ux a ion t u rib t n Co r u s ts a b dé t e s if t c e bj o les es d o th é m les n o i t a c u s d e é ’ n L u e j s s e e l d fil n o i t a u t i e s u r en e d f cati du tre é en uC ce d p L’ex n érie O PA SOL S ERE UJ RA M la - -G ma uate aux n tio u n rib t o n i t Co a c u sur s s d t L’é jeune déba ctifs et s s bje e o e l s l d fi le es d o n éth o m i s t le a u t i e s u r en de atif duc nce L’ rie expé eé entr du C S PARA OLO RES MUJE ala tem a - Gu - Les appellations employées dans cette publication et la présentation des données qui y figurent n’impliquent de la part de l’UNESCO aucune prise de position quant au statut juridique des pays, territoires, villes ou zones ou de leurs autorités, ni quant au tracé de leurs frontières ou limites. Les idées et opinions exprimées dans cette publication sont celles des auteurs et ne reflètent pas nécessairement les vues de l’UNESCO. Crédit photographique : © Anne Pascal / LES TROIS QUARTS DU MONDE Publié par l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture 7 place de Fontenoy, 75352 Paris 07 SP © UNESCO 2007- Imprimé en France ED-2007/WS/03 – CLD 31070 Sommaire Préface 5 Introduction 8 1. Les objectifs du Centre éducatif SOLO PARA MUJERES Accueillir – protéger – soigner – éduquer – former – réinsérer 2. L’approche méthodologique : la Méthode d’Investigation - Action Continue 10 11 Offrir un accompagnement personnalisé dans des foyers distincts Responsabiliser les jeunes filles et les rendre actrices de leur reconstruction Permettre à ces jeunes filles d’accéder à leurs droits, en particulier au droit à l’éducation Réunir une équipe pluridisciplinaire autour d’un projet pédagogique Assurer un suivi de la gestion des fonds 3. La prise en charge, l’éducation et la réinsertion des jeunes filles 18 Le suivi médical et psychologique De l’urgence à la stabilisation : le foyer de la Terminal Les parcours de rue et l’accueil au sein du foyer Les parcours de rue Les premiers pas dans le foyer Vers une reconstruction progressive Les activités éducatives et artistiques L’apprentissage du lien mère-enfant et les activités d’éveil De l’éducation à la réinsertion : le foyer de la zone 1 L’éducation à distance L’éducation en milieu scolaire La formation professionnelle Les activités manuelles et artistiques Conclusion 38 Cinq histoires de vie 39 Notes 48 Le présent document a été préparé par Betty de Rueda, Fondatrice et Directrice générale de SOLO PARA MUJERES et Anne Pascal, Présidente de l’association LES TROIS QUARTS DU MONDE, en collaboration avec la Division pour la promotion de l’éducation de base du Secteur de l’éducation de l’UNESCO. 5 Préface Les enfants font partie des groupes les plus vulnérables de la société. Ils sont particulièrement sensibles aux conditions socio-économiques difficiles et démunis face aux multiples violations dont ils sont victimes. Leur protection devrait être une priorité absolue des sociétés et de la communauté internationale. Pourtant, aujourd’hui encore, environ 100 millions d’enfants dans le monde vivent dans la rue, et sont quotidiennement menacés par la faim, la solitude, la violence, les drogues, l’exploitation sexuelle, et le VIH/sida. Phénomène inquiétant, les filles sont de plus en plus nombreuses à vivre, ou plus justement à survivre, dans la rue. Elles sont peut-être moins visibles que les garçons mais sont souvent plus exposées à la violence, aux agressions sexuelles et à la prostitution. L’UNESCO, consciente que c’est par l’éducation que pourra être un jour brisé le cycle de la pauvreté et de l’exclusion, s’emploie à promouvoir le droit à l’éducation pour tous les enfants. Le cadre d’action de Dakar, adopté par la com- munauté internationale lors du Forum mondial sur l’éducation en avril 2000, stipule à cet effet que les enfants en situation difficile doivent pouvoir exercer leur droit à une éducation de base, que ce soit en milieu scolaire ou dans le cadre de programmes alternatifs. Quel avenir s’offre à ces enfants s’ils sont privés d’éducation ? L’exclusion de l’éducation fait partie d’un ensemble de violations des droits de l’homme. Elle traduit un processus d’exclusion complexe, progressif et durable. Des millions d’enfants sont exclus de l’éducation parce qu’ils sont exclus du développement en général. Les enfants qui ne vont pas à l’école sont aussi ceux qui connaissent une situation de pauvreté, de marginalisation socioculturelle, d’isolement géographique ou de discrimination raciale ou sexuelle. Pour eux, ne pas avoir accès à une éducation de base n’est rien d’autre qu’une violation supplémentaire de leurs droits. Or, il s’agit là d’une violation particulièrement grave. Les enfants privés d’une éducation de qualité sont incapables d’acquérir les connaissances, 6 les aptitudes et l’assurance dont ils ont besoin aujourd’hui en tant qu’enfants, et dont ils auront besoin plus tard en tant qu’adultes. Cette publication s’inscrit dans le cadre des actions de l’UNESCO en faveur de l’éducation des enfants en situation difficile. Elle présente la méthodologie d’approche et d’action mise en œuvre par le Centre éducatif SOLO PARA MUJERES (Uniquement pour les filles) au Guatemala. Depuis une quinzaine d’années, cette structure a mis en place un programme innovant d’éducation et de réinsertion en faveur de jeunes filles très vulnérables, en situation de rue ou risquant d’y être confrontées. L’objectif de cette publication est de proposer aux différents acteurs qui travaillent avec les enfants en situation difficile (associations, ministères, organismes de coopération et de développement) un outil de réflexion qui aide à la mise en œuvre de programmes éducatifs et de réinsertion pour ces enfants. Respecter le droit des enfants c’est aussi transformer leurs impératifs de survie en projet de vie. Ann Therese Ndong-Jatta, Directrice, Division pour la promotion de l’éducation de base 7 …Elle ne vit pas ce que j’ai vécu… «M on père buvait, ma mère m’avait abandonnée. J’ai été violée par mon père et par mon frère à sept ans. Je me suis droguée dès cet âge : héroïne, cocaïne, etc. J’ai vécu avec un trafiquant de drogues qui me fournissait sans limites. Je pouvais flamber autant d’argent que je voulais. Je revendais de la drogue, même à des enfants. Pendant trois jours je suis venue devant la porte de SOLO PARA MUJERES en me disant j’entre, j’entre pas… Pour moi, un monde sans drogues n’était pas le monde. Et puis j’ai franchi le pas, j’avais 19 ans. Un jour, j’ai appelé à l’aide à deux heures du matin, ils sont venus. La première marque d’affection sincère de ma vie, je l’ai reçue à SOLO PARA MUJERES. Je me suis désintoxiquée par amour. J’ai rechuté. Je suis presque morte de la drogue, je suis restée huit mois à l’hôpital. J’ai failli partir avec mon copain dealer qui essayait tout le temps de me faire quitter le programme de SOLO PARA MUJERES. Mes plaies au bras ne guérissaient pas, j’ai cru perdre mon bras, j’ai fait une dépression, j’ai cru mourir. Alors j’ai décidé de quitter la drogue, définitivement. SOLO PARA MUJERES m’a proposé de devenir éducatrice. Au début, j’étais autoritaire, dure comme une pierre, mais mon caractère s’est modifié petit à petit. C’est tout un processus, on ne change pas du jour au lendemain, je pensais que je ne pourrais jamais être heureuse, maintenant, je me sens bien, j’élève ma fille. Elle ne vit pas ce que j’ai vécu. » Dina 8 Introduction Le Guatemala compte 12 millions d’habitants dont 2,5 millions vivent à Guatemala Ciudad et dans son agglomération. La capitale a accueilli le flot des paysans chassés de leurs villages par le conflit armé qui a sévi pendant plus de trente-six ans. Mais la pression démographique croissante sur les terres, l’insécurité, le chômage, la pauvreté et l’extrême pauvreté1 continuent de provoquer un fort exode rural qui fait exploser les zones urbaines, non préparées à recevoir un afflux si important de population2. Dans les quartiers périphériques récents, d’immenses bidonvilles se développent. Les conditions de vie y sont désastreuses et affectent les plus pauvres, notamment les enfants. Au sein de la cellule familiale, le plus souvent désintégrée, s’exercent de nombreuses maltraitances, physiques et psychologiques. Celles-ci s’inscrivent dans un contexte de violence généralisée qui s’aggrave sans cesse, notamment en raison des dysfonctionnements de la justice : assassinats d’hommes – et dans une proportion croissante de femmes – trafic d’armes, de drogue, et multiplication des gangs armés (maras ou pandillas). Chassés de chez eux ou bien n’acceptant plus la maltraitance, des enfants échappent à la loi familiale, s’enfuient à la rue, imaginant y trouver la liberté et une vie meilleure. Mais ils rencontrent la loi de la rue, encore plus dure. L’apprentissage de la vie à la rue passe par la recherche d’un groupe d’appartenance auquel se joindre. Les enfants doivent faire preuve d’assez de force pour se faire accepter par d’autres jeunes qui défendent violemment leur territoire. Les enfants de la rue ou, afin d’éviter d’accroître la stigmatisation sociale dont ils sont l’objet, les enfants en situation de rue, ont souvent été témoins, dès leur plus jeune âge, d’affrontements mortels. La lutte contre la pauvreté ne suffit pas à pallier les inégalités entre les sexes ni à corriger la condition d’infériorité dans laquelle se trouvent les femmes et les filles. Les filles en situation de rue souffrent d’une discrimination aggravée en tant que membres d’un groupe social défavorisé et vilipendé par l’opinion publique. On estime qu’elles représentent environ un tiers des enfants abandonnés à la rue au Guatemala. Même si leur nombre est 9 inférieur à celui des garçons, elles sont confrontées à un problème particulièrement grave si elles sont laissées à ellesmêmes, celui d’être mères de nouvelles générations qui survivent avec elles à la rue à la suite de grossesses précoces et non désirées. Comment des jeunes filles3 peuvent-elles vivre seules à 6 ou à 10 ans ? Sans formation, elles ne trouvent guère d’autres moyens, pour gagner de quoi subsister au jour le jour, que la mendicité et la prostitution. Par pudeur, elles disent alors qu’elles «s’occupent» auprès d’une clientèle locale pauvre : portefaix de la gare routière, ouvriers, marginaux… Elles ignorent les conséquences de la prostitution et gagnent juste de quoi tenir jusqu’au lendemain. Toutes se droguent : solvant, colle, marihuana, alcool, médicaments, cocaïne, crack4, etc. Elles imaginent que la drogue est un palliatif qui les aidera à vaincre l’angoisse, la faim, le sommeil, le froid, et leur donnera la force de supporter les clients, de voler et de se défendre contre les agressions dans la rue. Elles n’ont pas conscience que la drogue, prise au quotidien, crée l’addiction et que cette addiction engendre des effets désastreux pour leur santé et leur équilibre psychique, et influe sur leur comportement social. Un triple péril les menace, mettant leurs vies en danger : le VIH/sida, qui s’ajoute à d’autres infections sexuellement transmissibles (IST). l’alcoolisme et les surdoses de drogues dures, en particulier de crack et de cocaïne. les assassinats, qui résultent notamment de la « limpieza social 5». Broyées par cet engrenage, ces jeunes filles, victimes de multiples discriminations et rejets de la part de la société, n’ont aucune chance de quitter durablement la rue et de se construire un avenir sans l’aide d’institutions spécialisées dans leur prise en charge. Le Centre éducatif SOLO PARA MUJERES, association guatémaltèque laïque fondée en 1991, est l’une de ces institutions. Pour mieux répondre aux besoins et aux attentes de jeunes filles, souvent mères de très jeunes enfants, en situation de rue ou risquant d’y être confrontées, SOLO PARA MUJERES a crée deux foyers d’accueil distincts. Cette publication décrit les objectifs et les méthodes mises en œuvre en vue d’offrir à ces jeunes filles une éducation de qualité et un accompagnement leur permettant d’atteindre leur autonomie et leur réinsertion. L’approche personnalisée est au centre de cette méthodologie innovante, respectueuse de leur histoire et de leur personnalité. 10 1. Les objectifs du Centre éducatif SOLO PARA MUJERES Accueillir – protéger – soigner – éduquer – former – réinsérer SOLO PARA MUJERES considère que la fille, la femme et la mère doivent être placées au centre du développement social et économique. Les actions de SOLO PARA MUJERES ne se limitent pas à l’amélioration des conditions d’existence de celles qui vivent à la rue. Elles tendent à leur procurer les moyens de quitter la rue grâce à un processus éducatif qui introduit un changement radical par rapport à leur vie passée, et leur permet de s’engager sur le chemin de la réinsertion. L’objectif général est donc d’enrayer, par l’éducation des jeunes filles et de leurs enfants, la progression de nouvelles générations de familles de la rue. la nutrition, à l’éducation et à la formation. Intégrer les jeunes filles dans un processus social et éducatif par la mise en place de méthodes et d’outils novateurs. Les actions de SOLO PARA MUJERES contribuent également à la réalisation de la plupart des Objectifs du Millénaire pour le développement fixés par la communauté internationale6: 1. 2. 3. SOLO PARA MUJERES s’attache particulièrement à : Faire respecter les droits des jeunes filles, les protéger et leur donner accès à la santé, à 4. 5. 6. Réduire l’extrême pauvreté et la faim. Assurer l’éducation primaire pour tous. Promouvoir l’égalité des sexes et l’autonomisation des femmes. Réduire la mortalité infantile. Améliorer la santé maternelle. Combattre le VIH/sida, le paludisme et d’autres maladies. 2 11 2. L’approche méthodologique : la Méthode d’InvestigationAction Continue La Méthode d’Investigation-Action Continue (MIAC) a été élaborée en 1993 par SOLO PARA MUJERES, à partir d’expériences concrètes avec des jeunes filles en situation de rue. Cette méthode, enrichie au fil des années, propose des axes d’action diversifiés et complémentaires. Offrir un accompagnement personnalisé dans des foyers distincts La plupart des structures qui travaillent avec les enfants en situation de rue reconnaissent l’importance de disposer d’un lieu d’accueil. C’est là que peut être entamé un processus personnalisé de stabilisation et de réinsertion sociale. L’essentiel du dispositif de SOLO PARA MUJERES repose sur l’accueil des jeunes filles dans deux foyers distincts, ouverts tous les jours de l’année, de jour comme de nuit. Ils hébergent des jeunes filles provenant de la capitale et de régions rurales éloignées. A l’exception de celles qui sont confiées par le juge du tribunal des mineurs, les jeunes filles sont accueillies selon le principe du volontariat. Ce sont elles qui décident de leur plein gré de demeurer dans les foyers. Les jeunes filles accueillies dans le quartier de la gare routière (foyer de la Terminal) sont très vulnérables et ont vécu à la rue sous l’emprise de la drogue jusqu’à leur entrée dans le foyer. Les jeunes filles accueillies dans l’autre foyer (foyer de la zone 1) sont elles aussi très vulnérables mais stabilisées. Les deux foyers offrent un même type d’accueil, familial et participatif ainsi qu’un 12 enseignement scolaire, au sein des foyers ou à l’école. La méthode suivie prend en compte la situation de chaque jeune fille et s’appuie sur l’histoire familiale et personnelle de chacune. Il n’existe pas de norme unique qui s’appliquerait indifféremment à toutes. Afin de modifier des modèles de conduite déjà profondément ancrés depuis la petite enfance - faute d’un cadre familial approprié - il est important de considérer ces jeunes filles comme des individus dotés de personnalités distinctes et non comme un groupe collectif indifférencié. Chacune doit pouvoir faire émerger le meilleur d’elle-même, en mobilisant toutes ses ressources, afin d’accroître sa capacité de résilience7. Dès l’entrée dans un foyer, un dossier personnel est constitué comportant, entre autres, le nom, le surnom, l’âge, l’adresse des parents et le niveau scolaire. La jeune fille est photographiée si elle y consent, elle peut commencer par refuser par méfiance ou par peur. Au fil d’entretiens approfondis, d’autres fragments du passé de la jeune fille apparaissent, notamment les causes de l’abandon du foyer familial. Elle décrit ses souffrances, ses activités de survie à la rue, ses rapports à la drogue. La chronologie des événements qui ont marqué son histoire est progressivement reconstituée, en sachant qu’elle peut comporter des lacunes et des contre-vérités8. La jeune fille explique la manière dont elle a connu le Centre éducatif et décrit ses attentes le concernant. Toutes les informations données sont consignées de façon confidentielle et fréquemment mises à jour. Il est essentiel de prendre en compte à la fois les cicatrices qui ont marqué sa vie ainsi que, le cas échéant, le temps passé à la rue. Responsabiliser les jeunes filles et les rendre actrices de leur reconstruction Les jeunes filles en situation de rue suscitent beaucoup de représentations négatives dans l’opinion publique qui ignore et leurs difficultés et leurs compétences. Comme le souligne la MIAC, les considérer comme des actrices responsables de leur vie et non comme des victimes que l’on assiste, est une condition nécessaire à leur libre décision de quitter la rue et de changer de vie. Cette méthode s’appuie sur les ressources personnelles, les besoins et les espoirs des jeunes filles. Même très jeunes, elles doivent être placées au centre des décisions qui les concernent. Pour les responsabiliser, l’équipe éducative les aide à élaborer un projet d’avenir. Il résulte d’un « engagement négocié », axe fondamental de la méthode. C’est un processus d’échanges entre les bénéfices attendus d’un comportement sociable et l’effort qu’il implique, en particulier celui de renoncer à l’usage de drogues. Ce processus exige le respect de règles de vie dont l’intériorisation progressive 13 est indispensable pour réussir à échapper à la dynamique de la rue et à assurer une autonomie ultérieure. La méthode met également l’accent sur l’importance de donner à chaque jeune fille le temps indispensable à sa réadaptation. Il faut respecter la durée nécessaire au changement d’attitude et de comportement, chacune devant pouvoir modifier sa conduite à son propre rythme. L’équipe éducative cherche à intervenir au moment précis où la jeune fille en éprouve le besoin. Le processus de réinsertion peut durer plusieurs années, surtout pour celles qui ont vécu longtemps à la rue, ce qui explique que les jeunes filles sont acceptées au sein des foyers au-delà de 18 ans, l’âge de la majorité légale au Guatemala. Un accompagnement prolongé permet aux jeunes mères d’assurer l’éducation de leurs enfants qui vivent avec elles au sein des foyers. Il faut souligner que cette méthode offre un cadre d’accompagnement structuré, tout en laissant aux jeunes filles un espace de liberté pour se reconstruire. Il s’agit d’abandonner l’espace de liberté sans responsabilité et sans contrainte qu’offre la vie à la rue, l’un de ses attraits majeurs aux yeux de jeunes à la dérive. Elles doivent apprendre à conjuguer liberté et sens des responsabilités. L’action de SOLO PARA MUJERES, initiée dans la rue ou dans les foyers, se prolonge au-delà du départ des jeunes filles. Les anciennes savent qu’elles peuvent main- tenir ou renouer le contact avec le Centre éducatif, même si elles ne se sont pas manifestées pendant de nombreuses années. Lorsqu’elles sont confrontées à de graves difficultés, elles viennent demander des conseils, un appui psychologique ou encore financier. Les deux foyers sont pour elles des centres de ressources et d’orientation. SOLO PARA MUJERES insiste sur le fait que les difficultés et les inévitables rechutes ne doivent pas interrompre le processus de réinsertion. Permettre à ces jeunes filles d’accéder à leurs droits, en particulier au droit à l’éducation Une description, même succincte, du vécu de ces jeunes filles laisse percevoir à quel point leurs droits ont été bafoués dès leur plus jeune âge. Le respect des droits fondamentaux est au cœur de la MIAC. Par cette méthode, SOLO PARA MUJERES s’efforce de faciliter l’accès à l’ensemble de ces droits : droit à la vie, à la protection et au logement, droit à l’alimentation, droit à la santé, droit à l’éducation. L’éducation constitue par les valeurs, les savoirs et les normes qu’elle transmet, un facteur incontournable qui aide ces jeunes filles à retrouver l’estime d’elles-mêmes et à acquérir leur autonomie. 14 L’éducation constitue par les valeurs, les savoirs et les normes qu’elle transmet, un facteur incontournable qui aide ces jeunes filles à retrouver l’estime d’ellesmêmes et à acquérir leur autonomie. SOLO PARA MUJERES donne la priorité à l’éducation, considérée comme un processus en plusieurs étapes qui parvient à générer de nouveaux modèles de comportement. La MIAC repose sur un système quotidien d’enseignement/apprentissage qui évite au maximum les critiques et les punitions (renforcement négatif), car elles inhibent les jeunes filles. En revanche, les encouragements et récompenses (renforcement positif) sont privilégiés ; ils permettent d’accroître leur participation aux divers apprentissages. Acquérir des connaissances ouvre la voie à l’adoption de comportements différents. Même s’ils sont modestes, les progrès doivent être régulièrement encouragés. Afin de motiver celles qui décident d’étudier et de leur apprendre à épargner et à gérer un budget, SOLO PARA MUJERES leur donne chaque semaine un peu d’argent de poche dont le 15 montant est limité pour prévenir l’achat de drogue. Réunir une équipe pluridisciplinaire autour d’un projet pédagogique La viabilité et la pérennité de toute action en faveur des enfants en situation de rue reposent sur l’expérience et la compétence de l’équipe d’encadrement. La direction de SOLO PARA MUJERES accorde une grande importance à la cohésion de cette équipe qui travaille dans des conditions rendues souvent éprouvantes par l’état physique et psychologique des jeunes filles. La présence d’une même équipe sur le long terme contribue à stabiliser celles qui ont toujours vécu dans un univers caractérisé par l’instabilité et la précarité. Chaque membre de l’équipe est formé pour assurer une fonction éducative, en fonction des circonstances. Les capacités d’écoute, la qualité du contact et le respect des jeunes filles sont des critères majeurs de recrutement. L’effectif permanent de SOLO PARA MUJERES se compose d’une douzaine de personnes. Trois d’entre elles ont reçu une formation universitaire : la directrice générale, la psychologue et la travailleuse sociale. Afin de réduire les frais de personnel, la directrice générale dirige le foyer de la zone 1, et la psychologue dirige le foyer de la Terminal tout en remplissant ses fonctions de psychologue auprès des jeunes filles des deux foyers. En cas de difficulté particulière, cette dernière apporte un soutien aux éducatrices et répond aux demandes de jeunes mères qui ont déjà quitté le foyer. La travailleuse sociale s’occupe plus particulièrement de toutes les démarches administratives et des relations avec les familles auxquelles elle rend visite. Une institutrice travaille à plein temps pour le Centre éducatif et répartit son temps entre les deux foyers. Six éducatrices complètent l’équipe d’encadrement. Quatre d’entre elles ont une expérience de la rue qu’elles ont quittée au terme d’un processus accompli au sein de SOLO PARA MUJERES. Leur connaissance de l’ensemble des stratégies de survie à la rue facilite leur contact direct avec les jeunes filles. Une secrétaire comptable à mi-temps assure les tâches administratives. L’équipe permanente de SOLO PARA MUJERES bénéficie également des compétences de personnes et d’institutions spécialisées extérieures, notamment pour les soins médicaux quotidiens et les urgences. Des monitrices extérieures apportent leur concours à certaines activités manuelles ou artistiques. Des jeunes filles, choisies pour leur motivation, ont un rôle d’assistante auprès des éducatrices des deux foyers. Elles aident aux tâches quotidiennes tout en poursuivant leur processus de réinsertion. Par exemple, dans le foyer de la Terminal, 16 elles s’occupent des enfants dont les mères sont absentes, accompagnent les malades à l´hôpital, participent à la distribution de préservatifs pendant les parcours de rue et collaborent aux séances de sensibilisation concernant les IST et le VIH/sida. L’accomplissement de ces tâches, qui leur permet de se constituer un petit pécule, les responsabilise, les met en valeur et marque une rupture par rapport à leur vie dans la rue. L’équipe insiste sur la participation de toutes les jeunes filles aux travaux ménagers, qui doivent être répartis de façon équitable. Elles acceptent ainsi des tâches qui leur ont été le plus souvent imposées par le passé dans un climat de violence familiale. L’équipe de SOLO PARA MUJERES évalue tous les trimestres les comportements et les attitudes de chaque jeune fille afin de mettre en lumière les changements positifs ou négatifs intervenus. L’équipe évalue également les résultats de son propre travail. L’enjeu est de rechercher les options les plus aptes à favoriser l’épanouissement et l’éducation de chaque jeune fille, ce qui implique de réajuster en permanence les objectifs selon les circonstances et l’évolution de son parcours. La longue expérience de SOLO PARA MUJERES enseigne que, pour mener des actions efficaces et pérennes auprès de ces jeunes filles, le personnel doit être professionnel, qualifié et, dans la mesure du possible, salarié afin d’assurer une régularité dans le travail mené. La dynamique d’une institution est étroitement liée à l’engagement personnel de la direction qui doit savoir encadrer et motiver les membres de l’équipe, et instaurer de bonnes conditions L’équipe insiste sur la participation de toutes les jeunes filles aux travaux ménagers, qui doivent être répartis de façon équitable. 17 de travail. Il est essentiel qu’une institution puisse compter sur une équipe pluridisciplinaire, composée en majorité de responsables de terrain. Assurer un suivi de la gestion des fonds Les tâches administratives liées à la gestion des fonds octroyés à SOLO PARA MUJERES ont été simplifiées et rationalisées. Par exemple, un tableau de bord indique l’état trimestriel des recettes et des dépenses. Les cahiers de présence des jeunes filles (de jour et de nuit) et le relevé des parcours de rue sont systématiquement analysés. L’élaboration de rapports d’activités et de statistiques régulièrement tenues à jour est un outil indispensable au bon fonctionnement d’une La mise en place d’un processus de réinsertion, institution. Il sert à l’évasouvent long et chaotique, requiert des lieux luation des programmes, à d’accueil (foyers, centres d’écoute, etc.), des leur orientation ainsi qu’à équipes d’encadrement stables et compétentes, l’information requise par les ainsi qu’un suivi administratif rigoureux. Les bailleurs de fonds. Dans le méthodes pédagogiques conventionnelles cas de SOLO PARA MUJERES, appliquées par les institutions qui travaillent un contrat de coopération avec des jeunes en situation de rue ne se a été signé entre l’associarévèlent pas toujours efficaces. SOLO PARA tion et son principal bailleur MUJERES offre un éclairage différent à travers la de fonds9, stipulant les MIAC, méthode de socialisation et d’éducation engagements de chacune fondée sur une plate-forme de propositions des parties. qui inclut la participation des bénéficiaires. Cette méthode s’est perfectionnée au cours des années, prenant appui sur l’expérience acquise. Elle doit être considérée comme un cheminement incitant les jeunes filles à surmonter peu à peu leurs épreuves, et non comme un modèle définitif. Cette méthode a abouti, malgré des difficultés et des échecs dans son application, à mettre au point certains protocoles d’accompagnement qui leur offrent de meilleures opportunités d’éducation, de formation et de réinsertion sociale. 18 3. La prise en charge, l’éducation et la réinsertion des jeunes filles Le suivi médical et psychologique Dès l’arrivée des jeunes filles, en général dénutries et anémiées, SOLO PARA MUJERES assure les premiers soins de santé10 et un suivi médical régulier dont elles n’avaient quasiment jamais bénéficié avant leur arrivée. Ce suivi est parIl est essentiel, pour ticulièrement important pour les jeunes filles qui initier et mettre en présentent des grossesses à risque, comme c’est œuvre un processus le cas de celles qui ont moins de 15 ans. L’équipe d’éducation et de prend en charge les examens de laboratoire et raréinsertion durable, diologiques, les soins dentaires, les soins maternels d’apporter une et infantiles, les vaccinations, et accompagne celles attention particulière qui sont malades à l’hôpital. En effet, les jeunes filles au suivi médical et n’ont droit ni à une couverture sociale, ni à une aide psychologique. médicale gratuite, sauf en cas d’hospitalisation. SOLO PARA MUJERES organise des ateliers de sensibilisation sur des questions d’hygiène de vie et de nutrition. Ces ateliers, ainsi que les examens médicaux pratiqués, sont l’occasion d’attirer l’attention des participantes sur les dangers qu’elles encourent et sur les moyens de se prémunir des maladies qui compromettent leur fertilité et souvent leur vie. SOLO PARA MUJERES insiste particulièrement sur les risques liés à l’abus de drogues. 19 La lutte contre le VIH/sida est un axe de travail très important. Les jeunes filles en situation de rue appartiennent aux groupes les plus vulnérables, au sein desquels se concentrent jusqu’à 69 % des infections au VIH au Guatemala11. Consciente de la gravité de l’épidémie au sein de cette population, SOLO PARA MUJERES développe des cours d’éducation sexuelle destinés à prévenir le VIH et autres IST. Cette éducation est permanente et une vingtaine de formations sur des thèmes précis sont assurées chaque année. Des associations spécialisées sont invitées à parler du VIH/sida et des groupes de jeunes malades viennent régulièrement témoigner. A partir de leur vécu, ils s’efforcent de faire comprendre les modes de transmission du VIH et donnent des informations sur les moyens de prévention. L’objectif de ces différentes actions est d’aider les adolescentes à prendre conscience de la nécessité de modifier leurs comportements, pour éviter d’être contaminées et de contaminer leurs partenaires sexuels. La psychologue explique : « Leur croissance est marquée par la promiscuité et par une vie sexuelle dure et violente. En règle générale, elles ont connu des abus sexuels qui entraînent une sexualité précoce, des déformations de l’identité sexuelle et souvent la prostitution. Lorsqu’elles arrivent à la rue, elles se trouvent plongées dans l’univers de la drogue, avec tout ce qu’il implique. Elles s’adonnent à la drogue dans un état d’esprit d’imitation du groupe de référence, attitude inconsciente de défi face au rejet de la société ou d’agressivité tournée vers elles-mêmes. Il convient à ce propos de mentionner de multiples mutilations et tentatives de suicide. Par ailleurs, même si elles participent à de nombreux ateliers et discussions sur les drogues et les IST, qui soulignent les risques liés au VIH/sida, elles ne mettent pas en pratique leurs connaissances. Elles semblent seulement viser des buts et des plaisirs immédiats, sans penser aux conséquences de leurs actes. » 20 SOLO PARA MUJERES veille au respect de la confidentialité des dossiers médicaux. Lorsqu’une jeune fille, à la suite de tests pratiqués à l’hôpital, apprend qu’elle est séropositive et qu’elle l’annonce à la psychologue, cette dernière lui apporte tout l’appui nécessaire pour l’aider à accepter son état. Elle bénéficie d’un suivi médical et d’une alimentation saine comprenant des suppléments vitaminés qui contribuent à améliorer sa qualité de vie. Elle est totalement intégrée dans l’environnement chaleureux du groupe dont elle partage toutes les activités. Le sida évolue de façon alarmante parmi cette population à risque très élevé en raison de la promiscuité dans laquelle elle vit, de ses pratiques sexuelles et de la prostitution. Il est impératif de réfléchir à des messages clairs et accessibles, de faire évoluer les mentalités et de provoquer des changements de comportement qui aideront à lutter contre l’expansion de la pandémie. SOLO PARA MUJERES soutient les recommandations du Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme, à savoir qu’il est urgent d’entamer une campagne nationale de conscientisation sur les risques liés au sida et autres IST, auprès des prostituées et des clients. La prévention ciblée sur la population pauvre et extrêmement pauvre du Guatemala est quasiment inexistante. Le soutien psychologique apporté est fonction de la gravité des traumatismes subis. Si les thérapies doivent être le seul fait de professionnels, il est indispensable que l’ensemble de l’équipe participe à ce soutien. 21 La psychologue décrit les traits de personnalité des jeunes filles accueillies : « Les traits de personnalité et les comportements de ces adolescentes trouvent presque toujours leur origine dans les traumatismes subis au cours des premières années de leur vie et dans les dysfonctionnements de l’environnement social et familial. Ceci signifie qu’ils les ont empêchées de s’identifier correctement à l’une ou à l’autre figure parentale. Parfois l’adolescente a été manipulée par un parent contre l’autre, d’autres fois elle a été récompensée à l’excès, ou encore, elle a été châtiée sans raison. Au fur et à mesure qu’elles grandissent, elles deviennent parfois inaccessibles, méfiantes, irresponsables. Elles paraissent affectivement froides et incapables d’établir des relations stables. Elles changent souvent d’humeur sans cause apparente. Distantes, elles ont du mal à donner et à recevoir de l’affection. Facilement irritables, elles ont une estime d’elles-mêmes extrêmement basse et une tolérance faible à la frustration. Elles font appel à de nombreux mécanismes de défense, se montrant souvent inflexibles, agressives, rebelles, en particulier envers les personnes qui représentent l’autorité et envers la société en général. » Des thérapies différenciées sont proposées au sein de chacun des deux foyers, les jeunes filles les plus profondément traumatisées pouvant bénéficier de thérapies individuelles. Dans des situations d’urgence, ces thérapies sont engagées au cours d’un appel téléphonique ou directement dans la rue. Les thérapies de groupe, organisées chaque mois, permettent d’établir d’authentiques échanges des jeunes filles entre elles et avec la psychologue, et contribuent à leur développement cognitif et affectif. Elles sont d’autant plus importantes que leur niveau d’analyse et leurs moyens d’expression sont souvent très faibles, en raison notamment de leur manque d’accès à l’éducation. La psychologue anime des ateliers artistiques thérapeutiques qui favorisent l’émergence de la parole. Ceux-ci permettent d’aborder sans contrainte des sujets très douloureux et de trouver des solutions aux conflits passés et présents, ce qui aide les jeunes filles à surmonter les épreuves subies et à mieux vivre ensemble. Ces ateliers artistiques tels que le dessin, la peinture et la musique sont 22 l’occasion pour elles de proposer des thèmes qui seront traités dans les thérapies de groupe mensuelles : mauvais traitements, abus sexuels, estime de soi, développement des jeunes enfants, etc. SOLO PARA MUJERES les encourage à participer très jeunes à ces activités individuelles ou de groupe, afin qu’elles prennent tôt conscience de leur propre valeur et de celle d’autrui. L’appartenance au groupe constitue, par les discussions qu’elle encourage et l’entraide qu’elle suscite, un soutien très important. L’équipe de SOLO PARA MUJERES insiste sur la nécessité d’apporter également un soutien psychologique aux familles, qui sont visitées à domicile ou reçues dans les foyers. Il est essentiel de connaître les causes de leur détresse afin d’identifier les facteurs qui favorisent l’émergence de comportements violents et le rejet de leur enfant. Il faut déterminer aussi pourquoi certaines jeunes filles n’acceptent plus leurs proches parents et refusent de renouer des liens qui leur permettraient de réintégrer durablement leur famille. Dans la majorité des cas, les familles de ces jeunes filles connaissent une situation sociale et économique très difficile. L’homme qui vit avec la mère de ces jeunes filles est rarement leur père. Il rejette et maltraite fréquemment l’enfant né d’une précédente union. La mère, en tant que femme, occupe une position sociale très basse et ses propres conditions de vie peuvent la rendre maltraitante. Peu éduquée, elle intériorise des valeurs de soumission et de dépendance envers les hommes. En cas d’abus sexuels commis sur ses enfants par son compagnon ou par un proche parent, elle se sent désarmée pour prendre leur défense. Le machisme règle la plupart des rapports entre hommes et femmes. Il a un effet déstabilisant, en particulier sur les relations familiales des plus pauvres : « Le machisme instaure une supériorité de l’homme sur les autres membres de la famille. Il confère à l’homme une certaine image de soi. Or, cette image souffre de son incapacité à remplir les fonctions vitales de la famille. L’homme risque de perdre la face. Dans ces conditions, le machisme déstabilise la position de l’homme qui finit par quitter la famille […] Lorsque l’homme quitte la famille, il s’installe le plus souvent auprès d’une autre femme et des enfants de celle-ci. Le cycle peut alors recommencer12. » Si le père et la mère sont décédés ou incapables d’assumer leur rôle parental, SOLO PARA MUJERES procède à la recherche d’un membre de la famille qui peut accueillir la jeune fille et contribuer, ne serait-ce que de façon partielle, à son éducation afin qu’elle ne se sente pas totalement abandonnée par les siens. Il convient également de souligner l’importance pour les enfants en situation de rue de retrouver un statut social et juridique. Beaucoup de ces enfants perdent ou se font voler leurs papiers et ne s’en préoccupent pas, préférant ne pas être identifiés. Lors d’interpellations policières, ils se dissimulent souvent sous leur surnom ou 23 un nom d’emprunt. La travailleuse sociale recherche ou fait établir les documents d’identité et les documents exigés pour les inscriptions scolaires. Ces démarches administratives sont souvent rendues difficiles par l’éloignement géographique du lieu de naissance, l’habitat dans des zones dangereuses, la disparition de la famille, la pratique répandue des fausses pièces d’identité, etc. Elles sont plus complexes pour les jeunes filles en provenance d’autres pays d’Amérique centrale (El Salvador, Honduras, Nicaragua principalement) et nécessitent l’intervention d’un avocat auprès de l’ambassade du pays concerné. Lorsqu’une jeune fille est en prison, la travailleuse sociale lui rend visite, prévient sa famille et fournit les documents administratifs nécessaires. Elle se rend auprès des adolescentes placées sous garde judiciaire. Durant l’incarcération de leur mère, les enfants sont pris en charge par SOLO PARA MUJERES. En cas de décès, si la travailleuse sociale n’a pas pu retrouver un membre de la famille pour identifier le corps et procéder aux formalités d’obsèques, elle prend en charge ces formalités. L’ensemble de ces actions visant à améliorer la santé, l’état psychologique et le statut social et juridique des jeunes filles conditionne l’efficacité des programmes d’éducation et de réinsertion. 24 De l’urgence à la stabilisation : le foyer de la Terminal « Des enquêteurs de la police ont déclaré que plus de 2 000 mineures étaient exploitées dans les quelque 600 bars et maisons de rendez-vous clandestins qui opèrent dans la capitale. L’un des lieux où se trouve le plus grand nombre de « bars bordels » est la Terminal, la gare routière des autobus de la zone 4, aux abords du quartier d’El Hoyo. C’est dans cette zone que l’on rencontre la plus forte concentration de prostituées mineures13. » Les jeunes filles sont exposées à de grands dangers lorsqu’elles vivent à la rue. La priorité est donc d’aller à leur rencontre afin d’initier un processus de désintoxication14 et de reconstruction progressif. Le foyer de la Terminal, ouvert en 2002, a accueilli chaque année de 60 à 75 jeunes filles et de 25 à 45 enfants pour des durées très variables, car leur présence au foyer a été entrecoupée de périodes plus ou moins longues de retour à la rue. En 2006, la durée moyenne des séjours n’a pas dépassé quatre mois. Les nombreuses années pendant lesquelles ces jeunes filles ont vécu abandonnées à la rue, la prostitution et leur forte dépendance à la drogue15 expliquent leur très grande difficulté à se stabiliser. L’évaluation effectuée par l’équipe éducative de SOLO PARA MUJERES, après plus de quatre années d’activité de ce foyer, a permis de constater que de nombreuses jeunes filles se sont révélées incapables de se libérer de l’emprise de la drogue, emprise d’autant plus forte que la consommation a commencé en général très tôt, dès l’âge de 7 ou 8 ans16. C’est à cause de la drogue que certaines jeunes filles, bien qu’informées des dangers mortels encourus et malgré les encouragements, refusent de quitter la rue. Confrontée à cet obstacle majeur, l’équipe éducative a proposé à chaque jeune fille une alternative claire : soit quitter le foyer, soit y demeurer en renonçant à la drogue et en suivant des études ou une formation. Afin d’éviter les rechutes, chacune s’engage dans le cadre d’un contrat moral et a l’obligation de rester au minimum un mois au foyer sans en sortir. L’institution, pour sa part, s’engage à lui offrir tout le soutien nécessaire. Certaines jeunes filles ont accepté ces conditions et continuent à vivre au foyer. D’autres ont préféré retourner à la rue. Elles n’ont pas été abandonnées pour autant, puisque les parcours de rue qui permettent d’aller à leur rencontre ont été renforcés et multipliés. Les jeunes filles qui ont vécu dans ce foyer, même de façon irrégulière, mesurent les bénéfices qu’elles ont pu en retirer. Elles ont pris conscience qu’elles étaient accueillies, pour la première fois de leur vie, dans un lieu de confiance où 25 elles étaient respectées, aimées et protégées contre les violences de la rue. Il en résulte qu’un certain nombre d’entre elles viennent parler à la psychologue des graves problèmes qu’elles affrontent dans L’évaluation du travail la rue, et de façon très accompli en quatre ans a donc subtile, donnent à enincité l’équipe éducative de tendre que le foyer leur SOLO PARA MUJERES à modifier manque. Quelques unes, les critères d’acceptation qui sont incarcérées, ont des jeunes filles en leur fait savoir qu’elles attendemandant, dans le cadre dent leur sortie de prison d’un engagement négocié, de pour revenir. Toutes sont quitter la rue et la drogue. encouragées à revenir au Les nouvelles règles établies foyer dans la mesure où ont rendu possible l’accueil elles acceptent les règles de nouvelles jeunes filles établies. n’ayant jamais connu ni la rue ni la drogue, comme celles provenant de zones rurales très pauvres. 26 Les parcours de rue et l’accueil au sein du foyer Les parcours de rue Le succès des programmes en faveur des enfants en situation de rue repose en partie sur la façon dont sont préparés et menés les parcours de rue, étape initiale essentielle du processus de réinsertion. L’équipe éducative de SOLO PARA MUJERES a mis en place des parcours quasi quotidiens. La psychologue, accompagnée d’une ou plusieurs assistantes qui connaissent les stratégies de survie à la rue, inclut dans son itinéraire des endroits dangereux, notamment ceux situés à proximité des lieux de vente de drogues dures. Les tout premiers contacts sont déterminants. Au cours de la phase d’approche qui doit être pratiquée avec un grand respect, l’équipe éducative établit avec les jeunes filles un climat de confiance nécessaire à leur libre décision de venir au foyer. Le soutien régulier apporté dans la rue est d’ordre psychologique, médical, administratif, et matériel. La psychologue, présente lors des parcours, écoute, conseille, et peut entamer une psychothérapie d’urgence. L’équipe éducative donne les premiers soins et conduit les jeunes filles malades à l’hôpital ou dans un centre de soin. Ces parcours sont l’occasion de mener des actions de prévention du VIH/sida. Dans le quartier de la Terminal, la distribution de préservatifs facilite les contacts et les discussions informelles. Il apparaît que, même si les jeunes filles sont informées des risques liés à la prostitution, elles ignorent très souvent les moyens de prévention des IST et du VIH. De nombreux clients, parce qu’ils peuvent plus facilement leur imposer des relations sexuelles non protégées, recherchent des mineures. Beaucoup d’entre elles, en particulier quand elles sont sous l’emprise de la drogue, acceptent de telles relations, car elles sont mieux payées. L’équipe de SOLO PARA MUJERES cherche à sensibiliser les jeunes filles et à les protéger, mais certains « bars bordels » sont inaccessibles et quelques unes refusent tout contact avec l’équipe. Par ailleurs, leur mobilité d’une zone de prostitution à une autre limite le suivi des actions. Afin de consolider les relations entre l’équipe et les jeunes prostituées, cellesci sont invitées à venir visiter le foyer et, une fois par mois, à partager un repas. Des invitations nominatives leur sont remises lors des parcours de rue. Le repas est précédé d’un groupe de paroles, vecteur important d’échange d’informations et de conseils. Mises en confiance, les jeunes filles peuvent aborder des problèmes intimes et choisir elles-mêmes les thèmes de discussion. L’équipe est confrontée à un nombre croissant de jeunes filles mineures en situation de prostitution. Depuis quelques années, elle rencontre également des filles et des femmes indiennes mayas, qui souffrent d’une triple discrimination en tant que femmes, prostituées et mayas. 27 …les tout premiers contacts sont déterminants… ...la distribution de préservatifs facilite les contacts et les discussions informelles... 28 Les parcours dans les rues, les jardins publics, les terrains vagues, les décharges, les squats, les hôtels de passe, sont l’occasion de suivre l’évolution du milieu de vie de toute une population marginalisée et de lui apporter un soutien attentif. Ces parcours permettent d’atteindre les compagnons des jeunes filles et des jeunes mères. Compte tenu du machisme environnant, il est rare qu’un changement positif puisse intervenir dans la vie de celles-ci sans l’accord explicite de leurs compagnons. Dès lors qu’ils connaissent mieux l’équipe éducative de SOLO PARA MUJERES, la méfiance fait place à la confiance et ils acceptent plus facilement que leur compagne aille vivre ou revivre dans le foyer. C’est par l’expérience acquise au fil des années que l’équipe a pris conscience de l’importance de ce travail auprès des compagnons des jeunes filles. Les premiers pas dans le foyer La méthode suivie insiste sur la qualité de l’accueil, souvent décisive pour la suite du séjour dans le foyer. Le droit au respect est un élément essentiel mis en avant dès l’arrivée des jeunes filles afin de les mettre en confiance. Elles se sentent rassurées d’avoir le choix de quitter le foyer ou d’y demeurer. Au sein du foyer, elles retrouvent souvent d’anciennes compagnes de la rue, ce qui les aide à mieux s’intégrer. L’équipe éducative s’assure qu’elles n’introduisent ni armes ni drogues, et respectent ainsi l’interdit énoncé dès la création du foyer et connu de toutes. Il est très important de rappeler et de préciser, chaque fois que nécessaire, les règles fondamentales du foyer (horaires, règles d’hygiène, politesse, etc.). Celles-ci sont parfois mal acceptées, les jeunes filles n’étant pas toujours disposées à respecter des règles qu’elles ignorent dans la rue. La psychologue s’efforce alors de démonter leurs mécanismes de défense et de leur faire accepter la vie en communauté. 29 La psychologue souligne : « Le rapport est plus facile avec certaines qu’avec d’autres, le degré de détérioration physique, mentale et émotionnelle de ces jeunes filles en très grand danger entrant en ligne de compte. Même si nous ne réussissons pas toujours à les garder au foyer – quoique nous y réussissions souvent – il est évident qu’elles entrent et observent la présence volontaire des autres jeunes filles qui y vivent. » L’équipe éducative attache une importance particulière à la coexistence entre les jeunes citadines venues de la rue et celles qui appartiennent à des ethnies mayas marginalisées dans leur pays, dont la culture, la langue et les habitudes alimentaires diffèrent. Ces jeunes filles Q’eqchi’ provienComme dans tout processus de changement, nent de hameaux isolés il a fallu un temps d’adaptation. Le groupe du département de des anciennes n’a manifesté aucun rejet face Cobán où elles sont exaux jeunes filles mayas ; elles ont tout de clues de l’éducation en suite cherché à les mettre à l’aise, pratiquant raison de leur extrême l’entraide comme elles sont habituées à le pauvreté et de l’isolefaire au sein du foyer. Les jeunes mayas ont ment de leurs commud’abord exprimé une certaine réserve face aux nautés d’origine. antécédents de drogues et de vie à la rue des anciennes. Puis partageant leur vie, elles ont appris à les connaître et à les respecter. Toutes ont un fort désir d’apprendre et mesurent l’opportunité exceptionnelle qui leur est offerte. 30 Vers une reconstruction progressive La détresse et l’instabilité des jeunes filles ralentissent le processus de stabilisation et de reconstruction. Pour accompagner ce processus, SOLO PARA MUJERES, parallèlement au suivi médical et psychologique, met en place des activités éducatives et artistiques. Les activités éducatives et artistiques Même si l’usage prolongé de drogues perturbe fortement les capacités intellectuelles, SOLO PARA MUJERES, loin de renoncer à l’éducation des jeunes filles qui ont vécu à la rue, leur permet d’acquérir des connaissances de base. L’institutrice de SOLO PARA MUJERES, présente deux heures tous les après-midi, utilise une méthode d’enseignement à distance17. Les matières les plus fréquemment enseignées sont le calcul, la lecture et l’écriture. L’institutrice intègre également des thèmes liés à la vie sociale : la vie quotidienne dans le monde d’aujourd’hui, les droits et obligations de chacun, l’histoire du Guatemala, les peuples indigènes, la vie municipale, etc. Lorsque les jeunes filles sont stabilisées, il devient possible d’entamer un travail éducatif plus soutenu qui leur permet d’atteindre au minimum le niveau de fin de cycle primaire. Grâce à cette méthode d’enseignement à distance, quelques unes ont pu conjuguer enseignement scolaire et formation d’infirmière auxiliaire, afin de réduire la durée de leur formation. Leur formation professionnelle est ainsi assurée sans que ce soit au détriment de l’enseignement général. SOLO PARA MUJERES insiste sur l’importance de proposer aux jeunes filles un emploi du temps rempli : activités scolaires, activités manuelles et artistiques, ateliers thérapeutiques, d’éducation sexuelle, d’estime de soi et de tolérance. La participation des jeunes filles à des activités manuelles et artistiques et à des ateliers favorise un processus de relaxation qui les aide à fixer leur attention et stimule leur créativité. 31 Ces ateliers doivent être variés afin de susciter et de maintenir leur intérêt : couture, artisanat, cuisine et pâtisserie, musique, peinture, réalisation de fresques murales, etc. Les cours de cuisine et de pâtisserie leur apprennent à partager les plats qu’elles ont préparés. Des cours de musique ont pu être organisés grâce à une donation privée qui a financé l’achat d’instruments. La musique et le chant leur permettent d’éliminer le stress, de s’exprimer et de donner une image positive d’elles-mêmes lors de prestations réalisées en présence d’un public. A l’occasion de l’atelier de peinture, une jeune fille témoigne : « Peindre nous aide beaucoup à oublier les drogues, nous valorise, nous indique qu’il est possible de vivre sans elles. Beaucoup de personnes ne savent pas évaluer nos compétences ni ce que nous sommes réellement. » L’équipe de SOLO PARA MUJERES veille attentivement à ce que toutes les jeunes filles participent aux activités. Elle intègre une dimension pédagogique à d’autres activités telles que la célé« Peindre nous aide bration menbeaucoup à oublier suelle des anles drogues, niversaires et nous valorise, l’organisation nous indique de sorties. qu’il est possible de vivre sans elles. Beaucoup de personnes ne savent pas évaluer nos compétences ni ce que nous sommes réellement. » 32 L’apprentissage du lien mère-enfant et les activités d’éveil L’accroissement du nombre de nouveaunés vivant à la rue dans un contexte de drogue, d’alcoolisme et de violence, soulève de fortes inquiétudes. L’accueil et l’éducation de ces enfants sont essentiels pour rompre la spirale de l’exclusion et éviter le drame de nouvelles générations de la rue. Une attention particulière est apportée aux mères de très jeunes enfants en rupture avec leur famille. SOLO PARA MUJERES les protège des périls de la rue et aide leurs enfants à grandir dans un environnement stable. Les éducatrices de SOLO PARA MUJERES veillent au développement du lien mèreenfant. Elles enseignent aux jeunes mères, maltraitées durant leur enfance, à ne pas reproduire ce qu’elles ont subi. Elles les encouragent et aident les mères inexpérimentées à prendre soin de leurs enfants, à les nourrir convenablement18 et à leur donner de l’affection. Les activités d’éveil19 font partie intégrante du programme du foyer depuis 2002, l’expérience montrant à quel point elles aident les enfants à prendre un bon départ dans la vie. Comme le souligne l’UNESCO, « les politiques de protection et d’éveil de la petite enfance ont des retombées positives pour une société : réduction de la mortalité infantile, scolarisation d’un plus grand nombre d’enfants, diminution des redoublements et des abandons de scolarité, meilleurs résultats scolaires […] et recul de la délinquance »20. Ces activités se déroulent chaque matin, avec la participation de la mère, ce qui contribue à renforcer le lien mère-enfant. Elles incluent par exemple des massages pour stimuler la psychomotricité des enfants, une thérapie par la musique et l’organisation d’activités ludiques qui développent les cinq sens. Elles permettent de détecter de façon précoce les handicaps physiques ou mentaux. D’autres activités d’éveil, destinées aux plus grands, conjuguent jeux et initiation au calcul, à la lecture et à l’écriture : jeux de construction, apprentissage des couleurs de base, localisation spatiotemporelle, etc. L’aspect émotionnel, fondamental pour les enfants, est développé à travers le contact corporel : on insiste sur l’importance de donner et de recevoir de l’affection. 33 Même si certaines jeunes filles ont vécu une situation qui semble désespérée, leur volonté et leur implication dans les divers programmes éducatifs et activités du foyer témoignent qu’il est possible d’aider nombre d’entre elles à prendre la décision de vivre régulièrement au sein du foyer et à retrouver progressivement confiance et estime d’elles-mêmes. Un environnement stable et un accompagnement personnalisé permettent une reconstruction progressive, de la sortie de rue à une reprise de contact graduelle avec l’éducation. Un nombre assez important de jeunes filles ont trouvé un travail et mènent une vie stable De l’éducation à la réinsertion : le foyer de la zone 1 Les jeunes filles accueillies dans le foyer de la zone 1 sont davantage stabilisées que celles qui vivent dans le foyer de la Terminal. Même si elles ont vécu des expériences très difficiles (viols, mauvais traitements, etc.), elles parviennent à se consacrer pleinement à des activités éducatives, ce qui favorise leur réinsertion. Le foyer de la zone 1, ouvert depuis 1991, recevait à l’origine une vingtaine de jeunes filles et d’enfants. En 2006, une trentaine de jeunes filles, d’un âge moyen de 15 ans, étaient accueillies avec leurs enfants. Les jeunes filles qui intègrent ce foyer sont le plus souvent amenées par un parent, des amis ou encore viennent de leur propre initiative. Quelques unes sont placées sous la responsabilité du Centre éducatif par un juge du tribunal des mineurs. Le tribunal reconnait la qualité du travail mené par l’équipe de SOLO PARA MUJERES et soutient l’accent mis sur l’éducation. Les rapports trimestriels que le juge requiert lui permettent de suivre l’évolution de chacune. 34 La méthode suivie par SOLO PARA MUJERES vise à offrir à chaque jeune fille la possibilité de réintégrer un processus éducatif, que ce soit au sein du foyer ou à l’école. L’institutrice, chargée d’évaluer les niveaux scolaires, distingue celles qui vont suivre un cycle d’études primaires ou secondaires au sein du foyer de celles qui peuvent être inscrites dans une école. Les jeunes filles accèderont ensuite soit à une formation professionnelle, soit à l’enseignement supérieur en fonction de leurs possibilités et de leurs désirs. L’éducation à distance L’institutrice dispense des cours au sein du foyer à celles qui ne peuvent pas fréquenter l’école faute d’y avoir été préparées, de faire preuve d’un comportement responsable ou d’y être autorisées21. La méthode appliquée, reconnue par le ministère de l’Éducation, s’intitule Escuela en su casa (l’École à la maison). Elle reprend les programmes scolaires officiels de l’enseignement primaire et secondaire qui permettent d’obtenir un diplôme national de fin de cycle. Cette méthode, élaborée par l’Institut d’éducation à distance (ISEA), inclut plusieurs thématiques : mathématiques, rédaction et orthographe, sciences sociales et sciences naturelles. Cet Institut fournit le matériel pédagogique. 35 Les copies d’examen, placées sous la responsabilité de l’institutrice, sont envoyées à l’Institut, qui les corrige. Les jeunes filles qui ont obtenu des résultats satisfaisants passent à l’étape suivante. Cet enseignement à distance autorise les élèves à effectuer les six années du cycle primaire en trois ans, avantage non négligeable, car il permet de rattraper un retard scolaire important. Le ministère décerne les diplômes nécessaires à l’intégration des élèves dans les établissements de l’éducation nationale. L’éducation en milieu scolaire L’inscription scolaire est devenue, au fil des années, une priorité pour SOLO PARA MUJERES, car l’école - en contribuant entre autre à la socialisation des enfants - leur offre un nouveau départ dans la vie. Les écoles sont choisies selon trois critères essentiels : des effectifs réduits à 25 élèves par classe afin de personnaliser l’éducation ; l’acceptation des jeunes filles par le personnel enseignant, sensibilisé à leur passé difficile ; la proximité géographique par rapport au foyer en raison de la violence urbaine. SOLO PARA MUJERES prend en charge la scolarité de toutes les jeunes filles. Celles inscrites à l’école primaire vont à l’école le matin tandis que celles du secondaire étudient au foyer avec l’institutrice. L’après-midi, ces dernières vont au collège et une éducatrice encadre les élèves du primaire pour la révision de leurs leçons. Comme le feraient les familles, les éducatrices participent aux réunions mensuelles de parents d’élèves afin de suivre l’évolution de chaque jeune fille et de déterminer si elle a besoin d’être soutenue dans sa scolarité. La directrice de SOLO PARA MUJERES signe tous les livrets scolaires. En appui aux activités éducatives, un centre informatique a été créé. Il permet aux jeunes filles de se familiariser avec les nouvelles technologies en effectuant des recherches informatiques : programmes de lecture et d’écriture, de mathématiques, de géographie, etc. L’ensemble des 35 jeunes filles qui ont été accueillies en 2006 dans le foyer de la zone 1 ont bénéficié d’un enseignement, soit à l’école, soit au sein du foyer, ont réussi leurs examens et sont passées au niveau supérieur. Une seule est retournée à la rue. Les cinq enfants présents dans le foyer en 2006 ont été inscrits dans les garderies et les écoles maternelles du quartier. 36 La formation professionnelle En 2006, quatre jeunes filles ont reçu une formation d’infirmières auxiliaires ; en 2007, elles étaient 12 à s’être inscrites dans cette filière. SOLO PARA MUJERES encourage et accompagne la formation professionnelle et l’insertion sur le marché du travail des jeunes filles, qui peuvent choisir parmi un large éventail de formations organisées dans des centres extérieurs spécialisés. Leur for- Nombre d’entre elles ont ainsi trouvé un travail stable, par exemple en tant qu’infirmière auxiliaire, éducatrice, assistante dentaire, coiffeuse, aide-comptable, secrétaire, ou encore vendeuse. mation achevée, elles bénéficient d’un appui de la part de l’équipe de SOLO PARA MUJERES pour leur recherche d’emploi. La travailleuse sociale va visiter le lieu de travail pressenti, vérifie la durée des horaires, le montant du salaire ainsi que les autres conditions de travail. Nombre d’entre elles ont ainsi trouvé un travail stable, par exemple en tant qu’infirmière auxiliaire, éducatrice, assistante dentaire, coiffeuse, aide-comptable, secrétaire, ou encore vendeuse. 37 Les activités manuelles et artistiques coiffure. Plusieurs d’entre elles ont par exemple suivi avec succès des cours de cuisine nationale et internationale. Certaines sont heureuses d’apprendre à se coiffer et à coiffer leurs proches, tandis que d’autres souhaitent se professionnaliser. Les techniques apprises dans les ateliers peuvent déclencher l’intérêt pour un métier. Les activités manuelles et artistiques sont généralement organisées en fin de semaine et pendant les vacances afin de donner la priorité aux activités scolaires. Elles sont choisies en concertation avec les jeunes filles qui peuvent faire elles-mêmes des L’éducation au sein du foyer, la scolarisation propositions et s’engagent et la formation professionnelle sont des leviers toutes à y participer : les qui offrent aux jeunes filles de nouvelles ateliers musique et peinopportunités pour leur avenir. Les bénéfices ture ont lieu en alternance d’une éducation de qualité sont illustrés par dans les deux foyers. Il leurs bons résultats scolaires, la poursuite des faut également mentionner études au niveau du secondaire pour celles qui les cours de cuisine et de le souhaitent et le peuvent, et l’insertion sur le marché du travail. Les ateliers musique et peinture ont lieu en alternance dans les deux foyers. Il faut également mentionner les cours de cuisine et de coiffure. 38 Conclusion La méthode utilisée par le Centre éducatif a été élaborée dans les années 1990 par ses fondateurs guatémaltèques à partir de leur expérience quotidienne. Le dispositif mis en place repose sur un accueil personnalisé de jeunes filles et jeunes mères dans deux foyers distincts, ouverts jour et nuit toute l’année, situés dans le centre de Guatemala Ciudad. Au sein de ces foyers, les jeunes filles sont protégées contre les violences du milieu familial ou de la rue et peuvent se reconstruire dans un environnement stable. Grâce au soutien psychologique qui leur est proposé, elles retrouvent progressivement l’estime d’elles-mêmes, mise à mal par les épreuves qu’elles ont subies, en général dès leur plus jeune âge. Le point essentiel de cette méthode est de placer chaque jeune fille au centre d’actions qui correspondent à ses espérances et à ses projets. Leur adhésion est indispensable, car le choix de changer de vie leur appartient. Selon une conviction partagée par toute l’équipe pluridisciplinaire de SOLO PARA MUJERES, la priorité doit être donnée à une éducation de qualité. L’éducation permet à ces jeunes filles d’acquérir au minimum les connaissances de base et leur ouvre ainsi l’accès à d’autres droits qui favoriseront leur autonomisation. L’expérience de SOLO PARA MUJERES enseigne que le destin de ces jeunes filles n’est pas définitivement tracé. Nombreuses sont celles qui réussissent à échapper à un statut traditionnel d’infériorité et de soumission. Elles gagnent ainsi la possibilité - qui leur a longtemps été refusée - d’agir par elles-mêmes et de décider de leur propre destin. L’exercice d’un métier qualifié leur permet de s’engager vis-à-vis de l’éducation de leurs enfants. Les résultats obtenus au sein du Centre éducatif sont encourageants et peuvent guider d’autres structures dans la mise en place et le renforcement de programmes d’accueil, d’éducation et de réinsertion pour les enfants en situation de rue ou risquant d’y être confrontés. Cette expérience réussie peut aider les organisations qui luttent pour le respect des droits de l’enfant. Elle témoigne de la capacité de ces enfants à reconquérir leur dignité. Respecter le droit de ces enfants à vivre le présent et à se créer un avenir est un devoir fondamental. 39 Cinq histoires de vie : Témoignages recueillis au sein des foyers La vie de S… «M on père a été assassiné. Ma mère était en prison quand je suis née. J’avais six ans lorsque ma mère s’est mise en ménage avec mon beau-père. Alors, ma vie a changé, ils me battaient tous les deux. Nous étions trois sœurs qui habitions dans la même chambre. Nous avons déménagé et ma mère a commencé à boire avec mon beau-père. Il a essayé de violer ma sœur, ma mère s’est fâchée, mais elle a continué à vivre avec lui, c’est ma sœur qui est partie. Je suis restée seule à la maison avec mon autre sœur, à garder un petit frère né de mon beau-père. Pendant que ma mère accouchait à l’hôpital, il a essayé de me violer moi aussi. Je n’ai pas voulu en parler à ma mère, mais peu de temps après, je suis allée vivre avec un ami. Ma mère a envoyé la police me chercher et j’ai été envoyée à la prison de… où je suis restée sept mois. Beaucoup de femmes policiers étaient lesbiennes, c’est là que j’ai connu le lesbianisme. Une femme policier lesbienne m’a envoyée me doucher toute nue, j’ai eu peur j’ai cherché à fuir, mais elle s’est contentée de me regarder. Elle me menait tout le temps à la douche et, si je refusais, elle me punissait en me faisant nettoyer les WC. Je voyais des filles de la prison s’embrasser et se toucher entre elles. J’avais 14 ans. Comme ma mère n’est jamais venue me chercher, je me suis enfuie avec deux autres filles à la rue. J’ai revu ma mère qui était en prison. Pendant ce temps, ma sœur s’est occupée de mon petit frère. Moi j’ai continué à vivre et à me droguer dans la rue. 40 Un jour, j’ai fait la connaissance d’une dame dans un jardin public de la capitale. Elle m’a dit de la suivre avec mon amie en province. Elle nous avait promis un travail, mais dès notre arrivée, elle nous a enfermées dans un bar. Elle nous a habillées comme elle voulait. Je suis restée sans sortir pendant deux ans, la vie était horrible. Elle nous a battues et nous a amenées à la police en prétendant que nous étions toutes deux majeures. Moi j’ai pleuré et j’ai dit que c’était faux, que nous étions mineures - mon amie avait 14 ans et moi 15 ans - et que nous voulions partir. Nous devions boire avec les clients, pour chaque bière qu’ils buvaient, nous recevions un jeton, mais jamais d’argent, ils payaient la Dame. Si nous refusions de monter avec un client, la Dame nous battait. Elle était méchante. Lorsqu’une fille est venue pour laver la vaisselle, elle l’a obligée à coucher avec le fournisseur de bière. Ses meilleurs clients étaient la police et ce fournisseur. Ensuite, un client m’a aidée à m’enfuir et je suis allée chez ma sœur. Elle m’a renvoyée chez ma mère qui vivait encore avec mon beau-père, tous deux fumaient de la marihuana. Ma mère a quitté mon beaupère et a vécu avec un autre homme, drogué lui aussi. Quand je suis revenue chez ma mère, elle a commencé à pleurer et à m’embrasser. Mais rien n’avait vraiment changé. Mon nouveau beau-père frappait beaucoup ma mère, il a fini par quitter ma mère pour une autre femme, alors ma mère s’est droguée de plus en plus jusqu’à en perdre la tête, elle a recommencé à me frapper, moi et mon frère. Après quelque temps, j’ai décidé de repartir à la rue et je me suis mise à voler. Je suis retournée en prison, là j’ai eu des relations avec plusieurs filles. En sortant, je suis allée habiter chez ma mère quelque temps. J’ai commencé à sortir avec des garçons, je ne voulais plus vivre avec des filles parce que tout le monde se moquait de moi. Je suis tombée amoureuse d’un garçon, ma relation avec lui était très forte et nous avons eu un enfant. C’est grâce à lui que j’ai connu SOLO PARA MUJERES où je vis maintenant. » 41 La vie de B… B… provient d’une famille désaxée : le père est alcoolique, la mère a subi des dommages cérébraux d’origine épileptique. Dès l’âge de sept ans, B… a souffert d’abus sexuels de la part de son père et probablement de trois de ses sept frères. Elle a subi des mauvais traitements physiques, verbaux, émotionnels, mentaux et sexuels. La mère a porté quatre fois plainte contre le père, la première dénonciation a été déposée quand la petite avait sept ans, mais la police n’a rien fait, et les abus ont continué. Son père l’agressait quand elle se refusait à lui. Sa mère l’insultait à cause des privilèges que son père lui accordait. Par exemple, si la nourriture ne suffisait pas pour tous les membres de cette famille extrêmement pauvre, le père la réservait pour lui-même et pour B… La mère disait du mal de sa fille à tout le voisinage afin de lui faire honte. La petite était constamment prise en étau entre ses deux parents, le père vivant avec ces deux femmes, la mère et la fille. Il considérait sa fille comme sa femme, et la mère, comme une rivale. La mère a continué à avoir des enfants du père. Le père a dit à B… qu’il voulait lui faire un enfant, les menaçant de mort, elle et sa mère, si elles parlaient. Le père a blessé la mère à l’arme blanche. Le père est alcoolique, très porté sur les femmes. Il a obligé B… à l’accompagner dans une maison de prostitution et à l’attendre au dehors. La mère a toujours travaillé à l’extérieur (elle fait des lessives et cuisine). Elle était soumise, effrayée, malade, à la disposition de toutes les exigences du père, y compris sexuelles, sans volonté d’introduire des changements dans la vie familiale. Il en résulte que B… ne s’identifiait pas à sa mère, ne la respectait pas. Abusée très jeune, elle considérait comme normal ce que son père lui faisait subir. Elle s’est identifiée à ce père violeur et a accepté sa relation avec lui. Plus âgée, B… a recherché l’aide de la police, qui l’a orientée vers le juge des mineurs. Par mesure de protection, il l’a confiée à SOLO PARA MUJERES. Elle a commencé une psychothérapie à la Procuraduría, mais celle-ci, surchargée de travail, a demandé à la psychologue de SOLO PARA MUJERES de poursuive la thérapie entamée auprès de cette adolescente fortement déprimée. En arrivant dans le foyer de la zone 1, B… a 42 manifesté le désir de rentrer chez elle, pour aider sa maman disait-elle, mais au fond d’elle-même, elle était désespérée de ne plus voir son père. Il lui faisait passer des billets doux pour lui dire qu’elle était la seule femme qu’il aimait réellement. La mère accepte avec grand intérêt de suivre des séances de thérapie offertes par la Procuraduría. Elle est disposée à aider sa fille depuis que celle-ci vit ailleurs. Elle voudrait que le juge vérifie si le père a abusé de ses autres enfants. Elle considère que son mari est coupable de nombreux délits et souhaite son inculpation. L’adolescente se sent beaucoup mieux. Ses relations avec sa mère ont repris après une période de fortes crises. La mère a eu le courage d’obliger le père à partir de la maison. Malgré cela, le père revient sans cesse au foyer, menaçant de mort toute la famille. B… est revenue vivre avec sa mère. Son père a continué à la harceler. Quelques mois plus tard, il est décédé après s’être immolé par le feu au cours d’une crise d’éthylisme. 43 La vie de H… «M a mère est morte quand j’avais 9 ans. Mon père m’a violée quatre jours après son décès. Le lendemain, je suis partie vivre à la rue. Je suis entrée dans le foyer d’une institution, mais je n’y suis pas restée, je suis retournée vivre à la rue. Je me suis droguée et j’ai rejoint la mara (bande armée) du quartier … de la capitale. A 13 ans, je me suis retrouvée enceinte d’un homme qui était bisexuel, ce que je ne savais pas. J’ignorais tout du sida, j’ai su ce que c’était seulement après la naissance de mon fils parce que je suis allée à l’hôpital pour son asthme. Peu après, son père m’a contaminée. J’ai été incarcérée pour vol. Le bébé est d’abord resté avec son père. C’est lui qui m’a appris à fumer du crack. Je ne l’aimais pas, mais il était plutôt correct avec le bébé. Après son assassinat, le bébé est parti dans ma famille. Il y a cinq ans, quand j’ai appris que j’étais séropositive, au début, je me suis sentie mal. Maintenant, je me sens mal de ne pas prévenir mes partenaires, mais je ne le fais pas. J’ai décidé seule de venir vivre ici au foyer de la Terminal de SOLO PARA MUJERES. J’ai mélangé les drogues : solvants, médicaments, colle, crack vendu en zone … de la capitale. Certains pharmaciens vendent sans ordonnance les médicaments avec lesquels je me drogue. Les vendeurs de crack me connaissent. Ils m’ont menacée de mort, disant que je sais des choses que je ne devrais pas savoir à propos de l’assassinat récent d’une fille. Ils s’entretuent pour garder le contrôle de la vente de drogues. Une dose de crack coûte de 25 à 30 quetzals, une dose de solvant coûte cinq quetzals. Il faut mener des activités délictueuses pour pouvoir s’acheter des drogues chères comme le crack, pour les drogues bon marché, il suffit de mendier. Si je mendiais, j’agresserais ceux qui refuseraient de me faire l’aumône. » H… vit au foyer, participe activement aux tâches ménagères, mais ne peut pas s’éloigner du foyer par crainte des narcotrafiquants. Elle sait qu’elle va mourir, mais vit apaisée le temps qui lui reste à vivre. 44 La vie de E… L a mère vivait avec sa fille à la rue, elle se droguait, volait, fréquentait beaucoup d’hommes. Elle a été incarcérée à plusieurs reprises, ce qui obligeait la petite, âgée de 5 ans en 2002, à survivre à la rue seule avec les compagnes de sa mère. Tout ceci représentait un risque très élevé pour la petite fille. Sa mère a décidé de l’emmener avec elle au foyer de la Terminal, mais comme elle souhaitait repartir à la rue, elle l’a laissée au foyer. « J’ai tant de peine parce que ma maman continue à aller à la rue, elle se drogue, elle se saoule » disait E… en pleurant. Dès son arrivée, elle a suivi les activités d’éveil destinées aux petits. En 2003, l’équipe de SOLO PARA MUJERES s’est réunie et lui a proposé d’entrer au foyer de la zone 1 afin qu’elle puisse aller au jardin d’enfants tout proche, car E… avait clairement manifesté aux éducatrices son désir de demeurer au foyer et d’aller à l’école. La petite fille a commencé en 2005 sa première année d’école primaire. Le papa d’E… a voulu connaître la situation légale de sa fille. Il a pris contact avec la directrice du foyer qui lui a conseillé de se présenter au tribunal des mineurs afin de s’informer de la procédure à suivre. Le juge a demandé à SOLO PARA MUJERES de lui envoyer un dossier complet sur la situation de la petite fille. Le papa, chauffeur de taxi la nuit, s’était rapproché de sa fille à plusieurs reprises, ce qui a paru positif à l’équipe de SOLO PARA MUJERES. Il vivait avec une autre femme dont il avait eu deux enfants mais qui n’acceptait pas E… Alors le père a consenti à laisser sa fille au foyer en semaine, afin qu’elle puisse étudier, et de la prendre chez lui uniquement le week-end. Cette décision a été approuvée, car elle convenait à chacun. La présence de la figure paternelle a beaucoup aidé la petite fille à atteindre ses objectifs, ainsi que ses excellents résultats scolaires l’ont attesté. Lorsque sa mère arrivait au foyer elle était droguée, sale, mal peignée. La directrice de SOLO PARA MUJERES lui a dit que ses visites étaient pleinement acceptées, car c’était son droit de mère de venir. Cependant, 45 elle lui a conseillé de se présenter correctement vêtue et propre, afin que l’enfant ait une image différente, positive de sa mère. Lorsque la mère était détenue, elle téléphonait au foyer pour demander une aide matérielle à SOLO PARA MUJERES (nourriture et articles d’hygiène), car en prison elle n’avait rien et ne pouvait compter sur personne. La mère d’E… est décédée en 2005. La petite fille a terminé son année scolaire au foyer, puis son père a rencontré le juge qui a décidé de la réinsérer dans le foyer paternel, avec l’accord de la belle-mère. La petite E… a pu vivre suffisamment longtemps dans les foyers de SOLO PARA MUJERES pour éviter le drame que représente un abandon aussi précoce à la rue et bénéficier d’un bon départ scolaire. 46 La vie de R… J’ ai 19 ans. Mon père, décédé, s’appelait Francisco et ma mère s’appelle Candelaria. Je suis la plus jeune de mes 7 frères et sœurs. Ma mère travaille aux champs, elle sème du cacao et du piment. Elle gagne environ 15 quetzals par jour. Quatre de mes frères sont mariés, ils ne nous apportent aucune aide financière. Dès l’âge de 5 ans, j’ai commencé à travailler. Je récoltais des piments et j’étais payée 5 quetzals par jour. Deux de mes frères ont été également obligés de travailler puisque mon père est mort lorsque j’avais deux semaines. Maman m’a raconté qu’il est mort de diarrhées et de vomissements. Il était alcoolique et il aimait courir après d’autres femmes. J’ai commencé le primaire dans l’école publique de notre communauté. Maman a demandé un prêt à des voisins pour pouvoir m’acheter des cahiers, qu’elle recouvrait de papier hygiénique. Je me souviens d’être allée très souvent à l’école le matin le ventre creux et quand je demandais un petit déjeuner, elle me disait que mon papa était mort et qu’elle n’avait rien à me donner. Je me souviens que j’ai redoublé trois fois la troisième année d’école primaire car je n’avais quasiment jamais de fournitures scolaires, par ailleurs, comme j’avais tout le temps faim, je n’arrivais pas à me concentrer, et je ne réussissais jamais à l’école. Aucun de mes frères n’est allé à l’école, moi je suis parvenue à y aller parce que quelques personnes m’ont aidée. Je suis sure que le bon Dieu m’a bénie lorsque, dans mon petit village de Sepoc, est arrivée la nouvelle de l’existence d’un lieu appelé SOLO PARA MUJERES, jamais je n’aurais osé rêver de pouvoir continuer mes études après l’école primaire. C’est parce que nous étions si pauvres que j’ai pu être choisie parmi toutes celles qui souhaitaient aller étudier à la capitale. Ils ont dit que les bénéficiaires seraient les plus pauvres d’entre nous. C’est ainsi que je suis arrivée au foyer de SOLO PARA MUJERES, qui est devenu ma maison. C’est là que j’ai su ce qu’étaient une douche, des sanitaires, un sol en dur et même une tomate – c’est quelque chose que les pauvres ne peuvent pas manger. Dans mon petit village, c’est un aliment rare et trop cher pour que nous puissions nous permettre d’en acheter. 47 Je n’ai aucune préférence alimentaire et lorsque je le pouvais, je mangeais de tout. Nous mangions du poulet à la maison s’il y avait un anniversaire, et encore pas toujours, seulement si nous avions de la chance - car il y avait souvent un « accident » (nous appelions ainsi l’épidémie) qui faisait mourir tous les poulets et les poules. Nous ne pouvions pas manger les œufs, car nous devions les vendre pour pouvoir acheter d’autres choses indispensables. Je me souviens que la maîtresse de l’école me disait que je ne réussissais pas parce que j’étais dénutrie et pleine de parasites. Lorsque quelqu’un tombait malade, il se soignait avec des herbes médicinales, car l’unique centre de santé n’a qu’une infirmière, pas de médecin et encore moins de médicaments. Si quelqu’un passait pour nous soigner, il nous laissait une ordonnance, mais nous n’avons jamais pu acheter les médicaments. Peut-être à cause du manque de vitamines et de l’atmosphère dans laquelle la plupart d’entre nous vivaient, nous avions des taches blanches sur la peau. J’ai toujours souffert de gastrite, comme maman et mes frères et sœurs, parce que le travail dans les champs est si dur que nous n’avions même pas le temps de manger. Les journées de travail commençaient à 3 heures du matin et se terminaient à 6 heures du soir, pour pouvoir gagner de 12 à 20 quetzals par jour. Nous quittions la maison très tôt, bien avant l’aube, parce qu’il fallait marcher beaucoup de kilomètres avant d’arriver aux champs. J’ai vécu la mauvaise expérience d’avoir été abusée sexuellement par un homme qui voulait que nous vivions ensemble et que nous ayons des enfants. Mais moi je ne voulais pas, parce que à SOLO PARA MUJERES j’ai appris que nous les femmes nous pouvons nous surpasser et continuer nos études, tandis que dans mon petit village les filles vont avec des fiancés dès l’âge de 12 ans, les parents préfèrent souvent donner leur petite fille à un homme plutôt que de la garder à la maison et lui permettre d’aller à l’école. Cette année, je termine ma troisième en suivant les cours par correspondance qui sont donnés au sein du foyer avec l’aide d’une institutrice, ce qui me permet de suivre en même temps une formation pour devenir infirmière auxiliaire. 48 Notes 1 L’Institut National de Statistique du Guatemala (INE) considère comme extrêmement pauvre toute personne dont le revenu est inférieur à cinq quetzals par jour (environ la moitié d’un euro). D’après cet Institut, 56 % de la population est pauvre, soit 6,4 millions de personnes, et 16 % de la population est extrêmement pauvre, soit 1,8 million de personnes. Perfil de la pobreza en Guatemala, Encuesta Encovi, 2000. 2 Selon l’INE, la croissance de la population dans le département de la capitale a atteint un taux de 28 % en huit ans, entre les deux recensements de 1994 et de 2002. 3 Dans cette publication, le terme jeune fille désigne toutes les filles, quel que soit leur âge. 4 Le crack est un mélange de cocaïne, de bicarbonate de soude et d’ammoniaque présenté sous forme de petits cailloux. Sa consommation crée rapidement une forte dépendance psychique et une très importante neurotoxicité. Il n’existe pas de traitement de substitution. 5 Pratique qui vise à éliminer les éléments jugés socialement indésirables. 6 En septembre 2000, les 189 États membres de l’Organisation des Nations Unies se sont engagés, par la Déclaration du Millénaire, à réaliser d’ici à 2015 huit objectifs. Les objectifs 7 et 8 visent à « assurer un environnement durable » et à « mettre en place un partenariat mondial pour le développement ». 7 « On s’est toujours émerveillé devant ces enfants qui ont su triompher d’épreuves immenses… Un mot permet d’organiser notre manière de comprendre le mystère de ceux qui s’en sont sortis. C’est celui de résilience, qui désigne la capacité à réussir, à vivre et à se développer en dépit de l’adversité. En comprenant cela, nous changerons notre regard sur le malheur et, malgré la souffrance, nous chercherons la merveille. » Boris Cyrulnik, Un merveilleux malheur, éditions Odile Jacob, 1999. 8 9 Le rapport à la vérité de ces enfants est très souvent perturbé en raison de leur vécu. L’Association « LES TROIS QUARTS DU MONDE », partenaire de SOLO PARA MUJERES depuis 1995, veille à la bonne utilisation des ressources et suit, au cours de missions régulières, la qualité du travail mené. 10 L’Organisation mondiale de la santé décrit la santé comme « un état complet de bien-être physique, mental et social qui n’est pas seulement l’absence de maladie ou de handicap ». 11 Ces données (mars 2003) proviennent d’un document du Fonds Mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme. Ce Fonds cible ses actions de prévention et de soin sur quatre groupes humains vulnérables. Ces groupes jouent un rôle majeur dans l’expansion de l’épidémie au Guatemala : les travailleurs et travailleuses du sexe, les hommes qui ont des rapports sexuels avec d’autres hommes, la population privée de liberté et les jeunes à risque élevé [jeunes de la rue, jeunes transgresseurs de la loi, jeunes membres des gangs (pandilleros)]. 49 12 Riccardo Lucchini, Enfant de la rue, identité, sociabilité, drogue, Genève-Paris, librairie Droz, 1993, 248 p., p.117. 13 María Ester Caballero ¿Objetos sexuales o sujetos sociales ? Un acercamiento a la prostitución infanto-juvenil en Guatemala, Procuraduría de los Derechos Humanos, Defensoría de la Niñez y de la Juventud, 1999. Une traduction française du texte est disponible auprès de l’Association LES TROIS QUARTS DU MONDE. 14 Aucun centre de désintoxication spécialisé n’est accessible à la population pauvre du Guatemala. 15 « Une personne prostituée ne peut accepter d’être réduite à un objet, sauf à mettre en œuvre un processus d’annulation psychique, pour ne pas dire d’anesthésie, face à l’acte prostitutionnel. Ces personnes souffrent dans une écrasante majorité de syndrome post-traumatique associé souvent à un syndrome de dépersonnalisation dans lequel leur nom et leur identité disparaissent… C’est également là que l’on comprend pourquoi la prostitution est si souvent associée à la prise de drogues ; drogues qui permettent la mise en œuvre de cette anesthésie dont les conséquences psychiques sont […] un processus de rupture avec la réalité qui, nécessaire à un moment donné pour supporter l’insupportable, obligera à des soins au long cours pour que tout cela puisse revenir dans l’ordre de l’humain. » Intervention du Dr. Robert Levy, psychanalyste, journée de rencontre et de réflexion sur le proxénétisme et la traite des êtres humains, mars 2007. 16 L’équipe de SOLO PARA MUJERES observe souvent de très jeunes enfants qui, voyant leurs mères se droguer, font à leur tour le geste de porter un chiffon à leur bouche comme s’ils inhalaient du solvant. 17 Cette méthode appelée Escuela en su casa (l’Ecole à la maison) est détaillée dans la partie : « De l’éducation à la réinsertion : le foyer de la zone 1 ». 18 « La relation forte qu’entretiennent pauvreté et dénutrition chronique indique que les filles et garçons âgés de moins de cinq ans qui en sont affectés, non seulement souffrent d’une alimentation déficiente, mais dans un futur proche, présenteront des risques élevés de contracter des maladies et de rencontrer des difficultés majeures dans l’apprentissage scolaire et dans ses résultats. » INE op. cit. p. 32. 19 L’UNESCO a soutenu ces activités d’éveil et de préparation à la scolarité. 20 UNESCO, Education aujourd’hui, n°14, juillet-septembre 2005. 21 Les mineures confiées chaque année par le tribunal afin d’être protégées du milieu familial ou criminel ont besoin de l’autorisation du juge pour se rendre à l’école, et doivent être accompagnées par une éducatrice ou une jeune assistante. Pour toute information complémentaire sur les activités du Centre éducatif SOLO PARA MUJERES, merci de contacter : SOLO PARA MUJERES Betty de Rueda, Fondatrice et Directrice générale de SOLO PARA MUJERES 11 Av. A 11-28 zona 2 Ciudad Nueva, Guatemala Ciudad, Guatemala Tél. : + 502 22 54 33 64 / Fax : + 502 22 54 04 84 LES TROIS QUARTS DU MONDE Anne Pascal, Présidente de l’association LES TROIS QUARTS DU MONDE 45 rue de Richelieu 75001 Paris France Courriel : tqm.apascal@wanadoo.fr Site internet : www.lestroisquartsdumonde.org UNESCO Secteur de l’éducation Division pour la promotion de l’éducation de base 7, place de Fontenoy 75007 Paris France Tél. : + 33 (0)1 45 68 11 73 Courriel : streetchildren@unesco.org aux n tio Dans les ruelles désertes et mal famées qui bordent les grands entrepôts de la gare routière de Guatemala Ciudad, une frêle silhouette erre dans la nuit. En s’approchant, on découvre le visage lisse et fermé d’une petite fille, le buste amaigri, le ventre déjà très arrondi. Dans son regard : détresse et solitude. Moins nombreuses que les garçons, exposées à davantage de dangers tels que la prostitution, les drogues, la violence, les jeunes filles en situation de rue survivent rarement au-delà de quelques années si personne ne leur vient en aide. Créé en 1991, le Centre éducatif SOLO PARA MUJERES (Uniquement pour les filles) est une association guatémaltèque qui accueille des jeunes filles dont la rue est l’univers quotidien. Ce document décrit la méthode mise en œuvre par le Centre éducatif pour donner à ces jeunes filles le maximum de chances de s’engager dans un processus éducatif et de réinsertion, qui leur permettra de se construire un avenir, pour elles-mêmes et pour leurs enfants. Secteur de l’éducation Division pour la promotion de l’éducation de base ,%342/)315!243 $5-/.$% u n rib t o n i t Co a c u sur s s d t e L’é jeun déba tifs et s s jec b e e o l d fil les hodes nes mét o i t l a u t i e s u r n e de atif duc L’ du C ES UJER M A R O PA ala SOL atem u G - nce rie expé eé entr