Cette approche, qui a ses légitimités, est encore largement représentée dans de
nombreux pays. E. Boubekraoui et A. Mouzoune montrent ainsi qu’au Maroc
l’enseignement de l’histoire et de la géographie vise à s’affranchir du passé colonial et
à renforcer la cohésion sociale. Ce besoin ardent de fonder et d’identifier l’État-nation
est lié à l’affirmation d’une souveraineté nouvelle. C. Kane en fait l’analyse pour le
Sénégal. Cette démarche classique repose sur une épistémologie du fondement, c’est-àdire qu’elle a pour objectif de bâtir la nation et le territoire : l’histoire et la géographie
nous apprennent qui nous sommes et où nous sommes, à travers des discours de
légitimation d’espaces finis (Guérin, 1991) où la géographie se retrouve « fille de
l’histoire » (George, 1992).
2. Le paradoxe de la mondialisation est que, loin d’engendrer un monde uniforme, elle
accroît les altérités et engendre un processus de fragmentation politique et sociale
(fig. 2). Elle pousse à la régionalisation économique, sociale et politique. Les États et
les nations se disloquent au profit d’ethnies en quête d’identité et d’autonomie : sous
les décombres émerge : « une mosaïque de régions » (Scott, 1998a). Ainsi s’explique
le besoin de quêtes identitaires fortement spatialisées, cherchant à définir de nouveaux
territoires comme autant de lieux d’appartenance : « nos repères (nos références) ne
délimitent plus de sûrs repaires (refuges) » (Viard, 1992). Dès lors, l’enseignement de
l’histoire et la géographie n’est plus en État de nous répondre, de nous légitimer.
Émerge ainsi à nouveau cette question lancinante : qui sommes-nous ? « Who is us ? »
s’interroge Robert Reich (Reich, 1991), soulignant dans un jeu de mots (us, U.S.) les
73
interrogations qui pèsent sur les pertinences de la communauté nationale et de l’État.
Chacun peut observer que, malheureusement, les solutions nationalistes et
communautaires sont les premières réponses à ce besoin de sens, multipliant ainsi les
risques de xénophobie et de conflit.
3. Dans l’organisation mondiale de nos sociétés, où se juxtaposent d’une part un réseau
de points, de nœuds, de pôles reliés par une circulation de plus en plus rapide, et,
d’autre part, les nouveaux et les anciens territoires, le primat de l’héritage historique
recule devant les contraintes de la géographie. On pourrait évoquer en quelque sorte
une revanche de la géographie sur l’histoire : «...la réduction du monde s’accompagne
paradoxalement de la redécouverte de l’importance de la géographie » (Scott, 1998b).
Ce n’est ni la fin de l’histoire, ni celle de la géographie, mais une redistribution des
hiérarchies. Dans la compréhension de ce nouveau maillage de réseaux et de territoires,
l’histoire s’efface devant la géographie.
4. Ainsi se dégage une quatrième et dernière observation. Désormais, émerge peu à peu
une nouvelle mission pour l’enseignement de la géographie et de l’histoire : celle de
construire un pont entre ces territoires, ces espaces fragmentés et le monde. Car,
souligne R. Ferras, c’est parce qu’il n’y a plus de territoires bien identifiés, qu’il n’y a
plus de géographie citoyenne. L’école doit désormais apprendre à penser l’altérité
(dans toutes ses dimensions, économiques, politiques et sociales) pour permettre
d’accéder à l’universalité. L’enseignement de la géographie et de l’histoire devrait
permettre de faire apprendre et comprendre la multi-appartenance, c’est-à-dire la
continuité du territoire au système-monde (fig. 3), et cette idée fonde les cinq
propositions suivantes.
CINQ CONSEILS-CADRES
Dans la définition des programmes, dans la formation des enseignants ainsi que dans les
apprentissages des élèves, la mise en place d’un enseignement de la géographie et de
l’histoire pour « apprendre à vivre ensemble » devrait articuler des échelles et des
concepts (fig. 4), au service d’un objectif : apprendre la continuité du local au systèmemonde.
1. Il faut prendre en compte l’éventail complet des échelles. Car le travail sur les échelles
géographiques et leur imbrication permet, face aux régionalismes et à la
mondialisation, de donner un sens à l’enseignement. Il s’agit d’amener les élèves à
comprendre l’articulation des territoires et des espaces, à comprendre que le monde est
un système à la fois économique, social, politique, idéologique, et à discerner, dans une
approche critique, la place et le rôle de chacun des éléments qui le composent. C’est la
démarche du manuel pour le Costa Rica, proposé par G. Carvajal ; en partant d’une
analyse du monde, il décrit le pays comme l’une des « maisons » de l’humanité.
De toutes ces échelles, la plus malmenée, la plus discutée de nos jours est l’État. Aux
yeux de certains, cette structure n’est plus qu’une « illusion cartographique » (Ohmae,
1995), fiction pour nostalgique, cadre inadapté au bon fonctionnement de l’économie.
Cependant, d’autres auteurs observent que si l’État perd de sa pertinence économique,
il conserve encore un rôle social important : sa mission est de produire de l’unité et de
la cohérence et d’être le support d’un projet collectif (Guigou, 1998).
2. Il faut ensuite développer des séries de concepts, regroupés autour des trois « conceptscadres » d’identité, d’altérité et d’universalité.
a- Le concept d’identité se décline en appartenance et communauté, permettant
d’identifier le corps social auquel on appartient, et qui peut être constitué en Étatnation ou former un élément d’un État plurinational. Les concepts de légitimité et de
74
b-
c-
3.
4.
5.
citoyenneté permettent de comprendre les fondements d’une telle situation et de
montrer les responsabilités et les devoirs du citoyen. L’identité renvoie également à
cet héritage commun et partagé que sont le patrimoine et la culture.
Le travail sur le concept d’altérité doit amener à comprendre qui sont les autres,
comment les connaître et les rencontrer, comment les comprendre. Cela repose sur
une éducation à la compréhension, au respect et à la tolérance d’autrui, qu’il se situe
à l’extérieur - et dans ce cas l’enseignement s’accompagne d’une réflexion sur les
frontières - ou à l’intérieur, ce qui met en jeu les concepts d’intégration et
d’assimilation.
Le concept d’universalité met en jeu une compréhension du nouvel ordre du monde,
fondé sur les concepts de réseau, de surface, de système et de mobilité, composants
constitutifs de la mondialisation. Il débouche sur une éducation aux nouveaux
rapports humains qui en découlent, et que l’on peut appréhender par les concepts de
mondialisation et de transculturalité. Un travail sur les confrontations existantes ou
potentielles doit permettre de les dépasser pour fonder le concept d’empathie,
condition déterminante de la volonté de vivre ensemble.
Certains concepts pris ici dans leur sens positif, c’est-à-dire propre à apprendre à
vivre ensemble, peuvent être détournés de cet objectif et manipulés de manière
négative. Ainsi les concepts de communauté, de légitimité, de frontière, pour ne citer
qu’eux, peuvent être interprétés de manière conflictuelle. Certaines rencontres
concepts/échelles peuvent dériver vers des attitudes d’exclusion : ainsi le travail sur
les concepts de communauté et de territoire peut aboutir à nourrir des ressentiments et
engendrer des affrontements ethniques, comme le montre l’actualité quotidienne.
L’enseignement de la géographie et de l’histoire est ainsi en permanence sous la
menace de dérives nationalistes et xénophobes.
C’est pourquoi, il convient de mettre en place, au-delà des contenus des programmes,
des objectifs généraux d’apprentissage permettant de mettre en œuvre, au service de la
compréhension mutuelle, les concepts évoqués ci-dessus : a) l’enracinement : un
enseignement de l’histoire et de la géographie pour concevoir qui je suis et où je vis ;
b) le contrat social : un enseignement de l’histoire et de la géographie pour devenir un
citoyen ; c) le respect : un enseignement de l’histoire et de la géographie pour
comprendre les autres ; et d) l’ouverture : un enseignement de l’histoire et de la
géographie pour prendre conscience de l’articulation des territoires.
Enfin, l’ensemble doit être sous-tendu par une logique forte et omniprésente : faire
comprendre et apprendre aux enfants la continuité du territoire au monde ; c’est-à-dire
travailler sur le local en l’insérant dans le monde, et apprendre le monde en
comprenant la place du local. Car notre vie quotidienne se déroule simultanément à
l’échelle locale comme à l’échelle planétaire, engendrant une complexité qu’il faut
apprendre à interpréter.
D’où la nécessité d’articuler en permanence un enseignement « par le haut » et « par le
bas ». Car l’approche scientifique, universitaire organise le monde et propose des
explications rationnelles et objectives, que l’on propose « d’en haut » à la
compréhension des élèves. Or ces savoirs de la communauté scientifique, adaptés et
transmis par les maîtres, n’épuisent pas la question du sens des espaces. Ces
connaissances doivent être croisées et confrontées avec les découpages subjectifs des
élèves et des sociétés, représentations du monde tout aussi importantes, et à leur
manière pertinents (André, 1998 ; Bailly, 1991). Il faut donc amener les élèves à
prendre conscience de leurs représentations et de celles des autres, pour les expliciter,
les mettre en perspective et les relativiser.
75
Ce travail sur les représentations rend possible la déconstruction des divisions et des
légitimations des espaces. Il permet de mesurer le caractère idéologique de tout
découpage spatial ou de tout choix de date. Il vise à rendre les élèves, et les professeurs,
conscients du pourquoi de l’ordre spatial et temporel.
On pourra objecter qu’au regard de l’État du monde, ces remarques et ces
propositions peuvent paraître bien utopiques, et risquent de rencontrer de fortes
résistances. Dans certaines régions, A. Barampama en fait ici la démonstration pour le
Burundi, le chemin est encore long pour apprendre à vivre ensemble, et dans d’autres
pays, l’équilibre construit peut encore paraître bien fragile. Mais ce défi politique est de la
responsabilité de tous au regard de la situation politique du monde, où les valeurs de la
démocratie et du respect des autres sont loin d’être universelles. Elles méritent d’être
réalisées pour le bien commun, cela est de la responsabilité des formateurs et des
éducateurs.
FIGURE 1. L’histoire et la géographie au service de l’État-nation : la rencontre de la
temporalité et de la spatialité
NOTE À L’IMPRIMEUR : Veuillez insérer ici la figure n°1 qui se trouve sur la
disquette n°2 (Macintosh).
FIGURE 2. L’histoire et la géographie remises en cause par les processus de
mondialisation et de fragmentation : la revanche de la géographie sur l’histoire
Note à l’imprimeur : Veuillez insérer ici la figure n°2 qui se trouve sur la disquette n°2
(Macintosh).
FIGURE 3. La géographie et l’histoire pour apprendre à vivre ensemble : faire
comprendre la continuité du territoire au système-monde
Note à l’imprimeur : Veuillez insérer ici la figure n°3 qui se trouve sur la disquette n°2
(Macintosh).
FIGURE 4. Un cadre pour l’enseignement de l’histoire et la géographie
Note à l’imprimeur : Veuillez insérer ici la figure n°4 qui se trouve sur la disquette n°2
(Macintosh).
RÉFÉRENCES
André, Y. 1998. Enseigner les représentations spatiales, Paris, Anthropos. 254 p.
Bailly, A. et al. 1991. Les concepts de la géographie humaine. 2e éd. Paris, Masson. 247 p.
George, P. 1992. La géographie à la poursuite de l’histoire. Paris, Armand Colin.
Guérin, J.-P. 1991. « Enseigner l’Europe ». Dans : Cham’s. Enseigner la géographie en Europe. Paris,
Anthropos. pp. 11-24.
Guigou, J.-L. 1998. « Le nouveau maillage du monde en régions-hubs », Revue Française de Géoéconomie, Paris, Économica, n° 5, pp. 11-17.
Ohmae, K. 1995. The end of Nation State [De l’État-nation aux États-régions]. New York, The Free Press.
214 p.
Reich, R. 1991. The Work of Nations [L’économie mondialisée]. New York, A. Knopf Inc. 336 p.
76
Scott, A. J. 1998a. « Communauté, démocratie locale et citoyenneté », Perspectives, Vol. XXVIII n° 2, Paris,
UNESCO/BIE, pp. 355-360.
Scott, A. J. 1998b. « La nouvelle géo-économie des régions », Revue Française de Géo-économie, Paris,
Économica, n° 5, pp. 19-26.
UNESCO/BIE. 1998. « Apprendre à vivre ensemble grâce à l’enseignement de l’histoire et de la
géographie ». Perspectives, Vol. XXVIII n° 2, Paris, Unesco.
Viard, J. 1992. « Préface », Prague, avenir d’une ville historique capitale, La Tour-d’Aigues, France,
Editions de l’Aube, pp. 7-11.
ENGLISH SUMMARY
Answers to the central question of this symposium—how history and geography education can teach us to
live together—are presented as a series of observations and proposals bringing together the ideas of the
speakers. The role of history and geography teaching was always to create a double sense of belonging—in
time and in space—relying on the concept of belonging to a nation or a State. However, in our globalizing
world, a process of political and social fragmentation has been set in motion and not one of territorial
cohesion. The outcome is a mosaic of regions and a search for a particular identity, which might increase the
risks of xenophobia and of conflict. Finally, the global organization of different societies makes history play
a secondary role to geography, the latter being required to construct bridges between different regions and
different groups and the world. The implementation of history and geography teaching for peaceful coexistence should bring together different geographical scales and concepts so that we may understand the
continuity from the local to the global by including ideas about identity, otherness and universality.
RESUMEN ESPAÑOL
A la cuestión central del coloquio, cómo la enseñanza de la historia y de la geografía puede contribuir a
enseñar la convivencia, las respuestas fueron dadas bajo formas de una serie de observaciones y de
propuestas reagrupando las ideas presentadas por los intervinientes: El papel de la enseñanza de la historia y
de la geografía siempre estuvo en fundar un doble enraizamiento en el tiempo y en el espacio privilegiando
el concepto de pertenencia a la noción o al Estado. Pero a partir de la mundialización es un proceso de
fragmentación política y social y no de uniformación que se pone en marcha por el resultado un mosaico de
regiones y una búsqueda identificatoria espacial que multiplica los riesgos de xenofobia y de conflicto. En
fin, la organización mundial de las sociedades ubica la historia en segundo plano y pone la geografía delante
de la escena con la misión de construir un puente entre los territorios, los espacios fragmentados y el mundo.
La puesta del lugar de la enseñanza de la historia y de la geografía para enseñar a vivir juntos deberá
articular las escalas geográficas y los conceptos para asimilar la continuidad mundial integrando las nociones
de identidad, alteridad e universalidad.
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