Analyse du secteur de la santé dans les urgences complexes

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Analyse du secteur de la santé
dans les urgences complexes
Un manuel modulaire
Auteurs
Enrico Pavignani et Sandro Colombo
Département Stratégie, politique et gestion des ressources (SPR)
Interventions sanitaires en situation de crise
Notice biographique des auteurs
Enrico Pavignani a travaillé au Mozambique de 1980 à 2002, d’abord comme médecin de district,
puis comme formateur d’agents de santé de niveau intermédiaire, et enfin comme planificateur
et analyste des politiques attaché au Ministère de la Santé. Il a étudié les systèmes de santé de
l’Afghanistan, de l’Angola, du Libéria, de la République démocratique du Congo, de la Somalie,
du Soudan, de la Tanzanie et du Territoire palestinien occupé.
Depuis 2000, il collabore avec l’Organisation mondiale de la Santé, essentiellement pour
l’élaboration de matériels de formation. Ses principaux domaines d’intérêt sont la planification et
l’évaluation des services de santé, la mise en valeur des ressources humaines, la fourniture des
soins de santé primaires, la gestion de l’aide extérieure, l’analyse des systèmes de santé mis à
mal par un conflit et la reconstruction après un conflit.
enricopavignani@hotmail.com
Sandro Colombo a commencé sa carrière comme médecin épidémiologiste en Italie. De 1986 à
1998, il a travaillé au Mozambique comme épidémiologiste et formateur au Ministère de la Santé.
Il a travaillé pour divers organismes des Nations Unies dans les domaines de la coordination,
de la planification et de la fourniture d’une assistance humanitaire en matière de santé, et de la
reconstruction après un conflit. De 2001 à 2008, il a été médecin à l’Organisation mondiale de la
Santé, où il a participé à l’établissement du présent manuel.
Depuis 2008, Sandro Colombo est Directeur des Systèmes de santé au Comité international
de Secours. Il a effectué des missions en Afghanistan, en Angola, dans les Balkans, en Iraq,
au Libéria, en Ouganda, en République démocratique du Congo, en Somalie et au Soudan. Ses
domaines d’intérêt professionnels sont notamment l’analyse des systèmes de santé, les situations
de transition après un conflit, la gestion de l’information sanitaire et l’épidémiologie de terrain.
colomboa@who.int
À Amelia
~
À Camilla et Sara. Elles savent pourquoi
Ce manuel a d’abord été publié en anglais en 2009 sous le titre: Analysing disrupted health sectors,
a modular manual.
Veuillez envoyer vos commentaires à griekspoora@who.int
Remerciements
Les auteurs remercient particulièrement les personnes suivantes pour leurs contributions dans le
développement de ce manuel:
Carmen Aramburu, Guitelle Baghdadi, Mark Beesley, Imanol Berakoetxea, Sarah Bernhardt, Oleg
Bilukha, Olga Bornemisza, Luisa Brumana, Emanuele Capobianco, Jarl Chabot, Giorgio Cometto,
Renato Correggia, Bart Criel, Amélia Cumbi, John Dewdney, Jorge Dupret, Joaquim Ramalho
Durão, Gyuri Fritsche, Richard Garfield, Olivier de Gomme, Peter Graaf, André Griekspoor, Roger
Hay, Peter S. Hill, Rizwan Humayun, Andrei Issakow, Omar Juma Khatib, Christopher Lane, Adam
Levine, Alessandro Loretti, George McGuire, Markus Michael, Xavier Modol, Karen Moore, Patrick
Mullen, Maurizio Murru, Roberto Nannini, Sam Okuonzi, Nigel Pearson, Thierry Rivol, Rino Scuccato,
Malcolm Segall, Dean Shuey, Joyce Smith, Paul Spiegel, Phyllida Travis, Lieve van der Paal, Robert
Verhage, Claude de Ville de Goyet, Ferruccio Vio, Gill Walt, Michel Yao, Wendy Venter, Dörte Wein,
Anna Whelan, Nevio Zagaria, Anthony Zwi.
Table des matières
Avant-propos par Daniel Lopez-Acuña
7
Le manuel en bref
9
Module 1
Introduction
11
Module 2
Donner un sens (approximatif) à des données (bancales)
31
Module 3
Analyse des perturbations du secteur de la santé en situation
de crise
63
Module 4
Étudier la situation et les besoins sanitaires
101
Module 5
Comprendre les processus d’élaboration de la politique sanitaire
127
Module 6
Analyser le financement et les dépenses du secteur de la santé
159
Module 7
Analyser les modèles de prestation des soins de santé
197
Module 8
Analyser les systèmes de gestion
231
Module 9
Étudier le réseau de santé
267
Module 10
Analyser les ressources humaines du secteur de la santé
289
Module 11
Analyser le secteur pharmaceutique
319
Module 12
Formuler des stratégies pour le relèvement d’un secteur
de la santé en crise
351
Module 13
Élaborer le profil d’un secteur de la santé
383
Module 14
Ressources
411
Module 15
Exercices
455
Index
511
Table des matières
Analyse du secteur de la santé dans les urgences complexes
4
Analyse du secteur de la santé dans les urgences complexes
ACL
Approche du cadre logique
APD
Aide publique au développement
APD
Accord de paix du Darfour
APLS
Armée populaire de libération du Soudan
ATNUTO
Administration transitoire des Nations Unies au Timor oriental
BCAH
Bureau de Coordination des Affaires humanitaires
BCP
Bilan commun de pays
CAD
Comité d’Aide au Développement
CAP
Procédure d’appel global
CERF/FCIU
Fonds central d’intervention d’urgence
CHAP
Programme global d’aide humanitaire
CHMP
Centrale humanitaire médico-pharmaceutique
CICR
Comité international de la Croix-Rouge
CPI
Comité permanent interorganisations (IASC)
CRED
Centre de recherche sur l’épidémiologie des catastrophes
DAPS
Dépenses totales des administrations publiques en santé
DFID
Department for International Development (Royaume Uni)
DHI
Droit humanitaire international
DITS
Dépenses internes totales en santé
DJAM
Mission d’évaluation conjointe pour le Darfour
DPvS
Dépenses privées en santé
DRH
Développement des ressources humaines
DSRP
Document de stratégie pour la réduction de la pauvreté
DTC3
Antidiphtérique-antitétanique-anticoquelucheux
ECHO
Service d’Aide humanitaire de la Commission européenne
EDP
Examen des dépenses publiques
EDS
Enquête démographique et sanitaire
EIU
Economist Intelligence Unit
EPIET
Programme européen de formation à l’épidémiologie d’intervention
FF
Fonds fiduciaire
FISCR
Fédération internationale des Sociétés de la Croix-Rouge et du
Croissant-Rouge
FMI
Fonds monétaire international
FMLSTP
Fonds mondial de Lutte contre le Sida, la Tuberculose et le Paludisme
FRPC
Facilité pour la réduction de la pauvreté et pour la croissance
FTS
Financial Tracking Service (service chargé du suivi des contributions
financières)
GAVI
Alliance mondiale pour les Vaccins et l’Immunisation
GDP
Gestion des dépenses publiques
GFT
Gouvernement fédéral de transition
GHD
Good Humanitarian Donorship (initiative)
HCR
Haut Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés
IASC
Voir CPI
IC
Intervalle de confiance
ICG
International Crisis Group
IDA
International Dispensary Association
IFI
Institutions financières internationales
INRUD
Réseau international pour l’Usage rationnel des Médicaments
IRC
International Rescue Committee
MDTF
Fonds fiduciaire multidonateurs
5
Liste des
acronymes
utilisés dans
ce manuel
Acronymes
Analyse du secteur de la santé dans les urgences complexes
Acronymes
6
Analyse du secteur de la santé dans les urgences complexes
Liste des
acronymes
utilisés dans
ce manuel
MICS
Enquête en grappes à indicateurs multiples
MINUK
Mission intérimaire des Nations Unies au Kosovo
MPLS
Mouvement populaire de libération du Soudan
MSH
Management Sciences for Health
NGP
Nouvelle gestion publique
OCDE
Organisation de Coopération et de Développement économiques
OCHA
Voir BCAH
ODI
Overseas Development Institute
OFDA
Office of US Foreign Disaster Assistance (États Unis d’Amérique)
OMD
Objectifs du Millénaire pour le développement
OMS
Organisation mondiale de la Santé
ONG
Organisation non gouvernementale
ONU
Organisation des Nations Unies
OPS
Organisation panaméricaine de la Santé
PAM
Programme alimentaire mondial
PCNA
Évaluation des besoins post-conflit
PEV
Programme élargi de vaccination
PIB
Produit intérieur brut
PNB
Produit national brut
PNUD
Programme des Nations Unies pour le Développement
PPA
Parité de pouvoir d’achat
PPTE
Initiative en faveur des pays pauvres très endettés
PR
Programme de référence du FMI
PSH
Pharmaciens sans Frontières
RDF
Revolving Drug Fund/Fonds de roulement pharmaceutique
RENAMO
Résistance nationale mozambicaine
RH
Ressources humaines
RHS
Ressources humaines pour la santé
RNB
Revenu national brut
SHTP
Sudan Health Transformation Project
Sida
Syndrome d’immunodéficience acquise
SIDA
Agence suédoise de coopération pour le développement
SIS
Système d'information sanitaire
SPLM
Mouvement populaire de libération du Soudan
SSP
Soins de santé primaires
SST
Systèmes de santé en transition
SWAp
Approche sectorielle
UE
Union européenne
UNDAF
Plan-Cadre des Nations Unies pour l’aide au développement
UNICEF
Fonds des Nations Unies pour l’Enfance
UNITA
Union nationale pour l’indépendance totale de l’Angola
URC
University Research Corporation
USAID
Agency for International Development (États-Unis d’Amérique)
VIH
Virus de l’immunodéficience humaine
Analyse du secteur de la santé dans les urgences complexes
Avant-propos
Les crises chroniques sont devenues une constante du paysage politique mondial.
La récession économique actuelle va sûrement amplifier l’instabilité sociale et politique.
De fait, la pauvreté et les inégalités s’accroissent, l’agitation monte dans les pays et les
tensions entre États s’accentuent.
Ainsi que Margaret Chan, directeur général de l’Organisation mondiale de la Santé, l’a
récemment déclaré à propos de l’impact de la crise mondiale 1 : « Le monde est confronté à
un véritable chaos que nous avons nous-mêmes provoqué. Des événements tels que la crise
financière et le changement climatique ne sont pas que des caprices du marché ou de la
nature. Ce ne sont pas non plus des événements inévitables dans l’histoire de l’humanité,
faite de hauts et de bas. En effet, il s’agit plutôt de signes révélateurs de l’immense échec des
systèmes internationaux qui régissent les interactions des nations et de leurs populations.
Ce sont les révélateurs d’un échec à un moment d’interdépendance sans précédent entre
sociétés, marchés financiers, économies et commerce. En bref, ces événements sont le
résultat de mauvaises politiques. Nous sommes responsables de cette situation et les erreurs
d’aujourd’hui sont extrêmement contagieuses. »
Le présent manuel entend participer à la compréhension des démarches nécessaires pour
éviter les effets délétères de « mauvaises politiques » dans le secteur de la santé. Il a une
longue histoire : c’est le fruit d’une idée lancée en 2002 par Alessandro Loretti, qui a
longtemps travaillé à l’Organisation mondiale de la Santé et qui est désormais parti à la
retraite.
Ce manuel était destiné à combler un vide : à l’époque, il n’existait pas de documents
d’orientation, ni de matériels de formation, spécifiquement consacrés à l’analyse des
systèmes de santé en crise, et les experts de ce domaine étaient manifestement peu nombreux.
On espérait donc qu’un manuel spécialisé raccourcirait le processus d’apprentissage des
analystes, et qu’il limiterait les erreurs et les faux pas. De plus, la multiplication des crises à
travers la planète appelait le développement de ce type d’étude.
Les auteurs du manuel, Enrico Pavignani et Sandro Colombo, ont acquis leur expérience dans
les années 1990 au Mozambique, où ils ont eu l’opportunité d’évaluer la difficulté à analyser
un secteur de la santé gravement perturbé, ainsi que les bienfaits découlant d’une meilleure
connaissance du système.
Ce manuel a été pour l’essentiel rédigé en 2002-2003, mais la nécessité d’élargir l’échantillon
des secteurs de la santé en crise examinés est devenue évidente à mesure que les travaux
avançaient. Peu à peu, le Soudan, le Liberia, l’Iraq, l’Ouganda, la République démocratique
du Congo, la Somalie et le territoire palestinien occupé ont ainsi été analysés de manière
relativement détaillée. Des études portant sur d’autres pays ont également été effectuées.
Elles ont permis de vérifier la pertinence des approches proposées par ce manuel, tout en
apportant des informations et des éléments supplémentaires à y inclure.
De nombreux collègues ont contribué à ce manuel et aux matériels de formation qui
l’accompagnent. Les modules composant le manuel ont été largement diffusés, et utilisés par
divers analystes, intervenants de terrain et universitaires, qui ont généreusement fait part de
leurs commentaires. Un examen formel par les pairs, mené fin 2007 à l’Organisation mondiale
de la Santé par le Département Programmes de relèvement et de transition, au sein du Groupe
Interventions sanitaires en cas de crise (HAC), a permis d’enrichir encore le manuel.
Ce manuel a donné naissance à deux cours de formation indépendants mais étroitement
liés, dont l’un est co-organisé par l’Organisation mondiale de la Santé, Merlin et l’IRC.
Pour les auteurs, ces cours ont été l’occasion de discuter du contenu du manuel avec des
participants venant de divers pays touchés par la guerre et de tester de nombreux exercices
qui ont été progressivement intégrés dans le manuel. D’autres programmes de formation,
des conférences et des rencontres ont offert des possibilités supplémentaires de consolider le
manuel en le complétant et en définissant plus clairement certains concepts.
1
Chan M. L’impact des crises mondiales sur la santé : crise financière, climatique et sanitaire.
Discours au 23e Forum sur les problèmes mondiaux, Berlin, Allemagne, 18 mars 2009.
7
8
Analyse du secteur de la santé dans les urgences complexes
Selon Peter Walker 2, la principale difficulté des opérations de secours, et leur raison d’être,
consiste à « décider à la hâte et en disposant de très peu d’informations ». Cette définition
s’applique aussi aux urgences chroniques, qui sont le thème du présent manuel. Dans ces
contextes également, les décisions délicates qui sont prises peuvent avoir des répercussions
considérables sur la vie et le bien-être des personnes affectées par une situation d’urgence,
y compris après la fin de la crise elle-même. Nous espérons que ce manuel aidera à prendre
les bonnes décisions face aux choix difficiles à opérer pour relever les secteurs de la santé
en crise.
Daniel López-Acuña
Directeur, Département Stratégie, politique et gestion des ressources (SPR)
Interventions sanitaires en cas de crise
Organisation mondiale de la Santé
Genève
2
Walker P. Coordination. Always finding the wrong answers to the right questions. In DHA
Perspective, Département des affaires humanitaires (DHA), Genève, 1995 ; cité dans : Benini A.A.
Uncertainty and information flows in humanitarian agencies. Disasters, 21 (4), 335-353, 1997.
Analyse du secteur de la santé dans les urgences complexes
Le manuel en bref
Objectif Donner des orientations à ceux qui analysent des secteurs de la santé en
crise, notamment des pays au bord d’une catastrophe économique, politique
et/ou militaire, des crises prolongées et les situations de transition vers
le relèvement. Les utilisateurs cibles sont les analystes junior, mais qui
possèdent déjà une expérience de terrain, familiarisés avec les techniques
quantitatives et cherchant à analyser un secteur de la santé désorganisé.
Contenu Après l’introduction, les onze modules thématiques couvrent les principaux
domaines pertinents pour l’étude de secteurs de la santé en crise. Ils présentent
des conseils pratiques, des expériences de terrain, des outils, des références
bibliographiques et des pistes pour aller plus loin. Ensuite, le Module 13 traite
des aspects pratiques de l’élaboration d’un profil du secteur de la santé. Le
Module 14 complète les modules thématiques avec des sources d’information,
des définitions et des références bibliographiques. Le Module 15 propose des
exercices afin d’explorer plus avant les thèmes traités par le manuel. La plupart
des modules comportent des annexes indépendantes, qui couvrent des sujets
sélectionnés considérés comme présentant un intérêt particulier.
Approche Elle est pratique, repose sur l’expérience et orientée sur l’action. Pour
chaque aspect important, le manuel propose plusieurs manières d’analyser
la situation. Il décrit et explique les caractéristiques récurrentes dans les
secteurs de la santé désorganisés, présente des instruments pour la collecte
et l’analyse des données, illustre les écueils courants et indique comment les
surmonter.
Ce manuel propose des documents à utiliser, plus qu’à lire. Il doit devenir un
assistant, rester sur le bureau de l’analyste junior et être consulté lorsque le
besoin s’en fait sentir. Dans chaque situation de crise, l’utilisateur doit s’attendre
à adapter le matériel inclus dans ce manuel.
Hypothèses •
conceptuelles
Il est généralement possible de comprendre (sommairement) un
environnement chaotique, à condition de déployer les efforts nécessaires
sur un laps de temps suffisant. Les informations disséminées et inutilisées
qui sont généralement disponibles dans de tels contextes, peuvent devenir,
si on les exploite pleinement, la première source de renseignement.
•
L’acquisition d’un savoir solide au niveau des systèmes de santé peut
produire des résultats substantiels en termes d’efficacité, d’efficience et
d’équité de la prestation de soins.
•
Une analyse complète peut se révéler plus pénétrante que l’examen de
thèmes isolés.
•
La sensibilité envers le contexte est déterminante pour une intervention
efficace. Bien que courants, les éléments qui s’appuient sur l’idéologie, les
clichés et les thèmes à la mode ne serviront pas à comprendre réellement
les crises prolongées.
•
On acquiert un vrai savoir en confrontant des connaissances locales et
l’expérience internationale de crises antérieures.
Écueils •
Aucun thème n’est exploré de manière exhaustive dans toutes ses
subtilités possibles. Le manuel recommande à cet égard des documents
de valeur, qu’il accompagne de brefs commentaires.
•
Si l’analyse proposée est menée d’un point de vue national, les résultats
atteints doivent être également pertinents pour les acteurs qui opèrent
au niveau local.
9
10
Analyse du secteur de la santé dans les urgences complexes
Introduction
Module 1
Module 1
Module 1
12
Analyse du secteur de la santé dans les urgences complexes
L’environnement de crise
Les crises prolongées, pour la plupart causées par l’homme, se multiplient dans le monde
entier et posent des défis considérables aux acteurs de la santé publique. La prestation de soins
se fragmente et se dégrade, la mémoire et la connaissance s’érodent et le pouvoir se dilue.
Des informations peu fiables et incomplètes entravent la prise de décisions raisonnée, tandis
qu’une situation en évolution rapide accroît l’incertitude. Les coûts d’exploitation grimpent
en flèche. Les problèmes d’insécurité ajoutent aux difficultés et restreignent la marge de
manœuvre. Même dans cet environnement défavorable, il faut agir sans délai. Des décisions
difficiles doivent tout de même être prises, avec ou sans l’appui de données valides.
L’imprécision des termes (aucun n’étant véritablement satisfaisant) utilisés dans la littérature
traduit la diversité de ces situations : urgences (politiques) complexes, crises prolongées,
pays fragiles ou instables, etc. Toutes ces situations ont en commun que des vies sont à
tel point en danger qu’une intervention extérieure est nécessaire. La palette des crises est
large : elle va de conflits à court terme et assez intenses, menaçant de petites populations,
comme au Kosovo et au Timor-Leste, à l’effondrement catastrophique de l’État dans de
vastes zones inaccessibles, comme en République démocratique du Congo, où le taux de
mortalité a atteint un niveau record (Coghlan et al., 2006).
C’est plus la politique que les faits et les enseignements tirés dans d’autres contextes
analogues, qui façonne la prise de décision et l’allocation des ressources dans une
situation d’urgence complexe. « L’action précède toujours la compréhension » (Pain et
Goodhand, 2002). De grossières erreurs sont commises et de belles opportunités sont gâchées.
Les leçons mal documentées ne sont pas apprises. L’information et le savoir contribuent
fortement à tempérer la domination de la politique et de l’idéologie, ainsi qu’à combler le
fossé, amplifié par la crise, entre des besoins accrus et des ressources rares.
Le secteur de la santé s’adapte spontanément aux crises (cf. Module 8). C’est une réaction
souvent inévitable, qui est même parfois utile à la survie du secteur à court terme.
La principale inquiétude concerne les conséquences délétères graves et à long terme.
Cette réaction se produit fréquemment au niveau micro, et n’est pas décelée ou uniquement
comprise en partie. Un secteur de la santé gravement endommagé a peu de chances de se
redresser spontanément. Il doit être activement orienté dans une direction favorable.
Les crises amplifient les problèmes préexistants et en créent de nouveaux, souvent masqués
par un rideau d’incertitude. L’ampleur de certaines distorsions peut n’apparaître qu’une fois
la crise passée, lorsqu’il est trop tard pour y remédier. Ainsi, la prise en compte rapide
des problèmes et des tendances peut susciter des mesures correctives. Les crises procurent
des opportunités de changement uniques, que des décideurs énergiques peuvent saisir, d’où
l’importance d’étudier les crises dès leur commencement, au lieu de repousser les analyses
et les décisions à des moments plus propices.
Étant donné la difficulté à comprendre les événements qui se déroulent lors d’une crise prolongée,
les analystes qui s’intéressent aux services de santé sont généralement réticents à s’engager dans
des études globales, préférant se concentrer sur des thèmes plus restreints et plus faciles à gérer.
Confrontées aux mêmes difficultés, les organisations d’aide impliquées n’ont pas l’habitude de
demander des examens aussi poussés que ceux que l’on a coutume de réaliser dans les secteurs
de la santé stables. Cependant, on ne peut guère comprendre un système complexe en étudiant
ses éléments distincts, et les caractéristiques internes d’un système sont largement influencées
par le contexte, c’est-à-dire par les autres systèmes avec lesquels il interagit. Pour comprendre
les systèmes de santé perturbés, il est nécessaire de disposer d’outils conceptuels adéquats et
d’inscrire les expériences sur le terrain dans un cadre global.
Le point de départ de ce manuel (qui s’appuie sur l’expérience acquise en travaillant sur
des crises prolongées) est qu’il est généralement possible de comprendre (sommairement)
un environnement chaotique si des efforts adéquats sont déployés sur une durée suffisante.
Le chaos présente des schémas, parfois originaux, mais souvent récurrents d’une crise à
l’autre, ce qui le rend étonnement compréhensible. Étant donné les bienfaits, en termes
d’efficacité, d’efficience et d’équité de la prestation de soins de santé, que l’on peut tirer
d’un investissement dans le renseignement, l’effort en vaut largement la peine.
13
Le manuel
Pourquoi produire un nouveau manuel ? Les manuels et les cours de formation
techniques classiques proposent des approches qui mettent l’accent sur la précision et
le contrôle, ce qui les rend inadaptés à des environnements instables et déchirés par une
guerre, où des ensembles de données incomplets, incohérents ou contestés sont la règle.
On ne peut guère utiliser comme outils standard des enquêtes spécifiques, qu’il est difficile
et onéreux de mener et qui ne peuvent l’être que dans des zones sûres, c’est-à-dire qui ne
sont guère représentatives de l’ensemble de la population. La situation sur le terrain évolue
vite, et l’information devient rapidement obsolète. L’analyste doit s’appuyer sur des données
médiocres, les compléter par des informations qualitatives, des souvenirs personnels et des
documents anciens, afin de combler les lacunes de l’information et de guider l’interprétation.
Le recoupement de différentes sources et méthodes permet d’écarter les informations erronées
et de valider les constats. Le présent manuel cherche à montrer aux utilisateurs l’art, mais
aussi la science, qui leur permettra de comprendre des secteurs de la santé en crise.
Le manuel analyse les schémas qui sont fréquents dans des secteurs de la santé désorganisés,
et démonte nombre des écueils susceptibles d’en saper l’analyse. Il isole et commente
des caractéristiques uniques repérées dans certains environnements. C’est un ouvrage
essentiellement pratique et orienté sur l’action, qui comporte de nombreuses études de cas.
Il traite aussi de la façon de collecter, nettoyer, valider, compiler et comprendre les données
pertinentes, les sources d’information potentielles, ainsi que les aspects principaux et
questions à analyser. Il donne en outre des pistes permettant de comprendre rapidement et
sommairement des aspects importants des secteurs de la santé désorganisés. Ces pistes n’ont
pas la prétention d’étudier ces sujets en détail (ce qui est souvent impossible dans de telles
situations, et parfois peu souhaitable). L’analyse proposée porte sur l’ensemble d’un pays,
mais des résultats globaux peuvent également intéresser les acteurs opérant au niveau local.
La plupart, si ce n’est l’ensemble, des situations, problèmes et approches décrits dans
ce manuel s’inspirent de travaux réellement effectués dans plusieurs secteurs de la santé
désorganisés. Le texte le précise lorsque c’est le cas. Loin de constituer une méthode unique
à appliquer à tous les contextes possibles, ce manuel est destiné à venir en aide à l’analyste,
de manière à raccourcir sa période d’apprentissage et à attirer son attention sur les erreurs
qui peuvent survenir dans ces situations. Il sera nécessaire de procéder à un grand nombre
d’adaptations en fonction du contexte.
Ce manuel ne cherche pas à couvrir tous les thèmes pertinents (épidémiologie et santé publique,
analyse des systèmes de santé, économie de la santé, etc.), mais à présenter des spécificités des
secteurs de la santé désorganisés et à indiquer des moyens pratiques de comprendre une situation.
Il explique autant ce qu’il faut faire que ce qu’il ne faut pas faire. Étant donné les multiples
situations auxquelles l’analyste peut être confronté, nombre d’approches conceptuelles et
d’outils pratiques sont présentés. Certains seront plus adaptés que d’autres selon le contexte ou
le moment. Dans certaines situations particulières, il est impératif de concevoir des instruments
originaux, qui ne sont pas (encore) inclus dans ce manuel. Les éléments proposés ici devront
être largement expérimentés sur le terrain, dans différents contextes, et resteront en cours
d’élaboration pendant un certain temps. Les utilisateurs de ce manuel sont vivement encouragés
à faire part de leurs commentaires à leur sujet.
Si la discussion se focalise essentiellement sur les véritables crises, ce manuel doit également
permettre l’analyse des situations limites, lorsqu’une crise se prépare. Si l’on parvient à
comprendre les principales caractéristiques d’un secteur de la santé fragile avant que les
événements ne débouchent sur une véritable crise, on en tirera des bénéfices extraordinaires
par la suite, lorsqu’une situation d’urgence apparaîtra, car on pourra indiquer aux anciens
et aux nouveaux acteurs la direction à donner aux interventions nécessaires. En outre, la
collecte et l’analyse de l’information sont plus faciles avant que la crise n’éclate dans toute
sa gravité.
Nombre des thèmes traités dans ce manuel sont sujets à controverse, ou en cours de
développement. Nous nous sommes honnêtement efforcés de présenter les termes du débat, de
recommander des références bibliographiques utiles et de faire la lumière sur des aspects qui ne
Pourquoi
produire
un nouveau
manuel ?
Objectifs
et contenu
Module 1
Module 1 Introduction
Module 1
14
Analyse du secteur de la santé dans les urgences complexes
Lectorat
Comment
utiliser
ce manuel
sont pas suffisamment pris en compte par le débat actuel. Dans la plupart des cas, nous avons
présenté le point de vue des auteurs. Comme n’importe quel point de vue, il semblera contestable
aux yeux des lecteurs qui ont une opinion différente. En effet, toute analyse d’un secteur de
la santé désorganisé est sujette à controverse, mais il vaut mieux reconnaître les problèmes
existants que les ignorer ou les minimiser, comme cela arrive souvent dans la pratique.
Ce manuel s’adresse aux professionnels de la santé publique, aux économistes et aux
sociologues, qu’ils relèvent ou non de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), et qui
ont une expérienc e terrain. Ils ont pour mission d’évaluer un secteur de la santé désorganisé,
notamment da ns la perspective de son relèvement. Les utilisateurs du présent manuel sont
censés bien connaître les approches quantitatives utilisées en statistique, économie et santé
publique. Afin de combler les lacunes qui existent dans l’arsenal conceptuel et technique
des utilisateurs potentiels, les auteurs ont sélectionné des manuels et des documents dont
ils recommandent la lecture dans les sections Conseils de lecture et dans le Glossaire du
Module 14. Étant donné la portée extrêmement large de l’analyse couverte par le manuel,
on ne s’attend pas à ce que le futur analyste possède au préalable des compétences d’expert.
Il doit en revanche être prêt à explorer les domaines analysés et être capable d’apprendre par
lui-même.
Ce manuel est conçu sous la forme d’un ensemble de modules thématiques et autonomes.
Même s’ils sont tous interdépendants, ces modules restent, dans une certaine mesure,
utilisables isolément pour effectuer des études infrasectorielles, si nécessaire. Cette approche
induit une certaine répétitivité d’un module à l’autre. Certaines annexes, qui viennent
compléter les modules, sont conçues comme des guides introductifs à des thèmes présentant
un intérêt particulier dans une situation instable. D’autres annexes proposent des solutions
pratiques pour remédier à d’importantes lacunes de l’information.
Le lecteur peut suivre la séquence des modules proposée ci-dessous, ou aller directement
au thème qui l’intéresse. Même pour une analyse infrasectorielle, la lecture des
Modules 2 à 6 doit être considérée comme incontournable. Le Module 12, Formuler des
stratégies pour le relèvement d’un secteur de la santé en crise, suppose que le lecteur est
bien familiarisé avec la plupart des questions traitées dans les autres modules. Le Module 13
énonce des suggestions pratiques pour l’élaboration d’un profil du secteur de la santé, ainsi
que des études de cas. Le Module 14 : Ressources présente des sources utiles, un glossaire
avec des définitions et des concepts, ainsi que des notes d’introduction concernant certains
secteurs de la santé affectés par la violence. Le Module 15 propose des exercices dans le but
de donner une vision concrète de certains thèmes traités par le manuel et de vérifier le niveau
des connaissances acquises par le lecteur.
Synthèse des principaux thèmes traités
Plusieurs thèmes se dégagent de l’étude de différents domaines et déterminent la manière
dont les thèmes seront étudiés dans le manuel :
• L’analyse globale indispensable dans des situations instables se caractérise
essentiellement par son exactitude concernant les principaux problèmes et obstacles.
Les décideurs doivent avoir l’assurance raisonnable qu’un problème majeur identifié par
l’analyse n’est pas un résultat erroné, qui disparaîtra lorsque les données s’amélioreront.
La précision, souhaitable mais généralement hors d’atteinte, est moins importante
en raison de la nature agrégée et approximative de la plupart des décisions globales
d’affectation des ressources, qui ne sont donc pas gravement affectées par l’imprécision
des estimations sur lesquelles elles se fondent. Pour une discussion plus approfondie sur
cette question, se reporter au Module 2.
•
Pour comprendre la situation, il convient en premier lieu de s’intéresser à la quantité,
souvent considérable, d’informations inutilisées. Ces informations émanent des
multiples acteurs impliqués dans la crise, et sont complétées par des données historiques
nécessaires pour apporter de la profondeur à l’analyse. En exploitant pleinement la
richesse des informations éparses, l’analyste peut en effet très largement progresser dans
la compréhension des principaux éléments systémiques du secteur de la santé et de son
évolution sur la durée.
•
Pour être utile, l’analyse doit être exhaustive, c’est-à-dire englober tous les aspects
pertinents du secteur de la santé et leurs liens de réciprocité. En l’absence de perspective
globale, on risque fort de passer à côté des principaux éléments.
•
« En Inde, on a demandé à dix aveugles de décrire un éléphant. Comme ils étaient chacun
placé à un endroit différent du corps de l’animal, ils en ont donné dix descriptions
différentes. Chacun prétendait avoir une compréhension unique du système, et une
dispute s’est ensuivie » (Ellencweig, 1992).
•
Malheureusement, un secteur de la santé désorganisé ne présente pas la belle cohérence
d’un éléphant. Il résulte plutôt du dépôt, au fil du temps, de nombreuses couches de
décisions et d’événements disparates. Pour appréhender véritablement ce système, il
est impératif d’en repérer les singularités et de comprendre les raisons qui en sont à
l’origine. Étant donné que des éléments infrasectoriels discrets ont fortement tendance à
évoluer de manière autonome les uns par rapport aux autres (les systèmes d’information
par rapport aux systèmes de gestion, les hôpitaux par rapport aux structures de soins de
santé primaires, les programmes de lutte contre des maladies par rapport aux services
généralistes, les ressources humaines par rapport au financement, etc.), l’étude des liens
existants, ou absents, procure des informations intéressantes et pertinentes pour la prise
de décisions.
Les systèmes de santé doivent être étudiés en parallèle des facteurs politiques,
économiques, militaires, administratifs, juridiques, culturels et souvent des
comportements criminels qui en influencent la mécanique interne. Pendant une crise
grave, les facteurs externes déterminent souvent de façon prépondérante la manière
dont les systèmes de santé font face, évoluent, survivent ou s’effondrent, et, parfois,
se redressent. Il est toujours insuffisant, et parfois même trompeur, de se focaliser
exclusivement sur les questions de santé.
•
Une analyse véritablement explicative doit se concentrer sur les distorsions structurelles
qui conditionnent le fonctionnement d’un secteur de la santé, quels que soient les
politiques, stratégies et modèles de prestation théoriquement en place. Un secteur de la
santé qui n’est pas doté de fonds suffisants, dont le personnel est sous-qualifié, qui est
affaibli par de mauvaises pratiques de gestion et ébranlé par un conflit, fonctionne en
deçà des normes acceptables, même après qu’une réforme en a modifié certaines règles.
Il est logique de commencer par définir les fondamentaux avant de choisir le modèle
de prestation ou l’ensemble de services de base. Bien souvent, lorsque l’on fixe les
priorités, on néglige la hiérarchie logique des moyens à utiliser de différentes manières
pour atteindre les objectifs choisis. Ainsi, accorder la priorité à la maternité sans risque
signifie, dans bien des contextes, remédier d’abord à la grave pénurie de sages-femmes,
puis à l’accès limité aux services chirurgicaux d’urgence, c’est-à-dire intervenir sur les
ressources matérielles dont les gestionnaires ont besoin pour concrétiser les mesures.
•
Pour pourvoir saisir les opportunités de changement uniques offertes par une crise,
il faut d’abord les identifier et les comprendre. Une période de turbulence prolongée
modifie irréversiblement n’importe quel secteur de la santé. Les acteurs influents peuvent
passivement accepter des changements (quelles qu’en soient les caractéristiques),
ou bien essayer activement de les orienter dans une direction souhaitable. La plupart
des acteurs ne sont pas à même de comprendre les événements systémiques dont ils
sont directement témoins pendant une crise prolongée, et en reviennent à l’idéologie,
aux clichés et aux procédures standard. Un savoir largement partagé peut inspirer
des décisions raisonnables, ou du moins limiter les dégâts causés par des décisions
non informées.
•
Il peut arriver que des approches standard importées soient passivement adoptées, voire
qu’elles prospèrent à court terme, mais elles ne risquent guère de s’enraciner fermement,
15
Module 1
Module 1 Introduction
Module 1
16
Analyse du secteur de la santé dans les urgences complexes
à moins qu’elles n’obtiennent des soutiens dans le pays. Lorsque ces derniers connaissent
véritablement le contexte local, ils peuvent y adapter des approches importées, et par
là-même résoudre des problèmes locaux et, à leur tour, en appeler à d’autres parties
prenantes. Les politiques publiques locales pourraient donc intégrer des approches
progressivement indigénisées (ou perçues comme telles).
•
Les politiques publiques, les stratégies et les plans sont dénués de sens lorsqu’ils
ne tiennent pas compte des limitations explicites qui pèsent sur les ressources et les
capacités. Malgré les difficultés techniques que posent l’étude des ressources et des
capacités et la prévision de leur évolution en temps de crise, ces questions sont trop
importantes pour être négligées.
•
Des approches induites par l’urgence peuvent avoir de graves conséquences à long
terme pour le relèvement et le développement de secteurs de la santé désorganisés.
Des décisions bien intentionnées prises dans l’urgence par des individus tournés vers
l’action risquent de vouer irrémédiablement à l’échec des processus structurels à long
terme. L’exemple le mieux documenté est celui de la prolifération des établissements de
santé, souvent mal placés, de la mauvaise taille ou mal conçus, alimentés par la générosité
des donateurs, qui menacent inévitablement la pérennité de secteurs de la santé aux
ressources limitées. De plus, cet héritage met en péril l’équité des décisions allocatives
à venir. Autre exemple : l’essor d’un enseignement médical non planifié, décentralisé et
souvent privé, qui inonde le marché du travail de médecins dont on n’a pas besoin et
aux compétences douteuses. En recrutant ces cadres (c’est généralement l’unique option
politique offerte à des autorités sanitaires fragiles), le secteur de la santé incorpore une
distorsion aux conséquences négatives à long terme. Troisième exemple : la décision,
courante, de laisser les personnels de santé se débrouiller tous seuls, sans contrôles
administratifs. Après des années de laisser-faire, la réintroduction d’une réglementation
solide peut constituer un défi impossible à relever pour les autorités sanitaires.
•
Certains schémas cruciaux peuvent être antérieurs à la crise (qui peut les révéler comme
les occulter), ne peuvent pas être expliqués par la crise et continueront de s’imposer aux
décideurs longtemps après la fin de la crise. Une évaluation à long terme qui voit plus
loin que la durée limitée de la crise, ce qui suppose un examen des documents qui lui
sont antérieurs, associé à des entretiens avec des acteurs anciens, est nécessaire pour
comprendre les distorsions structurelles du système de santé et pour y remédier.
•
Aucune approche « technique » formalisée ne peut se substituer au bon sens, à
une connaissance solide du contexte culturel, à l’expérience sur le terrain et à la
compréhension des enjeux, du moins dans un environnement mal connu et instable.
Des évaluations rapides, des cadres logiques, une planification stratégique, des
études coût/efficacité ne sont que quelques exemples d’approches décisionnelles
« rationnelles », utilisées depuis des années dans des situations instables. L’objectif
de ces instruments conceptuels de nature très diverse est de mettre de l’ordre dans
des tableaux chaotiques et de donner confiance à des gestionnaires stressés. C’est ce
qui explique en grande partie leur popularité. Toutefois le risque encouru par leur
application est de confondre l’image simplifiée ainsi obtenue d’une réalité complexe
avec une représentation adéquate de celle-ci. Malgré les mérites que l’observateur
averti peut trouver à ces approches, elles ont souvent été utilisées au-delà de leur
champ d’application et mises en œuvre dans des contextes qui ne leur correspondaient
pas. Étant donné les constructions soignées que ces instruments produisent entre des
mains expertes, il n’est guère surprenant que, dans le chaos caractéristique des crises
prolongées, les acteurs s’y fient exagérément.
•
Il est possible de tirer des enseignements des crises précédentes, à condition de tendre
activement vers cet objectif. L’environnement de crise, l’état d’esprit des acteurs et la
culture dominante dans le secteur de l’aide… tout va à l’encontre de cet apprentissage.
Pour surmonter les obstacles objectifs, il est nécessaire de redoubler d’efforts. Tirer des
enseignements des crises précédentes ne signifie pas identifier la « bonne pratique » que
recherchent tant les donateurs. Il faut en effet autant savoir « comment », « quand » et
« pourquoi » que « quoi » faire dans une situation ambiguë et perturbée. Pour adopter
la bonne pratique si chère aux donateurs, la première étape consiste à accepter que les
caractéristiques actuelles et les résultats probables d’un secteur de la santé en crise sont
très incertains.
•
Plusieurs crises ont été étudiées au cours des vingt dernières années. À mesure que
l’expérience s’est accumulée, on a identifié des schémas communs d’une situation à
l’autre. Pour bien comprendre ce qui se passe, il est impératif de reconnaître la diversité
et la similarité. Il n’y a pas de remède universel à chaque crise. Inversement, aucune
crise n’est unique au point que l’expérience acquise ailleurs se révèle inutile. Si l’on
considère les graves erreurs qui peuvent être évitées, ainsi que les résultats améliorés
qui peuvent être obtenus en tirant des enseignements des crises précédentes, il semble
judicieux de déployer des efforts résolus.
Objectifs de l’apprentissage
Après avoir étudié un module, ainsi que ses conseils de lecture, réalisé l’exercice
correspondant, et appliqué les concepts, les méthodes et les outils à des situations réelles,
l’utilisateur doit progressivement être capable d’analyser le domaine concerné d’un système
de santé désorganisé. Ce savoir-faire suppose qu’il sache :
• Collecter et étudier la documentation thématique disponible, en démêlant les données
fiables et pertinentes des autres.
•
Identifier les principales lacunes de l’information et déterminer comment les surmonter.
•
Formuler des questions appropriées à poser aux informateurs.
•
Identifier les principaux éléments structurels du domaine étudié, y compris les niveaux
de ressources et de capacités actuels.
•
Rechercher et trouver d’autres documentations pertinentes, en particulier concernant des
points obscurs ou controversés.
•
Identifier les principaux acteurs du secteur de la santé et comprendre leurs objectifs.
•
Comparer le domaine étudié à des domaines équivalents, documentés dans d’autres
secteurs de la santé désorganisés, et identifier les similarités, et les différences.
•
Sélectionner les enseignements tirés ailleurs qui peuvent être pertinents pour le
domaine étudié.
•
Identifier les principales distorsions structurelles du domaine étudié et concevoir des
mesures réalistes pour y remédier, tout en tenant compte des implications de ces mesures
sur les ressources et les capacités.
•
Élaborer des scénarios réalistes, partant de différentes hypothèses explicites sur l’issue de
la crise (persistance, aggravation ou relèvement), afin d’expliquer clairement aux parties
prenantes les effets probables de leurs décisions. Prévoir les budgets de ressources à
venir sur la base d’hypothèses réalistes. Chiffrer le coût des différentes options.
•
Présenter les résultats de l’analyse thématique de manière claire et concise, en fonction
de chaque catégorie de destinataires.
•
Négocier avec les acteurs concernés sur la base des informations collectées à propos des
choix stratégiques à opérer dans le secteur de la santé. Il faut pour cela comprendre les
positions des différentes parties prenantes.
17
Module 1
Module 1 Introduction
Module 1
18
Analyse du secteur de la santé dans les urgences complexes
Structure du manuel
Module 1 Introduction
L’introduction donne une vue d’ensemble des principaux éléments d’un système de santé
dégradé et des différentes approches analytiques qui s’imposent en situation de crise.
Elle énonce aussi les fondements conceptuels du manuel et offre un ensemble d’objectifs
d’apprentissage. Elle présente ensuite brièvement le contenu de chaque module, des
conseils de lecture thématiques ainsi que la liste des études de cas et des tableaux inclus dans
le manuel.
La lecture de l’Introduction est conseillée à quiconque envisage d’utiliser le manuel.
Elle permet au lecteur de se familiariser avec l’architecture du manuel et d’être à même
de choisir les modules qui l’intéressent. Elle facilite également la localisation de sujets
importants liés au domaine traité par un module, mais présenté ailleurs dans le manuel.
Module 2 Donner un sens (approximatif) à des données (bancales)
Ce module propose une vue d’ensemble du domaine de l’information. Il présente certains
des principaux thèmes et aspects qui seront explorés, parfois en détail, dans le manuel. Tout
d’abord, nous décrirons brièvement les systèmes d’information classiques et la façon dont
ils s’adaptent à la crise (ou plutôt, bien souvent, dont ils périclitent). Ensuite, nous verrons
comment les chiffres peuvent ou non être traités pour devenir de l’information et du savoir.
Nous analyserons de multiples caractéristiques essentielles des données, telles que la validité,
la précision, la pertinence, ainsi que leur importance relative. Nous recenserons les méthodes
de nettoyage des données et les nombreuses failles courantes qui nuisent généralement à
l’utilité des données disponibles. Nous montrerons qu’il est intéressant d’exploiter les
données disparates souvent disponibles en quantité considérable dans un contexte de crise.
La dernière partie de ce module traitera des utilisations de l’information, de la conception
des systèmes d’information et des modes de diffusion de l’information recueillie.
L’Annexe 2 décrira plusieurs indicateurs importants, susceptibles d’être pertinents pour
l’analyse d’un secteur de la santé en situation de crise, et commentera leur utilité, leurs
avantages et leurs inconvénients.
Module 3 Comprendre le contexte passé, présent et futur du pays
Ce module présente au lecteur du manuel de nombreux aspects utiles pour comprendre
un pays en crise. Étant donné l’immensité du sujet, la sélection des thèmes à aborder est
nécessairement restrictive. Aucun thème n’est abordé en détail : les schémas historiques,
politiques, militaires et économiques sont brièvement étudiés. Les auteurs privilégient
l’étude approfondie de la nature des perturbations afin d’en prévoir l’évolution probable,
et de tirer de précieux enseignements de l’expérience des autres pays. Parmi les thèmes
abordés, on peut citer les déplacements de population induits par la violence, les liens entre
la politique et la gestion de l’information et le rôle des médias internationaux dans les crises
humanitaires. Ce module décrit ensuite les schémas de l’aide destinée aux pays en crise, et
la manière de les analyser, puis la signification et les conséquences de la décentralisation de
l’État dans un contexte de guerre, avant de conclure sur la difficulté de prévoir l’avenir des
pays en crise, sur les choix difficiles auxquels sont confrontées les parties prenantes et leurs
conséquences pour le secteur de la santé.
L’Annexe 3 traite des raisons, des objectifs et du format des évaluations des besoins postconflit, telles qu’elles sont menées dans plusieurs pays en transition. Le lecteur est invité à
réfléchir aux enseignements préliminaires tirés de la participation à de tels exercices
Module 4 Étudier la situation et les besoins sanitaires
Lorsque l’on évalue la situation et les besoins sanitaires de la population des pays en
situation de crise, il faut s’intéresser à la manière dont les données relatives à la population,
19
à la mortalité, à la nutrition et à la morbidité sont produites, à leur signification et à leurs
limites. Ce module met en lumière les lacunes courantes qui sapent l’utilité des ensembles
de données disponibles. Il examine les inférences qu’il est possible de tirer de chiffres
obtenus dans des contextes de violence, ainsi que la valeur que revêtent ces estimations
pour les décideurs politiques. Il analyse des constats controversés, car ce sont des exemples
révélateurs. En outre, il passe en revue les aspects conceptuels associés aux évaluations
rapides de la situation sanitaire et aux mécanismes de surveillance dans les situations de
crise. Il donne des conseils sur la façon d’explorer la documentation relative à la situation
sanitaire et aux besoins sanitaires dans des pays en crise, de repérer et d’écarter des données
erronées et d’en tirer une image fiable de la situation nationale.
L’annexe 4 expose les connaissances recueillies à ce jour concernant les relations complexes
entre le conflit, le VIH/sida et les systèmes de santé.
Comprendre les processus d’élaboration de la politique sanitaire
Module 5
Ce module cherche à étudier un sujet nébuleux: la formulation de la politique sanitaire
et l’absence de cette politique, voire sa disparition, dans les secteurs de la santé en crise.
Il s’appuie pour cela sur diverses situations bien documentées, observées en Afghanistan, en
Angola, au Kosovo, au Mozambique, en Ouganda, en République démocratique du Congo
et au Soudan. Ce module traite des schémas communs et propose des méthodes d’analyse
de la politique. Il suggère des approches destinées à vérifier que la politique officielle se
traduit effectivement par des mesures concrètes. En outre, il traite de la coordination des
ressources extérieures, qui constitue un élément essentiel lors de crises prolongées, et décrit
les principales caractéristiques des acteurs les plus influents qui interagissent.
L’Annexe 5 examine l’importance d’une cellule d’analyse des politiques de la santé dans un
environnement perturbé, et présente les principales caractéristiques de cette structure, ainsi
que les étapes pratiques de sa mise en place.
Analyser le financement et les dépenses du secteur de la santé
Module 6
Le présent module explore le domaine crucial mais complexe du financement et des dépenses
dans le secteur de la santé. Il analyse tout d’abord les méthodes d’étude des principales
sources de financement intérieur et extérieur, de l’enveloppe globale dont dispose ce secteur,
de la répartition des dépenses de santé, ainsi que les modes d’évaluation des schémas de
répartition en vigueur. Il examine ensuite les nombreuses variables à prendre en considération
lorsqu’il s’agit de prévoir l’enveloppe à venir, ainsi que les moyens pratiques de formuler des
projections raisonnables. Ce module contient aussi une analyse de la durabilité du secteur
de la santé dans les pays ravagés par la guerre et de ses conséquences pour les politiques
publiques. Tout au long de ce module, les auteurs prêtent particulièrement attention aux
nombreux écueils relatifs à l’information qu’il convient d’éviter afin de pouvoir tirer des
conclusions significatives à propos du financement et des dépenses dans le secteur de
la santé.
L’Annexe 6a énonce des recommandations pratiques en vue de la réalisation d’une enquête
sur les ressources externes, qui constitue un exercice nécessaire, quoique difficile, dans toute
situation de dépendance vis-à-vis de l’aide.
L’Annexe 6b examine les concepts, les modalités et les applications de l’analyse des coûts,
autre aspect souvent négligé mais indispensable à la formulation des politiques publiques,
ainsi qu’à la planification et à la gestion des activités du secteur de la santé, en particulier en
vue d’un processus de relèvement.
Analyser les modèles de prestation des soins de santé
Ce module s’intéresse aux principaux aspects qu’un pays en situation de crise doit prendre
en considération en matière de prestation de soins de santé. Le taux de couverture par les
services de santé les plus importants, le volume de soins fourni par les établissements de
Module 7
Module 1
Module 1 Introduction
Module 1
20
Analyse du secteur de la santé dans les urgences complexes
santé, ainsi que l’efficience, l’efficacité et la qualité des soins dispensés constituent les
éléments de base à étudier. Ce module passe en revue les différents modèles de prestation
des soins de santé pour mieux comprendre comment fonctionnent les secteurs de la santé
et pour contribuer au débat sur le relèvement et la réforme de ces secteurs. L’intérêt des
différents paquets de soins essentiels de santé est ensuite évalué. Dans une seconde partie, le
module aborde des aspects particuliers de la prestation de soins comme les caractéristiques
de prescription, les programmes verticaux, les soins de santé en milieu urbain, les services
sanitaires mobiles et les soins dispensés dans le cadre d’opérations de secours humanitaires.
L’annexe 7 traite des motivations, des modalités, des avantages et des limites de la
contractualisation des services de santé, une option déjà adoptée par le secteur de la santé de
certains pays sortant d’un conflit et à l’étude dans de nombreux autres.
Module 8 Analyser les systèmes de gestion
Ce module étudie l’ensemble des systèmes de gestion à l’œuvre au cours d’une crise prolongée,
leur évolution face aux difficultés et leurs interactions mutuelles, parfois conflictuelles.
Il insiste sur la nécessité de s’intéresser aussi bien aux établissements informels qu’aux
institutions officielles. Il analyse en détail les outils de gestion de l’aide et examine l’intérêt
de la planification des activités sanitaires et les conditions qu’elle doit remplir pour être
efficace dans un contexte dégradé. Il expose rapidement les difficultés de la réglementation
des soins de santé en temps de crise et formule quelques remarques tirées des expériences de
régénération de systèmes de gestion paralysés. Il se conclut par un examen des capacités et
de leur développement dans un secteur de la santé perturbé.
L’Annexe 8 analyse la pertinence d’une approche sectorielle (SWAp) et sa faisabilité dans
un contexte de crise, et décrit les initiatives sectorielles qui permettraient de progresser.
Module 9 Examen du réseau de santé
Ce module examine comment les réseaux de santé évoluent sous l’effet des perturbations.
Après une présentation générale de la structure, de l’équilibre et de la forme du réseau général,
il étudie certains aspects importants tels que la répartition géographique des établissements de
santé, leur régime de propriété ou leur état physique et fonctionnel. Il insiste sur la nécessité
de distinguer les nouveaux aspects émergeants des distorsions anciennes, parfois accentuées
par la crise. Il propose des moyens d’agréger les chiffres disponibles pour les transformer
en indicateurs utiles pour l’étude du réseau. Il s’intéresse particulièrement aux hôpitaux et
aux établissements de soins de santé primaires, ainsi qu’aux relations qu’ils entretiennent. Il
évoque les difficultés liées à la planification du relèvement d’un secteur de la santé en crise
ainsi que les moyens de les surmonter.
L’Annexe 9 donne des indications pratiques sur l’élaboration d’une base de données
sommaire des établissements de santé.
Module 10 Analyser les ressources humaines du secteur de la santé
Ce module décrit les nombreux aspects à prendre en compte dans le cadre d’une étude portant
sur les personnels de santé. Il présente tout d’abord les évolutions les plus couramment
observées dans les secteurs de la santé en crise. Il analyse ensuite la taille et la composition
des effectifs du secteur par rapport à la population à desservir et au réseau sanitaire à
faire fonctionner. Ce module examine les principales caractéristiques des personnels de
plusieurs secteurs de la santé affectés par une guerre, en soulignant leurs similitudes et
leurs différences.
La formation, l’attrition, les descriptions de postes, le déploiement, la dotation en personnel
et les performances des effectifs sont étudiés. Les agents de santé bénévoles, qui prédominent
dans de nombreuses crises prolongées, constituent un autre thème traité, tout comme la
réglementation des ressources humaines. Le rôle des personnels expatriés est brièvement
évoqué. Les difficultés posées par l’intégration, au sein d’un personnel unifié, de personnels
21
de santé qui étaient jusqu’alors des adversaires sont présentées. Les dispositions et les
contraintes relatives aux rémunérations et à la fonction publique sont également étudiées.
Les stratégies à adopter pour restructurer un effectif affecté par des distorsions et des
gaspillages concluent ce module.
L’Annexe 10 présente la restructuration post-conflit des personnels de santé du Mozambique.
La situation initiale des ressources humaines est comparée à celle qui fait suite à la mise en
place d’un plan décennal. Les progrès réalisés et les carences qui demeurent sont identifiés.
Analyser le sous-secteur pharmaceutique
Module 11
Ce module est consacré aux caractéristiques observables dans le sous-secteur pharmaceutique
de la plupart des secteurs de la santé touchés par un conflit. Il considère que les difficultés
habituellement liées, dans ce contexte, à la collecte et à l’analyse des données sont aggravées
par les spécificités du secteur pharmaceutique, ce qui impose aux analystes des systèmes
de santé de posséder des compétences supplémentaires. Ce module examine tout d’abord
les grandes composantes de la politique pharmaceutique : formulation de cette politique,
sélection, homologation des médicaments et assurance qualité, réglementation, financement,
achat et distribution. Il analyse ensuite les principaux aspects logistiques du cycle
pharmaceutique (production, entreposage, distribution) et le problème du gaspillage, puis
compare les avantages d’autres approches de ces fonctions. Il décrit la façon dont le secteur
pharmaceutique s’adapte à des perturbations s’il est abandonné à son sort, et les possibilités
de réformes offertes par les crises prolongées. Ce module se termine par la présentation des
étapes nécessaires à une restructuration.
L’Annexe 11 présente une carte des acteurs et des activités du sous-secteur pharmaceutique
du Sud-Soudan, élaborée au printemps 2006.
Formuler des stratégies pour le relèvement d’un secteur de la santé
en crise
Module 12
Ce module décrit comment aborder dans la pratique le relèvement d’un secteur de la santé
en crise, et propose des itérations pas-à-pas pour évaluer et chiffrer les avantages et les
inconvénients des principales options possibles pour les décideurs. Il explique également
comment établir des projections des effets des stratégies de relèvement qui visent à préserver
le statu quo, ainsi que des effets induits par l’adoption d’autres modèles de prestation des
services. Il expose les problèmes qui caractérisent habituellement les secteurs de la santé
en crise, ainsi que les solutions possibles. Les méthodes énoncées dans ce module sont
destinées à être appliquées dans un contexte de transition, par exemple durant les dernières
années d’un conflit, alors que des négociations de paix sont en cours et qu’un accord final
est attendu.
L’Annexe 12 présente une synthèse des processus de reconstruction déjà achevés, qui
pourront servir de cadres de référence pour les décideurs à l’heure où des opportunités de
relèvement se dessineront pour les secteurs de la santé en crise.
Élaborer le profil d’un secteur de la santé
Ce module porte sur les aspects pratiques liés à l’élaboration du profil d’un secteur de la santé.
Il décrit tout d’abord la nature et les objectifs de cet exercice, avant de traiter du calendrier,
des travaux préparatoires, ainsi que des dimensions politiques et organisationnelles.
Nous examinons ensuite les indicateurs à obtenir et formulons quelques conseils pour
les entretiens et les discussions de groupe, la gestion des informations collectées et la
rédaction d’un rapport. Après cela, nous présentons un modèle d’élaboration donnant un
aperçu des nombreux éléments à ne pas perdre de vue au cours de l’analyse. Notre exposé
se termine par la description d’une approche réduite à l’essentiel pour l’exploration rapide
d’un secteur de la santé en situation de crise. Enfin, nous commentons brièvement plusieurs
exemples de profils, qui correspondent à différentes situations.
Module 13
Module 1
Module 1 Introduction
Module 1
22
Analyse du secteur de la santé dans les urgences complexes
L’Annexe 13 propose une méthode concise pour la cartographie des informations recueillies
dans un secteur de la santé en crise, afin de regrouper les principales questions qui se posent,
les doutes suscités par les observations, les options de politique publique et les enseignements
tirés ailleurs et jugés pertinents. L’exemple étudié ici est la Somalie en 2008.
Module 14 Ressources
Ce module rassemble plusieurs ressources jugées précieuses pour l’étude des secteurs de
santé en crise. Tout d’abord, quelques sources d’information pertinentes sont brièvement
analysées. Suit un tableau présentant les définitions des instruments de gestion de l’aide
et des secours, ainsi que les références y afférentes. Ensuite, un glossaire de concepts et
de définitions couvre tout un éventail de termes relatifs à l’épidémiologie, la statistique,
à l’économie, à la finance, à la gestion et à l’aide. Ce module s’achève sur des notes
d’introduction à différents secteurs de la santé en situation de crise, auxquelles viennent
s’ajouter des conseils de lecture.
Module 15 Exercises
Ce module propose des exercices destinés à encourager le lecteur à approfondir sa
connaissance des sujets traités dans le manuel. Dans l’idéal, après avoir étudié chaque module
thématique, le lecteur fera l’exercice correspondant. La plupart des exercices s’appuient sur
des documents qui ont été produits dans de véritables secteurs de la santé en crise. Ce module
recourt à plusieurs méthodes quantitatives et qualitatives, afin de montrer les travaux qu’un
analyste doit réaliser pour comprendre suffisamment les systèmes de santé étudiés. Certains
exercices visent à familiariser le lecteur avec les outils d’analyse présentés dans le manuel,
et à en tirer des enseignements intéressants pour lui. La difficulté des exercices progresse à
mesure que le lecteur avance dans le module. Chaque exercice est suivi de propositions de
réponses que les auteurs du présent manuel considèrent comme satisfaisantes.
23
Pour une lecture thématique
Certains thèmes clés sont traités à plusieurs reprises dans le manuel, sous des angles différents
et, espérons-le, complémentaires. De par leur importance, ils mériteraient à eux seuls un
module complet. Cependant, pour l’instant, et afin de ne pas trop alourdir le manuel, ils sont
répartis sur plusieurs modules. Le lecteur peut trouver utiles les conseils de lecture proposés
sur les thèmes de l’aide, de la planification sanitaire, des soins de santé primaires et du
relèvement du conflit à la paix.
Module
Section
Aide
La politique de l’aide humanitaire
3
Modèles d’aide
Annexe 3 : Évaluation des besoins post-conflit
5
6
Les acteurs : rôle, perceptions et programmes
Comprendre la coordination
Sources de financement. Assistance extérieure
Annexe 6a : Pourquoi et comment effectuer une enquête sur les ressources
extérieures
Instruments de la gestion de l’aide
8
Annexe 8 : Instruments inspirés par les approches sectorielles (SWAp) dans les
secteurs de la santé pendant ou après un conflit
14
Instruments de gestion des secours/de l’aide/mécanismes de coordination
15
Exercice 3 : Allouer l’aide au secteur de la santé de manière à atteindre les
cibles fixées
Module
Section
Faire des projections à partir des informations disponibles
2
Annexe 2 : Comprendre les caractéristiques et tendances dans le secteur de la
santé : les indicateurs à prendre en considération
Étudier l’enveloppe de ressources actuelle
6
Caractéristiques des décisions d’affectation de ressources
Prévisions des ressources à venir dans une perspective de relèvement
7
8
Modèles de prestation des soins de santé
Gestion de l’aide
Pratiques de planification dominantes
Planifier le relèvement du réseau de santé
9
Annexe 9 : Pourquoi et comment créer une base de données des établissements
de santé
10
Stratégies de restructuration d’un effectif dans un contexte de distorsions et de
gaspillages
11
Restructurer le sous-secteur pharmaceutique
12
Formuler des stratégies pour le relèvement d’un secteur de la santé en crise
(intégralité du module)
Exercice 2 : Sélectionner des indicateurs permettant de suivre le relèvement du
secteur de la santé somalien
15
Exercice 9 : Sélectionner des critères fonctionnels synthétiques afin de classer
les établissements de santé
Exercice 10 : Évaluer un plan post-conflit afin de renforcer les ressources
humaines dans le secteur de la santé
Planification
sanitaire
Module 1
Module 1 Introduction
Module 1
24
Analyse du secteur de la santé dans les urgences complexes
Soins de santé
primaires
Module
Section
Couverture sanitaire
Évaluer l’efficacité et l’efficience des prestations de services de santé
Modèles de prestation des soins de santé
Paquets de soins de santé essentiels
7
Programmes verticaux
Fourniture de soins de santé en ville
Fourniture de soins de santé mobiles
Fourniture de soins de santé aux populations déplacées
Annexe 7 : Contractualisation des services de santé
8
Étude de cas n° 14 : Développement spontané de la prestation des soins de
santé dans un district frappé par la guerre
9
Établissements de soins de santé primaires (mais l’intégralité du module traite
des soins de santé primaires)
Les descriptions de postes, le contenu des formations et les qualifications
professionnelles
10
La dotation en personnel
Les cadres semi-professionnels : agents de santé communautaires, auxiliaires,
etc.
Relèvement
du conflit à
la paix
11
Les systèmes d’approvisionnement en kits pharmaceutiques
12
Problèmes systémiques courants et réactions possibles de la part des pouvoirs
publics
15
Exercice 7 : Avantages et inconvénients de la contractualisation des soins de
santé
Module
Section
Les résultats des perturbations
Typologie sommaire des conflits
3
La décentralisation dans un pays en crise
Le futur contexte national. Conséquences pour le secteur de la santé
Annexe 3 : Évaluation des besoins post-conflit
Étude de cas n° 7 : Réforme radicale du secteur de la santé au Kosovo, 20012006
5
Formuler une nouvelle politique sanitaire au début de la phase de transition de
la guerre à la paix
Annexe 5 : La mise en place d’une cellule d’analyse sur la politique sanitaire
6
Prévisions des ressources à venir dans une perspective de relèvement
Placer la durabilité dans son contexte
Modèles de prestation des soins de santé
7
Paquets de soins de santé essentiels
Annexe 7 : Contractualisation des services de santé
Étude de cas n° 13 : Soutien budgétaire aux dépenses récurrentes du secteur
provincial de la santé au Mozambique dans les années 1990
Réglementation
8
Décentralisation dans un secteur de la santé fragile
Rénovation de systèmes de management paralysés
Évaluation des capacités existantes
Renforcement des capacités
Module
25
Section
Annexe 8 : Instruments axés par les approches sectorielles (SWAp) dans les
secteurs de la santé pendant ou après un conflit
Intégrer des effectifs hier adversaires
La stratégie nationale de développement des ressources humaines
Stratégies de restructuration d’un effectif dans un contexte de distorsions et de
gaspillages
10
Étude de cas n° 17 : Une planification rationaliste dans un contexte
politiquement sensible : les ressources humaines du secteur de la santé en
Angola pendant la transition de la guerre à la paix
Les principaux enseignements de crises précédentes
Annexe 10 : Restructuration post-conflit des effectifs du secteur de la santé au
Mozambique, 1990-2002
Restructurer le sous-secteur pharmaceutique
11
Annexe 11 : Cartographie des acteurs et des activités du sous-secteur
pharmaceutique au Sud-Soudan
12
Formuler des stratégies pour le relèvement d’un secteur de la santé en crise
(intégralité du module)
13
Annexe 13 : Aider au relèvement du secteur de la santé somalien
15
Exercice 12 : Tirer des leçons générales des cas de relèvement du secteur de la
santé sur lesquels on dispose d’informations
Relèvement
du conflit à
la paix
Module 1
Module 1 Introduction
Module 1
26
Analyse du secteur de la santé dans les urgences complexes
Pour aller plus loin
Tout au long du manuel, les auteurs ont sélectionné des Conseils de lecture et des Références
bibliographiques, qui ne prétendent nullement à l’exhaustivité concernant le domaine
étudié. Ces références ont pour objectif d’aider le lecteur à explorer un sujet en un temps
relativement bref, plutôt que de le familiariser avec toute la littérature relative au sujet en
question, souvent très abondante. Il est arrivé à plusieurs occasions que l’on ne trouve pas
d’ouvrages satisfaisants traitant d’un sujet spécifique dans une situation de crise. Dans ce
cas, le choix s’est reporté sur des documents de qualité sur le même sujet, mais portant sur
des secteurs de la santé stables. Voir par exemple Green, 2007, ci-dessous.
Conseils de lecture (généraux)
Abel-Smith B. An introduction to health: policy, planning and financing.
Londres, Longman, 1994.
« Cet ouvrage ne prétend pas être objectif. Il part des suppositions intéressantes qui soustendent le programme de « santé pour tous », selon lesquelles tous les individus ont droit à la
santé, dans la mesure du possible. Il s’ensuit que l’objectif d’équité[…] doit sous-tendre les
politiques de santé ». Cette publication tente de couvrir tous les contextes socioéconomiques
qui existent dans le monde (y compris l’ex-Union soviétique), en évitant soigneusement
la dissociation entre la politique de santé dans les sociétés riches et celle dans les sociétés
pauvres, encore si courante il y a quelques années dans la littérature consacrée aux « pays en
développement ». Les problèmes qui se posent aux planificateurs, aux économistes et aux
milieux politiques sont les mêmes : rareté des ressources, pressions politiques, détermination
des priorités, maîtrise des coûts, mise en œuvre insuffisante. La différence provient de
l’ensemble de contraintes « environnementales ». Il n’est guère surprenant que la tâche soit
extrêmement complexe dans les pays pauvres.
Abel-Smith reconnaît qu’il n’y a guère de raisons d’être optimiste, mais avance que la nonintervention de l’État (qui laisse le marché de la santé suivre le cours naturel des événements,
c’est-à-dire sans régulation) est hors de propos, si l’on accorde la priorité à l’équité.
Par conséquent, « il vaut mieux planifier que ne pas planifier », « aucun plan n’est réaliste
avant qu’on en ait déterminé le coût », « un plan modeste est plus sûr qu’un plan ambitieux »,
« il est plus facile de compléter un plan ultérieurement que d’en supprimer des éléments »,
« un plan peut reposer sur différents scénarios, allant de très pessimistes à modérément
optimistes », etc. Est-ce que les éléments de preuve et le bon sens sont les dernières bouées
de sauvetage des pauvres ? C’est ce que semble croire ce précieux ouvrage, témoignage
d’une pensée lucide et reposant sur des principes.
Green A. An introduction to health planning for developing health systems.
Troisième édition. Oxford, Oxford University Press, 2007.
Un manuel classique, clair, détaillé et compréhensible, qui offre le meilleur tour d’horizon
disponible à ce jour sur ce thème. Il parvient à un équilibre délicat entre les techniques et
les préoccupations et contraintes du monde réel. Green propose une évaluation juste des
idées les plus influentes qui façonnent les systèmes de santé du monde entier. Il examine
leurs forces et leurs faiblesses, ainsi que les hypothèses et les valeurs sur lesquelles elles se
fondent. Même s’il décrit les difficultés auxquelles se heurte la planification des services de
santé dans les pays en développement et qu’il en admet les performances insatisfaisantes à
ce jour, cet ouvrage parvient néanmoins à faire comprendre au lecteur qu’il est nécessaire de
soutenir les décideurs par des approches rationnelles et reposant sur des preuves, dépourvues
de toute idéologie et d’illusions. Il s’agit d’une lecture utile pour tout analyste de terrain qui
s’intéresse à la planification sanitaire ou qui travaille déjà sur ce sujet. Même s’il ne traite
pas des caractéristiques spécifiques et des obstacles supplémentaires qui caractérisent la
planification sanitaire dans des situations de crise, il procure un grand nombre d’idées et
d’instruments, grâce auxquels il est possible d’élaborer des approches adaptées à la crise.
Kaldor M. New and old wars: organized violence in a global era. Deuxième
édition. Cambridge, Royaume-Uni, Polity, 2006.
Il s’agit d’un ouvrage important. Son auteur explique que la violence organisée qui touche
de nombreux endroits du monde ne peut se comprendre qu’à l’aide d’un nouveau paradigme,
qui rompt avec la vision traditionnelle de la guerre qu’ont encore les milieux politiques et
les militaires, du moins dans le monde occidental. « […] les nouvelles guerres brouillent
les différences entre la guerre (habituellement définie comme la violence entre États ou
entre groupes politiques organisés), le crime organisé (violence provenant de groupes
privés organisés à des fins privées, généralement l’enrichissement personnel) et la violation
des droits de l’homme à grande échelle (violence exercée par l’État ou par des groupes
politiques organisés à l’encontre d’individus) ».
Au XXIe siècle, la violence organisée se caractérise par des réseaux mondiaux, des
manifestations locales, un degré élevé d’informalité et de décentralisation, ainsi qu’une
politique identitaire. Si elles diffèrent fortement des guerres modernes que se livrent des
États, les nouvelles guerres présentent aussi des caractéristiques prémodernes. S’ils ignorent
la réalité du terrain, les gouvernants s’exposent à des risques fatals. La guerre en Iraq
confirme de façon tragique l’analyse exposée dans cet ouvrage, à savoir qu’à l’ère de la
mondialisation, les anciennes conceptions de la guerre sont dangereusement inadaptées.
Morgan P. The idea and practice of systems thinking and their relevance for
capacity development. European Centre for Development Policy Management,
2005. Disponible en ligne à l’adresse suivante : www.capacity.org, consulté le 10
janvier 2011.
Cet ouvrage présente une analyse fascinante et étonnamment accessible des avantages
potentiels et des inconvénients de la pensée systémique, lorsqu’elle est appliquée à la pratique
du développement. Il énonce clairement les limites des approches réductionnistes des
questions systémiques, et argumente bien la nécessité de rompre avec les schémas mentaux
et les structures organisationnelles peu adaptées à un monde complexe, flou et changeant.
La pensée systémique telle qu’elle est pratiquée aujourd’hui représente-t-elle l’avenir ?
La question reste ouverte. Si cette approche est attrayante, elle n’est pas toujours payante,
ni même probante. « La pensée systémique cherche toujours l’équilibre entre mystère et
maîtrise, entre l’échec à comprendre quoi que ce soit d’important et la prétention de tout
comprendre ». D’immenses obstacles conceptuels, culturels et institutionnels doivent être
surmontés pour que la pensée systémique soit couramment adoptée dans la pratique du
développement. En revanche, il est incontestable que le secteur de l’aide a besoin d’une
bouffée d’air frais.
Le lecteur intéressé pourra aller plus loin en lisant l’ouvrage de:
Ramalingam B., Jones H., Reba T. et Young J. Exploring the science of
complexity: Ideas and implications for development and humanitarian
efforts. Overseas Development Institute. Working Paper 285, 2008. Disponible en
ligne à l’adresse suivante : www.odi.org.uk, consulté le 10 janvier 2011.
Références bibliographiques
Coghlan B. et al. Mortality in the Democratic Republic of Congo: a nationwide survey.
Lancet, 367:44-51, 2006.
Ellencweig A.Y. Analysing health systems: a modular approach. Oxford, Oxford University
Press, 1992.
Islam M. (eds). Health systems assessment approach: A how-to manual. Proposé à l’Agency
for International Development des États-Unis d’Amérique en collaboration avec Health
Systems 20/20, Partners for Health Reformplus, Quality Assurance Project et Rational
Pharmaceutical Management Plus. Arlington, VA: Management Sciences for Health, 2007.
Pain A. et Goodhand J. Afghanistan: current employment and socio-economic situation and
prospects. Genève, Organisation internationale du Travail, 2002.
27
Module 1
Module 1 Introduction
Module 1
28
Analyse du secteur de la santé dans les urgences complexes
Études de cas présentées dans ce manuel
Numéro
Titre
Module
1
Comparer les chiffres de couverture au Soudan
2
2
Les chiffres sur la population au Mozambique
2
3
Comprendre l’évolution du secteur de la santé afghan
3
4
Interpréter les chiffres de la mortalité en Iraq
4
5
Évaluation rapide des besoins dans le secteur de la santé en Iraq en 2003
4
6
Les analyses de la politique sanitaire en Angola dans les années 1990
5
7
Réforme radicale du secteur de la santé au Kosovo, 2001-2006
5
8
Inventorier les projets des ONG dans le secteur de la santé au Soudan
5
9
Les coûts de transaction liés à la coordination : négociation d’une politique
salariale standardisée en Afghanistan, 2002-2003
5
10
Indicateurs synthétiques, Soudan 2002
6
11
L’estimation des dépenses du secteur de la santé iraquien en 2004
6
12
Coordonner l’aide dans le vide politique de la Somalie
8
13
Soutien budgétaire sectoriel aux dépenses récurrentes du secteur
provincial de la santé au Mozambique dans les années 1990
8
14
Développement spontané de la prestation des soins de santé dans un
district frappé par la guerre
8
15
La décentralisation au Sri Lanka
8
16
Composition du réseau sanitaire en Afghanistan
9
17
Une planification raisonnée dans un contexte politiquement sensible : les
ressources humaines du secteur de la santé en Angola pendant la transition
de la guerre à la paix
10
18
Dons de médicaments au Mozambique en 2000
11
19
Faire face à l’effondrement des systèmes d’approvisionnement
pharmaceutique en République démocratique du Congo
11
20
Estimation du coût de la réorganisation du réseau sanitaire au
Mozambique
12
21
La saga de l’analyse du secteur de la santé palestinien, 2003-2007
13
29
Tableaux inclus dans le manuel
Titre
Module
Définition de quelques concepts utilisés dans ce module
2
Classification pragmatique des données recueillies lors d’une crise prolongée
2
Comprendre les caractéristiques et tendances dans le secteur de la santé : les indicateurs
à prendre en considération
Annexe 2
Typologie sommaire des conflits
3
Le revenu national brut (RNB) et l’aide par habitant dans les zones déchirées par la
guerre (US$)
3
Chronologie simplifiée du secteur de la santé en Angola
3
Évaluation des besoins post-conflit
Annexe 3
Indicateurs démographiques concernant une sélection de pays en crise
4
Taux brut de mortalité dans plusieurs situations d’urgence aiguë
4
Définition de quelques termes utilisés dans ce module
6
Les dépenses de santé dans certains pays frappés par la guerre
6
Prévisions des ressources à venir dans une perspective de relèvement
6
Consommation de services et taux de couverture dans le secteur de la santé de
certains pays
7
Différents modèles de prestation de soins méritant d’être étudiés
7
Quelques aspects de la qualité des prescriptions dans une sélection de pays en crise
7
Établissements de santé par niveau de soins
9
Quelques indicateurs relatifs au réseau de santé, recueillis dans des secteurs sanitaires
en crise
9
Variables à inclure éventuellement dans une base de données des établissements
de santé
Annexe 9
Éléments à prendre en compte pour l’étude des personnels de santé
10
Synthèse des caractéristiques des personnels de santé dans plusieurs secteurs de la
santé touchés par une guerre
10
Taille des équipes sanitaires par type de structure
10
Personnel local employé par le système de santé du pays (Mozambique)
Annexe 10
Déploiement des personnels de santé qualifiés, par région (Mozambique)
Annexe 10
Taille moyenne des équipes sanitaires, 1990-2002 (Mozambique)
Annexe 10
Une sélection d’indicateurs pour l’étude du sous-secteur pharmaceutique
11
Cartographier les acteurs et les activités du sous-secteur pharmaceutique du Sud-Soudan
Annexe 11
Problèmes systémiques courants et réactions possibles de la part des pouvoirs publics
12
Aider au relèvement du secteur de la santé somalien
Annexe 13
Instruments de gestion des secours/de l’aide/mécanismes de coordination
14
Glossaire des concepts et définitions
14
Module 1
Module 1 Introduction
Module 1
30
Analyse du secteur de la santé dans les urgences complexes
Titre
Module
Aide par habitant dans des pays post-conflit
15
République démocratique du Congo, 2006. Indicateurs financiers sélectionnés
15
Enquête sur la mortalité, Darfour, 2005. Principaux constats
15
Dépenses de santé et indicateurs de la situation sanitaire en Asie du Sud-Est
15
Cambodge, 2005. Source de premier traitement pour les répondants qui ont été
malades ou blessés au cours des 30 derniers jours
15
Cambodge, 2005. Sources de financement de la santé
15
Arguments pour et contre la contractualisation
15
Critères fonctionnels pour classer les établissements de santé
15
Professionnels de la santé actifs au Liberia, 2007-2011
15
Module 2
Donner un sens (approximatif) à des données
(bancales)
«Le vrai génie réside dans la capacité à évaluer l’incertain, le hazardeux, les informations conflictuelles.»
Winston Churchill
32
Analyse du secteur de la santé dans les urgences complexes
Résumé
Module 2
Ce module propose une vue d’ensemble de l’information. Il présente, parfois en détail, les
principaux thèmes et aspects qui seront explorés tout au long du manuel. Tout d’abord, nous
décrirons brièvement les systèmes d’information traditionnels et la façon dont ils s’adaptent
à la crise (ou plutôt, bien souvent, dont ils périclitent). Ensuite, nous verrons comment les
chiffres peuvent ou non être traités pour devenir de l’information et de la connaissance.
Nous analyserons les caractéristiques essentielles des données, telles que l’exactitude, la
précision, la pertinence, ainsi que leur importance relative. Nous recenserons les méthodes
de nettoyage des données et les nombreuses failles courantes qui nuisent généralement
à l’utilité des données disponibles. Nous montrerons qu’il est important d’exploiter les
données disparates souvent disponibles en quantité considérable dans un contexte de crise.
La dernière partie de ce module traitera des utilisations de l’information, de la conception
des systèmes d’information et des modes de diffusion de l’information recueillie.
L’Annexe 2 décrira plusieurs indicateurs importants susceptibles d’être pertinents pour
l’analyse d’un secteur de la santé en situation de crise, et commentera leur utilité, leurs
avantages et leurs inconvénients.
Introduction
Dans les situations d’urgence complexes, où règnent incertitude et instabilité, la base
d’information est généralement faible et fragmentée. Les systèmes d’information sont
gravement affectés, et parfois s’effondrent. Leur couverture est immanquablement
diminuée1, il y a des difficultés de communication et d’accès aux zones en crise, les données
sont périmées et incomplètes, le degré de standardisation est faible, et la collecte/l’analyse
de données est en conflit avec d’autres priorités. Pour certains, l’indicateur le plus fiable
d’une crise est l’absence d’information, souvent malgré l’abondance des données inutilisées
qui sont disponibles. Même dans une situation de crise extrêmement grave comme en
Afghanistan en 2002, on disposait de données sanitaires, bien qu’incomplètes, de qualité
variable et provenant de différents sites. En revanche, la capacité à les compiler, à évaluer
leur exactitude et à les interpréter dans le cadre d’une analyse globale faisait défaut.
Dans la plupart des cas, cette situation s’explique par le manque de coordination, le trop
grand nombre d’acteurs autonomes, des problèmes de communication et de sécurité, la
mutation rapide des environnements et la disparition de la mémoire institutionnelle.
L’environnement d’information
Avant une crise, le secteur de la santé s’appuie généralement sur plusieurs systèmes
d’information de routine :
• Un système axé sur les maladies, qui sert à communiquer les chiffres de la morbidité et
de la mortalité. Parfois appelé système d’information sanitaire, il comporte souvent un
sous-système de surveillance destiné à identifier les flambées de maladies transmissibles.
Il s’agit habituellement du plus ancien système en place.
•
Un système de contrôle administratif, qui recense le personnel, les structures, les activités,
l’équipement, etc. Il pâtit fréquemment d’un certain éclatement interne. Par exemple,
les données relatives au personnel sont présentées de façon totalement dissociée des
structures, des résultats, voire des rémunérations.
•
Un système d’information financière, qui fait état des budgets et des dépenses, la
plupart du temps d’après les procédures financières générales définies par le ministère
1 Cette réduction de la couverture est souvent à l’origine de différences : ainsi, des zones qui ne sont
plus couvertes du fait de l’insécurité, ou pour une autre raison, peuvent radicalement changer sur
d’autres plans, tels que la situation sanitaire.
Module 2 Donner un sens (approximatif) à des données (bancales)
33
•
Plusieurs systèmes d’information spéciaux, mis en place par des programmes verticaux
ou par certains départements centraux, parfois pour pallier les lacunes des systèmes
traditionnels, dans d’autres cas pour se conformer aux normes internationales, par
exemple pour certains programmes de lutte contre des maladies.
En général, ces systèmes d’information de routine sont gérés isolément, conformément
aux instructions et aux prescriptions de différents organismes. Chaque système a été
élaboré indépendamment des autres en fonction des besoins et points de vue différents des
épidémiologistes, des gestionnaires, des comptables et des donateurs. Cette hétérogénéité
dans la configuration des systèmes peut empêcher de vérifier les chiffres des dépenses en les
recoupant avec les résultats. Dans diverses situations, et à plusieurs reprises dans le secteur
de la santé de certains pays, il a été tenté, sans grand succès, de corriger cette fragmentation
de façon à ce que la plupart des informations soient collectées et analysées au sein d’un
même système. Il s’avère en fait extrêmement difficile d’élaborer un système d’information
global apte à satisfaire aux exigences de la majorité des parties concernées, à tous les niveaux
de la gestion sanitaire.
Outre les systèmes d’information de routine, des enquêtes spécialisées servent habituellement
à recueillir un vaste volume de données. Dans certains cas, le recours à ce type d’instrument
est dicté par la nature des informations nécessaires, qui se prêtent peu à une collecte standard.
Par ailleurs, de nouvelles enquêtes sont parfois lancées parce que leurs commanditaires
n’ont pas conscience de ce que les systèmes de routine permettent d’obtenir, ou jugent que
ces derniers donnent des résultats non fiables ou inadéquats, ou simplement ne tiennent pas
compte de l’existence d’autres enquêtes. Le plus souvent, des enquêtes analogues sont donc
menées séparément par différents départements ou organismes. Il en résulte des doublons,
qui compliquent, voire empêchent, l’agrégation des données collectées.
Cette situation, qui prévaut dans la plupart des secteurs de la santé stables, est susceptible de
se dégrader pendant une crise persistante : certaines activités de collecte de données cessent
alors, tandis que d’autres subsistent mais avec des difficultés telles que leurs résultats n’ont
plus de sens ; de nouveaux acteurs mettent en place un système de collecte de données
ad hoc ; la quasi-totalité des organismes d’aide soutiennent, sous une forme ou une autre, des
initiatives liées à l’information ; les enquêtes se multiplient, car tous les acteurs en préconisent
pour étancher leur soif d’informations. Dans ce contexte, les approches expéditives sont
monnaie courante, au point que les « méthodes d’évaluation rapide » pourraient parfois
être décrites plus justement comme des méthodes « induisant en erreur » ou « dénuées
de sens ». La diffusion de l’information disponible est fortement mise à mal, si bien que
les informations collectées restent en grande partie inutilisées. Des centres de ressources
partagées disparaissent ou sont désorganisés, l’information ancienne est perdue. La plupart
des organisations parent à ce délabrement en se dotant de leur propre capacité de stockage
de l’information, et les tiers n’y ont souvent pas accès. Les mêmes études sont réalisées
plusieurs fois, car des connaissances essentielles tombent dans l’oubli.
Dans les crises enracinées, aucun système d’information ne peut objectivement être reconnu
comme tel. Les analystes errent alors dans un environnement d’information obscur, où
les chiffres abondent mais où les éléments factuels sont rares, où les quelques données
valables sont noyées sous les mauvaises données et le bruit de l’information non pertinente.
Des « éléments » d’information inutilisés sont la plupart du temps disponibles quelque
part, mais souvent relégués et oubliés dans les endroits les plus inattendus. Avant de lancer
de nouveaux cycles de collecte de données, il faut donc s’efforcer réellement de mieux
comprendre ce qui existe déjà (même si cette recherche peut avoir un coût élevé) : les analystes
peuvent non seulement tirer des renseignements de ce travail de fouille et d’assemblage,
mais également repérer les principales lacunes que de futures études devront combler.
Module 2
des Finances et appliquées dans l’ensemble du secteur public. Ce type de système,
habituellement conçu pour satisfaire aux prescriptions de l’administration centrale,
répond souvent mal aux besoins des secteurs qui se consacrent à la prestation de services
sur la majeure partie du territoire d’un pays et sont donc, par nature, concernés par les
activités périphériques.
34
Analyse du secteur de la santé dans les urgences complexes
Sources d’information
Module 2
Il est possible d’obtenir des informations utiles auprès de diverses sources :
• Les centres de documentation des Nations Unies, des organismes donateurs ou des
institutions gouvernementales. De qualité inégale, ils diffèrent d’un pays à l’autre.
Souvent agrégées au niveau national, leurs données sont parfois peu utiles. Il faut
néanmoins les consulter systématiquement, bien que l’accès à certains de ces centres de
documentation puisse être difficile. Dans de nombreux cas, des informations précieuses
sont disponibles à l’étranger, au siège d’une organisation internationale ou auprès
d’une université.
•
Les informations de routine collectées par l’État (ministère de la Santé, ministère des
Finances, etc.). Les autorités sanitaires élaborent généralement des rapports, produisant
des données qui attendent souvent d’être compilées. Cependant, la plupart des services
rassemblent des chiffres qui sont rarement nettoyés ou recoupés avec d’autres, et
qui sont généralement incomplets. Certains rapports statistiques sont publiés durant
plusieurs années, mais cessent de l’être lorsque la crise s’aggrave. De plus, il arrive
que des fonctionnaires soient réticents à publier ou à communiquer à l’extérieur des
données « internes » ou « confidentielles » : dans un pays dévasté par une guerre
civile, les informations sanitaires sont parfois importantes pour l’armée ou pour les
services de renseignement. Outre ces problèmes, lorsque les détenteurs d’informations
ont connaissance de failles dans les données collectées, ils peuvent être réticents à
communiquer ces informations à des tiers qui pourront les examiner de près.
•
Les rapports d’évaluation et de supervision. Des documents variés contiennent souvent
des éléments d’information qui peuvent être utiles pour une analyse systémique. Ces
sources permettent d’explorer des aspects non couverts par les systèmes d’information
de routine, par exemple des modèles de prescription. Elles peuvent également contribuer
à valider les données de routine.
•
Les enquêtes standardisées, telles que les enquêtes en grappes à indicateurs multiples
(MICS) et les enquêtes démographiques et sanitaires :
-
Les enquêtes en grappes à indicateurs multiples (MICS) font partie d’un programme
d’enquêtes auprès des ménages élaboré par le Fonds des Nations Unies pour
l’Enfance (UNICEF) afin de combler les lacunes des données, qui, dans de nombreux
pays, sont fréquentes en ce qui concerne la situation des femmes et des enfants.
Ce type d’enquête est mené tous les cinq ans, ce qui permet habituellement une
analyse des tendances. Cette enquête recourt à des indicateurs sur l’état de santé
(mortalité maternelle et des enfants de moins de 5 ans), la nutrition, l’accès à l’eau et
à l’assainissement, ainsi que sur les pratiques sanitaires. Elle comporte trois volets :
un questionnaire sur les ménages, un questionnaire pour les femmes âgées de 15
à 49 ans et un questionnaire à remplir par les personnes s’occupant d’enfants de
moins de 5 ans. La première vague des MICS a couvert plus de 60 pays. Depuis
2005, le champ de ces enquêtes a notamment été élargi aux soins dispensés aux
mères et aux nouveau-nés, au paludisme et au VIH/sida. En raison de différences
de méthodologie, les chiffres de la mortalité qui proviennent de ces enquêtes ne
sont pas directement comparables aux estimations réalisées sur la base des enquêtes
rétrospectives (voir Module 4). Source d’information disponible en ligne à l’adresse
suivante : www.childinfo.org.
-
Les enquêtes démographiques et sanitaires appuyées par l’USAID (United States
Agency for International Development) sont axées sur la fécondité et la mortalité,
l’état de santé, la planification familiale et la nutrition dans les pays en développement.
L’utilisation de méthodologies et d’outils d’enquête communs assure la comparabilité
des indicateurs. Ces enquêtes se concentrent sur un pays et, étant donné la taille
relativement petite de leurs échantillons, elles ne permettent généralement pas des
analyses au niveau régional. Pour pallier ce problème, on combine les données de
recensement aux données de ces enquêtes afin de permettre des analyses intrapays.
Les enquêtes démographiques et sanitaires sont réalisées dans plus de 70 pays à travers
le monde. Leur champ a été récemment élargi aux pratiques sanitaires, aux indicateurs
anthropométriques, aux comportements sexuels, au VIH/sida et aux informations
socio-économiques. Le site Web http://www.measuredhs.com présente des outils
d’enquête et des séries de données pour des comparaisons interpays. Les enquêtes
démographiques et sanitaires souffrent des mêmes limites que les MICS quand il
s’agit de comparer les chiffres de la mortalité à ceux des enquêtes rétrospectives
classiques. Pour une analyse des enquêtes démographiques et sanitaires dans une
situation de conflit, voir Drapcho et Mock (2000).
-
Les données d’enquête (souvent disponibles auprès des ONG). Les enquêtes soutenues
par des organisations non gouvernementales (ONG) sont habituellement axées sur
les domaines d’action de ces entités, et peuvent avoir une portée géographique ou
thématique limitée. Dans certains cas, il est possible de regrouper plusieurs éléments
d’information provenant d’enquêtes diverses. Plus fréquemment, toutefois, les
observations ne peuvent pas être agrégées parce que les présentations des données
ne sont pas harmonisées.
•
Les systèmes de surveillance, parfois mis en place et administrés par des organismes
d’aide ou des ONG.
•
Les bases de données et les répertoires de données gérés par des instituts de recherche
ou des universités. C’est le cas, par exemple, de la base de données CE-DAT (Complex
emergency database) du Centre de recherche sur l’épidémiologie des catastrophes
(CRED), qui compile et publie en ligne des informations standardisées relatives à
l’impact des conflits sur les populations.
•
Les médias, même si la qualité ou la couverture de leurs données est souvent insuffisante,
peuvent constituer une source d’information utile, principalement lorsqu’aucune
donnée primaire n’est disponible. Il faut néanmoins toujours manier ces informations
avec prudence.
•
Les dossiers personnels de gens bien informés, qui ont amassé de précieux documents
sur des événements passés. Face à l’effondrement de la capacité de documentation
officielle, d’anciens acteurs de crises durables se sont délibérément mis à collecter
des informations intéressantes, afin d’éviter qu’elles ne soient définitivement perdues.
Dans certains cas, même des parties extérieures qui ont longtemps été en relation avec
un secteur de la santé en situation de crise ont accumulé un riche ensemble de rapports,
qui couvre parfois plusieurs années. Les fichiers des personnes bien informées sont
doublement précieux : ils reposent généralement sur une sélection rigoureuse, qui a déjà
permis d’écarter les documents sans intérêt ou lacunaires, et les personnes informées
peuvent apporter des indices utiles sur la pertinence et l’exactitude des documents qu’ils
ont conservés.
•
Les contacts par courrier électronique permettent d’approcher des informateurs
potentiels, afin de leur expliquer quelle information est recherchée et d’obtenir des
données. Une crise longue engendre des migrations internationales et les acteurs changent
rapidement, de sorte qu’une grande proportion de ces informations peut provenir de
l’étranger.
Dans la plupart des cas, les personnes bien informées qui connaissent un secteur de
l’intérieur sont en relation les unes avec les autres via des réseaux informels, lesquels
peuvent constituer la source d’information la plus utile, la plus fiable et la moins
coûteuse. Pour l’analyste extérieur, il peut être crucial de pénétrer ces réseaux pour bien
comprendre la situation. Les gens bien informés sont essentiels non seulement en tant
que sources d’information, mais également parce qu’ils permettent de vérifier la validité
de l’analyse qui sera menée in fine. Un analyste extérieur peut tomber par hasard sur l’un
de ces réseaux et parvenir à le pénétrer, mais c’est en prenant les devants et en adoptant
une approche interactive, c’est-à-dire en livrant d’emblée à ses collègues intéressés
35
Module 2
Module 2 Donner un sens (approximatif) à des données (bancales)
36
Analyse du secteur de la santé dans les urgences complexes
Module 2
les informations qu’il a déjà recueillies, qu’il pourra accroître ses chances de réussir.
Malheureusement, certaines personnes bien informées sont réticentes à communiquer les
informations qu’elles détiennent. Par ailleurs, la culture du secret est très prégnante dans
certains organismes ou dans certains de leurs services. Dans la mesure où un échange
actif améliore la qualité des données, ces entités sont peu susceptibles de fournir des
informations ou une analyse de qualité.
Définition de quelques termes utilisés dans ce module
Terme
Définition
Biais
Écart des résultats ou des inférences par rapport à la réalité ou processus
menant à un tel écart. Il induit des inexactitudes.
Données
Éléments bruts (faits ou chiffres) non analysés.
Erreur aléatoire
Écart entre la vraie valeur d’un paramètre et son estimation ; elle est
généralement considérée comme étant le résultat du hasard.
Erreur
systématique
Une variation systématique des mesures par rapport aux valeurs
réelles ; voir biais.
Exactitude
Égalité d’une mesure ou d’une estimation fondée sur des mesures avec
la valeur réelle de l’attribut mesuré (voir « Validité d’une mesure »
ci-dessous).
Indicateur
Variable qui montre ou donne une indication d’une situation donnée, et
permet donc de mesurer un changement.
Indicateur
indirect (ou de
substitution)
Indicateur de quelque chose qui, par sa complexité, n’est pas
intrinsèquement mesurable.
Indicateur
simplifié
Indication de quelque chose que l’on pourrait théoriquement mesurer
mais dont la mesure serait très onéreuse.
Information
Données collectées, traitées et transformées avec pertinence, d’une façon
qui améliore la compréhension des événements étudiés.
Précision
Qualité de ce qui est défini ou énoncé de façon nette.
Validité (d’une
mesure)
Expression de la fidélité avec laquelle une mesure représente ce qu’elle
est censée représenter. Parfois synonyme d’exactitude. Pour une
explication plus nuancée, voir Last (2004).
Note : Le Glossaire du Module 14. Ressources contient d’autres termes, des définitions plus
détaillées, ainsi que les sources d’information et des conseils de lecture.
Données, information et connaissances
« Recevoir une information, c’est forcément recevoir la nouvelle d’une différence »
(Bateson, 1980).
Les données brutes sont peu instructives. Après un traitement approprié, elles deviennent
de l’information, c’est-à-dire quelque chose qui contribue à la compréhension d’un aspect
examiné de près. Lorsque des éléments d’information pertinents sont regroupés en un
ensemble significatif, le niveau de compréhension qui en résulte peut être qualitativement
supérieur à celui procuré par les différents éléments pris séparément. On peut alors parler de
savoir, qui est la connaissance approfondie d’un aspect à un degré qui n’était pas auparavant
accessible à tous.
Ainsi, le nombre absolu de décès enregistrés au cours d’une crise n’est pas en lui-même
particulièrement instructif. Mis en relation avec la population étudiée et converti en taux, il
devient plus intéressant, car des comparaisons sont alors possibles. Présenté sous la forme
d’un tableau montrant les chiffres obtenus au cours du temps, il peut faire apparaître un
changement, et, donc, apporter une information supplémentaire. En le comparant aux taux et
tendances observés lors d’autres crises, on mesure la gravité de la situation, ce qui améliore
la compréhension des événements concernés. Ventilé en fonction du sexe, de l’âge, du groupe
ethnique et de la catégorie sociale, de l’origine, de l’exposition à certains événements, de
l’emploi principal, etc., il peut renseigner sur les facteurs de vulnérabilité ou de résilience des
individus. La combinaison d’éléments d’information disparates permet une compréhension
plus poussée des événements, de sorte que le tableau global finit par avoir du sens. On peut dès
lors concevoir et engager des actions judicieuses et efficaces.
Les chiffres doivent être traités dans un but précis. Il ne sert à rien de ventiler les chiffres
des décès si la cause de la mort ne permet pas de discriminer entre les différents groupes
cibles. À l’évidence, on perdra son temps à collecter et traiter de vastes ensembles de chiffres
simplement dans l’espoir de voir apparaître quelque chose d’intéressant 2. Or, c’est précisément
ce que de nombreux systèmes d’information s’obstinent à faire.
Indicateurs
« Les indicateurs permettent de voir la situation d’ensemble en n’en observant qu’une petite
partie » (cité dans von Schirnding, 2002). Bien choisis, les indicateurs sont extrêmement
utiles. Mal choisis, ils peuvent induire en erreur, parfois gravement. Mal interprétés ou surinterprétés, même de bons indicateurs sont susceptibles de déboucher sur des conclusions
erronées, donc sur des actions non pertinentes. Il est fréquent de confondre l’indicateur avec
le problème plus global qu’il est censé représenter, et d’oeuvrer pour une évolution liée à
l’indicateur en délaissant l’objectif plus global. Graham (1989) cite un exemple éloquent
d’interprétation erronée d’un indicateur, qui a profondément influencé la politique sanitaire
internationale pendant plusieurs décennies : on prend la mortalité comme indicateur indirect
de l’état de santé, dans l’espoir qu’en mesurant la mortalité, il sera possible de rendre compte
des effets des actions sanitaires destinées à améliorer l’état de santé.
« Il semble que la boucle soit bouclée en ce qui concerne le rôle joué par la mesure de la
mortalité dans la définition des priorités sanitaires. À l’origine, on justifiait principalement
son utilisation par le fait que, par rapport à d’autres résultats, la mortalité était apparemment
simple à mesurer. Cependant, dans les pays en développement où la mortalité est élevée, les
grandes stratégies sanitaires, surtout celles axées sur les nourrissons et les enfants, ont peu
à peu été définies en fonction d’un objectif de réduction de la mortalité. Une action est jugée
réussie dès lors que la mortalité a baissé, d’où la priorité donnée à la technologie médicale.
La réduction de la mortalité est devenue l’objectif, et non plus seulement l’indicateur. »
Pour une analyse détaillée des indicateurs, voir Lippeveld, Sauerborn et Bodart (2000).
Exactitude, précision, pertinence et coût des indicateurs
Dans une situation d’urgence complexe, lorsque des décisions importantes sont prises sur
la base d’informations incomplètes, la réactivité prime sur la précision. Le manque de
compétences techniques et/ou de sécurité impose de recourir à des informations rapidement
disponibles mais approximatives. Dans une situation instable, les estimations précises peuvent
ne servir à rien, et ne sont « guère plus qu’un exercice de quantification du dénuement »
(Adeyi et Husein, 1989, cité dans Sandiford, Annett et Cibulskis, 1992). Par exemple, des
mouvements de population se produisent, une crise éclate et l’accès à la nourriture se
réduit. Au moment où les conclusions d’une enquête sont présentées, la situation sur le
terrain peut donc avoir changé.
2
On parle de « triturage» de données (data dredging) dans les études épidémiologiques, où une
quantité considérable de variables est recueillie puis mise en relation avec un grand nombre
de résultats finals : une combinaison sur vingt examinées est « statistiquement significative »
(Smith et Ebrahim, 2002).
37
Module 2
Module 2 Donner un sens (approximatif) à des données (bancales)
38
Analyse du secteur de la santé dans les urgences complexes
Exactitude et précision
A. Exactitude et précision
B. Exactitude uniquement
Module 2
C. Précision uniquement
D. Ni exactitude ni précision
Jekel et al. 1996
Si un administrateur de la santé doit prendre rapidement des décisions, il peut juger
acceptables des constats sommaires : « la quantification précise des taux d’incidence ou de
prévalence influe rarement sur le choix des programmes proposés par les services de
santé » (Sandiford, Annett et Cibulskis, 1992). La perte de précision importe peu lorsqu’il
faut parer à l’urgence ou que l’on sait que des décisions seront prises quoi qu’il advienne, et
l’imprécision des estimations n’a alors pas de répercussions sur l’action à mener. En revanche,
l’exactitude est cruciale pour orienter l’action. En effet, des données inexactes peuvent
entraîner de mauvaises décisions, et par conséquent des décès ou des souffrances qui auraient
pu être évités, ainsi qu’un gaspillage de ressources.
En affirmant qu’« il vaut mieux avoir vaguement raison que précisément tort »,
John Maynard Keynes faisait allusion à cette distinction fondamentale. Nous pouvons
ajouter qu’il vaut mieux avoir vaguement raison et arriver à temps qu’avoir précisément
raison et arriver trop tard.
On peut représenter l’aspect à étudier par une cible, et les mesures par des « tirs ».
Dans un contexte de crise persistante, il est rare de pouvoir atteindre la configuration A et
les configurations C et D induisent manifestement en erreur. La configuration B reste la
meilleure approximation possible, même si les estimations obtenues diffèrent largement de
la valeur vraie. Dans l’encadré, on applique ce concept à l’estimation hypothétique d’un
taux brut de mortalité. Il est évident que, si l’on retenait C et D comme étant des estimations
fiables, on risquerait de prendre de mauvaises décisions, alors que l’estimation B donnerait
une indication acceptable de l’action à mener.
L’information n’est pas accessible gratuitement, surtout en période de crise. Il faut mettre
en relation ses caractéristiques souhaitées (validité, pertinence, exhaustivité, réactivité et
précision) et l’utilisation qui en sera faite, la capacité des décideurs à mettre à profit cette
information et les ressources disponibles pour l’application de ces décisions. Le coût de
collecte d’un indicateur doit être en rapport avec les décisions qu’il permettra de prendre.
Lorsque les implications pour le présent et l’avenir sont importantes et que les acteurs ont du
mal à déterminer quel serait le meilleur mode opératoire, un coût élevé se justifie pleinement
pour l’obtention d’indicateurs pertinents et dépourvus d’ambiguïté. Il arrive cependant que
des enquêtes onéreuses soient lancées dans le seul but de donner une respectabilité technique
à des décisions déjà prises pour des raisons politiques, idéologiques ou pratiques. Dans ce
cas, il est rare que les résultats d’enquête amènent à reconsidérer l’approche initialement
retenue, et l’enquête sera vraisemblablement un gaspillage de ressources.
On ne sait généralement pas ce que coûtera réellement la collecte d’indicateurs, mais ce coût
est parfois substantiel, particulièrement dans le cas d’enquêtes spécialisées ou compte tenu
de l’investissement initial nécessaire pour la mise en place d’un système d’information de
routine. De plus, dans les environnements violents, le risque que courent les enquêteurs et
les sondés doit être inclus dans le coût des informations obtenues.
Mesures exactes et mesures précises
Supposons que, dans la zone X, en août 2002, le taux de mortalité brut « réel »
(non connu) était de 1,6 pour 10 000 par jour.
•
1,5 (1,4 – 1,7) entrerait dans la catégorie A : une estimation exacte (non
biaisée) et précise
•
1,2 (0,8 – 1,9) entrerait dans la catégorie B : une estimation exacte mais
imprécise
•
0,6 (0,3 – 0,8) entrerait dans la catégorie C : une estimation inexacte (biaisée)
mais précise
•
0,6 (0,1 – 1,2) entrerait dans la catégorie D : une estimation inexacte
(biaisée) et imprécise
Note : L’intervalle de confiance est indiqué entre parenthèses.
Au moment de choisir les indicateurs, on prête généralement peu attention au coût de leur
collecte. Le coût d’opportunité, c’est-à-dire ce que les personnels de santé débordés n’auront
pas pu faire parce qu’ils étaient occupés à collecter ces données, peut être considérable.
De surcroît, le coût d’opportunité dû à la mobilisation de rares capacités techniques pour
la collecte de données ayant une faible importance sur la politique sanitaire peut être
considérable. À l’inverse, lorsqu’un système de collecte est déjà en place mais sous-utilisé,
il peut être économiquement justifié de lui demander de produire davantage.
Développer une « intuition » pour les chiffres
Toute analyse commence par le renforcement de la base d’information. Le repérage des
chiffres non fiables nécessite du bon sens, de l’expérience et une évaluation logique de la
série de données. Si l’analyste a déjà été en contact avec les phénomènes étudiés, sa tâche
en sera facilitée. De même, s’il a déjà participé à la prestation de services de santé, les
données recueillies n’en auront que plus de sens pour lui (et un contenu émotionnel), et
il décèlera plus facilement les chiffres aberrants. Il pourra également mettre pleinement à
profit l’information contextuelle.
En reliant des indicateurs qui concernent les mêmes zones ou en tenant compte des différents
maillons d’une chaîne, on peut identifier les chiffres atypiques, c’est-à-dire qui ne cadrent pas
avec le tableau général, ou mettre en doute la validité d’autres données. Dans la plupart des
cas, l’examen des données disponibles aboutit, pour un même indicateur, à plusieurs valeurs,
qui émanent parfois de différentes sources, et parfois du même organisme ou service, qui, en
raison de sa fragmentation interne, n’est pas à même de regrouper des données. Dans cette
situation fréquente, il faut impérativement comparer les chiffres divergents pour déterminer
leur fiabilité, de manière à ne sélectionner que ceux qui semblent les moins problématiques en
contexte. Bien entendu, ces décisions impliquent de formuler des jugements plutôt subjectifs
et, souvent, de revenir sur des choix anciens dont les nouvelles données ont peut-être révélé
le manque de pertinence.
39
Module 2
Module 2 Donner un sens (approximatif) à des données (bancales)
40
Analyse du secteur de la santé dans les urgences complexes
Étude de cas n° 1
Comparer les chiffres de couverture au Soudan
Deux chiffres ont été trouvés en 2002 pour les accouchements assistés au Soudan :
Module 2
•
Accouchements assistés en établissement de santé : 12 %
•
Accouchements assistés par du personnel qualifié : 57 %
À l’évidence, la forte proportion des accouchements assistés par du personnel qualifié
par rapport aux accouchements assistés en établissement de santé ne correspondrait
à la réalité que si les soins à domicile étaient très développés. Autre hypothèse : les
accoucheuses traditionnelles sont prises en compte dans le « personnel qualifié ».
Pour valider cette hypothèse, il faudrait la vérifier d’après le nombre d’accoucheuses
traditionnelles formées ces dernières années et considérées comme étant en activité.
Or, il n’a malheureusement pas été possible de trouver un seul rapport à ce sujet.
Les autres chiffres disponibles étant relativement faibles, comme le montre l’Étude de
cas n° 10, c’est le moins élevé (celui des accouchements assistés en établissement
de santé), 12 %, qui a été retenu, car il paraissait mieux cadrer avec la situation
d’ensemble.
Les données suspectes peuvent être vérifiées à la source et corrigées, ou rejetées faute
de preuve de leur validité. Des résultats intermédiaires disproportionnés par rapport aux
conditions initiales décrites, des résultats finals qui suscitent des doutes quant aux résultats
intermédiaires ou des réalisations dont il est fait état mais dont personne n’a entendu
parler lors d’autres crises durables ne sont que quelques exemples de données suspectes.
Quant aux ratios et taux qui utilisent le même dénominateur (par exemple, la population) et
qui se révèlent fortement divergents après avoir été comparés, ils alertent l’analyste sur des
problèmes potentiels.
Le simple fait d’utiliser l’information, de la « trianguler » avec d’autres sources, de vérifier
sa cohérence intrinsèque et de la comparer à des valeurs de référence permet d’identifier ses
failles et donne une idée des moyens qui permettront d’y remédier. Le repérage de données non
fiables montre aux agents chargés de la collecte que leur travail est soumis à une évaluation
poussée et critique, de sorte que les rapports suivants seront peut-être plus solides. Ne pas
utiliser une information parce qu’elle est de piètre qualité constitue trop souvent un prétexte
commode pour ne pas l’examiner. Et, lorsque l’on rejette une information disponible au
motif qu’elle n’est ni fiable ni utile, on court le risque de la voir effectivement perdre, tôt ou
tard, sa fiabilité et son utilité.
S’il est traité judicieusement, le manque d’informations constitue le meilleur « élément
d’information » pour la prise de décisions dans une situation de crise : le gestionnaire, au
moins, sait qu’il doit poursuivre ses recherches en mettant à profit toutes les sources et
tous les renseignements qui sont disponibles localement. Si la problématique ou la zone
géographique pour laquelle aucune information n’est disponible est importante, il sait qu’il
existe des dysfonctionnements quelque part et peut alors élaborer des mesures en conséquence
et les modifier dès que l’information s’améliore. À l’inverse, le manque d’informations peut
amener les autorités à désespérer de pouvoir appréhender la situation sur le terrain et à
prendre des décisions qui ne reposent pas sur des niveaux de preuve. Pire encore, le manque
d’informations peut enhardir les adeptes d’une certaine idéologie, qui ont alors le champ
libre pour pratiquer leurs méthodes favorites sans que de solides contre-arguments ne leur
soient opposés.
On peut obtenir des informations importantes en s’intéressant à ce que les rapports ne disent
pas. Il est surprenant de constater que, bien souvent, les documents officiels passent sous
silence un conflit en cours ou n’y font référence que de manière allusive ou vague. Il arrive
ainsi que des districts occupés par des forces rebelles soient subrepticement supprimés de la
liste des autorités sanitaires déclarantes, puis qu’elles réapparaissent des mois ou des années
plus tard, lorsque la situation de guerre évolue.
La comparaison des indicateurs obtenus à d’autres indicateurs portant sur des pays touchés
par des crises analogues permet de consolider l’analyse. La découverte d’un chiffre
manifestement discordant peut nécessiter une vérification supplémentaire de la qualité des
données, afin de repérer d’éventuelles erreurs. Si la fiabilité du chiffre est confirmée, on peut
envisager d’examiner de façon plus approfondie la présence d’une caractéristique propre au
secteur de la santé en crise qui est étudié. Ainsi, dans le tableau Les dépenses de santé de
certains pays frappés par la guerre (Module 6) l’indicateur Dépenses de santé privées en %
du PIB calculé pour le Cambodge (7,8 %) est à l’évidence atypique. La plupart des rapports
montrent que l’expansion des soins de santé privés après le conflit constitue une spécificité
du secteur de la santé cambodgien, ce qui confirme ce pourcentage et pousse à analyser en
détail ce qu’il implique.
Les indicateurs provenant d’autres pays en crise peuvent également faciliter le choix à
opérer parmi différentes valeurs d’un même indicateur dont la fiabilité ne peut pas être
directement vérifiée. En l’absence de meilleurs critères, on peut privilégier, avec prudence et
de manière provisoire, le(s) chiffre(s) jugé(s) le(s) plus cohérent(s) avec ceux observés dans
un contexte analogue.
Lorsque les chiffres défectueux ont été écartés et que les données crédibles ont été retenues
et assemblées en une sorte de patchwork mental, on peut dresser un tableau plus pertinent
et plus cohérent du secteur de la santé ou de certaines de ses composantes. De nouvelles
données fiables peuvent être aisément ajoutées à ce tableau, ou au contraire obliger l’analyste
à reconsidérer celui-ci. Du brouillard de chiffres erronés, d’affirmations sans fondement, de
données incohérentes et d’opinions dont la solidité n’est pas démontrée émerge un profil du
secteur de la santé qui inspire une confiance croissante.
L’Annexe 13 présente une matrice qui synthétise les principales caractéristiques du secteur de
la santé somalien en 2008. Pour améliorer leur validité et leur cohérence interne, il faut faire
vérifier par des personnes bien informées les constats préliminaires généraux. Les visites
de terrain doivent également servir à confirmer, ou au contraire à mettre en doute, le profil
qui se dégage provisoirement des données disponibles. Ainsi, les chiffres nationaux agrégés
peuvent indiquer un sureffectif en valeur brute, comme par exemple en Angola. Les agents
de terrain, ainsi que les données émanant d’un échantillon de structures de santé, peuvent
confirmer ou infirmer ce constat. Les visites de terrain confortent ou non le sentiment que les
chiffres agrégés donnent une idée juste de la réalité. Inversement, l’impossibilité de confirmer
une dotation excessive en personnel peut laisser à penser que la masse salariale est gonflée
par de nombreux travailleurs fantômes, ou que la dotation en personnel n’est pas uniforme :
il y a trop de ressources humaines à certains endroits et pas assez dans d’autres. Dans ce
second cas, il est nécessaire de réexaminer, et au besoin de corriger et de réinterpréter les
données initiales.
En outre, il faut préparer à l’avance les visites de terrain en regroupant les informations
relatives à la zone d’intervention qui sont disponibles au niveau national et en prévoyant
un délai suffisant pour permettre leur comparaison avec celles recueillies localement.
Les visites courtes et rapides, avec de nombreux participants, sont peu susceptibles de
permettre un travail minutieux. Une visite de terrain offre aussi l’opportunité précieuse
d’élargir l’éventail des informateurs au-delà du cercle étroit des anglophones dont les activités
sont axées sur l’aide et qui peuvent être contactés dans la capitale. Des voix différentes,
parfois discordantes, sont alors susceptibles de se faire entendre, ce qui enrichit l’analyse
de la situation d’ensemble. Il faut se montrer prudent pour éviter un piège fréquent, celui de
considérer les agents de terrain comme des sources d’informations véritables et plus fiables
que les informateurs géographiquement plus éloignés. En réalité, les deux sont influencés
par leurs préjugés, par leur point de vue étroit et par leurs intérêts personnels. Les deux sont
utiles, dès lors que qu’ils sont intégrés dans le processus et que les données qu’ils apportent
sont confrontées à la réalité.
La solidité globale des informations recueillies influe sur la profondeur de l’analyse qui
peut raisonnablement être effectuée. On découvre parfois que de larges pans de données sont
inadéquats, au point qu’il n’est pas justifié de les analyser ou que seules des considérations
41
Module 2
Module 2 Donner un sens (approximatif) à des données (bancales)
42
Analyse du secteur de la santé dans les urgences complexes
Module 2
vagues, principalement qualitatives, sont possibles. Par exemple, l’examen approfondi
des données d’activité peut révéler tellement de problèmes et d’incohérences qu’aucune
comparaison sérieuse avec les années antérieures ne saurait être jugée pertinente. Dans certains
cas, lorsqu’il faut rejeter les données nationales mais que l’on peut accéder à des données
désagrégées, certains chiffres communiqués par une province ou par un district peuvent
apparaître acceptables. Ils donnent alors de précieuses indications sur l’aspect étudié.
Pour renforcer les données disponibles, il faut, dans la plupart des cas, en rejeter une
grande partie. Le profil qui s’en dégage sera probablement réduit à l’essentiel, c’est-à-dire
composé de seulement quelques faits qui ont satisfait à un examen détaillé et que l’on peut
donc raisonnablement considérer comme confirmés et par conséquent retenir, de quelques
conjectures sensées (à présenter clairement comme telles), qui devront être soumises à une
vérification supplémentaire avant d’être validées, et de nombreuses affirmations courantes
qui ne sont pas vérifiées. C’est peut-être en démontant certaines des nombreuses opinions
dont la solidité n’a pas été démontrée et qui abondent dans les environnements en crise
qu’une étude détaillée rend le meilleur service aux décideurs. Il n’existe pas de conseil
plus approprié pour l’analyse que la formule ironique suivante, qui date de la naissance de
la science moderne : « […] des cerveaux plus portés à la loquacité et à l’ostentation qu’à
la réflexion et aux études sur les opérations les plus secrètes de la nature ; plutôt que de se
résoudre à dire sagement, simplement, modestement : je ne sais pas, on se laisse aller à dire et
à écrire n’importe quelle énormité. » (Galilée, 1632).
Module 2 Donner un sens (approximatif) à des données (bancales)
43
Classification pragmatique des données recueillies lors d’une
crise prolongée
Type de
données
Modes de traitement
Ces données doivent être écartées,
sans hésitation, de toute analyse
Données
sérieuse. Si elles sont
irrémédiablefréquemment utilisées dans
ment défectud’autres documents, on peut y
seuses, pour
faire référence en recommandant
lesquelles il
fermement de les rejeter et en
n’existe
exposant les motifs pour lesquels
cependant pas
elles sont jugées non acceptables.
de données
Le plus important est de n’en tirer
équivalentes de aucune inférence. Un champ vide
meilleure
donne une meilleure information
qualité
qu’un chiffre à coup sûr faux.
Exemples
Chiffres compilés d’après des
définitions erronées ou sans que des
définitions explicites n’aient été
précisées ; chiffres relatifs à la
couverture par un service de santé,
obtenus par un échantillonnage à
l’aveuglette (qui dépend fortement,
en général, des conditions de
sécurité) ; chiffres contraires au bon
sens, tels qu’un taux de couverture
supérieur à
100 %, ou chiffres trop optimistes
étant donné
le contexte.
Elles doivent être maniées avec
précaution, particulièrement celles
qui sont agrégées. S’il n’est pas
possible de comprendre comment
elles ont été obtenues, il convient
de les écarter. On peut au moins
vérifier la cohérence interne des
données désagrégées. Si elles sont
utilisées, il convient de toujours
mentionner ces graves lacunes.
Le total des dépenses de santé par
habitant au Soudan, pour l’année
2002, a été estimé à
US $17,5. Le document original ne
donnait aucune indication sur le
mode de calcul de cette estimation.
Données intéressantes mais peu
utiles. Il faut les mettre de côté le
temps de chercher des moyens de
les consolider.
Le nombre de décès lors d’une crise,
sans que des informations soient
apportées sur la taille de la
population touchée ou sur la période
concernée.
Données
apparemment
exactes mais
dont l’intérêt
ou la
signification est
difficilement
acceptable
Les conclusions d’études
apparemment minutieuses peuvent
s’écarter largement des niveaux
attendus ou des valeurs de
référence internationales, ou être
tout simplement contraires au bon
sens. Il faut impérativement en
vérifier la source, si possible, pour
tenter d’expliquer ces chiffres
surprenants. Une définition
différente peut parfois expliquer un
écart constaté. Si aucune faille
n’est décelée, on peut utiliser ces
données, à condition de les
accompagner d’une mise en garde.
Il faut également accompagner
d’une mise en garde les résultats
des calculs reposant sur ces
données douteuses.
En Afghanistan, sur 2002, le coût de
la mise à disposition d’un paquet de
services de santé de base a été
estimé à US $4,55 par habitant.
Ce chiffre paraissait extrêmement
faible par rapport à n’importe quelle
référence internationale et par
comparaison avec ceux concernant
d’autres pays pauvres. Il était
d’autant plus difficile de retenir cette
estimation que la topologie
accidentée de l’Afghanistan renchérit
la fourniture des services.
Données
solides, mais
sans lien avec
l’aspect
analysé
Elles doivent être écartées de
l’analyse, même si elles paraissent
intéressantes. Le risque est lié au
raisonnement, et non à l’exactitude
intrinsèque des données. Pour
éviter de tomber dans ce piège
relativement fréquent, il faut
évaluer minutieusement les
aspects et faire preuve de retenue.
Les données relatives à des
aspects différents de ceux étudiés
ne doivent pas donner lieu à des
inférences erronées.
Les performances du secteur de la
santé d’un pays sont étudiées avec
un indicateur indirect erroné. C’est
le cas, par exemple, lorsque les
résultats d’un programme vertical,
tel que le Programme élargi de
vaccination, ne sont pas
correctement mis en relation avec
les performances du système.
Données sans
source (ou
provenant
d’une source
non accessible)
Données
incomplètes
(pas de
dénominateur,
de mention de
la période ou
de la zone
concernée,
etc.)
Module 2
L’examen du secteur de la santé en crise produit un grand nombre de données de qualité
variable. Du point de vue de l’analyste, les données collectées relèvent des grandes catégories
présentées dans le tableau qui suit.
44
Analyse du secteur de la santé dans les urgences complexes
Type de
données
Module 2
Données
imprécises, qui
paraissent
globalement
dignes de
confiance
Modes de traitement
Exemples
Elles peuvent être utilisées pour la
plupart des calculs et analyses, à
condition que leur imprécision ne
soit pas masquée. Il est préférable
de recourir à une fourchette qu’à
une estimation ponctuelle pour
exprimer l’imprécision sousjacente. Si plusieurs chiffres très
dissemblables indiquent la même
tendance générale, on peut leur
accorder foi.
Au milieu des années 1990, le
nombre de personnels de santé en
Angola était estimé par différentes
sources entre 25 000 et 35 000.
Tous les chiffres disponibles
laissaient à penser qu’il fallait
réduire très fortement cet effectif et
procéder à une rationalisation. Un
décompte précis ne remet pas en
cause la nécessité de remédier à ce
sureffectif.
Voir l’Étude de cas n° 17
Conjectures
éclairées
Données
solides,
précises et
pertinentes
Elles sont fréquentes lorsqu’aucune
donnée objective n’est disponible,
mais que certains chiffres de
référence sont néanmoins
nécessaires pour estimer les
variables les plus importantes. Les
conjectures éclairées peuvent être
très utiles, à condition de ne pas
oublier qu’elles n’ont pas de
caractère définitif. Il faut s’efforcer
d’examiner de près les hypothèses
utilisées pour parvenir à une
conjecture éclairéeconjecture
éclairée (surtout dans le cas où la
variable à calculer revêt une
grande importance). Si les
hypothèses sont sensées et si les
chiffres qui en résultent paraissent
raisonnables, on peut les retenir.
Les conjectures éclairées sont
parfois acceptées pour la seule
raison qu’elles ne sont pas mises
en cause par des données
objectives.
En Iraq, en 2003, on a supposé que
la contribution privée aux dépenses
de santé représentait 40 % du total.
La seule information disponible était
l’expansion des dépenses privées au
cours des années précédentes, en
raison du déclin des soins
subventionnés. Cette part de 40 %
paraissait raisonnable et aucune
objection n’a pu être formulée à son
encontre. Elle a donc été acceptée
en tant que valeur provisoire de
travail.
Elles sont rares dans les
environnements perturbés. Lorsque
des données de bonne qualité
existent, elles concernent
généralement des situations sous
contrôle, et dans un périmètre
restreint, par exemple un camp de
réfugiés. Les constats qui en
résultent ne peuvent donc pas être
généralisés. Affirmer que des
données relatives à de vastes
populations ou périmètres sont
exactes et précises suscite, à juste
titre, des doutes.
Grâce à une amélioration
spectaculaire des conditions de
sécurité au Liberia, il a été possible
de mener dans ce pays, en 2007,
une enquête démographique et
sanitaire nationale, qui a porté
notamment sur le dépistage du VIH.
Le taux global de prévalence du VIH
a été chiffré à 1,5 %. L’estimation de
2006, qui se fondait sur de rares
sites sentinelles dans des zones
urbaines, était, elle, de 5,7 %
(Liberia Institute of Statistics et al.,
2007).
Voir l’Étude de cas n° 11
Voici une synthèse des actions recommandées, d’après le type de données analysé dans le
tableau ci-dessus.
Type de données
- Données solides, précises et valides
- Données imprécises, paraissant dignes de confiance, valides
Action
Utiliser ces données
- Conjectures éclairées, en l’absence de données
- Données sans source
- Données incomplètes (pas de dénominateur, période de référence
non précisée, etc.)
Examiner de près
ces données
- Données apparemment exactes, dont la valeur ou la signification
est difficile à interpréter/accepter
- Données défaillantes/biaisées, pour lesquelles il n’existe pas de
données équivalentes de meilleure qualité
- Données solides, mais non pertinentes pour l’aspect analysé
Rejeter ces données
Module 2 Donner un sens (approximatif) à des données (bancales)
45
•
Erreurs de calcul. Certaines erreurs sautent aux yeux, par exemple des taux ou des
ratios atypiques ou une série temporelle faisant apparaître des chiffres curieusement
divergents des autres. De même, des chiffres analogues communiqués par des
autorités dont on sait qu’elles pratiquent une gestion très différente de leurs services
de santé éveillent les soupçons. Si les rapports comportent de nombreux tableaux, on
peut corriger les erreurs les plus manifestes en croisant le contenu de ces tableaux et
en repérant les incohérences internes. Lorsque des données brutes sont examinées
isolément, leurs failles ne sont pas toujours évidentes. La comparaison et le traitement
des données mettent en lumière les problèmes.
•
Notification incomplète. Il est fréquent que la notification soit incomplète quand
la communication et la supervision sont défaillants. Si les données sont rapportées
sous une forme agrégée, on ne peut pas déceler cette lacune ; au mieux, on peut
seulement la soupçonner si les chiffres sont nettement inférieurs à ceux attendus.
Si des rapports sur des cas de maladie sont perdus quelque part dans la chaîne de
notification, cela peut attirer l’attention, surtout lorsque le système de surveillance
comporte de nombreuses étapes.
Dans certains cas, on peut ajuster les données disponibles pour obtenir des valeurs
approximatives qui s’écartent moins des valeurs réelles. Par exemple, si un district
n’a rendu compte de ses consultations externes que pour certains mois de l’année, le
total annuel que l’on obtient en additionnant uniquement les chiffres communiqués
sous-estimerait la valeur réelle pour ce district. Si l’on connaît le nombre de rapports
mensuels disponibles (sept, par exemple), on peut calculer une valeur approchée par
ajustement du total, en supposant que les mois pour lesquels des données ont été
Étude de cas n° 2
Les chiffres sur la population au Mozambique
Pendant la guerre civile, jusqu’à quatre millions de Mozambicains ont cherché à se
réfugier à l’étranger, et ceux restés dans le pays se sont concentrés dans les zones
sûres. Cependant, les chiffres officiels n’ont jamais été corrigés pour tenir compte
de ces énormes déplacements de population. Ils sous-estiment donc fortement
la consommation effective de services de santé dans ce pays. Après l’accord de
paix (1992) et un processus de rapatriement massif largement considéré comme
un succès, un recensement digne de ce nom a été effectué en 1997. Il concluait
à une population mozambicaine comptant deux millions de personnes de moins
que dans les projections effectuées sur la base du recensement d’avant-guerre
(1980) : cette baisse s’expliquait par le surcroît de mortalité imputable au conflit,
ainsi que par l’existence d’un nombre inconnu, mais substantiel, de personnes
qui s’étaient établies à l’étranger et n’étaient jamais revenues dans leur pays
natal. Le dénominateur plus faible résultait, à l’évidence, des taux de couverture
plus élevés à compter de 1997, un accroissement salué de manière irréfléchie
par plusieurs commentateurs comme l’effet d’une réorganisation des services
de santé.
•
communiquées sont représentatifs des mois manquants. Dans cet exemple, il faut
diviser par 7 le total pour les sept mois couverts et multiplier le résultat par 12 pour
obtenir une valeur approchée du total annuel. Bien sûr, moins il y a de rapports
mensuels disponibles, moins cet ajustement est acceptable. On peut procéder à ce
type d’ajustement pour les rapports manquants de certaines structures sanitaires d’un
district, à condition de connaître le chiffre pour ces structures au cours des périodes
précédentes. Il faut alors supposer que le volume d’activité ne varie pas fortement
sur la durée.
Non-prise en compte ou non-accessibilité des informations concernant des partenaires
ou des concurrents. Il se peut qu’une autorité de district ne communique des données
que sur le personnel faisant partie du secteur public, excluant de ce fait les agents
Module 2
Principales sources des failles dans l’information
46
Analyse du secteur de la santé dans les urgences complexes
Module 2
de santé embauchés par des ONG mais affectés dans des structures de santé publique.
Dans un environnement décentralisé, les rapports du ministère de la Santé n’incluent pas
toujours les soins mis en place par les conseils municipaux, sous la tutelle du ministère
chargé de l’administration locale (ou son équivalent). De même, les administrations
fédérales ne notifient parfois que les données budgétaires relatives aux ministères
centraux. De plus, les données portant sur les soins dispensés par les organismes d’aide
restent généralement distinctes de celles ayant trait aux services standard.
Les rapports élaborés par les agents de la fonction publique ont tendance à ne pas tenir
compte des structures gérées par les organisations caritatives. Dans les grandes villes, les
soins privés (souvent informels, dans une large mesure) sont habituellement sous-notifiés,
même si leur volume est manifestement substantiel. La consommation réelle de soins
peut être bien plus importante que ce que les rapports officiels laissent à penser. Ainsi, à
Luanda, à la fin des années 1990, les statistiques du ministère de la Santé excluaient une
bonne partie des activités d’environ 500 entités privées agréées et d’un nombre inconnu
d’entités non agréées. Les très faibles chiffres officiels de la consommation de soins
sous-estimaient grossièrement la situation effective.
•
L’application de seuils de qualité différents pour l’acceptation ou le rejet des données
problématiques induit de graves incohérences entre les ensembles de données. Certains
des agents qui rédigent des rapports retiennent des données manifestement entachées
d’erreurs et les agrègent pour constituer des totaux, si bien que même un examen détaillé
ne permet pas de les détecter. D’autres, plus exigeants, écartent des ensembles de données
entiers et, en conséquence, ne communiquent aux échelons supérieurs que des chiffres
nettoyés, ce qui entraîne, malheureusement, une grossière sous-estimation des valeurs
réelles. Et il n’est pas étonnant de constater que les autorités sanitaires les plus diligentes
ont tendance à se montrer prudentes dans leurs rapports, c’est-à-dire à écarter les données
défectueuses, et, ainsi, à faire état de niveaux d’activité inférieurs à la réalité. Elles sont
parfois mêmes critiquées pour les chiffres jugés trop faibles qu’elles communiquent, par
exemple en ce qui concerne le nombre de patients traités ou le taux de couverture.
•
Les biais, c’est-à-dire les écarts des résultats ou des inférences par rapport à la réalité,
peuvent déboucher sur des conclusions non valides. Lors de crises durables, les chiffres
sont rarement recueillis au moyen de techniques d’échantillonnage aléatoire, et sont
donc particulièrement sensibles aux biais. En revanche, étant donné leur caractère
principalement descriptif (ils ne sont pas destinés à des inférences causales d’un
problème), ils sont à l’abri de certains des biais qui entachent les travaux analytiques.
Face aux biais, il faut avant tout avoir conscience de leur existence lors de la planification
d’une étude, de la collecte des données et de l’interprétation des résultats obtenus.
•
Le biais de survie, qui peut se produire durant une crise grave entraînant une très forte
mortalité, a une incidence particulièrement forte sur les évaluations effectuées dans une
situation d’urgence. Étant donné que les individus qui, dans d’autres circonstances,
seraient inclus dans une enquête, ne font pas partie de l’échantillon en raison de leur
décès, les résultats de l’évaluation sous-estiment la tendance analysée. Le biais de survie
aurait ainsi contribué à la sous-estimation de la mortalité dans les camps de réfugiés
somaliens, à la fin des années 1980, ainsi que dans l’est de la République démocratique
du Congo.
L’utilisation de dénominateurs différents, tant dans les estimations démographiques
que dans les définitions des sous-groupes de population, est une source d’incohérence
fréquente. Dans les situations d’urgence complexes, aucune donnée de recensement
satisfaisante n’est habituellement disponible, et même les chiffres les plus fiables sont
susceptibles d’être « arrangés » par des agents de terrain. Par exemple, en 2002, les
autorités angolaises ont fait état de quatre millions de personnes déplacées à l’intérieur
de leur propre pays, soit 30 % de la population totale du pays, tandis que l’organisme
des Nations Unies chargé de la coordination humanitaire n’a enregistré que 1,5 million
de personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays qui bénéficient de programmes
d’assistance (Nations Unies, 2002). Avant d’accepter les chiffres locaux, tels que le
nombre de personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays, ou de réfugiés, qui sont
susceptibles d’avoir été gonflés afin de pouvoir bénéficier de l’aide d’urgence, il est par
conséquent utile de les croiser avec les estimations concernant la population nationale
et d’autres provinces ou districts 3. De cette façon, on peut écarter les valeurs les plus
curieuses et retenir les moins problématiques. Il convient d’inciter vivement tous les
partenaires à recourir aux mêmes estimations, afin que les inexactitudes soient uniformes,
car cela pose beaucoup moins de difficultés que des inexactitudes contradictoires.
•
L’utilisation de numérateurs différents, due à l’adoption de définitions du cas différentes
(par exemple pour le choléra et les diarrhées aqueuses), peut aboutir au regroupement de
maladies, ce qui risque d’induire un biais lors de la comparaison.
•
Des niveaux d’agrégation hétérogènes empêchent de mettre en relation certains
ensembles de données. On peut, par exemple, agréger l’effectif pour l’inclure dans
la masse salariale au niveau des provinces, si c’est à cet échelon que le paiement des
salaires est traité. Cependant, étant donné que les structures de santé opérationnelles
sont généralement présentées dans des rapports de district, on risque de ne pas pouvoir
relier ces ensembles de données pour évaluer les schémas de déploiement du personnel
et estimer les charges de travail respectives. De même, on compile parfois les dépenses
d’après des critères comptables qui ne cadrent pas avec les décisions des responsables
sanitaires. Les « frais de déplacement », par exemple, renseignent peu sur les activités
réellement menées (orientation, prévention, sensibilisation, logistique). Dans ce cas, des
chiffres corrects risquent donc de ne pas aboutir à une vraie information.
•
Des niveaux d’agrégation inappropriés peuvent masquer des tendances importantes.
Les résultats intermédiaires des services sont habituellement présentés selon certains
critères de répartition, notamment par province ou par région. Or, les grandes unités
administratives sont rarement homogènes. Elles peuvent compter une grande diversité
d’ethnies, d’activités économiques, de tranches de revenus et d’environnements.
Ainsi, le nombre moyen de consultations externes par habitant est susceptible d’être nettement
inférieur à celui des catégories plus riches mais très supérieur à celui des catégories les plus
pauvres.
Les politiques destinées à améliorer la consommation des services dans toute une entité
administrative ne reconnaissent pas toujours la nécessité de concentrer les moyens sur une
zone ou une catégorie de population marginalisée. Dans bien des pays, c’est dans la région
où est située la capitale que ce problème d’agrégation se pose : les zones environnantes
sont souvent largement sous-desservies, car la capitale a le pouvoir de siphonner toutes
les ressources disponibles. Or, ce déséquilibre local risque d’être masqué par la moyenne
régionale et, donc, de ne pas être pas visible lorsque l’on envisage d’apporter une aide
ciblée aux zones jusqu’alors délaissées.
La solution à ces problèmes ne consiste pas à désagréger les données pour aboutir aux
plus petites unités possibles, car le tableau d’ensemble comporterait trop d’éléments et
masquerait les tendances générales. Les zones analogues peuvent, elles, être agrégées sans
difficultés, ce qui améliore nettement la clarté et la rentabilité de l’analyse. La solution
se situe entre ces deux extrêmes. On peut présenter sous la forme de tableaux de grandes
unités administratives hétérogènes comportant quelques sous-unités d’une certaine taille
mais plus homogènes. De même, on peut, pour créer des ensembles pertinents, fusionner
de petites unités contiguës à cheval sur plusieurs régions ou provinces et qui présentent
des caractéristiques en commun. La carte sanitaire d’un pays divergerait ainsi de la carte
administrative officielle, mais serait plus utile à l’administrateur de la santé.
3
À propos de la « politique des chiffres », voir Crisp, 1999.
47
Module 2
Module 2 Donner un sens (approximatif) à des données (bancales)
48
Analyse du secteur de la santé dans les urgences complexes
La collecte de données qui pourraient se révéler ultérieurement utiles consiste à
consigner des chiffres potentiellement intéressants sans évaluer clairement à quoi ils
peuvent servir. C’est une pratique malheureusement répandue, et pas uniquement dans
les systèmes d’information de routine fossilisés. Elle peut être motivée par la survenue
d’événements soudains, tels qu’une marge de manœuvre imprévue qui apparaît pour les
ONG et les organismes d’aide à la suite d’un changement spectaculaire dans l’évolution
de la guerre. Partant de l’hypothèse (souvent erronée) selon laquelle l’information déjà
disponible est rare ou inexistante, les nouveaux arrivants risquent de lancer de multiples
exercices de terrain (parfois appelés « évaluations rapides des besoins ») pour recueillir un
ensemble disparate de données dont la finalité est indéterminée, dans l’espoir qu’elles se
révèleront utiles ultérieurement, à un niveau supérieur d’analyse et de prise de décisions
non spécifié. Ces exercices sont susceptibles d’absorber beaucoup de ressources, de
détourner l’attention des services fournis et d’alimenter des espoirs injustifiés parmi les
destinataires. De fait, les données non ciblées sont rarement transformées de manière
adéquate en de vraies informations. L’Étude de cas n° 5, dans le Module 4, décrit un
exemple éloquent de cette approche lacunaire.
•
Chiffres « fossiles ». Étant donné la pénurie de données, certains chiffres intégrés dans des
documents largement diffusés et validés par des organisations faisant autorité sont parfois
utilisés encore et encore même si l’on sait qu’ils sont défectueux. Ils ont alors une vie propre.
Après avoir été citées à maintes reprises, les sources originelles, et leurs failles, tombent
dans l’oubli. Les calculs au jugé qui ne reposent jamais sur des niveaux de preuve sont
acceptés comme des chiffres solides, sur leur seule apparence. Ainsi, il y a de nombreuses
années de cela, on a estimé entre 1,5 et 2 millions le nombre de décès dus à la guerre civile
au Soudan. Plus tard, alors que ce conflit continuait à faire rage, le chiffre n’a pas augmenté.
L’estimation de 1,5 à 2 millions s’est fossilisée et est citée dans d’innombrables rapports
sans être comparée aux observations effectuées sur le terrain. Dans d’autres contextes, on
dit qu’un mensonge répété suffisamment souvent devient une vérité.
Module 2
•
L’utilisation non critique de sources faisant « autorité » peut dissuader de chercher des
informations plus utiles. Plutôt que de citer un chiffre ancien, biaisé ou qui se rapporte
à un contexte différent, le fait d’indiquer que, dans un cadre donné, on ne connaît pas le
taux de mortalité maternelle mais qu’il est probablement très élevé, permet généralement
d’éclairer les aspects sur lesquels il faut prendre une décision.
•
Schémas idéalisés et réels. Certains aspects de la prestation de soins se prêtent
particulièrement à une idéalisation. Dans des documents officiels, les fonctions
d’orientation, l’accès aux soins, les guides thérapeutiques, le respect de la législation
et les équipes des centres de santé standardisées sont décrits d’une façon largement
déconnectée de la réalité du terrain. La répétition peut conduire à remplacer le « devrait
être » par un « est » rassurant, parfois présenté avec véhémence comme une vérité. Une
vérification sommaire peut permettre de savoir ce qu’il en est réellement. Par exemple,
des guides thérapeutiques standard peuvent exister au sein du ministère de la Santé,
sans que les établissements en aient connaissance ou y aient accès. Les enquêtes de
terrain peuvent, elles, renseigner sur la situation réelle. Ainsi, au Soudan, en 2001, une
étude détaillée de quatre zones sanitaires a conclu que, sur les 55 structures sanitaires
examinées, 28 seulement étaient opérationnelles. L’accès aux soins de base était par
conséquent largement inférieur au chiffre officiel.
•
Les données hors contexte sont peu instructives et risquent d’induire en erreur. Il est
fondamental de connaître le contexte local pour interpréter les données et produire des
informations. Ainsi, une hausse soudaine du nombre de cas signalés d’une maladie
transmissible peut être interprétée comme une flambée de cette maladie par des
analystes travaillant loin du site concerné, alors qu’elle résulte peut-être simplement de
la réactivation des services de laboratoire après une interruption imputable à la guerre.
•
Application de critères différents pour évaluer si une structure de santé est
« opérationnelle », un véhicule « disponible » ou un matériel « en état ». En l’absence de
définitions précises, d’instructions détaillées, de formation poussée et de supervision
continue, les données collectées n’auront aucune utilité. Par exemple, en ce qui concerne les
« structures opérationnelles », un agent rigoureux chargé de compiler des chiffres inclura
uniquement les établissements qui ont un effectif conforme aux normes, qui bénéficient
d’un approvisionnement adéquat et qui rendent régulièrement compte de leurs activités.
Un autre agent décomptera aussi les structures de santé dont on sait qu’elles ne respectent
pas certaines normes, tandis qu’un troisième agent prendra également en compte les
structures qui n’ont pas communiqué de rapports depuis des mois ou des années et dont
les autorités sanitaires ne connaissent pas la situation. Un moyen pratique d’évaluer la
fiabilité d’un ensemble de données consiste à examiner les outils de collecte utilisés.
Lorsque des formulaires sont envoyés sans être accompagnés d’instructions sur la
manière de les remplir, la série de données obtenue risque de comporter de graves lacunes,
surtout si les aspects auxquels ces données se réfèrent ne sont pas standardisés dans les
pratiques quotidiennes, ou si les questions sont formulées dans des termes vagues.
•
L’interprétation erronée de données correctes, qui découle d’une méconnaissance des
méthodes quantitatives, est fréquente parmi les professionnels de la santé. Il arrive ainsi
que des estimations anciennes concernant une situation totalement différente soient
réutilisées pour des interventions en cours, comme indicateurs de suivi, ou que des
chiffres régionaux portant sur des échantillons plus grands servent à des comparaisons
internes qui seront forcément défectueuses en raison de la taille insuffisante des souséchantillons. Autre exemple, une baisse du nombre de cas signalés d’une maladie
transmissible peut être interprétée comme le résultat d’une intervention efficace,
alors qu’elle s’inscrit en réalité dans une tendance saisonnière ou annuelle naturelle.
Ainsi, après une grave flambée de rougeole, on doit s’attendre à peu de nouveaux cas, quelles
que soient les activités de vaccination. Une autre erreur fréquente consiste à penser que les
chiffres de la morbidité et de la mortalité qui proviennent de sites sentinelles implantés
dans des zones sûres donnent des indications sur la situation au niveau national.
•
Le recours excessif à des méthodes quantitatives nuit fréquemment au travail des
statisticiens et des économistes qui, trop souvent, adorent extraire des analyses quantitatives
sophistiquées, mais malheureusement dénuées de sens, d’ensembles de données entachés
de défauts irrémédiables. Cette sorte de « falsification », parfois non délibérée, est
courante dans un environnement stable. Dans un environnement perturbé, elle peut passer
plus facilement inaperçue, en raison du besoin urgent d’informations et des difficultés à
valider les chiffres disponibles. Les méthodes les plus avancées (régressions multiples ou
tests statistiques) sont parfois appliquées sans discernement à des ensembles de données
dans lesquels de nombreux chiffres manquent et où les chiffres disponibles sont douteux.
La tentation d’« affiner » l’analyse des données au moyen de ces techniques croît avec
la facilité d’utilisation des logiciels informatiques, dont la plupart des praticiens de
l’information ne peuvent pourtant ni suivre ni comprendre le fonctionnement. Il convient
donc d’écarter les données médiocres, plutôt que de les « analyser » ou, si on décide de
les retenir, de les communiquer telles quelles, accompagnées d’une mise en garde pour
que les utilisateurs puissent les examiner de près.
•
La présentation élégante d’ensembles de données médiocres est une pratique
de plus en plus répandue grâce aux possibilités offertes par l’informatique pour
« arranger » les chiffres. Des graphiques, des couleurs, des sons, des schémas et des
cartes attrayants véhiculent des messages et laissent à penser que les informations
sont de qualité, quelle que soit la validité de leur contenu. Des informations dont la
qualité insuffisante les rend inacceptables peuvent ainsi être « déguisées ». Il ne faut
pas tomber dans ce piège, car aucune manipulation ne saurait venir à bout des failles.
Prenons l’exemple des logiciels d’information géographique, qui servent de plus en
plus à cartographier les structures de santé ou la distribution des maladies. Les données
démographiques, les fonctions des structures de santé et la notification des cas n’étant
pas fiables dans une situation de crise durable, ce type de cartographie, actuellement très en
vogue, risque d’être inutile ou d’induire des erreurs grossières.
49
Module 2
Module 2 Donner un sens (approximatif) à des données (bancales)
50
Analyse du secteur de la santé dans les urgences complexes
Utilisations de l’information
Module 2
Une bonne information est une condition préalable à une bonne prise de décisions, mais ne
garantit pas celle-ci. En théorie, si des données exactes, disponibles rapidement et pertinentes
sont recueillies, traitées et communiquées aux décideurs, ces dernières choisiront les
« meilleures » options. Cependant, l’incertitude, la complexité et des pressions concurrentes
réfutent ce modèle linéaire. La prise de décisions fait intervenir des valeurs et des arbitrages
politiques et personnels : « Tout choix d’un indicateur des résultats intermédiaires sur lequel
la prise de décisions s’appuiera implique forcément des jugements de valeur » (Sandiford,
Annett et Cibulskis, 1992). Dans une situation d’urgence complexe, où il faut agir rapidement
et où des intérêts multiples et rivaux s’affrontent, il est impossible d’utiliser l’information
en toute neutralité .
On peut également décider de ne pas utiliser l’information disponible. C’est une stratégie
fréquente dans les contextes difficiles, où la solution de facilité apparaît généralement comme
la plus attrayante et où les données qui ne sont pas bienvenues sont facilement critiquées à
cause de leurs failles. De plus, il n’est pas possible de débattre de toutes les informations.
Peut-on imaginer, lors d’une crise, de demander à un gouvernement de discuter de ses propres
erreurs ou de sa succession ? Lorsqu’il s’agit de formuler un jugement, les données exclues
importent tout autant que les données effectives.
La paralysie par l’analyse est un cas particulier de non-prise de décisions en raison du
manque d’informations perçu. Elle peut découler d’une aspiration sincère à la perfection,
mais aussi d’une stratégie destinée à bloquer une action nécessaire. Par exemple, là on l’on
sait que le paludisme constitue un grave problème, la quantification exacte de son ampleur
ne doit pas être considérée comme un préalable au lancement d’un plan de lutte contre
cette maladie. À l’opposé, on trouve l’extinction par l’instinct : des pressions en faveur
d’une action, des hypothèses erronées ou l’« expérience du terrain » poussent à la prise de
décisions qui ne sont pas étayées par une analyse systématique (Langley, 1995). Dans une
situation de crise, c’est généralement ce dernier processus qui prédomine. Parfois, les deux
mécanismes coexistent, par exemple lorsque les donateurs et les ONG prennent des mesures
en s’inspirant de celles qui ont été fructueuses dans un autre pays en difficulté, tandis que les
autorités nationales restent, elles, attentistes. Ce hiatus peut s’expliquer par des écarts dans
la perception de l’urgence, des biais divers, des échéanciers, des priorités, des ressources
disponibles et des capacités techniques.
Des informations différentes pour des finalités différentes
Les caractéristiques de l’information nécessaire aux différents niveaux de décision évoluent
lorsque l’on passe du terrain à l’échelon agrégé, puis à l’ensemble du système. Les producteurs
d’informations ne doivent pas perdre de vue les missions, les objectifs et les besoins des
utilisateurs ciblés, afin d’adapter leur produit à ces clients et d’éviter qu’« une grande partie
des données reste non traitée, ou, si elle est traitée, non analysée, ou, si elle est analysée,
non communiquée par écrit, ou, si elle est communiquée par écrit, non lue ou, si elle est lue,
non utilisée ou non suivie d’actions. Seule une proportion infime des observations influe sur
la politique menée, et il s’agit généralement de quelques totaux simples » (Chambers, 1983,
cité dans de Kadt, 1989).
2. L’information destinée aux responsables de terrain doit être rapide, pertinente
et irréfutable.
L’information doit être analysée et utilisée à proximité du lieu où elle est collectée et où
une intervention est nécessaire. Cela relève du bon sens. Les décisions opérationnelles
prises loin du terrain risquent d’être erronées, car elles ne tiennent pas compte des
facteurs contextuels. Les informations agrégées sont susceptibles de masquer l’impact
d’une situation d’urgence sur certaines zones ou sur certaines catégories de population,
ou des inégalités dans la réponse. De plus, en raison du délai de transmission des données
entre la périphérie et les échelons de gestion supérieurs, la réponse (par exemple dans
le cas d’une flambée) risque d’être mise en œuvre trop tardivement et trop lentement.
Module 2 Donner un sens (approximatif) à des données (bancales)
51
Par ailleurs, la capacité d’analyse peut être inexistante sur le terrain, et il faut parfois
recourir à des experts travaillant au siège, voire à l’étranger. Enfin, l’information locale
n’est utile que si la prise de décisions et la capacité d’action sont décentralisées.
L’utilisateur final de l’information qui travaille au ministère de la Santé du pays en proie
à des perturbations, ou, très loin, au ministère des Affaires étrangères dans une capitale
occidentale, et qui doit décider de l’allocation des ressources, a principalement besoin
d’informations agrégées. L’exhaustivité de l’information est particulièrement importante
dans un contexte fragmenté, où chaque acteur ne dispose et ne rend compte que d’une
vue partielle de la situation d’ensemble. Il peut arriver, par exemple, qu’une ONG qui
opère dans un district demande un financement aux donateurs en faisant valoir que les
soins ne sont pas suffisamment financés dans cette zone, mais sans préciser que trois
autres ONG sont présentes dans le même district. Les donateurs doivent prendre des
décisions sur la base de ces informations partielles
3. L’information destinée à un changement structurel, tel qu’une réforme du secteur de la
santé, doit être valide, exhaustive, rétrospective et éventuellement prospective.
Ainsi, un secteur de la santé essentiellement axé sur les hôpitaux peut envisager de
créer de nouvelles catégories de personnel affectées aux soins primaires, de redéployer
les effectifs, de reconfigurer les établissements et de proposer des services différents.
La planification de ce changement impose d’examiner les pratiques de formation, de
recrutement et de déploiement, de repenser le réseau ainsi que les systèmes de supervision
et d’approvisionnement, de faire évoluer les interactions entre les divers incitations et
de financer un niveau de services de santé entièrement nouveau. Une réforme aussi
ambitieuse et délicate nécessite de rassembler des informations solides sur le secteur
de la santé existant, ses ressources humaines, son réseau, ses systèmes de gestion et ses
mécanismes de financement, ainsi que des informations permettant de comprendre les
facteurs qui ont façonné ce secteur sous sa forme actuelle.
Les changements sur la durée, qui livrent peut-être les indications les plus précieuses
sur certains aspects, sont toujours le type d’information le plus rare lors d’une crise
persistante. Afin de compléter les maigres informations quantitatives sur les changements
au cours du temps, des entretiens avec des personnes connaissant bien le secteur
peuvent se révéler extrêmement utiles pour bien appréhender les contextes antérieurs,
leur transformation et les forces qui ont modelé le secteur pour donner naissance aux
schémas actuels. En l’absence de séries temporelles pertinentes, les analystes recourent
habituellement à des données statiques sur le secteur. Sans une compréhension globale
de la façon dont ce dernier se transforme au fil du temps, toute réforme structurelle qui
permette effectivement de remédier aux principaux problèmes a fort peu de chances
d’aboutir.
Faire des projections à partir des informations disponibles
Pour de nombreux acteurs dont l’attention est habituellement mobilisée par un quotidien
erratique, réfléchir à l’avenir dans un environnement instable peut sembler une perte de
temps et d’énergie. Néanmoins, malgré cette incertitude prédominante, les arguments
suivants peuvent encourager une telle réflexion :
• Les perturbations, surtout si elles se prolongent, touchent le secteur de la santé dans ses
schémas fondamentaux. Un retour à la situation d’avant la crise s’avère fort improbable,
et la plupart des changements spontanés ont des effets très délétères sur l’évolution du
secteur de la santé. Il est par conséquent essentiel d’anticiper la direction que celui-ci
pourrait prendre spontanément, afin d’empêcher les changements non souhaitables et
d’encourager ceux qui sont bénéfiques.
Module 2
2. L’information destinée à la prise de décisions portant sur l’allocation des ressources
doit être rapide, exacte, agrégée avec impartialité et exhaustive.
52
Analyse du secteur de la santé dans les urgences complexes
Module 2
•
Le changement de situation et les besoins des nouveaux acteurs du secteur appellent des
politiques nouvelles, et une situation d’urgence complexe ouvre d’une façon paradoxale,
le secteur à des influences internationales. En prévoyant la disponibilité des ressources,
les besoins émergents et les capacités de mise en œuvre, on peut sélectionner les
politiques les plus adéquates et les plus financièrement abordables parmi les nombreuses
propositions concurrentes qui sont susceptibles d’être présentées.
•
Malgré un quotidien chaotique, tout le monde est conscient du fait que, globalement,
le secteur peut afficher des schémas homogènes, qu’il est possible d’évaluer avec une
certaine confiance. Par exemple, si aucune information sur les destructions physiques
n’est généralement disponible, on peut en revanche procéder à des estimations
raisonnablement robustes du coût de reconstruction.
•
La projection des tendances à venir est un moyen puissant de tester la fiabilité des
données disponibles et la compréhension solide du secteur acquise jusqu’à présent.
Elle incite les analystes et les décideurs à nettoyer les données, à réexaminer les
hypothèses et à trouver de nouveaux éléments qu’il faudra intégrer dans les calculs.
Les projections consistent à déduire les tendances futures d’après un ensemble sélectionné
de conditions. Elles sont fréquemment destinées à répondre à la question « et si ? ». Les
conditions sélectionnées peuvent être fortement hypothétiques, voire irréalistes. Les
prévisions sont, elles, des projections formulées sur la base d’hypothèses réalistes. Dans
bien des cas, elles permettent de prévoir la situation susceptible de découler du contexte
actuel si aucun changement ne se produit, ou, en intégrant le changement, de déterminer si
celui-ci est très probable.
« […] les prévisions ne sont généralement que des conjectures éclairées, présentées avec un
habillage sophistiqué. Si ces conjectures (les « suppositions ») sont erronées, les prévisions
le seront aussi. Plus les prévisions concernent un avenir lointain, plus les hypothèses sont
susceptibles d’être erronées. Les prévisions sont donc généralement raisonnables lorsqu’elles
portent sur les années prochaines, mais deviennent progressivement de moins en moins fiables.
La marge d’erreur s’accroît » (Newell, 1988).
Dans un secteur de la santé en crise, des problèmes supplémentaires accentuent la difficulté
inhérente des prévisions. La non-exhaustivité des ensembles de données, la rareté des séries
temporelles, la réticence de nombreuses parties prenantes à communiquer des informations,
le manque de contrôle que les acteurs ont sur les événements, l’influence disproportionnée
de certains facteurs imprévisibles sur les résultats finals sont quelques-uns des paramètres
qui compliquent les prévisions.
Les projections reposent sur les éléments suivants :
• Données. Exemple : la taille et la composition des effectifs. Cette information peut être
nécessaire à la projection de la masse salariale ou à l’estimation du taux visé de couverture
par les services de santé ou au calcul du coût de reconversion des agents de santé.
•
Suppositions. Exemple : le financement par les donateurs augmentera lorsque la
guerre aura cessé. Les hypothèses peuvent s’appuyer sur des conjectures éclairées, sur
une évaluation de tendances connues ou sur des déclarations sur la politique sanitaire
d’acteurs importants. Ainsi, un engagement ferme pris par un acteur influent, tel que la
Banque mondiale, pour le financement du secteur de la santé, peut permettre d’espérer
que les donateurs se montreront généreux.
•
Évaluations qualitatives, considérées comme correspondant de manière raisonnable
à la réalité. Exemple : l’expansion des soins privés informels non réglementés pendant
le conflit. Cette évaluation peut se fonder sur des schémas observables, par exemple le
développement substantiel des cliniques urbaines. Pour utiliser ces évaluations, il faut
parfois les convertir en valeurs quantitatives. Ainsi, une étude du secteur de la santé
soudanais (Decaillet, Mullen et Guen, 2003) a supposé que la part des dépenses à la
charge des patients était analogue au total des dépenses de santé publique, soit 1 % du
produit intérieur brut (PIB). Dans ce cas, l’estimation de un constat en grande partie
Module 2 Donner un sens (approximatif) à des données (bancales)
53
•
« Schémas » observés dans des environnements comparables. Exemple : la
réglementation est difficile à faire appliquer dans une situation de post-conflit.
Si l’on juge que ce constat se vérifie dans le contexte étudié, il peut être utilisé pour une
projection des paiements par les usagers, ou de l’impact des mesures destinées à réguler
les importations de médicaments.
Pour la plupart des aspects dont il convient d’anticiper l’évolution, le nombre des variables
à considérer, ainsi que leur fourchette de variation, est important. Les projections sont donc
susceptibles de produire des résultats très divergents, ce qui ne doit pas étonner. Les autres
scénarios envisageables pour le devenir d’un secteur de la santé déséquilibré diffèreront
largement en fonction des nombreuses évolutions possibles des événements. Les décideurs
doivent considérer les projections non comme des prévisions (étant donné la diversité des
effets possibles), mais comme de puissants outils d’évaluation des résultats probables des
choix qu’elles opèrent (ou, très souvent, qu’elles ne font pas) ; des choix qui façonneront les
événements et décideront in fine de l’avenir du secteur.
Les Modules 6 et 12 se penchent plus en détail sur l’élaboration des projections, la construction
de scénarios et la comparaison des conséquences des autres choix envisageables.
Voici quelques recommandations pour des prévisions dans un environnement perturbé :
• Veiller à ce que les calculs restent simples et transparents pour les utilisateurs des
projections. L’inadéquation de l’ensemble de données sur lequel celles-ci reposent
empêche habituellement des analyses sophistiquées. Pour affiner les projections, il
faut, dans une large mesure, des données d’entrée plus solides et des hypothèses plus
pertinentes ; les techniques de calcul complexes sont, elles, peu utiles.
•
Commencer par un modèle simple, dépouillé et qui n’intègre que les variables les plus
importantes. C’est généralement suffisant pour tirer des conclusions préliminaires et
obtenir un retour d’information utile par des personnes qui connaissent bien le domaine.
N’ajouter des variables que si elles influent sur les résultats au point de faire évoluer la
compréhension de l’aspect étudié, et donc de réorienter les décisions.
•
Formuler clairement les suppositions qui sous-tendent les prévisions et les mettre
systématiquement en relation avec les résultats présentés.
•
Réexaminer fréquemment les étapes suivies pour la réalisation des projections, en intégrant
les nouvelles données disponibles ou, au besoin, en reformulant les suppositions.
•
Soumettre les projections à des personnes connaissant bien le domaine. Même si certaines
de ces personnes ne sont pas familiarisées avec les techniques de prévision, elles peuvent
faire part de leur « sentiment » quant à la crédibilité des résultats. Les calculs pourront
être ajustés en conséquence.
•
Procéder à une analyse de sensibilité en vérifiant si les conclusions de votre analyse sont
sensibles à la reformulation des principales suppositions.
•
Aider les décideurs à déterminer les implications des projections qui sont retenues car
considérées comme les plus convaincantes. Les implications peuvent être non apparentes,
ou si déplaisantes que de nombreuses parties prenantes hésitent à les accepter. En les
définissant clairement au début de la discussion sur l’action à engager, on évite les
différends ultérieurs et on réduit le risque de ne plus disposer d’un soutien lorsque des
décisions difficiles devront être prises.
La conception des systèmes d’information
Parfois, le problème n’est pas le manque mais l’excès de données. Même lorsque les
indicateurs de processus « simples » sont disponibles et appropriés, on collecte et on analyse
des données épidémiologiques coûteuses, parfois pour mesurer l’impact de programmes sur
Module 2
non controversé (à savoir que les dépenses privées sont substantielles) est quelque peu
arbitraire. Il faut lui substituer un chiffre plus fiable dès que celui-ci est disponible.
54
Analyse du secteur de la santé dans les urgences complexes
Module 2
l’état de santé, mais, plus souvent, parce que c’est devenu depuis longtemps une routine dont
on a oublié la raison d’être. De nombreux systèmes de surveillance imposent ainsi de présenter
une « liste interminable des principales maladies connues de l’humanité » (Henderson,
1976). Par exemple, en Afghanistan, en 2002, le système d’information sanitaire recensait
plus de 30 maladies. La faible couverture par les services de santé, la pénurie de maind’œuvre qualifiée dans les zones rurales, le sous-développement des réseaux de transport
et de communication, la géographie du pays et la faible capacité de réaction limitaient la
couverture et la qualité des données, donc leur utilité.
Les données parlent d’elles-mêmes. Pour qu’elles deviennent intelligibles et utiles, il
faut les sélectionner, les traiter et les mettre en contexte. Les concepteurs des systèmes
d’information sanitaire, et, dans de nombreux cas, les professionnels de la santé eux-mêmes,
habitués à travailler avec leurs homologues au ministère de la Santé, oublient souvent que les
responsables ne sont pas tous capables de comprendre les informations techniques. Dans une
situation de crise, beaucoup de décideurs sont des généralistes ou des spécialistes d’autres
disciplines (économie ou droit, par exemple) auxquels les informations sanitaires ne seront
utiles que si elles sont simples et complètent celles provenant d’autres secteurs.
Les données ne sont parlantes que pour ceux qui sont disposés à écouter. Dans un secteur de
la santé perturbé, nombre d’acteurs dont le travail est centré sur des actions concrètes sont
culturellement insensibles aux chiffres, incapables d’exploiter les informations disponibles
ou ne s’y intéressent pas.
Le concepteur d’un système d’information doit prendre une décision cruciale : déterminer
le niveau d’agrégation des données pour chaque phase du processus allant du producteur
des données aux différents utilisateurs, chacun de ces niveaux dépendant de la nature de
la décision à prendre d’après ces informations. Les décisions globales d’allocation des
ressources, par exemple la décision d’octroyer à une province pauvre une part préférentielle
des ressources financières, doivent s’appuyer sur des données agrégées au niveau qui permet
de déceler ce besoin. Puisque celui-ci serait noyé sous les chiffres, il serait redondant, et
même contre-productif, d’apporter aux décideurs un volume de données détaillées aussi
substantiel que d’habitude concernant la couverture par les services de santé. Pour parvenir
à des niveaux d’agrégation adaptés à chaque niveau de décision, il faut, avant d’élaborer
tout système d’information, analyser la structure de la gestion, les besoins en données et les
différents flux. À l’évidence, une telle analyse serait hors de propos dans un secteur où les
flux sont constants.
Pendant une crise, il convient de différer les initiatives destinées à reconfigurer les systèmes
d’information. C’est un effort à moyen/long terme, peu adapté aux environnements perturbés,
ce qui ne doit pas détourner des actions plus urgentes. Trop souvent, les nouveaux arrivants
introduisent de nouveaux dispositifs de collecte de données, contournant les systèmes en
place. Il est souvent plus avantageux d’extraire de la valeur des données qui existent déjà.
De surcroît, un examen minutieux des systèmes d’information en place consolide ces derniers
et donne de précieuses indications sur leurs points forts et leurs points faibles, à la lumière
desquelles on pourra orienter leur transformation ultérieure.
Diffuser l’information recueillie
Si la production d’informations intéressantes mobilise l’attention et les ressources, la
diffusion est en revanche souvent négligée, y compris par ceux-là mêmes qui ont demandé
la collecte de données. On ne sait pas précisément pourquoi, surtout au regard du coût élevé
de la production d’informations. Les technologies de l’information facilitent nettement le
stockage, la recherche et la diffusion de données, mais, dans le même temps, elles inondent
les utilisateurs d’un volume d’informations non gérable, sous lequel sont ensevelies les
quelques données utiles. Après avoir tiré des conclusions intéressant les parties prenantes,
l’analyste doit veiller à ce que l’information qu’il a produite soit utilisée de manière efficace.
Voici quelques aspects à prendre en compte :
• Sur le marché de l’information, l’offre dépasse très largement la capacité d’absorption.
Pour capter l’attention d’agents débordés, l’information recueillie doit être présentée sous
une forme attrayante. C’est généralement simple, étant donné les possibilités offertes
par les technologies de l’information. Trop souvent, malheureusement, des données de
grande qualité sont présentées de façon monotone. Dans d’autres cas, un empressement
excessif à « embellir » les données peut finir par les rendre rébarbatives ou obscures, ce
qui augmente le risque qu’elles soient remisées sur une étagère sans être examinées par
ceux auxquels elles sont destinées.
•
Des informations condensées sont davantage susceptibles d’attirer l’attention des
lecteurs qu’un document long. Lorsque leur caractère technique appelle un long exposé,
un solide résumé est impératif. Afin d’accroître l’intérêt pour le rapport en question, on
peut en reproduire et diffuser largement de nombreux exemplaires. Il n’est pas facile de
rédiger un résumé clair, exhaustif et intéressant. Il convient donc d’y consacrer le temps
et des efforts appropriés. C’est une tâche trop importante pour la réserver au dernier jour
de travail d’une équipe surmenée.
•
La langue pose fréquemment problème. Dans un environnement perturbé, une trop
grande proportion des informations disponibles reste en anglais. Beaucoup d’acteurs
locaux n’y ont donc pas accès. Il est difficile et coûteux d’obtenir une traduction précise
et lisible des rapports techniques. Si l’on veut des traductions utiles et fiables, il faut de
l’attention, de la minutie et des moyens. Un lecteur qui parle couramment la langue locale
jugera que les fautes de langue commises dans de très nombreux documents censés être
élaborés par le pays recevant une aide sont aussi gênantes que révélatrices de l’origine
du rédacteur.
•
La langue pose également problème en ce qui concerne le jargon employé, qui doit être
choisi en fonction du principal destinataire de l’information. Il convient de présenter
différemment un même contenu de manière à le rendre intéressant et compréhensible
selon qu’il est destiné au personnel de santé, au monde politique, aux économistes, etc.
•
Certaines personnes influentes et dynamiques ont une grande capacité à diffuser
l’information, compétence qui peut être mise à profit. La diffusion d’un rapport en est
largement facilitée. Il faut activement rechercher les contacts formels ou informels avec
ces « gourous » de l’information.
•
Parce que, dans un environnement instable, les documents ont tendance à se perdre, il
est essentiel de prévoir une diffusion suffisamment redondante. Le nombre de copies
papier doit donc être largement supérieur à celui des utilisateurs potentiels. Des moyens
informels doivent venir compléter les circuits de diffusion formels (ce qui signifie
souvent, dans les organisations hiérarchiques, que les documents ne parviendront pas
jusqu’aux utilisateurs potentiels). Des réunions peuvent également permettre d’informer
les participants qu’un rapport est disponible et de leur en remettre des exemplaires.
Pour une analyse approfondie, voir le Module 13. Élaborer le profil d’un secteur de
la santé.
Conseils de lecture
Last J. M. Dictionnaire d’épidémiologie. Edisem/Maloine, 2004.
Un classique incontournable, qu’il n’est plus besoin de présenter. Ce dictionnaire comporte
aussi des entrées utiles explicitant des acronymes utilisés dans le secteur de la santé au
niveau international, ainsi que des concepts de science sociale pertinents dans ce secteur.
Lippeveld T., Sauerborn R. et Bodart C. (eds) Design and implementation of
health information systems. Genève, OMS, 2000.
Vue d’ensemble détaillée, claire et réaliste du domaine. Les spécificités de l’analyse
des informations dans les environnements perturbés n’y sont pas traitées. Ouvrage de
référence. Le chapitre 3, « Using information to make decision » [utiliser l’information
pour prendre une décision] est particulièrement utile.
55
Module 2
Module 2 Donner un sens (approximatif) à des données (bancales)
56
Analyse du secteur de la santé dans les urgences complexes
Sandiford P., Annett H. et Cibulskis R. What can information systems do
for primary health care? An international perspective. Social Science and
Medicine. 34, 1077-1087, 1992.
Module 2
Une analyse de référence concernant les principaux aspects des systèmes d’information
et les facteurs qui nuisent à l’efficacité de ces systèmes. Malheureusement, plus d’une
décennie après sa rédaction, bien des problèmes qui y étaient mis en évidence restent
d’actualité dans les systèmes d’information de nombreux secteurs de la santé: trop de
données sont produites, trop peu de compréhension en est extraite, la prise de décisions ne
repose toujours pas sur plus d’une décennie après sa rédaction, les espoirs placés dans les
bienfaits des technologies de l’information continuent d’être irréalistes. Dans la plupart
des cas, il faut repenser entièrement les systèmes d’information selon les recommandations
énoncées dans cette étude. L’information fait partie intégrante d’un système de gestion
solide. Elle est menacée et sa qualité se dégrade lorsque les pratiques de gestion sont
médiocres. Si elle est renforcée sans que les systèmes de gestion ne soient remaniés, des
progrès réels ont peu de chances d’être accompli
Références bibliographiques
Bateson G. Mind and nature: a necessary unit. New York, Bantam Books, 1980.
Crisp J. “Who has counted the refugees?” UNHCR and the politics of numbers. (New issues
in refugees research, Working Paper No. 12) Genève, HCR, 1999. Disponible en ligne à
l’adresse suivante : www.unhcr.org, consulté le 10 janvier 2011.
Decaillet F., Mullen P.D. et Guen F. Sudan health status report. (version préliminaire 1)
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and use in less developed countries. Social Science and Medicine, 29, 503-514, 1989.
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www.measuredhs.com, consulté le 10 janvier 2011.
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La Méthode des sœurs appliquée à l’estimation de la mortalité maternelle : Conseils aux
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Genève, OMS, 2002. WHO/HDE/HID/02.11.
Annexe 2 Caractéristiques et tendances dans le secteur de la santé
Comprendre les caractéristiques et tendances dans le secteur
de la santé
57
Annexe 2
Le tableau suivant répertorie un certain nombre d’indicateurs et se concentre sur les aspects
pratiques de la collecte, du traitement et de l’interprétation des données. Dans tout pays,
ces indicateurs doivent être testés, adaptés et validés avant que leur utilisation puisse être
généralisée. La décision finale fait appel à un arbitrage entre l’intérêt d’une information
émanant d’un indicateur, d’un côté, et sa disponibilité, sa fiabilité et son coût, de l’autre.
Lors de crises prolongées, après l’effondrement des systèmes d’information de routine,
on ne dispose souvent que d’indicateurs provenant d’enquêtes de terrain, qui concernent
surtout la mortalité, la morbidité et la couverture par les services de santé. Ces indicateurs
sont rarement issus d’un échantillonnage aléatoire, et encore moins d’un échantillonnage
aléatoire couvrant tout le pays. Ils décrivent aussi, dans la plupart des cas, une situation à
un moment donné, ce qui a parfois une valeur informative limitée. C’est pourquoi il faut se
montrer prudent avant de généraliser les résultats des enquêtes.
Aucun secteur de la santé désorganisé n’est à même de suivre tous les aspects présentés
dans le tableau ci-après. Il faudra sélectionner quelques indicateurs à mesurer et à étudier
en fonction des aspects jugés les plus importants pour la politique sanitaire. Ainsi, dans un
secteur privé de ressources et en présence d’éléments empiriques montrant un gaspillage
manifeste, ce sont les indicateurs de l’efficience qui pourraient être les plus pertinents.
Dans un autre pays, où l’on considère que le personnel est très inégalement réparti et
nécessite une restructuration de grande ampleur, il conviendra de choisir un sous-ensemble
d’indicateurs différent.
Il faut également prendre en compte la difficulté à collecter certains indicateurs. Dans un
environnement gravement perturbé, le suivi de certains indicateurs aurait un coût élevé et
peu de chances d’aboutir malgré les efforts déployés. Il peut dans ce cas être stratégiquement
judicieux de revenir à des indicateurs indirects sommaires. La brève durée de vie de la
plupart des indicateurs dans un environnement instable est un autre grand critère qu’il
faut garder à l’esprit lorsque l’on élabore un projet destiné à recueillir des informations.
Seules les données utiles pour les décisions à prendre dans un court laps de temps sont
alors susceptibles d’être utilisées. La réalisation d’inventaires détaillés des infrastructures,
du personnel et du matériel avant que des moyens d’intervention n’apparaissent risque de se
solder par une perte de temps, de ressources et de compétences.
La diversité des problèmes et des « priorités » qui caractérise habituellement un secteur de
la santé perturbé incite à constituer de nombreux indicateurs, mais le manque de capacités
sape régulièrement ces efforts, si bien que, in fine, peu d’indicateurs, voire aucun, ne sont en
fait obtenus, l’attention se disperse dans de nombreuses directions et la plupart des décisions
sont prises sans tenir compte des faits observés.
Les indicateurs analysés dans ce tableau offrent principalement un intérêt du point de vue
du système, c’est-à-dire qu’ils mettent en lumière les caractéristiques globales du secteur
de la santé. Les modules thématiques qui constituent le présent manuel contiennent des
indicateurs supplémentaires, qui portent sur un aspect spécifique étudié.
Annexe 2
Les indicateurs à prendre en considération
Annexe 2
58
Sources/modes de collecte
de l’indicateur
Aspect à suivre/utilité
Total des intrants
(exprimé en
termes financiers,
par région, niveau
de soins, source,
régime de
propriété, zone
(rurale/urbaine),
et ajusté par
habitant)
Intrants. Donnent des
indications sur les
coûts du système, son
degré d’équité
géographique et son
efficience globale et
relative (mise en
relation avec les
résultats
intermédiaires)
Les données émanant de l’État
(ministère des Finances, de la
Santé, etc.), de groupes non
étatiques (mouvements rebelles,
etc.), des agences des Nations
Unies, des donateurs, des ONG,
etc., doivent être agrégées en
termes monétaires. Les chiffres
relatifs à l’investissement doivent
être calculés à part.
Ont tendance à sous-estimer les contributions financières importantes, telles que le
paiement par les usagers des patients ou les ressources externes (particulièrement
celles venant des ONG). En l’absence de données détaillées, il est possible de
recourir à des extrapolations, ce qui peut poser des difficultés et aboutir à des
résultats non fiables. Si certains intrants sont calculés aux prix subventionnés (par
exemple, les médicaments, dans de nombreux cas), il pourrait être incorrect
d’agréger leur valeur avec d’autres qui, elles, sont comptabilisées au prix du marché.
L’utilisation judicieuse de prix virtuels ou fictifs peut permettre de remédier à cette
difficulté. Étant donné que les zones rurales se dépeuplent et que les personnes
déplacées à l’intérieur de leur propre pays se concentrent dans les zones urbaines et
périurbaines, on risque de tirer des conclusions erronées si l’on se penche sur l’écart
entre zones rurales et urbaines. Lorsque les mouvements migratoires (internes et
internationaux) concernent une grande partie de la population, tous les indicateurs
ajustés « par habitant » donnent des informations largement erronées et ne doivent
donc pas être utilisés.
Investissement,
par région, niveau
de soins, régime
de propriété, zone
(rurale/urbaine),
et ajusté par
habitant
Intrants. Cruciaux pour
anticiper les schémas
et demandes à venir
dans le secteur, en
termes de coûts, de
palette des services,
d’efficience, d’équité,
de régime de propriété,
etc.
En raison de la fragmentation
constatée dans la plupart des
situations, l’obtention
d’informations fiables nécessite
beaucoup de travail. Il faut
envisager de constituer une base de
données nationale permanente sur
l’investissement.
À analyser conjointement avec les informations portant sur l’état actuel du réseau
sanitaire. Les caractéristiques de l’investissement en cours peuvent permettre
d’évaluer la mise en application des politiques déclarées. Alors que les décisions
d’investissement prises par des acteurs individuels peuvent correspondre à ces
politiques, les caractéristiques agrégées peuvent sembler nettement diverger par
rapport à ces politiques.
Unités agrégées
(si elles sont
jugées fiables et
acceptables)
Résultats
intermédiaires.
Permettent des
estimations directes
des volumes, de leur
répartition
géographique, du
régime de propriété et
des intrants par niveau
de soins
Le système d’information sanitaire
constitue la principale source de
données. Du fait de leurs carences,
il peut être nécessaire de faire subir
un traitement considérable aux
données pour qu’elles deviennent
utiles. Certaines sources, telles que
les ONG, peuvent compléter et
valider les données provenant du
système d’information sanitaire.
Dans le cas d’une vaste
privatisation informelle des soins, il
se peut qu’une grande partie des
résultats intermédiaires ne soit pas
rapportée.
Remarques
Le Budget d’investissement/de développement de l’État, des donateurs et des ONG
comporte souvent des dépenses récurrentes, qu’il faut identifier et extraire pour
éviter toute surestimation grossière.
Les intrants et les coûts différant d’un service à l’autre, il n’est pas possible
d’agréger directement les résultats intermédiaires correspondants. Il faut donc
ajuster ces derniers au moyen d’un système de pondérations, qui assigne une valeur
plus élevée à la catégorie de services qui utilise davantage de ressources. Les
critères de pondération des différents services et les critères d’ajustement des
données sources doivent encore être définis, testés et validés par des experts. Les
pondérations peuvent reposer sur le total des coûts des unités.
Certains sous-secteurs peuvent nécessiter un ensemble de pondérations différent.
En ce qui concerne la dotation en personnel, il serait préférable de déterminer les
pondérations d’après le temps de prestation de services moyen, alors que, pour la
distribution de médicaments, les coûts moyens de traitement par grande catégorie
de soins pourraient constituer un indicateur plus fiable.
La distribution agrégée des résultats intermédiaires peut influer sur les décisions
d’allocation des ressources, surtout au niveau macroéconomique (le fait de
restreindre le niveau d’analyse rend ces estimations progressivement moins utiles).
L’ensemble de données initial qui a servi à calculer les résultats intermédiaires
agrégés peut être utilisé pour étudier les caractéristiques générales de la palette de
services.
Si l’on constate qu’un indicateur agrégé global n’est pas fiable, on peut utiliser à la
place des sous-agrégats, tels que le volume des soins hospitaliers et ambulatoires.
Cette solution (plus classique) nécessite des calculs détaillés lorsque les résultats
intermédiaires doivent servir à déterminer plusieurs ratios importants, notamment la
charge de travail, et à multiplier le nombre d’indicateurs requis pour caractériser
toute unité de production (région, district, structure, etc.).
Analyse du secteur de la santé dans les urgences complexes
Indicateur
Aspect à suivre/utilité
Ratio intrants
globaux/résultats
intermédiaires
globaux et
évolution au cours
du temps
Efficience. Indicateur
crucial, dont le calcul
est malheureusement
difficile
Sources/modes de collecte
de l’indicateur
Son calcul dépend du format
finalement retenu pour les Intrants
et les Résultats intermédiaires
Remarques
Lorsque le contenu technique des soins dispensés diffère considérablement d’une zone,
d’un niveau de soins ou d’une période à l’autre, le ratio intrants/résultats
intermédiaires ne permet pas de tirer des conclusions correctes sur l’efficience. Si des
estimations agrégées des intrants et résultats intermédiaires ne sont pas disponibles
ou si elles sont jugées non fiables, il est impossible de calculer un indice global de
l’efficience.
Au lieu de calculer un ratio effectif, ce qui indiquerait une précision technique qui n’est
pas corroborée par les informations disponibles, on peut en rester à une présentation
délibérément impressionniste de la relation entre intrants et résultats intermédiaires.
Une série temporelle d’intrants et de résultats intermédiaires agrégés peut montrer
comment ces deux variables évoluent l’une par rapport l’autre, ce qui permet d’avoir
une bonne idée de la situation.
Charge de travail
du personnel
Efficience. Indicateur
utile pour redéployer le
personnel et pour
établir des projections
du futur effectif
Système d’information sanitaire ou
enquêtes auprès des structures de
santé (souvent menées par des
ONG)
Il est recommandé de sélectionner un sous-ensemble de structures sanitaires
fournissant des données fiables et complètes. Ce sous-ensemble doit être présenté
d’abord globalement, puis désagrégé par région, catégorie de structure, niveau de
formation, niveau de soins et régime de propriété. L’introduction d’un indicateur
agrégé des résultats intermédiaires facilite le calcul. Des travailleurs fantômes étant
fréquemment dénombrés parmi le personnel actif, toute estimation administrative de
la charge de travail doit être vérifiée sur place avant d’être considérée comme valide et
de pouvoir être prise en compte.
Taux d’occupation
des lits
Efficience
Système d’information sanitaire
Voir ci-dessus. Ce taux peut afficher des variations considérables, en fonction des
épidémies, des mouvements de population, de la présence d’un personnel qualifié, des
médicaments et denrées alimentaires disponibles, etc.
Taux d’exécution
financière, par
source
Efficience. Critère
essentiel pour allouer
un financement autre
que celui des salaires
Dans la plupart des cas, les
données de routine doivent être
complétées par des rapports et des
études.
Doit être mis en relation avec les résultats planifiés et effectifs. Agrégation par centre
de coûts, région et niveau de soins (dans la mesure du possible). Il faut prêter une
attention particulière à l’absorption des financements extérieurs (étant donné que leur
volume est souvent faible). Critère trompeur dans une situation où il y a beaucoup de
gaspillage, ce qui est très fréquent lors de crises prolongées.
Taux de succès
thérapeutique
pour la
tuberculose
Efficacité et efficience
Programme de lutte
antituberculeuse, là où il a été mis
en place.
Lorsque le programme de lutte antituberculeuse est de type vertical, cet indicateur
renseigne peu sur les performances systémiques du secteur de la santé. Le même
constat s’applique à d’autres programmes verticaux. Le taux de succès thérapeutique
peut également servir d’indicateur de l’efficacité.
Ratio de la
consommation
moyenne de
services par
habitant au sein
d’une catégorie
aisée par rapport
à celle d’une
catégorie démunie
Équité. Regroupe les
déséquilibres en un
indice unique dont
l’évolution observée sur
la durée montrera si
ces déséquilibres sont
en train d’être corrigés
Les données proviennent du
système d’information sanitaire (où
elles sont déjà agrégées en tant
que résultats intermédiaires, voir
l’entrée correspondante), ou de
certaines études.
Ce ratio n’est utile que dans les situations où des chiffres relatifs à la population sont
disponibles et lorsqu’il n’y a pas d’importants mouvements migratoires en cours. Peut
être particulièrement intéressant pour comparer les réfugiés, les personnes déplacées
dans leur propre pays et les habitants des zones non directement touchées par la
crise. Il peut nécessiter un ajustement substantiel d’ensembles de données incomplets,
afin de les rendre fiables. Doit être pris en compte à chaque fois que de gros
investissements sont envisagés. Il peut conduire à des décisions de redistribution à
grande échelle dans le secteur de la santé.
Proportion de la
population ayant
accès aux services
de santé de base
Équité
Système d’information sanitaire,
rapports élaborés dans le cadre de
programmes spéciaux, enquêtes
Il faut formuler une définition opérationnelle de l’« accès aux services de santé » et
l’associer à cet indicateur lorsque celui-ci est présenté. En utilisant des données de
routine, on peut retenir comme indicateur indirect de l’« accès » divers taux
d’utilisation des services de santé, de la couverture la plus faible à la plus étendue.
Annexe 2 Caractéristiques et tendances dans le secteur de la santé
indicateur
59
Annexe 2
Annexe 2
60
Sources/modes de collecte
de l’indicateur
Aspect à suivre/utilité
Remarques
Ratio du nombre
des structures de
santé sur la
population
desservie, par
secteur
géographique,
zone rurale/
urbaine, etc.
Équité
Inventaires disponibles des
structures de santé et cartes
Pour être parlants, ces chiffres doivent présupposer une distribution relativement
homogène des populations dans les zones étudiées, ce qui n’est généralement pas le
cas, particulièrement lorsqu’une guerre fait rage et entraîne d’importants mouvements
de population. Dans l’idéal, il faudrait affiner ces indicateurs en examinant le
pourcentage de personnes ayant accès aux services essentiels, tels que des blocs
opératoires, des services d’obstétrique, des laboratoires, des points de mise en œuvre
des PEV (programmes élargis de vaccination), etc. Un indicateur plus instructif serait la
Proportion de la population vivant à 5 ou 10 km d’un établissement de santé désigné.
Néanmoins, cette proportion n’est généralement pas calculable en raison des limites
des données de recensement.
Taux de létalité
des patients
hospitalisés, dans
des conditions
données
Efficacité
Enquêtes auprès des structures de
santé
Il faut envisager de calculer ce taux pour un ensemble de grandes maladies
transmissibles. Celles-ci doivent être sélectionnées d’après l’efficacité d’un traitement
standard disponible pour un niveau de soins donné. Par exemple, un ensemble de cas
de paludisme, de diarrhée, d’infections respiratoires aiguës, de septicémie et de
méningite permettrait une estimation, bien que grossière, des capacités existantes qui
permettent de traiter efficacement de graves affections courantes au niveau de soins
de santé primaires. Pour examiner les soins de santé à un plus haut niveau, on
pourrait ajouter ou étudier séparément d’autres affections courantes méritant un
traitement chirurgical (dystocie, abdomen aigu, traumatismes graves).
Proportion d’infec- Efficacité
tions postopératoires après une opération chirurgicale
programmée
Enquêtes auprès des structures de
santé
Indicateur simple et direct, qui doit être calculable même dans un contexte perturbé.
Proportion de
prescriptions
rationnelles au
sein d’un
échantillon
Efficacité et efficience
Enquêtes auprès des structures de
santé
La méthodologie bien connue proposée par le Réseau international pour l’Usage
rationnel des médicaments (INRUD) est simple, fiable et informative. Elle doit être
utilisée largement, afin d’améliorer la qualité des soins et de lutter contre le gaspillage,
particulièrement dans les cas où il y a pénurie de médicaments.
Observance du
traitement par les
patients
Efficacité
Enquêtes
Les questionnaires de sortie peuvent induire en erreur. Les enquêtes à domicile
apportent des informations plus exactes.
Satisfaction des
utilisateurs
Efficacité
Enquêtes
Difficile à étudier et à standardiser. Les résultats d’enquête peuvent être très
trompeurs. Avant d’adopter ce concept, il faut élaborer une méthodologie robuste et
raisonnable. Les résultats doivent toujours être examinés parallèlement à une
évaluation de la qualité des soins par un expert.
Taux de mortalité
infantile
Résultats
Enquêtes de grande qualité, sur de
larges échantillons
Taux de mortalité
maternelle
Résultats
intermédiaires
Enquêtes de grande qualité, sur des
échantillons encore plus larges
Souvent estimé à l’aide de méthodes rétrospectives indirectes, telles que la « Méthode
des sœurs » OMS et UNICEF, 1997), qui mesurent la mortalité passée plutôt que la
mortalité actuelle. Il ne faut donc pas utiliser ces valeurs pour tirer des conclusions,
par exemple sur l’impact des interventions en cours ou sur les tendances actuelles,
surtout lorsque le contexte évolue rapidement.
Analyse du secteur de la santé dans les urgences complexes
indicateur
Aspect à suivre/utilité
Ressources humaines
Structure du
personnel
(nouveaux
recrutements,
attrition des
effectifs,
compétences, âge,
sexe, employeur)
et déploiement
Sources/modes de collecte
de l’indicateur
Remarques
Système d’information sanitaire,
inventaires spécialisés
Il est difficile d’obtenir des chiffres fiables dans des situations très morcelées. Le
déploiement doit être désagrégé par catégories principales : niveau de formation, sexe,
région, zone urbaine/rurale, régime de propriété des structures de santé et niveau de
soins. Dans les pays qui affichent une très forte prévalence du VIH, la structure du
personnel peut changer rapidement. Attention aux « travailleurs fantômes », très
fréquents dans les contextes perturbés.
Nombre moyen
d’équipes par
catégorie de
structure
Ressources humaines
Les données de routine doivent être
validées par des enquêtes auprès
des structures de santé.
Étant donné les mouvements de personnel, il est fréquent que les rapports de routine
surestiment ou au contraire sous-estiment l’effectif réel. Possibilité d’agrégation par
niveau de formation (université, premier cycle du secondaire ou de base) ou de
qualifications (personnel qualifié ou non qualifié). Les sous-échantillons de structures
qui communiquent des données complètes peuvent être compilés en tant
qu’indicateurs indirects représentatifs. La combinaison de ces données avec la charge
de travail permet de calculer le volume moyen de services par catégorie de structure
(très utile pour étudier le réseau dans l’optique de sa remise en état, de son expansion
ou de sa rationalisation). Dans les situations perturbées, il est courant de constater un
sureffectif associé à des résultats moins bons.
Intrants et
résultats
intermédiaires du
système de
formation
préalable
Ressources humaines
Une étude spécifique est
généralement nécessaire.
Possibilité de calcul en tant que coût par personne formée ou par année de formation,
suivant le niveau de formation et par établissement de formation.
Ressources humaines
Intrants et
résultats
intermédiaire du
système de
formation en cours
d’emploi
Une étude spécifique est
généralement nécessaire.
Possibilité de calcul en tant que coût par participant par jour de formation en cours
d’emploi. Du fait de la dispersion des activités de formation en cours d’emploi, la
collecte de ces données nécessite beaucoup de travail. Les données moyennes
obtenues doivent être examinées avec prudence, car les possibilités de formation en
cours d’emploi diffèrent considérablement d’un membre du personnel à l’autre
(formation trop poussée pour certains agents, et insuffisante pour d’autres). Étant
donné le recours excessif à la formation en cours d’emploi, situation typique lors de
crises durables, il importe particulièrement d’étudier ce problème.
Total des
importations de
médicaments, par
source de
financement,
ajusté par
habitant
Médicaments
Les données émanant du ministère
de la Santé doivent être complétées
par des rapports élaborés avec des
donateurs, des ONG et des
importateurs privés.
Chiffres indisponibles dans la plupart des cas, ou grossièrement sous-estimés. La
collecte de chiffres fiables est très difficile et nécessite beaucoup de travail, surtout
lorsque les médicaments proviennent du secteur privé et de dons. Il faut procéder
avec prudence à l’agrégation de prix très différents pour un même médicament. La
comparaison des prix des médicaments achetés via différents circuits livre de
précieuses indications sur le type de mesures à prendre pour améliorer la disponibilité
des médicaments.
Distribution des
médicaments par
région, zone
rurale/urbaine,
régime de
propriété et
niveau de soins
Médicaments Équité
Lorsque des mécanismes centralisés
et communs sont en place, il est
généralement possible d’utiliser les
informations de routine. Dans les
autres cas, des études spécifiques
sont nécessaires.
Composante essentielle du Total des intrants, voir plus haut. Au-delà de l’aspect
financier, il convient d’examiner l’adéquation des médicaments disponibles à chaque
niveau de soins (on constate très souvent que des médicaments essentiels
inappropriés sont fournis pour un niveau de soins donné).
Annexe 2 Caractéristiques et tendances dans le secteur de la santé
indicateur
61
Annexe 2
Annexe 2
62
Indicator
Dimension to be
Monitored/Usefulness
Sources/Ways of collecting
the Indicator(s)
Remarks
Gaspillage et vols
le long de la
chaîne logistique
et au niveau des
structures de
santé
Médicaments Efficience
Disponibilité des
médicaments au
niveau des
structures de
santé
Disponibilité des
Enquêtes auprès des structures de
médicaments au niveau santé
des structures de santé
Il convient de sélectionner un certain nombre de médicaments essentiels (5 à 10)
comme références. L’indicateur pourrait être exprimé en tant que proportion des
médicaments sélectionnés disponibles sur la période étudiée.
Niveau de
financement
absolu, désagrégé
par source et par
niveau de
responsabilité
gestionaire
Financement
Il faut envisager la mise en place
d’une capacité permanente pour
procéder régulièrement à cette
analyse.
À suivre sur la durée. Les estimations des contributions des patients nécessitent des
analyses spécifiques et sont difficiles à obtenir. La part des fonds extérieurs dans le
financement total permet d’évaluer le pouvoir discrétionnaire dont disposeront les
futurs gouvernements. Les tendances sont aussi importantes que les chiffres absolus.
Structure des
dépenses, par
centre de coûts,
région, zone
(urbaine/rurale),
niveau de soins et
régime de
propriété
Financement
Une étude spécifique, avec
d’importants travaux sur le terrain,
est généralement nécessaire.
Crucial pour remédier aux déséquilibres existants, repérer les manques et concevoir
des mesures destinées à rationnaliser la prestation de soins. Le regroupement des
intrants peut être extrêmement complexe. À compléter et à valider par des études des
coûts au niveau des structures de santé.
Une étude de suivi est
généralement nécessaire pour
apporter un éclairage sur cet
aspect.
Le plus souvent non prise en compte pendant une crise prolongée, cette information
peut apporter une contribution cruciale au débat sur la politique publique et pour
l’élaboration d’une stratégie de relèvement.
Analyse du secteur de la santé dans les urgences complexes
Module 3
Comprendre le contexte passé, présent et futur
du pays
«Lorsque les reporters ne savent pas ce qu’il se passe, ils parlent d’anarchie.»
Lindsay Hilsum
« Lorsque les agents des organismes d’aide ne savent pas ce qu’il se passe, ils parlent d’urgence
complexe. »
Mark Duffield
(cité dans Keen et Ryle, 1996)
64
Analyse du secteur de la santé dans les urgences complexes
Résumé
Module 3
Ce module présente au lecteur du manuel de nombreux aspects utiles pour comprendre
un pays en crise. Étant donné l’immensité du sujet, la sélection des thèmes à aborder est
nécessairement restrictive. Les auteurs privilégient l’étude approfondie de la nature des
perturbations afin d’en prévoir l’évolution probable, et de tirer de précieux enseignements
de l’expérience des autres pays. Parmi les thèmes abordés, on peut citer les déplacements de
population induits par la violence, la politique et la gestion de l’information, ainsi que le rôle
des médias internationaux dans les crises humanitaires. Ce module décrit ensuite les schémas
de l’aide destinée aux pays en crise, et la manière de les analyser, puis la signification et les
conséquences de la décentralisation de l’État dans un contexte de guerre, avant de conclure
sur la difficulté de prévoir l’avenir des pays en crise, sur les choix difficiles auxquels sont
confrontées les parties prenantes et leurs conséquences pour le secteur de la santé.
L’Annexe 3 traite des raisons, des objectifs et du format des évaluations des besoins
post-conflit, telles qu’elles sont menées dans plusieurs pays en transition. Le lecteur est
invité à réfléchir aux enseignements préliminaires qu’il peut tirer de la participation à de
tels exercices.
Modules connexes :
Module 4. Étudier la situation et les besoins sanitaires
Module 6. Analyser le financement et les dépenses du secteur de la santé
Module 8. Analyser les systèmes de gestion
Introduction
Si certains conflits récents, comme ceux de l’Afghanistan, du Mozambique, du Rwanda et
du Soudan, attirent l’attention des historiens et des chercheurs, d’autres, comme ceux de
l’Angola, de la République démocratique du Congo et de la Somalie, restent peu documentés
et incomplètement compris. À mesure que le temps passe et que les souvenirs et les dossiers
disparaissent, la possibilité de comprendre ces conflits s’amenuise.
Dans la plupart des cas, et en particulier au plus fort de la crise, les connaissances historiques
sont aussi rares qu’elles sont irremplaçables. Il convient de déployer des efforts particuliers
pour pénétrer le tableau politique, militaire et économique, en s’appuyant sur des supports
incomplets et insatisfaisants.
Le contexte local a une incidence sur les évolutions du secteur de la santé et sur ce que
l’on peut y faire. L’analyse de ce secteur restera en effet bancale si l’on ne comprend
pas un tant soit peu le conflit et ses causes profondes, ses acteurs et leurs objectifs
respectifs, ainsi que les changements, aux conséquences à court et à long terme, induits
par la violence dans le tissu d’un pays en crise. En outre, les mesures destinées à soutenir
les services de santé pendant la crise et à encourager leur reprise par la suite resteraient
inefficaces ou éphémères. La tentation est toujours grande de travailler autour du conflit
(Goodhand et Atkinson, 2001), en le considérant comme une nuisance malheureuse.
La compréhension des événements politiques, économiques et militaires présents et passés
étaye considérablement l’analyse du secteur de la santé.
Outre les pays frappés par une violence généralisée, de nombreux autres présentent des
signes d’une crise profonde. Des travaux récents regroupent cette catégorie hétérogène sous
l’appellation d’« États fragiles » (pour une définition, veuillez vous reporter au Glossaire dans
le Module 14). Ces pays se caractérisent par un pouvoir répressif (Myanmar, Zimbabwe), une
gouvernance médiocre (Nigeria, Tchad), des conflits localisés (Indonésie, Népal, Ouganda,
Sri Lanka), des troubles ethniques chroniques (Éthiopie) ou une crise économique (Burundi,
Tadjikistan).
Dans la plupart des cas, les différentes facettes de cette fragilité sont interdépendantes.
En raison de leur faiblesse intrinsèque, nombre de ces États fragiles risquent de s’effondrer,
et parfois brutalement. Leur secteur de la santé mérite une étude approfondie, même en
l’absence de vastes opérations humanitaires ou d’engagement des donateurs. Plusieurs ont
déjà été analysés en détail, mais de nombreux autres (République démocratique populaire de
Module 3 Comprendre le contexte passé, présent et futur du pays
65
Corée ou Myanmar, par exemple) n’ont pas été évalués de manière satisfaisante et complète.
Cette carence s’explique par la résistance opposée par un État défensif à une inspection
objective ou par le manque de donateurs, d’organismes et de chercheurs intéressés.
Bien souvent, l’analyse disponible ne tient pas compte de la crise actuelle, et propose partant
un tableau aseptisé et faussé. Cette omission criante donne une idée des susceptibilités
alimentées par la crise.
« Le conflit est un processus social dynamique dans lequel les tensions structurales
originelles sont elles-mêmes profondément remaniées par les dérèglements massifs causés
par la guerre. Par conséquent, les « causes profondes » peuvent devenir de moins en moins
pertinentes dans les conflits prolongés qui transforment l’État et la société » (DFID, 2002).
Selon Yanacopulos et Hanlon (2006), un conflit est « une lutte ou une confrontation entre des
groupes ou des individus à propos des ressources ou du pouvoir ». Il s’agit d’un processus
naturel dans toute société qui, dans certaines circonstances, peut dégénérer en conflit violent
et armé, et se transformer en guerre. Le conflit n’est pas toujours destructif ni un prélude à la
guerre : il peut faire partie du processus de changement et de développement.
Les conflits naissent d’une multiplicité de facteurs imbriqués. Selon des observateurs issus
de différentes disciplines, les principaux moteurs en sont le contrôle du pouvoir politique,
la pauvreté, l’injustice, la rareté tout comme l’abondance de ressources inégalement
distribuées. Les analystes politiques pensent généralement que les « griefs » de certains
groupes constituent la principale cause du conflit. À l’inverse, les économistes voient dans
« l’avidité » ou la recherche de la maximisation de la richesse, la principale explication.
Les exemples de conflits alimentés par l’avidité ou le mécontentement abondent, et étayent
toutes les interprétations. Un examen approfondi des conflits de ces dernières décennies
indique que les facteurs économiques, habituellement liés à la maîtrise des ressources
stratégiques, jouent un rôle dominant, en particulier sur la durée du conflit, même si celui-ci
a été déclenché par des motifs politiques. Et même les conflits considérés comme induits par
les griefs des principaux acteurs gagneraient à être envisagés du point de vue de leur économie
politique. En outre, les conflits peuvent être déclenchés par l’abondance, plutôt que par la
pénurie, de ressources primaires, surtout si l’économie nationale n’est pas diversifiée et si
elle est fortement tributaire d’un produit de base. Les conflits portant sur les « ressources »
confirment leur nature essentiellement apolitique en se montrant singulièrement résilients aux
efforts de paix. Dans ce type de conflits, « la victoire n’est pas forcément une bonne chose »
car le chaos qui en résulte sert à soutenir des économies illégales et violentes (Keen, 1998).
En effet, seules des interventions réelles au niveau politique, parfois conjuguées à un élément
de pacification, peuvent offrir une solution. Les mesures visant une distribution politique
qui remédie à l’injustice (réelle ou perçue) dont sont victimes certaines catégories, sans
tenir compte des causes de la violence, risquent dans la plupart des cas de passer à côté de
la raison du conflit actuel. Dans de tels contextes, les approches de réconciliation reposant
sur des « valeurs universelles », telles que la justice, l’équité ou l’humanité, risquent de se
révéler particulièrement inefficaces.
La prise de conscience de cette réalité explique le manque de visibilité de la prestation des soins
de santé dans les conflits purement axés sur les ressources, comme en Angola ou en République
démocratique du Congo, par rapport à ceux dont les motifs sont politiques. Dans ces derniers,
les initiatives en matière de santé peuvent jouer un rôle dans la consolidation de la paix.
Les belligérants s’entendent les uns avec les autres sur un terrain technique relativement
neutre, voire appréhendent véritablement les intérêts de leurs partisans. Dans d’autres
contextes, les initiatives en matière de santé peuvent être tolérées par des ennemis qui ont
encore l’intention de conquérir les cœurs et les esprits de la population qu’ils contrôlent.
Cependant, pour des prédateurs en concurrence dont l’unique objectif est de s’enrichir en
recourant à la violence, la santé est un non-problème. Un règlement ne sera possible que lorsque
l’on se sera intéressé aux véritables intérêts politiques et économiques des belligérants.
Module 3
Les causes des perturbations
66
Analyse du secteur de la santé dans les urgences complexes
L’économie politique des guerres civiles
Module 3
Conflits et économie sont liés par des liens mutuels et complexes. En érodant la légitimité de
l’État et en limitant sa capacité à maîtriser les événements au sein du pays et à s’acquitter de
ses fonctions élémentaires, la médiocrité des performances économiques peut saper la bonne
gouvernance. Dans de telles situations, des opportunistes, qui tirent profit du conflit, peuvent
se manifester dans le pays, ou forger des alliances avec des acteurs extérieurs attirés par les
ressources locales à exploiter et par l’impunité que permet un État faible.
Contraints de financer leur lutte contre l’État ou se protéger de la répression exercée par
ce dernier, les rebelles sont obligés de devenir des acteurs économiques. Les entreprises
criminelles très lucratives, comme le trafic de drogue, de diamants, de bois, d’ivoire et
d’armes, constituent des sources de financement courantes de la guerre. Dans les pays aux
ressources naturelles inexistantes ou difficiles à exploiter, la main-d’œuvre bon marché issue
de la population locale peut devenir le principal actif à disposition de ces entreprises, et
donc le principal objectif militaire. Au Mozambique, les rebelles ont massivement utilisé ce
travail forcé pour alimenter leur capacité de combat, tandis que l’État cherchait à étendre
son contrôle sur la population afin d’affaiblir la sédition et de maximiser les flux d’aide.
La tactique consacrée qui consiste à « vider l’étang pour attraper les poissons » a ainsi
récemment été appliquée au Darfour.
Le rôle central que joue la population dans l’économie de guerre via le travail explique dans
une certaine mesure la grande visibilité dont jouit la prestation des soins de santé dans le
conflit au Mozambique : les individus deviennent un actif nécessitant des investissements,
y compris dans la prestation de soins de santé. C’est une logique diamétralement opposée
qui a sous-tendu le conflit en Angola. Les belligérants n’avaient pas besoin de la population
pour soutenir l’effort de guerre (en raison de l’abondance du pétrole et des diamants).
C’est pourquoi la tactique la plus usitée a consisté à exercer des pressions violentes sur la
population pour qu’elle fuie et traverse la ligne de front, gênant ainsi l’ennemi et réduisant
sa capacité de combat.
Une guerre civile met généralement sérieusement à mal les performances économiques
globales d’un pays. Les dépenses militaires s’envolent, au détriment des budgets sociaux.
L’infrastructure et les actifs productifs sont anéantis. La richesse privée est transférée à
l’étranger (Collier et al., 2003). Le capital social est détruit. Le gisement de ressources que
s’arrachent les belligérants a tendance à s’amenuiser. Cet épuisement peut donner lieu à un
règlement, comme au Mozambique. À l’inverse, lorsque des ressources considérables ont été
mises à l’abri des opérations militaires, comme ce fut le cas du pétrole offshore de l’Angola,
le financement de la guerre était garanti malgré l’effondrement généralisé de l’économie.
Celui qui contrôle un tel actif peut en effet poursuivre indéfiniment le conflit.
Lorsque le pays bénéficie de flux d’aide massifs, l’économie s’en trouve profondément
transformée, et risque de souffrir du mal hollandais : l’aide ralentit les exportations à forte
intensité de main-d’œuvre, ce qui exerce un effet globalement dépressif sur l’économie du
pays (Collier, 2007). Le marché du travail, des services et du logement se restructurent pour
exploiter ces nouvelles opportunités liées à l’aide. Tandis qu’une partie de la production
intérieure est déprimée par les distorsions de prix et la concurrence déloyale, d’autres
activités, comme la briqueterie, peuvent prospérer. De nouvelles possibilités de carrière
en dehors du secteur public s’offrent aux travailleurs de la santé qualifiés, en particulier.
L’économie se scinde en un segment riche, qui tire pleinement parti des flux d’aide, et
un segment pauvre, qui n’en bénéficie que de façon marginale, tandis que le secteur de
l’aide offre des opportunités nouvelles aux diplômés. Les marchés mondialisés prospèrent
à côté des marchés de subsistance. Les envois de fonds de la diaspora progressent jusqu’à
représenter une grande portion de l’économie, comme on a pu le constater en Somalie
(Savage et Harvey, 2007), ou bien s’amenuiser, comme au Darfour. Il existe un risque que
l’élite, en devenir ou déjà en place, composée de chefs d’entreprise, et des partisans de la
violence, manipulent, accaparent ou fassent commerce de l’aide, principalement lorsqu’elle
se présente sous la forme de nourriture.
L’aide peut largement contribuer à asphyxier la dynamique locale des forces d’opposition
qui contestent le régime. Englebert (2003) a constaté au Zaïre/en République démocratique
du Congo une corrélation extrêmement forte entre faiblesse de l’aide étrangère et absence
d’activités séditieuses. Une série temporelle débutant en 1960 montre que « ...les versements
au titre de l’aide sont en moyenne nettement moindres dans les années précédant des activités
séparatistes ou séditieuses qu’ils ne le sont pendant les années précédant une situation de
paix sociale, ce qui montre que les autorités congolaises ajustent leur comportement en
fonction du rendement économique de la souveraineté ».
Les conflits contemporains ont tendance à traverser les frontières nationales, du fait des
intérêts régionaux et du besoin croissant de circulation des combattants, des armes, des
réfugiés, des biens, de l’argent, des organisations d’aide, des diplomates, des espions, des
criminels, des hommes d’affaires et des citoyens ordinaires. Dans certains cas, la résurgence
de la violence dans un pays voisin est clairement liée au cessez-le-feu intervenu de l’autre
côté de la frontière. Les dégâts perpétrés par un conflit dans les pays voisins peuvent être
considérables, les voisins les plus faibles tombant généralement dans la guerre civile.
La crise au Libéria a ainsi contribué à la montée de la guerre en Sierra Leone, puis ce fut le
tour de la Côte d’Ivoire. Les artisans de la paix formés à la tradition de la diplomatie entre
États ont du mal à gérer les crises régionales.
Aspects militaires
La plupart des conflits de longue durée sont marqués par de longues périodes de guerre de faible
intensité, ponctuées par des flambées occasionnelles d’activité militaire conventionnelle.
Les conflits de faible intensité se caractérisent par l’emploi d’armes de petit calibre et bon
marché, par des escarmouches, des embuscades et/ou des combattants occasionnels agissant
en petits groupes. Dans de nombreux conflits récents, les groupes armés locaux ont largement
fait appel aux enfants soldats.
En raison de la relative facilité et du faible coût de ce type de guerre, on voit apparaître de
multiples entrepreneurs. Les conflits de faible intensité ont tendance à se fragmenter pour
déboucher sur des situations confuses et auto-entretenues, avec des acteurs qui entrent et
sortent de la campagne au gré des circonstances. La guerre se privatise, et suit des règles plus
commerciales que militaires. Les forces étrangères impliquées dans le conflit en tant qu’alliés,
et parfois en tant que forces de maintien de la paix, doivent se débrouiller toutes seules, et se
livrent elles-mêmes à l’extraction de ressources ou à d’autres activités lucratives.
Dans bien des cas, les conflits de faible intensité constituent la seule option offerte aux
commandants de petites armées à capacité réduite, qui sont forcément réticents à s’engager
dans des confrontations décisives avec l’ennemi, peut-être lui-même confronté aux mêmes
difficultés. L’issue des conflits reste indécise, les civils étant les principales victimes des
souffrances infligées par des soldats dont le principal souci est de survivre : se nourrir et
s’abriter, piller ce qui se trouve à leur portée et éviter soigneusement toutes confrontations
décisives.
Une fois constituées, ces armées peuvent endurer des moments difficiles, mais aussi
prospérer avec relativement peu d’apports extérieurs. À l’inverse, le conflit de forte intensité
est très onéreux, et ne peut donc être mené que par un État ou un groupe de rebelles qui
contrôle des ressources substantielles. Si les dégâts à court terme sur les soldats, les civils et
l’infrastructure sont généralement importants, les conflits de forte intensité ont tendance à
se terminer rapidement lorsqu’un vainqueur clairement identifiable se dessine. En revanche,
si la victoire n’est manifeste pour aucune des parties, la phase intensive peut laisser la place
à une phase prolongée de violences de faible intensité. C’est généralement ce qui se produit
quand la force militaire des belligérants est très asymétrique, comme en Iraq.
L’utilisation de mines terrestres par les belligérants est lourde de conséquences. En effet,
les mines terrestres tuent et invalident les populations pendant plusieurs décennies après la
fin d’un conflit. Elles nuisent à l’économie en restreignant l’accès à la terre et aux moyens
de communication, et en tuant le bétail. Elles font également peser un lourd fardeau sur les
services de santé, qui doivent dispenser aux victimes des soins chirurgicaux et des prothèses
67
Module 3
Module 3 Comprendre le contexte passé, présent et futur du pays
68
Analyse du secteur de la santé dans les urgences complexes
fort coûteux. En outre, la présence de mines terrestres limite la réinstallation des personnes
déplacées une fois que les hostilités ont cessé. Les perspectives de relèvement du pays sont
gravement affectées par ce fléau.
Dans les années 1990, l’Afghanistan, l’Angola, le Cambodge, l’Iraq et le nord de la Somalie
étaient les plus touchés par les mines : ils en comptaient plusieurs millions d’unités chacun.
L’Angola affichait le ratio d’amputés le plus élevé, avec 1 habitant sur 334 (Horwood, 2000).
Malgré le succès de la campagne mondiale visant à interdire les mines terrestres, qui se
traduit par une diminution mondiale des blessures causées par les mines, les mines ont été
utilisées dans les conflits récents, et parfois massivement, comme dans le conflit frontalier
entre l’Éthiopie et l’Érythrée. La production mondiale de mines terrestres a reculé, mais
les stocks existants sont suffisamment importants pour approvisionner les armées à venir
pendant un certain temps.
États partagés
Module 3
Les conflits qui se prolongent sans trouver d’issue claire, en particulier lorsqu’ils sont
motivés par des raisons ethniques ou religieuses, peuvent conduire à une impasse, où des
pans entiers du territoire et de la population sont placés sous le contrôle de groupes armés,
qu’il s’agisse d’insurgés aux motivations politiques, d’armées ethniques ou religieuses, ou
simplement de bandes criminelles. La cohérence territoriale et ethnique de ces divisions est
souvent précaire. Il arrive que l’État conserve le contrôle des principales villes, comme au
Mozambique et au Sud-Soudan, et que les insurgés contrôlent la campagne. La partition
du territoire peut aussi être dictée par des intérêts économiques, comme la présence de
gisements de diamants. Dans d’autres conflits, le contrôle de la population prend le pas sur
celui du territoire. Ou bien la partition peut créer des États jumeaux, avec une ligne de front
reconnue, bien qu’instable, comme en Angola.
Si le contrôle est synonyme d’allégeance ethnique ou religieuse, la carte de l’influence risque
de ressembler à une peau de léopard, comme en Cisjordanie. Les frontières peuvent rester
fluides, ou bien être gelées par un cessez-le-feu (parfois imposé de l’extérieur). Il arrive que
des belligérants pratiquent le nettoyage ethnique afin d’évincer les populations vivant du
« mauvais » côté. Le retour des personnes déplacées après la fin des hostilités peut remanier
la composition de la population, et parfois conduire à des cohabitations précaires et difficiles,
comme c’est le cas au Kosovo.
Qu’ils soient anciens ou nouveaux, officiels ou non, les dirigeants cherchent le plus souvent
à exploiter la population, en lui soutirant argent, nourriture, carburant, produits miniers,
drogues ou travail forcé. Pour acquérir une légitimité, les leaders militaires essaient de mettre
sur pied une administration civile et de fournir certains services sociaux. Les ONG locales et
internationales sont souvent les principaux prestataires de services, agissant officiellement
au nom des dirigeants armés. Le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) et les
ONG internationales peuvent parvenir à négocier avec les belligérants l’autorisation de
traverser les différentes lignes de contrôle et d’atteindre des populations isolées. Lorsque les
opérations militaires ont conduit à des partitions stables, les organismes d’aide et les ONG
scindent leurs activités conformément à ces partages, et il arrive même que certaines ne
travaillent qu’avec l’une des parties au combat, ce qui accentue la séparation (voir l’Étude
de cas n° 3).
Les résultats des perturbations
Des expressions telles que « urgences politiques complexes » ou « crises prolongées »
englobent des situations et des issues très diverses :
• Il y a continuité de l’État, même si les groupes rebelles tentent de s’emparer du pouvoir.
L’État affaibli exerce un contrôle limité sur le pays, mais n’abdique jamais totalement
ses fonctions, du moins sur le plan du discours politique et des relations internationales.
Des décennies de troubles se terminent par un apaisement (souvent en raison de
l’épuisement des belligérants) ou par la victoire militaire claire de l’État. Après quelques
éventuels changements cosmétiques apportés à son fonctionnement interne, l’État qui
Module 3 Comprendre le contexte passé, présent et futur du pays
69
L’histoire tumultueuse de l’Afghanistan est bien connue. Pour comprendre l’évolution
du secteur de la santé afghan dans les années 1980, il faut impérativement lire
l’ouvrage de R.W. d’O’Connor, intitulé Health care in Muslim Asia: development and
disorder in wartime Afghanistan, 1994. Cet ouvrage décrit en détail les activités
sanitaires soutenues par des ONG internationales basées au Pakistan pendant la
guerre contre l’occupation soviétique. Il aborde de nombreux aspects de la prestation
des services de santé dans des conditions extrêmement difficiles : ravitaillement des
prestataires isolés, situés dans des zones dangereuses et montagneuses, formation
et supervision des bénévoles, collecte des informations, évaluation des activités, etc.
Le tableau qui en ressort est fascinant mais largement incomplet (et donc
potentiellement trompeur), car il ne couvre pas le pan du secteur de la santé qui
est géré par le gouvernement afghan soutenu par l’URSS (probablement le principal
prestataire de services de santé du pays à l’époque). Il est nécessaire de compléter
ce tableau, riche mais unilatéral, par des documents élaborés à Kaboul. Ainsi, le Profil
de pays produit par le ministère de la Santé publique en 1985, qui ne mentionnait
même pas que le pays était en guerre, nous informe sur d’importantes évolutions
internes, telles que l’extension de la formation médicale et des soins hospitaliers, qui
ont aujourd’hui des conséquences importantes pour les services de santé. Ce secteur
de la santé divisé a évolué dans des directions divergentes, choisies par les parties
belligérantes, mais qu’il faut comprendre si l’on veut appréhender les modèles postconflit.
sort de la crise peut ressembler à celui qui existait auparavant. La classe dirigeante initiale
peut survivre si elle révise son programme politique, comme l’ont fait les dirigeants de
l’Angola et du Mozambique.
•
La fin de la crise débouche sur la création d’un nouvel État, comme on a pu l’observer
récemment en Érythrée et au Timor-Leste. En raison des susceptibilités internationales,
il se peut que certaines entités nouvelles conservent un statut juridique ambigu,
comme c’est le cas du Kosovo, du Puntland ou du Somaliland. L’indépendance n’est
pas toujours suivie de changements systémiques, en particulier dans le secteur public,
qui peut conserver d’anciens modes de fonctionnement. De nombreux pays africains
postcoloniaux ont gardé la langue, la législation et les traditions administratives hérités
de leur ancienne puissance coloniale. Ils ont choisi une continuité qui, de l’avis de
certains chercheurs, constitue une importante source de conflit, et se trouve à l’origine
de leur faillite. Dans la quasi-totalité des pays, le budget est l’une des fonctions de l’État
les plus résistantes au changement. Le secteur de la santé est, lui aussi, plutôt enclin au
conservatisme.
•
L’État « survit » à la crise, mais les dirigeants sont remplacés. Les fonctions de l’État
sont redessinées en profondeur, comme on a pu l’observer au Cambodge et en Ouganda.
Les nouveaux dirigeants, soucieux d’affirmer leur légitimité, sont souvent attirés par
les réformes, qui peuvent porter sur le secteur de la santé. Le nouveau gouvernement
peut bénéficier des faveurs internationales, ou les rechercher, et opter pour les modèles
« libéraux » dominants, ce qui constitue souvent une condition préalable à l’obtention
d’aide.
•
L’État est en faillite et le pays implose, comme on l’a vu en Afghanistan, au Libéria et en
Somalie. Seigneurs de guerre et fragmentation apparaissent. Inégalement répartis dans le
pays, les organismes d’aide et les ONG se substituent à l’État pour apporter des services.
Ils bénéficient généralement d’une liberté totale, car les autorités nationales sont absentes
ou impuissantes. Lorsque l’armée et des intérêts privés se disputent les ressources, le
conflit porte sur le secteur extractif et son principal moteur est l’exploitation des matières
premières stratégiques. La crise s’autoalimente.
•
Lorsqu’aucun des belligérants n’est assez fort pour imposer ses conditions, de
longues négociations aboutissent à un règlement entre les parties, qui se partagent
le pouvoir et reçoivent une part des recettes publiques, comme au Soudan et en
Module 3
Étude de cas n °3
Comprendre l’évolution du secteur de la santé afghan
70
Analyse du secteur de la santé dans les urgences complexes
République démocratique du Congo. Ce partage du pouvoir et des ressources,
ainsi que les accords sur la sécurité, présentent des difficultés particulières.
Pour déboucher sur une paix réelle, ces arrangements ont besoin de ressources et de
capital politique très visibles. Le risque que le pays retombe dans la guerre est grand.
Le nouveau gouvernement, généralement pris dans un entrelacs d’ambiguïtés et de
compromis, manque de cohérence, de capacités, de crédibilité et d’esprit de décision.
Les messages contradictoires sont monnaie courante. La communauté internationale
peut se révéler aussi fragmentée et incohérente que le pays lui-même. Au lieu d’amorcer
un relèvement, le pays se retrouve dans une situation de violence endémique, bien que
réduite, de mauvaise gouvernance et de faiblesse de l’investissement.
Module 3
Des crises très longues peuvent connaître différentes phases, et notamment déboucher sur
les situations décrites ci-dessus, qui parfois coexistent, comme c’est le cas dans les pays
partagés, où aucun résultat décisif susceptible d’aboutir à un règlement du conflit ne se
matérialise. Des périodes de forte visibilité internationale de la crise peuvent être suivies de
périodes où la crise tombe dans l’oubli. Il arrive que l’attention internationale se détourne de
certaines crises, voire ne s’y intéresse jamais, en dépit de leurs conséquences humanitaires.
Les médias qualifient généralement de chaos, de folie ou de barbarie le dénouement
désordonné de nombreux conflits contemporains. Il arrive que les travailleurs et analystes
de terrain perçoivent les choses de la même façon que les médias et en déduisent qu’il est
impossible de tirer un sens de ces événements violents. Le conflit devient une complication
opérationnelle, dont les effets sur les interventions de secours doivent être réduits au
minimum. Trop souvent, on n’essaie même pas de comprendre des événements perçus
comme intrinsèquement impénétrables. À l’inverse, les efforts d’analyse peuvent révéler
des niveaux de signification surprenants dans des conflits aussi confus que ceux du Libéria
et de la Somalie. « Le problème tient en partie au fait que nous avons tendance à considérer
simplement les conflits comme une rupture dans un système particulier, et non comme
l’émergence d’un autre système de profit et de pouvoir » (Keen, 1996). Dans certains conflits,
on voit réapparaître des systèmes précoloniaux traditionnels, comme c’est le cas dans le nord
de la Somalie.
« Les tendances que l’on observe actuellement en Somalie ne reflètent pas les
motivations irrationnelles des seigneurs de guerre ou la « folie » des guerriers
adolescents dans un environnement d’effondrement de l’État. Elles traduisent
plutôt les calculs d’acteurs locaux qui essaient de survivre et de prospérer dans un
contexte de profonde incertitude et d’insécurité. Les miliciens qui sont démobilisés
et qui se lancent dans l’agriculture dans la région de Lower Shabelle le font parce
que les risques associés aux combats et au pillage deviennent plus importants
que la valeur du butin de guerre potentiel. Des hommes d’affaires financent les
tribunaux islamiques car ils ont intérêt à ce que les corridors commerciaux
et les marchés soient sûrs, et qu’ils ne tombent pas dans le butin de la guerre.
Les seigneurs de guerre exacerbent les tensions entre clans rivaux car leur statut
politique s’érode rapidement en temps de paix. Il arrive que ces acteurs fassent des
erreurs de calcul, comme les faits en attestent en Somalie, mais ils réfléchissent,
en essayant de gérer et de réduire les risques, et aussi de favoriser leurs intérêts. »
(Menkhaus, 2003)
Les enseignements tirés d’une crise servent rarement lors d’une autre crise, ou
inversement, on transpose l’expérience dans un contexte qui ne s’y prête pas.
Cette caractéristique tient en particulier à la grande diversité des conflits qui frappent la
planète, et qui reçoivent des réponses plutôt uniformes de la part des hommes politiques et
des militaires étrangers, et, dans une moindre mesure, des organismes d’aide, des groupes
de réflexion et des médias. Ainsi, il arrive que les concepts et les approches jugés utiles
dans certains contextes soient mécaniquement reproduits ailleurs, alors qu’un examen
minutieux aurait décelé des différences flagrantes entre les crises. Face à la diversité des
Module 3 Comprendre le contexte passé, présent et futur du pays
71
Typologie sommaire des conflits
Durée
Courte
Prolongée
Intensité
Forte
Faible
Nature et
règlement
Politique
Économique, extractive,
« prédatrice »
Conséquences
politiques
Nouvelle
configuration
politique
Implosion de l’État ;
désintégration du tissu social
Participation des
acteurs étrangers
Importante
Négligeable
Surmortalité des
civils, pauvreté et
destructions
Limitées
Considérables
Rôle des
organismes d’aide
Secours d’urgence
pour éviter
surmortalité et
souffrances
Remplacement des fonctions
de l’État ; la durabilité du
soutien extérieur devient un
problème
Aide requise
Principalement des
moyens financiers et
des orientations pour
l’action publique
Ressources et compétences
Conséquences pour
les organismes
extérieurs
Soutien à court
terme pour atténuer
les effets de la crise
Nécessité d’interventions
soutenues et de long terme
Sortie
Stratégie nécessaire
Aucune condition de sortie
probable dans un avenir
proche
Les conflits de courte durée, de forte intensité et de nature politique, comme ceux du TimorLeste et du Kosovo, se rangent dans la partie gauche du tableau. Dans cette catégorie, les
conséquences pour les organismes d’aide extérieurs sont assez évidentes. Les principales
préoccupations se résument par le principe « do no harm » (ne pas nuire) (Anderson, 1999).
La durabilité, l’équité, la réconciliation politique, la participation, ainsi que le respect de
l’économie locale et du marché du travail font partie des principaux points à prendre en
compte dans la planification des interventions au titre de l’aide. Ainsi, le recours massif aux
ONG étrangères qui a marqué ces crises, mais aussi la phase initiale du conflit iraquien, peut
être critiqué pour son manque de sensibilité et, dans une certaine mesure, de pertinence.
Les conflits prolongés, de faible intensité, qui portent sur les ressources, qui entraînent
l’implosion de l’État ainsi que des conséquences catastrophiques en termes de décès,
de destructions et de souffrances humaines, se rangent dans la partie droite du tableau.
L’Afghanistan dans les années 1990, la République démocratique du Congo, le Libéria et
la Somalie en sont des exemples-types. La réticence de certains donateurs à s’engager dans
des pays présentant un intérêt stratégique modeste, malgré la gravité de la crise humanitaire,
Module 3
situations, certains acteurs ont tendance à tomber dans l’excès inverse, et à considérer
chaque crise comme unique et appelant une solution originale. L’approche la plus sensée
se trouve vraisemblablement entre ces deux extrêmes. Elle consiste à prêter attention aux
similitudes comme aux différences et à n’adopter les expériences antérieures que lorsqu’elles
sont considérées comme véritablement pertinentes pour la nouvelle situation (une fois
correctement étudiée et comprise).
Le tableau ci-après dresse une typologie sommaire des conflits, et s’intéresse à la
distribution de plusieurs caractéristiques importantes dans les différents domaines. Il est
possible d’y ajouter d’autres éléments pour affiner l’analyse. Une telle typologie constitue à
l’évidence une simplification, dont l’objectif est de faire comprendre la nature composite des
conflits contemporains. Toute application rigide de cette typologie produirait des résultats
trompeurs.
72
Analyse du secteur de la santé dans les urgences complexes
Module 3
constitue une constante dans cette catégorie. C’est fâcheux, car dans des situations
d’effondrement total de l’État, la communauté internationale est la seule à pouvoir se
substituer à lui pour procurer des services et, parfois, garantir la sécurité. Les interventions
durent parfois plusieurs décennies. Les préoccupations mentionnées ci-dessus, et liées aux
conséquences à long terme des interventions au titre de l’aide, perdent toute importance face
à l’ampleur de la crise. Comme il ne reste plus grand-chose à sauver des cadres et institutions
précédents, on pourrait en conclure que peu de « tort » risque d’être causé à ce qui reste.
Un engagement sous-entend une présence prolongée et ininterrompue, adaptée aux aléas
politiques et militaires qui marquent ces situations, et appelle à des programmes qui leur
conviennent. Dans ces crises, la brièveté des cycles de financement des donateurs semble
clairement perturber la prestation des services.
Plusieurs autres crises peuvent se ranger entre ces deux extrêmes. Certains conflits présentant
des caractéristiques mixtes se classeraient plutôt au centre de la distribution. L’Angola affiche
nombre des caractéristiques du groupe de droite, à la différence majeure que les fonctions
de l’État, même gravement affaiblies, n’ont pas disparu, tandis que l’appareil d’État s’est lui
développé. Le Mozambique se situerait dans la partie gauche, en raison de la forte connotation
politique de la crise. Le Soudan et le Cambodge se trouvent entre les deux.
Cette méthode de classification ne doit pas occulter la nature dynamique des conflits, qui
évoluent au fil du temps. Les conflits politiques, qui restent irrésolus pendant longtemps, ont
tendance à se déplacer vers la droite du spectre, lorsque l’extraction des ressources finit par
l’emporter sur les griefs initiaux des belligérants. L’Angola constitue un exemple-type de
cette évolution. Des tentatives visant à négocier un règlement de paix prématuré ou biaisé
peuvent accorder un répit au perdant, et de cette façon perpétuer les hostilités.
Si cette approche succincte des conflits est pertinente, des leçons tirées de l’expérience
passée de l’Afghanistan peuvent devenir intéressantes, moyennant quelques ajustements,
pour la République démocratique du Congo ou le Sud-Soudan. À l’autre extrême, le Kosovo
risque de représenter un modèle trop lointain pour être réellement utile dans un contexte
africain. À l’inverse, une urgence intensément politique dans un pays à revenu intermédiaire,
comme le Kosovo, pourrait constituer une source d’expériences pertinente pour ceux qui
travaillent sur le Caucase ou l’Iraq.
Déplacements de population induits par la violence
Les mouvements de masse de populations touchées par la violence sont devenus un aspect
courant du nouveau « désordre mondial ». À la fin de 2006, on comptait 9,9 millions de
refugiés1 , soit une augmentation de 14 % par rapport à l’année précédente. Cette hausse, qui
a mis un terme à une tendance baissière observée depuis 2002, est essentiellement imputable
aux Iraquiens, qui cherchaient refuge dans les pays voisins, la Jordanie et la République
arabe syrienne (Haut Commissariat aux Réfugiés, 2007). En 2006, on a également assisté
à une augmentation du nombre de personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays :
24,5 millions à la fin de l’année, selon les estimations (Conseil norvégien des réfugiés,
2007). Ce deuxième chiffre est nettement moins précis que le premier, car il n’existe pas
de définition et de statut juridiques pour les personnes déplacées à l’intérieur de leur propre
pays, ce qui entraîne de sérieuses lacunes dans la compilation des statistiques nationales.
La Colombie, l’Iraq et le Soudan sont les pays qui comptent le plus grand nombre de
personnes déplacées.
1
Personnes déplacées de la zone où elles résidaient précédemment, qui ont franchi les frontières
internationales. Voir Glossaire dans le Module 14. Ressources, pour la définition officielle
complète.
Les mouvements de population peuvent être induits par les combats qui font rage dans la
région d’origine de ces populations. Ils apparaissent ainsi comme des effets secondaires
non intentionnels des opérations militaires. Mais la violence à l’encontre de civils est
souvent délibérée et motivée par des raisons ethniques, religieuses, économiques, militaires
ou politiques. L’éloignement de populations ennemies de certaines zones d’intérêt, et leur
réinstallation dans des endroits où il est facile de les contrôler, comme les camps, peut même
devenir le principal objectif d’une campagne militaire. C’est ce que l’on a pu constater en
Colombie, au Kosovo, dans les territoires palestiniens occupés et au Soudan.
En raison de la durée de nombreux conflits, le déplacement peut devenir un état chronique semipermanent. Plus les déplacements durent longtemps, plus les personnes déplacées risquent
de se trouver confinées dans des zones marginales, où les conditions de vie sont difficiles
et la pauvreté structurelle. La réticence des pays hôtes et des organismes internationaux à
encourager l’assimilation juridique, économique et culturelle des personnes déplacées au
sein des populations locales risque de renforcer encore leur exclusion et d’encourager la
mise en place de stratégies de survie négatives.
En raison de la proximité géographique des États faibles ou faillis en proie à la violence
généralisée, il arrive que les réfugiés fuient l’insécurité chez eux pour retrouver l’insécurité
à l’étranger. Trop souvent, les problèmes politiques et/ou économiques des pays et des
populations hôtes les empêchent de procurer une assistance adéquate à leurs populations de
réfugiés. Il peut arriver que le flux de personnes déplacées devienne bidirectionnel.
La violence généralisée, ainsi que les morts et les déplacements massifs qu’elle entraîne, risque
de modifier les schémas culturels, économiques et démographiques d’un ou de plusieurs pays.
Ainsi, le génocide rwandais ciblait des hommes jeunes, en âge de combattre. Aujourd’hui,
les femmes représentent les deux tiers de la population du Rwanda. En outre, la violence
peut avoir un impact important et durable sur les pays voisins. Une fois le conflit réglé, les
personnes déplacées revenant chez elles amènent avec elles des habitudes, des convictions, des
stratégies de survie et des maladies, qui ont à leur tour une incidence sur le pays d’origine.
Les populations déplacées entraînent un grand nombre de problèmes politiques, juridiques,
éthiques, sécuritaires et économiques que les pays hôtes, comme la communauté internationale,
ont du mal à résoudre. Les réfugiés bénéficient d’un statut juridique clair, codifié par le droit
international. Leur protection est rendue obligatoire par un organisme spécialisé des Nations
Unies, le Haut Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés (HCR). En revanche, les
personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays restent soumises aux lois de leur pays
d’origine, qui est souvent partie au conflit, et, dans certains cas, à l’origine (directement ou
non) de la violence qui a causé leur déplacement. Des décennies de débats internationaux
n’ont pas réussi à générer un corpus de dispositions juridiques adéquates pour la protection
de ces personnes. Et aucune agence internationale n’a été créée à cet effet, même si, dans
certains cas, le HCR ou un autre organisme intègre dans son mandat la protection des
personnes déplacées. Dans le même temps, de nombreuses données recueillies dans le monde
entier attestent de l’extrême vulnérabilité de ces personnes, en particulier de celles qui vivent
en dehors des camps (Salama et al., 2004). On sait, par ailleurs, que les personnes déplacées
vivant dans des camps, comme au Darfour, ont davantage accès à l’aide, y compris aux soins
de santé, que la population hôte.
Dans certains conflits, des combattants se mêlent aux personnes déplacées afin de se protéger
de leurs ennemis, d’avoir accès à des ressources et d’organiser des opérations militaires.
Les camps sont parfois militarisés par les belligérants, qui profitent de l’aide humanitaire.
Pour éviter le risque de soutenir des acteurs politiques ou militaires, certains organismes
préfèrent mettre un terme à leurs programmes. D’autres acteurs humanitaires choisissent
d’aider les personnes déplacées, même s’ils aident aussi les combattants, et parfois ceux qui
violent les droits de l’homme. Dans ces conditions, il est impossible de distinguer clairement
les civils, les combattants, les acteurs politiques et les criminels.
La relation entre les réfugiés et la population du pays hôte est souvent tendue. Celle-ci peut
avoir du mal à accepter l’assistance privilégiée qu’offrent les organismes internationaux aux
réfugiés, comme au Tchad par exemple. Le non-respect de la loi par les réfugiés peut parfois
73
Module 3
Module 3 Comprendre le contexte passé, présent et futur du pays
74
Analyse du secteur de la santé dans les urgences complexes
Module 3
poser problème : ainsi, la police de Nairobi considère officieusement certains quartiers habités
par les immigrants somaliens comme des zones de non droit. De plus, il est objectivement
difficile de distinguer les personnes qui ont fui des menaces réelles dans leur pays d’origine
des migrants économiques ou des criminels.
Il arrive que les gouvernements des pays hôtes exercent des pressions sur les réfugiés pour
qu’ils rentrent chez eux, même dans des situations de grande fragilité et d’incertitude.
On peut ainsi « encourager » le retour et la réinstallation forcés, et des mesures de
« villagisation », afin de montrer que la crise est finie. Des migrations massives s’opèrent
dans des situations extrêmement difficiles, créant de graves problèmes dans les pays se
relevant d’une crise prolongée, généralement mal équipés pour faire face à cet afflux de
personnes déshéritées. Si l’on entame des activités d’aide à la réinstallation sans assurer
la sécurité de ces populations, on court le risque dangereux d’attirer les populations qui
viennent se réinstaller dans leur village d’origine alors que les conditions de sécurité ne
sont pas rétablies. Par ailleurs, lorsqu’elles apportent une aide d’urgence à des camps, les
organisations humanitaires sont, ou sont perçues comme étant, de « connivence avec une
politique de ghettoïsation de fait » (Slim, 2007).
Il arrive que le rapatriement soit en grande partie spontané, suscité par l’amélioration des
conditions dans le pays d’origine ou par la dégradation de l’environnement dans le pays hôte.
Les organismes spécialisés sont parfois pris au dépourvu par ces mouvements de masse,
comme on a pu l’observer au Mozambique en 1993-1994.
La réinstallation dans le pays d’origine après des décennies passées à l’étranger peut poser
des problèmes considérables. Les régions d’origine peuvent en effet être appauvries par la
sécheresse et l’érosion, et leur infrastructure avoir été détruite. Les mines terrestres peuvent
empêcher la population d’accéder à des terres de valeur, ou rendre la réouverture de certaines
routes impossible. Les droits de propriété foncière peuvent rester inapplicables, en raison
des mouvements de population associés aux hostilités. Il arrive que des cartes d’identité et
des certificats de naissance soient perdus ou détruits.
Étant donné les problèmes qu’elle pose, la réinstallation de populations nombreuses doit être
soigneusement préparée. Les organismes qui y participent et les autorités nationales doivent
y consacrer des moyens suffisants, ce qui n’est pas toujours le cas. Les États optent souvent
pour la passivité et laissent les rapatriés se débrouiller tous seuls. Dans d’autres cas, ils
s’attaquent au problème avec détermination, comme au Rwanda après le génocide.
Les organismes internationaux et les ONG font souvent preuve d’une surprenante incapacité
à comprendre les motivations des réfugiés, et leurs stratégies de retour. Les donateurs mettent
souvent beaucoup de temps à débourser les fonds nécessaires, ce qui induit des retards lourds
de conséquences. En raison de la spécialisation croissante des organismes d’aide, la question
des personnes déplacées risque d’être évincée du débat sur la transition et le relèvement
après un conflit. L’un des éléments les plus importants d’un processus de paix risque ainsi
d’être traité isolément, comme un problème indépendant.
Lorsqu’ils conçoivent une stratégie de relèvement, les décideurs doivent impérativement
accorder la priorité requise à la réintégration des réfugiés et des personnes déplacées à
l’intérieur de leur propre pays. Ils doivent être conscients du fait que les retours en masse
constituent des urgences politiques, sécuritaires et sanitaires, qui doivent être préparées
à l’avance, et dotées des modèles, compétences et ressources appropriés. « […] Le défi
que constitue le retour, la réintégration et la réconciliation requiert bien plus que des
interventions et qu’une aide à court terme de la part des Nations Unies et des autres acteurs
internationaux » (Crisp, 2006). Le retour des personnes déplacées offre l’occasion inestimable
de traiter les problèmes tant qu’ils sont encore gérables. Par exemple, on peut déployer des
activités de lutte contre les maladies à grande échelle, de manière efficiente et efficace, en
tirant parti des mouvements de population et des sites de concentration, qui ont procédé à
des recensements et où il est possible de mener des campagnes de vaccination, de donner des
informations sanitaires, ainsi que de dépister et de soigner les maladies chroniques.
Module 3 Comprendre le contexte passé, présent et futur du pays
75
Politique et gestion de l’information
•
On peut se servir des données relatives à la morbidité/à la mortalité pour justifier, ou se
disculper, des actions politiques/militaires, comme on le voit au Darfour et en Iraq.
•
Il est possible d’exagérer les besoins sanitaires afin de collecter des fonds. Certains
organismes d’aide ont développé de solides compétences dans la collecte de fonds, dont
le déploiement peut influencer la manière dont les décideurs et le grand public perçoivent
la crise.
•
Il est possible de mener des études pour retarder l’action, ou pour justifier les décisions
qui ont été prises. Il est très rare que des décideurs hésitants aient été poussés à l’action
par les résultats d’études qui ont été commandées pour les conseiller. Étant donné la
difficulté de collecter des données solides dans de tels environnements, les études
aboutissent très rarement à des conclusions tranchées. En outre, les risques que comporte
la prise de certaines décisions peuvent conduire au rejet des études, en dépit des
éléments collectés.
•
Les performances des services de santé sont louées ou critiquées en fonction de l’obédience
politique. En Angola, certaines ONG internationales se sont mises à faire l’éloge des
services sanitaires de l’Union nationale pour l’indépendance totale de l’Angola (UNITA)
à une époque où l’accès aux zones contrôlées par les rebelles était fortement restreint.
On s’est aperçu plus tard que les performances de ces services étaient nettement moins
bonnes qu’on ne le pensait.
•
On omet de diffuser les constats gênants, ou bien on les brouille afin de rendre difficile
un examen externe, ou encore on les conteste pour des raisons techniques fallacieuses.
Ainsi, la publication, en 2005, d’une étude sur la mortalité attestant de la gravité de la
situation dans les camps de personnes déplacées dans le nord de l’Ouganda a provoqué
une vive réaction de la part des autorités de ce pays, qui avaient régulièrement tenté de
minimiser l’ampleur de la crise. Le ministère ougandais de la Santé, qui avait participé
à l’enquête, a dû revenir sur ses premières conclusions, qui ont toutefois été largement
confirmées par une autre série d’analyses (Rowley, Altaras et Huff, 2006).
•
Les pays en proie à une crise politique et économique, mais où un État autoritaire tient
fermement les rênes du pouvoir, peuvent aller très loin dans leur déni des problèmes
sérieux en manipulant les statistiques sanitaires et en décourageant l’analyse objective
de l’état de santé de la population et des services sanitaires. Avant l’effondrement de
l’Union soviétique, on ne savait presque rien de la grave crise sanitaire et démographique
qui frappait déjà ce pays. Aujourd’hui, l’étude du secteur de la santé du Myanmar, de
la République populaire de Corée et du Zimbabwe est insuffisante. La rareté des études
de qualité est en soi symptomatique d’un problème sous-jacent, souvent de nature
politique.
Étant donné les intérêts et les programmes des parties qui produisent l’information qui
circule dans des contextes de crise, il est impératif de consulter des sources multiples et d’en
comparer les données. Les conclusions doivent toujours être examinées de près et revues
fréquemment. Voir le Module 2. Donner un sens (approximatif) à des données (bancales) et
l’Étude de cas n° 4 pour une analyse de cette question.
Module 3
Dans un contexte de crise d’ordre politique, l’information est toujours biaisée (lorsqu’elle
n’est pas purement et simplement falsifiée) afin de servir les intérêts des parties impliquées.
L’information est par nature litigieuse. Ainsi :
• Il est possible de gonfler les données relatives à la population en vue d’obtenir davantage
d’aide alimentaire et non alimentaire, ou de les sous-estimer afin de réduire l’aide fournie
aux zones ennemies. Pour une discussion sur les estimations relatives à la population,
voir le Module 4.
76
Analyse du secteur de la santé dans les urgences complexes
Le rôle des médias internationaux
Module 3
L’intensité de la couverture médiatique dépend d’une combinaison de facteurs. Certains
ingrédients sont nécessaires pour que la crise fasse du bruit : facilité d’accès des journalistes
étrangers, transmission rapide des reportages vidéo, forte caractérisation (réelle ou artificielle)
des belligérants, rapidité des événements, implication de ressortissants de pays occidentaux,
séquences filmées dramatiques, ou encore détails exotiques qui retiennent l’attention.
Les conflits prolongés et chaotiques qui font rage dans des zones difficiles d’accès et qui sont
complexes à expliquer à un public occidental n’obtiennent pas la visibilité qu’ils méritent.
Malgré la disponibilité de données fiables attestant de la gravité choquante de la crise, le
conflit qui déchire la République démocratique du Congo n’a jamais atteint le devant de
la scène. L’aide allouée à ce pays est restée très inférieure aux niveaux qu’exigerait une
évaluation objective des besoins. En revanche, l’éruption du volcan Nyiragongo, en 2002,
qui a causé moins de cent décès, a reçu une couverture médiatique exceptionnelle.
Les intérêts politiques, sécuritaires et économiques qui ont des conséquences pour les pays
riches renforcent la couverture médiatique, qui à son tour peut renforcer l’attention des pays
riches. En outre, certaines crises peuvent bénéficier d’une couverture étendue non pas en
raison des souffrances humaines qu’elles induisent, mais en raison des vives préoccupations
qu’elles suscitent chez un public occidental, comme les dégâts causés à l’environnement ou
la menace terroriste. Par ailleurs, les crises potentielles n’attirent généralement pas l’attention
des médias. Les actions de prévention des crises sont peu susceptibles de donner lieu à des
anecdotes intéressant l’opinion publique des pays riches. Les opérations les plus réussies
risquent ainsi de passer inaperçues.
Selon certaines recherches empiriques, l’effet CNN n’influe de façon décisive que dans
certains cas sur les décisions des donateurs, généralement en l’absence de politiques claires
des donateurs ou lorsque les pays concernés présentent un faible intérêt stratégique (Olsen,
Carstensen et Hoyen, 2003). La malheureuse intervention américaine en Somalie en 1992,
encouragée par la couverture médiatique de la famine sous-jacente, semble constituer
l’archétype d’une opération mal conçue, à laquelle il a été rapidement mis un terme en raison
des difficultés grandissantes. Dans la plupart des cas, la réaction des autorités nationales
aux crises humanitaires suit une logique politique, sécuritaire et économique, et les médias
réagissent aux décisions des hommes politiques. L’extraordinaire visibilité de l’Iraq, causée
par les intérêts des pays riches et par la controverse qui a précédé cette guerre, illustre
ce lien.
Les pressions exercées par l’opinion publique peuvent pousser les autorités nationales peu
désireuses de déployer des instruments politiques, militaires et économiques à se limiter à
des interventions de secours. Par leur manière de présenter les choses, les médias peuvent
influencer la réaction à une situation d’urgence complexe. Présenter une crise politique
comme un problème de sécurité alimentaire encouragera les autorités nationales à choisir des
mesures « douces », comme des opérations purement de secours. À l’inverse, la campagne
aérienne de 1999 contre la Serbie au-dessus du Kosovo, clairement motivée par de solides
intérêts sécuritaires, a été présentée par les médias occidentaux comme une intervention
humanitaire (Olsen, Carstensen et Hoyer, 2003). Une fois qu’une certaine interprétation des
faits a été largement acceptée, elle risque de perdurer même si des données la remettent
en question. Bien souvent, les médias commencent par créer, avant de renforcer, des
constructions particulières qui simplifient généralement à l’excès la réalité. Opposer le nord
musulman au sud chrétien pour expliquer la longue guerre qui a ravagé le Soudan est un
exemple d’interprétation trompeuse.
La relation entre les organismes d’aide et les médias est délicate. D’un côté, les acteurs
de terrain, qui ont une bonne connaissance de la crise et de ses subtilités, estiment que
la couverture médiatique des conflits est rarement satisfaisante, voire souvent carrément
faussée. Quels que soient les faits qui sont présentés aux journalistes, ils risquent fort d’être
traités de manière à devenir une histoire qui plaira au public du média en question. Dans des
contextes particulièrement controversés, comme celui des Balkans ou du Moyen-Orient,
la manipulation des faits peut être omniprésente. Les stéréotypes sont monnaie courante,
également en ce qui concerne les opérations d’urgence : « Le secours est soit héroïque soit
défaillant, il n’y a rien entre les deux » (cité dans Fédération internationale des Sociétés de
la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge, 2005).
Par ailleurs, les organismes d’aide et les ONG courtisent l’attention des médias dans leurs
opérations d’information et de sensibilisation, ainsi que dans leur quête de soutien et de
visibilité. Ils recourent de plus en plus à des experts en communication afin d’interagir avec
les médias sur une base professionnelle. Les organismes ont défini des instructions et des
procédures à l’intention de leur personnel sur la manière de se comporter avec les journalistes.
Ils reconnaissent donc l’impact des médias sur les opérations humanitaires. En réalité, la
couverture médiatique influe sur les niveaux de financement et la répartition des organismes
des Nations Unies et des ONG dans un pays ou une région en crise, indépendamment
des véritables besoins de celui-ci ou de celle-ci. Les principaux organismes et ONG, en
particulier ceux qui sont fortement dépendants du soutien privé, sont généralement très à
l’affût des médias.
La capacité de lobbying des acteurs humanitaires, leur présence lors d’une crise et l’intensité
de la couverture médiatique sont interdépendants, et tributaires des intérêts préexistants des
donateurs. La crise du Darfour offre un exemple éloquent de l’imbrication des programmes
politiques, des intérêts économiques, des opérations de secours et du pouvoir des médias.
La politique de l’aide humanitaire
À première vue, les statistiques récentes sur les situations d’urgence complexes sont rassurantes.
Au cours de ces dernières années, mais surtout depuis 2002, le nombre de conflits armés a
fortement reculé, principalement en Afrique subsaharienne, de même que celui des morts au
combat (de près de 40 %), et des coups d’État militaires réussis ou avortés (qui sont passés de
10 en 2004 à 3 à peine en 2005) 2 . Dans le monde entier, 31 conflits armés dans lesquels l’État est
l’un des belligérants ont été répertoriés en 2005, dans 23 pays (Human Security Centre, 2007).
Avec la fin de la guerre froide, la manière dont les guerres sont menées et se terminent a
radicalement changé : les nouveaux conflits éclatent plus souvent au sein d’un même pays
qu’entre deux pays, et les règlements négociés sont aujourd’hui plus courants que les victoires
militaires. Cette tendance globale positive est toutefois tempérée par des aspects négatifs : les
guerres qui se terminent par un règlement négocié sont en moyenne trois fois plus longues
et deux fois plus susceptibles de reprendre sous cinq ans que celles qui se soldent par une
victoire militaire (Human Security Centre, 2007). En outre, les décès « indirects » parmi les
civils, qui sont de plus en plus la cible des violences, sont en progression. Selon l’étude de
l’International Rescue Committee (IRC) effectuée en République démocratique du Congo
(2003), on compte 50 décès indirects pour une mort violente liée au combat.
À l’inverse de la tendance baissière des situations d’urgence complexes, le nombre de
catastrophes naturelles 3 est en progression : 689 catastrophes ont été rapportées en 2003,
727 en 2004 et 744 en 2005. Sur la décennie 1996-2005, on signale une augmentation du
nombre de personnes touchées ou tuées par des catastrophes : respectivement 2,5 milliards et
935 000, contre 1,9 milliard et 505 000 sur la décennie précédente (Fédération internationale
des Sociétés de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge, 2006).
2
Les données sur les morts au combat et le nombre de conflits armés émanent de Human Security
Brief 2006 (Human Security Centre, 2007), celles sur les réfugiés de www.unhcr.org, celles sur
les personnes déplacées dans leur propre pays de l’Internal Displacement Monitoring Centre
www.internal-displacement.org, et celles sur les coups d’État militaires de l’Heidelberg Institute
for International Conflict Research.
3
Selon le rapport de la FISCR, les catastrophes sont uniquement déclenchées par une cause
naturelle ou technologique et n’englobent pas les guerres, les famines, les maladies ou les
épidémies liées à un conflit.
77
Module 3
Module 3 Comprendre le contexte passé, présent et futur du pays
78
Analyse du secteur de la santé dans les urgences complexes
Module 3
En valeur absolue comme en chiffres relatifs, l’aide humanitaire affiche une progression
constante et régulière depuis quelques années. En 2005, elle se montait à US $8,7 milliards 4 ,
soit environ 8 % du total de l’aide publique au développement (APD) accordée par les membres
du Comité d’aide au développement (CAD) de l’OCDE, qui se compose principalement des
pays occidentaux riches (Organisation de Coopération et de Développement économiques,
2006). La contribution des pays non-CAD (essentiellement d’Europe centrale, d’Asie et du
golfe arabo-persique) au financement humanitaire est plus difficile à évaluer, mais selon
Harmer et Cotterrell (2005), elle pourrait aujourd’hui représenter jusqu’à 12 % de l’aide
humanitaire publique mondiale, ce qui ajouterait un milliard de dollars au total.
Si le système humanitaire bénéficiait de davantage de ressources, d’une plus grande facilité
pour les déplacements et l’expédition de marchandises, ainsi que d’une plus longue expérience
des organismes et des individus dans le traitement des situations d’urgence, il serait globalement
mieux à même de répondre aux crises. De nouveaux défis et de nouvelles tensions sont toutefois
apparus dans le monde entier. Le système humanitaire souffre de faiblesses et de distorsions
chroniques. Par exemple, l’augmentation des ressources allouées à l’aide humanitaire est, dans
l’ensemble, faussée par des biais plus forts, au profit de situations qui sont au cœur des intérêts
politiques occidentaux. Ce n’est pas nouveau : l’aide a toujours été politisée.
L’impartialité, qui sous-entend la proportionnalité (c’est-à-dire l’impératif que l’aide soit
allouée en fonction des besoins) constitue le principe premier et peut-être le plus fondamental
de l’humanitarisme : l’impératif humanitaire. Dans la pratique, néanmoins, l’aide n’a jamais
été sourde aux intérêts du donateur, qu’il veuille s’assurer une influence, des conditions
commerciales favorables ou bien des ressources stratégiques. D’après des études récentes, le
système humanitaire dans son ensemble dissocie de plus en plus son impératif humanitaire
de la réponse qu’il apporte aux besoins mondiaux (Vaux, 2006 ; Cosgrave, 2004 ; Christian
Aid, 2004). Le tsunami, le tremblement de terre au Cachemire et l’ouragan Katrina aux
États-Unis montrent clairement que les catastrophes naturelles soudaines captent largement, et
souvent disproportionnellement, l’attention du monde entier et les financements des donateurs.
L’aide accordée pour le tsunami a été si volumineuse que certains organismes ont dû refuser des
fonds car ils étaient incapables de les absorber. La générosité que l’on peut observer dans les
situations d’urgence très visibles s’opère toujours aux dépens d’autres crises. Ainsi, les situations
d’urgence complexes, comme en République démocratique du Congo, les catastrophes comme la
récolte désastreuse au Niger et au Sahel au premier semestre 2005, ainsi que la sécheresse qui a
récemment frappé dans la Grande Corne de l’Afrique, ont reçu beaucoup moins de financements,
alors qu’elles ont fait beaucoup plus de morts et détruit les moyens de subsistance de populations
plus nombreuses. Dans les pays déchirés par la guerre, il est fréquent que le niveau de l’aide soit
élevé, mais cette aide n’est ni universelle ni attribuée uniformément.
Il n’existe pas de méthode simple pour opérer un suivi des flux d’aide humanitaire.
La procédure d’appel global des Nations Unies ne recense ni tous les besoins ni tous les
financements, car certains organismes ne participent pas à cette procédure et les donateurs la
contournent souvent en partie. Smillie et Minear (2003) estiment que cette dernière agrège
en moyenne seulement 60-70 % des financements des donateurs. Cependant, étant donné le
manque d’informations synthétisées, les appels globaux servent toujours d’approximation du
niveau mondial de financement humanitaire. Pour 2007, US $3,9 milliards (environ la moitié
du financement humanitaire estimé total) ont été débloqués à la suite d’appels pour treize
crises, qui ont touché 27 millions de personnes dans 29 pays (Bureau de la coordination des
affaires humanitaires, 2007). Deux pays ont réclamé une part considérable de ce financement :
le Soudan en a réclamé 30 % et la République démocratique du Congo 22 %.
Parallèlement à la procédure d’appel global des Nations Unies, le Fonds central d’intervention
pour les urgences humanitaires (CERF) a été créé. Il s’agit d’une facilité d’appui pour un
4
Cette augmentation peut en partie s’expliquer par l’importance de l’aide débloquée pour les
victimes du tsunami.
décaissement rapide en cas de crise soudaine et pour le financement de situations d’urgence
chroniques et sous-financées. En 2006, le financement au titre des appels globaux (appels
communs et appels éclair) a couvert 63 % des besoins, soit une augmentation considérable
par rapport aux deux années précédentes, où la couverture atteignait 55 %. Cependant,
le financement du secteur présente toujours des déséquilibres majeurs : si près de 90 % des
besoins en nourriture sont couverts, ce n’est le cas que de 26 % des besoins en soins de santé.
Pour les définitions des mécanismes de gestion de l’aide, veuillez vous reporter au tableau
correspondant dans le Module 14. Ressources.
Certaines crises reçoivent une attention extraordinaire de la part des donateurs pendant
une courte période et retombent ensuite dans l’oubli, lorsque d’autres pôles d’attraction
apparaissent. Ainsi, certaines zones de conflit, comme le Kosovo ou les territoires palestiniens
occupés, bénéficient d’une aide importante et d’autres, comme la Somalie et le Soudan (à
l’exception du Darfour), reçoivent beaucoup moins d’attention. Les flux d’aide oscillent
souvent fortement. La région africaine des Grands Lacs en 1994-1995, le Kosovo en 19992000, l’Afghanistan en 2002 et l’Iraq en 2003 ont bénéficié d’une générosité des donateurs
à son apogée. À l’heure de la mondialisation, les crises sont interconnectées. Certaines
situations d’urgence deviennent bruyantes tandis que d’autres restent silencieuses. L’écart
entre situations bruyantes et situations silencieuses se creuse.
Étant donné la logique politique qui sous-tend l’allocation de l’aide, cette inégalité n’est guère
surprenante. Les problèmes de sécurité, l’accès aux ressources stratégiques et la volonté de
conclure des alliances politiques, ainsi que la présence humanitaire sur le terrain, constituent
d’importants moteurs de l’aide dans le monde. De même, l’humeur du public va et vient, les
gouvernements démocratiques vont et viennent avec des degrés variables de lassitude des
donateurs, et les intérêts se rajustent. Au cours de la dernière décennie, on a vu apparaître
une nouvelle conception de la sécurité qui interprète le sous-développement, l’instabilité
politique, le conflit, le terrorisme, la criminalité, le commerce illégal et les déplacements
de population comme des menaces à la gouvernance mondiale (Duffield, 2001). Les crises
dans les Balkans, en Afghanistan et en Iraq constituent les exemples les plus flagrants de
la convergence de la politique, des interventions militaires et de l’assistance humanitaire
dans le but de poursuivre des objectifs de politique étrangère, grâce aux moyens financiers
considérables apportés par le secteur de l’aide. L’aide humanitaire est devenue, par omission
ou par commission, une arme de plus dans l’arsenal des pays occidentaux.
L’Afghanistan est l’exemple-type de la politisation de l’aide humanitaire, et du passage
cyclique du statut d’urgence silencieuse à celui d’urgence bruyante. Pendant la guerre froide,
l’Afghanistan a reçu une aide substantielle, qui ciblait principalement les régions contrôlées
par la résistance, même si les besoins humanitaires étaient tout aussi importants dans les
régions contrôlées par l’État (Étude de cas n° 3). Lorsque l’Union soviétique s’est retirée en
1989, le pays n’a plus été au centre des préoccupations des pays occidentaux, et les budgets
humanitaires ont été considérablement revus à la baisse (Atmar, 2001). Sous le régime
taliban, l’aide a été assortie de conditions strictes, qui n’ont pas produit les changements
politiques escomptés. Après l’intervention militaire de 2001, le pays a été inondé d’aide.
Par la suite, les donateurs ont donné des signes de lassitude.
En Iraq, les dilemmes déjà rencontrés en Afghanistan ont atteint leur paroxysme (Donini,
Minear et Walker, 2004). Les organismes humanitaires se sont demandé s’il fallait qu’ils restent
pour apporter leur aide dans un environnement contesté. L’aide est en effet apportée par une
force militaire d’occupation, ce qui affecte la perception de sa neutralité, et dans un contexte
de graves problèmes de sécurité. L’impératif de préserver les grands principes humanitaires
de neutralité, d’indépendance et d’impartialité s’inscrit en contradiction avec la nécessité de
s’engager et d’interagir avec les forces de la Coalition, qui ne jouissent d’aucune légitimité
aux yeux d’une grande partie de la population. Les relations des organismes humanitaires
avec l’armée et les entreprises commerciales sont souvent malaisées. Le fait de recevoir un
financement au titre de l’aide humanitaire de la part de pays dont la politique étrangère est
agressive, et qui violent parfois le droit humanitaire, pose également problème.
79
Module 3
Module 3 Comprendre le contexte passé, présent et futur du pays
80
Analyse du secteur de la santé dans les urgences complexes
Module 3
La crise qui a touché la République démocratique du Congo est « la plus meurtrière au monde
depuis la deuxième guerre mondiale ». D’après les estimations de plusieurs études portant sur la
mortalité, entre 1998 et 2007, on y a dénombré environ 5,4 millions de morts de plus que ce que
l’on pouvait raisonnablement attendre (Coghlan et al., 2008). Malgré les preuves collectées sur
les conséquences de cette crise dévastatrice, les donateurs y ont prêté peu attention. En 2005,
les services sanitaires de ce pays ont reçu seulement US $2 à 3 d’aide extérieure par habitant.
Lorsque l’on analyse de près le déséquilibre des flux d’aide, le faux prétexte de
rationalité invoqué par les décisions d’aide des donateurs apparaît au grand jour.
« La communauté internationale est bien loin d’avoir élaboré des réactions appropriées à
la faillite des États, car on ne connaît pas suffisamment les raisons pour lesquelles les États
s’effondrent ou les conflits de prolongent. Les donateurs (et la communauté internationale
en général) font montre d’une surprenante méconnaissance des systèmes et structures
d’incitation des acteurs militaires non étatiques » (Goodhand et Atkinson, 2001).
Les erreurs commises par les donateurs dans le traitement de crises éminemment politiques
peuvent prendre des proportions alarmantes. Les réfugiés rwandais ont reçu une aide
internationale généreuse, alors que des populations dans le besoin ont été complètement
oubliées. En appliquant mécaniquement les critères humanitaires à un contexte monstrueux,
les organismes donateurs ont apporté de l’aide aux auteurs du génocide, qui s’étaient
dissimulés parmi les réfugiés. Les survivants des massacres qui sont restés chez eux n’ont eu
que les miettes de l’aide apportée par les donateurs. La neutralité humanitaire a été invoquée
pour justifier cette injustice massive.
En présence d’un conflit d’intérêt marginal qu’ils comprennent mal, les pays riches préfèrent
bien souvent recourir aux instruments de politique « par défaut » dont ils disposent, c’està-dire l’aide, qui est attribuée à distance par le biais d’intermédiaires, afin d’occulter un
réel désengagement. Il n’est pas surprenant de constater que cette approche prudente et
insensible au contexte ne parvient que très rarement à résoudre un conflit, ou même à l’atténuer.
Il est même arrivé qu’elle prolonge la situation d’urgence politique complexe à laquelle
les donateurs prétendaient remédier. Ou bien, la mauvaise conscience des donateurs qui ne
veulent pas s’attaquer à un conflit de nature politique, comme c’est le cas dans les territoires
palestiniens occupés, peut conduire à une profusion durable de fonds.
La popularité des pays auprès des donateurs peut fortement varier, comme on a pu le constater
au Mozambique dans les années 1980, lorsque le gouvernement a adopté les principes du
libéralisme économique et s’est lancé dans un processus d’ajustement structurel largement
acclamé par l’Occident. Les flux d’aide se sont étoffés, et restent généreux à ce jour.
Globalement, les donateurs sont relativement plus généreux envers les pays faiblement
peuplés. En d’autres termes, les allocations de ressources envers les pays ont tendance à
converger en valeur absolue, mais à présenter des différences frappantes une fois ramenées
à leur valeur par habitant (Radelet, 2006).
Dans le secteur humanitaire, on observe une tendance croissante des donateurs à affecter leur
aide, qui correspond avec le repli mondial des contributions aux organismes multilatéraux.
Les pays donateurs veulent s’assurer de la sorte que leurs objectifs stratégiques/politiques
seront atteints. L’affectation des fonds à certains projets, certains pays, certains secteurs ou
certaines catégories de population réduit la flexibilité de l’allocation des ressources à des
besoins urgents et/ou nouveaux. En outre, l’augmentation des financements extrabudgétaires
par rapport aux financements réguliers permet à un donateur de renforcer son contrôle sur les
organismes d’exécution. On risque en conséquence d’assister à un creusement des inégalités
dans l’allocation de l’aide (Randel, German et Ewing, 2002).
Modèles d’aide
L’aide extérieure joue un rôle important dans nombre de crises graves. Le niveau et les
caractéristiques du soutien apporté par les donateurs varient fortement d’un pays frappé
par la violence à l’autre, ce qui appelle à une étude précise de chaque contexte. Tant les
partisans que les détracteurs de l’aide ont tendance à en exagérer les effets. Avant de tirer
des conclusions hâtives sur l’influence de l’aide sur les processus d’un pays, il convient de
Module 3 Comprendre le contexte passé, présent et futur du pays
81
considérer le niveau de l’aide en relation avec la taille et la nature de l’économie. Il n’est pas
surprenant de constater que, d’après le ratio de l’aide sur le RNB par habitant, les donateurs
occupent une place prépondérante au Mozambique et en Cisjordanie/Bande de Gaza, mais
assez marginale en Angola et au Soudan.
RNB par
habitant
Année
Aide par
habitant
Année
Aide/RNB
Angola
500
2001
23.3
2000
5%
Cambodge
280
1997
29.8
2000
11%
1,217
2001
275
2001
25%
Mozambique
180
1997
57.0
1997
33%
Rwanda
220
1997
29.1
1997
15%
(Nord) Soudan
330
2001
7.2
2000
2%
Pays/Territoires
Cisjordanie et Bande
de Gaza
Sources: www.worldbank.org et www.eiu.com.
La distribution de l’aide dans un pays en crise et les parties concernées constituent à
l’évidence un autre aspect clé. Si l’aide peut paraître revêtir une importance marginale dans
le chiffre global pour le pays, elle peut être primordiale pour des acteurs locaux, ou pour
des catégories particulières. Ainsi, au Darfour, l’aide joue un rôle plus important que dans le
reste du Nord-Soudan.
Les schémas d’aide à étudier sont les suivants :
• Volumes agrégés ; sources, bilatérales et multilatérales ; évolution sur la durée. Étant
donné les fluctuations qui caractérisent les flux d’aide, les chiffres qui se rapportent à des
années isolées peuvent être trompeurs. Les moyennes calculées sur la base de plusieurs
années sont nettement plus riches en enseignements.
•
Conditions et restrictions des politiques publiques.
•
Dons ou prêts.
•
Échéancier.
•
Nature de l’aide :
a. humanitaire : elle est souvent accordée en nature (par exemple des denrées
alimentaires lors d’une famine), et transite généralement par des organismes
multilatéraux avant de parvenir aux ONG.
b. « aide au développement » : cette catégorie vaste et composite englobe de volumineux
prêts à l’investissement, ainsi que des interventions locales plus restreintes visant à
la prestation des services et le renforcement des capacités.
c.
soutien macro-financier (souvent lié à un programme d’ajustement
structurel) : il est apporté au pays bénéficiaire par les donateurs ou les établissements
de crédit.
•
Cible : générale ou sectorielle. Il faut étudier la composition de l’aide allouée aux
différents secteurs : soutien à l’armée, aux secteurs sociaux, aux secteurs productifs
(agriculture, activités manufacturières, etc.), au développement des infrastructures (routes,
voies ferrées, ports, etc.), aux réseaux collectifs et autres services. Dans nombre de pays,
la santé reçoit une part relativement importante de l’aide totale, comprise entre 5 et 15 %.
•
Voies par lesquelles passe l’aide : le Trésor, les organismes d’aide, les ONG, etc.
L’aide peut transiter par des structures étatiques lorsque la communauté internationale
reconnaît le gouvernement et le considère comme digne de confiance. Les donateurs
qui considèrent qu’un gouvernement est illégitime (comme les talibans en Afghanistan)
Module 3
Le revenu national brut (RNB) et l’aide par habitant
dans les zones déchirées par la guerre (US$)
82
Analyse du secteur de la santé dans les urgences complexes
ou qu’il ne dispose pas de la responsabilité ou de la capacité financières, préfèrent faire
passer l’aide par les ONG ou les organismes multilatéraux.
•
Les organismes de gestion de l’aide : dans certains cas, les fonds provisoires, gérés
par des organismes multilatéraux, peuvent être chargés de canaliser l’aide. Ces fonds
provisoires sont courants dans des situations de profonde désorganisation de la gestion
financière, ainsi que lorsqu’une nouvelle administration publique doit être instaurée.
Dans ces cas, les fonds transitoires remplacent un budget de l’État absent ou paralysé.
Certains pays bénéficiaires ont établi des organes interministériels de contrôle ou de
gestion. D’autres flux d’aide sont négociés directement entre le financier (organisme
donateur, banque, ONG) et le ministère bénéficiaire.
Module 3
Dans de nombreux pays, le système des Nations Unies compile des statistiques sur les flux
d’aide, y compris ceux couverts par la procédure d’appel global. Le Programme des Nations
Unies pour le Développement (PNUD) produit des rapports-pays annuels. Ces derniers, ainsi
que des documents analogues, sont souvent difficiles à interpréter, en raison de multiples
problèmes qu’il est toujours difficile de surmonter :
• Il est difficile de différencier les promesses, les engagements et les décaissements, qui
évoluent souvent rapidement, car les donateurs ajustent ou modifient leurs contributions.
•
Le financement apporté par les donateurs est souvent additionné aux fonds gérés par les
organismes d’exécution. La double comptabilisation constitue un risque constant.
•
La couverture est toujours incomplète.
•
Des disparités dans les cycles de programmation, les formats de budget et les activités
mettent en péril la cohérence des ensembles de données, ce qui rend toute déduction
périlleuse.
•
La classification peut être dictée par des décisions politiques ou de procédure : c’est plus
par commodité qu’en fonction de son contenu que l’on parlera « d’aide humanitaire »
ou « d’aide au développement ». L’aide peut être présentée comme de l’aide d’urgence
(indépendamment de ses aspects techniques) par des donateurs réticents à conférer une
légitimité politique aux pays ou acteurs bénéficiaires. Dans des situations particulièrement
contestées, comme la Cisjordanie et la Bande de Gaza, la classification de l’aide peut
évoluer au fil du temps, selon les sensibilités politiques.
L’Autorité de coordination de l’assistance de l’Afghanistan (Afghan Assistance Coordination
Authority) de l’État islamique transitoire d’Afghanistan a établi, avec le soutien du PNUD,
une base de données concernant l’aide apportée par les donateurs (Donor Assistance
Database). Cette base est considérée comme une avancée majeure en termes de précision,
d’exhaustivité et de rapidité, par comparaison avec les tentatives qui ont eu lieu précédemment
dans d’autres pays en crise. Voir le Module 6 pour une discussion complète des aspects
financiers. L’Annexe 6a traite en détail des subtilités de l’étude des flux d’aide destinés au
secteur de la santé.
La prise de conscience croissante de la fragmentation produite par les flux d’aide dans les
pays pauvres a donné naissance à plusieurs approches intégrées : programmes consolidés
d’aide humanitaire, procédures d’appel global, évaluation des besoins post-conflit, matrices
de résultats transitionnelles, bilans communs de pays, rapports sur le développement
humain, documents de stratégie pour la réduction de la pauvreté. Ces approches peuvent
être employées successivement dans un même pays, voire se chevaucher. Il est courant que
les travaux effectués pour un processus donné ne soient pas utilisés pour les autres. Des
capacités et des ressources sont donc régulièrement gaspillées. Chaque analyse/programme
devient une fin en soi, faisant appel à une foule de consultants et détournant l’attention de la
mise en œuvre des actions proposées par l’exercice précédent.
La décentralisation dans un pays en crise
Parmi les mesures destinées à améliorer le fonctionnement des secteurs publics, la
décentralisation est vivement encouragée. La délégation de pouvoirs et de ressources peut
constituer un élément central d’un accord de partage du pouvoir, visant à mettre un terme à un
conflit. Elle atténue les difficultés que rencontrent la plupart des pays instables. Il arrive que
le conflit divise le pays en plusieurs zones ou qu’il affaiblisse l’État central au point que celuici ne contrôle plus que la capitale. Il se peut que les zones périphériques aient acquis par la
violence une autonomie totale, et certaines d’entre elles peuvent aspirer à l’indépendance.
La « décentralisation », la « délégation de pouvoirs », la « déconcentration » sont des concepts
qui n’ont pas grand sens en l’absence d’un État central fort. C’est pourquoi il semble étrange
qu’elles soient si vivement encouragées par les nouveaux conseillers. Les gouvernements
fragilisés, dont la principale préoccupation est la survie puis la récupération des fonctions
essentielles de l’État, sont totalement indifférents aux charmes de la décentralisation. L’État
central hésite généralement beaucoup à transférer des ressources et des capacités substantielles
à des autorités périphériques qui peuvent tomber sous le contrôle de leurs anciens ennemis.
Dans certains cas, comme en Angola et au Soudan, les tentatives de décentralisation des
fonctions publiques ont été interprétées comme une stratégie de la part de l’État central
pour se défausser de certaines responsabilités, plutôt que pour déléguer des pouvoirs et des
ressources. Dans d’autres cas, les autorités louent la décentralisation pour la forme afin de
calmer les demandes des donateurs. Au Soudan, la Banque mondiale a conclu que « dans le
cadre de la stratégie de décentralisation de l’État (1992), la fourniture de services essentiels,
comme l’éducation, la santé, l’assainissement, le réseau routier local et l’agriculture, a été
déléguée aux États et aux autorités locales, qui n’avaient ni les moyens financiers, ni les
capacités administratives pour s’acquitter de ces tâches » (2003).
Par ailleurs, lorsque le partage du pays est établi, une structure fédérale peut apparaître comme
l’unique solution efficace avant l’indépendance totale de régions qui bénéficient déjà d’une
autonomie complète. Ceux qui négocient un règlement fédéral doivent offrir des avantages
réels aux régions dissidentes afin de les maintenir sous une structure étatique commune.
Dans le même temps, il convient de définir clairement les mandats du gouvernement fédéral
et des États fédérés, ainsi que leurs interfaces, afin d’éviter le plus possible les abus et les
méprises. Il n’est pas surprenant de constater que rares sont les conflits qui sont réglés grâce
à des accords fédéraux qui fonctionnent.
Pour qu’elle soit fructueuse, la décentralisation a besoin d’un État central fort, d’un secteur
public opérationnel, de dispositions administratives claires, de ressources adéquates pour
permettre aux entités locales d’assumer leurs fonctions, d’une société civile vivante, du
respect de la loi et de la capacité à gérer pacifiquement des intérêts conflictuels. Or, toutes
ces conditions sont ostensiblement absentes dans une crise prolongée. Pendant une période
de transition, dans la plupart des cas, la grande priorité semble être la refonte des fonctions
essentielles de l’État central. Les dispositions de partage du pouvoir présentes dans certains
accords de paix empêchent l’émergence de systèmes de gouvernance forts.
Les partisans de la décentralisation rétorquent que les griefs ne seront apaisés que si
l’on accorde des pouvoirs suffisants aux victimes de l’injustice. Ainsi, ils voient la
décentralisation comme un élément pivot de la consolidation de la paix. Cet argument vaut
dans les conflits dont l’origine est fermement ancrée dans l’oppression (réelle ou perçue)
exercée sur d’autres par un groupe qui contrôle l’appareil d’État. Dans ce cas (Timor-Leste,
Érythrée), au lieu de se solder par l’autonomie au sein du cadre étatique précédent, la crise
débouche sur l’indépendance. Dans nombre de conflits portant sur les ressources, une
véritable décentralisation ne reconnaîtrait que ceux qui se sont emparés du pouvoir local par
la violence, paralysant l’État unitaire et excluant toute mesure de redistribution.
Événements clés d’une crise prolongée
Il est généralement utile, tant pour l’analyste que pour les lecteurs de l’analyse, de dresser
la chronologie des événements qui ont frappé un pays et de l’évolution de son secteur de
la santé. Cette chronologie peut être esquissée au début de l’analyse et puis complétée
progressivement, à mesure que l’on acquiert des connaissances et que l’on comprend mieux
la crise. L’exemple ci-dessous a été actualisé d’après Pavignani et Colombo (2001).
83
Module 3
Module 3 Comprendre le contexte passé, présent et futur du pays
84
Analyse du secteur de la santé dans les urgences complexes
Chronologie simplifié du secteur de la santé en Angola
Année
1961–1975
1975
1975–1991
1991
Généralités
Indépendance
Nationalisation des services de santé
Adoption officielle des soins de santé
Deuxième guerre
primaires, mais fragmentation verticale rapide.
(avec la participation de
l’Afrique du Sud et de Cuba). Les progrès sont lents. Les politiques
publiques annoncées ne sont qu’en partie
Planification centralisée.
mises en œuvre. Les services ne sont pas très
utilisés. De profondes inefficiences freinent le
Déclin économique.
développement du secteur.
Accords de Bicesse.
Module 3
Des réformes politiques et
économiques sont lentement
engagées (à compter de
1987) mais jamais
renforcées.
1992
Aspects liés à la santé
Première guerre
(anticoloniale)
Élections générales.
Les organismes d’aide et les ONG élargissent
le volume et la portée de leurs activités.
La pratique médicale privée est autorisée.
Des éléments de déréglementation
apparaissent.
1992-1994
1994
1994-1998
Troisième guerre.
Urgence humanitaire qui
touche des millions de civils.
Aggravation de la crise
économique. Hyperinflation.
Pertes humaines massives et destructions
matérielles importantes.
Les services de santé se cantonnent aux villes
contrôlées par l’État.
Protocole de Lusaka.
No-war, no-peace (ni paix ni
guerre). Échec des
tentatives de stabilisation de
l’économie. Expansion de
l’économie informelle.
Expansion modeste des services de santé,
essentiellement tirée par les donateurs et les
ONG. Quelques progrès dans les régions
contrôlées par l’UNITA, où les services sont en
partie intégrés. Généralisation de la
déréglementation et de la privatisation
(formelle et informelle).
Le ministère de la Santé adopte une politique
de laissez-faire. Les provinces et les districts
acquièrent progressivement de l’autonomie.
Quatrième guerre.
Le gouvernement obtient
un avantage militaire
substantiel.
Retour aux opérations d’urgence dans les
zones en guerre mais qui restent accessibles.
Vaste afflux de personnes déplacées dans des
zones contrôlées par le gouvernement, qui ont
été fortement élargies. L’UNITA prend en
charge les services de santé au niveau
national.
2002
Jonas Savimbi, leader de
l’UNITA, est tué. Un cessezle-feu est signé par la suite.
Réinstallations massives de population après
le cessez-le-feu. On trouve des populations
auparavant inaccessibles dans un état
nutritionnel et sanitaire déplorable.
2003-2006
Normalisation progressive.
Croissance économique, en
grande partie alimentée par
la manne pétrolière.
Lente reprise du secteur de la santé, soutenue
par un financement public fortement accru.
Absorption du personnel de santé de l’UNITA.
1998-2000
Le futur contexte national: conséquences pour le secteur de
la santé
Les choix opérés par les dirigeants du pays et leurs partisans ou opposants étrangers à la
fin d’une période de turbulence prolongée exercent une influence prépondérante sur le
développement du secteur de la santé. D’après le modèle néolibéral dominant, les donateurs
occidentaux s’attendent à ce que tous les pays qui sortent d’une crise adoptent un ensemble
classique de mesures : démocratie représentative, marché concurrentiel, État rationnalisé
mais agile, administration décentralisée, rôle élargi pour les acteurs privés et la société
civile, intégration accrue dans l’économie et la culture mondiales. Le fédéralisme est une
option souvent recommandée aux pays vastes et pluriethniques.
Les pays en voie de relèvement reçoivent une instruction implicite : le modèle dominant
a prouvé sa supériorité sur les autres. Il doit donc être importé sans hésitation et appliqué
à des pays qui divergent à tous les égards sauf pour leur dépendance vis-à-vis du soutien
étranger. Si une expérimentation est nécessaire, c’est uniquement pour trouver la meilleure
façon d’appliquer le modèle. Les conseillers refusent d’admettre que le modèle standard est
inadapté à la situation de la plupart des pays qui sortent d’un conflit prolongé. Ceux-ci se
caractérisent en effet par des niveaux de pauvreté et de morbidité handicapants, par une
pénurie généralisée de compétences, une capacité budgétaire atrophiée, des inégalités
choquantes, des institutions de mauvaise qualité ou inexistantes, l’habitude de bafouer les
droits de l’homme, des clivages ethniques ou religieux, un tissu social déchiré.
De plus, les trains de réformes font la part belle aux aspects techniques, aux dépens du
contenu politique, qui est parfois curieusement minimisé. Dans des environnements
intensément politiques, il n’est tout simplement pas pertinent de se focaliser essentiellement
ou exclusivement sur les questions techniques comme l’efficience ou la durabilité financière.
Les améliorations techniques ne parviendront fatalement pas à remédier aux problèmes
majeurs en jeu. Pour une discussion sur cet aspect crucial dans le contexte palestinien, voir
Giacaman, Abdul-Rahim et Wick (2003).
L’analyse des pays post-conflit matures, comme l’Afghanistan, l’Angola, le Cambodge,
le Mozambique, l’Ouganda et le Timor-Leste, est instructive. Ces pays ont beau annoncer
qu’ils adoptent le modèle occidental, et les pays donateurs n’ont de cesse de louer leurs
progrès, aucun n’a réussi à mettre en œuvre l’ensemble des mesures proposées. Les pays
sur la voie du relèvement présentent des carences en termes de compétences démocratiques,
d’ouverture de l’économie, de lutte contre la corruption, d’imposition de l’État de droit,
d’amélioration des conditions de vie des pauvres ou sur plusieurs de ces aspects. Certains
semblent n’avoir jamais sérieusement essayé d’appliquer le modèle standard, bien qu’ils
aient annoncé des mesures, des stratégies de réduction de la pauvreté, des Objectifs du
Millénaire pour le développement, etc.
Quoi qu’en disent les dirigeants de ces pays et leurs partisans occidentaux, pour formuler
des propositions rationnelles pour le développement du secteur privé, il est nécessaire de
disposer de prévisions réalistes de la situation susceptible d’exister à moyen et long termes.
Comme le montrent en détail les autres modules de ce manuel, les observations suivantes
sont pertinentes pour la plupart des pays en phase de relèvement:
• Longtemps après la fin officielle de la guerre, les politiques publiques adoptées par la
plupart des États sont conditionnées par des limitations financières et tributaires du
soutien des donateurs. La multiplication des sources de financement et des intermédiaires
pèse sur la cohérence des politiques publiques. Grâce au financement concédé pour les
soutenir, les politiques supranationales l’emportent sur les politiques nationales.
•
Les gouvernements faibles, disposant d’une légitimité limitée et qui luttent pour survivre,
sont incapables de lancer des trains de réformes ambitieux et fructueux. Un seul pays y
est parvenu dans le secteur de la santé : le Kosovo, et encore avec des résultats mitigés.
Voir l’Étude de cas n° 7.
•
Le népotisme, les impératifs de la création d’emplois et de l’adhésion populaire
conduisent à l’expansion de la plupart des services publics.
•
La planification rationaliste a souvent abdiqué face aux pressions politiques et aux
intérêts en place.
•
La plupart des pays souffrent de troubles localisés et d’une recrudescence occasionnelle
de violences généralisées, ce qui freine le relèvement, fausse la prise de décisions et offre
des excuses aux hommes politiques réticents à honorer leurs engagements ou incapables
de le faire.
•
La corruption persiste, voire prospère, dans l’environnement de transition.
•
Des traditions administratives archaïques font montre d’une résilience remarquable face
aux tentatives de réforme.
•
La déréglementation domine. La marchandisation de la prestation des soins de santé
s’ensuit.
85
Module 3
Module 3 Comprendre le contexte passé, présent et futur du pays
86
Analyse du secteur de la santé dans les urgences complexes
•
La décentralisation ne parvient pas à prospérer et à s’enraciner.
•
La société civile de la plupart des pays, intimidée ou cooptée par le pouvoir en place, et
dans tous les cas en manque de qualifications et de moyens, ne répond pas aux attentes.
Module 3
Il s’agit d’un environnement bien peu propice à l’instauration d’un secteur de la santé efficace
et équitable. Les responsables des politiques de santé au niveau national et international
doivent être conscients des principales caractéristiques de l’environnement dans lequel ils
opèrent, ainsi que des limites de leur marge de manœuvre effective. Prompts à promouvoir
des objectifs trop ambitieux dans un contexte de ressources et de capacités limitées, les
donateurs n’obtiennent pas de bons résultats.
S’ils étaient réalistes, les responsables des politiques de santé s’écarteraient des solutions
standard encensées par le secteur de l’aide et s’intéresseraient plutôt aux fondamentaux :
l’enveloppe de ressources, le gisement de compétences, l’espace politique pour la prise de
décisions, le contrôle des systèmes de gestion qui façonnent le secteur de la santé et la manière
dont les services sont fournis. En investissant dans l’amélioration des aspects fondamentaux
à long terme, et en se gardant de promettre des gains rapides et faciles (via des campagnes
verticales, par exemple), ils procureront au secteur de la santé les atouts essentiels qui en
favoriseront le développement durable. Le premier de ces atouts est la compréhension des
événements qui se produisent dans le secteur, des tendances sectorielles à long terme, ainsi
que du contexte plus vaste qui façonne et influence la prestation des services de santé.
Pour une analyse constructive de la recherche de solutions différentes et plus adaptées au
développement du secteur de la santé, voir le chapitre B1 du rapport Global Health Watch
2005-2006.
Conseils de lecture
African Rights. Imposing empowerment? Aid and civil institutions in
southern Sudan. Londres (Discussion Paper No. 7), 1995.
Une analyse rafraîchissante, honnête et parfois caustique de l’environnement de l’aide
dans le Sud-Soudan, ainsi que de ses distorsions structurelles. Le contexte spécifique de
cette crise très prolongée est exploré en détail, et les conclusions qui en sont tirées sont
pertinentes pour d’autres situations comparables. Cet ouvrage est une mise en garde sur
les défauts et les limites de l’aide, qu’il ne faut pas oublier lorsque l’on traite de concepts
éculés tels que l’autonomisation, la société civile, la neutralité, le renforcement des
capacités et l’humanitarisme dans un contexte inhospitalier comme celui du Sud-Soudan.
Il préconise de se garder des projets ambitieux de sociologie appliquée et s’en tenir à des
objectifs modestes, message raisonnable qui ne semble apparemment pas être entendu
dans le milieu de l’aide humanitaire.
Collier P. The bottom billion: why the poorest countries are failing and
what can be done about it. Oxford, Oxford University Press, 2007.
Cet ouvrage non technique s’appuie sur plusieurs années de recherches sur la relation
entre le développement, la pauvreté, les conflits et l’aide. Sa lecture est recommandée aux
décideurs politiques et aux praticiens, y compris aux analystes spécialisés dans le secteur
de la santé. Son argument phare est le suivant : ce sont les 20 % des pauvres du monde
entier (le milliard du bas) vivant dans une cinquantaine de pays qui « restent à la traîne et
se désagrègent », qui forment le principal défi du développement. Ces pays sont affectés
par quatre pièges du développement souvent imbriqués : 1) le conflit, 2) l’abondance
de ressources naturelles, 3) l’enclavement et les mauvaises relations avec les voisins et
4) une superficie modeste, associée à une mauvaise gouvernance.
Le conflit constitue probablement le principal piège. Quelque 73 % du milliard du
bas vivent dans un pays qui a récemment connu une guerre civile. La faiblesse du
revenu et la dépendance envers les exportations de produits primaires sont fortement
associées au risque de guerre civile. Seulement la moitié des pays dans lesquels une
guerre civile a pris fin parviennent à maintenir la paix. La guerre civile est « l’inverse
du développement » : elle coûte selon les estimations 2,3 points de croissance économique
intérieure, soit US $64 milliards en moyenne. Mais les turbulences enrichissent certaines
catégories de population, qui manœuvrent pour prolonger le conflit.
Collier remet en cause l’approche de « gains rapides » des OMD et « l’accélération »
de l’aide massive. L’aide comporte des limites substantielles, affiche des rendements
décroissants, et peut même être néfaste, principalement dans un contexte de mauvaise
gouvernance, où elle risque de provoquer des problèmes macroéconomiques graves.
Pour les pays post-conflit, l’aide est « trop peu abondante et arrive trop vite ». Elle est
donc inefficace. L’aide doit être apportée progressivement, accompagner l’amélioration
des institutions, et être maintenue pendant les dix années qui suivent le conflit, afin
d’en réduire au minimum le risque de résurgence. Lorsque la reconstruction commence
avec un gisement très restreint de cadres locaux possédant les qualifications requises,
l’importation d’assistance technique de haut niveau doit l’emporter sur le développement
des capacités locales. Dans un environnement difficile où les risques sont importants, les
coûts de supervision et les coûts administratifs ne peuvent pas être modestes.
Duffield M. Aid policy and post-modern conflict: a critical policy review.
Birmingham, Royaume-Uni, Université de Birmingham (School of Public Policy
Occasional Paper 19), 1998.
Une exploration perspicace et révolutionnaire des principes conceptuels de la politique
de l’aide en relation avec les turbulences affectant une part croissante de la planète. Selon
Duffield, l’hypothèse de base sur laquelle repose une bonne partie de la politique de
l’aide depuis la fin de la guerre froide est erronée. D’après le point de vue dominant, les
nouvelles guerres seraient « dues à la conjugaison de la pauvreté, de la concurrence pour
les ressources et de la faiblesse des institutions. En d’autres termes, elles trouveraient
leur origine dans le sous-développement. Dans le même temps, la violence se diffuserait
grâce aux carences de la communication locale, aux incompréhensions et à la peur de
l’autre ». Ainsi, « on peut favoriser la stabilité par la croissance et un développement
durable, tandis que l’on peut éradiquer la violence politique grâce à l’intégration et à
l’éducation coopératives ».
Réfutant cette hypothèse et les politiques de l’aide directement générées par son adoption,
Duffield explique que la violence politique dans le Sud peut être comprise comme
correspondant à d’autres formes d’économie politique, comme des manifestations
périphériques des pressions de la mondialisation. « Économies parallèles, seigneurs de
guerre, États post-ajustement, sociétés commerciales transnationales et protection des
entreprises privées » sont autant d’éléments interdépendants du monde nouveau qui se
dessine. Acteurs, réseaux et transactions non étatiques constituent les éléments clés de la
postmodernité. Loin de constituer une déviation aberrante et transitoire par rapport à la
voie du développement, la guerre postmoderne risque fort de perdurer et de se multiplier.
Les hommes politiques, les analystes et les travailleurs de la santé gagneraient à accepter
cette sombre perspective, à s’efforcer de comprendre ce désordre durable et à élaborer des
politiques publiques et des instruments d’aide appropriés.
Goodhand J. et Atkinson P. Conflict and aid: enhancing the peacebuilding impact
of international engagement: a synthesis of findings from Afghanistan,
Libéria and Sri Lanka. Londres, International Alert, 2001. Disponible en ligne à
l’adresse suivante : http://www.conflictsensitivity.org/publications/conflict-andaid-enhancing-peacebuilding-impact-international-engagement-synthesis-find,
consulté le 10 janvier 2011.
Analyse sérieuse de la relation entre l’aide et le conflit, et du rôle potentiel de l’aide
humanitaire dans la prévention des conflits et la consolidation de la paix. Les principaux
constats portent sur trois pays ravagés par la guerre, mais s’appliquent à de nombreuses
situations. Cet ouvrage écarte l’inutile débat entre les maximalistes, qui préconisent
87
Module 3
Module 3 Comprendre le contexte passé, présent et futur du pays
88
Analyse du secteur de la santé dans les urgences complexes
l’élargissement des mandats humanitaires pour y inclure des aspects liés au développement
et à la consolidation de la paix, et les minimalistes, désireux de maintenir les activités de
secours proches de leurs principes originaux d’impartialité, de neutralité et d’indépendance.
En revanche, une meilleure compréhension du conflit devrait permettre aux acteurs
d’identifier des approches efficaces, qui se situeront souvent entre engagement politique
et désengagement. Les participants doivent garder à l’esprit un principe crucial : l’aide
peut compléter des mesures politiques, militaires et économiques, dont l’influence sur
l’instauration de la paix est nettement plus importante, mais en aucun cas s’y substituer.
Klein N. The shock doctrine: the rise of disaster capitalism. New York,
Henry Holt, 2007.
Module 3
Une exploration de la relation entre libéralisme économique et catastrophes. Les principes
du libéralisme sont triples : comprimer les dépenses sociales et la responsabilité de l’État,
étoffer le rôle du secteur privé et éliminer les obstacles pour les entreprises et les capitaux
étrangers. Ces mesures ont préparé le terrain de programmes d’ajustement structurel que
les institutions financières internationales imposent à des pays pauvres qui ont cruellement
besoin d’une assistance financière.
Faire passer le libéralisme de la théorie à la pratique s’est révélé, toutefois, plus
difficile que prévu. Les gouvernements, les syndicats et les organisations de citoyens
se sont de plus en plus opposés au démantèlement des programmes de protection
sociale et au licenciement de milliers de fonctionnaires. Pour venir à bout de cette
résistance et introduire les nouvelles politiques publiques, il fallait un traitement
de choc. Pour illustrer sa thèse, Klein revient sur l’histoire récente de la répression
politique violente, de la crise financière et des catastrophes naturelles, avançant que
la « liberté économique » envisagée par les tenants de l’économie libérale avait été
« accouchée par les formes les plus brutales de coercition ».
Le relèvement après une catastrophe naturelle ou un conflit offre des opportunités encore
plus intéressantes que les crises qui durent : non seulement des contrats gigantesques
pour les entreprises privées, comme en Iraq, mais la possibilité de recommencer à zéro,
lorsque la résistance et le contrôle politiques sont faibles. En réalité, des pays ébranlés qui
sortent d’une crise ont non seulement besoin d’aide, mais ils sont aussi gouvernés par des
dirigeants s’appuyant sur une faible légitimité et une souveraineté limitée. Si la crise a été
longue, la base de ressources humaines est appauvrie. Ces pays n’ont pas la capacité de
gérer d’importants volumes d’aide. De nouveaux mécanismes d’aide sont par conséquent
instaurés, comme les Fonds d’affectation spéciale au Timor-Leste, en Afghanistan et au
Soudan. Les pays post-conflit reçoivent aujourd’hui 20 à 55 % du total prêté par la Banque
mondiale, contre 16 % en 1998.
En mettant en évidence les relations entre coups d’État, crises financières, interventions
militaires et catastrophes, cet ouvrage montre comment des mesures similaires ont été
appliquées dans des contextes différents. Les politiques sanitaires qui ne s’appuient sur
aucune donnée concrète, reposent sur des modèles mondiaux et sont imposées par de
puissants acteurs à des pays fragiles en situation de post-conflit s’inscrivent dans ce schéma.
Elles constituent une suite donnée aux réformes de la santé précédemment imposées à la
plupart des pays pauvres avec le même degré de certitude et de piètres résultats, comme
l’on pouvait s’y attendre, ce que n’admettent qu’à contrecœur les apôtres du libéralisme.
Menkhaus K. A «sudden outbreak of tranquility»: assessing the new peace
in Africa. The Fletcher Forum of World Affairs, 28:73-90, 2004.
Cet ouvrage constitue une excellente et brève introduction aux recherches en cours sur les
déterminants politiques, militaires et économiques des « nouvelles guerres » africaines.
Il avance que les Afro-optimistes comme les Afro-pessimistes ne cessent de se méprendre
à propos des crises qui frappent le continent. L’échec de la plupart des initiatives
d’instauration de la paix confirme qu’il est impératif d’appréhender ces conflits autrement.
Les analystes s’intéressent de plus en plus à une interprétation fondée sur l’économie
politique d’après laquelle les guerres africaines servent « non pas à vaincre, mais
Module 3 Comprendre le contexte passé, présent et futur du pays
89
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Fédération internationale des Sociétés de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge. Rapport
sur les catastrophes dans le monde 2006. Genève, 2006.
Module 3
plutôt à créer des conditions de « désordre durable » dont les acteurs clés bénéficieront
économiquement ou politiquement ». Cette interprétation « semble mieux à même
d’expliquer de façon raisonnablement persuasive, parcimonieuse et transnationale la
persistance des guerres en Afrique ».
À propos du recul relatif de la violence en 2002-2004, Menkhaus conclut que de nombreux
facteurs internationaux découragent le retour au conflit ouvert qui avait ravagé le continent
dans les années 1990. Mais il suggère que les « nouvelles guerres » risquent d’être suivies
par « une paix sans réconciliation, des gouvernements d’unité nationale qui ne sont ni
unis ni capables de gouverner, et une violence collective et une criminalité armée qui
remplacent la guerre ouverte, mais ont des effets comparables sur la sécurité humaine ».
Les remarques qui clôturent cette contribution permettent au lecteur de s’y retrouver dans
la littérature consacrée aux conflits qui ont suivi la guerre froide.
90
Analyse du secteur de la santé dans les urgences complexes
Module 3
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92
Analyse du secteur de la santé dans les urgences complexes
Annexe 3
Évaluation des besoins post-conflit
Annexe 3
Le relèvement après un conflit est un processus fragile qui comporte un grand risque de
reprise des hostilités et qui nécessite un engagement international prévisible et de long
terme. Ce sont la réinstauration progressive de la sécurité et de l’état de droit, la réactivation
de processus politiques et le relèvement des moyens de subsistance des populations touchées
qui déterminent la solidité du relèvement.
La plupart des pays ont besoin d’un soutien financier pour remettre en état une infrastructure
dévastée, faire redémarrer et renflouer l’administration publique, procurer des services
de base, faciliter la restauration des moyens de subsistance des populations touchées et
encourager la reprise de l’économie. De plus, de nombreux États ont besoin d’une aide
technique pour réactiver des fonctions grippées ou détruites. Un soutien politique, financier
et au maintien de la paix est selon toute vraisemblance nécessaire pour rétablir la sécurité,
l’état de droit, la justice ainsi que pour que le processus de paix continue d’avancer.
Les périodes de transition se caractérisent par la présence de besoins à la fois humanitaires
et de relèvement, qui doivent être traités par des organismes possédant le mandat et les
capacités adaptés, et adoptant des approches différentes mais complémentaires. De plus en
plus, les organismes se dotent de ces capacités.
Dans la plupart des cas, les pays bénéficiaires manquent de légitimité. Leurs systèmes de
gestion sont faibles et mal équipés pour absorber d’importants flux financiers. Pour répondre
au risque fiduciaire considérable inhérent à ces processus, les donateurs choisissent de plus
en plus de faire transiter les fonds par de nouveaux outils de gestion de l’aide administrés par
des organismes internationaux. Les règlements de conflits complexes peuvent nécessiter des
dispositifs de financement spéciaux comportant différentes lignes de financement, afin de
faciliter l’instauration d’une administration civile, ou de transformer les anciens belligérants
en partis politiques, ou encore pour faire des États les bénéficiaires légaux de l’aide.
La prise de conscience de la fragmentation, et de l’inefficience et de l’inefficacité qui
l’accompagnent, de l’industrie de l’aide a incité la communauté internationale à poursuivre
des approches plus intégrées. Un processus d’évaluation des besoins avec une méthode
standardisée a été élaboré, et est désormais régulièrement appliqué par la Banque mondiale et
le système des Nations Unies au début des processus de relèvement post-conflit. L’évaluation
des besoins post-conflit (Post-Conflict Needs Assessment, PCNA) se présente comme un
exercice complet, par lequel une équipe pluridisciplinaire évalue les besoins prioritaires des
secteurs clés d’un pays en transition ainsi que les interventions et ressources nécessaires
pour répondre à ces besoins. Cette équipe se compose souvent des signataires de l’accord
de paix. Elle fait le point sur les besoins financiers et jette les bases des décaissements, des
mécanismes comptables et de gestion financière. Ses résultats sont présentés à l’occasion
d’une conférence des donateurs, un événement décisif à forte visibilité internationale.
Lors de cette conférence, les organismes donateurs évaluent les estimations de coûts de la
reconstruction, et formulent leurs promesses financières. Pour la méthodologie détaillée de
la PCNA, voir Kiewelitz et al. (2004).
Les PCNA n’ont pas pour vocation d’évaluer objectivement et exhaustivement tous les
besoins, mais plutôt de se concentrer sur les besoins prioritaires auxquels il est réalistement
possible de répondre, étant donné le volume d’aide extérieure (et, le cas échéant, le niveau
de financement interne) susceptible d’être disponible pour aider un pays dans sa transition,
ainsi que la capacité d’absorption et de mise en œuvre existante. Les PCNA s’efforcent
par la suite de répartir le financement prévu de manière équilibrée entre les secteurs.
Dans l’environnement politiquement très sensible des processus de transition, ils sont
censés introduire une certaine dose d’évaluation technique. Par exemple, dans la masse
des chiffres de la population présentés par les parties belligérantes, il faut identifier les
données les moins faussées et s’entendre à leur propos, de telle sorte que les interventions
puissent être conçues et les ressources distribuées de manière équitable.
Annexe 3 Évaluation des besoins post-conflit
93
•
L’exhaustivité des besoins, dans le but de parvenir à un équilibre entre les dépenses
d’investissement et les coûts récurrents.
•
Une division des tâches entre les différents organismes concernés. Ainsi, la Banque
mondiale et le Fonds monétaire international (FMI) s’occupent principalement du
cadre macroéconomique, des grandes infrastructures, des secteurs productifs et du
développement à long terme, tandis que les organismes des Nations Unies se concentrent
sur des besoins de relèvement plus immédiats : soutien à la réintégration des PDI et des
réfugiés, rétablissement des moyens de subsistance des populations affectées, soutien à
la restauration de l’État de droit et fourniture des services sociaux élémentaires.
Les PCNA doivent être adaptées au contexte national, et tenir compte des processus
politiques qui soutiennent la transition, mais aussi faire montre d’une compréhension solide
des réalités nationales. Pour répondre à cet impératif, l’analyse des conflits est devenue un
élément incontournable de l’évaluation.
Cependant, dans la plupart des cas, l’évaluation des besoins doit être réalisée dans des délais
imposés qui sont irréalistes, étant donné les problèmes de sécurité, de logistique, d’accès
politique et d’information. La consultation peut en souffrir, comme ce fut le cas pour la
PCNA du Darfour, auquel les groupes qui n’avaient pas signé l’accord de paix n’ont guère
participé. Pour l’équipe chargée de l’évaluation, la principale difficulté consiste à trouver le
bon équilibre entre les besoins prioritaires des populations touchées, la capacité de réaction
des organismes et des structures de gouvernement, la capacité du pays à absorber et à gérer
les ressources externes, les intérêts de groupes autrefois opposés et les programmes politiques
des principaux donateurs.
Malgré leur nom, les PCNA restent dominées par des préoccupations politiques, comme
le montrent les importants écarts dans l’estimation des besoins entre différentes crises.
Les programmes politiques influencent l’issue d’une PCNA, y compris ceux des anciens
belligérants, qui cherchent absolument à trouver un financement pour leur parti et à
favoriser leurs partisans, ainsi que ceux des principaux donateurs et organismes d’exécution,
motivés par leurs intérêts stratégiques à étoffer leur rôle dans le processus de relèvement.
Officiellement, les PCNA sont des entreprises collaboratives entre la Banque mondiale et
les organismes des Nations Unies. Dans la pratique, les tensions portant sur le leadership,
les postes, les options stratégiques et la maîtrise des fonds futurs sont courantes. Même
si la PCNA n’est pas un appel lancé par des organismes, la concurrence qu’ils se livrent
pour occuper le devant de la scène et l’espace politique est souvent perçue comme une
condition préalable à l’expansion future du financement et aux opportunités opérationnelles.
Pour rassembler tant de forces et de pressions sous un même chapeau, il faut que celui
qui dirige le processus (généralement le coordonnateur humanitaire et résident des Nations
Unies) dispose de pouvoirs considérables au sein du système international de l’aide, ainsi
que de solides capacités diplomatiques.
La PCNA est un processus à forte intensité de main-d’œuvre. Les organismes doivent
réfléchir aux conséquences sur les ressources de leur participation à l’exercice pendant toute
sa durée ainsi qu’aux exigences qu’il impose aux structures fragiles du pays bénéficiaire et à
toutes les parties prenantes, dont l’attention et la capacité sont susceptibles d’être épuisées.
Les coûts d’opportunité de la participation (directe ou non) à des évaluations des besoins qui
durent longtemps peuvent être élevés, au sens où ils peuvent paralyser toute autre activité
concurrente, et potentiellement vitale.
Annexe 3
Les PCNA se composent de plusieurs grands éléments :
• Un délai à court/moyen terme, reposant sur l’identification détaillée de résultats,
de besoins et de coûts prioritaires pour la période qui suit immédiatement un conflit
(généralement deux ans), ce qui coïncide généralement avec le mandat du gouvernement
provisoire avant les élections. Il peut être complété par des éléments s’inscrivant dans
un délai plus long (environ 5 ans) pour des activités dont l’exécution va au-delà de la
période initiale. Le format utilisé s’appelle Matrice des résultats de la transition (et dans
certains contextes Cadre transitionnel axé sur les résultats).
94
Analyse du secteur de la santé dans les urgences complexes
Pour canaliser une partie des fonds alloués par les donateurs au bénéfice des processus
transitionnels, des fonds fiduciaires multidonateurs (MDTF) ont été créés en Afghanistan,
en Iraq, au Soudan et au Timor-Leste (voir Module 8 pour une discussion à ce sujet).
La relation entre les PCNA et les MDTF a incité les participants et les observateurs à penser
que ces derniers sont le bras armé des premiers. En réalité, une PCNA vise l’exhaustivité, elle
cherche à englober l’ensemble des actions jugées nécessaires pour que la transition réussisse,
sans tenir compte des mécanismes de financement à mettre en place pour en assurer la mise
en œuvre. Dans aucun des pays étudiés, les MDTF ne sont devenus le seul instrument par
lequel transitent les fonds des donateurs. Le plus souvent, on rencontre divers mécanismes
qui couvrent les différentes dépenses et fonctionnent selon des modalités diverses.
La diversification du risque semble une option raisonnable dans des environnements
incertains et soumis à des limitations de capacités.
Expériences nationales
Annexe 3
On note d’importantes différences entre les processus. L’évaluation préliminaire des besoins
en Afghanistan, menée en décembre 2001, en préparation de la conférence de Tokyo sur
la reconstruction, constitue un précurseur en la matière. L’expérience acquise ici, et dans
les travaux antérieurs sur le Timor-Leste en 1999, a permis de développer l’approche et
la méthodologie qui seront utilisées plus tard dans les véritables PCNA. L’évaluation de
l’Afghanistan a pâti de limites graves, ce qui était compréhensible en raison du contexte
particulier dans lequel elle a eu lieu. Elle n’a pas pu inclure, sauf à la toute dernière étape
et seulement pour la forme, le gouvernement transitoire de l’Afghanistan, qui n’a pris ses
fonctions que tard dans le processus. Elle a recoupé d’autres processus de planification
nationaux, sécuritaires et humanitaires. Étant donné les problèmes de sécurité qui prévalaient
dans le pays, une grande partie du travail a été réalisée au Pakistan, où se trouvait le siège
de la plupart des organismes d’aide. La participation de nombreux organismes des Nations
Unies a été limitée et la méthodologie retenue n’était que provisoire. Enfin, l’évaluation
des besoins a été rapidement remplacée par le cadre de développement national (National
Development Framework) élaboré par le gouvernement afghan en 2002, qui a repris une
partie des constats de l’évaluation.
La PCNA relative à l’Iraq (juillet-septembre 2003) a constitué le premier exercice formel
conjoint entre les Nations Unies et la Banque mondiale. Elle se caractérise également par des
limitations importantes. La transition politique était difficile, la position des Nations Unies
par rapport aux Iraquiens et aux puissances d’occupation n’était pas claire et la légitimité du
gouvernement provisoire était remise en question. Un niveau d’insécurité élevé empêchait
d’accéder à des sources de données primaires. Les consultations au niveau local ont donc
été, elles aussi, limitées, d’autant que le délai était court. De plus, la crise a pris une tournure
en grande partie inattendue pour les organismes internationaux, qui ont été pris au dépourvu
par les événements. Ils ont alors privilégié la réparation des infrastructures endommagées.
Les dépenses récurrentes ont été utilisées pour couvrir les coûts supplémentaires engagés en
conséquence des investissements, qui ont été principalement supportés par le gouvernement
provisoire. La conférence des donateurs sur la reconstruction de l’Iraq, qui s’est tenue à
Madrid, a totalisé quelque US $36 milliards de promesses de dons pour la période 2003-2007.
Il s’agit là du plus gros montant d’aide jamais promis depuis le plan Marshall en 1946.
La PCNA du Libéria a marqué une nouvelle évolution (Gouvernement transitionnel national
du Libéria, Nations Unies et Banque mondiale, 2004). Une coordination soigneuse, des
négociations et de la bonne volonté ont été nécessaires pour concilier les opinions des
différentes parties prenantes sur les besoins à traiter en priorité. Les vastes consultations et
les outils utilisés par la PCNA du Libéria, associés au délai limité alloué pour sa finalisation,
ont mobilisé de nombreux membres des Nations Unies/de la Banque mondiale (300 selon les
estimations) et de nombreuses heures de travail (20 000 selon les estimations). Les organismes
participant à la PCNA ont dû supporter des coûts directs et indirects substantiels.
Du fait du poids périphérique du Libéria, on ne pouvait pas attendre des donateurs qu’ils
fassent preuve du même degré d’engagement politique et de générosité qu’en Iraq.
Dans une certaine mesure, l’Iraq a épuisé le stock de ressources de la communauté des
donateurs. Tant l’information fournie par les donateurs que les limites évidentes de
l’absorption et de la mise en œuvre observées au Libéria ont incité au réalisme. La PCNA
s’est donc concentrée sur des besoins prioritaires qui pouvaient être réalistement traités dans
les deux années suivantes. Il fallait pour cela trouver un équilibre fin entre les considérations
techniques et les considérations politiques. Même en tenant comte de la différence de
niveau des services à rétablir dans les deux pays et des dégâts différents qui ont été causés
à l’infrastructure, on a relevé une différence de un à quatre dans les besoins par habitant,
d’après les estimations. Néanmoins, le chiffre qui a fini par être retenu pour le Liberia
représentait un niveau de financement élevé, par rapport à d’autres crises.
Les chevauchements entre le CAP 2004 et le PCNA, mis en œuvre au Libéria à quelques
semaines d’intervalle l’un de l’autre, étaient substantiels. L’identification des activités et
des coûts inclus dans le CAP afférents aux priorités et aux résultats attendus de la PCNA a
entraîné une difficulté inattendue, qui a obligé les équipes chargées de l’évaluation à gommer
les distinctions artificielles entre aide humanitaire et reconstruction, ainsi qu’entre dépenses
récurrentes et dépenses d’équipement.
Fin 2006, moins de deux ans après son achèvement, personne ne se souvenait de la PCNA au
Libéria. Avec un nouveau gouvernement à la tête du pays, de nouveaux travaux d’élaboration
des politiques publiques et de planification étaient en cours, qui ne tenaient pas compte des
conclusions de la PCNA, ce qui met en évidence l’un de ses problèmes : du fait d’un suivi
insuffisant, il arrive que l’investissement dans la collecte de données, les discussions sur les
politiques publiques, la planification et la levée de fonds ne débouchent pas sur une mise en
œuvre, ou un savoir et une mémoire institutionnels correspondants.
La première génération de PCNA a été marquée par des délais limités. En quelques mois,
voire en quelques semaines, il fallait remettre un document fiable aux donateurs. Il fallait
en effet aller vite pour financer des opérations et des activités jugées essentielles pour le
processus de transition.
Au Soudan, le processus de paix prenant du temps, il a été possible de concevoir un exercice
plus vaste et plus profond. La PCNA a été élaborée dans le détail et généreusement dotée en
ressources humaines et en moyens financiers. Pas moins de 16 mois se sont écoulés entre
son lancement et son achèvement, en raison de la longueur des négociations de paix et de la
complexité du pays. Lorsque les donateurs ont fini par se réunir à Oslo, en avril 2005, ils se
sont engagés sur US $4,5 milliards (Mission d’évaluation conjointe pour le Soudan, 2005).
L’évaluation a dû être scindée en deux exercices, l’un pour le Nord l’autre pour le Sud
du pays. Une évaluation distincte ciblait trois zones « transitoires », qui ont reçu un statut
spécial lors de la négociation et in fine dans l’accord de paix. Ce n’est qu’à la fin que les trois
produits ont été réunis, afin de donner une apparence d’unité, ce qui constituait un impératif
politique. Plusieurs observateurs ont jugé les résultats de l’évaluation trop ambitieux par
rapport à la capacité d’absorption et aux problèmes d’exécution sur le terrain.
Un an après Oslo, les donateurs avaient honoré 38 % de leurs promesses de dons. Si l’on ne
tient pas compte des activités humanitaires, seuls US $323 millions, soit 20 % du montant
décaissé, ont été alloués à des activités prévues par la PCNA (en mars 2006). Le principal
souci venait des MDTF, dont les décaissements étaient minimes un an et demi après la
conférence des donateurs.
La PCNA de la Somalie a débuté en mai 2005 et n’était pas terminée en septembre 2006.
Elle se chiffrait à pas moins de US $4,2 millions (Nations Unies/Banque mondiale, 2007).
Les acteurs qui connaissent bien le contexte somalien ont fait montre d’un grand scepticisme
à l’égard du bien-fondé d’une évaluation des besoins dans l’environnement politique et
sécuritaire qui prévalait alors. Les suggestions proposant de s’orienter vers une approche
modeste et économe en ressources n’ont pas trouvé d’écho, et, sous la pression des Nations
Unies, la PCNA a été lancée avec des objectifs ambitieux et des ressources abondantes.
La volonté de soutenir le gouvernement fédéral de transition (GFT) a joué un rôle important,
car elle a incité les donateurs, les Nations Unies et la Banque mondiale à y prendre part pour
relever ce qui avait tout l’air d’être d’un pari. Les événements politiques et militaires qui ont
suivi, avec un GFT ayant de plus en plus de mal à gagner une légitimité et à s’imposer en
95
Annexe 3
Annexe 3 Évaluation des besoins post-conflit
96
Analyse du secteur de la santé dans les urgences complexes
Annexe 3
Somalie, ont érodé la pertinence du PCNA. Néanmoins, le prétexte nourri dans les cercles de
donateurs, qui était de maintenir la politique à bonne distance d’un exercice de relèvement
censément technique, a été révélé au grand jour.
L’une des PCNA les plus difficiles est celle qui est menée dans la région du Darfour,
au Soudan. La Mission d’évaluation conjointe pour le Darfour (DJAM) a été constituée
après la signature de l’accord de paix du Darfour (APD) par le gouvernement soudanais
et un groupe rebelle en mai 2006. Le fait que deux des groupes rebelles qui restaient
alors aient refusé de signer a provoqué l’intensification du confit dans la région, alors que
l’évaluation des besoins avait déjà été officiellement lancée et que les équipes étaient déjà
sur le terrain. Deux des trois États du Darfour se trouvaient dans une situation sécuritaire
très préoccupante, et il était extrêmement difficile de consulter les groupes rebelles et les
populations en dehors des capitales. En raison de l’hostilité exacerbée de nombreux groupes
et de la population du Darfour envers l’accord de paix, et le ralliement de la DJAM à cet
accord, les acteurs humanitaires sur le terrain ont gardé leur distance par rapport à la DJAM
de peur de compromettre leur indépendance et leur impartialité dans un contexte de plus en
plus volatil et dangereux. Consciente de cela, l’équipe DJAM a conservé un profil bas et
fait preuve de prudence dans ses déplacements géographiques et dans ses discussions. On
n’a organisé aucun soutien logistique dédié, ce qui a obligé les missions de la DJAM à se
greffer sur d’autres évaluations ou à s’organiser dans l’urgence. Au bout d’un an, malgré le
confit qui faisait rage au Darfour, les résultats de la DJAM ont permis de faciliter et d’attirer
l’attention sur les activités de « préparation » nécessaires pour jeter les bases d’un relèvement
rapide une fois que les conditions requises seront en place, et de préparer la finalisation de
la DJAM. Cette dernière a besoin d’une seconde phase pour achever le processus, combler
les lacunes et parvenir à une consultation et à une validation inclusives des conclusions
intermédiaires. Étant donné qu’une solution politique satisfaisante devait être trouvée d’ici
2009, on ne sait pas si la DJAM va reprendre ses activités et si une conférence des donateurs va
être organisée.
Le tableau ci-dessous résume des données élémentaires relatives à certaines PCNA menées
jusqu’ici. La plupart des chiffres sont provisoires et pourraient être révisés. En outre,
les différents critères adoptés pour le classement des chiffres du financement varieront
substantiellement par rapport aux promesses de dons formulées. Ainsi, lors de la Conférence
d’Oslo pour le Soudan, les donateurs se sont engagés à verser US $4,5 milliards. Le chiffre
inscrit dans le tableau représente la portion du total des engagements destinés à soutenir des
activités incluses dans la PCNA. La ventilation des fonds entre donateurs relève souvent
d’un jugement subjectif, aucun critère strict n’ayant été convenu jusqu’ici.
Comparaison des évaluations des besoins post-conflit
Engagements
initiaux des
donateurs
Pays en
transition
évaluation
des besoins
Conférence des
donateurs
Afghanistan
Décembre 2001
- janvier 2002
Tokyo
(Janvier 2002)
US $4.9
milliards
x 2.5 ans
US $4.5 milliards
x 2.5 ans
Iraq
Mai - septembre
2003
Madrid
(Octobre 2003)
US $36 milliards
US $33 milliards
Libéria
Décembre 2003
- Janvier 2004
New York
(Février 2004)
US$ 488 millions
US$ 500 millions
Soudan
Décembre 2003
- mars 2005
Oslo
(Avril 2005)
US$ 2.6
milliards
x 2 ans
US$ 2 milliards
x 2 ans
Besoins estimés
Enseignements tirés jusqu’ici
Début 2007, les PCNA ont été soumises à des examens approfondis. On a ainsi décelé un
certain nombre de faiblesses dans les évaluations menées jusque-là, et proposé quelques
pistes pour renforcer l’efficacité des prochaines évaluations. On a pensé qu’il était possible
de remédier aux lacunes identifiées en améliorant la préparation et en exécutant l’exercice à
un haut niveau. Ainsi, les prochaines PCNA devraient gagner en ambition et en complexité.
Reste à savoir si cette évolution est réaliste. Les inconvénients identifiés dans les PCNA
dans la pratique peuvent être imputables à des obstacles structurels qui ne peuvent pas être
surmontés, du moins lors d’un exercice autonome comme la PCNA. Il serait par conséquent
judicieux de réduire considérablement la portée des PCNA.
On peut avancer quelques éléments de réflexion, issus de la participation à plusieurs PCNA :
• La PCNA constitue un changement d’approche ambitieux, dotée d’un potentiel
considérable pour la restructuration du soutien apporté par la communauté des donateurs
aux processus transitoires. Elle présente plusieurs points forts : la poursuite d’un cadre
programmatique complet là où des appels, des projets et des programmes parcellaires
dominaient ; le dialogue entre les différentes parties encouragé par l’exercice ; la séparation
entre responsabilités de planification et responsabilités d’exécution et l’imposition
d’une certaine discipline aux gouvernements bénéficiaires et aux organismes d’aide.
Par ailleurs, une PCNA apporte aux personnels et institutions du pays de précieuses
possibilités de formation en planification, programmation et budgétisation, c’est-à-dire
sur la manière d’opérer des choix difficiles entre des besoins contradictoires, ou, en
d’autres termes, de gouverner. Mais il reste à savoir si les environnements de transition,
les autorités bénéficiaires et les organismes d’aide laisseront les PCNA remplir leur
promesse. Pour réussir, il leur faut l’excellence technique et le soutien plein et entier
des principales parties prenantes. Le soutien politique envers la PCNA peut toutefois
comporter le risque que des intérêts « partisans » sapent l’indépendance et la qualité de
l’évaluation.
•
Les acteurs engagés dans le processus de paix doivent être informés des impératifs
techniques liés à la réalisation d’une PCNA. Les négociateurs de paix, y compris les
Nations Unies, ne doivent ni imposer des paramètres irréalistes, par exemple en termes
de délais ou de processus de consultation participatifs, ni nourrir d’espoirs exagérés
concernant les résultats.
•
La PCNA doit être considérée comme un processus dont la phase initiale est menée
par des experts techniques chargés d’évaluer les besoins prioritaires. Ce n’est que dans
une phase ultérieure que la PCNA doit devenir plus participative, engager les acteurs
politiques et tenir compte d’autres critères, qui ne sont pas purement techniques, afin de
définir les priorités finales du relèvement.
•
Le principal objectif d’une PCNA consiste à rassembler les résultats des travaux
sectoriels dans un ensemble cohérent et équilibré, ce qui est extrêmement difficile.
De plus, cette opération ne peut pas se faire sur la base de critères purement techniques.
Une fois l’évaluation technique terminée, ce sont principalement des décisions
stratégiques et politiques qui détermineront l’importance à accorder à l’éducation, à la
santé, aux routes, à l’agriculture, à la sécurité, ainsi qu’à certaines régions par rapport à
d’autres. Il est trompeur de présenter la proposition finale de la PCNA comme le produit
d’un processus rationnel, impartial et consensuel, qui vise sincèrement à profiter au
pays qui se relève d’un conflit et à sa population. Dans les environnements de transition
marqués par des gouvernements faibles et déchirés par des tensions et des contradictions
internes, il y a peu de chances que des décisions politiques audacieuses soient prises.
Lorsque les acteurs locaux ne prennent pas de décisions, les organismes et les experts
internationaux sont libres de prôner leurs recettes favorites, sous couvert d’objectivité.
On observe toujours un tiraillement entre l’étude exhaustive du pays en phase de
relèvement et l’identification sélective des mesures qui auront un impact substantiel sur
les moyens de subsistance de la population et la stabilisation du pays. Pour parvenir
à un compromis raisonnable entre les ambitions et la faisabilité du programme de
reconstruction, les Nations Unies et la Banque mondiale, qui sont bien informés des
réalités de terrain, doivent impérativement faire preuve d’un leadership politique fort,
ainsi que d’une stratégie équilibrée de consultation des principales parties prenantes.
97
Annexe 3
Annexe 3 Évaluation des besoins post-conflit
98
Analyse du secteur de la santé dans les urgences complexes
Annexe 3
•
En présence d’un État failli, ou d’un environnement non étatique, l’appropriation
nationale, considérée par certains acteurs comme une condition indispensable de
la PCNA 5, se heurte à des difficultés pratiques et institutionnelles. L’évaluation des
besoins doit associer des organismes qui n’appartiennent pas aux Nations Unies, comme
les grandes ONG humanitaires et de développement, et, chaque fois que possible, des
représentants de la société civile, des partis politiques et des groupes, y compris les
rebelles. De plus, les banques de développement, le FMI et des acteurs privés importants,
susceptibles d’être des acteurs clé, doivent participer dès le départ au processus de
relèvement. Ce n’est pas facile, car leurs propres règles interdisent généralement aux
institutions internationales de s’engager dans des situations « non étatiques ». D’autres
peuvent aussi se montrer réticents à s’engager véritablement dans des contextes à
l’issue incertaine. Par ailleurs, les donateurs peuvent décider d’engager une PCNA afin
de signaler qu’ils soutiennent un gouvernement transitoire en difficulté, ou bien pour
faire la preuve de leur engagement vis-à-vis d’un processus de paix, sans s’engager
sérieusement dans les affaires politiques et militaires.
•
L’inclusion dans l’exercice d’un nombre de parties prenantes aussi large que possible,
et la prise en compte de leurs suggestions et de leurs demandes, présente un coût
substantiel en termes d’efficience des travaux, de temps et de cohérence des résultats.
Une certaine dose de réalisme est nécessaire lorsque l’on fixe les objectifs de la PCNA.
Il peut se révéler utile de faire bien comprendre aux parties prenantes que l’exercice vise
à identifier un ensemble cohérent d’activités clés à mener pendant la transition, et d’en
promouvoir le financement. Il convient d’écarter dès le départ les attentes irréalistes en
termes d’objectifs à long terme, qu’il s’agisse de résolution des conflits, de construction
de l’État, de protection de l’environnement ou d’intégration d’une démarche soucieuse
d’équité entre les sexes (gender mainstreaming), car elles risquent de détourner l’attention
des participants des activités vitales et n’amèneront que frustration. Ces questions, entre
d’autres, sont centrales, mais elles doivent être traitées dans des contextes appropriés,
c’est-à-dire au cœur de l’espace politique. Les PCNA ne peuvent pas servir à tout ce qui est
important dans un pays sur la voie du relèvement. Il est essentiel de veiller à la modestie
des objectifs et à prendre conscience des limites intrinsèques d’un tel exercice.
•
Le manque de fiabilité et d’exhaustivité des informations constitue toujours un problème
de taille. Les PCNA menées sous la pression s’appuient principalement sur des données
secondaires et ne peuvent remplacer les travaux nécessaires pour améliorer la base
d’informations. Étant donné l’influence de la PCNA sur les décisions des donateurs en
matière d’allocation des ressources et, partant, sur le relèvementet le développement des
différents secteurs/systèmes, le risque que des décisions inappropriées soient prises en
raison des lacunes que présentent les informations constitue une préoccupation constante.
On ne peut remédier à cette faiblesse centrale qu’en collectant des informations à l’avance,
lors d’une phase de pré-évaluation/d’observation, comme le recommande l’examen
récent des PCNA. Les situations d’impasse militaire et politique prolongées offrent la
possibilité d’étudier les situations de départ. Il faut élaborer des profils sectoriels avant
l’exercice intensif que constitue la PCNA, de manière que les questions techniques soient
étudiées et clarifiées dans le détail et que des discussions politiques aient lieu sur une
base informée. Une fois que ces instruments sont disponibles, la PCNA aura besoin de
moins de ressources et deviendra moins exigeante, mais elle sera aussi mieux à même de
produire des résultats solides. Si, lors d’une crise prolongée, on s’attèle suffisamment tôt
à des tâches simples, comme la collecte d’informations pertinentes susceptibles d’être
facilement retrouvées, à la définition à l’avance d’un cadre stratégique pour le relèvement
et à la constitution d’un réseau local pour les chercheurs et les informateurs clés, ce sera
très utile pour l’évaluation formelle et fera gagner un précieux temps en interprétation,
consultation des parties prenantes, négociations politiques, etc.
5
Plutôt un « processus » destiné à permettre aux autorités nationales de prendre part aux
décisions relatives au relèvement.
•
Il est difficile d’atteindre l’excellence technique dans une PCNA. Les individus qui
réalisent l’évaluation doivent souvent faire face à des délais serrés, à des lacunes de
l’information, à des pressions et des sensibilités politiques, à des incertitudes quant à
l’avenir, à des limites à leurs déplacements et à leur sécurité, à des obstacles culturels
et linguistiques, ainsi qu’à un accès limité aux informateurs. La connaissance limitée
du contexte spécifique du pays qu’ont de nombreux experts appelés en renfort pour les
besoins de l’évaluation complique encore les choses. De plus, les analystes sectoriels du
relèvement post-conflit ne sont pas nombreux. L’impératif de produire une évaluation
complète en peu de temps et en tenant compte de multiples contraintes peut inciter les
participants à abaisser les critères techniques en utilisant, par exemple, des chiffres
faussés pour étayer leurs évaluation. Du fait de ces limitations, l’équipe chargée de la
PCNA doit être composé de manière adéquate d’experts internationaux et nationaux.
•
Enfin, un travail sectoriel de qualité risque d’être dilué, faussé ou rejeté au stade de
l’édition, lorsque les différents éléments sont regroupés en chapitres, puis condensés et
triés pour former le rapport final. Par ailleurs, les matrices et les estimations de coûts
trop détaillées sont jugées inutiles. Le recours excessif à des instruments techniques
ne parviennent que rarement à saisir la complexité de l’environnement et des travaux à
réaliser demeure une caractéristique constante du système de l’aide.
•
Chaque PCNA s’inscrit dans un environnement en pleine évolution, dans lequel d’autres
processus importants se déroulent. La programmation humanitaire, y compris la
procédure d’appel global, les opérations de maintien de la paix, les missions bilatérales,
les négociations politiques, la planification nationale, le gouvernement de transition
présentent tous des facettes et des composantes qui se chevauchent ou qui influent sur
une PCNA donnée. Par exemple, le budget d’un État en phase de relèvement peut avoir
des conséquences importantes pour l’enveloppe de ressources proposée par la PCNA.
Si elle comprend pleinement des processus concomitants, l’équipe chargée de la PCNA
pourra ajuster ses conclusions et ses propositions afin qu’ils correspondent au tableau
global. Malheureusement, une bonne partie de l’information n’est pas disponible, ou
difficile d’accès pour le personnel technique, et certaines décisions cruciales peuvent
rester en suspens. Outre les incohérences, le chevauchement des interventions et le
double comptage des besoins, le résultat de la PCNA peut aussi devenir rapidement
obsolète et non pertinent. Afin d’atténuer ce risque, les résultats de l’évaluation doivent
être mieux rattachés, et mieux intégrés, à la planification humanitaire et aux mesures
prises, comme a tenté de le faire la mission d’évaluation conjointe pour le Darfour.
•
Ce sont les événements qui se produiront après l’achèvement d’une PCNA qui attesteront
de sa valeur, comme de celle d’autres processus stratégiques et de planification.
Le caractère exhaustif des PCNA en rend la mise en œuvre difficile. En fait, les parties
prenantes se plaignent souvent de l’absence de classement par ordre de priorité et de
séquençage des nombreuses activités prévues par les PCNA.
•
Comme le montre l’expérience à ce jour, la plupart des PCNA ont été de courte durée
et ont été mises à mal par des évolutions imprévues ou par d’autres processus de
planification. Dans certains cas, de sérieux retards dans la mise en place des outils de
gestion nécessaires pour l’exécution des activités proposées par la PCNA ont freiné les
progrès. Bien souvent, la transition est allée de l’avant, ou a reculé, en fonction des
forces nouvelles et les objectifs nouveaux. En effet, aucun des pays étudiés par les PCNA
n’est jusqu’ici parvenu à une stabilité totale. Certains, comme l’Iraq et la Somalie, ont
plongé dans des crises encore plus profondes. Les limites intrinsèques qui caractérisent
le traitement des crises de longue durée et les hypothèses excessivement optimistes qui
se traduisent par le lancement d’un exercice unique comme la PCNA dans son présent
format, sont manifestes.
•
La PCNA constitue principalement un document stratégique qui définit les interventions
prioritaires, ainsi qu’un moyen de lever des fonds, et doit être jugé à l’aune de ces
ambitions. Dans la plupart des cas, les conférences des donateurs ont promis les fonds
99
Annexe 3
Annexe 3 Évaluation des besoins post-conflit
100
Analyse du secteur de la santé dans les urgences complexes
demandés par les évaluations, et les ont parfois même dépassés. En ce sens, la plupart
des PCNA ont correctement étudié la communauté de l’aide et proposé des niveaux de
financement susceptibles d’être approuvés par les donateurs. En revanche, ce que l’on
sait moins, c’est si les promesses de dons et les décaissements qui ont suivi correspondent
aux propositions établies par les PCNA. En d’autres termes, les PCNA ont-elles réussi à
modeler les intentions de financement des organismes donateurs ? Il est encore trop tôt
pour tirer des conclusions sur ce point crucial.
Annexe 3 Références
Annexe 3
Gouvernement transitoire national du Libéria, Nations Unies et Banque mondiale.
Joint needs assessment, 2004. Disponible en ligne à l’adresse suivante : www.lr.undp.org/
needs_assessment.pdf, consulté le 10 janvier 2011.
Groupe des Nations Unies pour le développement et Banque mondiale. Joint guidance note
on integrated recovery planning using post conflict needs assessments and transitional
results frameworks (document de travail pour circulation), 2007. Disponible en ligne à
l’adresse suivante : www.undg.org/index.cfm?P=147&SO=NAME, consulté le 10 janvier
2011.
Kiewelitz U et al. Practical guide to multilateral needs assessments in post-conflict situations.
New York/Washington, DC, GNUD/PNUD/Banque mondiale, 2004. Disponible en ligne à
l’adresse suivante : www.undp.org, consulté le 10 janvier 2011.
Mission d’évaluation conjointe pour le Soudan. Volumes 1-3, 2005. Disponible en ligne à
l’adresse suivante : www.unsudanig.org, consulté le 10 janvier 2011.
Nabarro D., Loretti A. et Colombo A. Increased equity in post-conflict reconstruction.
Lancet, 362:1673, 2003.
Nations Unies et Banque mondiale. Joint Iraq needs assessment, 2003. Disponible en ligne
à l’adresse suivante : www.undg.org, consulté le 10 janvier 2011.
Nations Unies et Banque mondiale. PCNA review: in support to peacebuilding: strengthening
the post-conflict needs assessments (voir également annexes et études de cas), 2007.
Disponible en ligne à l’adresse suivante : www.undg.org, consulté le 10 janvier 2011.
Module 4
Étudier la situation et les besoins sanitaires
102
Analyse du secteur de la santé dans les urgences complexes
Résumé
Ce module s’intéresse à la situation et aux besoins sanitaires de la population des pays en
situation de crise. L’analyse porte sur la manière dont les données relatives à la population,
à la mortalité, à la nutrition et à la morbidité sont produites, sur leur signification et leurs
limites. Elle met en lumière les lacunes courantes qui sapent l’utilité des ensembles de
données disponibles. Le module examine les inférences qu’il est possible de tirer de chiffres
obtenus dans des contextes de violence, ainsi que la valeur que revêtent ces estimations
pour les décideurs politiques. Il analyse des constats controversés, car ce sont des exemples
révélateurs. En outre, ce module passe en revue les aspects conceptuels associés aux
évaluations rapides de la situation sanitaire et aux mécanismes de surveillance dans les
situations de crise. Il donne des conseils sur la façon d’explorer la documentation relative à
la situation sanitaire et aux besoins sanitaires dans des pays en crise, de repérer et d’écarter
des données erronées et d’en tirer une image fiable de la situation nationale.
L’Annexe 4 expose les connaissances recueillies à ce jour concernant les relations complexes
entre le conflit, le VIH/sida et les systèmes de santé.
Modules connexes :
Module 2. Donner un sens (approximatif) à des données (bancales)
Module 3. Comprendre le contexte passé, présent et futur du pays
Module 7. Analyser les modèles de prestation des soins de santé
Introduction : Qu’est-ce que la « situation sanitaire » ?
Module 4
Il est difficile, et souvent illusoire, de vouloir évaluer la situation sanitaire d’une population
touchée par une crise, en raison des limitations qui pèsent sur l’évaluation de la situation
sanitaire en général, et qui sont amplifiées dans les situations d’urgence. « … mesurer la
« situation sanitaire » demeure fortement contestée du point de vue technique et
méthodologique, très onéreuse et très ardue à mettre en œuvre même sur des terrains de
recherche idéaux » (Hensher, 2001). Le présent module se cantonne à l’exploration des aspects
principaux liés à l’évaluation de la situation sanitaire dans les situations d’urgence ayant
des points de contact avec l’analyse des systèmes de santé. Les références bibliographiques
signalent les manuels et lignes directrices traitant des aspects cliniques et de santé publique
des maladies et des états (maladies transmissibles, santé mentale, nutrition, etc.) qui ont un
impact sur la situation sanitaire dans les contextes d’urgence.
Dans les situations d’urgence, davantage que dans les conditions normales, les déterminants
des problèmes de santé et de la survie ont une incidence sur la situation sanitaire à travers
des interactions complexes, en rapport avec les moyens de subsistance, l’éducation, les soins
de santé, la sécurité, les relations sociales, etc., autant d’aspects difficiles à désenchevêtrer et
à comprendre. L’étude de l’IRC (International Rescue Committee) sur la mortalité dans l’est
de la République démocratique du Congo (Roberts et al., 2003) a montré que les décès dus
aux violences ne représentent que 8 % du total. Les estimations concernant d’autres conflits
contemporains font état de niveaux très disparates, mais confirment que les morts au combat
constituent moins de 20 % du total des décès, et sont en baisse (Human Security Centre,
2006). « La plupart des victimes meurent de la guerre plutôt que sur le champ de bataille »
(Slim, 2007). La forte relation entre violence, maladies infectieuses et malnutrition suggère
que « ce dont souffrent le plus les personnes dans les régions confrontées à la violence la
plus aiguë, c’est du déplacement » et elles ont donc une plus grande probabilité de mourir
de ces causes indirectes (Roberts et al., 2003). En outre, dans un conflit, les civils souffrent
et meurent de causes directes, c’est-à-dire liées à la violence, parce que le minimum de
droits de l’homme n’est pas garanti. Dans ces situations, l’État, faible ou inexistant, ne peut
protéger ses citoyens, ou encore, l’État est lui-même le principal auteur de ces violations des
droits de l’homme.
Dans une situation d’urgence complexe, les dépenses publiques consacrées au secteur social
sont détournées vers la défense ; les services de santé s’effondrent, l’accès à l’alimentation
s’amenuise, les populations migrent et les ménages sont contraints d’employer leurs maigres
Module 4 Étudier la situation et les besoins sanitaires
103
•
Il ne faut mener des enquêtes que lorsqu’elles sont strictement nécessaires pour apporter
un éclairage qui permettra de trancher sur des questions délicates. Il convient de
veiller à ce que l’équipe n’ait pas d’a priori et à ce que les parties concernées en soient
bien conscientes.
•
Les parties prenantes doivent être bien préparées à recevoir les résultats de l’enquête,
sachant par avance quels types de données seront produits et lesquels ne le seront pas.
Il faut préciser, au préalable, les limites de l’étude.
•
Il convient de rechercher activement, préalablement à la publication des conclusions
et indépendamment de leur signification concrète, l’appui politique des organismes
internationaux, du gouvernement hôte, des forces rebelles et des médias.
•
Les parties impliquées doivent se mettre d’accord sur les stratégies de publication et de
communication avant l’achèvement de l’enquête. En cas de conclusions sensibles, les
médias sont nettement plus importants que les publications scientifiques. Ainsi, un résultat
embarrassant peut être rejeté par un gouvernement pour des motifs fallacieux, dont la
nature sera facilement détectée par des épidémiologistes. Le grand public, en revanche,
n’ayant pas accès aux publications scientifiques et n’étant pas à même de percer les
conventions académiques, pourrait rester exclu d’une lecture correcte des conclusions.
La transmission de ces dernières sous une forme accessible aux médias comme au grand
public constitue donc une étape essentielle dans le processus de diffusion.
La caractérisation de la région/communauté à laquelle se réfèrent les résultats est un aspect
critique de toute évaluation de la situation sanitaire et de l’interprétation des résultats par
un lecteur extérieur. Le type d’urgence, la vulnérabilité de la population concernée, ses
mécanismes d’adaptation et les questions de sécurité sont des caractéristiques importantes.
La région/communauté peut avoir été retenue parce qu’elle est suffisamment sûre pour que
les agents de santé puissent y conduire leur enquête, ce qui signifie que la situation sanitaire
y est peut-être meilleure que dans d’autres régions (en termes d’accès à l’alimentation, de
services, etc.) Parfois, une région est sélectionnée parce que davantage d’informations y sont
disponibles, mais ces informations sont souvent associées à des conditions générales plus
favorables. À l’inverse, une région peut être choisie parce qu’elle est le foyer d’une urgence
grave ; dans ce cas, la situation sanitaire y sera plus dégradée que dans les régions moins
gravement touchées.
Module 4
ressources à satisfaire des besoins urgents autres que les soins de santé. Les personnes
touchées par une situation d’urgence complexe sont donc davantage exposées à des menaces
sanitaires et/ou se voient réduire l’accès aux soins de santé : elles sont tout simplement plus
vulnérables. Il serait donc impossible d’analyser les déterminants sans examiner comment
le système de fourniture des soins de santé est affecté par la situation de crise et comment, à
son tour, celle-ci se répercute sur la situation sanitaire.
Les épidémiologistes rencontrent des difficultés considérables pour mesurer la situation
sanitaire dans un contexte de guerre. Les données collectées suscitent immanquablement des
objections, et pas toujours pour des motifs techniquement solides (voir l’Étude de cas no 4).
Lorsque les données abondent, comme il arrive parfois lors de certaines crises, incohérences
et ambiguïtés nuisent à l’interprétation des constats. Ainsi, 24 enquêtes sur la mortalité
menées au Darfour entre 2003 et 2005 présentent des résultats amplement divergents ; cela
s’explique aisément par la diversité des contextes dans lesquels ces études ont été conduites,
ainsi que par leurs méthodes et objectifs variés et leurs lacunes techniques. Le Washington
Post a, à juste titre, qualifié ces données sur la mortalité d’« anarchie statistique ». Cette
hétérogénéité fait le jeu des belligérants, qui peuvent vouloir accentuer ou, à l’inverse,
minimiser les conséquences de la guerre. Les rares études robustes courent le risque d’être
négligées, noyées sous la masse d’autres enquêtes.
Pour surmonter ces difficultés, voici quelques principes généraux à appliquer :
• Il convient de décourager les enquêtes non étayées par une expertise technique, car elles
sont sources de gaspillage et susceptibles d’induire en erreur. En outre, ces données
déficientes ne justifient pas les risques qu’encourent les enquêteurs.
104
Analyse du secteur de la santé dans les urgences complexes
C’est pour répondre aux difficultés des différents organismes à respecter individuellement
ces principes et à celles des décideurs à obtenir des données fiables sur lesquelles fonder leurs
choix qu’a été mise en place, en 2007, une initiative interorganismes, le Health and Nutrition
Tracking Service (HNTS), coprésidé par les modules santé et nutrition du Comité permanent
interorganisations. L’objectif du HNTS est de « faciliter la prise de décisions humanitaires
par la mise à disposition des meilleurs éléments de preuve possibles concernant la santé, la
nutrition et les performances des principaux services de santé, afin d’éclairer la définition
de la politique publique et d’asseoir des décisions de financement appropriées, ainsi que de
mieux rendre compte des questions humanitaires à la fois aux bénéficiaires de l’aide et aux
donateurs 1. »
Aux prises avec les données démographiques
Module 4
Les données démographiques sont difficiles à obtenir en temps de crise : les mouvements
de population sont fréquents mais ne sont pas recensés correctement, l’accès est restreint et
la sécurité n’est pas assurée. Malgré ces difficultés, des estimations démographiques sont
produites continuellement par les différentes parties impliquées dans des crises prolongées :
autorités ou organismes publics, rebelles, puissances étrangères, organismes de secours,
communautés touchées, journalistes et agents de terrain. Les données démographiques
influençant de nombreuses décisions importantes sur le plan opérationnel et financier,
politique, militaire ou de l’aide, elles sont par nature sujettes à controverse. Les estimations
formulées par la plupart des parties prenantes portent la trace de leurs intérêts respectifs, et
cet aspect doit être pris en considération lorsque l’on évalue la fiabilité des données.
Dans certains cas, les chiffres sur la population sont négociés entre les parties, qui
recommandent certains ensembles spécifiques de données pour une utilisation générale.
Souvent, les parties ne parviennent pas à un consensus, et il faut alors examiner en détail
les données, tout d’abord pour en vérifier la cohérence interne, ensuite de manière à les
comparer entre elles afin de détecter les lacunes et d’améliorer les chiffres. Même si des
estimations plus solides sont élaborées, certains organes politiques peuvent les rejeter, leur
préférant des données aux défauts flagrants. Il faut en permanence démontrer la pertinence
d’estimations démographiques comparativement meilleures afin que celles-ci soient plus
largement acceptées.
De nouvelles méthodes ont été mises au point et sont utilisées, surtout par les ONG, aux
fins d’un rapide dénombrement de la population : la méthode des quadrats et la procédure
d’échantillonnage en T. Lors des récentes crises, on a utilisé les systèmes de géopositionnement
par satellite (GPS) et les images de télédétection pour sélectionner les zones géographiques
destinées à l’échantillonnage. Une nouvelle méthode prometteuse reposant sur
l’« interpolation » est en cours d’élaboration. Pour une introduction à ce domaine, voir
Brown et al. (2001) et Grais et al. (2006).
Les données démographiques peuvent porter sur des totaux nationaux, régionaux ou par
district, sur des personnes directement touchées, des groupes vulnérables, des réfugiés et des
personnes déplacées dans leur propre pays ou encore sur des groupes ciblés par les services
de santé.
La composition des populations touchées par une guerre évolue, parfois de manière
spectaculaire. Ces populations ont tendance à migrer, d’où des oscillations vastes et
fréquentes dans leurs véritables chiffres. Ces évolutions ne sont pas toujours correctement
prises en compte dans les estimations démographiques disponibles.
Lorsque l’on évalue les ensembles de données disponibles, il convient de garder à l’esprit
quels changements sont les plus susceptibles de survenir :
• Les décès sont rarement répartis uniformément dans une population. Au cours de
certaines guerres, telles le génocide rwandais, les classes d’hommes en âge d’aller au
1 http://www.who.int/hac/techguidance/hnts/framework/en/index.html, consulté le 10 janvier
2011.
Module 4 Étudier la situation et les besoins sanitaires
105
combat paient un lourd tribut. Toutefois, le constat d’un déficit au sein de ce groupe ne
doit pas, dans la précipitation, être compris comme la preuve de morts violentes. Des
autres explications sont possibles : par exemple, ces personnes peuvent être dans l’armée,
se cacher pour échapper à la conscription ou à la violence, ou migrer pour trouver un
emploi. Au Darfour, le déficit observé parmi les hommes de 15-49 ans existait déjà bien
avant le conflit actuel (OMS et ministère de la Santé du Soudan, 2005).
•
Les migrations peuvent être, elles aussi, très variables, car les groupes privilégiés sont
à même de se réfugier dans une zone sûre au sein du pays touché, ou profitent des
turbulences pour s’installer définitivement à l’étranger. Certaines diasporas atteignent des
proportions non négligeables, conservant une certaine influence politique et économique
sur les événements qui se déroulent dans le pays d’origine. L’émigration est rarement
un phénomène homogène : les populations qui vivent à proximité des frontières sont
davantage susceptibles de passer de l’autre côté lorsqu’elles sont en danger. En outre,
les réfugiés proviennent essentiellement des zones les plus touchées par les violences.
Certaines lacunes sont fréquemment relevées lors de l’examen des données
démographiques:
• Les projections démographiques, qui reposent souvent sur des recensements effectués
des décennies auparavant, appliquent généralement des taux de croissance dont
l’estimation est antérieure au conflit, ne prenant donc pas en compte les changements
induits par celui-ci. Bien souvent, on ne relève même pas l’incohérence flagrante qu’il y
a à continuer de rapporter des taux de croissance élevés tout en énonçant que la guerre a
fait des millions de morts. Par exemple, dans le tableau ci-dessous, il est évident que le
taux de croissance rapporté pour l’Angola n’intègre pas les décès causés par la guerre.
À l’inverse, le taux de croissance proposé pour le Mozambique s’efforce de les prendre
en compte. Il est intéressant de noter que, si logique soit-il, cet ajustement n’est pas entré
dans l’usage courant. Par conséquent, les données démographiques officielles demeurent
grossièrement gonflées.
•
Les estimations démographiques sont parfois fractionnées en données régionales ou par
district qui gardent les mêmes proportions relatives qu’en temps de paix. Cette manière
de procéder omet de vastes mouvements de population.
•
Les calculs peuvent tenir compte des fortes concentrations de personnes installées dans
des zones sûres sans pour autant soustraire ces chiffres des régions abandonnées par
les réfugiés et les personnes déplacées dans leur propre pays, si bien que la population
totale du pays peut rester constante dans les statistiques officielles, bien que l’on sache
pertinemment que des millions de réfugiés vivent à l’étranger. Voir l’Étude de cas no 2.
•
Les estimations du nombre de réfugiés peuvent reposer essentiellement, voire
exclusivement, sur le nombre de personnes que le pays d’accueil ou les organismes
d’aide reconnaissent officiellement comme telles. Cette approche peut laisser de
côté de larges pans de population, notamment ceux qui ne sont pas installés dans des
camps. En conséquence, la population restant dans le pays d’origine peut se révéler
largement surestimée.
•
Parfois, certains pans de la population sont délibérément omis parce qu’ils sont sous
la coupe de l’ennemi. Des districts, des villes ou des régions sont délaissés de certains
Module 4
•
Dans le cas d’un conflit de faible intensité, un grand nombre de personnes âgées,
d’handicapés, de femmes et d’enfants succombent à la faim ou à la maladie, surpassant
largement le nombre de morts constatés dans les rangs des combattants. Lorsque le conflit
a des racines ethniques, religieuses ou sectaires, le poids relatif des groupes constitutifs
d’une population peut évoluer considérablement, non seulement à cause des décès, mais
aussi des migrations induites par les violences.
Fréquemment, les naissances se raréfient durant les hostilités, pour rebondir après la
fin du conflit. Parmi les communautés souffrant de la famine, les taux de fécondité sont
susceptibles de tomber à des niveaux très bas.
106
Analyse du secteur de la santé dans les urgences complexes
ensembles de données. Leur population peut être incluse dans les totaux, sans que leur
statut politique ne soit précisé. Lorsque les services de santé ne sont pas tous situés dans la
même zone de contrôle, la couverture qui en résulte est bien sûr trompeuse. Les autorités
militaires et de renseignement peuvent répugner à publier des données démographiques
qu’elles jugent sensibles, et trafiquer les chiffres pour brouiller le tableau.
•
Dans plusieurs pays en situation de crise, on a utilisé des estimations démographiques
obtenues à partir de campagnes de vaccination. Étant donné qu’elles fluctuent selon les
années, ces estimations doivent être recoupées avec des chiffres obtenus par d’autres
méthodes. Les extrapolations s’appuyant sur les chiffres de la poliomyélite sont
très sensibles à la proportion d’enfants de moins de cinq ans retenue pour réaliser la
projection sur l’ensemble de la population. Les résultats diffèreraient grandement d’un
pays à l’autre en fonction de la structure démographique de chacun.
Déceler les défauts permet de rejeter les données démographiques les moins fiables. Grâce à
une triangulation des chiffres qui sont comparativement les meilleurs, on peut construire des
estimations pouvant être utilisées avec un certain degré de confiance. Ces efforts patients ne
peuvent être couronnés de succès que si les multiples parties qui connaissent chacune une
partie du tout y mettent du leur.
Le tableau suivant présente quelques indicateurs démographiques concernant des pays en
proie à des violences.
Indicateurs démographiques concernant une sélection de pays en crise
Module 4
Pays
Population
estimée
Croissance
démographique
annuelle
Afghanistan
20,2
millions
Angola
13,4
millions
Congo (Rép.
démocratique)
52,4
millions
Mozambique
14,4
millions
1.6%
Ouganda
25 millions
3%
Rwanda
7,8 millions
Soudan
31,7
millions
Timor-Leste
850 000
3%
Nombre
de
réfugiés
Nombre de
personnes
déplacées
dans leur
propre pays
Année
3,8
millions
1,2 millions
2001
60%
460 000
1,46 millions
2001
43%
390 000
21%
4,0
millions
Proportion
de
population
urbaine
2001
1,8 millions
1991
1,5 millions
2003
1993
4,3
millions
3.9%
15%
490 000
2001
2002
Évaluer la situation sanitaire de la population d’un pays ravagé
par la guerre
Dans tous les secteurs de la santé affectés par des violences persistantes, des indicateurs
de la situation sanitaire sont compilés et diffusés. Les données de base sont l’espérance de
vie moyenne à la naissance, les taux de mortalité infantile et des enfants de moins de cinq
ans, le taux de mortalité maternelle, la prévalence de la malnutrition, celle des carences en
micronutriments et celle de certaines maladies transmissibles, ainsi que l’accès à de l’eau
potable et à l’assainissement. Parmi ces chiffres, rares sont ceux (si tant est qu’il y en ait)
qui résistent à un examen détaillé. Certains ont été recueillis lors d’anciennes enquêtes,
tandis que d’autres portent sur des populations non représentatives. Certaines valeurs sont
des projections, qui reposent souvent sur des hypothèses audacieuses. Il est généralement
difficile de retrouver la source de la plupart des indicateurs.
Dans la plupart des cas, les mêmes chiffres circulent dans des documents accessibles, sans
jamais être remis en question. L’attitude la plus raisonnable face à des chiffres déficients
consiste à les rejeter purement et simplement, ou à préciser leurs limites. Ils pourraient être
remplacés par des énoncés qualitatifs, à la formulation choisie, de façon à donner à voir la
gravité de la situation, ainsi que notre ignorance de sa réelle valeur chiffrée. Par exemple,
affirmer que « la mortalité maternelle est sans doute très élevée » constitue un énoncé certes
vague mais informatif, tandis qu’il serait fallacieux de fixer la mortalité maternelle à un
niveau précis tout en sachant pertinemment que les chiffres rapportés ne sont pas fiables.
Il s’agit d’éviter que des données fausses ne soient adoptées comme des références fiables
pour des comparaisons à venir, desquelles seraient tirées des conclusions erronées.
À la proposition d’omettre des documents et outils de surveillance les chiffres déficients,
l’analyste rigoureux opposera vraisemblablement une certaine réticence. L’inclination des
professionnels formés à une discipline scientifique pour une argumentation bâtie sur des
considérations chiffrées se voit renforcée par la demande de résultats mesurables exprimée
par les donateurs. Les Objectifs du Millénaire pour le développement (OMD) ont accru cette
dépendance à des indicateurs précis. Si la recherche de mesures objectives est, en théorie,
tout à fait louable, dès lors qu’elle est aveuglément poursuivie dans un environnement de
crise, elle pousse à conserver des données erronées et parfois falsifiées. Une fois qu’un
usage répété les a « gravés dans le marbre », ces chiffres risquent d’être considérés comme
fiables par les parties intéressées. L’un des meilleurs services qu’un analyste scrupuleux peut
rendre aux utilisateurs de ces données consiste donc à identifier les défauts dont pâtissent les
indicateurs disponibles et à en décourager l’utilisation.
La majorité des estimations fiables sont partielles. Les données « nationales » portent,
dans la plupart des cas, sur des régions accessibles et sûres, tandis que les enquêtes de
terrain risquent de se concentrer sur les populations victimes de violences. Les réfugiés à
l’étranger représentent un troisième cas particulier. Les statistiques sanitaires brutes peuvent
nécessiter des ajustements, tels qu’une modélisation ou une correction des biais connus,
avec notamment une révision de toutes les données disponibles et le rapprochement avec les
informations provenant d’autres sources.
La compilation des conclusions émanant de différentes études, comme les enquêtes
démographiques et de santé (EDS), les enquête en grappes à indicateurs multiples (MICS),
les enquêtes sur la mortalité et la nutrition, associée à la mise en exergue de leurs forces,
de leur signification et de leurs limites, permet d’obtenir une vue d’ensemble composite de
la situation sanitaire du pays et de la vulnérabilité de l’ensemble de la population. Dans la
plupart des cas, il n’est pas possible, et il ne serait pas souhaitable, d’agréger ces données, car
cela masquerait la grande hétérogénéité des résultats. Des chiffres portant sur les épidémies
et les maladies endémiques complètent ce portrait synthétique.
Il est, à l’évidence, délicat de tirer des conclusions sur l’état sanitaire de tout un pays.
Les indicateurs globaux provenant d’enquêtes peuvent occulter des inégalités substantielles.
Un certain degré de désagrégation est nécessaire pour comprendre les schémas et les
divergences aux niveaux infranational et infrarégional. Souvent, les organismes procèdent
à un suivi de leurs programmes en s’appuyant sur des chiffres calculés à partir de modèles
statistiques. Les Nations Unies elles-mêmes font état des avancées par rapport aux OMD
relatifs à la santé en se fondant sur des statistiques prévisionnelles (Boerma et Stansfield,
2007). Certains indicateurs sont générés dans les sièges sociaux, loin des lieux de collecte
des données et sans connaissance suffisante des limites de ces données ou du contexte
qui doit guider leur interprétation. Lorsque les données sous-jacentes utilisées aux fins de
modélisation statistique et d’extrapolations sont déficientes, la validité des indicateurs qui en
résultent en pâtit, ce que les décideurs ne prennent pas forcément en compte. C’est ce qui s’est
produit avec les estimations initiales de l’étude mondiale sur la charge de morbidité calculée
pour les indicateurs de performance des systèmes de santé par l’Organisation mondiale de la
Santé (OMS, 2000). Malheureusement, il est difficile d’évaluer les répercussions qu’ont des
données peu fiables ou déficientes sur les décisions des autorités ou des donateurs.
107
Module 4
Module 4 Étudier la situation et les besoins sanitaires
108
Analyse du secteur de la santé dans les urgences complexes
Étude de cas n° 4
Interpréter les chiffres de la mortalité en Iraq
En cas de conflit, il est difficile d’obtenir des données sur la mortalité, sources de controverses. Roberts et al.
(2004) ont procédé à une enquête sur la mortalité en Iraq après l’invasion alliée, et ont calculé, à partir de leurs
données, la surmortalité qui y est associée.
Principaux constats de l’étude. On estime que le taux de mortalité brute durant la guerre s’est établi
à 12,3 pour 1 000 par an, avec un intervalle de confiance (IC) à 95 % de 1,4–23,2. Les deux tiers des
décès ultérieurs à l’invasion proviennent d’un seul secteur (Fallujah), qui représente d’un point de vue
statistique une observation aberrante extrême. Si l’on inclut le secteur de Fallujah, le risque relatif de décès
après l’invasion, par rapport à avant, s’établit à 2,5 (IC à 95 % de 1,6–4,2) ; compte non tenu de Fallujah,
le risque relatif ressort à 1,5 (IC à 95 % de 1,1–2,3). Le taux brut de mortalité (hors Fallujah) durant la
guerre se traduit pas un surcroît de 98 000 décès (IC à 95 % : 8 000–194 000). Les auteurs concluent
que « cette enquête révèle que le bilan de l’invasion et de l’occupation de l’Iraq avoisine probablement les
100 000 morts, et peut-être beaucoup plus (si l’on inclut le secteur de Fallujah). [...] Dans le cas présent, le
manque de précision n’empêche nullement d’identifier clairement le principal problème pour la santé publique :
la violence ».
Cette étude a suscité des commentaires venant de différents horizons :
Module 4
•
« Il est important de considérer ces chiffres avec prudence, car la méthodologie utilisée suscite un
grand nombre d’inquiétudes et de doutes. Premièrement, l’enquête semble s’appuyer sur une technique
d’extrapolation plutôt que sur un dénombrement détaillé des corps. Nous nous inquiétons surtout du fait
que la technique en question semble traiter l’Iraq comme une zone unique et homogène. L’enquête paraît
supposer que les bombardements ont frappé uniformément l’ensemble du pays. Là encore, ce n’est pas vrai.
Ils étaient essentiellement concentrés sur des régions telles que Fallujah. Par conséquent, nous ne pensons
pas que cette extrapolation soit une technique adéquate à utiliser » (porte-parole officiel du Premier ministre
du Royaume-Uni).
•
Suite à la critique portée par le gouvernement britannique sur cette étude : « La confusion entre imprécision
et biais ne se justifie nullement » (K. McPherson, British Medical Journal, 2005).
•
« L’inclusion d’autres secteurs dans l’enquête aurait certes amélioré la précision des résultats, mais au
prix d’un risque énorme et inacceptable pour l’équipe d’enquêteurs qui ont rassemblé les données primaires »
(R. Horton, ed., The Lancet).
•
« L’estimation centrale d’une surmortalité de 98 000 personnes est entachée d’une forte incertitude […].
Les données d’échantillon sont toutefois davantage cohérentes avec la réalité si elles sont proches du centre
plutôt que des limites extérieures de l’intervalle de confiance associé. » (S. M. Bird, British Medical
Journal).
•
« Les principaux constats de cette étude portant sur la santé publique sont robustes en dépit de leur imprécision.
[…] Que le bilan réel soit de 90 000 ou de 150 000 morts, ces trois constats donnent une bonne idée de ce qu’il
faut faire si l’on veut qu’il y ait moins de morts de civils » (les auteurs de l’étude, dans The Lancet).
•
« Enfin, Roberts et ses collègues précisent comment ils ont pu obtenir leurs résultats, avec un financement
modeste, beaucoup de courage et d’engagement, avançant des arguments solides contre ceux qui, cherchant
à esquiver leurs responsabilités, affirment qu’il n’est pas possible d’obtenir des données valides sur la
mortalité dans un contexte de guerre » (F. Abad-Franch, The Lancet).
En 2006, une autre enquête a été menée dans un cadre d’échantillonnage plus vaste. Ses conclusions
corroborent celles de l’enquête de 2004. La surmortalité estimée sur la même période est de
112 000 morts (IC de 69 000–155 000), chiffre remarquablement proche de celui produit par l’enquête
précédente. Les conclusions de 2006 faisaient apparaître une hausse spectaculaire des décès violents sur
toutes les années qui ont suivi l’invasion, culminant à 19,8 pour 1 000 durant la dernière année de l’étude. La
surmortalité cumulée depuis l’invasion en 2003 se monte à 655 000 morts (IC de 393 000–943 000), chiffre
qui dépasse largement toute autre estimation antérieure (Burnham et al., 2006). Comme on pouvait le prévoir,
les gouvernements de la coalition ont rejeté ces nouveaux résultats inquiétants avec quelques remarques
bancales, dans la même veine que celles formulées après l’enquête de 2004.
L’enquête de 2006 a fait l’objet de plusieurs critiques méthodologiques, ce qui montre combien il est difficile
de mener une telle enquête dans des circonstances aussi extrêmes que celles de l’Iraq. Face à ces critiques,
les auteurs ont décidé de communiquer les données brutes de l’enquête à des experts épidémiologistes.
Une nouvelle étude avec un échantillon très large, composé de 1 086 secteurs et 10 860 ménages, a été menée
en 2006–2007 (Iraq Family Health Survey Study Group, 2008). Pour des raisons de sécurité, 115 secteurs ont
été exclus de l’enquête. Le taux brut de mortalité a été estimé à 1,09 (IC de 0,81-1,50) pour 1 000 par an. Après
neutralisation des erreurs d’échantillonnage et des secteurs manquants, le taux a été estimé à 1,67 (IC de 1,242,30), sans variation annuelle majeure sur la période. Selon les estimations de l’enquête, de mars 2003 à juin 2006,
on a dénombré 151 000 morts violentes (IC de 104 000-223 000). Bien que ces chiffres de la mortalité soient bien
inférieurs à ceux estimés par Burnham et al., ils n’en font pas moins apparaître un bilan très lourd. Les différentes
méthodes d’échantillonnage et d’estimation adoptées par ces études peuvent restreindre la comparabilité des
résultats. On trouvera un examen utile des diverses enquêtes sur l’Iraq dans Tapp et al. (2008).
Module 4 Étudier la situation et les besoins sanitaires
109
On se réfère au taux brut de mortalité, au taux de mortalité des enfants de moins de cinq
ans et à la malnutrition aiguë (émaciation) pour évaluer la gravité d’une situation d’urgence
et surveiller l’efficacité de la réponse humanitaire globale. Cette utilisation répandue des
indicateurs de mortalité et de malnutrition s’explique par leurs avantages : ils donnent une
image concise de la situation sanitaire d’une communauté, les méthodes de collecte des
données sur la mortalité et la nutrition ont été mises au point et les enquêtes sont relativement
simples et rapides à déployer, l’analyse des données est facilitée par des progiciels standard.
S’agissant des constats relatifs à la mortalité, des seuils internationalement acceptés aident
à leur interprétation.
La communication des résultats issus des évaluations de la situation sanitaire n’est pas
exempte de difficultés : les décideurs, les médias et le grand public sont souvent peu
familiarisés avec la signification des indicateurs de santé, la manière dont ils sont collectés
et leurs limites. Des intérêts partisans conduisent inévitablement à gonfler l’importance de
ces données lorsque cela arrange celui qui les présente, ou à l’inverse, à les écarter, au besoin
grâce à des objections méthodologiques. Le jargon épidémiologique est incompréhensible
pour la plupart des participants. Pour leur part, des journalistes désireux de présenter à
leurs lecteurs des « faits » clairs et des interprétations directes cherchent à dépouiller les
informations disponibles de la plupart voire de la totalité de leurs nuances et de leurs
réserves. Dans bien des cas, il s’ensuit une interprétation grossièrement erronée de la réalité.
Quant à la classe politique et aux militaires, par définition, ils prennent parti dans un conflit.
Les organismes d’aide se soucient de lever des fonds et de préserver leur chasse gardée.
Et de nombreux travailleurs humanitaires focalisés sur l’action concrète ne se sentent pas du
tout concernés par les données chiffrées, qu’ils jugent être à l’opposé de ce qu’ils font sur
le terrain. Voir Checchi (2006) pour un exemple de politique de la « preuve ». Les émotions
qu’inspirent naturellement la violence, la mort et la famine telles qu’elles sont montrées en
temps réel par les médias partout dans le monde s’ajoutent au tableau, compliquant encore
toute argumentation rationnelle.
Mortalité
Dans les pays qui ne disposent pas de statistiques systématiques d’état civil et/ou qui ne
procèdent pas à des recensements périodiques ou lorsque ces derniers ont une couverture et
une qualité incertaines, comme c’est souvent le cas dans les situations d’urgence chronique,
on mène des enquêtes rétrospectives sur la mortalité.
Les démographes ont mis au point des méthodes indirectes s’appuyant sur la survie des
parents proches, qui sont communément utilisées dans les enquêtes démographiques et de
santé (Module 2). Elles ne sont toutefois pas adaptées aux situations d’urgence, puisqu’elles
se réfèrent à un passé relativement lointain, alors que dans un contexte de crise, les niveaux
de mortalité peuvent changer spectaculairement et rapidement.
Dans les situations d’urgence grave ou dans les zones géographiquement étendues (où des
populations arrivent et d’où d’autres partent), les conditions nécessaires à un système de
surveillance efficace sont rarement remplies et les méthodes rétrospectives restent souvent
les seules à être techniquement applicables. Les approches rétrospectives reposent sur des
enquêtes transversales (le plus souvent à débusquer au cœur d’une enquête sur la nutrition).
Lors d’entretiens avec des adultes, on recueille des données sur le nombre de morts
enregistrés dans les ménages de l’échantillon. L’échantillonnage s’appuie habituellement
sur la méthodologie classique employée pour le Programme élargi de vaccination 2 mais,
dernièrement, de nouvelles méthodes ont été proposées.
2
Se fonde sur un sondage en grappes à deux degrés, aboutissant à 30 grappes de 7 enfants chacune.
Module 4
Évaluer la situation sanitaire d’une population touchée par une
crise aiguë
110
Analyse du secteur de la santé dans les urgences complexes
Le seuil du taux brut de mortalité généralement admis est de 1 mort pour 10 000 par jour.
Au-delà, une situation est jugée critique, et des opérations de secours doivent être mises en
œuvre ou intensifiées (Toole et Waldman, 1990). Cette limite peut se révéler inadéquate dans
les pays à revenu intermédiaire ou développés, où le taux de référence est bien inférieur.
En fait, les opérations de secours dans les Balkans ont été lancées avant que le seuil de
1 mort pour 10 000 ne soit franchi. Afin d’adapter le critère proposé aux différents contextes,
le Projet Sphère a proposé un doublement du taux brut de mortalité local enregistré avant
la crise. Malheureusement, ce taux brut de base n’est souvent pas disponible, surtout pour
certaines régions ou populations. En outre, cette approche conduirait à lancer les opérations
de secours bien plus tôt dans les communautés comparativement mieux dotées.
Taux brut de mortalité dans plusieurs situations d’urgence aiguë
Contexte (année)
Communautés touchées par la famine à Baidoa, en
Somalie (1992)
Malnutrition et épidémie de maladies diarrhéiques chez
les réfugiés hutus rwandais dans la zone de Goma, au
Zaïre (1994)
Population assiégée à Tubmanburg, au Libéria (1996)
Populations touchées par la famine et les conflits armés à
Bahr-el-Ghazal, au Sud-Soudan (1998)
Famine à Gode, en Éthiopie (2000)
Taux brut de mortalité
(nombre de morts pour
10 000, par jour)
16,8
34,1 à 54,5
14,3
9,2 à 26,1
3,2
Module 4
Famine et déplacements répétés chez les Angolais
déplacés dans leur propre pays venant des zones
contrôlées par l’UNITA (2002)
2,3 à 3,6
Attaques armées contre des civils dans le Darfour
occidental, au Soudan (2003-2004)
5,9 à 9,5
D’après Checchi and Roberts, 2005.
Les enquêtes sur la mortalité conduites dans des situations extrêmement difficiles ou
dangereuses sont davantage susceptibles de se heurter à des obstacles, et donc d’être biaisées
ou imprécises :
• L’accès à la population étudiée est restreint par des problèmes de sécurité et de logistique.
Il faut souvent étudier une grappe entière en quelques heures, pendant qu’il fait jour.
•
Les numérateurs et dénominateurs doivent rendre compte des décès et de l’exposition
dans des populations « instables ». Il n’existe pas de connaissance a priori de la répartition
spatiale de la population. L’évolution des conditions de sécurité peut imposer la
substitution de quelques grappes initialement sélectionnées. Le cadre d’échantillonnage
peut donc rapidement devenir obsolète, et donc invalide.
•
La concentration des décès due à de fortes flambées de violence et/ou de maladie
localisées peut nuire à la précision des estimations.
•
Les enjeux politiques peuvent induire une distorsion dans les résultats. Il existe un risque
élevé de manipulation par une population ou un régime qui cherche à capter une aide.
Il peut en résulter une surestimation des décès.
•
Rares sont les épidémiologistes chevronnés désireux de travailler dans des zones
non sûres. En outre, des considérations de sécurité peuvent restreindre l’accès dont
bénéficient certains membres de l’équipe d’étude aux régions en proie à des troubles.
La délégation de responsabilités qui s’ensuit rend toute vérification difficile, d’où des
résultats insatisfaisants.
•
La collecte d’informations s’appuie sur des entretiens et porte sur une période donnée.
Les traumatismes, la peur, le calendrier local, la barrière de la langue peuvent compliquer
cette collecte. La crainte de perdre leur droit à une aide (par exemple à une aide alimentaire)
peut pousser des répondants à cacher la mort de certains membres de leur famille.
Dans certaines cultures, la mort est un sujet sensible, d’où des sous-estimations.
Les conclusions de l’enquête sur la mortalité ne peuvent être généralisées à d’autres
communautés ou à un pays entier, en raison des spécificités du contexte dans lequel vit la
population étudiée.
Dans les situations d’urgence, les systèmes de surveillance de la mortalité sont ce qui se
fait de mieux, surtout dans les espaces clos (par exemple les camps de réfugiés) où il est
possible d’obtenir une bonne couverture à la fois de la comptabilisation des décès et de
la population (numérateur et dénominateur). Leur principal avantage est de permettre une
réaction immédiate dès lors qu’est franchi le seuil de mortalité défini. Les gardiens des lieux
de sépultures, les chefs de communauté et les bénévoles sont les principales sources pour
ces données sur la mortalité.
Les enquêtes sur la mortalité sont sujettes à certains biais : biais d’échantillonnage, biais de
survie, biais de mémoire et erreur de classification (définis dans le Glossaire présenté au
Module 14. Ressources). Une autre limitation tient au fait que les taux de mortalité se réfèrent
à un risque passé, qui peut ne pas refléter la situation actuelle : depuis, les résultats ont pu soit
s’améliorer, soit rester stables, soit empirer. La période de référence/période pour laquelle
l’enquêté doit faire appel à sa mémoire est généralement de 6-18 mois avant l’entretien, et
lors des situations d’urgence aiguë, les changements dans les taux de mortalité peuvent être
rapides. De plus, au moment où les résultats deviennent disponibles, il peut être trop tard
pour mettre en œuvre des interventions efficaces. Enfin, la mortalité représente l’extrémité
du spectre du statut sanitaire ; elle n’apporte donc pas d’information sur les autres conditions
de santé causant des souffrances mais non la mort. À cause de toutes ces restrictions, les
utilisateurs de données sur la mortalité doivent prêter une attention particulière aux méthodes
employées pour les calculer, ainsi qu’à l’utilisation qui peut être faite de ces chiffres. Pour un
examen du champ des enquêtes sur la mortalité, voir Checchi et Roberts (2005) et Emerging
Themes in Epidemiology, un magazine en ligne disponible à l’adresse suivante : www.eteonline.com (consulté le 10 janvier 2011).
À partir des données sur la mortalité, on calcule souvent la surmortalité. Celle-ci donne
une estimation directe de l’ampleur absolue d’une crise. Il faut toutefois s’en servir avec
prudence : la surmortalité est un indicateur composite, résultant de la différence entre les
niveaux de mortalité mesurés pendant la crise et ceux mesurés avant. Ce calcul nécessite une
interpolation des taux obtenus à partir de l’échantillon sur la population dont l’échantillon
a été extrait. En outre, il faut disposer d’un taux de mortalité de référence ou pré-crise
acceptable. Étant donné la dynamique de la mortalité lors d’une crise, avec des évolutions
rapides au cours du temps et dans les différentes catégories de population, l’estimation de la
surmortalité pour de vastes populations et de longues périodes est risquée.
Malnutrition
On considère que l’état nutritionnel des enfants de moins de cinq ans constitue un indicateur
de crise objectif et sensé. Dans les situations d’urgence, on recueille généralement des
informations nutritionnelles pour :
• déterminer la gravité de la crise et plaider pour une réponse
•
détecter rapidement les changements dans la sécurité alimentaire, et
•
planifier, surveiller et évaluer les interventions (Young et Jaspars, 2006).
Les données anthropométriques sont une mesure statique de prévalence de la situation
nutritionnelle à un moment donné. La mesure du poids par rapport à la taille (émaciation)
permet d’évaluer et de surveiller l’état nutritionnel (malnutrition aiguë) dans les situations
d’urgence, alors que les indicateurs des rapports poids/âge et taille/âge (retard de croissance)
sont utilisés pour évaluer l’état nutritionnel des enfants sur le long terme. Les mesures
individuelles du poids par rapport à la taille sont comparées à celles d’une population de
référence et l’on recourt à des valeurs utilisées comme seuil (2 écarts types, ou 80 % de la
valeur médiane) pour estimer la prévalence de la malnutrition dans la communauté étudiée.
La malnutrition aiguë s’accompagne souvent de maladies causées par une carence en
micronutriments, notamment en vitamine A, en iode et en fer. Dans les situations d’urgence
111
Module 4
Module 4 Étudier la situation et les besoins sanitaires
112
Analyse du secteur de la santé dans les urgences complexes
Module 4
prolongée, la prévalence de la malnutrition chronique, mesurée par le retard de croissance,
peut aussi être très élevée.
Des méthodes standard, reposant sur des enquêtes en 30 grappes à deux degrés, permettent
de collecter et d’analyser des données anthropométriques sur des enfants âgés de 6 mois à
5 ans, afin d’estimer la prévalence de la malnutrition aiguë. Utilisé pour le dépistage ou pour
les enquêtes rapides, le périmètre brachial à mi-hauteur s’avère être un bon facteur prédictif
de mortalité ; on recommande de l’ajuster aux valeurs de référence en fonction de l’âge ou
de la taille. Il n’existe pas un tel consensus sur les indices ni sur les critères seuils permettant
d’évaluer la malnutrition chez les adultes.
L’interprétation des résultats d’enquête nécessite d’examiner soigneusement comment
ont été menées les enquêtes. La capacité technique de conduire des enquêtes à partir de
ces méthodes est loin d’être satisfaisante. Lors d’une analyse des enquêtes sur la nutrition
réalisées en Éthiopie en 1999-2000, seulement 9 % des études satisfaisaient aux critères de
validité et de précision (Spiegel et al., 2004). Les enquêtes sur la nutrition sont sujettes à des
erreurs de mesure et à des biais d’échantillonnage. En outre, les données anthropométriques
doivent être analysées dans un contexte de sécurité alimentaire, en tenant compte de
l’économie du ménage, du marché, etc.
L’utilisation que l’on peut faire des données nutritionnelles prises isolément est restreinte, et
celles-ci doivent toujours être interprétées en parallèle des taux de morbidité et de mortalité,
en prenant en considération les raisons sous-jacentes de la malnutrition, la saisonnalité, les
niveaux de malnutrition préalables à la crise et les stratégies d’adaptation. La relation entre
malnutrition et mortalité varie, ce qui a des conséquences aussi bien sur la surveillance de la
sécurité alimentaire que sur le diagnostic de différents types de crises. Ainsi, la grave crise
d’insécurité alimentaire qui a frappé l’Afrique australe en 2002 ne s’est pas accompagnée
d’une malnutrition ni d’une mortalité fortes (Young et Jaspars, 2006). Il existe des cadres de
décision permettant de guider les interventions nutritionnelles sur la base de la prévalence de
la malnutrition et de la présence de facteurs aggravants. Toutefois, les organismes n’utilisent
pas tous les mêmes seuils de prévalence de la malnutrition.
Lors d’une crise alimentaire aiguë, la mortalité peut se révéler supérieure chez les plus
jeunes, avant qu’ils n’atteignent l’âge d’être pris en compte dans les enquêtes (6 mois). Dans
ce cas, les données sur la mortalité sont particulièrement utiles pour interpréter les résultats
des enquêtes sur la nutrition. Cependant, on a observé, lors de nombreuses famines, que
ce sont les maladies, plus que la faim, qui tuent (de Waal, 2004) et que l’appauvrissement
découlant de la perte d’actifs et de moyens de subsistance est à l’origine de famines et de
maladies. C’est pourquoi, lors des épisodes de famine prolongés, on recommande d’inclure
l’évaluation de l’état nutritionnel des adultes. On peut toutefois déplorer l’absence de
consensus sur les questions méthodologiques associées à la mesure de la malnutrition chez
l’adulte, tels que le choix de l’indicateur (par exemple l’indice de masse corporelle) et leurs
seuils, ainsi que la comparabilité de ces indicateurs dans différents groupes ethniques (d’où
la nécessité d’ajuster les indices anthropométriques).
Les niveaux de malnutrition n’apportent pas beaucoup d’informations et ne sont pas très
utiles pour guider l’aide apportée en réaction s’ils ne sont pas assortis d’explications.
Souvent, les enquêtes sur la nutrition ne disent rien de la succession d’événements qui
a conduit à une inquiétante prévalence de la malnutrition. Les interventions visant à
remédier à la malnutrition doivent varier en fonction des facteurs sous-jacents de la crise.
Hélas, les organismes d’aide continuent de préférer la distribution gratuite de nourriture,
même si d’autres mesures pourraient être plus efficaces.
Le recours à des seuils ou des limites d’inclusion est jugé inadéquat. On recommande plutôt
l’étude des tendances saisonnières. Pour les populations sujettes aux crises, qui sont donc
étudiées à plusieurs reprises sur de longues périodes, les tendances sont nettement préférables.
Toutefois, dans les régions où une crise majeure survient occasionnellement, il se peut que le
niveau de malnutrition de référence ne soit pas connu. En outre, les hostilités peuvent avoir
modifié la population et les schémas économiques au point qu’une comparaison avec des
références établies préalablement au conflit ne fait pas sens.
Module 4 Étudier la situation et les besoins sanitaires
113
Quoi qu’il en soit, l’évaluation de la gravité d’une crise au moyen de la comparaison de la
prévalence de la malnutrition actuelle par rapport à la situation antérieure est discutable dans
les régions régulièrement touchées par une malnutrition sévère. Un petit changement peut
être interprété comme normal lorsque la crise est permanente et grave. Dans de nombreuses
régions du Sahel ou de la Corne d’Afrique, chroniquement frappées par la pauvreté et la
violence, la prévalence de la malnutrition est régulièrement jugée supérieure au seuil, laissant
supposer une situation critique. Les organismes d’aide s’effraient des conséquences à long
terme associées à une action dans des environnements aussi effroyables. Ces véritables
situations d’urgence restent tues et non traitées par les médias.
Pour une analyse du sujet, voir Young et al. (2004) et Young et Jaspars (2006).
« Des évaluations des besoins institutionnels émergents ont commencé dès que
les combats ont pris fin. L’OMS dispose de 32 équipes de 3 personnes pour ces
évaluations. Au 30 juin, elles s’étaient rendues dans 569 des 3 061 établissements
de santé du pays, dont les 35 hôpitaux de Bagdad. En outre, 1 000 des 1 553
centres de santé primaires et 100 des 203 hôpitaux ont été évalués par au moins
une des 18 autres organisations (OMS et RHCO). Certains centres ont été visités
plus d’une douzaine de fois, tandis que sept directions éloignées ne l’ont été que
rarement. L’OMS et l’Autorité provisoire de la Coalition s’efforcent de collecter des
informations émanant de ces diverses évaluations et d’en normaliser la synthèse,
exercice qui relève de l’impossible. »
D’après Diaz et Garfield, 2003
Évaluations rapides de la situation sanitaire
Il n’est pas toujours possible de conduire des enquêtes sur la mortalité et la nutrition, surtout
lors de la phase aiguë d’une situation d’urgence, quand la rapidité dans la collecte de données
et dans la prise de décisions est cruciale pour sauver des vies. Les évaluations rapides de
la situation sanitaire constituent souvent la seule solution viable. Les divers organismes
emploient différentes méthodes dans des contextes variés. Un examen comparatif des huit
instruments (Bradt, 2001) utilisables pour ces évaluations rapides a mis en lumière leur
variabilité, en fonction du champ de collecte des données (système ou site), des différences
dans la structure des données, des impératifs concurrents d’exhaustivité et de brièveté.
La sélection du protocole d’évaluation rapide approprié dépend rarement de considérations
strictement techniques : les préférences personnelles, la connaissance de l’instrument ou
l’inertie de l’organisation constituent souvent des facteurs de poids.
Les protocoles d’évaluation rapide de la situation sanitaire sont plus flexibles et moins
structurés que ceux des enquêtes formelles. Toutefois, l’échantillonnage n’étant pas
probabiliste, l’évaluation rapide peut produire des résultats biaisés et/ou imprécis, qui
risquent d’étayer des décisions mauvaises, voire catastrophiques ; ainsi, la réaction tardive
des donateurs à la famine au Sud-Soudan en 2001 était due à une évaluation rapide des
besoins déficiente (Collins, 2001). L’évaluation rapide de la situation sanitaire exige une
connaissance de la région et des compétences techniques, afin de sélectionner les données
pertinentes à collecter et les sites où se rendre. L’interprétation des informations réunies
grâce à ces évaluations rapides n’est pas aussi directe que pour les enquêtes formelles, et la
triangulation des données est cruciale.
Initialement, les méthodes d’évaluation rapide reposaient sur une combinaison de méthodes
de recueil de données simplifiées et d’entretiens et groupes de discussion. Les informations
qualitatives étaient censées palier les lacunes dans les données quantitatives collectées.
Module 4
Étude de cas n° 5
Évaluation rapide des besoins dans le secteur
de la santé en Iraq en 2003
114
Analyse du secteur de la santé dans les urgences complexes
Module 4
La motivation de ces évaluations rapides, à savoir l’obtention rapide d’informations
permettant la prise de décisions, a séduit les épidémiologistes intervenant dans la gestion
des catastrophes et conscients des limites des méthodes épidémiologiques classiques dès lors
qu’elles étaient confrontées à des conditions de terrain difficiles (Guha-Sapir, 1991). Au fil
du temps, les champs d’application, les méthodes et les modèles d’évaluation des besoins
sanitaires se sont multipliés.
La modification récente de la portée des évaluations rapides des situations sanitaires est sans
commune mesure avec l’émergence de nouvelles méthodes. L’objet initial de ces évaluations,
à savoir estimer l’impact sanitaire des catastrophes naturelles ou des déplacements de
populations, s’est élargi jusqu’à couvrir les déterminants systémiques des problèmes de santé
et de la survie, dont la capacité du secteur sanitaire à répondre aux besoins humanitaires.
La plupart des premières évaluations étaient axées sur une région spécifique, menées dans
des camps de réfugiés ou sur de petites zones géographiques, dans le but d’orienter les
actions de secours locales. Toutefois, les situations d’urgence complexes et les catastrophes
naturelles affectent souvent le tissu économique et social de pays ou de régions entiers.
En conséquence, l’approche traditionnelle de l’évaluation rapide, focalisée sur une région,
pour étudier une situation sanitaire est devenue inadéquate.
Ce qui est désormais essentiel, c’est d’explorer les déterminants sous-jacents qui affectent
la capacité des systèmes à répondre aux besoins sanitaires, au-delà des causes immédiates
bien connues de la morbidité et de la mortalité. Les données et observations doivent être
analysées, interprétées et mises en contexte : dans les situations d’urgence, même les chiffres
concrets risquent d’être défectueux. Le jugement subjectif joue ainsi un rôle important. En
outre, pour interpréter des données et les resituer dans un contexte sensé, il faut valoriser
la connaissance de la situation locale. « Une bonne évaluation rapide est une évaluation
qui accède à une section transversale de connaissances locales aussi vaste que possible »
(Collins, 2001). Il est nécessaire de mettre en œuvre le bon dosage de compétences, de
connaissances et la bonne attitude.
Jok (1996) a décrit la pratique des évaluations rapides des besoins dans le contexte du SudSoudan, montrant comment des incompréhensions fondamentales entre les urgentistes
et les bénéficiaires ont faussé les perceptions des participants, sapant ainsi l’utilité des
informations rassemblées. Boss, Toole et Yip (1994) ont examiné 23 études démographiques
menées en Somalie, découvrant que de profondes différences méthodologiques ont empêché
l’agrégation de leurs résultats en un tableau significatif de la morbidité, de la mortalité et de
l’état nutritionnel.
Les techniques d’évaluation rapide sont souvent adoptées en raison de leur simplicité ou de
la facilité apparente de leur mise en œuvre. Cette erreur de perception trahit la motivation qui
sous-tend ce type d’évaluation. Alors que les méthodes statistiques structurées contraignent
leurs utilisateurs à une certaine dose de discipline, aucune exigence équivalente ne semble
émerger des formats moins structurés d’évaluations rapides. Des urgentistes naïfs peuvent
adopter les évaluations rapides sans prendre la pleine mesure de leurs limites méthodologiques
et de leurs impératifs conceptuels.
Les situations d’urgence complexes requièrent une compréhension complexe et des ripostes
complexes : les contraintes liées à la sécurité, les échéances politiques, les considérations
techniques, la nécessité de rationner un financement limité et les options de politique publique
doivent tous être pris en compte. Les acteurs de la sphère humanitaire sont confrontés à
des priorités concurrentes et à plusieurs possibilités d’action. Il faut étudier la complexité
sans sacrifier aucun de ses aspects cruciaux. Cependant, pour refléter la complexité, les
évaluations rapides doivent impérativement être complexes sur le plan conceptuel,
voire méthodologique.
Des travaux ont été menés au sein des Groupes de responsabilité sectorielle Santé et Nutrition
(Global Health and Nutrition Clusters) du Comité permanent interorganisations (CPI), en
collaboration avec d’autres secteurs, dans le but de définir un modèle commun pour une
évaluation initiale rapide multiorganisations. Pour des orientations générales sur la gestion
Module 4 Étudier la situation et les besoins sanitaires
115
des informations de santé dans les situations d’urgence, voir le Module 2. Pour une analyse des
relations entre les besoins et les interventions humanitaires, voir Darcy et Hoffman (2003).
Les flambées de maladies transmissibles sont courantes au sein des populations touchées
par une guerre, comme on le sait depuis que Thucydide a décrit la peste d’Athènes (qui
s’est déclarée en 430 av. J.-C.). Jusqu’à la deuxième guerre mondiale, les armées ont eu à
déplorer davantage de pertes dues à la maladie que de morts liées aux combats (Garfield
et Neugut, 1991). Et encore dans les années 1980, durant la guerre entre Soviétiques et
Afghans, seulement 11 % des soldats soviétiques hospitalisés souffraient de blessures ou
de lésions (Grau et Jorgensen, 1997). Parmi les civils, il est apparent, dans la plupart des
combats de faible intensité, que la principale cause de morbidité et de mortalité n’est pas la
violence directe, mais les maladies transmissibles.
Les maladies transmissibles importantes, telles que le paludisme, les infections respiratoires,
la méningite, la tuberculose et le VIH/sida, sont endémiques dans les régions touchées pas
la guerre. La plupart des maladies modifient leur tableau épidémiologique. Les groupes de
population se déplacent, leur composition évolue, ils sont exposés à de nouveaux risques et
réagissent différemment. On observe une recrudescence spontanée de certaines maladies,
comme la diarrhée et la rougeole, dans la plupart des situations d’urgence complexes.
Comme le mettent en évidence les services de lutte contre les maladies, la transmission est
accrue et la sensibilité des individus et des groupes s’intensifie ; les flambées de maladies
endémiques deviennent fréquentes. Ainsi, de 1984 à 1994, une épidémie dévastatrice de
leishmaniose viscérale s’est déclarée au Sud-Soudan, au sein de populations qui n’avaient,
jusque-là, pas été atteintes, faisant quelque 100 000 morts (Seaman et al., 1996).
Les programmes de lutte, les prestataires de services de santé et les systèmes de surveillance
(lorsqu’ils fonctionnent) produisent des informations sur les maladies transmissibles.
Généralement incomplètes, ces données manquent souvent de cohérence, mais permettent
de se faire une idée de la situation globale. Si l’on veut examiner la gravité de la plupart
des maladies transmissibles importantes, les indicateurs les plus utiles sont le nombre de
personnes atteintes (exprimé par la prévalence ou l’incidence, selon les caractéristiques de
la maladie), le nombre de nouveaux cas identifiés par les services de santé, le nombre de
cas bénéficiant d’un traitement et le taux de létalité. La plupart des programmes de lutte
permettent de fournir des chiffres, dont il convient de vérifier la couverture, la fiabilité,
l’actualité et la cohérence. La solidité des programmes de lutte est extrêmement variable au
sein d’un même pays, si bien qu’il faut faire preuve de sélectivité pour déterminer s’il faut
ou non en retenir les rapports.
L’examen détaillé des réponses antérieures donne des informations intéressantes sur la
capacité des programmes de lutte (lorsqu’ils existent) ou du système de santé dans son
ensemble à réagir face à une crise, ainsi que des ressources dont il dispose. Il est fréquent
de tarder à identifier une épidémie ou à mettre au point une réponse, comme est fréquente
la non-coordination des mesures. Dans bien des cas, on peut déceler des erreurs techniques.
L’examen de données historiques peut également mettre en évidence la récurrence de
flambées d’une même maladie, avec souvent des schémas saisonniers. L’incapacité à traiter
par avance la recrudescence attendue ou, du moins, à élaborer une réponse adéquate à
déployer lors de la survenue de la maladie est révélatrice de la désorganisation affectant de
nombreux services de santé perturbés.
Il faut étudier la répartition géographique des cas rapportés. Elle est souvent fortement
liée à la couverture par les services de santé, plutôt qu’au véritable profil épidémiologique.
D’ordinaire, les zones sûres, comme les camps de réfugiés dotés de services de santé et de
systèmes d’information satisfaisants, sont à l’origine de la plupart des rapports. À l’inverse, les
perturbations qui touchent la prestation de services de santé dans de nombreux taudis urbains
surpeuplés expliquent la sous-déclaration et les erreurs fréquemment constatées lorsque
l’on étudie le profil épidémiologique dans ces contextes. Le fractionnement des secteurs
Module 4
Maladies transmissibles
116
Analyse du secteur de la santé dans les urgences complexes
de santé donne facilement lieu à des notifications séparées des occurrences de maladies.
Les données produites par ces systèmes isolés sont rarement consolidées en données
nationales ou analysées individuellement.
L’analyse des taux de létalité de maladies bien connues donne des indications importantes
sur la réponse apportée par les services de santé. Ainsi, un taux de létalité très supérieur à
1 % pour le choléra est le signe d’une performance non satisfaisante. Cependant, des taux de
létalité élevés peuvent signaler la vulnérabilité accrue à une maladie d’une population dans
une situation difficile, induite par une famine, des difficultés ou un retard d’accès aux soins.
Ces facteurs sont fréquemment associés à des contextes de guerre.
Si l’inquiétude de l’opinion publique et la couverture médiatique peuvent être plus fortes lors
d’épidémies de maladies rares, qui ne s’étaient pas encore déclarées voire qui n’étaient pas
répertoriées, comme Ebola ou Marburg, la mortalité est généralement plus élevée dans le cas
d’une transmission accrue de maladies communes déjà présentes dans l’environnement.
Les maladies qui nécessitent un traitement continu et sur une longue durée, comme la
tuberculose, prospèrent dans les contextes instables marqués par des violences intermittentes.
Les camps de réfugiés ou les zones qui auparavant étaient sûres, où les dispositifs de lutte
ont été mis en place avec succès, peuvent être attaqués, d’où des mouvements de population
et l’interruption des traitements.
Pour un examen synthétique de cet aspect, voir Connolly et al. (2004).
Surveillance
Module 4
Dans la plupart des crises persistantes, les systèmes de surveillance locaux s’effondrent.
Peut-être étaient-ils déjà inefficaces avant le début des hostilités. Les données générées par
les vestiges des systèmes en place peuvent devenir à peu près inutiles, en raison de leurs
lacunes et de leur manque de fiabilité. Dans de nombreux contextes, la mise en place de
mécanismes de surveillance ou la restauration des systèmes perturbés échoit aux organisations
internationales, telles que l’OMS, qui peuvent être à même de travailler sans considération
des lignes de front.
Les systèmes de surveillance efficaces en temps de guerre sont vraisemblablement le fruit
d’une coopération entre agents de terrain, ONG, institutions locales et organismes d’aide
qui signalent les changements dans le profil épidémiologique à une entité centrale, chargée
de tenir à jour les chiffres, de les vérifier, de filtrer les rumeurs de flambées, d’identifier les
maladies concernées et de coordonner les réponses appropriées.
Des réseaux souples d’organisations collaboratives sont davantage capables de s’adapter à
l’évolution de l’environnement et de réagir rapidement aux menaces que les mécanismes de
surveillance dédiés, structurés et de routine. Les sites sentinelles semblent particulièrement
peu adaptés aux environnements ravagés par la guerre (Weinberg et Simmonds, 1995).
La mise en œuvre de mécanismes de surveillance sert divers objectifs. Ils permettent de
garder la trace des effets de la guerre sur la transmission des maladies, de canaliser les
capacités et ressources existantes afin de traiter les problèmes de santé confirmés, de rassurer
l’opinion publique en vérifiant les rumeurs d’épidémie (fréquentes dans un environnement
subissant les effets d’un conflit) et constitue souvent le mécanisme de coordination le plus
efficace qui soit dans un secteur de santé dégradé.
Les chiffres que génèrent ces mécanismes de surveillance doivent être maniés avec prudence.
Ainsi, les variations dans la fréquence d’une maladie peuvent être dues à des changements dans
la mise en œuvre des mécanismes de notification, plutôt qu’à une véritable recrudescence de
la transmission d’une maladie. En vérifiant si des rapports sur des maladies qui ne devraient
pas être affectés par des perturbations violentes font eux aussi état d’une augmentation, on
peut distinguer les véritables changements des artefacts.
Il convient d’adapter les mécanismes de surveillance aux environnements affectés par des
conflits. Dans la plupart des cas, il s’agit de les simplifier en les focalisant sur un moins
grand nombre de maladies d’importance critique pour la santé publique et qui risquent de se
répandre à cause de la guerre. Les formulaires et les rapports doivent souvent être élaborés
Module 4 Étudier la situation et les besoins sanitaires
117
en plusieurs langues pour que les parties en conflit puissent les accepter et les agents des
organismes d’aide les utiliser. Il faut parfois clarifier la définition de maladies locales afin
d’éviter tout malentendu. Il est souhaitable de disposer d’un réseau redondant d’organes
de notification de sorte que, quand l’un n’est pas à même d’effectuer la notification, un
autre puisse prendre le relais. Il convient que les exigences pour l’établissement de rapports
soient minimales, afin de s’assurer la collaboration de partenaires qui se trouvent dans des
situations difficiles.
Un système de surveillance pourrait évoluer au fil du temps, par tâtonnements, et en raison du
départ de participants et de l’arrivée de nouveaux. Il faut déployer des efforts pour s’assurer
que la précieuse expérience accumulée en temps de guerre est transmise aux mécanismes
de surveillance structurés et permanents qui doivent être établis une fois le conflit achevé.
Ce processus ne peut être tenu pour acquis, car il n’est pas rare de se heurter, durant les phases
de rétablissement, à des pressions en faveur de la mis en place de systèmes de surveillance
lourds, rigides et nécessitant des ressources importantes. Des programmes puissants de lutte
contre les maladies, par exemple, font souvent pression pour l’instauration de systèmes de
surveillance dédiés assez sophistiqués.
Checchi F. et Roberts L. Interpreting and using mortality data in humanitarian
emergencies: a primer for non-epidemiologists. (Humanitarian Practice
Network Paper No. 52) Londres, ODI, 2005. Disponible en ligne à l’adresse
suivante : www.odihpn.org, consulté le 10 janvier 2011.
Excellente introduction à un domaine où foisonnent les approches défaillantes de la
collecte de données, les interprétations faussées et les utilisations partisanes des résultats
d’enquête. C’est précisément parce que les données sur la mortalité sont controversées et
que, souvent, les décideurs qui doivent s’appuyer dessus pour agir sont peu familiarisés
avec les concepts et outils d’épidémiologie, que ce manuel clair et lisible sera extrêmement
utile s’il est consulté par son public cible.
Cet ouvrage passe en revue tous les aspects qu’un lecteur examinant des données sur
la mortalité collectées lors d’une situation d’urgence humanitaire doit prendre en
considération afin d’interpréter correctement les constats et de les replacer dans le
contexte adéquat. En outre, il attire l’attention sur les éventuels écueils auxquels se heurte
ce type d’enquête et indique comment reconnaître des enquêtes défaillantes. Une brève
discussion sur la politique publique associée à la mortalité complète cet examen. Les
chiffres et les exemples tirés d’enquêtes menées lors de plusieurs conflits, notamment
en Angola, en Iraq, en République démocratique du Congo et au Soudan, clarifient les
concepts et rendent le texte plus vivant.
New Sudan Centre for Statistics and Evaluation, en association avec l’UNICEF.
Towards a baseline: best estimates of social indicators for Southern
Sudan. 2004. Disponible en ligne à l’adresse suivante : www.reliefweb.int/
library/documents/2004/splm-sud-31may.pdf, consulté le 10 janvier 2011.
Brillant exemple de compilation de chiffres cruciaux issus de diverses sources, produisant
ainsi une information nettement plus fiable et utile que les données originales. Les étapes
et les critères utilisés pour rejeter ou, à l’inverse, accepter des indicateurs concurrents sont
présentés de façon claire et explicite. Le lecteur est guidé à travers les différentes options
disponibles, les inconvénients des ensembles de données existants et les choix finalement
retenus. Au lieu de lancer de nouveaux cycles de collecte de données, l’auteur s’est efforcé
d’utiliser les chiffres disponibles et de discuter des résultats obtenus avec ceux qui les
utilisent et ceux qui les produisent. Cet exercice a eu pour issue naturelle un ensemble
de données négocié avec les principales parties prenantes, et donc plus susceptible d’être
utilisé par tout le monde.
Module 4
Conseils de lecture
118
Analyse du secteur de la santé dans les urgences complexes
Summerfield D. A critique of seven assumptions behind psychological
trauma programmes in war-affected areas. Social Science and Medicine,
48:1449-1462, 1999.
Module 4
Contribution qui incite à la réflexion ; elle soulève des questions fondamentales sur la
validité des programmes de prise en charge des traumatismes psychologiques chez les
populations touchées par un conflit. Summerfield déploie un argumentaire convaincant
sur la nature de la détresse infligée par la guerre. « Les réactions humaines à la
guerre ne sont pas analogues au traumatisme physique : les gens n’enregistrent pas
passivement l’impact de forces externes (contrairement, par exemple, à une jambe
touchée par une balle) mais s’engagent avec elles sur un chemin actif de résolution du
problème. Les souffrances naissent à partir d’un contexte social, dans lequel elles sont
résolues, contexte façonné par les significations et les interprétations appliquées aux
événements. » Si cette interprétation de la détresse se vérifie, alors, les programmes de prise en
charge des traumatismes psychologiques qui la médicalisent et la gèrent individuellement,
comme un problème technique auquel s’appliquent des solutions techniques à court
terme, sont fondamentalement mal conçus. « Il y a eu peu d’évaluations indépendantes
des bienfaits des programmes de prise en charge des traumatismes psychologiques, mais
leur attrait aux yeux des donateurs peut s’expliquer par leur capacité à offrir une forme
d’intervention à la mode, limitée dans le temps et apparemment politiquement neutre, qui
évite les questions controversées que les guerres mettent en évidence. La Bosnie comme
le Rwanda ont montré comment les pouvoirs publics occidentaux pouvaient cacher leurs
motivations mêlées lorsqu’ils étaient confrontés aux causes et aux agresseurs derrière un
modèle d’aide de type « nourrir et conseiller » qui n’inclut aucune protection physique
ni justice réparatrice. » Les derniers mots de cette contribution ont une résonnance qui
va bien au-delà des programmes de prise en charge des traumatismes psychologiques
qu’elle traite : « La guérison sociale et la refondation des mondes ne peut être l’œuvre
d’intervenants extérieurs. »
Young H. et Jaspars S. The meaning and measurement of acute malnutrition
in emergencies: a primer for decision-makers. Londres, ODI, 2006
(Humanitarian Practice Network Paper No. 56). Disponible en ligne à l’adresse
suivante : www.odihpn.org, consulté le 10 janvier 2011.
Les enquêtes nutritionnelles sont conduites dans une multitude de contextes, afin
d’évaluer la gravité des crises humanitaires et d’orienter les réponses apportées par l’aide.
Malgré leur popularité et la disponibilité de techniques standard, dont la valeur n’est
plus à démontrer, beaucoup d’enquêtes souffrent de graves défauts méthodologiques et
produisent des données d’une qualité douteuse. Pour leur part, décideurs et journalistes
ont souvent du mal à saisir le sens des données disponibles sur la nutrition. Il est donc
courant que ces informations nutritionnelles soient mal utilisées.
Ce manuel clair et concis parvient à présenter dans un langage non technique l’objectif
des enquêtes nutritionnelles, les méthodes observées pour collecter les données et les
indicateurs produits. Il traite de la signification de ces indicateurs, de leurs limites et de
leur valeur aux fins de sélectionner l’intervention adéquate. Il ne manque pas de souligner
la nécessité d’explorer les facteurs qui sous-tendent les valeurs de prévalence absolues,
ni de combiner les données nutritionnelles avec les chiffres de la mortalité afin d’en tirer
les déductions correctes. Pour résumer, ce manuel propose au néophyte un point de départ
efficace et indolore.
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10 janvier 2011.
119
Module 4
Module 4 Étudier la situation et les besoins sanitaires
120
Analyse du secteur de la santé dans les urgences complexes
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Module 4
Annexe 4 Le VIH/sida et les conflits
Dans un pays où sa prévalence est élevée, ou qui tend vers une prévalence élevée, on ne
saurait mettre suffisamment l’accent sur l’impact du VIH/sida sur l’espérance de vie, la
situation sanitaire et la société dans son ensemble (production économique, institutions,
fonction publique, moyens de subsistance, structures familiales, structures démographiques et
genrées 3 , etc.). En pesant sur les stratégies d’adaptation déjà surexploitées des communautés
pauvres, le sida favorise, à travers plusieurs mécanismes, l’émergence de nouvelles catégories
de ménages vulnérables. Il change les modèles de dépendance, cause des pertes d’actifs et
de compétences, et joue sur la situation sanitaire par l’interaction avec la malnutrition et les
maladies transmissibles. Une fois répandu, le VIH/sida a des conséquences économiques
dramatiques, affectant le financement intérieur et la prestation de services de santé, tant
publics que privés.
Étant donné la longue durée d’incubation entre le moment de l’infection et celui où la
maladie se manifeste, les pays qui sortent d’une crise prolongée peuvent devoir relever un
défi supplémentaire, qui dépasse largement leur capacité de réaction. Les effets durables du
conflit peuvent être encore plus graves que prévu lorsque la maladie se déclare. Au moment
de formuler des prévisions des niveaux de financement à venir, il faut ajouter le fort impact
macroéconomique du sida aux infrastructures détruites et à l’effondrement des systèmes.
L’important décalage temporel entre la contagion et la manifestation de ses effets est visible
sur la population dans son ensemble ainsi que chez les individus. La baisse de vigilance est
un risque constant, comme on a pu l’observer à maintes reprises par le passé. Les décideurs
peuvent minimiser une épidémie naissante simplement parce que peu de personnes présentent
les symptômes du sida. Lorsque la gravité de l’épidémie devient patente, le secteur de la santé
et le pays dans son ensemble ne sont pas préparés à y faire face. C’est une dure leçon qu’a
dû apprendre plusieurs fois l’Afrique australe. Au début de la longue vague de VIH/sida, les
pays devraient en prendre note et agir résolument avant qu’il ne soit trop tard.
Malgré son impact dévastateur, le VIH/sida peut ne pas figurer à l’ordre du jour des débats
sur la politique de santé, généralement monopolisée par de violentes perturbations et par les
réponses humanitaires. La compartimentation du secteur de l’aide facilite cette surveillance.
La possibilité que le sida constitue un terrain favorable à des bouleversements politiques
a été soulevée avec insistance dans le secteur de la sécurité (Chemical and Biological
Arms Control Institute/Center for Strategic and International Studies, 2000 ; Elbe, 2002).
L’argument a une logique implacable : un État dont la base de recettes est affaiblie et écornée
par les soins à apporter aux malades, l’enterrement des défunts et le remplacement des
pertes, les rangs de ses forces de sécurité étant décimés, sera plus facilement victime des
auteurs de violences, dont l’émergence est encouragée par la détresse sociale.
Néanmoins, « … la surmortalité liée à l’épidémie est d’une ampleur similaire à celle qu’a
connue la France durant la première guerre mondiale, une expérience qui a traumatisé
ce pays […] Pourtant, l’Afrique australe et l’Afrique orientale ne sont pas traumatisées
[…], la vie continue de façon étonnamment normale. Pas de paranoïa et à peu près pas de
nouveau culte religieux ou de la mort. » (Caldwell, cité dans de Waal, 2006). La résilience
de ces systèmes politiques et sociaux africains est surprenante : malgré la gravité de la crise
et son large impact, aucune conséquence politique grave ne s’est encore fait jour. La crise a
été absorbée. En revanche, on ne sait pas si cette capacité à absorber des chocs d’une telle
ampleur s’explique par la résilience ou, à l’inverse, par une incapacité persistante, qui fait
que ces systèmes sont déjà inaptes à honorer leurs fonctions de gouvernance de base (voir
de Waal, 2006).
3
En Afrique subsaharienne, les femmes sont plus nombreuses que les hommes à être infectées,
et elles le sont plus jeunes. Par conséquent, le sida fait davantage de victimes chez les
femmes que chez les hommes.
Annexe 4
Annexe 4
Le VIH/sida et les conflits
121
122
Analyse du secteur de la santé dans les urgences complexes
Annexe 4
La relation entre VIH/sida et conflit fait l’objet d’études dans plusieurs contextes. Des données
émanant d’Ouganda laissent à penser que l’armée est un vecteur important de l’infection
(Smallman-Raynor et Cliff, 1991). En Guinée-Bissau, durant la guerre d’indépendance, la
diffusion du VIH-2 a spectaculairement progressé parmi les soldats portugais et la population
locale. Au Mozambique, les réfugiés de retour chez eux et qui avaient contracté l’infection
dans un pays voisin ont contribué à un essor dramatique de la prévalence après guerre.
Cependant, il serait erroné de comprendre le conflit comme synonyme de la diffusion du
VIH. Une analyse critique des données disponibles remet en cause le lien précédemment
admis entre violence et transmission accrue du VIH. Spiegel et al. (2007) « n’ont pas trouvé
assez de données pour étayer les hypothèses selon lesquelles le conflit, le déplacement forcé
et les viols à grande échelle induisent une prévalence accrue ou que les réfugiés répandent
l’infection à VIH au sein des communautés hôtes ». Strand et al. (2007) ont relevé les taux de
prévalence en Afrique subsaharienne durant la décennie 1991-2000, par rapport aux niveaux
de conflits armés (estimés au moyen d’un indice combinant la gravité et la durée de chaque
conflit) ; ils ont constaté une relation inverse relativement forte. Par conséquent, la violence
pourrait réduire la transmission du VIH.
En réalité, après des guerres longues et ravageuses, l’Angola, la République démocratique
du Congo, la Sierra Leone et le Sud-Soudan affichent des taux de prévalence moins élevés
qu’attendu. Parce qu’elle isole les communautés et réduit les mouvements transfrontières, la
guerre ralentit probablement la diffusion du virus (Spiegel, 2004). Au Cambodge, l’épidémie
a commencé lorsque le pays est sorti de son isolement au début des années 1990, avec
l’arrivée massive de forces de maintien de la paix des Nations Unies. Aucune relation de
cause à effet n’a été établie, mais l’association temporelle est claire.
À l’évidence, les généralisations ne sont pas corroborées par les faits. L’effet net des
violences de longue durée sur la transmission du VIH est fortement lié au contexte et dépend
de plusieurs facteurs, notamment :
• la prévalence du VIH avant le conflit dans la communauté affectée
•
le stress induit et l’ampleur des déplacements
•
la prévalence du VIH dans la communauté hôte
•
la perturbation du tissu social induite par le conflit
•
l’interaction entre les victimes de guerre et le reste de la population
•
le niveau de violence atteint
•
les pratiques des belligérants
•
la réponse humanitaire à chaque crise
•
les stratégies d’adaptation des individus et communautés victimes du conflit.
Étant donné que les facteurs en jeu diffèrent d’un conflit à l’autre, il est difficile de prévoir
l’impact qu’aura in fine la violence sur l’épidémie de VIH/sida. Lorsque le virus est déjà
présent, la concentration de personnes déplacées dans les zones urbaines ou les camps peut
en intensifier la transmission. Le boom économique post-conflit peut également accroître
la diffusion du virus. L’intervention d’armées étrangères dans un conflit, en tant que parties
au combat ou forces de maintien de la paix, joue un rôle crucial dans la propagation de
l’infection dans deux directions : du pays d’origine vers le pays en conflit ou vice versa,
lorsque les soldats retournent chez eux.
En particulier, les conflits brutaux où de nombreuses femmes se font violer (ce qui accroît le
risque de transmission), l’infection peut être disséminée au-delà de l’association habituelle
entre soldats et professionnels du sexe. Cependant, « il n’existe aucune donnée prouvant que
les viols augmentent la prévalence de l’infection à VIH au niveau de la population » (Spiegel
et al., 2007).
Les transitions de la guerre à la paix, combinant des opportunités d’exposition plus
nombreuses à une vulnérabilité accrue en raison du stress cumulé, peuvent fortement accélérer
Annexe 4 Le VIH/sida et les conflits
123
Pays
Prévalence du VIH
mesurée par les EDS
d’après les estimations précédentes
Cambodge
0,6 % (2005)
3,7 %
Congo
(République
démocratique)
1,3 % (2007)
4-5 %
2,2 % (2005-6)
> 5%
Libéria
1,5 % (2007)
5,7 %
Rwanda
3,0 % (2005)
5,1 %
Haïti
Source : Enquêtes démographiques et de santé (EDS) : www.measuredhs.com
Dans les situations où la prévalence du VIH est élevée, la maladie a diverses incidences sur
le secteur de la santé :
• Elle augmente la demande de services de santé, en volume aussi bien que sur le
plan technique. Le rapport personnel soignant/patients hospitalisés peut s’alourdir
significativement. Le coût de traitement d’un patient augmente substantiellement.
Les malades du sida peuvent évincer d’autres malades, pour qui il devient alors impossible
d’obtenir un traitement. L’écart entre l’accroissement de la demande potentielle de
traitement et le niveau stable voire en diminution de la capacité de riposte des secteurs de
santé en crise peut se creuser, sans qu’il en soit fait état. Lorsque les données primaires le
permettent, l’étude de cet écart peut donner des indications précieuses aux décideurs.
•
Elle augmente le volume de médicaments consommés et impose la prescription de
médicaments plus onéreux. La déréglementation du marché des médicaments, courante
en cas de troubles, implique la libre circulation d’antibiotiques et d’antirétroviraux, et
l’on peut prévoir les effets sur l’efficacité de ces traitements.
•
En attirant les cadres les plus qualifiés, les interventions sur le VIH/sida, bien pourvues
en ressources, affament les autres services, dont les capacités sont rares.
•
Elle augmente la diffusion de la tuberculose, ce qui multiplie le nombre de patients à
soigner. Dans les contextes où la prévalence du VIH est élevée, la tuberculose peut être
deux à trois fois plus courante qu’en l’absence de VIH.
Annexe 4
la transmission. En conséquence, il faut lancer des interventions de lutte vigoureuses à la fin
d’un conflit, ou même plus tôt si des opportunités se présentent. Jusqu’à présent, la plupart
des opportunités offertes par le processus de paix ont été manquées. Pour un examen complet
des relations entre conflit et VIH, voir Mock et al. (2004).
On ne connaît pas la véritable prévalence de cette maladie dans la plupart des pays en crise.
Les données disponibles peuvent provenir d’un nombre restreint d’études menées dans des
environnements à haut risque, comme les zones urbaines, les corridors de transport ou les
zones sécurisées (où la présence militaire est donc significative). Dans ces cas, elles peuvent
transmettre une image fausse de la situation générale. Il convient donc d’examiner de près la
localisation désagrégée des estimations de la prévalence. Ce n’est que si l’on connaît grosso
modo la proportion de la population totale qui vit dans un environnement à haut risque et que
l’on établit quelques estimations d’un environnement à faible risque que l’on pourra procéder,
sous toute réserve, à une estimation approximative mais éclairée pour la population totale.
Dans les pays où les troubles sont graves, il est rare de réunir ces conditions. Partant, les
chiffres locaux de la prévalence doivent être présentés comme tels et ne pas être généralisés à
l’ensemble de la population, comme c’est souvent le cas de facto. Lors de conflits régionaux
caractérisés par de vastes mouvements de population au sein même des pays et transfrontières,
l’occurrence de la maladie peut changer rapidement et considérablement. Le concept même
de prévalence nationale devient douteux dans ce contexte.
Toutefois, un schéma clair se dégage. Les pays sortant d’un long conflit et qui sont parvenus
à mener une vaste enquête aléatoire sur la population ont constaté des niveaux de prévalence
du VIH nettement inférieurs à ceux précédemment enregistrés (d’après les estimations
provenant d’un échantillon de femmes enceintes bénéficiant de soins anténatals).
124
Analyse du secteur de la santé dans les urgences complexes
•
Elle multiplie les décès chez les agents de santé et réduit leur productivité lorsqu’ils sont
encore actifs. Dans un pays où la prévalence est stable à 5 %, on peut s’attendre à une
surmortalité de 0,5-1 % chez les agents de santé. Lorsque la prévalence est très élevée, la
perte supplémentaire d’effectifs peut s’établir entre 3 et 7 % (Banque mondiale, 1999).
•
Elle accroît la demande de soins à domicile, que de nombreux secteurs de santé ne sont
pas à même de fournir.
•
Elle accroît la demande de nouveaux agents de santé qualifiés, qui doivent être formés
à traiter des situations plus complexes et à combler des pertes dues à la surmortalité
chez le personnel de santé. Le renforcement de la formation implique des coûts
supplémentaires.
Annexe 4
Tous les facteurs convergent vers une hausse substantielle des coûts de fonctionnement aussi
bien que des besoins de capitaux dans le secteur de la santé. Cette explosion des coûts
survient parallèlement à une contraction économique générale, qui sape le financement du
secteur public, et à une hausse spectaculaire de la proportion de personnes dépendantes,
ainsi qu’à un appauvrissement de la population affectée, qui n’est pas à même de supporter
la totalité des coûts de traitement. Le pays peut entrer dans un piège inexorable, une spirale
infernale où se succèdent crise économique, épuisement des mécanismes d’adaptation,
contraction démographique, accentuation de l’appauvrissement et réduction des capacités
de lutte contre la maladie.
L’inquiétude que cause la maladie engendre une hausse frappante des ressources consacrées
à la lutte contre celle-ci. Des organismes donateurs et fondations caritatives ont mis
à disposition un volume considérable de fonds, déboursés via une multitude de canaux.
Dans de nombreux cas, les projets semblent être le principal moyen adopté. Puisque les fonds
alloués à la lutte contre le VIH ne sont pas tous des fonds additionnels, il existe un risque
réel de voir s’amenuiser les ressources affectées au soutien d’autres interventions sanitaires
importantes. C’est sans doute une ambition vouée à l’échec que de vouloir reconstruire un
secteur de la santé sur une base saine en présence d’entrées massives de fonds destinés à la
lutte contre le sida, pour l’essentiel déboursés par une multitude d’ONG étrangères, compte
tenu des contraintes d’absorption qui risquent d’affecter les institutions locales.
Ce que l’on appelle l’« AIDS exceptionalism » (l’exception que constitue le sida) a suscité
des inquiétudes : trop d’argent est consacré au VIH/sida par rapport aux autres maladies, et
il est utilisé de manière inefficiente, et parfois contre-productive (England, 2007). Dans les
environnements déchirés par la guerre, où d’autres services de santé sont déjà très rares, il est
flagrant que le choix des mesures de lutte contre le sida présente un coût d’opportunité élevé.
On s’interroge aussi sur la faisabilité d’apporter des soins permanents relatifs au sida dans
des environnements où les mouvements de la population, qui cherche à éviter la violence,
sont fréquents et imprévisibles.
Le VIH/sida réduit à néant l’ancien concept véhiculé par des soins de santé primaires, à savoir
les soins simples et bon marché. Néanmoins, dans les environnements où la prévalence est
forte, la prestation de soins de santé à ces patients doit devenir partie intégrante des services
de base. En revanche, on ne sait pas bien comment parvenir à la modernisation nécessaire
des services de santé dans des contextes où les ressources sont rares. La littérature ne fait pas
encore apparaître de changement de paradigme dans les modèles sanitaires, bien qu’il soit
incontournable. Si ce changement est repoussé, le prix à payer sera la diminution progressive
de la couverture par les services de base. Dans les pays où les ressources et les capacités
font gravement défaut (et c’est souvent le cas dans les secteurs de la santé perturbés), la
poursuite des ripostes opérationnellement exigeantes et non rentables ne peut qu’induire une
limitation de l’accès aux soins de santé, aussi bien généraux que liés au sida, et une montée
des inégalités. Malgré l’augmentation récente des ressources disponibles, due à des flux
d’aide et à des dons de médicaments, l’engorgement des capacités qui touche tant de secteurs
de santé meurtris par la guerre risque fort d’entraver la fourniture de soins de santé de base
pour une très longue période.
Annexe 4 Le VIH/sida et les conflits
Banque mondiale. Confronting AIDS: public priorities in a global epidemic. Washington,
DC, 1999.
CBACI/CSIS. Contagion and conflict: health as a global security challenge. Washington,
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Annexe 4
Annexe 4
Références bibliographiques
125
126
Analyse du secteur de la santé dans les urgences complexes
Notes :
Annexe 4
Module 5
Comprendre les processus d’élaboration de la
politique sanitaire
128
Analyse du secteur de la santé dans les urgences complexes
Résumé
Ce module cherche à étudier une question nébuleuse : la formulation de la politique sanitaire
et l’absence de cette politique, voire sa disparition, dans les secteurs de la santé en crise.
Il s’appuie pour cela sur diverses situations bien documentées, observées en Afghanistan,
en Angola, au Kosovo, au Mozambique, en Ouganda, en République démocratique du
Congo et au Soudan. L’analyse de la politique existante et de la façon dont elle est définie
livre de nombreuses informations sur le secteur de la santé et sur ses facteurs d’influence.
Elle donne des indications sur ses orientations, ainsi que sur les obstacles à la prise de
décisions et à la mise en œuvre. Ce type d’analyse peut empêcher de retomber dans les pièges
et les erreurs du passé, et permet d’identifier les pistes et aspects prometteurs. Ce module
traite des schémas communs et propose des méthodes d’analyse de la politique. Il décrit
brièvement les principales caractéristiques des acteurs les plus influents qui interagissent. Sa
dernière partie est consacrée à la coordination des ressources extérieures, qui constitue un
élément essentiel lors de crises prolongées.
L’Annexe 5 examine l’importance d’une cellule d’information dans un environnement
perturbé, et présente des propositions pour sa structure, ses activités et son positionnement
institutionnel, afin que cette entité puisse fonctionner efficacement.
Modules connexes :
Module 3. Comprendre le contexte passé, présent et futur du pays
Module 6. Analyser le financement et les dépenses du secteur de la santé
Module 7. Analyser les modèles de prestation des soins de santé
Module 8. Analyser les systèmes de gestion
Module 12. Formuler des stratégies pour le relèvement d’un secteur de la santé
en crise
Introduction
Module 5
Lorsque le secteur de la santé est en crise, ses acteurs sont confrontés à un dilemme.
Ils doivent en effet décider de :
a. s’attacher à préserver les fonctions de base du système, en colmatant les brèches dès
qu’elles apparaissent et, si possible, en introduisant des innovations avec prudence, de
façon marginale et à un rythme permettant au système de les absorber, ou au contraire :
b. conclure que le système est irréparable, l’abandonner à son sort et concevoir un système
entièrement nouveau.
Même si ce dilemme n’est pas explicitement reconnu, il imprègne l’analyse des politiques
avant et après la crise, à tous les niveaux de décision.
Une évaluation détaillée des forces et des faiblesses du système doit donner de précieuses
indications aux décideurs. Elle est par nature difficile, tant pour les acteurs directs que pour
les intervenants extérieurs. Les premiers, qui opèrent depuis toujours à l’intérieur d’un
cadre précis, bien délimité et qu’ils tiennent pour acquis, peinent à en sortir pour trouver
des approches nouvelles. Ils ont donc tendance à privilégier la prudence. Les seconds, qui,
dans la plupart des cas, n’ont pas une connaissance approfondie du secteur de la santé, sont
susceptibles de réagir au désordre qu’ils observent en concluant que rien d’essentiel n’a
survécu à la crise et que, par conséquent, la seule solution sensée consiste à repartir de zéro.
Aucun pays en crise ne ressemble à un autre. À l’une des extrémités du spectre, le souhait
de maintenir les fonctions de base du système (et la capacité du ministère de la Santé à
présenter au monde extérieur la situation sous un jour favorable) peut expliquer l’approche
prudente adoptée par la plupart des parties prenantes pendant et après une guerre civile,
comme au Mozambique. Dans ce pays, les appels périodiques à un changement radical,
qui n’étaient généralement pas étayés par des arguments convaincants, n’ont guère été pris
en compte. À l’autre extrémité, l’effondrement du système, comme en Afghanistan ou en
Somalie, ou la naissance de nouvelles entités politiques, telles que le Kosovo et le Timor-
Leste, encourage des approches innovantes, avec redéfinition des fondamentaux. Il reste
néanmoins à déterminer si les stratégies énergiques donnent de bons résultats dans certains
environnements difficiles. Pour une analyse du cas du Kosovo, voir l’Étude de cas n° 7 et
l’Exercice 5 dans le Module 15.
En privilégiant la prudence, on risque de passer à côté d’excellentes opportunités de
changement, ainsi que de gaspiller des efforts et des ressources pour tenter de maintenir
un système qui ne peut déjà plus être sauvé. A contrario, un changement radical peut faire
disparaître des fonctions qui avaient survécu et peser encore plus sur des capacités déjà
fragiles, ce qui aggrave les dégâts provoqués par le conflit. Dans ce cas, le secteur de la santé
considéré hâtivement comme condamné finit par mourir, confirmant le diagnostic initial
(qui est cependant erroné).
Le terme « politique » recouvre un large éventail de lois, d’approches, de dispositions,
de lignes directrices, de règles et d’usages. Certaines mesures au niveau macro ont des
répercussions dans la plupart des domaines, voire dans tous, y compris dans le secteur de la
santé, et les acteurs de ce secteur ont peu de possibilités d’agir sur ces effets. La politique
budgétaire et la politique relative à la fonction publique entrent dans cette catégorie.
La politique sanitaire peut avoir un champ large ou limité. Les mesures de niveau macro,
qui ont des répercussions de grande ampleur, ont le plus souvent un caractère fortement
politique, même lorsqu’elles sont prônées pour leurs prétendus mérites techniques. C’est
par exemple le cas pour la politique des soins de santé primaires, la décentralisation, la
réforme du secteur de la santé, ainsi que pour les nouveaux mécanismes de financement, qui
influencent (ou devraient influencer) la plupart des aspects de la prestation de services de
santé. D’autres politiques, de nature strictement technique, ont un champ plus restreint, tel
que la lutte contre une maladie transmissible ou le contrôle de la qualité des médicaments.
Ce module est principalement axé sur les politiques de niveau macro et sectorielles, qui
ont des conséquences pour l’ensemble du secteur de la santé ou pour d’importants pans de
ce secteur.
La politique sanitaire est identifiable (ou plutôt devrait l’être) même lorsqu’elle ne fait
pas l’objet d’une présentation par écrit (ou quel que soit le contenu de cette présentation).
Les mécanismes qui permettent de fournir des services de santé, de décider de la répartition
des ressources, de produire des informations et de les utiliser, d’assurer l’interaction des
différentes parties prenantes, de mettre en œuvre des pratiques anciennes et d’introduire
des pratiques nouvelles forment ce que l’on appelle la « politique » applicable au secteur
de la santé sur une période donnée. Ce sont aussi des décisions innombrables et éparses qui
façonnent un mode de fonctionnement spécifique.
La politique évolue au cours du temps sous l’effet de multiples facteurs. Si l’environnement
est instable, cette évolution peut s’accélérer. Ainsi, de brusques changements sont susceptibles
d’entraîner l’inversion complète de certains processus et, si la crise s’aggrave, le cadre
déjà fragile qui régit le secteur de la santé peut s’effondrer. Ce sont les méthodes de travail
transmises oralement par les intervenants chevronnés à leurs collègues plus novices, qui
risquent le plus de tomber dans l’oubli. N’étant pas au fait des pratiques en vigueur avant
la crise, ces nouveaux acteurs risquent d’accélérer cette tendance. Dans cet environnement
de crise, les documents d’orientation deviennent l’unique référentiel dont disposent les
parties prenantes, qui en déplorent parfois l’absence ou qui demandent à ce qu’ils soient
plus détaillés.
L’environnement
Durant une crise prolongée, presque tous les facteurs font obstacle à une élaboration efficace
de la politique. L’autorité de l’État est contestée, les hauts dirigeants perdent leur poste ou en
changent, le secteur public est paralysé, l’instabilité et l’incertitude dissuadent de mener des
projets de long terme, l’information est médiocre, les acteurs se multiplient ou sont remplacés
par d’autres, la mémoire institutionnelle est fragile, l’analyse de la politique comporte souvent
des sous-entendus politiciens, et les responsabilités ainsi que la transparence sont difficiles à
129
Module 5
Module 5 Comprendre les processus d’élaboration de la politique sanitaire
130
Analyse du secteur de la santé dans les urgences complexes
Module 5
faire appliquer. Il n’est donc pas étonnant que les exemples documentés de bonnes pratiques
d’élaboration de la politique de santé soient rares.
Le secteur de la santé s’inscrit dans un cadre plus général, qui influe sur les choix opérés.
Ainsi, le libre-échange, la nouvelle gestion publique et la décentralisation font tous partie
de processus mondiaux qui influent sur le secteur mais qui résultent d’une logique politique
et économique qui n’est pas forcément souhaitable si l’on considère uniquement le point
de vue du secteur de la santé (Reich, 2002). Les négociations politiques entre pouvoirs
publics, groupes rebelles, agences des Nations Unies, donateurs, banques de développement,
entreprises et prestataires privés, armées étrangères et forces de maintien de la paix aboutissent
à des décisions importantes qui concernent le secteur de la santé et qui déterminent la marge
de décision de ses acteurs. Comme au cinéma, les acteurs d’une situation de crise doivent,
dans une certaine mesure, respecter des scénarios déjà écrits, obéir aux instructions du
réalisateur et de la production, et tenir compte de la réaction des critiques et du public.
« L’État puissant idéalisé, dans lequel le ministre de la Santé a la haute main sur l’élaboration
des politiques, sur la répartition des ressources et sur la régulation de ce secteur, est de
moins en moins présent dans de nombreuses régions du tiers- monde. Dans bien des pays en
développement, et particulièrement en Afrique, l’État ne dispose pas des capacités nécessaires
ni, dans certains cas, de la volonté politique, pour exercer sa souveraineté […]. Dans ces pays,
la fragilité de la politique publique et la préférence que donnent actuellement les organismes
d’aide publique aux prêts à l’appui de politiques […] reflètent une internationalisation
croissante de la politique sanitaire : dans les pays aidés, les décisions portant sur des volets
importants de cette politique sont souvent prises à Washington, Copenhague ou Londres,
plutôt que dans la capitale du pays concerné […]. » (Lanjouw, Macrae et Zwi, 1999)
Le secteur de la santé lui-même est souvent l’objet de tractations politiques, comme en
Angola, où le ministère de la Santé a été confié aux rebelles dans le cadre du règlement
négocié du conflit armé. Souvent perçue comme un secteur technique ayant peu d’importance
politique, la santé peut faire partie des domaines sur lesquels un gouvernement affaibli sera
davantage enclin à faire des concessions. De plus, ce secteur peut offrir aux rebelles leur
première expérience de gouvernance formelle. De même, à la fin d’une guerre de libération
nationale, la prestation de soins de santé peut permettre aux nouveaux dirigeants de montrer
leur volonté d’améliorer le bien-être social, et d’asseoir leur popularité.
Les discussions sur la politique sanitaire se déroulent souvent à l’intérieur du cercle étroit
des professionnels de santé, qui, parfois, n’ont pas du tout conscience de l’influence exercée
par les facteurs politiques, économiques, juridiques et administratifs sur leur secteur.
Pour déterminer quelle devrait être la structure de ce secteur, les autorités sanitaires issues
des milieux universitaires, du monde de l’entreprise ou des organismes professionnels
se joignent aux fonctionnaires du ministère de la Santé et au personnel des organisations
internationales ou des ONG. Ces parties prenantes ne tiennent absolument pas compte
du contexte national, ni des décisions qui auront de fortes répercussions sur le secteur
de la santé, ou, si elles en tiennent compte, elles le font avec réticence et les perçoivent
uniquement comme des obstacles à surmonter ou à contourner. La politique sanitaire qui
résulte de ce processus en circuit fermé a peu de chances d’être appliquée.
Voici quelques exemples fréquents de cette situation : formulation d’une politique des
ressources humaines incompatible avec celle relative à la fonction publique, élaboration de
plans d’investissement sans financement adéquat, ou adoption de mesures de décentralisation
définies indépendamment du cadre régissant l’administration publique. Les appels visant à
faire participer de grands décideurs extérieurs à l’analyse de la politique sanitaire, ou à
négocier avec eux des engagements mutuels réciproques concernant la politique en débat,
risquent alors de ne pas être entendus. Néanmoins, pour concevoir une politique sanitaire
réaliste et applicable, il est nécessaire de rompre l’isolement dans lequel les professionnels
de la santé se sont eux-mêmes emmurés.
Dans un même pays, la formulation de la politique sanitaire comporte souvent des failles
analogues à celles de la politique de l’aide. Ainsi, en 2006, la politique sanitaire du Libéria
n’était manifestement pas cohérente : tandis que le ministère de la Santé était occupé à
Module 5 Comprendre les processus d’élaboration de la politique sanitaire
131
élaborer sa propre politique avec le soutien de l’USAID (l’Agence des Etats-Unis pour le
développement international), de la Commission européenne et de l’OMS, la Stratégie de
réduction de la pauvreté a produit un rapport dont le volet santé n’avait aucun lien identifiable
avec les travaux du ministère. De plus, le bilan commun de pays, finalisé par les Nations
Unies la même année, comportait une section consacrée à la santé qui, elle aussi, n’avait
apparemment rien à voir avec la politique ministérielle, ni avec la Stratégie de réduction de la
pauvreté. Et aucun de ces documents ne tenait dûment compte du volet santé de l’évaluation
conjointe des besoins qui ne datait que de deux ans.
Un secteur de la santé en crise manque généralement de ressources et de capacités, et peut
aussi être envahi de conseillers et submergé de documents d’orientation.
« Tant les économistes que les analystes de la politique sanitaire ont tendance à décrire
en détail ce qui devrait être fait, mais sans donner d’instructions claires sur la façon de
procéder, ni d’explications convaincantes des raisons pour lesquelles tel ou tel processus
échoue. » (Reich, 1996).
Le vide laissé par la crise de la gouvernance incite de nouveaux acteurs à se lancer dans
l’élaboration de mesures. Dans les pays en transition, les institutions, le leadership et les
attentes du public évoluent. Des fenêtres d’opportunité politique peuvent s’ouvrir, et des
mesures qui avaient été écartées car jugées non souhaitables ou non applicables peuvent
susciter un regain d’intérêt.
Étant donné le caractère politique de l’élaboration des mesures sanitaires et l’incertitude
à laquelle tous les acteurs, surtout locaux, sont confrontés au cours d’une crise, cet
envahissement du champ d’action empêche souvent la réalisation de projets concurrents, ou
ne permet que la mise en œuvre de quelques-unes de leurs composantes, qui n’ont pas de lien
entre elles mais qui bénéficient du soutien des parties prenantes les plus puissantes. Dans un
tel contexte, il est parfois impossible de comprendre la logique de certaines décisions.
En analysant la politique sanitaire qui donne son orientation formelle à un secteur de la santé
en crise, on peut identifier plusieurs tendances, qui ne s’excluent pas mutuellement :
• Certaines mesures sont anciennes (leur formulation date d’avant la crise) ou ne sont
plus appliquées depuis longtemps. Dans une situation de crise très durable, où alternent
phases d’amélioration et phases de dégradation, les documents d’orientation peuvent
cycliquement apparaître et disparaître. Ils sont archivés quand une guerre éclate, puis à
nouveau consultés, et légèrement modifiés, des années plus tard, lorsque les perspectives
redeviennent plus favorables. Des politiques anciennes présentées sous un nouvel
habillage mais qui ne sont déjà plus pertinentes étant donné les changements survenus
dans le pays peuvent aussi être prônées avec vigueur, voire officiellement adoptées.
•
Certaines politiques officielles sont des patchworks composés d’éléments de plusieurs
sous-secteurs. Elles résultent souvent de programmes verticaux, sont mal intégrées dans
un cadre homogène et excluent des zones ou des aspects importants. La plupart des
actions à mener sont qualifiées de « priorités », aucune orientation claire du système n’est
identifiable et les principales lacunes du secteur ne sont ni définies ni traitées.
•
Certaines politiques sont élaborées hâtivement, parce que des fenêtres d’opportunité
inattendues s’ouvrent brusquement et qu’il faut limiter les dégâts causés par les actions
désordonnées de la communauté internationale, comme par exemple au Kosovo (Shuey
et al., 2003) et au Timor-Leste (Tulloch et al., 2003). Dans ces deux cas, les organismes
d’aide ont joué un rôle prépondérant dans la formulation de la politique sanitaire.
•
Il arrive que les nouveaux dirigeants d’un pays définissent de nouvelles mesures sanitaires
parce qu’ils sont impatients de s’affirmer, ou parce qu’ils veulent faire un geste politique
et rompre avec le passé. Cette nouvelle politique n’est pas forcément plus réaliste, ni
mieux adaptée au contexte national. Elle est souvent formulée de manière à répondre aux
attentes de la communauté internationale, afin de donner une image positive du secteur
de la santé du pays et de permettre l’obtention d’un soutien extérieur.
Module 5
L’analyse des politiques officielles
132
Analyse du secteur de la santé dans les urgences complexes
Module 5
•
Des mesures de substitution aux mesures nationales sont parfois élaborées par des
groupes ayant des aspirations autonomistes ou nationalistes, comme au Sud-Soudan en
2002. En général, le poids politique de ces propositions l’emporte alors sur leur contenu
technique. Étant donné cette caractéristique, il est habituellement difficile de débattre de
manière franche et lucide sur leurs mérites.
•
Dans certains cas, la politique est inspirée de modèles internationaux proposés par les
experts extérieurs mandatés par des organismes d’aide. La plupart du temps, le manque
de contextualisation est flagrant. Il arrive aussi qu’une politique non controversée soit
formulée dans des termes si vagues qu’elle ne permet pas d’orienter l’action. Dans une
situation de conflit, les questions techniques, moins sujettes à controverse, ont tendance à
prendre le pas sur les questions sensibles, même si ces dernières peuvent avoir davantage
d’importance pour le développement du secteur de la santé.
•
Certaines politiques sont imposées à un pays par les organismes d’aide, parfois dans
le cadre d’un programme d’assistance extérieure. Certaines organisations, telles que la
Banque mondiale, cherchent souvent à piloter l’introduction d’une nouvelle politique, en
s’appuyant généralement sur les forces du marché.
•
Il arrive que d’importants acteurs de terrain formulent une politique idéalisée, sans lien
avec la réalité. Étant donné la notoriété de ces intervenants, une telle politique peut,
malgré ses objectifs trop ambitieux et ses défauts techniques flagrants, être tenue en
haute estime par les dirigeants locaux.
•
Certaines mesures sont élaborées par le pays lui-même, parfois avec un appui extérieur,
et sur une longue période, comme au Mozambique en 1990-1992 (Noormahomed et
Segall, 1994) ou en Afrique du Sud avant l’accession au pouvoir d’un gouvernement
démocratiquement élu en 1994.
•
Certaines mesures résultent d’une combinaison de pressions exercées par l’extérieur,
par exemple en faveur d’une cause ou d’un financement, et de pressions exercées par
de nouveaux groupes d’intérêts locaux, par exemple pour l’adoption d’une législation
relative à l’avortement ou pour l’obtention de médicaments antirétroviraux contre le VIH/
sida. Le pouvoir constitue le pivot autour duquel les mesures sont conçues et introduites
ou, au contraire, ne soient écartées.
•
Certaines mesures sont de simples instruments de realpolitik. Ainsi, le transfert aux
autorités locales de pouvoir de gestion des ressources et de prise de décisions (y compris
le recouvrement des recettes qui financeront les services publics) peut constituer un
moyen de protéger l’État central des pressions politiques et des critiques, et d’alléger le
fardeau pesant sur son budget.
•
Dans certains cas, aucune politique n’est clairement identifiable, comme en Ouganda
dans les années 1970 et 1980. « […] pendant des années, la politique a été définie par
décret, nul ne savait en quoi consistait réellement la politique sanitaire, qui, au fil des
ans, était devenue un ensemble de déclarations au cas par cas, plutôt qu’un cadre
juridique intégré pour l’action gouvernementale […]. On peut affirmer que, sur cette
période, la politique était en chute libre » (Macrae, Zwi et Birungi, 1994).
Dans de nombreux cas, plusieurs de ces tendances coexistent (et sont parfois soutenues par
des donateurs en concurrence les uns avec les autres). Plus le gouvernement est incertain et
hésitant sur la direction à prendre, plus les propositions de politiques risquent de se multiplier.
Ces propositions sont souvent validées sans pour autant être mises en œuvre, ce qui aboutit
à une « mosaïque » de mesures instables, avec des alliances entre acteurs dont les points de
vue convergent sur certains aspects qui les intéressent tout particulièrement à un moment
donné, mais dont l’attention est rapidement accaparée par d’autres préoccupations. Étant
donné que les acteurs et le contexte ne cessent de changer, ce processus de regroupement/
dispersion des efforts est erratique et désordonné. Au fil du temps, on peut parfois identifier
des tendances cycliques : certaines questions cruciales focalisent toute l’attention pendant un
temps, puis on s’en désintéresse (peut-être parce qu’il est difficile de trouver des solutions),
Module 5 Comprendre les processus d’élaboration de la politique sanitaire
133
et elles ressurgissent des années plus tard. N’étant pas au courant de ce qui a déjà été
fait, les nouveaux acteurs accueillent ces discussions comme une nouveauté intéressante.
En outre, la mémoire est fragile, ce qui induit de nouvelles tentatives, et de nouvelles erreurs.
On redécouvre des leçons qui étaient tombées complètement dans l’oubli et on reproduit les
mêmes erreurs.
Étude de cas n° 6
Les analyses de la politique sanitaire en Angola
dans les années 1990
En Angola, dans les années 1990, le manque d’informations fiables et l’arrêt du
processus d’élaboration de la politique sanitaire a eu des répercussions négatives sur
le secteur de la santé et amené à lancer plusieurs analyses importantes, avec l’appui
de trois unités d’exécution spéciales, chargées de mettre en œuvre les réformes : le
Health Transition Project, financé par le ministère britannique pour le Développement
international (DFID) et géré par l’Organisation mondiale de la Santé, le Health Sector
Project, financé par un prêt de la Banque mondiale, et le Post-Emergency Health
Project, financé par la Commission européenne. Ces programmes étaient dotés de
moyens substantiels, gérés dans le cadre d’accords spéciaux et supervisés par des
administrateurs angolais très qualifiés et très expérimentés, qui avaient déjà occupé
des postes à responsabilité au sein du ministère de la Santé. Ils relevaient tous de
ce ministère (département de la planification), mais chacun était régi par un cadre
différent. Leurs relations mutuelles dépendaient de la bonne volonté et du bon sens
de leurs administrateurs (qui, heureusement, n’en manquaient pas). Cependant, les
mécanismes de coopération informelle prévalaient.
L’arrêt de deux des programmes, dont le financement venait à expiration, a
permis de mieux remédier à ces problèmes considérables. Le programme restant
a continué d’être le point focal incontesté pour l’analyse et la formulation des
politiques. L’évolution positive de la crise angolaise a encouragé le ministère de la
Santé à adopter une attitude plus anticipative, et certaines des mesures proposées
dans les années 1990, ont fini par être officiellement validées et mises en œuvre.
Cependant, même si la paix et la stabilité règnent dans le pays depuis 2002, et
malgré l’amélioration spectaculaire des finances publiques, les progrès sont mitigés.
Voir l’Étude de cas n° 17, qui présente l’une des initiatives lancées : un ambitieux
plan de développement du capital humain.
Parfois, la concurrence entre plusieurs mesures proposées n’apparaît pas utile :
l’environnement étant défaillant, la politique qui sera retenue in fine a peu de chances d’être
mise en œuvre d’une manière ou d’une autre. Les parties prenantes ont donc tout intérêt à
se pencher sur les failles structurelles du secteur de la santé, au lieu d’argumenter en faveur
ou à l’encontre de mesures vouées à rester à l’état de projets : « […] les mauvaises politiques
ne sont que les symptômes de facteurs institutionnels à plus long terme, et les changer sans
changer les institutions aura peu d’effets positifs sur la durée » (Easterly et Levine, 2002).
Effrayés par les conséquences éventuelles de certaines mesures vigoureuses destinées à
s’attaquer à des questions sensibles, et devant l’incertitude due à un contexte brouillé et
instable, certains intervenants ont tendance à différer les décisions difficiles. Néanmoins, ce
choix compréhensible constitue lui-même une décision : celle de ne pas donner d’orientation
au secteur de la santé, qui continuera de toute façon d’évoluer. Il existe des exemples
saisissants de ce « processus de décision non-interventionniste » dans presque tous les
secteurs de la santé en crise : outre l’incapacité à trouver de nouvelles sources de financement,
la réticence à introduire un paiement formel des services de santé aboutit à faire payer, sans
qu’un contrôle ne soit exercé, des utilisateurs qui en ont de moins en moins les moyens, en
l’absence de filet de sécurité pour les plus démunis.
Module 5
Les analyses menées ont permis de formuler des propositions importantes, qui
ont été examinées régulièrement et ont parfois suscité un débat, mais qui n’ont
jamais été appliquées. Cette paralysie du processus d’élaboration de la politique
peut s’expliquer par le manque de poids des ministres de la Santé successifs, par
l’issue incertaine de la guerre civile angolaise, par la désorganisation au sein du
ministère, par l’ampleur impressionnante des problèmes à traiter et par la pénurie
de compétences techniques pour le déploiement des réformes.
134
Analyse du secteur de la santé dans les urgences complexes
La politique est parfois conçue dans l’intention réelle de remédier aux failles et d’améliorer
la situation. Néanmoins, les raisons qui motivent son élaboration et celle des plans sanitaires,
ne sont pas toujours en rapport avec les effets officiellement souhaités. Une politique peut
également être considérée comme un instrument de négociation vis-à-vis des organismes
d’aide, comme un moyen d’obtenir une reconnaissance politique, comme un mécanisme
permettant de différer des décisions (pendant le temps que prendra sa formulation), comme une
façon de masquer l’impuissance des autorités sanitaires, comme une tactique visant à calmer
de puissants lobbies, comme une obligation envers les lointains dirigeants d’organisations
internationales, ou comme un moyen de justifier tel ou tel poste. Une politique sanitaire qui
n’existe que sur le papier peut avoir des conséquences importantes (effacement d’une dette,
par exemple), même si celles-ci n’ont pas forcément de lien avec la prestation des services
de santé.
Certaines politiques sont déployées sans documents officiels, parce qu’elles répondent à
des intérêts en place qui seront mieux servis par des mesures discrètes. En effet, conscient
de la résistance que pourrait susciter la présentation explicite de certaines politiques aux
différents acteurs, le lobby qui les soutient peut préférer manœuvrer en coulisses. C’est
ce type d’approche que privilégient l’industrie pharmaceutique, le lobby hospitalier et les
associations professionnelles.
Mettre en adéquation la politique officielle avec la réalité du terrain
Dans un contexte de crise durable, la politique officielle, généralement soutenue par
différentes parties prenantes, comporte des mesures diverses et variées. Il est donc nécessaire
d’examiner sa mise en œuvre. Pour cela, il faut faire abstraction des déclarations de principe
et se concentrer sur les mesures qui ont de réelles répercussions dans le secteur de la santé.
Cette analyse comporte une étape cruciale, qui consiste à déterminer si une politique
officiellement adoptée est effectivement appliquée, et par quels intervenants. Cela suppose :
a. d’identifier le problème/la situation qui a amené à formuler cette nouvelle politique ;
Module 5
b. d’identifier les indicateurs de référence permettant d’évaluer le problème auquel cette
politique est censée remédier. On sait que, pour certaines politiques, il est difficile de
trouver des indicateurs quantitatifs solides et qu’il faut donc recourir à des variables
de substitution soigneusement choisies. Des effets inattendus peuvent également
se manifester et devront être évalués. Si les documents d’orientation présentent les
indicateurs, ou a contrario ne les citent pas, on a une idée de l’ampleur de l’examen
auquel le contenu et les conséquences d’une politique ont été soumis au cours du
processus de formulation ;
c. d’identifier les actions concrètes en cours ou en projet, qui sont destinées à permettre
la mise en œuvre de la politique en question. De plus, il faut évaluer l’adéquation et la
faisabilité pratique des mesures retenues ;
d. de comparer l’ampleur du problème qu’une politique doit traiter et le volume des
ressources allouées aux actions visant à mettre en œuvre cette politique, ce qui donne
une indication sommaire sur le degré d’engagement en faveur d’une politique et la
fiabilité de l’analyse sous-jacente. Bien souvent, une politique est adoptée sans que des
efforts sérieux ne soient déployés pour évaluer les moyens de mise en œuvre requis, et
le coût total de cette mise en œuvre n’est guère, voire pas du tout, pris en compte. Même
lorsque des ressources adéquates sont disponibles (elles proviennent généralement
des donateurs), le manque de capacités ou une influence politique indue risquent de
condamner une politique qui est sincèrement soutenue par les parties prenantes.
Il n’est pas étonnant que peu de mesures passent avec succès le test sommaire décrit cidessus (et pas uniquement dans un secteur de la santé en crise). Dans un contexte fragmenté,
l’analyse des mesures produit souvent des résultats eux aussi fragmentés. Par exemple,
le lobbying agressif d’une organisation internationale peut aboutir à la formulation d’une
politique qui sera ensuite validée par un département du ministère de la Santé désireux
de profiter des ressources de cette organisation. D’autres acteurs manifesteront peut-être
Module 5 Comprendre les processus d’élaboration de la politique sanitaire
135
un total désintérêt pour cette politique, ou s’y opposeront vivement. L’« engagement » est
donc susceptible d’être de qualité inégale. Dans cette situation, l’analyse ne doit plus se
limiter aux politiques elles-mêmes, mais porter également sur les effets systémiques des
mesures multiples, sans lien entre elles, qui façonnent le secteur de la santé. Certaines
de ces politiques sont présentées explicitement en tant que telles, alors que d’autres sont
souterraines et officieuses. En étudiant les schémas à long terme, les tendances identifiables
et les forces à l’œuvre, on peut obtenir de précieuses informations sur l’évolution du secteur
de la santé au cours du temps et sur la direction qu’il pourrait prendre si rien n’est décidé.
L’analyse des principales lacunes du secteur de la santé donne des indications permettant
de déterminer si les politiques existantes remédient à ces failles, c’est-à-dire si elles sont
adaptées à la situation, actuelle ou anticipée. Ainsi, quand l’accès aux services de santé est
très limité, il semble injustifié de donner la priorité à l’amélioration de la qualité des soins
plutôt qu’à l’élargissement de cet accès. De même, dans un secteur très inefficient, si les
niveaux de financement s’améliorent nettement grâce à un emprunt massif, mais sans être
accompagnés de mesures corrigeant les inefficiences, le problème fondamental reste entier
et la situation risque même de s’aggraver.
Certaines politiques peuvent paraître judicieuses, mais, en raison de leur caractère sensible,
de l’inadéquation de l’information ou du manque de capacités, elles ne remédient pas aux
lacunes les plus graves. Ce fut le cas au Mozambique après la fin de la guerre civile : des
questions essentielles, telles que le partage des coûts et la réglementation, ont continué
d’être considérées comme des aspects secondaires par les autorités locales. Pour évaluer
la pertinence et le bien-fondé des politiques existantes, il ne faut donc pas se contenter
d’examiner leurs mérites, mais aussi déterminer si les mesures qui mobilisent l’essentiel
des efforts et de l’attention remédient effectivement aux problèmes les plus importants.
En l’absence d’analyse approfondie et globale du secteur, c’est très peu probable. Étant donné
le délai qui s’écoule entre sa validation et sa mise en œuvre, il est tout aussi fondamental
qu’une politique soit adaptée à l’évolution future du secteur de la santé et du pays.
En effet, la fin d’une crise peut entraîner de profonds changements politiques, économiques
et institutionnels, ce qui conditionnera la durée d’application et l’impact de la politique
sanitaire choisie.
L’élaboration de la politique sanitaire est étroitement liée à la planification, et donc à la
définition des priorités. Dans les secteurs de la santé qui manquent de ressources, la définition
des priorités consiste principalement à renoncer aux activités que les capacités existantes ne
permettront pas de mettre en œuvre. Le phénomène le plus fréquent dans un secteur de la
santé fragilisé (mais pas nécessairement « perturbé ») est la prolifération des priorités, qui
sont avalisées les unes après les autres pour apaiser les inquiétudes des acteurs anciens et
nouveaux, ainsi que pour obtenir des moyens supplémentaires. Or, un nombre excessif de
priorités empêche de définir les vraies priorités, ce qui peut entraîner un éparpillement des
capacités et des ressources, déjà rares, entre de multiples activités, ainsi que, d’une manière
générale, une mauvaise mise en œuvre. Dans d’autres cas, les autorités font mine de se
conformer aux documents d’orientation, mais allouent en fait les ressources en fonction des
priorités qu’elles estiment être les vraies priorités et non des priorités officielles. Ce processus
de décision fragmenté, qui repose sur l’art de l’esquive, permet rarement de déterminer une
orientation cohérente et claire.
Afin de définir les vraies priorités du point de vue des dirigeants, il est par conséquent beaucoup
plus instructif de s’intéresser aux mécanismes d’allocation des ressources qu’aux documents
d’orientation. Cependant, si les informations sont inadéquates, il peut être impossible de
faire la lumière sur ce point. Il arrive que des affirmations discutables restent longtemps non
controversées. Ainsi, en raison des lacunes de certains systèmes d’information, il peut être
très difficile d’estimer la proportion des ressources allouées au ministère de la Santé, c’est-àdire au niveau de l’État central. Il n’est donc pas toujours évident de voir quand une politique
de décentralisation est réellement accompagnée de mesures de réallocation.
Module 5
Contenu de la politique sanitaire et allocation des ressources
136
Analyse du secteur de la santé dans les urgences complexes
Ce n’est pas parce qu’une politique n’est pas appliquée qu’il n’existe pas d’engagement
en sa faveur. Dans certains cas, cette carence s’explique davantage par des objectifs
disproportionnés par rapport aux ressources et aux capacités disponibles. Lorsque le secteur
de la santé est perturbé, il est toujours difficile d’évaluer la faisabilité d’options concurrentes.
L’expérience d’autres pays revêt alors une valeur inestimable, car elle aide les acteurs locaux
à déterminer si une politique a des chances d’être fructueuse. Trop souvent, au lieu de
montrer les résultats d’une évaluation non biaisée que différents pays ont obtenus en suivant
une certaine politique, les intervenants extérieurs préconisent des approches en vogue tout
en masquant les difficultés que pose ailleurs leur mise en œuvre.
À quoi reconnaît-on une politique solide ?
Lorsqu’une politique bien pensée est proposée, et tout particulièrement une politique
qui contribue à ramener un peu d’ordre dans un environnement chaotique, elle peut être
accueillie chaleureusement par certains acteurs, qui constituent alors une masse critique de
soutiens attachés à sa mise en œuvre. Ce fut le cas au Mozambique dans la première moitié
des années 1990, et plus tard au Kosovo. Des politiques solides et convaincantes peuvent
rallier des soutiens en cours de route, même si elles ne sont pas appuyées par les acteurs
les plus puissants. Des « alliés » inattendus peuvent en effet se manifester. Une politique
convaincante, capable d’obtenir un réel soutien, présente quelques-unes des caractéristiques
suivantes :
• Elle repose sur une connaissance approfondie du contexte et sur une approche systémique
réaliste et de long terme ;
Module 5
•
Les résultats que l’on en attend ont été obtenus dans d’autres contextes ;
•
Elle prend explicitement acte des défaillances et des distorsions qui affectent le secteur
de la santé, et propose des solutions judicieuses pour y remédier ;
•
Elle définit explicitement les conditions préalables et les risques, les mesures à introduire,
les obstacles probables et l’ordre de priorité des actions proposées ;
•
Elle s’attache à anticiper les phénomènes et événements négatifs plutôt que de tenter
d’agir sur ceux qui sont déjà survenus ou qui sont en train de se produire ;
•
Sa conception est techniquement rationnelle et tient compte des ressources et capacités
nécessaires à une bonne mise en œuvre ;
•
Elle est formulée dans des termes compréhensibles par les différents acteurs, et largement
diffusée ;
•
Elle s’attaque à des aspects jugés cruciaux pour les acteurs concernés ;
•
Elle tient compte des rapports de force qui s’exercent au niveau du pays et du secteur de
la santé, et vise à permettre des arbitrages réalistes et des alliances politiques.
Viabilité de la politique choisie
La viabilité, qui est une préoccupation fondamentale pour le développement, prend des
connotations particulières dans un contexte de crise persistante, qui est par définition
instable. La plupart des pays en crise étant largement tributaires d’une aide extérieure, leurs
structures politiques, économiques et même sociales ne sont pas viables. C’est pourquoi il est
nécessaire d’évaluer la viabilité d’une politique sanitaire ou des autres options envisageables
sur la durée. Il faut notamment déterminer si, à l’issue d’un long processus de relèvement, la
politique mise en œuvre par un pays avec une aide extérieure conservera l’aval et le soutien
plein et entier des autorités nationales.
On considère trop souvent que la viabilité ne dépend que de la disponibilité de ressources
internes adéquates (qui dépend elle-même du relèvement de l’économie et de l’assainissement
des finances publiques du pays), ce qui constitue une vision réductrice. La stabilité politique,
la capacité de mise en œuvre locale, les autres priorités en concurrence pour attirer capacités
et ressources, les préférences culturelles et les influences extérieures sont autant de facteurs
qui déterminent la viabilité à long terme d’une politique.
Module 5 Comprendre les processus d’élaboration de la politique sanitaire
137
On peut penser que les pays qui disposent d’abondantes ressources minérales, tels que l’Angola
ou l’Iraq, pourraient devenir financièrement viables plus rapidement que l’Afghanistan ou
la Somalie, par exemple. Cependant, les répercussions négatives des chocs exogènes, les
troubles politiques, l’incurie et la corruption sont susceptibles d’éroder cet avantage financier.
Étant donné les difficultés à renforcer les capacités d’un pays, et plus encore à importer ces
capacités, certaines politiques qui disposent d’un financement adéquat risquent donc de ne
pas produire de résultats tangibles longtemps après avoir été introduites.
À propos de la viabilité dans un contexte de crise, voir également le Module 8. Analyser les
systèmes de gestion.
Dans différents pays où le secteur de la santé amorce une transition, les autorités sanitaires
peuvent se sentir obligées d’élaborer des documents d’orientation détaillés, afin de guider
les décisions des parties prenantes. Bien qu’il soit compréhensible de vouloir investir dans
la formulation d’une nouvelle politique sanitaire, il existe aussi plusieurs contre-arguments :
l’attention des instances décisionnaires est mobilisée par des tâches administratives urgentes,
l’information dont disposent ces décideurs est souvent inadéquate, le débat sur la politique
est fragmenté entre plusieurs institutions, lieux et processus différents, et de nombreux
décideurs ne connaissent pas de manière approfondie les systèmes que leurs décisions sont
censées régir ou réorganiser. De plus, le coût d’opportunité est élevé lorsque l’on investit
massivement dans l’élaboration d’une politique alors même que les capacités sont rares.
Au début d’un processus de transition, les instances décisionnaires sont confrontées à un
trop grand nombre de problèmes complexes pour pouvoir définir une politique sanitaire
permettant de remédier à la plupart d’entre eux de façon cohérente et simple. Elles sont
condamnées à tâtonner.
Malgré les objections, de nombreux pays en transition formulent une nouvelle politique
sanitaire en faisant appel à des consultants extérieurs mandatés par des organismes d’aide.
Cette approche révèle une grave méconnaissance du processus d’élaboration de mesures
publiques, qui est intrinsèquement politique. Aucun appui technique d’experts ne peut
prémunir les autorités sanitaires contre les répercussions politiques des mesures qu’elles
avalisent. Et aucun document d’orientation luxueusement présenté ne saurait non plus leur
donner le poids politique nécessaire pour faire appliquer ces mesures. Il n’est pas rare que
les mesures définies hâtivement par des experts extérieurs restent à l’état de projets, même
si les pouvoirs publics y font régulièrement référence. Il arrive aussi, dans le cas de mesures
présentées dans des termes vagues, que les parties prenantes continuent de faire avancer
leurs propres priorités, sans aucun contrôle, tout en affirmant qu’elles mettent en œuvre la
politique sanitaire officielle.
Dans ces conditions, un secteur de la santé en transition doit-il renoncer à se doter d’une
nouvelle politique ? Le mieux, peut-être, est d’éviter de se lancer dans de grands débats,
particulièrement sur des problèmes mal appréhendés, pour lesquels les erreurs sont
susceptibles d’avoir de graves conséquences. Des recommandations intérimaires sur les
questions essentielles (ou considérées comme telles, étant donné le manque d’informations
disponibles) peuvent faciliter la prise de décisions, et être ajustées à mesure que la situation
est mieux maîtrisée et que les éléments nouveaux sont clarifiés, tant à l’intérieur qu’à
l’extérieur du secteur de la santé.
Pour être réellement utiles, les recommandations intérimaires doivent présenter clairement
les mesures proposées et leurs limites, mais aussi leurs implications, les problèmes potentiels
et les actions correctives à envisager. Il convient de réviser et d’actualiser fréquemment ces
recommandations en tenant compte des résultats de leur mise en œuvre, de manière à renforcer
progressivement leur contenu et leur portée. Cette mise à jour régulière est néanmoins difficile,
particulièrement pour les autorités sanitaires dont l’attention est constamment accaparée par
d’autres priorités, ainsi que par les nouvelles propositions présentées par les partenaires du
développement. Les informations apportées par les analystes peuvent largement aider les
Module 5
Formuler une nouvelle politique sanitaire au début de la phase
de transition de la guerre à la paix
138
Analyse du secteur de la santé dans les urgences complexes
Étude de cas n° 7
Réforme radicale du secteur de la santé au Kosovo, 2001-2006
En mettant fin à la domination serbe et en aboutissant au placement du Kosovo sous administration
intérimaire des Nations Unies, l’intervention de 1999 a ouvert à la voie à une période de
changements rapides dans l’ancienne province yougoslave. L’afflux soudain d’intervenants et
de moyens extérieurs, la transition attendue vers une économie de marché intégrée à l’Europe
occidentale et le triste héritage de nombreuses années d’incurie et de troubles civils ont incité
à des transformations radicales.
À l’époque, le secteur de la santé du Kosovo était en piteux état : le système de soins public était
à l’abandon et le dispositif parallèle mis en place par l’opposition albanophone avait largement
souffert des violences. La plupart des agents de santé serbes qualifiés étaient partis, et les
mesures disparates prises par les nouveaux acteurs, qui disposaient d’un budget important
mais agissaient isolément les uns des autres, avaient donné naissance à un système de santé
incohérent, inéquitable et non viable. La politique sanitaire instaurée au début de la transition
et avalisée par les principales parties prenantes a été considérée comme un moyen d’inverser
cette tendance.
En l’absence de ministère de la Santé, c’est l’Organisation mondiale de la Santé qui a piloté
le processus de formulation d’une politique sanitaire. Quelques mois après la fin de la guerre
civile, elle a introduit des recommandations intérimaires pour cette politique (Interim Health
Policy Guidelines for Kosovo). La pierre angulaire du nouveau secteur de la santé devait
être constituée par un réseau de médecins de famille, soutenu par d’importantes capacités
d’orientation des patients, avec une gestion décentralisée. Il fallait éliminer les redondances
et maîtriser le développement des services de santé sans trop augmenter les coûts. L’activité
des prestataires de soins privés a été réglementée, et un programme d’accès aux médicaments
essentiels introduit. La réforme du système de santé se voulait équitable, non discriminatoire
et pérenne.
Ce plan ambitieux reposait sur des arguments convaincants. On a estimé que l’ancien système
de santé ne pouvait pas être remis en état, car il était obsolète, inefficient et non viable.
L’encouragement de réformes inspirées de celles déployées en Europe occidentale a été considéré
comme une étape logique. L’aide apportée par les donateurs a permis d’accroître les ressources
disponibles pour la mise en œuvre des réformes. Et on pensait que la transition politique allait
amoindrir la résistance des groupes d’intérêts opposés au changement. Selon les partisans des
réformes, il ne fallait pas manquer cette opportunité unique.
Module 5
Cependant, la rapdité d’exécution de cette réforme s’est accompagnée de quelques inconvénients.
Les informations disponibles étaient insuffisantes, le plan de réorganisation peu novateur et la
participation locale restreinte. Les perspectives politiques, législatives et financières incertaines
ont compliqué la situation. De plus, les capacités locales de gestion du processus de changement
étaient insuffisantes et certains esprits critiques redoutaient que les réformes soient trop
ambitieuses et prématurées pour le Kosovo.
Une nouvelle politique sanitaire, élaborée avec la participation des acteurs locaux, a été présentée
en 2001. La même année, un gouvernement élu a hérité des réformes sanitaires lancées deux
ans auparavant par les Nations Unies. À ce jour, ces réformes ont toutefois produit des résultats
mitigés. Parmi les mesures phares effectivement introduites figurent la mise en place d’un réseau
de médecine familiale, de nouveaux descriptifs d’emplois et programmes de formation, le respect
des contraintes budgétaires pour les dépenses récurrentes et la remise en état de nombreux
établissements de santé (Shuey et al., 2003 ; Campbell, Percival et Zwi, 2003).
D’autres réformes prennent du retard : la privatisation anarchique des soins s’accroît, la part
des coûts supportés par les patients devient prédominante et les hôpitaux restent les principaux
prestataires de soins. L’effectif de santé est resté plétorique, tout comme le personnel d’appui.
Le transfert de la responsabilité des soins primaires aux municipalités tarde également, on
continue d’observer un manque d’intérêt des médecins pour une carrière dans la médecine
familiale, le système de santé reste inéquitable et inefficient, les fonds abondants apportés par
les donateurs sont injectés lentement et via des intermédiaires et les services de santé sont de
plus en plus différenciés selon des critères ethniques. Le processus de réformes est considéré
comme une réussite sur le plan organisationnel, mais comme un échec en ce qui concerne le
changement de comportement. Il est également difficile de déterminer si les autorités sanitaires
s’attachent effectivement à mettre en œuvre les réformes, dont la faisabilité reste à démontrer
compte tenu du contexte politique et culturel du Kosovo (ministère de la Santé, 2004).
Module 5 Comprendre les processus d’élaboration de la politique sanitaire
139
instances décisionnaires, à condition que ces dernières aient le temps de procéder à une
analyse approfondie et non biaisée.
On trouvera dans les documents suivants des exemples de politique sanitaire formulée au
cours de processus de transition :
• Kosovo United Nations Civil Administration [administration civile intérimaire au
Kosovo]. Health and Social Services. Interim health policy guidelines for Kosovo and
Six month action plan, 1999. Disponible en ligne à l’adresse suivante : www.who.int/
disasters/repo/5635.doc, consulté le 10 janvier 2011 (cité dans l’ Étude de cas n°7 et
analysé dans l’Exercice 5 dans le Module 15).
•
Gouvernement du Sud-Soudan. Ministère fédéral de la Santé. Health Policy for the
Government of Southern Sudan, 2006-2011, 2007.
•
Gouvernement du Libéria. Ministère de la Santé et de la protection sociale. National
health policy. National Health Plan 2007-2011. Monrovia, 2007. Disponible en ligne à
l’adresse suivante : www.liberiamohsw.org, consulté le 10 janvier 2011.
L’analyse de la situation dans différents pays en guerre révèle un schéma récurrent, à
mesure que le rôle des partenaires du développement évolue. Pendant la phase d’urgence,
les agences des Nations Unies jouent un rôle important et bien visible, à l’interface entre,
d’un côté, les donateurs, qui évitent de s’engager directement dans un pays en guerre, et,
de l’autre, les prestataires de soins de santé, tels que les ONG. À mesure que la situation se
stabilise, un nouveau gouvernement se met en place, exerce ses responsabilités et établit des
budgets récurrents. Durant la phase de reconstruction, d’importants donateurs et de grandes
banques de développement apportent du capital. Plus tard, les donateurs bilatéraux financent
les dépenses publiques, parfois directement.
Les perceptions des acteurs correspondent généralement à deux schémas extrêmes. Pour les
acteurs directs, la crise est unique et empreinte d’affect : c’est « leur crise », et ils s’attachent
essentiellement à en réparer les dommages. Il faut trouver des solutions localement, par
une expérimentation patiente. La plupart du temps, les enseignements tirés d’événements
survenus à l’étranger ne sont pas du tout pris en considération, ou sont même rejetés. Les
nouveaux acteurs qui font partie de réseaux internationaux ont habituellement une approche
opposée de la crise. Ils peuvent venir d’autres pays en crise et avoir des a priori étant donné
l’expérience qu’ils ont acquise ailleurs. Ils appliquent alors sans discernement des remèdes
qui se sont révélés efficaces lors de la crise qu’ils ont vécue précédemment dans un autre
pays. Lorsque le contexte est totalement différent (il est bien sûr difficile, tant pour les acteurs
directs que pour les intervenants extérieurs, d’évaluer la situation), de graves erreurs sont
commises. Ces deux perceptions divergentes risquent d’être intrinsèquement fallacieuses.
Dans la mesure où, généralement, les crises affichent à la fois des caractéristiques récurrentes
et des caractéristiques inédites, les approches fructueuses sont celles qui résultent d’un bon
dosage entre la prise en compte du contexte local et l’expérience internationale. Pour bien
comprendre une situation, il faut au préalable admettre que la diversité est l’un des traits
communs des situations chroniquement perturbées.
Certains acteurs locaux ont développé un état d’esprit qui découle d’une vision idéalisée
de la situation d’avant la crise, lorsque le secteur de la santé était censé être performant et
aller de l’avant. Considéré sous cet angle, tout problème actuel qui affecte ce secteur résulte
forcément de perturbations. Dans certains cas, ces acteurs locaux ont exercé des fonctions
importantes qui leur ont été retirées, ou ont vécu longtemps à l’étranger. N’étant pas au fait
des évolutions survenues dans leur pays d’origine et dans le secteur de la santé, il arrive
qu’ils aient leur propre vision du secteur et qu’ils élaborent des projets en faisant référence
à ce passé idéalisé que la crise leur a « volé ». Parfois, ces projets sont présentés au cours
d’une phase de transition, dans le cadre d’un débat sur l’avenir du secteur de la santé, et
sont très appréciés des dirigeants locaux parce qu’ils répondent, d’une certaine façon, au
besoin ressenti par toute victime de limiter le plus possible les souffrances infligées par
Module 5
Les acteurs : rôle, perceptions et programmes
140
Analyse du secteur de la santé dans les urgences complexes
la crise. Étant donné la manière dont ces réflexions sont menées, elles peuvent produire
des résultats assez élégants, car ceux-ci ne sont pas entravés par les obstacles de la vie
réelle. Par exemple, le manque de capacités est rarement évoqué, de même que le manque
de financement, qui risque pourtant de compromettre le relèvement du secteur de la santé.
En République démocratique du Congo, le débat sur la politique sanitaire a pâti de ce type
de perceptions (ministère de la Santé, 2006).
L’État (pouvoir central et autorités périphériques)
Module 5
Le concept d’« État » englobe un grand nombre d’organismes, d’institutions et d’individus
qui ont diverses motivations. Dans une situation de crise et de contestation, à mesure que
s’ouvrent de nouveaux champs d’action, cette multiplicité des intérêts devient généralement
flagrante. La divergence des perceptions et des intérêts influe sur l’action des différentes
composantes du pouvoir central, telles que le ministère des Finances, l’administration de la
fonction publique, le ministère de tutelle des autorités locales et le ministère de la Santé, qui
ont tous voix au chapitre en ce qui concerne les événements survenant dans le secteur de la
santé. Les autorités locales, notamment au niveau des provinces et des districts, jouent, elles
aussi, un rôle important, surtout si la guerre a nettement érodé le pouvoir de l’État central.
Même si le pouvoir est théoriquement détenu par le corps législatif et par l’exécutif, la
fonction publique, qui se compose des fonctionnaires des différents ministères, peut
exercer un contrôle plus étendu sur la décision d’élaborer (ou non) une politique publique,
sur le mode d’élaboration de cette politique et sur la façon dont elle sera mise en œuvre.
Tout particulièrement lorsque le pouvoir politique est contesté, il arrive que son personnel
soit renouvelé avant que les mesures qu’il a adoptées aient une quelconque chance d’être
déployées, alors que les fonctionnaires restent, eux, le plus souvent en poste ou sont mutés
dans une autre administration. Par leurs connaissances techniques et leur savoir-faire, les
agents de la fonction publique peuvent influer largement sur les politiques ministérielles.
Le ministère de la Santé occupe le plus souvent un rang peu élevé dans la hiérarchie des
ministères. Ce rang est nettement inférieur à celui des ministères des Finances, de la Défense,
des Affaires étrangères et de l’Industrie, par exemple. Il n’a donc guère la capacité d’exercer
des pressions pour obtenir une part plus substantielle d’un budget public limité ou pour influer
sur les programmes d’autres administrations qui ont un impact sur le secteur de la santé
(planification, agriculture, éducation, etc.). De plus, le ministère de la Santé doit généralement
faire face à des intérêts multiples, exprimés par des groupes de pression et par des services
en concurrence les uns avec les autres. Et il se peut que même certaines de ses propres
entités, telles que celles chargée de la planification, souhaitent une intégration horizontale
des activités tandis que les entités prestataires, qui ont habituellement des préoccupations
plus ciblées, auront tendance à agir chacune de leur côté. Il est par conséquent préférable
que le ministère de la Santé considère toutes ces entités comme des administrations ayant
des objectifs différents, et non une orientation clairement définie.
Le manque d’homogénéité au sein du ministère de la Santé risque d’être flagrant pendant les
périodes de transition, qui se caractérisent par la cohabitation d’anciens ennemis au sein des
structures de gouvernement. Par exemple, si un ministre issu d’un groupe rebelle est censé
diriger de hauts fonctionnaires hostiles qui, eux, font partie de l’élite qui contrôle l’appareil
d’État, il rencontrera des difficultés particulières.
Les groupes rebelles
Ce sujet, qui est difficile à étudier en raison de son caractère politique, a jusqu’à présent
peu intéressé les universitaires et les intervenants de terrain. Les caractéristiques des
services de santé dans les zones contrôlées par un mouvement d’opposition dépendent du
territoire concerné et des moyens dont ce mouvement dispose, du soutien qu’il reçoit, de
son positionnement idéologique, du degré de priorité qu’il donne au secteur social et de
l’emprise qu’il exerce sur la population.
Ainsi, au Mozambique, la RENAMO (Résistance nationale mozambicaine) n’avait que
des services de santé rudimentaires, alors qu’apparemment, ses dirigeants bénéficiaient des
Module 5 Comprendre les processus d’élaboration de la politique sanitaire
141
services médicaux de l’armée sud-africaine. Pour des raisons politiques et idéologiques,
la communauté internationale a décidé de ne pas intervenir dans les zones contrôlées par
la RENAMO, hormis quelques actions menées par le Comité international de la CroixRouge (CICR) et par quelques autres organisations. En revanche, en Angola, l’UNITA
(Union nationale pour l’indépendance totale de l’Angola), dont les moyens financiers étaient
plus importants et qui pouvait compter sur un soutien local et international plus solide, est
parvenue à améliorer les services de santé, avec l’aide de différentes agences étrangères.
En Afghanistan, l’Alliance du Nord, qui combat les talibans dans le nord du pays, a également
bénéficié d’un appui extérieur et d’une reconnaissance internationale.
Au Sud-Soudan, où une multitude d’ONG et de nombreuses agences des Nations Unies
étaient présentes, le SPLM (Mouvement populaire de libération du Soudan) a défini une
politique sanitaire correspondant à son programme politique général, mais n’a guère pu la
mettre en œuvre. De même, il semblerait que l’Érythrée ait, elle aussi, instauré en temps
de guerre des services de santé relativement bien structurés, en s’inspirant du programme
politique de son mouvement nationaliste.
À l’inverse, les groupes rebelles prédateurs se désintéressent totalement des soins de santé.
Cependant, il arrive aussi qu’ils fassent main basse sur ce secteur lorsque l’occasion s’en
présente ou s’ils ont des besoins particuliers, et qu’ils mettent à profit les préoccupations de
sécurité des organismes d’aide humanitaire, comme en Somalie.
Dans certaines situations post-conflit, les administrations transitoires jouent un rôle de
premier plan, car elles agissent à la fois comme une antenne des Nations Unies et comme
un gouvernement pendant la phase de transition. L’Administration transitoire des Nations
Unies au Timor oriental (ATNUTO) et la Mission intérimaire des Nations Unies au Kosovo
(MINUK) en sont deux exemples. Ces deux administrations transitoires ont été confrontées
à des systèmes de santé laissés à l’abandon depuis de longues années et dévastés par la
destruction ciblée de leur infrastructure, ainsi que par l’exode d’une proportion importante du
personnel. Elles sont néanmoins parvenues à réunir acteurs directs et intervenants extérieurs
pour élaborer une politique sanitaire cohérente, dans le cas de l’ATNUTO, et à créer des
commissions civiles conjointes, composées de professionnels locaux et internationaux, dans
le cas de la MINUK. En outre, les administrations transitoires sont largement considérées
comme légitimes, tant par la population locale que par les organismes d’aide humanitaire.
Grâce à l’influence de grands donateurs, l’ATNUTO et la MINUK ont ainsi pu, toutes les
deux, convaincre la plupart des ONG internationales d’agir dans le cadre de la politique
sanitaire qui avait été validée.
En revanche, les administrations transitoires manquent manifestement de moyens pour
formuler une politique sanitaire ou remettre en état un système de santé. Premièrement,
leur mission de maintien de la paix peut être incompatible avec leur mission humanitaire et
avec l’objectif de développement du secteur de la santé. Parfois aussi, les administrations
transitoires hésitent à faire appel aux acteurs locaux, et surtout à ceux qui sont affiliés à un
parti, de crainte qu’on ne pense, avant la tenue d’élections nationales, qu’elles soutiennent une
formation politique en particulier. Enfin, le personnel qu’elles emploient à titre temporaire
n’étant pas toujours à même de rendre des comptes à long terme, il arrive qu’elles centralisent
la prise de décisions à tel point qu’elles ne sont plus en mesure de s’adapter rapidement à
l’évolution de la situation sur le terrain.
Les agences des Nations Unies
Le Haut Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés (HCR) a pour mandat d’assurer
la protection internationale des réfugiés et de trouver des solutions durables pour atténuer
leurs difficultés. Comptant près de 7 000 agents, dans 116 pays, qui accueillent environ
20 millions de réfugiés et d’autres personnes en difficulté (demandeurs d’asile, personnes
de retour dans leur pays, apatrides, personnes déplacées dans leur propre pays, notamment),
le HCR est l’un des principaux acteurs de l’aide humanitaire, parallèlement au Programme
Module 5
Les administrations transitoires (Nations Unies)
142
Analyse du secteur de la santé dans les urgences complexes
Module 5
alimentaire mondial (PAM) et au Fonds des Nations Unies pour l’Enfance (UNICEF). Il joue
un rôle essentiel dans les opérations de secours, en apportant une aide alimentaire, des soins
de santé et des soins nutritionnels, des abris, une alimentation en eau et des installations
sanitaires, des services d’éducation, des vêtements et des services communautaires de base.
Une grande partie de cette aide transite par ses partenaires d’exécution (autorités du pays
d’asile et ONG).
Ces dernières années, le HCR a dû revoir sa stratégie et ses approches pour tenir compte du
changement de contexte. Premièrement, la généralisation des crises, qui touchent souvent des
régions entières ou des pays entiers, conduit les acteurs de l’humanitaire, y compris le HCR, à
renoncer à implanter des camps de réfugiés, et donc à ne plus planifier et déployer la majeure
partie de l’aide dans ce cadre-là. Deuxièmement, l’évolution de la nature des situations
d’urgence complexes contraint aussi les agences, dont le HCR, à s’adresser aux autorités
nationales et aux organismes parapublics, au détriment du principe d’indépendance des
actions menées dans les camps de réfugiés. Cette mutation pose un problème supplémentaire
aux organismes tels que le HCR et le CICR qui doivent à la fois aider et protéger, et, donc,
répartir leurs activités entre ces deux types de missions.
Étant donné le savoir-faire du HCR dans la gestion des mouvements massifs de populations
lors d’une crise, et dans la mesure où les personnes déplacées à l’intérieur de leur propre
pays se retrouvent souvent dans une situation analogue à celle des réfugiés, c’est en général
le HCR qui procure une protection et une aide à certaines catégories de personnes déplacées
dans leur propre pays, notamment une aide au retour et à la réintégration. Ainsi, depuis
l’examen, en 2005, de l’aide humanitaire apportée par les Nations Unies, c’est lui qui est
chargé de la protection des personnes (y compris de leur retour dans leur pays d’origine), de
la coordination des actions dans les camps de réfugiés et des abris d’urgence, dans le cadre
d’un mécanisme instauré à l’échelle de tout le système des Nations Unies. Or, ce mandat est
contesté par plusieurs autres organisations, qui craignent que les fonctions et les moyens du
HCR deviennent encore plus importants.
Le Fonds des Nations Unies pour l’Enfance (UNICEF). Grâce à sa capacité à lever des
fonds, à l’autonomie dont bénéficie chacun de ses bureaux de pays, à la priorité qu’il donne
à l’action concrète et à un solide appui logistique, l’UNICEF joue, lui aussi, un rôle de
premier plan dans de nombreuses crises persistantes. Son entrepôt, l’UNIPAC, qui livre dans
le monde entier des médicaments essentiels génériques à des prix relativement bas, est l’un
des plus importants fournisseurs de matériel médical dans de nombreuses crises. L’UNICEF
a ainsi pu agir dans des situations de crise, comme au Cambodge ou au Sud-Soudan,
quand d’autres organisations ont préféré s’abstenir en raison de la légitimité douteuse du
gouvernement qui recevait l’aide. Du fait de sa philosophie, l’UNICEF s’attache davantage
à mener des activités de terrain qu’à analyser des systèmes. Il conçoit habituellement ses
programmes en s’appuyant sur un solide plan d’action, mais agit parfois séparément des
autres organismes d’aide. L’UNICEF cherche le plus souvent à travailler avec le pays qui
reçoit l’aide. Rarement intéressé par les questions de niveau macro, il pilote généralement
très activement des programmes liés à son mandat d’intervenant au service de la santé des
femmes et des enfants : programmes de vaccination élargis, nutrition et éducation à la santé,
notamment. Dans les cas d’urgence, l’UNICEF soutient des campagnes de vaccination
spéciales, telles que celles lancées pour lutter contre la rougeole en Afghanistan et en Iraq.
Dans la plupart des pays où il est présent, l’UNICEF finance aussi la réalisation d’enquêtes
standard (MICS, voir Module 2. Donner un sens (approximatif) à des données (bancales)).
Certains de ses bureaux de pays disposent d’un important centre de ressources, qui n’est
cependant pas toujours bien connu ou utilisé par les analystes ou les chercheurs.
L’Organisation mondiale de la Santé (OMS) a joué un rôle essentiel en Afghanistan, au
Kosovo, en Somalie, au Soudan et au Timor-Leste, avec toutefois des résultats mitigés.
Si cette organisation a été appréciée au Kosovo et au Timor-Leste, elle a en revanche
été vivement critiquée par les autorités en Afghanistan, où d’autres organisations l’ont
supplantée. Lors de crises antérieures, par exemple au Mozambique et en Angola, l’OMS
a été moins visible, préférant agir sur des « créneaux » plus spécialisés ou parce qu’elle n’a
pas eu le choix. Cependant, ayant tardé à réagir à l’évolution de la situation sur le terrain,
Module 5 Comprendre les processus d’élaboration de la politique sanitaire
143
elle est passé à côté de précieuses opportunités à plusieurs reprises. Ainsi, au Mozambique,
en Angola et en Afghanistan, elle n’a pas reconnu l’importance des analyses effectuées par
ses propres experts, et elle n’en a pas diffusé ni exploité les résultats, qui auraient pourtant
permis de diffuser des informations sur les actions qu’elle mène dans ces pays.
Depuis son siège, l’OMS participe activement à la formulation de politiques ayant une portée
mondiale. Au niveau des pays, ses activités concernent principalement des aspects techniques
ou relatifs aux maladies, domaines dans lesquels l’OMS dispose traditionnellement de solides
compétences. Elle est moins à même de déployer rapidement et efficacement des spécialistes
des questions de niveau macro, par exemple l’élaboration des politiques publiques, la
planification et le financement.
La complexité des structures de l’OMS, où le pouvoir et les responsabilités sont dispersés
entre le siège, les bureaux régionaux et les bureaux de pays, explique en partie les difficultés
de cette organisation, qui sont accentuées par la volonté de maîtriser tous les aspects des
systèmes, des programmes et des projets. Il en résulte un manque de ciblage et une incapacité
à hiérarchiser les interventions et les efforts par ordre de priorité. Néanmoins, dans le cas
de crises durables, le principal avantage comparatif de l’OMS réside dans sa compétence
technique reconnue, qui, par rapport à celles d’autres agences ou organisations, dépend
moins de considérations politiques. L’OMS peut ainsi jouer un rôle central dans l’analyse et
la formulation de politiques, à condition qu’elle ne participe pas à la mise en œuvre. C’est ce
que suggèrent Shuey et al. (2003) dans leur étude consacrée au Kosovo.
La Banque mondiale contribue très activement à la formulation de la politique sanitaire,
car, par sa philosophie, elle s’attache à encourager des réformes standard du secteur de la
santé, y compris dans les pays sortant d’une crise. Par le passé, elle est intervenue dans
de nombreuses situations d’urgence complexes, notamment au Mozambique et en Angola,
même si elle n’y a joué qu’un rôle secondaire. Son champ d’action peut s’élargir durant
une période de transition de la guerre vers la paix, comme en Afghanistan, en République
démocratique du Congo et en Iraq. Lorsque la Banque mondiale s’engage pleinement dans
un pays en transition, c’est le signe que la communauté internationale s’attend à un accord
imminent entre les parties en conflit. C’est aussi un moyen de conférer de la légitimité à un
gouvernement jusqu’alors contesté, ou à une autorité intérimaire. La Banque mondiale est
également réputée, à juste titre, pour ses compétences techniques. Soucieuse de rester un
acteur majeur du développement, elle procède souvent à des réorganisations internes, mais
sa structure centralisée, descendante et qui repose sur un vaste ensemble de procédures,
semble bien résister à ces réformes.
Cependant, ces procédures lourdes, mises en œuvre depuis le siège, paraissent inadaptées
aux situations de crise, comme au Timor-Leste (Tulloch et al., 2003). Élaborées au fil des ans
pour financer des investissements substantiels, elles ne sont a priori pas adéquates dans les
contextes instables, quand il faut adapter sans cesse les projets et que les emprunteurs ont du
mal à satisfaire aux conditions d’accès à des prêts. Les bureaux-pays de la Banque mondiale
sont généralement peu développés, leur autonomie est limitée et ils exercent essentiellement
des fonctions de liaison. En outre, conscient de la puissance financière et technique de la
Banque mondiale, le personnel de cette institution ne tient pas toujours compte du contexte
local et se montre parfois indifférent à l’égard du travail accompli par des partenaires moins
visibles mais mieux informés.
Il n’est donc guère étonnant que la Banque mondiale affiche de très médiocres performances
dans les environnements instables, d’où, souvent, d’intensives et harassantes négociations
sur des prêts, des programmes trop détaillés que l’évolution de la situation rend rapidement
obsolètes, des retards de mise en œuvre, la réorganisation d’activités et la prolongation de
nombreux prêts. Les fonds fiduciaires multidonateurs, dont la mise en place a nécessité
plusieurs années d’efforts exténuants, souffrent des mêmes problèmes. Voir le Module 8.
Analyser les systèmes de gestion.
Module 5
La Banque mondiale
144
Analyse du secteur de la santé dans les urgences complexes
Le Mouvement de la Croix-Rouge
Module 5
Le Mouvement de la Croix-Rouge compte trois catégories de membres : les Sociétés
nationales de la Croix-Rouge/du Croissant-Rouge, la Fédération internationale des Sociétés
de la Croix-Rouge/du Croissant-Rouge (FISCR) et le Comité international de la CroixRouge (CICR).
C’est la FISCR qui a fondé le Mouvement de la Croix-Rouge, organisation indépendante privée
qui veille sur le droit humanitaire international (DHI). Le CICR, le plus ancien organisme
d’aide humanitaire, créé en 1863, agit en tant qu’intermédiaire neutre dans les conflits armés.
Il veille à ce que les parties à ces conflits respectent les Conventions de Genève, il apporte
une protection, des soins médicaux et une aide matérielle d’urgence aux victimes des conflits,
notamment aux civils, il organise des services d’identification et s’efforce de remettre en
contact les membres de familles qui ont été séparés, il assure un suivi des prisonniers et
leur rend visite. Le CICR coopère avec les Sociétés nationales, mais mène des missions
spécifiques et organise ses propres opérations le plus souvent isolément, par l’intermédiaire
de ses propres bureaux. Disposant généralement d’une solide structure opérationnelle et
logistique locale, il lève des fonds via des appels à la communauté internationale.
Depuis sa création, le CICR s’attache à exercer son mandat et ses activités de manière neutre
et impartiale sur le plan politique, idéologique et religieux, même si cette philosophie est
mise à mal lorsque les droits de l’homme sont bafoués et que le DHI n’est pas respecté.
Pour préserver ses principes humanitaires, le CICR continue à cultiver un certain goût du
secret. « [le fait que] le CICR reste mal connu s’explique par sa culture du secret et par la
faiblesse de la politique de communication de cette importante organisation » (Forsythe,
2005). Depuis peu, des signes d’un changement apparaissent néanmoins : le CICR s’ouvre
à la coopération et au partage de l’information avec d’autres acteurs de l’aide humanitaire.
Leur structure et leurs activités diffèrent d’un pays à l’autre, mais toutes les Sociétés de
la Croix-Rouge/du Croissant-Rouge officiellement reconnues (par le CICR) sont tenues
d’appliquer les principes fondateurs du Mouvement, en particulier la neutralité. Les Sociétés
sont des auxiliaires des autorités nationales, et se concentrent sur les activités liées à la santé
publique : premiers secours et soins de santé primaires, entre autres. Elles ont l’obligation
d’agir sans discrimination raciale, religieuse ou politique. Dans certains pays, elles jouent
un rôle central dans l’organisation des opérations de secours. Beaucoup gèrent des stocks
d’aide d’urgence.
La FISCR est la fédération mondiale des Sociétés nationales, qui encourage et soutient les
actions humanitaires. Lorsqu’une catastrophe survient, elle peut aider une Société nationale
à évaluer les besoins, à mobiliser des ressources, à dispenser des formations et à organiser
les secours. La FISCR lance fréquemment des appels à la communauté internationale pour
déployer des programmes d’urgence spécifiques, qui sont définis en concertation avec une
Société nationale. L’aide qu’elle centralise est systématiquement transférée à la Société
nationale du pays concerné. La FISCR peut avancer des fonds au début d’une opération, en
attendant de recevoir des dons.
L’aide humanitaire
Au début des années 2000, la prise de conscience des carences de l’aide humanitaire
(fragmentation, imprévisibilité, inefficience, décalage entre le financement et les besoins
réels) a abouti à une succession de réformes, qui améliorent peu à peu le fonctionnement
de cette aide. En 2003, de nombreux donateurs occidentaux ont approuvé l’initiative GHD
(Good Humanitarian Donorship). De nouveaux instruments financiers ont également vu le
jour, tel que le Fonds central d’intervention d’urgence (Central Emergency Response Fund,
CERF) des Nations Unies et les Common Humanitarian Funds (pour des informations
détaillées, voir le Module 14). En outre, afin de rationaliser les activités humanitaires et
d’améliorer leur efficacité, le système des Nations Unies a déployé une approche dite « de
responsabilité sectorielle » (Cluster Approach). Même si l’aide financière humanitaire reste
fondamentalement erratique, plusieurs tendances se dégagent aujourd’hui.
Globalement, le financement destiné aux situations d’urgence a nettement augmenté, à la fois
en valeur réelle et en proportion de l’aide publique au développement (APD). Depuis 2004,
Module 5 Comprendre les processus d’élaboration de la politique sanitaire
145
Le Service d’Aide humanitaire de la Commission européenne
(ECHO)
Doté d’un budget annuel supérieur à € 671 millions en 2006, le Service d’Aide humanitaire
de la Commission européenne (ECHO) est le plus important organisme d’aide humanitaire
(Harnmeijer et Meeus, 2007). Il achemine l’aide humanitaire européenne via un grand
nombre d’organismes d’exécution (68 en 2006). Cependant, la brièveté de ses cycles de
financement (12 mois au maximum pour les projets qu’il soutient) limite les actions sur le
terrain et dissuade les interventions à long terme. De plus, étant donné que beaucoup de
crises durent longtemps, ses ressources financières doivent être reconstituées fréquemment,
d’où un surcoût administratif. Dans les pays où les États membres de l’UE ont du mal
à maintenir de bonnes relations avec les autorités et hésitent à apporter directement des
moyens d’appui, ECHO constitue un bon circuit pour l’acheminement de l’aide. Ainsi, vers
la fin de la longue guerre civile qui a dévasté l’Angola, les membres de l’UE ont décidé de
réduire leur exposition directe à ce pays et de faire largement appel à ECHO.
Dans le passé, ECHO a été critiqué pour ses procédures lourdes et complexes, pour
ses longs délais de décaissement et pour le laxisme du contrôle qu’il exerçait sur les
organismes d’exécution qu’il finançait. On lui reprochait également de s’intéresser avant
tout aux crises survenant en Europe, et d’accorder donc peu d’attention aux nombreuses
« situations d’urgence oubliées ». Ainsi, en 1999, la situation dans les Balkans a absorbé
55 % de son budget. « […] ECHO reste considéré, y compris par nombre de ses amis,
comme un organisme qui n’a pas encore pleinement fait correspondre ses capacités et ses
résultats » (International Crisis Group, 2001).
Module 5
sa croissance s’est toutefois ralentie. Ce sont les agences des Nations Unies qui ont le plus
bénéficié de ces fonds. À l’échelle mondiale, on ne constate toutefois aucune amélioration
sensible de la prévisibilité et de l’adéquation de l’aide aux besoins. Il reste également à
savoir si les réformes seront efficaces (Stoddard, Haver et Harmer, 2007).
Les activités des pays occidentaux membres du Comité d’aide au développement (CAD)
qui contribuent à l’APD sont relativement bien documentées. À côté de ces donateurs, on
trouve une multitude d’aidants privés et informels, qui forment un ensemble disparate et mal
étudié. Dans certains cas, par exemple en Somalie, cette participation informelle est jugée
importante. Par ailleurs, des pays émergents, comme l’Arabie saoudite, la Chine et l’Inde,
deviennent de nouveaux acteurs de l’aide humanitaire. La contribution de ces donateurs
extérieurs au CAD, lequel se compose des États donateurs traditionnels, peut représenter
jusqu’à 12 % de l’aide humanitaire publique apportée sur une année. Notons par ailleurs des
différences de comportement entre les nouveaux donateurs et les donateurs traditionnels
(Harmer et Cotterell, 2005).
De plus, les politiques des donateurs diffèrent nettement en fonction des objectifs stratégiques
nationaux et/ou internationaux. Seule une analyse par pays peut donc mettre en lumière le
rôle joué par chaque donateur. Le charisme de son dirigeant importe parfois davantage que
la taille ou que la politique officielle de l’organisme donateur. Ainsi, au Mozambique, la
Suisse, via sa Direction du développement et de la coopération (DDC), joue désormais un
rôle de premier plan dans le secteur de la santé, ainsi que dans l’élaboration de politiques
nouvelles pour la transition de la guerre à la paix. Ce succès s’explique notamment par le
dynamisme et l’audace du coordinateur de la DDC. Voir le Module 3 pour une analyse de
l’aide et de la politique de l’aide.
Les archives et la mémoire des donateurs peuvent constituer de précieuses sources
d’information et d’analyse. Cependant, la sensibilité de certaines informations (principalement
les données financières) peut empêcher leur diffusion. Malgré ces obstacles, il est toutefois
fondamental d’associer les principaux donateurs à l’analyse des politiques sectorielles,
ce qui nécessite une certaine préparation. Une lettre d’accréditation ou un simple appel
téléphonique passé par le directeur d’un organisme partenaire peut permettre de déverrouiller
des portes, d’ouvrir des dossiers ou de délier les langues. Pour des détails supplémentaires
sur l’obtention d’informations auprès des organismes donateurs, voir le Module 13. Élaborer
le profil d’un secteur de la santé.
146
Analyse du secteur de la santé dans les urgences complexes
En 2007, Harnmeijer et Meeus ont évalué les actions sanitaires financées par ECHO et
constaté des avancées dans plusieurs domaines. C’est l’Afrique qui reçoit aujourd’hui la
majeure partie de l’aide humanitaire provenant de l’Europe, et les crises oubliées tiennent
une place de plus en plus grande dans les activités d’ECHO. Cet organisme a acquis des
compétences dans le secteur de la santé et renforcé sa présence locale. Cependant, le même
rapport d’évaluation souligne que sa direction générale ne tire pas pleinement profit de
ses atouts : « […] ECHO n’est pas perçu et n’agit pas comme un donateur de référence,
et manque des occasions d’influer sur l’évolution de l’aide humanitaire et d’accroître sa
visibilité ». On considère que son siège bruxellois est déconnecté de la réalité du terrain et
accaparé par les problèmes administratifs (Harnmeijer et Meeus, 2007).
Par conséquent, malgré les améliorations observées, il semble que les constats de
l’International Crisis Group (ICG) en 2001 soient toujours d’actualité. ECHO paraît avoir
autant de difficultés que ses partenaires (organismes d’aide et organisations humanitaires) à
tirer des leçons de l’expérience : « Les résultats sont là, sous différentes formes et à différents
niveaux, sans que des enseignements en soient tirés, car leur utilisation potentielle est mal ou
pas du tout définie, ou parce que, tout simplement, personne ne s’y intéresse » (Harnmeijer
et Meeus, 2007).
Les organisations non gouvernementales
Module 5
Étant donné la diversité des organisations non gouvernementales (ONG), toute généralisation
les concernant serait insuffisante et trompeuse. Lors des crises prolongées, les ONG
internationales, qui sont souvent de grande taille, spécialisées dans les opérations de secours
et présentes dans de nombreux pays, occupent le devant de la scène. Certaines, comme
Oxfam et Save the Children Fund, jouent un rôle de plaidoyer important en encourageant
l’élaboration de documents normatifs, tels que le manuel Sphère ou un code de conduite
dans les situations d’urgence. Les ONG qui font largement appel à un financement privé
peuvent prendre des positions franches et autonomes dans les débats sur les politiques et les
questions sanitaires. Celles qui dépendent dans une large mesure de fonds publics agissent
généralement plus discrètement et sont donc, le plus souvent, considérées comme les services
d’aide humanitaire du ou des gouvernements qui les financent.
Plusieurs ONG spécialisées ont été créées spécifiquement pour répondre à des situations
d’urgence politique complexes. C’est notamment le cas du Swedish Committee for
Afghanistan, qui possède et gère un énorme réseau de structures de santé et qui a accumulé
un savoir et des compétences considérables au niveau local.
Nombre d’ONG internationales, et la quasi-totalité des ONG locales, sont plus petites,
elles s’appuient souvent sur le travail des bénévoles et elles ont parfois été créées
à l’initiative d’une seule personne, à laquelle elles sont généralement identifiées.
Les pratiques informelles y prédominent. Les liens horizontaux sont, eux aussi, informels, et
hétérogènes : un certain nombre d’ONG travaillent de manière isolée et leurs activités ne
sont souvent pas documentées.
La rapidité et l’ampleur de la réaction des ONG dépendent de la disponibilité des fonds
apportés par les donateurs. Les domaines d’action que les donateurs riches financent le plus,
notamment des programmes destinés à assurer la survie des enfants ou à lutter contre le
VIH/sida, peuvent donner lieu à une multiplication des projets, qui, souvent, empiètent les
uns sur les autres. Nombre d’ONG se concentrent sur des domaines d’action spécifiques,
par exemple sur la promotion de la santé ou sur la rééducation des amputés, en déployant
parfois une grande compétence technique. Cette spécialisation ne concerne parfois qu’un
seul pays en raison de conditions locales particulières qui ont amené une ONG à y intervenir.
Néanmoins, dans bien des cas, il est faux de penser qu’une ONG dispose d’un savoir-faire
permanent dans un domaine. En réalité, une partie de son personnel d’encadrement clé n’est
pas renouvelé assez rapidement, et l’ONG se réoriente en conséquence.
Il n’est pas évident de dresser un état des lieux de l’implantation et des activités des ONG,
surtout dans les contextes où une multitude d’acteurs sont présents, comme au Kosovo ou
en Afghanistan. Outre leur nombre, les ONG sont généralement disséminées sur de vastes
Module 5 Comprendre les processus d’élaboration de la politique sanitaire
147
Étude de cas n° 8
Inventorier les projets des ONG dans
le secteur de la santé au Soudan
territoires où elles rencontrent des problèmes de communication, leurs pratiques ne sont
pas homogènes, par exemple en ce qui concerne la budgétisation et l’information, elles
communiquent dans des langues différentes, etc. Certaines n’ont pas pour habitude de
travailler avec des partenaires ou avec les pouvoirs publics et peuvent donc être réticentes
à donner des informations sur leurs activités. Étant donné qu’elles sont nombreuses à
intervenir dans divers domaines, il peut être difficile et coûteux d’obtenir des informations
portant exclusivement sur leurs interventions sanitaires.
Nombre des pays qui reçoivent une aide cherchent à piloter, coordonner ou contrôler les
activités des ONG via divers dispositifs : système d’agrément, cellules de coordination,
obligation de communiquer certaines informations ou de procéder à des inventaires
périodiques, par exemple. L’énorme volume de données disparates produites par les ONG
dans le cadre de ces dispositifs peut empêcher toute analyse pertinente, surtout en ce qui
concerne les données agrégées. Les ONG elles-mêmes peuvent ressentir le besoin d’améliorer
l’information et de travailler les unes avec les autres de façon plus coordonnée, comme en
Somalie, où le consortium des ONG présentes publie chaque année un manuel très détaillé.
Néanmoins, dans l’ensemble, ces efforts louables semblent le plus souvent éphémères et peu
efficaces. L’univers des ONG se prête difficilement à une exploration, à une orientation, à
une gestion ou à une régulation, et les informations disponibles à son sujet sont généralement
incomplètes. Avant de lancer tout nouveau projet d’analyse des activités des ONG qui
opèrent dans le secteur de la santé, les porteurs de ce type de projet (qu’ils travaillent dans
l’administration publique, dans une agence des Nations Unies ou pour un donateur, ou qu’ils
fassent eux-mêmes partie d’une ONG) ne devraient pas oublier que des moyens considérables
ont déjà été consacrés à de telles études, pour de maigres résultats.
En l’absence d’informations solides sur les ONG, ou de volonté de lancer une étude
spécifique sur ces entités, il faut se contenter d’examiner les caractéristiques générales des
activités de ces acteurs :
• Répartition spatiale. La répartition sur le terrain est le plus souvent extrêmement
inégale : les activités des ONG se concentrent dans certaines zones, en fonction des
conditions de sécurité, des possibilités opérationnelles et des motivations politiques. Si
des zones négligées sont identifiées, de nouveaux acteurs peuvent être incités à leur
apporter une aide.
•
Domaines d’action privilégiés. Ils peuvent être très variés : lutte contre une maladie,
soins de santé communautaires, nutrition, promotion de la santé, prestation de services,
soins d’urgence, etc. Si ce sont les ONG qui centralisent une grande partie des moyens
utilisés par le secteur de la santé et qui fournissent l’essentiel des services de santé, il est
fondamental de déterminer quels domaines sont négligés et si d’autres acteurs (l’État,
organismes d’aide) y sont présents.
•
Relations avec le secteur public. Dans de nombreux cas, les ONG préfèrent soutenir
les services de santé publics en apportant notamment des compétences, des fonds, du
Module 5
Au Soudan, toutes les ONG ont dû déclarer leurs activités et rendre compte de leurs
résultats auprès de la Commission de l’aide humanitaire, la plus haute autorité dans
ce secteur. À Khartoum, lors une réunion consacrée en février 2003 aux opérations de
reconstruction et à leur coordination, la Commission de l’aide humanitaire a demandé
aux représentants des ONG d’actualiser la liste des projets qu’elle-même était chargée
de gérer. Après quelques heures de travail, le nombre des projets répertoriés avait
triplé. Cependant, étant donné que seules les ONG disposant d’un bureau à Khartoum
participaient à cette réunion, et que toutes n’étaient pas présentes, le nombre effectif
de projets en cours dans le secteur de la santé était probablement supérieur à celui
qui a été déterminé dans le cadre de cette réunion.
148
Analyse du secteur de la santé dans les urgences complexes
personnel ou des moyens logistiques ; en revanche, dans un pays dont les structures
étatiques se sont effondrées, il est plus probable qu’elles dirigeront des structures de
santé et qu’elles fourniront elles-mêmes des services.
•
Nature, origine et affiliation des ONG. Dans certains pays, les associations caritatives
religieuses sont de très importants prestataires de soins de santé (soins curatifs,
principalement). Il arrive ainsi que des ONG locales prospèrent pendant une crise. Par
ailleurs, beaucoup d’ONG internationales sont membres de fédérations ou d’alliances
structurées et ont des liens avec des acteurs politiques (rebelles ou puissances étrangères
intervenant dans la politique locale), en particulier lorsqu’elles opèrent dans une zone de
conflit ou dans un no man’s land. Il arrive aussi que des États agissant comme médiateurs
dans un conflit s’appuient largement sur les ONG locales, dont le nombre peut se
multiplier dans certaines situations.
•
Principales sources de financement. Souvent, diverses ONG sont soutenues par un
petit nombre de donateurs qui s’intéressent à un pays ou à un domaine ou un aspect
en particulier, tel que le contrôle des naissances. Il est difficile d’étudier les sources
de financement des ONG en raison de leur hétérogénéité (et, dans certains cas, de leur
caractère informel).
•
Présence locale. Lors de crises prolongées, comme en Angola ou en Afghanistan,
certaines ONG s’engagent sur le long terme. À l’inverse, au Kosovo ou au Timor-Leste,
la plupart étaient de nouveaux acteurs dans le pays et dans le secteur de la santé lorsque
la crise a commencé.
C’est en élaborant une matrice des ONG pour présenter leurs caractéristiques en se fondant
sur les critères ci-dessus que l’on pourra mieux cerner la situation. Pour une analyse des
ONG humanitaires, voir Stoddard (2003).
Les associations professionnelles
Module 5
Étant donné que les ressources humaines représentent une composante clé du système de santé,
et souvent l’essentiel des dépenses annuelles récurentes, les associations professionnelles
exercent une grande influence sur la majeure partie des mesures sanitaires. Jusqu’à une date
récente, dans la plupart des pays, les professionnels de santé, en particulier les médecins,
jouaient un rôle prépondérant dans l’élaboration de ces mesures. Ils exerçaient un large
contrôle sur la formation et sur les activités de leurs pairs, sur les différentes prestations
fournies et, dans une certaine mesure, sur le tarif de ces prestations. Alors que cette situation
commence à changer dans les pays développés, le corps médical reste très puissant dans les
pays pauvres. La fédération du personnel infirmier peut, elle aussi, être très influente, car elle
compte de nombreux adhérents.
La participation des associations professionnelles à la définition des politiques après un conflit
varie considérablement d’un contexte à l’autre. Dans certains pays, l’accès aux professions
médicales est resté non réglementé pendant de longues années, d’où un trop grand nombre
de prestataires et une érosion de leur capacité à négocier avec les pouvoirs publics. Pour
des informations supplémentaires à ce propos, voir le Module 10. Analyser les ressources
humaines du secteur de la santé.
Les nouveaux acteurs de l’aide humanitaire
En Afghanistan et en Iraq, les travailleurs humanitaires ont été confrontés à de nouveaux
acteurs, avec lesquels ils ont souvent dû être en contact : les militaires et paramilitaires
engagés dans les opérations de secours. L’armée avait déjà eu l’occasion d’apporter aux
travailleurs de l’humanitaire une assistance dans d’autres situations d’urgence complexes
(notamment au Zaïre en 1994 et en Macédoine en 1999) et, dans d’autres cas, des moyens
d’appui (transports), ainsi qu’une protection aux travailleurs de l’humanitaire. Cependant,
en Afghanistan et en Iraq, les militaires et leurs partenaires civils ont joué un rôle plus
étendu. Ils ont pris une part active à la définition de l’espace humanitaire (et, ainsi, contrôlé
Module 5 Comprendre les processus d’élaboration de la politique sanitaire
149
Comprendre la coordination
En raison des coûts supportés par les partenaires qui cherchent à coordonner leurs activités,
des effets négatifs des activités menées sans être mises en relation les unes avec les autres
et des avantages potentiels de la coordination, toute analyse du secteur de la santé doit se
pencher sur les interactions entre les différents acteurs. De fait, toutes les parties prenantes
affirment régulièrement que la « coordination » est cruciale pour réaliser des avancées, et
que son absence pose un grave problème. Le portrait saisissant que Bower (2002) dresse
du secteur de la santé en Afghanistan semblera immédiatement familier à de nombreux
intervenants de terrain chevronnés :
« […] l’« univers » de la coordination est un chaos familier, avec de multiples réunions,
souvent au cas par cas, et un maigre ordre du jour, des représentants non représentatifs,
l’absence de mécanisme de retour d’information, des procès-verbaux publiés tardivement
ou jamais, et l’omission systématique de certains points, ce qui crée un degré de paranoïa
tout aussi familier. »
Dans un environnement perturbé, les rares ressources risquent d’être gaspillées, aucun
acteur ne peut pas détenir à lui seul toutes les informations permettant la prise de décisions
rationnelles, les doublons sont aussi courants que les carences, il n’est pas possible de
répondre efficacement aux besoins les plus urgents (que l’on ne peut souvent même pas
identifier) et nul n’est en mesure de contrôler la masse des intervenants qui agissent en
toute autonomie. Aucun axe de développement cohérent ne pouvant émerger d’activités sans
lien les unes avec les autres, la coordination est un objectif aussi essentiel qu’impossible
à réaliser.
Module 5
l’accès aux populations dans le besoin), à la fourniture d’une aide d’urgence (eau, nourriture,
médicaments), à la remise en état des infrastructures essentielles (ponts, réseaux d’électricité,
etc.), à la sécurité et au renseignement. Grâce à leur grande capacité à assurer la sécurité et
à leurs moyens logistiques, ils ont souvent pu réagir plus rapidement que les organisations
humanitaires.
Ce nouveau rôle actif des militaires met en évidence le manque de clarté de la répartition
des fonctions et responsabilités entre l’armée et les travailleurs humanitaires. Que l’armée
prenne part à une guerre ou au maintien de la paix, les acteurs civils considèrent que sa
participation aux opérations de secours enfreint le principe de neutralité, qui est l’un des
principes fondateurs de l’aide humanitaire. Une nouvelle constellation d’organisations
paramilitaires est apparue autour des forces armées. Ces organisations se composent de
soldats non armés, qui sont chargés de travailler et d’assurer la liaison avec les Nations
Unies, les ONG et les autorités civiles, ainsi que d’apporter une aide directe. Il n’est
cependant pas toujours facile, pour la population civile et les travailleurs humanitaires, de
les identifier comme faisant partie des forces armées, et la confusion qui en résulte rend ces
relations encore plus problématiques. Les différences politiques et idéologiques ne sont pas
seules en cause : certains craignent également que les opérations de secours mises en œuvre
par les militaires ne soient pas économiquement efficientes et qu’elles privent les acteurs
humanitaires traditionnels de précieuses ressources.
La reconstruction des pays sortant d’un conflit élargit considérablement les opportunités
commerciales qui s’offrent aux organisations à but lucratif et au secteur privé, c’est-à-dire,
pour citer Duffield (2001), les possibilités de privatisation et de marchandisation de l’aide
humanitaire. Ce phénomène a été particulièrement visible en Iraq après l’invasion de ce
pays, lorsque des sociétés commerciales américaines ont reçu des montants substantiels pour
remettre en état les infrastructures et les réseaux de communication. Ces entreprises étaient
souvent en concurrence avec les agences des Nations Unies et les ONG. Dans le secteur de la
santé, par exemple, les travaux de génie civil peuvent nécessiter un financement important.
Les entités privées peuvent également tirer profit de la tendance à l’externalisation. Et celles
à but lucratif peuvent largement influer sur l’élaboration de la politique, principalement
lorsqu’elles opèrent dans des domaines essentiels et sont chargées d’études dont les résultats
serviront à la prise de décisions.
150
Analyse du secteur de la santé dans les urgences complexes
Module 5
Il n’est pas étonnant que la coordination ne soit pas perçue de la même façon par tous les
participants. Pour certains, c’est une perte de temps totale, qui doit être absolument évitée.
Pour d’autres, c’est une nécessité coûteuse et déprimante, qui doit être judicieusement
gérée. Pour d’autres encore, c’est une occasion de discuter avec les partenaires, qui doit
être pleinement mise à profit. Enfin, pour beaucoup, la coordination est une activité sociale
gratifiante, et un bon prétexte pour rester loin du terrain, surtout lorsque les réunions
sont organisées dans des capitales et que les événements se déroulent dans des stations
touristiques chic.
Une bonne coordination est difficile, onéreuse et mobilise beaucoup de personnes. Son
succès dépend largement du contexte et des acteurs. En effet, il se peut que la diversité des
intervenants fasse obstacle à la recherche d’un consensus, que les résultats soient lents à se
matérialiser, qu’il y ait des problèmes de communication, que la mémoire institutionnelle soit
fragile et que des arbitrages soient fréquemment nécessaires. La coordination s’accompagne
aussi de coûts d’opportunité élevés, comme le montre l’Étude de cas n° 9. Au-delà d’un
certain niveau (qui n’est pas simple à définir), elle peut même devenir contre-productive, car
elle accapare l’attention des différents acteurs au point que la mise en œuvre des activités
en pâtit.
Il n’existe pas de modèle unique pour une bonne coordination. En principe, quand les lieux
de discussion et les mécanismes sont nombreux, il est probable qu’aucun d’eux ne sera
vraiment utile. Et, souvent, les approches informelles sont plus efficaces que les approches
formalisées. Pour accroître leurs chances de succès, les partenaires doivent donc consacrer
des ressources adéquates à la coordination, diversifier leurs approches, expérimenter
d’autres mécanismes, s’appuyer progressivement sur les plus prometteurs, et faire état à la
fois de leurs réussites et de leurs échecs, car on peut tirer des deux des enseignements utiles.
L’Organisme pour la coordination de l’aide en Somalie (voir l’Étude de cas n° 12, dans le
Module 8), qui est un exemple de bonne coordination dans un contexte difficile, satisfait
dans une large mesure à ces critères. Néanmoins, sa mise en place a eu un coût substantiel,
en termes d’efforts, de risques et de controverses.
« Coordination » est un terme utilisé de façon vague et qui prend un sens différent en fonction
des perceptions, des attentes et des circonstances. Elle peut être réalisée de différentes
manières :
• Information/incitations : réunions de coordination, centres de documentation, analyse
et diffusion d’informations pertinentes, réseaux informels, ou élaboration de politiques,
stratégies et plans réalistes. Dans un environnement perturbé, où le leadership est
inexistant ou controversé, c’est souvent la meilleure forme de coordination à laquelle il est
possible de parvenir. On reproche fréquemment au partage d’informations de ne pas être
une forme de coordination efficace. En Afghanistan, il a été observé que « plutôt qu’un
‘partage d’informations’, il y avait une vaste ‘diffusion’ d’informations, par laquelle
étaient annoncés les projets, les problèmes ou les points de vue, mais que rien n’était
systématiquement fait de ces informations, que ce soit en termes de collecte, d’analyse,
de diffusion ou d’action » (Bower, 2002). L’efficacité du partage d’informations dépend
de la pertinence et de la fiabilité des données. Si les intervenants peuvent en tirer des
indications qui leur permettront de prendre des décisions éclairées, d’évaluer leur rôle
et de programmer des activités, la coordination peut s’améliorer nettement. Cela peut
inciter les participants à améliorer l’information qu’ils produisent et à la diffuser plus
efficacement.
•
Simplification/rationalisation : réduction du nombre des acteurs opérant dans une zone
donnée, concentration des interventions des organismes sur des domaines spécifiques
via un « zonage » et adoption de normes, de critères et de principes directeurs
communs. Dès lors, les réunions prennent une dimension plus gérable, les participants
approfondissent certains aspects et acquièrent un savoir-faire dans un domaine, et le
consensus est plus facile à trouver. La cartographie précise des parties prenantes peut
engendrer une redistribution spontanée des tâches dans le secteur de la santé, en fonction
des chevauchements et des lacunes identifiés. En outre, la rationalisation permet un
Module 5 Comprendre les processus d’élaboration de la politique sanitaire
151
•
Efficacité/efficience de la gestion de l’aide : mutualisation des ressources externes, appui
budgétaire sectoriel, programmation intégrée et fonds communs. Voir le Module 8 pour
une analyse de ces outils de gestion de l’aide et de leurs mérites respectifs. Voir aussi
Pavignani et Durão (1999) pour une analyse de la mise en place de ces instruments au
Mozambique, dans une situation de post-conflit.
•
Suivi et contrôle : création d’une entité de coordination (au sein du ministère de la Santé,
si celui-ci existe), rédaction d’un code de bonne conduite et d’un protocole d’accord,
définition de principes directeurs opérationnels pour les partenaires du développement, et
tous les outils de coordination classiques. La plupart des ministères de la Santé apprécient
une telle approche, qui leur confère le contrôle formel du processus. Cependant, dans
la plupart des cas, les pouvoirs publics ne sont pas à même de contrôler réellement
les différents partenaires. Ceux-ci peuvent déclarer qu’ils adhèrent aux règles définies,
mais agissent en fait à leur guise. Étant donné que les mécanismes de contrôle formels
ont tendance à mobiliser des ressources et une énergie considérables, leurs coûts de
mise en place risquent également d’être supérieurs aux effets bénéfiques attendus. De
surcroît, les contrôles formels découragent l’innovation et l’initiative, et peuvent ralentir
la gestion des situations d’urgence et des aléas, surtout lorsqu’ils sont appliqués par un
État qui a peu de pouvoir.
On comprend mieux la complexité de la coordination de l’aide en allant au-delà de l’un
des principes théoriques des partenariats, à savoir l’unicité des objectifs des donateurs, des
Nations Unies, des banques et des ONG. En réalité, la diversité de ces acteurs garantit celle
de leurs objectifs, qui, souvent, divergent et évoluent aussi sur la durée, ce qui explique les
alliances et les conflits. Les décaissements, la levée de fonds, les idéologies, les modes, les
rivalités personnelles et les relations avec le niveau central sont autant de puissants facteurs
qui influent sur les décisions des organismes d’aide et qui les encouragent à aller dans des
directions très différentes. Malheureusement, ces forces, souvent souterraines et qui ne sont
pas directement reconnues par les parties prenantes, ne deviennent parfois visibles qu’à long
terme, lorsque le mal est déjà fait.
Module 5
recentrage des structures de coordination sur des niveaux de décision plus appropriés,
de sorte que les problèmes qui se posent à l’échelle des provinces ne sont plus traités au
niveau central, et inversement. Elle n’est cependant pas toujours bien accueillie par les
autorités qui reçoivent l’aide, qui peuvent préférer avoir affaire à plusieurs partenaires
plutôt qu’à quelques uns ou qu’à un seul.
152
Analyse du secteur de la santé dans les urgences complexes
Étude de cas n° 9
Les coûts de transaction liés à la coordination : négociation d’une
politique salariale standardisée en Afghanistan, 2002-2003
En Afghanistan, une forte proportion des services de santé étaient fournis par des
ONG, qui recrutaient directement leur personnel dans le cadre de différents accords
salariaux. Le projet visant à instaurer une politique salariale commune paraissait
particulièrement séduisant dans la perspective de l’introduction de mécanismes de
contractualisation dans dix provinces sous-desservies. Le financement nécessaire
avoisinait US $60 millions pour trois ans, et était apporté par la Banque mondiale.
En mars 2002, les ONG ont commencé à envisager de standardiser la politique
salariale. Ces discussions ont permis la rédaction d’un protocole d’accord par un petit
groupe de travail composé de quatre ONG. En août/septembre de la même année,
ce protocole a été présenté à une plateforme sanitaire nationale réunissant les ONG,
et accepté comme point de départ d’un long processus transparent, consensuel
et planifié.
L’approche retenue avait plusieurs objectifs : 1) amener les ONG à s’entendre en six
mois sur une nouvelle politique salariale et à en accepter dans son principe le résultat,
2) rédiger le document présentant cette politique, 3) obtenir que le ministère de la
Santé, les Nations Unies et les donateurs valident ce document et 4) obtenir l’adhésion
de la plupart des ONG et lancer la mise en œuvre. On pensait que la pression de
leurs pairs inciterait la majorité des autres ONG à souscrire progressivement à une
politique nationale soutenue par toutes les autres grandes parties prenantes.
Module 5
En septembre 2002, le ministère de la Santé a avalisé ce processus lors d’une réunion de
coordination de haut niveau avec les donateurs, les Nations Unies et les ONG. Cependant,
cette décision n’a jamais été consignée dans le procès-verbal de de la réunion, ni
inscrite à l’ordre du jour d’une réunion suivante. À l’époque, un nouveau mécanisme de
coordination entre les donateurs et le ministère de la Santé avait remplacé le dispositif
précédent, mais aucune ONG n’y participait, peut-être parce que ce deuxième dispositif
était appelé à être lui-même remplacé par un troisième système de coordination entre
le ministère, les donateurs, les Nations Unies et les ONG. Le projet de politique salariale
a été examiné dans le cadre du nouveau dispositif, sans pour autant figurer dans le
procès-verbal de la réunion, ni à l’ordre du jour, et sans recevoir le feu vert ministériel.
Le manque de soutien administratif, d’autres problèmes plus urgents et les fréquents
déplacements à l’étranger de plusieurs hauts fonctionnaires du ministère ont entraîné la
suspension du processus pendant plusieurs mois, malgré le lobbying exercé au sein du
ministère par des conseillers expatriés.
En janvier 2003, l’appui de trois donateurs a été sollicité. L’USAID (l’Agence des
États-Unis pour le développement international) a refusé, considérant qu’il ne fallait
pas entraver les forces du marché, la SIDA (l’Agence suédoise de coopération pour le
développement) a promis son assistance, et la Commission européenne a répondu
qu’elle y réfléchirait, mais a ultérieurement décidé de faire dépendre son soutien
de la décision du ministère. Pendant une réunion organisée conjointement entre
les donateurs et toutes les grandes parties prenantes pour discuter des accords de
contractualisation, le projet de politique salariale a été réinscrit à l’ordre du jour par la
Banque mondiale, qui prévoyait une escalade des coûts si les rémunérations n’étaient
pas encadrées, essentiellement pour les mêmes raisons que celles que les ONG avaient
invoquées en septembre 2002. Le ministère a admis qu’il avait pris du retard sur ce
projet, « car il n’en avait pas saisi l’importance » et a demandé de toute urgence à une
ONG de premier plan de superviser l’élaboration d’une politique salariale nationale.
Un groupe de travail a été constitué. La Banque mondiale et le ministère lui ont donné
un mois pour accomplir sa mission, étant entendu que le ministère enverrait à toutes
les parties prenantes un courrier détaillant le projet retenu et présentant le calendrier,
le mandat et le profil du responsable du groupe de travail. En outre, un conseiller de
l’USAID spécialisé dans les questions sanitaires a rejoint le groupe de travail.
Le ministère a accepté toutes ces modalités, mais, pour autant, le projet n’a pas été
consigné dans le procès-verbal de la réunion et le courrier prévu n’a pas non plus
été rédigé. En février, les principales ONG parties prenantes ont écrit au ministère
pour lui rappeler sa promesse. Entre-temps, le responsable du département de la
planification au sein du ministère a demandé au groupe de travail s’il avait commencé
ses activités. Le ministère a fini par rédiger un courrier en mars 2003, soit un an
après le début du processus, ce qui a permis au groupe de travail (qui comptait un
conseiller de l’USAID) de se mettre à définir la nouvelle politique salariale.
Module 5 Comprendre les processus d’élaboration de la politique sanitaire
153
Conseils de lecture
Buse K., Mays N. et Walt G. Making health policy. Maidenhead, Royaume-Uni,
Open University Press, 2005.
Édition revue et augmentée de l’étude classique de Walt G. Health policy: an introduction
to process and power. Londres, Zed Books, 1994. Cet ouvrage, qui s’appuie sur plusieurs
disciplines et théories, aide le lecteur à comprendre l’influence des différents acteurs, ainsi
que des facteurs politiques, économiques et contextuels, sur les politiques et les stratégies
qui déterminent le fonctionnement d’un système de santé. Il montre l’importance de
comprendre comment les politiques sont définies et déployées. Des cas concrets illustrent
les difficultés et la complexité de l’analyse du processus d’élaboration de la politique
sanitaire, tout en mettant en lumière les aspects pertinents dans un contexte d’urgence,
tels que le rôle et l’influence des organisations et institutions internationales. Le texte est
ponctué par des activités qui visent à encourager la participation du lecteur et à l’inciter à
explorer des thèmes judicieusement choisis.
Harmer A. et Macrae J. (eds) Beyond the continuum: the changing role of aid
policy in protracted crises. (HPG Report 18) Londres, ODI, 2004. Disponible
en ligne à l’adresse suivante : www.odi.org.uk, consulté le 10 janvier 2011.
Une intéressante analyse des tendances de la politique de l’aide dans les situations de crise
durable, qui se penche sur les problèmes auxquels les pouvoirs publics et les organisations
internationales sont confrontés dans un environnement confus, ainsi que sur les approches
et les instruments qui apparaissent pour y faire face. Les activités des agences des Nations
Unies, des institutions financières internationales et des États-Unis sont présentées en
détail. Une lecture essentielle pour tout participant au suivi et/ou à la coordination des flux
d’aide destinés à un pays touché par un conflit.
Version abrégée d’un rapport de recherche intitulé « Aid, change and second thoughts:
managing external resources to the health sector in Mozambique », 1997. Ce rapport décrit
l’évolution des outils de gestion de l’aide d’urgence, l’apparition de nouveaux instruments
à mesure que le secteur de la santé passe d’un contexte de guerre à un contexte de paix,
les obstacles rencontrés, les facteurs qui facilitent le changement et les résultats obtenus.
Pfeiffer J. International NGOs and primary health care in Mozambique:
the need for a new model of collaboration. Social Science and Medicine, 56,
725-738, 2003.
Le portrait vivant d’une province du Mozambique juste après la fin de la guerre civile,
province dans laquelle des ressources externes et les ONG ont afflué. Le lecteur
expérimenté identifiera sans peine « les cowboys de l’aide », « les mercenaires de l’aide »
« les spécialistes des séminaires » et d’autres sous-produits bien connus d’une situation
complexe, que l’on rencontre également dans d’autres pays, par exemple au Kosovo et
en Afghanistan, lorsqu’un environnement dévasté par la guerre devient le terrain d’action
favori de l’aide internationale.
Stoddard A. Humanitarian NGOs: challenges and trends, 2000, in : Macrae
J. et Harmer A. (eds) Humanitarian action and the «global war on terror»: a
review of trends and issues. Londres, ODI (HPG Report 14), 2003. Disponible
en ligne à l’adresse suivante : www.odi.org.uk, consulté le 10 janvier 2011.
Une excellente analyse des multiples facettes des ONG humanitaires, de leur évolution au
cours du temps et des dilemmes auxquels elles sont confrontées lorsque des changements
importants surviennent dans l’espace humanitaire.
Module 5
Pavignani E. et Durão J. Managing external resources in Mozambique:
building new aid relationships on shifting sands? Health Policy and Planning,
14, 243-253, 1999.
154
Analyse du secteur de la santé dans les urgences complexes
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156
Analyse du secteur de la santé dans les urgences complexes
Annexe 5 La mise en place d’une cellule d’analyse sur la politique sanitaire
Annexe 5
L’analyse de la politique sanitaire est un processus de longue haleine, qui nécessite de
recueillir patiemment des données et des informations, de les combiner pour constituer
un tableau d’ensemble qui sera incomplet, de valider des conclusions provisoires en les
recoupant avec de nouveaux éléments, et de repérer les changements d’orientation lorsque
des évolutions se produisent. Dans un secteur de la santé en crise, les chiffres, les rapports
et les informations qui proviennent des personnes connaissant bien la situation concernée
sont en généralement nombreux, mais dispersés, hétérogènes, disponibles à des moments
différents et difficiles à regrouper pour obtenir une bonne vue d’ensemble de la situation,
c’est-à-dire des faits. L’analyse, la sélection, l’adaptation et l’intégration continues de ces
données dans des documents de synthèse mobilisent beaucoup de personnes. De plus, la
plupart des informations produites par diverses entités, telles que les ministères de la Santé,
les autorités locales, les programmes spéciaux, les organismes d’aide et les ONG, sont très
détaillées et très pointues, donc peu utiles aux instances décisionnaires qui, elles, travaillent
à l’échelle de tout un pays. Afin d’aider celles-ci, il faut donc assembler divers éléments pour
en faire une synthèse qui facilitera la prise de décisions globales.
La sous-utilisation de chiffres et d’informations spécifiques émanant des acteurs du secteur
de la santé, pour l’analyse ou pour la définition d’une politique, est un signe d’inefficience du
système. Une petite équipe permanente d’analystes expérimentés (une cellule d’information
sur la politique sanitaire, ou une cellule d’analyse de cette politique), regroupant des
compétences en santé publique, gestion de la santé et questions économiques, sera
probablement mieux à même de réunir les éléments d’information les plus importants qui
existent ici ou là sous une forme vague, qu’un processus périodique et intensif de collecte
et d’analyse des données (qui est susceptible d’être mis en œuvre par des intervenants
extérieurs). En outre, en recoupant constamment avec d’autres données les informations
collectées, on améliore très nettement leur fiabilité, ce qui permet d’élaborer des séries
historiques cohérentes et fiables.
Étant donné le coût élevé, la faisabilité limitée et l’utilité douteuse des études spécialisées
(en raison du délai d’exécution), c’est principalement sur les informations existantes, c’està-dire à la fois sur celles provenant des systèmes de routine et sur celles recueillies à des fins
spécifiques, que s’appuie la cellule d’information pour analyser la situation. Par exemple,
pour suivre et évaluer leurs activités, les ONG collectent une quantité impressionnante de
données, qui ne sont pas toujours diffusées à l’extérieur mais qui, si elles sont traitées de
manière appropriée, peuvent permettre des analyses du système.
Dans une situation de crise, et plus encore dans une période de transition pendant laquelle
les organisations qui ont apporté une aide d’urgence quittent le pays et sont remplacées
par des agences de développement qui connaissent mal le contexte local, il est impératif
d’instaurer un dispositif produisant des informations agrégées et permettant aux parties
prenantes d’accéder librement à ces données. Une solide réputation technique (qui ne
s’acquiert qu’après de nombreuses années d’un travail d’excellente qualité), l’absence
d’influence politique, financière ou idéologique, une présence constante au niveau central et
sur le terrain, et la capacité à répondre aux besoins de différents acteurs sont les conditions
nécessaires si l’on veut jouer un rôle de premier plan dans la mise à disposition d’un savoir et
de ressources. À l’évidence, aucune agence bilatérale, aucune organisation confessionnelle
et aucun organisme de prêt ne peut bien remplir ce rôle.
L’autonomie est une caractéristique fondamentale d’une cellule d’information sur la politique
sanitaire, qui doit être perçue par les parties prenantes et par les utilisateurs potentiels comme un
observateur réellement impartial et pouvant rendre compte de ses activités sans être bridée par
une quelconque discipline institutionnelle. Si elle ne dispose pas de cette autonomie, une cellule
d’information aura du mal à s’imposer par sa compétence technique. Ce point suscite toujours
des controverses et il doit être défini précisément avant que la cellule ne commence à fonctionner.
Une autre caractéristique cruciale est la stabilité. Elle est nécessaire pour le suivi permanent de
l’évolution du secteur de la santé sur la durée, afin d’identifier les tendances à long terme.
Lors d’une crise prolongée, la cellule d’information peut être financée par un ou plusieurs
organismes d’aide. Pour que son autonomie et son impartialité ne puissent être mises en
doute, ce bailleur de fonds ne doit pas participer trop activement aux opérations et aux
décisions politiques. Au début, la cellule d’information peut être gérée par quelques analystes
expérimentés, qui travailleront éventuellement avec différentes agences (relevant ou non de
l’État). Ce dispositif permet l’expérimentation, donne à la cellule le temps nécessaire pour
se forger une réputation et montrer aux parties prenantes les effets bénéfiques de son action.
Un dispositif formel pourra être introduit ultérieurement. La cellule d’information peut être
accueillie dans les locaux d’un organisme public autonome, par exemple un bureau statistique
central, un institut de recherche ou une université. Une configuration multi-sectorielle, avec
des experts de différents domaines qui unissent leurs forces, offre des avantages évidents.
Comme déjà indiqué dans d’autres parties de ce Manuel, la solution idéale consiste en un
bon dosage d’experts nationaux et internationaux.
Contrairement à une idée très répandue, le ministère de la Santé n’est pas le meilleur endroit
pour accueillir une cellule d’information qui est censée être impartiale, s’exprimer sans
restrictions et ne subir aucune influence, et ce, particulièrement dans les situations de crise
où l’opposition ne fait pas confiance au gouvernement. Le ministère de la Santé doit se
doter de capacités d’analyse internes, non seulement pour étayer ses propres politiques et
projets, mais également pour réagir aux constats des analyses indépendantes. Un dialogue
productif doit être alimenté par des informations solides, même si celles-ci ne seront
probablement pas diffusées si elles déplaisent à l’institution qui les contrôle. Et même quand
la transparence est totale, les tiers douteront de l’impartialité des conclusions des analystes
rattachés à une institution dont le niveau de participation politique et opérationnelle est égal
à celui du ministère de la Santé. Dans tous les cas, l’opposition politique contestera les
mesures et les actions du gouvernement. À l’inverse, une analyse jugée impartiale peut se
révéler extrêmement précieuse, non seulement parce qu’elle permet de traiter des questions
techniques liées au secteur de la santé, mais aussi parce qu’elle encourage la réconciliation
et un dialogue politique franc et ouvert.
Il est tout aussi important de collecter que de diffuser des informations solides. Toutes les
parties concernées doivent pouvoir accéder facilement, et à tout moment, aux travaux de
la cellule d’information. Il est évidemment nécessaire de créer un centre de ressources,
ouvert tous les jours de la semaine, avec un personnel disponible pour aider les utilisateurs
dans leurs recherches et des équipements de reprographie de documents. Un site Web sera
un complément utile. La cellule d’information ne doit pas uniquement rassembler des
informations : elle doit aussi procéder à leur filtrage et réduire le « bruit », c’est-à-dire le
volume d’informations inutiles, non fiables et trompeuses qui abondent généralement dans
un contexte perturbé. Le centre de ressources et le site Web doivent tous les deux se montrer
sélectifs dans le choix des documents à conserver et à diffuser. Si les documents sans utilité
ou comportant des failles sont trop nombreux, ils gêneront l’accès aux rares documents
valides et mobiliseront toute l’attention d’un personnel débordé.
Après avoir assis sa réputation, le centre de ressources (physique ou virtuel) enrichira son
fonds à mesure que les utilisateurs partageront avec lui les documents qu’ils possèdent,
produisent et souhaitent diffuser, et qu’ils l’informeront de leurs activités. Il pourra ainsi
collecter une somme d’informations pour un coût relativement modeste. Ce partage spontané
étoffera nettement la capacité d’analyse de la cellule d’information.
Production potentielle de la cellule d’information :
Production annuelle :
• Statistiques synthétisées, pertinentes pour les instances décisionnaires agissant à l’échelle
nationale et qui s’intéressent tout particulièrement aux mécanismes d’allocation des
ressources, à l’efficience et à l’équité.
•
Rapports d’analyse des politiques, qui étudient les liens entre les politiques et les
ressources, qui évaluent les effets des politiques, etc.
•
Rapport sur les performances du secteur de la santé, qui condense une sélection
157
Annexe 5
Annexe 5 Mise en place d’une cellule d’analyse sur la politique sanitaire
158
Analyse du secteur de la santé dans les urgences complexes
d’informations et met en lumière les grandes tendances. Ce rapport doit traiter de
l’évolution globale du secteur.
Production trimestrielle :
• Brèves études de zones ou de questions spécifiques (sélection de profils régionaux, réseau
de santé, ressources humaines, médicaments, financement, qualité des soins, etc.)
À la demande :
• Informations sur mesure, destinées à répondre à des besoins particuliers, études de cas,
analyse détaillée de zones négligées, évaluations.
Annexe 5
Analyser le financement et les dépenses du secteur
de la santé
Module 6
160
Analyse du secteur de la santé dans les urgences complexes
Résumé
Le présent module explore le domaine crucial mais complexe du financement et des dépenses
dans le secteur de la santé. Il analyse tout d’abord les méthodes d’étude des principales
sources de financement intérieur et extérieur, de l’enveloppe globale dont dispose ce secteur,
de la répartition des dépenses de santé, ainsi que les modes d’évaluation des schémas de
répartition en vigueur. Il examine ensuite les nombreuses variables à prendre en considération
lorsqu’il s’agit de prévoir l’enveloppe à venir, ainsi que les moyens pratiques de formuler des
projections raisonnables. Ce module contient aussi une analyse de la durabilité du secteur
de la santé dans les pays ravagés par la guerre et de ses conséquences pour les politiques
publiques. Tout au long de ce module, les auteurs prêtent particulièrement attention aux
nombreux écueils relatifs à l’information qu’il convient d’éviter afin de pouvoir tirer des
conclusions significatives à propos du financement et des dépenses dans le secteur de
la santé.
L’Annexe 6a énonce des recommandations pratiques en vue de la réalisation d’une enquête
sur les ressources externes, qui constitue un exercice nécessaire, quoique difficile, dans toute
situation de dépendance vis-à-vis de l’aide.
L’Annexe 6b examine les concepts, les modalités et les applications de l’analyse des coûts,
autre aspect souvent négligé mais indispensable à la formulation des politiques publiques,
ainsi qu’à la planification et à la gestion des activités du secteur de la santé, en particulier en
vue d’un processus de relèvement.
Modules connexes :
Module 5. Comprendre les processus d’élaboration de la politique sanitaire
Module 7. Analyser les modèles de prestation des soins de santé
Module 8. Analyser les systèmes de gestion
Module 12. Formuler des stratégies pour le relèvement
d’un secteur de la santé en crise
Introduction
Module 6
Toute analyse sérieuse du secteur de la santé passe par l’estimation des ressources allouées
à la prestation des soins, qui conditionnent les schémas actuels, ainsi que les choix de
politiques publiques (même si nul ne le reconnaît explicitement). Étant donné la place centrale
qu’elle occupe dans tout débat, il convient de procéder dès que possible à une estimation de
l’enveloppe globale afin de pouvoir ensuite effectuer cette étude sectorielle.
Pour des raisons pratiques, les « ressources » sont souvent exprimées en termes financiers,
mais leur nature varie en réalité. Une grande partie des ressources consommées par le
secteur de la santé sont figées, comme l’investissement dans l’infrastructure physique ou
les ressources humaines, ou sont dans une large mesure prédéterminées, comme les salaires.
La marge de manœuvre des décideurs est donc bien plus étroite qu’on ne le pense habituellement.
Ainsi, la composition des dépenses de santé compte tout autant que leur montant total.
S’intéresser aux dépenses de santé suppose d’étudier toutes les composantes de ce secteur.
Les Modules 9, 10 et 11 explorent plus en détail le réseau de santé, le personnel de santé et
le secteur pharmaceutique.
L’analyse du financement et des dépenses du secteur de la santé requiert d’étudier un large
éventail de facteurs, y compris ceux exprimés dans la monnaie locale, ceux chiffrés dans la
monnaie forte de nombreux pays, et ceux en nature. Les taux de change officiels sont souvent
faussés à un tel point qu’il faut éviter de les utiliser. Dans le cas d’une crise prolongée,
l’économie peut s’être « dollarisée », si bien que certains prix seront déjà exprimés en dollars.
Les salaires des cadres de la fonction publique sont toutefois habituellement exprimés dans
la monnaie locale, ce qui entraîne des difficultés considérables lorsqu’il s’agit de fusionner
ou de comparer différentes catégories de dépenses. S’il est possible de recourir à des prix
fictifs (voir définition ci-après) pour déterminer un prix pour les facteurs en nature et pour
évaluer les autres ressources subventionnées, il n’existera probablement aucune conversion
Module 6 Analyser le financement et les dépenses du secteur de la santé
161
équivalente pour les coûts salariaux, qui sont souvent laissés en termes nominaux. Une fois
qu’ils sont convertis dans une unité monétaire commune, il arrive que les coûts de personnel
soient largement dépassés par d’autres catégories de dépenses, par exemple celles consacrées
aux investissements ou aux médicaments. L’inflation pose une difficulté supplémentaire, car
elle est souvent galopante dans de telles situations. Pour une discussion plus poussée de ces
problèmes et de la manière de les régler, voir l’Annexe 6b.
Définition de quelques termes utilisés dans ce module
Définition
Actualisation
Ajustement à la préférence pour le présent des individus, qui veulent en
général profiter des bénéfices aujourd’hui et différer les coûts à demain.
Aide étrangère
(ou assistance
étrangère)
Flux financiers, assistance technique ou bien octroyés (1) avec pour
objectif principal la promotion du développement économique et du
bien-être (ce qui exclut l’aide pour des objectifs militaires ou d’autres
objectifs ne relevant pas du développement) et (2) fournie sous la forme
d’un don ou d’un prêt subventionné.
Ajustement
structurel
Politique adoptée par les institutions financières internationales depuis
les années 1980 afin de renforcer la viabilité externe des pays en cours
d’ajustement ainsi que la stabilité du système financier international, et
qui s’inscrit dans la logique de l’idéologie libérale dominante qui régit les
processus de mondialisation. Ses objectifs macroéconomiques sont la
dévaluation, la réduction des dépenses publiques, l’augmentation de la
fiscalité et la rigueur monétaire.
Dépréciation
Diminution de la valeur d’un bien d’équipement résultant de l’usure.
Appui ou aide
aux
programmes
Terme couvrant un large éventail d’interventions, dont le soutien
budgétaire, l’allègement de la dette et le soutien à la balance des
paiements.
Appui ou aide
aux projets
Affectation de certaines dépenses à des activités spécifiques ou à un
ensemble défini d’activités pour lesquelles des objectifs et des résultats
cohérents, ainsi que les moyens requis pour y parvenir, sont établis.
Coût
d’opportunité
Valeur de l’autre possibilité privilégiée, celle à laquelle on renonce en
raison de la décision prise.
Coût marginal
Variation du coût total observée lorsque la production augmente d’une
unité.
Coûts de
transaction
Toute utilisation de ressources requises pour négocier et exécuter des
accords, y compris le coût de l’information nécessaire pour faciliter une
stratégie de négociation, le temps passé à marchander et les coûts de la
prévention de toute tricherie par les parties à la négociation.
Déflation ou
correction de
l’inflation
Suppression de l'effet de l'inflation des prix sur les montants de dépense.
Ceci est réalisé en divisant le montant des dépenses par un indice de
prix, ou déflateur.
Dépenses
d’équipement
Coût des ressources qui durent plus d’un an, telles que les bâtiments, les
véhicules, les ordinateurs ou la formation avant emploi.
Dépenses
récurrentes
Coûts des facteurs qui durent moins d’un an et que l’on acquiert
régulièrement (par exemple les salaires, les médicaments, le carburant,
l’électricité, la formation en cours d’emploi, etc.).
Échec du
marché
Incapacité d’un marché non réglementé à parvenir à une allocation
efficiente des ressources ou à la réalisation d’objectifs sociaux.
Efficience
allocative ou
efficacité de
l’allocation des
ressources
Capacité d’un système à répartir les ressources entre des activités
concurrentes de telle sorte qu’aucune réallocation n’offre de meilleurs
rendements.
Efficience
technique
Maximisation du résultat pour un ensemble donné de facteurs physiques,
ou minimisation des facteurs physiques requis pour produire un résultat
donné.
Élasticité
Mesure de la réactivité du volume de la demande d’un bien à une
variation du prix de ce bien.
Engagements
En comptabilité, l’engagement est l’étape du processus de dépenses à
laquelle un contrat ou toute autre forme d’accord est passé, en général
en vue de la livraison future de biens ou de services.
Espace
budgétaire
Marge qui permet au gouvernement d’affecter des ressources à la
poursuite d’un objectif sans mettre en péril la viabilité de sa position
financière ou la stabilité de l’économie.
Financement
budgétaire/
extra
budgétaire
Intégration (ou non intégration) des fonds dans le processus budgétaire
de l’État destinataire.
Module 6
Terme
162
Analyse du secteur de la santé dans les urgences complexes
Terme
Définition
Fongibilité
Possibilité d’affecter les fonds à des dépenses concurrentes.
Inflation
Hausse générale du niveau des prix accompagnée d’une dépréciation de
la monnaie.
Marchandise
Bien économique qui se prête à un échange ou à une exploitation sur un
marché.
Nouvelle
gestion
publique
Paradigme dominant de la réforme du secteur public dans le monde
entier. Prévoit habituellement « la déréglementation de la direction
opérationnelle, la transformation de services de la fonction publique en
agences ou entreprises autonomes, une responsabilité engagée sur la
performance, en particulier via les contrats, les mécanismes de mise en
concurrence par la sous-traitance et les marchés internes, la privatisation
et la réduction des coûts ».
Parité de
pouvoir d’achat
(PPA)
Technique visant à exprimer dans une unité commune les pouvoirs
d'achat des différentes monnaies. Les données économiques converties
sont exprimées en dollars internationaux, lesquels, dans chaque pays,
doivent avoir le même pouvoir d’achat qu’un dollar aux États-Unis.
Partage (ou
récupération)
des coûts
Encaissement par un prestataire de soins de santé d’un montant versé
par un usager ou par la communauté en échange de services de santé.
Ce montant peut s’exprimer en pourcentage des dépenses.
Prix fictifs
Prix redressés à divers chefs, parce qu’il s’agit d’une donation, de
subventions ou qu’ils sont influencés par les taux de change, afin
d’aboutir à un coût économique qui exprime plus justement la valeur
d’un bien donné.
Promesse
Engagement contraignant de faire ou de ne pas faire.
Réforme de la
santé
Démarche visant à reconfigurer les services de santé, engagée dans de
nombreux pays dans les années 1990, prévoyant une séparation entre la
fonction de financement et la prestation, l’élaboration de nouveaux
mécanismes de financement, en particulier la prise en charge d’une
partie du coût par l’usager et l’assurance maladie, la décentralisation, la
limitation du secteur public et l’incitation à l’extension du rôle du secteur
privé, ainsi que l’utilisation prioritaire des techniques de maîtrise des
coûts.
Risque
fiduciaire
Risque que les fonds ne soient pas utilisés pour atteindre les objectifs
poursuivis, ou pas de façon optimale, ou ne fassent pas l’objet d’une
reddition des comptes satisfaisante.
Méthode de financement du budget d’un pays partenaire via un transfert
Soutien
de ressources d’une agence de financement externe au Trésor public du
budgétaire ou
gouvernement partenaire. Les fonds ainsi transférés sont gérés
appui au budget conformément aux procédures budgétaires du pays bénéficiaire.
Versement ou
décaissement
Mise à la disposition d’un bénéficiaire de fonds ou achat pour son compte
de biens ou de services ; par extension, le montant ainsi dépensé. Les
versements correspondent aux transferts internationaux effectifs de
ressources financières, ou de biens et de services, évalués à leur coût
pour le donneur.
Note : Le Glossaire du Module 14. Ressources, contient des termes supplémentaires, des définitions
plus détaillées, ainsi que les sources y afférentes et des conseils de lecture.
Sources de financement
Module 6
Les ressources consommées par le secteur de la santé sont mises à disposition par l’État
(central et décentralisé), par les donateurs publics, les employeurs (directement ou via des
dispositifs d’assurance), les organismes caritatifs, les donateurs privés et les usagers des
services de santé. Dans le cas de groupes rebelles ayant mis en place un système de soins, on
peut tenir compte d’une source supplémentaire de moyens « publics ».
Financement public
Les données disponibles sur les contributions de l’État sont dans la plupart des cas insuffisantes.
Après un premier examen, il arrive de constater que les budgets sont incomplets, erronés,
illisibles ou inexistants. Les contradictions criantes entre les documents budgétaires émanant
de différentes administrations publiques sont monnaie courante. Dans certains cas, il est
possible de corriger quelques-unes des principales incohérences en procédant petit à petit
à une triangulation des ressources disponibles, ce qui permet de formuler une estimation
sommaire du budget de l’État.
Quoique précieuses, les informations ainsi glanées dans les documents officiels peuvent
être trompeuses lorsqu’un large pan des finances et des dépenses publiques sont exclues
du processus budgétaire. Cette carence, fréquente dans la gestion des dépenses publiques
(GDP), a tendance à s’aggraver pendant les crises prolongées. Parmi les fonds publics qui
restent souvent extrabudgétaires budget, on peut citer les fonds spéciaux contrôlés par les
poids lourds du gouvernement (parfois sous couvert d’actions caritatives), les dépenses
détaxées, le financement de projets associé à une aide extérieure, les prêts à conditions
préférentielles accordés par les banques de développement, les dépenses liées à la sécurité
et les transactions douteuses. Les recettes périphériques encaissées par les autorités locales,
comme la contribution financière des usagers, les loyers et la vente de services, sont souvent
exclues des budgets publiés par les autorités centrales. Cet inconvénient a tendance à être
plus marqué dans des pays à structure fédérale ou décentralisée.
Fréquent dans le cas de crises prolongées, le désordre comptable peut dans une large
mesure expliquer les problèmes détectés. Nonobstant les faiblesses techniques des systèmes
administratifs, on ne peut pas ignorer le fait que bien souvent, les responsables sèment
volontairement le désordre dans les livres pour éviter un examen minutieux de leurs
opérations. Cette tactique n’est pas forcément motivée par la quête d’un avantage personnel.
En effet, il arrive parfois que l’opacité des procédures comptables réponde à un impératif de
sécurité, par exemple pour les achats d’armes.
Même dans les documents budgétaires les mieux tenus, il arrive que les affectations soient
trompeuses. Avant d’être considérés comme corrects, les chiffres budgétés doivent être
comparés aux dépenses effectives, compilées une fois l’exercice budgétaire terminé. En fait,
l’esquive budgétaire est une stratégie très prisée par les ministères des Finances à court
de liquidités (Schick, 1998). Elle consiste à formuler un budget répondant aux impératifs
politiques, dans le but de montrer aux électeurs que le gouvernement est attaché aux causes
populaires, indépendamment des prévisions de recettes, ou même s’il sait pertinemment
qu’une partie des dépenses ne sera pas financée. Les dotations aux régions ou aux secteurs
sociaux négligés sont ainsi gonflées, souvent pour satisfaire aux exigences des donateurs
(et pour accéder à un allègement de la dette). Lorsque les recettes effectives se révèlent
insuffisantes pour honorer les engagements budgétaires, le Trésor entreprend tout simplement
de rationner les fonds disponibles dans le courant de l’exercice, en fonction de ses priorités
non avouées ou de décisions prises de manière erratique.
Dans le cadre d’un ajustement structurel, les dépenses publiques sont habituellement gérées
en fonction d’une stricte limitation des dépenses, qui interdit les emprunts discrétionnaires
destinés à compléter les recettes. Dans la mesure où ces derniers alimentent le Trésor de
manière très fluctuante, les périodes de pénurie grave de liquidités, et donc de cessation de
paiements, ne sont pas rares. Le système appelé budget de trésorerie empêche de respecter les
priorités de dépense, ce qui vide encore un peu plus de leur sens les allocations budgétaires.
Lorsque le processus budgétaire est touché par tout ou partie de ces distorsions, seuls les
véritables chiffres des dépenses de santé apportent des indications fiables sur les niveaux de
ressources et les décisions d’allocation. Dans la mesure où ces chiffres sont communiqués
avec beaucoup de retard, cette évaluation est forcément rétrospective. Dans ce cas
également, il arrive qu’une certaine opacité soit introduite de manière délibérée dans les
documents budgétaires par un ministère des Finances souhaitant dissimuler des pratiques
peu orthodoxes.
Certains systèmes de GDP ont dégénéré à un point tel que personne, même au cœur de
l’appareil d’État, ne contrôle l’information nécessaire pour prendre des décisions raisonnables
ou ne sait avec certitude quelles sont les transactions qui sont menées dans le secteur public.
On ne peut pas alors attendre grand-chose d’une étude scrupuleuse des documents budgétaires.
L’analyse doit se rabattre sur de grossières estimations agrégées, qui sont en général les
seules informations que l’on peut réalistement se procurer.
Les secteurs publics à court de liquidités reçoivent parfois un coup de pouce sous la forme
d’un soutien budgétaire émanant des donateurs, via plusieurs mécanismes de financement.
Une large part des financements publics peut en fait être financée par les donateurs. Il convient
163
Module 6
Module 6 Analyser le financement et les dépenses du secteur de la santé
164
Analyse du secteur de la santé dans les urgences complexes
de prêter attention aux différentes formes que revêt l’aide des donateurs afin d’éviter une
double comptabilité, ainsi qu’une sous-estimation des contributions effectives.
Assistance extérieure
Module 6
Les contributions des donateurs au secteur de la santé varient considérablement selon les
pays, sous l’effet de motivations politiques qui ne sont pas toujours évidentes pour les
observateurs extérieurs. Dans certains cas, les niveaux de financement d’aujourd’hui sont
conditionnés par des décisions antérieures. En fait, le secteur de l’aide, dominé par de vastes
administrations nationales, peut faire preuve d’une grande inertie. Ainsi, il se peut que ce
soit une conjonction de facteurs favorable dans le passé qui explique la générosité actuelle,
qui est sinon difficilement compréhensible.
Pour estimer les contributions des donateurs, il convient d’étudier les promesses, les
engagements et les décaissements. Les promesses des donateurs sont juste révélatrices de
leur volonté d’apporter une aide et peuvent faciliter l’estimation des intentions de tel ou tel
organisme donateur, ainsi que du positionnement global de la communauté des donateurs.
Il arrive que les promesses ne soient pas ventilées par secteur, ce qui en limite l’utilité.
Pour l’établissement des prévisions des niveaux de ressources à venir, les promesses sont
parfois la seule source d’informations disponible. Les engagements sont plus détaillés, et
précisent habituellement le secteur, le domaine, le calendrier et l’organisme d’exécution.
Ils sont aussi généralement inférieurs aux promesses. Si toutes les contributions des donateurs
sont présentées sous un format unique, l’étude des engagements donne des indications sur
les ressources externes dans lesquelles le secteur de la santé peut potentiellement puiser.
À leur tour, les décaissements (à savoir les fonds versés par les donateurs aux organismes
d’exécution) sont en général inférieurs aux engagements. Ils ne doivent donc pas être assimilés
aux dépenses. Les informations concernant les dépenses effectuées par les organismes
d’exécution sont en général si éparses que leur étude est impossible, du moins dans les
secteurs étendus comptant de nombreux intervenants. On peut parvenir à une estimation
rétrospective grossière des dépenses en examinant les dépenses consolidées des organismes
donateurs pour les exercices précédents. Dans le cas de certains donateurs, cette information
n’est disponible que plusieurs années après la date des dépenses effectives.
Il est très fréquent que les promesses et les engagements des donateurs ne soient pas suivis
par un décaissement effectif. Ces retards de décaissement entravent l’exécution des plans
convenus. Ces difficultés d’exécution retardent souvent les dépenses, ce qui nécessite de
reprogrammer les fonds. Cette reprogrammation des dépenses en fonction de décisions
propres aux donateurs, ou d’événements qui ont lieu en dehors du pays ou du secteur, risque
de mettre en péril les activités du secteur de la santé.
Comparer les décaissements aux engagements et (si possible) aux dépenses permet de se
faire une idée de la capacité du système à absorber le financement extérieur. Il n’est pas rare
d’observer un niveau d’absorption très faible. Il convient de faire preuve de prudence lorsque
l’on compare ces chiffres, en raison des fluctuations erratiques des flux de financement, qui
évoluent souvent en dents de scie. Ainsi, il arrive que la majeure partie des fonds alloués ne
soit disponible qu’au cours de l’exercice suivant. L’absorption en pâtit généralement, même
s’il est impossible d’en rendre compte correctement en s’appuyant sur les taux d’exécution
annuels, car les flux de financement sont erratiques.
Pendant les crises graves qui sapent les fonctions fondamentales de l’État, l’essentiel de
l’aide est apporté sous la forme de financement de projets. Cette modalité recouvre un
large éventail de situations, qui se caractérisent par des dispositifs de gestion spéciaux, des
échéanciers définis, des objectifs spécifiques et des dotations explicites. Au sein de cette
catégorie, la gestion peut relever, de manière individuelle ou conjointement, d’organismes
publics, d’unités d’exécution spéciales, d’organismes d’aide ou d’ONG. Dans le cadre du
financement de projets, les lignes de financement qui ne sont pas explicitement configurées
comme telles, mais affectées à un objectif défini, sont généralement mentionnées. L’aide des
donateurs pour les achats de médicaments, par exemple, est habituellement désignée sous
ce titre, même si elle n’est pas présentée sous la forme d’un projet. Les prêts consentis par
les banques de développement et présentant plusieurs des attributs des projets énumérés ci-
dessus entrent le plus souvent dans cette catégorie, même lorsqu’ils sont étiquetés comme
finançant des programmes.
Dans les pays qui disposent encore d’un système de GDP élémentaire et où l’État bénéficie
du soutien de la communauté des donateurs, une grande partie de l’aide peut être apportée
sous la forme d’un appui aux programmes. Cette modalité regroupe l’allègement de la
dette, l’appui à l’importation de produits de base, d’autres fonds de contrepartie, des dons en
devises et d’autres formes d’aide macrofinancière qui permettent de boucler le financement
du budget de l’État. Avec l’appui aux programmes, c’est l’État destinataire qui décide
de l’affectation des fonds versés. En accordant un appui aux programmes généreux, les
donateurs témoignent de leur confiance dans la politique et dans la capacité de gestion de
l’institution bénéficiaire. Ainsi, la part relative de l’appui aux projets et aux programmes
nous renseigne sur la réputation (justifiée ou non) des institutions bénéficiaires.
Au-delà de la rhétorique relative à l’appropriation de l’aide par le bénéficiaire, l’appui aux
programmes n’est en général accordé qu’aux pays qui adhèrent, du moins dans leur discours,
à la politique privilégiée par la communauté des donateurs. En général, les conditions incluent
l’ajustement structurel macroéconomique, la libéralisation des marchés et des affectations
préférentielles aux secteurs sociaux. Dans la pratique, en raison des insuffisances dans
la GDP évoquées plus haut, les donateurs auront du mal à vérifier si les États destinataires
tiennent véritablement ces engagements.
Le financement de projets et de programmes, ainsi que le concept y afférent de financement
budgétaire et extra-budgétaire, sont des termes à la définition très fluctuante, qui revêtent des
sens différents suivant les praticiens et les analystes. Les formes hybrides de ces concepts
sont légion, de nouveaux termes (ne correspondant pas toujours à de nouveaux concepts)
supplantent les anciens, et la pratique sur le terrain évolue. Il convient donc d’être très
attentif et de procéder régulièrement à des ajustements afin de fusionner les fonds enregistrés
dans des chiffres globaux. Par exemple, les instruments de financement ayant en commun
plusieurs caractéristiques doivent être classés en fonction de leur caractéristique principale.
Les prêts à conditions préférentielles comportant une part importante de dons doivent être
comptabilisés dans une catégorie distincte et ne doivent pas être ajoutés aux totaux.
La surveillance des flux d’aide revêt une importance critique pendant les phases de transition
d’un conflit vers la paix, au moment où les flux d’aide humanitaire se tarissent. L’aide au
développement, qui, par nature, a besoin de plus de temps pour atteindre ses bénéficiaires et
est tributaire de multiples conditions politiques et relatives à l’action publique, arrive parfois
avec beaucoup de retard et dans des volumes insuffisants pour contrebalancer la baisse du
financement humanitaire, ce qui entraîne un déficit de financement pendant la transition.
Pour éviter ce déficit, il faut se montrer vigilant, compiler des données fiables et pratiquer un
lobbying offensif. En 2006, le ministère de la Santé du Libéria a craint que de nombreuses
ONG, cruciales pour la prestation des services de santé dans le pays, ne doivent cesser
leurs activités car leur financement humanitaire était en train de prendre fin. Le ministère a
donc recueilli des données supplémentaires pour confirmer cette tendance et a engagé des
pourparlers, placés sous l’égide du ministre de la Santé, qui s’est montré très déterminé.
De nombreux donateurs ont réagi à ce message d’alerte en prolongeant leurs lignes de
financement, ce qui a permis d’éviter de graves perturbations de la prestation des soins de
santé (Canavan et al., 2008). Cette réussite témoigne de ce que l’on peut obtenir lorsque l’on
dispose d’informations actualisées sur les enjeux critiques, à condition d’être appuyé par un
leadership local puissant et crédible et par une technique de communication efficace.
Dans les secteurs de la santé désorganisés, les cycles de financement sont souvent courts, ce
qui conditionne les décisions de gestion et les approches de programmation. Les interruptions
des flux de financement, qui contraignent de reprogrammer les activités afin de faire face
aux crises du financement, sont monnaie courante. Ce sont les domaines qui ont besoin d’un
soutien ininterrompu sur la durée, comme le développement des ressources humaines ou le
renforcement du management et des capacités, qui en souffrent le plus.
Dans de nombreux cas, les États bénéficiaires reprochent aux donateurs de ne pas honorer
leurs engagements. Or, le palmarès de nombreux ministères destinataires n’est pas plus
165
Module 6
Module 6 Analyser le financement et les dépenses du secteur de la santé
166
Analyse du secteur de la santé dans les urgences complexes
reluisant. Seule une restructuration radicale et simultanée des systèmes de GDP dans les
pays bénéficiaires et des pratiques des donateurs permettra de remédier à une situation aussi
désastreuse. Il faut engager les changements sur trois axes :
• En améliorant l’information financière mise à la disposition des participants, de manière
à ce qu’ils puissent prendre des décisions éclairées. Cette mesure requiert beaucoup de
personnel, mais est en général réalisable dans des environnements perturbés à condition
que des investissements suffisants soient effectués sur la durée. L’Annexe 6a énonce
quelques suggestions dans ce sens.
•
En instaurant des instruments de gestion financière novateurs, qui canaliseront les
fonds des États et des donateurs. Une telle approche peut être mise en œuvre dans
des environnements perturbés à condition que la confiance règne entre les partenaires
et qu’une certaine stabilité soit installée du côté des décideurs. Pour une analyse des
instruments de gestion de l’aide, voir le Module 8. Analyser les systèmes de gestion.
•
En introduisant un programme sectoriel, ou sous la forme de mesures provisoires, pour
les programmes de certains sous-secteurs. Cet objectif ambitieux semble hors de portée
dans de nombreux secteurs perturbés, mais peut être envisagé dès que des conditions
plus propices se présentent. Voir l’Annexe 8 pour une description rapide du concept
de SWAp.
L’Annexe 6a décrit les mesures pratiques à prendre pour procéder à une étude détaillée des
contributions des donateurs. Dans des contextes troublés, lorsque les donateurs conditionnent
leurs financements à l’évolution de la situation politique et militaire, un tel exercice peut
se révéler prématuré. La formulation de scénarios de remplacement, fondés sur plusieurs
hypothèses concernant le degré de générosité des donateurs, constitue un autre moyen
raisonnable d’estimer les apports des donateurs sans occulter l’incertitude sous-jacente.
Si ces scénarios sont liés aux résultats attendus suivant les différents niveaux de financement,
les organismes donateurs ainsi que les autorités destinataires pourront prendre des décisions
plus éclairées.
Pour de plus amples détails sur l’aide étrangère, voir le Module 3. Comprendre le contexte
passé, présent et futur du pays.
Financement privé
Module 6
Les documents sur la contribution financière des usagers sont relativement rares. Lorsque des
études connexes, telles que des enquêtes auprès des ménages, existent, elles se réfèrent à des
situations spéciales, comme celle des zones sûres, et ne se prêtent pas à une généralisation.
Dans la plupart des cas, on ne s’intéresse pas au financement privé car les données font
défaut, ou on le sous-estime en supposant qu’une population appauvrie par la crise ne peut
pas supporter de dépenses de santé substantielles. Néanmoins, les données existantes laissent
à penser que les populations touchées par un conflit consacrent des sommes importantes à
l’achat de certains services de santé curatifs, essentiellement auprès de prestataires privés
(formels ou informels). L’importance croissante de la contribution des usagers est confirmée
par la multiplication des structures de santé privées dans de nombreux pays frappés par
un conflit, du moins dans les zones urbaines. Ainsi, le recul des services subventionnés se
traduit par un bond des dépenses privées. Ce réajustement ne peut pas durer éternellement.
Lorsque les ressources privées sont épuisées et que des dépenses concurrentes (par exemple
alimentaires) deviennent prioritaires, les dépenses de santé privées diminuent forcément.
La durée et la gravité de la crise, de même que les niveaux de pauvreté de départ, influent sur
la décision par les particuliers d’acquérir des soins de santé. Cela étant, il semble raisonnable
de tabler sur le fait que dans la plupart des cas, les dépenses privées seront considérables,
du moins jusqu’à ce que la crise atteigne son paroxysme. Il convient de tenir compte de
ce schéma lorsque l’on s’efforce de formuler des prévisions concernant cette source de
financement des services de santé.
Un niveau de dépenses privées significatif ne se traduit pas systématiquement par un partage
des coûts plus poussé pour les services de santé offerts par les prestataires publics. En réalité,
on a pu observer que dans les pays stables, en moyenne 5 % des dépenses récurrentes du
système de santé sont générées par des mécanismes de partage des coûts. Si l’on tient compte
des coûts administratifs, cette proportion se réduit encore (Poletti, 2003).
Dans les environnements frappés par la guerre, le partage des coûts risque de rapporter
encore moins, en raison de l’érosion des niveaux de qualité et de la pénurie de médicaments
à laquelle doivent faire face les services de santé publics, ce qui comprime la demande.
De plus, les pauvres s’appauvrissent encore et sont rejoints par les nouveaux pauvres, qui
gonflent la proportion de la population qui n’est pas en mesure de payer pour les services
de santé procurés par des prestataires publics, et ne souhaite pas le faire. Et les pauvres qui
paient leurs soins de santé en vendant des actifs productifs ou en renonçant à envoyer leurs
enfants à l’école risquent de plus en plus d’en subir les conséquences, et de voir leur santé se
dégrader davantage. Outre le coût administratif élevé qu’elles induisent, la gratuité accordée
aux pauvres donne des résultats mitigés et entraîne des abus. Dans un environnement instable,
repérer les personnes qui ont réellement besoin d’une exonération peut se révéler encore
plus difficile.
En périodes de troubles, l’instauration et le maintien de mécanismes de partage des coûts se
traduiront par un coût d’opportunité élevé. En effet, il faudra pour cela priver de capacités
et de ressources d’autres objectifs concurrents, considérés par certains comme plus urgents,
par exemple l’élargissement de l’accès aux soins de santé, l’amélioration de la qualité
de ces soins, le renforcement de la capacité d’orientation des patients et la lutte contre le
VIH/sida. Cet aspect, bien souvent négligé, a été manifeste au Sud-Soudan (Erasmus et
Nkoroi, 2002).
Les débats sur le partage des coûts ont tendance à prendre une forte tonalité idéologique.
Outre les préoccupations évidentes pour l’équité soulevées par cette question, on sous-estime
souvent l’inefficience intrinsèque de bien des dispositifs de partage des coûts en période
de crise. Tout d’abord, le coût d’exploitation de ces dispositifs peut annuler tout ou partie
de leurs maigres rendements. Ensuite, ces mécanismes peuvent comprimer la demande de
soins de santé, ce qui se traduit par une hausse du coût unitaire (en raison des coûts fixes
importants, comme ceux de l’infrastructure et du personnel). Pour compenser ce recul de
la demande de services, et donc des recettes, les prestataires peuvent être tentés de majorer
les honoraires, ce qui ne fait que tasser davantage la demande. Ce cercle vicieux est patent
dans les contextes où la participation financière de l’usager constitue la principale source
de recettes, voire la seule, pour des prestataires qui se débattent pour garder la tête hors
de l’eau.
En République démocratique du Congo, le débat sur le partage des coûts occupe depuis des
années une place de choix dans l’ordre du jour, sans pour autant produire de solution pratique.
Ce débat très animé y est largement passé à côté de l’enjeu. Le sous-financement criant (les
dépenses de santé atteignant US $2-3 par personne et par an) qui touchait le secteur dans
ce pays il y a encore quelques années a contraint les prestataires à relever la contribution
financière des usagers, quels que soient les effets indésirables de cette décision. Il fallait en
effet remédier aux limitations structurelles avant de pouvoir envisager sérieusement d’autres
méthodes de financement de la santé.
Mécontents de la qualité des soins apportés par des services publics en difficulté, les usagers
aisés optent de plus en plus pour des prestataires privés à but lucratif (formels et informels).
Le niveau élevé des dépenses privées peut donc résulter de la consommation d’un volume
plutôt modeste de soins de santé curatifs dispensés en ville, et qui constituent en réalité un
marché distinct. Cette situation peut permettre de comprendre les difficultés que rencontre le
secteur public lorsqu’il s’efforce de capter cette source de financement.
Mécanismes assurantiels
Dans nombre des pays étudiés, les programmes d’assurance sociale étendus étaient rares
même avant la crise. Lorsqu’ils existent, les dispositifs d’assurance sociale risquent d’être
durement frappés. Au Soudan, le programme national d’assurance santé (National Health
Insurance) couvre 8 % de la population (essentiellement des fonctionnaires), pour un niveau
de dépenses financières annuel d’environ US $90 millions. Les difficultés rencontrées par
167
Module 6
Module 6 Analyser le financement et les dépenses du secteur de la santé
168
Analyse du secteur de la santé dans les urgences complexes
le système (lourdeur des coûts administratifs et carences du recouvrement des primes) sont
monnaie courante dans les environnements dégradés (Decaillet, Mullen et Guen, 2003).
Dans de nombreux pays, des initiatives de financement communautaire à petite échelle,
reposant sur des modèles assurantiels rudimentaires, ont été introduites, en général par
des ONG. L’élargissement de dispositifs communautaires volontaires prend généralement
du temps, se révèle ardue et produit des résultats incertains. Les dispositifs de financement
communautaire local rencontrent le plus souvent des problèmes d’escalade des coûts,
qui touchent l’assurance dans son ensemble, si les modalités de paiement adéquates des
prestataires ne sont pas appliquées. Les résultats de ces dispositifs dans les pays connaissant
des perturbations n’ont pas fait l’objet d’analyses poussées, à l’exception de celui mis en
œuvre en République démocratique du Congo pendant des décennies. Dans ce pays, l’érosion
des moyens financiers de la majorité de la population a réduit la couverture de l’assurance, qui
reste négligeable. Il est évident que les pouvoirs publics devront débloquer des subventions
s’ils veulent que cette approche soit étendue. Ainsi, dans un contexte d’appauvrissement de
la population, les mécanismes d’assurance communautaire devraient être considérés comme
une stratégie de prestation de services plutôt que comme des mécanismes de mobilisation des
ressources et devraient être mis en oeuvre pour leurs avantages sociaux.
Étudier l’enveloppe de ressources actuelle
Module 6
Les estimations produites par les organismes internationaux, telles que les institutions
financières internationales (IFI), sont peut-être plus précises que celles émanant des autorités
nationales. Dans certains cas, les chiffres fournis par les organismes internationaux sont
les seuls disponibles. La prudence est donc de mise pour toute estimation. Il faut éviter de
retenir tout chiffre de cette importance sans vérifier au préalable dans la source la validité
de l’estimation. Les IFI sont soumises à des pressions politiques, au même titre que les
ministères des Finances, et embellissent parfois les chiffres afin de les rendre compatibles
avec le discours politique prédominant.
Les incohérences entre estimations ne sont pas rares. À condition que les ordres de grandeur
des chiffres disponibles soient les mêmes, les écarts ne doivent normalement pas constituer
un motif de préoccupation. Lorsque la différence entre les estimations produites par plusieurs
sources n’est pas supérieure à 10 % du total, ces chiffres peuvent globalement être considérés
comme cohérents. Il convient de se montrer très attentif afin de vérifier si l’accord sur les
chiffres se fait autour de valeurs fiables, ou s’il s’explique par la répétition de la même erreur
d’une estimation à l’autre, ou par des chiffres provenant, explicitement ou non, de la même
source, qui risque elle-même d’être entachée d’erreur. Par exemple, beaucoup d’estimations
n’intègrent pas la contribution financière des usagers dans le total des dépenses de santé.
Dans ce cas, il ne faut pas tenir la cohérence pour un signe d’exactitude.
Dans la situation, courante, où il est impossible de se procurer des chiffres significatifs sur
les dépenses de santé, il faut remplacer ces chiffres par des estimations fondées sur le bon
sens. L’Étude de cas n° 11 présente la méthode suivie en 2003 dans le cas de l’Iraq, dans une
situation d’extrême instabilité, où l’information disponible était largement inexploitable.
Pour faire comprendre au lecteur la forte incertitude qui a pesé sur les calculs, on a préféré
établir une fourchette dans laquelle les niveaux de financement futurs étaient supposés
s’inscrire plutôt que de donner une estimation ponctuelle.
Le tableau ci-après donne des indices sur les valeurs à attendre. Les dépenses de santé
(publiques et privées) en valeur absolue varient considérablement d’un pays à l’autre, mais
une fois qu’elles sont exprimées en proportion du PIB, la fourchette se réduit. Dans les pays
proches du niveau supérieur, les dépenses privées occupent une place importante, et sont
égales, voire supérieures, aux dépenses publiques. La contraction de l’activité économique,
la réduction de la base de recettes et l’augmentation des dépenses militaires expliquent
dans une large mesure la faiblesse du financement public de la santé observée dans les pays
frappés par un conflit. Sachant que les estimations des dépenses privées résultent souvent
d’évaluations au jugé, les véritables écarts entre les pays peuvent se révéler plus étroits que
ne le suggère ce tableau.
Module 6 Analyser le financement et les dépenses du secteur de la santé
169
Les dépenses de santé dans certains pays frappés par la guerre
Pays
Dépenses de santé
en % du PIB
Publiques
Privées
Aide pour
la santé par
habitant
(US $)
Angola
Cambodge
Cisjordanie et
Bande de Gaza
Colombie
Année
16
2000
1,4
7,8
2
22
1994
7
5
54
135
2005
5,2
4,2
227
1995-99
12
2004-6
Congo
(République
démocratique)
6
Iraq
Kosovo
Dépenses de
santé totales
par habitant
(US $)
2,5
4,0
67
2004-6
60
2001
Liberia
6
2000
Mozambique
2,8
0,7
4,6
8,8
1995-99
Ouganda
1,7
1,8
2,1
6
1990
Rwanda
2,0
2,1
10
"
(Nord) Soudan
0,6
3,3
26
2006
4
Il faut juger du volume de l’enveloppe de ressources que l’on finit par calculer en fonction du
secteur de santé censé opérer à l’intérieur de cette limite. Le volume, la composition, la nature
et la qualité des soins, les résultats quantitatifs ainsi que l’efficience opérationnelle sont
autant de facteurs qui donnent une idée des moyens dont le système a besoin, ce qui permet
de vérifier grossièrement la validité des estimations obtenues. Les Exemples concrets n° 10
et 11 présentent des exemples de ce type de raisonnement. Si l’on constate un écart important
entre les niveaux de ressources et les caractéristiques du secteur de la santé, comme dans le
cas du Soudan, il convient de réexaminer les sources des données et de refaire les calculs.
Hors de leur contexte, des niveaux de financement exprimés en valeur absolue peuvent en
effet se révéler très trompeurs. Par exemple, au Sud-Soudan, le financement annuel attribué
par les donateurs au secteur de la santé a été estimé à US $55 millions, ce qui n’est pas
négligeable pour une population d’environ 8 millions d’habitants. Si l’on tient compte du
fait que la logistique, la sécurité et le transport peuvent représenter jusqu’à 70 % des coûts,
le chiffre du financement prend un tout autre sens. D’ailleurs, les résultats et la couverture
rapportés pour le secteur de la santé sont très faibles (Decaillet, Mullen et Guen, 2003).
Si la valeur des dépenses de santé échappe en général à tout calcul précis, leur ordre de
grandeur se trouve au cœur des décisions de politiques publiques, en raison de l’influence
des ressources sur la configuration du secteur. Malgré d’importantes différences dans les
coûts opérationnels suivant les pays, certaines considérations se vérifient dans la plupart
des situations.
La littérature a progressivement admis que la prestation des services de santé revient plus
cher que ce qui avait été prévu lorsque le concept de soins de santé primaires a été lancé
(Chabot et Waddington, 1987). Après une décennie de pratique sur le terrain, le chiffre
jugé par la Banque mondiale comme un niveau de financement correct pour un paquet de
services essentiels de santé (1993), de US $12 par habitant et par an, paraît plutôt optimiste,
même une fois corrigé de l’inflation, ce qui aboutirait aux alentours de US $20 pour 2008.
La Commission sur la macroéconomie et la santé (2001) a révisé à la hausse le besoin de
financement pour la prestation de services de santé d’une qualité acceptable, pour le porter à
US $34 (ce qui équivaut à environ US $42 en 2008). Hay (2003) a opté pour une approche
pragmatique, soulignant que les pays qui parviennent à apporter des services de santé
universels d’une qualité acceptable supportent des dépenses plus importantes. Étant donné
les inefficiences qui affectent régulièrement des secteurs de la santé instables, la prestation de
soins de santé dans de tels environnements entraînera probablement des surcoûts par rapport
Module 6
Estimer le niveau de ressources
170
Analyse du secteur de la santé dans les urgences complexes
à une situation normale, à laquelle se référent en général les estimations mentionnées. Pour
une analyse pertinente de cette question, voir Doherty et Govender (2004).
Pour simplifier, nous avons ici réparti les dépenses de santé en trois tranches, en utilisant des
délimitations arbitraires.
Dépenses de santé annuelles totales (publiques et privées) inférieures
à US $10 par habitant
Ces secteurs de la santé sont touchés par un grave sous-financement, ce qui exclut pratiquement
toute prestation universelle des services de santé de base d’une qualité acceptable, même
avec une gestion optimale et une forte efficience opérationnelle (qui sont habituellement
difficiles à obtenir avec des ressources aussi limitées). Beaucoup de secteurs de la santé
frappés par la guerre relèvent de cette tranche. Donner impitoyablement la priorité aux
services de santé dégageant des rendements importants du point de vue de la santé publique,
tels que certaines activités préventives (mais pas toutes), semble constituer la seule option
raisonnable sur le plan technique. On peut aussi choisir de privilégier les catégories pauvres
et vulnérables. Cependant, ces deux stratégies présentent des difficultés d’ordre à la fois
technique et politique.
Dans de nombreux cas, les réductions d’effectifs sont la principale mesure engagée en
vue d’assurer une maîtrise des dépenses récurrentes à venir et d’offrir aux décideurs une
certaine marge de manœuvre qui leur permettra de choisir les vraies priorités. Pour une
analyse de cette option, voir le Module 10. Analyser les ressources humaines du secteur de la
santé. Il faut résister à la tentation d’adopter de grands programmes de construction, même
s’ils sont financés par les donateurs. Sur le plan politique, appliquer cette stratégie peut se
révéler impossible.
Sachant que la plupart des pays de cette catégorie sont désespérément pauvres, la mise à
contribution de ressources internes supplémentaires (et en particulier privées, comme le
préconisent les partisans du partage des coûts) n’améliorera le financement qu’à la marge,
sans pour autant permettre de surmonter le déficit de financement en valeur absolue.
Dans la plupart des cas, le partage des coûts réussit à capter la part des dépenses privées qui
était jusque-là absorbée par les transactions informelles, mais sans produire d’effet sur les
niveaux totaux de financement
La dépendance vis-à-vis de l’extérieur est bien souvent considérable dans de telles situations.
Le secteur de la santé ne peut pas réalistement espérer apporter des soins équitables ou
efficaces, même après l’introduction de grandes réformes du management, sans une
augmentation substantielle de l’aide extérieure. Les secteurs de la santé du Mozambique et
de l’Afghanistan (dans les années 1990) et de l’Éthiopie sont classés dans cette catégorie.
Dépenses de santé annuelles totales (publiques et privées) comprises
entre US $10 et US $50 par habitant
Module 6
Ces pays peuvent viser une couverture universelle des soins de santé à long terme à
condition de remédier aux principales inefficiences allocatives, d’adopter des modèles
de prestation rationnels et d’améliorer leurs capacités de gestion. Si la majeure partie des
ressources sont englouties dans des hôpitaux tertiaires, les médicaments de marque, les frais
administratifs, la corruption, les soins privés à but lucratif ou les ONG internationales aux
frais généraux élevés, il ne faut pas s’attendre au moindre progrès. Pour optimiser l’utilisation
d’un niveau de financement qui n’autorise guère les gaspillages, le secteur de la santé
doit être géré avec fermeté par des autorités publiques portées sur l’équité et l’efficience.
Le financement intérieur suffit peut-être à couvrir les opérations de base, et les contributions
des donateurs peuvent alors financer le relèvement et l’extension des services. La dépendance
vis-à-vis de l’extérieur peut paraître alarmante aux premières heures de la reconstruction, mais
ce sentiment devrait se dissiper au fil du temps, à mesure que le financement interne prend
de l’ampleur. Les secteurs de la santé de l’Angola et du Soudan (Nord) se classent dans cette
catégorie. Tous deux affichent des niveaux de consommation de services peu brillants et des
soins de piètre qualité en raison de très nombreuses inefficiences allocatives et techniques.
Module 6 Analyser le financement et les dépenses du secteur de la santé
171
Étude de cas n° 10
Indicateurs synthétiques, Soudan 2002
Une étude du secteur de la santé soudanais, placé sous la tutelle de l’État
(Organisation mondiale de la Santé, 2003) a calculé les indicateurs synthétiques
suivants à partir d’un grand nombre de sources :
Structures de soins de santé
primaires :
Hôpitaux :
30 millions
6 000
300
Lits :
23 000
Personnel de santé :
45 000
Médecins :
Dépenses de santé :
5 000
3,3 % du PIB, soit 40 dollars
internationaux (PPA), ou
US $10 par habitant
Contribution privée aux
dépenses de santé :
60–70 %
Accès aux services
de santé :
40–60 %
Enfants ayant reçu
tous les vaccins PEV :
27 %
Naissances
dans un centre de santé :
12 %
Consultations en dispensaire
par habitant :
0,8 par an
Cet ensemble d’indicateurs évoque un réseau de santé très étendu, disposant
d’effectifs nombreux, dont une proportion significative de médecins. Sur la base
des dépenses de santé exprimées en dollars internationaux (PPA, voir Définitions),
le secteur de la santé soudanais semble aussi correctement financé, du moins
selon des critères de comparaison africains. Toutefois, les chiffres de l’accès
aux services de santé, de la couverture et de la consommation de services sont
loin des niveaux attendus d’un secteur de santé censément doté de ressources
substantielles. Ce décalage devait être éclairci. Si la conversion en PPA a conduit
à surestimer les niveaux de financement (ce qui n’est pas impossible dans un
pays perturbé et divisé) et si les chiffres du financement sont plus fidèles à la
réalité lorsqu’ils sont exprimés en US$, alors l’écart entre les entrées et les sorties
se comprend mieux. D’ailleurs, un secteur de la santé aussi étendu, comptant
de nombreux hôpitaux et opérant dans un pays en guerre, aurait de sérieuses
difficultés à procurer une couverture universelle avec un niveau de financement
de US $10 par habitant.
Module 6
Population :
172
Analyse du secteur de la santé dans les urgences complexes
Dépenses de santé annuelles totales (publiques et privées) supérieures
à US $50 par habitant
L’accès universel à des services de base d’une qualité acceptable (y compris l’orientation
des patients) devient une possibilité concrète à une échéance relativement proche. Si les
capacités et les conditions de sécurité le permettent, la panoplie des réformes préconisées
par les instances internationales peuvent être introduites avec des perspectives raisonnables
de succès. La tentation d’adapter les modèles techniques occidentaux étant souvent forte, il
convient de garder la tête froide lorsque l’on établit les niveaux de soins. Le financement
extérieur peut se révéler essentiel pour la prestation des soins élémentaires pendant le
conflit et stimuler aussi la reconstruction. La dépendance ne constitue toutefois pas une
préoccupation à long terme. Exemples de secteurs de santé entrant dans cette catégorie :
celui du Kosovo et de l’Iraq.
S’agissant des valeurs chiffrées évoquées ci-dessus, il convient de formuler un avertissement
important concernant tous les indicateurs exprimés « par habitant ». En réalité, dans aucun
pays en guerre le secteur de la santé ne peut desservir l’intégralité de la population. En effet,
beaucoup d’habitants se sont réfugiés à l’étranger, et d’autres auront du mal à accéder aux
services de santé en raison des lignes de front, des terrains minés ou de routes impraticables.
Il convient donc de corriger l’enveloppe de ressources par habitant en fonction de la
population effectivement desservie. En règle générale, les usagers potentiels représentent
en réalité entre un quart et la moitié de la population totale, laquelle diminue dans certains
cas considérablement en raison des décès résultant du conflit. Pour un exemple parlant, lire
l’Étude de cas n° 2, qui porte sur le Mozambique, déchiré par la guerre. Une fois ramené à la
population effectivement desservie, le niveau de financement en valeur absolue semble plus
favorable que le résultat initial des calculs. Rapportées au volume et à la qualité des services
fournis, les dépenses de santé permettent de juger de la capacité du secteur à opérer dans
des conditions difficiles. Cette évaluation peut donner des indices sur sa réaction probable à
une vive augmentation des sollicitations lorsque la guerre sera finie. D’une certaine manière,
l’expansion massive des services enregistrée au Mozambique pendant les années qui ont suivi
la fin du conflit, en 1992, aurait pu être anticipée étant donné la performance relativement
satisfaisante des services de santé dans les zones sûres pendant la guerre. Tel ne fut pas le cas
en Angola pendant ou après la guerre (Pavignani et Colombo, 2001).
Composition des dépenses de santé dans les secteurs publics
gravement sous-financés
Module 6
Les niveaux de ressources conditionnent la composition des dépenses de santé. Plus le déficit
est important, plus ces dépenses en pâtissent. Face à un amenuisement des financements,
la plupart des secteurs publics en difficulté s’adaptent en commençant par rogner sur les
investissements, puis en économisant sur la maintenance de leurs actifs. Les pays pauvres
limitent aussi considérablement leurs achats de médicaments, qu’ils doivent payer dans
une devise forte. La proportion du financement intérieur disponible affectée aux salaires
augmente, et dépasse dans certains cas 80 % du total. À mesure que la crise s’aggrave,
les salaires sont gelés et le pouvoir d’achat se comprime. Lorsque certaines dépenses ne
sont plus couvertes par le financement intérieur, se sont habituellement les donateurs qui
prennent le relais et qui deviennent alors la seule source de moyens pour les investissements,
la maintenance, le matériel, la formation, l’achat des médicaments, les programmes de lutte
contre les maladies et les soins de santé primaires (le plus souvent via les ONG).
Lorsque la crise se prolonge, ces ajustements se traduisent en général par un délabrement et
par une sous-utilisation du réseau (même en l’absence de dégradations causées par la guerre),
dont le personnel est peu motivé et improductif et ne dispose pas des outils élémentaires
pour soigner la population. Les maigres ressources sont consacrées aux zones sûres (souvent
les grandes villes) et aux infrastructures importantes, comme les hôpitaux tertiaires.
Les inefficiences et les inégalités augmentent de manière exponentielle.
Étudier la composition des dépenses de santé n’est utile que lorsque l’on dispose d’estimations
raisonnablement complètes. Ainsi, il ne sert à rien d’examiner la composition du budget de
Module 6 Analyser le financement et les dépenses du secteur de la santé
173
Étude de cas n °11
L’estimation des dépenses du secteur de
la santé iraquien en 2004
Malgré tout l’attention dont l’Irak a fait l’objet pendant la période qui a précédé la
guerre en 2003, l’information disponible sur le secteur de santé de ce pays est restée
lacunaire, approximative et entachée de graves erreurs. Plusieurs facteurs expliquent
le flou qui entourait alors le secteur de la santé iraquien : le goût du secret de
l’administration publique, les dissensions internes, la crise économique, les désillusions
des fonctionnaires concernant l’avenir du secteur public, ainsi que le pillage généralisé
des infrastructures de santé (avec à la clé la destruction des fichiers et des dossiers).
Les informations de base concernant les années qui ont précédé le dernier conflit,
par exemple sur les ressources financières et humaines, ont ainsi irrémédiablement
disparu, si tant est qu’elles aient jamais existé.
Nonobstant ces « blancs » dans l’information, il a bien fallu prendre des mesures
pour préserver la prestation des services de base et établir les fondements de la
reconstruction. Avant d’introduire de telles mesures, il a fallu procéder à une estimation
grossière des dépenses du secteur de la santé à brève échéance. Une première série de
calculs a été engagée en juillet 2003, en préparation à la conférence conjointe Nations
Unies-Banque mondiale sur la reconstruction, qui était prévue en octobre 2003.
Cette projection rapide a pris pour point de départ le PIB par habitant, estimé à US
$1 000 en 2003, et censé augmenter rapidement une fois que le secteur pétrolier se
serait redressé. Différents rapports chiffraient les dépenses de santé avant la guerre
à environ US $110 par habitant, dont 40 % étaient financés par des contributions
privées. L’investissement était considéré comme négligeable. Ce niveau de financement
correspondait globalement à celui des pays voisins et aux prévisions de coûts établies
pour le fonctionnement d’un secteur de santé assez étendu et sophistiqué, centré sur
les hôpitaux. Il a donc été admis comme un chiffre raisonnable.
On a ensuite choisi un seuil et un plafond pour le financement interne, fixés
respectivement à 4 et 8 % du PIB, représentant le niveau de financement le moins
favorable (la santé n’est pas considérée comme prioritaire) et le plus favorable (la
santé est considérée comme prioritaire). Ces deux valeurs délimitaient la fourchette
dans laquelle le financement effectif avait de grandes probabilités de s’inscrire en 2004
(du moins fallait-il l’espérer). Pour la santé, cette proportion du PIB représentée par le
financement interne (privé et public) a donné des sommes de US $39 et US $77 par
habitant respectivement, dont on pensait qu’elles serviraient essentiellement à couvrir
les dépenses récurrentes, comme cela avait été le cas les années précédentes.
En combinant ces deux fourchettes, on a abouti à un seuil de US $49 et à un plafond de
US $97 par habitant. Le résultat est donc inférieur au chiffre d’avant-guerre, qui ressortait
à US $110, mais sans s’en écarter trop non plus. Sachant qu’avant le conflit, les services
de santé iraquiens souffraient de graves inefficiences et qu’après la guerre, ils ne
fonctionneraient pas au maximum de leurs capacités pendant des années, le niveau de
financement ainsi calculé a paru adéquat à condition d’être affecté de manière judicieuse.
Certes, avant de considérer ces estimations approximatives comme plausibles, il a fallu
répondre à d’importantes questions. Il a notamment fallu se procurer des informations
fiables sur a) le nombre et la composition du personnel et la grille de rémunération ;
b) la taille et la composition du réseau de santé et c) la répartition des services de santé
dans le pays.
En attendant les informations qui leur manquaient, les décideurs ont conclu qu’avec
un niveau de financement proche du bas de la fourchette, il ne fallait pas compter sur
une expansion du secteur de la santé après la guerre. Dans ce scénario, la plupart des
ressources seraient englouties dans la préservation des services existants. À mesure
que l’on approche du haut de la fourchette, on peut consacrer une part croissante des
ressources à l’investissement dans la reconstruction physique, le développement des
ressources humaines et la restructuration de l’organisation. Le relèvement du secteur
de la santé devient alors une possibilité concrète.
Module 6
Concernant l’aide extérieure au secteur de la santé iraquien, les calculs n’ont pas anticipé
de générosité particulière de la part des donateurs, telle que celle dont avait bénéficié
le Kosovo, par exemple. Ils se sont donc fondés sur une fourchette prudente comprise
entre US $10 et US $20 par habitant, ce qui correspond globalement aux estimations
disponibles pour les cas antérieurs de reconstruction post-conflit (Nordhaus, 2002).
174
Analyse du secteur de la santé dans les urgences complexes
l’État sans tenir compte des substantielles dépenses extrabudgétaires, de même que lorsque
les contributions des donateurs ou des usagers entrent pour une large part dans le total des
dépenses.
Dans les cas plus favorables, où il est possible d’évaluer la proportion des dépenses totales
absorbées par les principaux postes de dépense, on peut obtenir des indications importantes
sur la nature du secteur de santé, ses principales distorsions, ainsi que les mesures nécessaires
pour y remédier. Au-delà des grands postes de dépense (salaires, médicaments, autres
dépenses récurrentes et d’équipement), il convient d’examiner la part relative absorbée par
l’administration dans le cadre de la prestation des services, et par les hôpitaux s’agissant des
soins de santé primaires. De même, la répartition géographique des fonds revêt une certaine
importance. En effet, des considérations militaires, des tensions ethniques, la distribution de
l’infrastructure de santé, les communications, le niveau de développement économique ou
les capacités des groupes de pression régionaux constituent autant de facteurs qui influencent
la manière dont le financement est réparti dans le pays. Malheureusement, il est rare que
les données sur les parts respectives des dépenses soient disponibles, ou alors, leur calcul
suppose de procéder à des études ad hoc.
La détection d’inégalités grossières dans les dépenses de santé, habituellement possible
même en présence de graves lacunes dans l’information, doit infléchir l’élaboration des
politiques, ainsi que la planification et les décisions de gestion. Les inégalités ne peuvent être
corrigées qu’à long terme, par l’application continue de mesures (portant essentiellement
sur l’investissement) favorisant les zones et les populations négligées. Par exemple, dans de
nombreux pays, les ONG ont tendance à se regrouper dans les zones qui offrent les meilleures
conditions de sécurité et d’action. Réorienter le financement sur les zones sous-desservies
contribuerait à dissuader les nouveaux arrivants d’opter pour les zones privilégiées, ce qui
pourrait remédier aux déséquilibres existants.
Module 6
Caractéristiques des décisions d’affectation de ressources
Tous les décideurs agissent sur un terrain fortement marqué par l’incertitude et l’ignorance de
ce que font les autres participants, et ajustent leurs allocations sur la base d’une information
très insuffisante. Dans un tel contexte, ils se fient davantage à leurs perceptions qu’aux faits,
qu’ils ignorent, négligent, voire réfutent parce qu’ils les jugent indésirables. De plus, à force
d’être colportées, les rumeurs s’enracinent et acquièrent une influence qui ne s’appuie sur
aucune preuve.
La raréfaction des ressources, conjuguée à l’incertitude des mandats politiques, se traduit
dans la plupart des cas par une tendance à la prudence au sein des administrations publiques.
Là où ils devraient être intraitables sur les priorités, les ministères de la Santé, ébranlés par les
conflits, choisissent de préserver les services de santé qui ont été épargnés par les violences
(quels que soient leurs mérites comparés) et évitent la controverse politique qu’entraînerait
la réallocation de ressources en diminution. La planification de la réduction des moyens est
un art rarement pratiqué (Cumper, 1993). L’efficience allocative du secteur public tombe par
conséquent à des niveaux catastrophiques.
Il arrive que d’autres acteurs, qui ont pris de l’ampleur pendant la crise, soient mieux dotés,
mais dans l’établissement de leurs priorités, ils se heurtent aux mêmes obstacles que les
administrations publiques : instabilité, pressions politiques et information inadéquate. Personne
n’est en mesure de prendre de décisions d’allocation judicieuses, ce qui ne fait qu’éroder
davantage l’efficience du système, avec la multiplication des participants et des initiatives.
Même les négociations laborieuses visant à fusionner des financements distincts afin de doter
correctement le secteur de la santé et ses principales activités peuvent se révéler inutiles
dès lors qu’un organisme de financement donné se retire de l’accord convenu initialement.
Dans certains cas, il s’ensuit une cascade de réallocations. Il se peut aussi qu’aucun ajustement
ne soit opéré, ce qui laisse d’importants pans des dépenses de santé privés de financement.
Les décisions de dépenses, qu’il s’agisse d’allocations ou de dépenses effectives, sont
toujours prises compte tenu, explicitement ou non, de ce que les autres sources de financement
prennent en charge. Ainsi, l’État peut être moins généreux vis-à-vis de la santé et préférer
Module 6 Analyser le financement et les dépenses du secteur de la santé
175
•
Il existe une multitude de priorités diverses, voire contradictoires, si bien que l’on ne
distingue pas clairement quelle direction prennent les opérations et le développement
du secteur.
•
Certaines zones sont saturées de personnel et de ressources alors que d’autres sont
négligées. Comparer l’intérêt (en termes de rendements potentiels pour la santé) des
activités privilégiées à celui des activités dédaignées permet de juger de la gravité des
inefficiences du système.
•
Il existe des déséquilibres entre les catégories de facteurs de production de base, par
exemple des effectifs pléthoriques manquant de médicaments, ou des médecins très
nombreux épaulés par des personnels infirmiers trop rares.
•
Il existe des déséquilibres entre les niveaux de soin. Il est fréquent que dans un secteur de
la santé en crise, la strate des soins de santé communautaires (soutenue par les ONG et
les organismes d’aide) et les hôpitaux tertiaires dotés de moyens conséquents prospèrent
alors que les strates intermédiaires sont négligées.
Prévisions des ressources à venir dans une perspective de
relèvement
Les niveaux de financement à venir dépendent de nombreux facteurs, dont aucun n’est
facilement prévisible. Lors de l’établissement des projections, il convient de tenir compte de
divers aspects, comme les performances économiques et budgétaires, les freins politiques,
les dépenses militaires ou, inversement, les « dividendes de la paix », les dépenses sociales
concurrentes, les engagements de l’État (par exemple le service de la dette), la générosité des
donateurs ou encore les chocs exogènes. De plus, d’autres facteurs peuvent entrer en ligne
de compte dans certaines circonstances.
Malgré ces difficultés qui peuvent être décourageantes, les prévisions des ressources occupent
une place si centrale dans l’instauration d’une stratégie efficace qu’il faut tenter l’exercice,
Module 6
financer d’autres secteurs, car il a l’impression que les dépenses de santé sont déjà prises en
charge par les donateurs. Il arrive qu’un donateur décide de venir en aide à un secteur qu’il
perçoit comme négligé par les autres donateurs, ou inversement que le fonctionnement d’un
service donné, jugé comparativement performant, attire plusieurs sources de financement.
Lorsqu’ils examinent la composition des dépenses de santé, les analystes ne doivent pas
oublier les obstacles auxquels se heurtent les décideurs. En effet, les déséquilibres observés
dans le profil des dépenses résultent bien souvent des pressions auxquelles le secteur de la
santé ne peut se soustraire. Ce sont les dépenses faciles à comprimer qui sont les premières
touchées, tandis que la proportion des frais fixes augmente. Il est très fréquent que les
exhortations venant de l’extérieur à une réforme des schémas de dépenses soient ignorées
par nécessité, alors même qu’elles sont acceptées sur le principe.
Trop souvent, les critiques n’ont pas pleinement conscience des contraintes héritées des
décisions d’investissement passées. Par exemple, plutôt que d’exercer des pressions en
faveur d’un recentrage des dépenses au profit des soins de santé primaires (préconisation
de prédilection des donateurs), dans les situations où l’infrastructure requise n’existe pas et
où la culture correspondante n’est pas enracinée, les partisans des soins de santé primaires
obtiendraient de meilleurs résultats en militant pour la formation de cadres et pour la
construction de structures spécialisées dans les soins de santé primaires, car les décideurs
n’auraient alors plus d’autre choix que de favoriser cette approche. Dans le même ordre
d’idées, la prolifération des médecins dans les pays en crise, comme en Afghanistan, en
Angola et au Soudan, se traduit ensuite par la prédominance des soins curatifs en hôpital,
même si les décideurs auraient préféré qu’il en soit autrement.
On peut suspecter que l’efficience allocative est insuffisante lorsque l’on observe plusieurs
ou toutes les situations suivantes :
• La production de services est globalement modeste alors que les moyens déployés sont
importants.
176
Analyse du secteur de la santé dans les urgences complexes
Module 6
même dans des situations d’extrême incertitude, dans lesquelles les analystes préfèreraient
s’abstenir. En effet, en l’absence de prévisions crédibles des ressources, toute discussion sur les
politiques publiques, aussi érudite, construite et bien intentionnée soit-elle, est vide de sens.
Le meilleur moyen d’aborder le dédale d’incertitudes qui caractérise cet exercice de
prévision consiste à énoncer les hypothèses retenues pour chaque étape du raisonnement
et sur lesquelles reposent les projections. Il est ainsi plus facile d’actualiser les prévisions
à mesure que les événements se produisent et que l’on reçoit de nouvelles informations.
De plus, les lecteurs sont en mesure de juger du réalisme des hypothèses et de les modifier
selon leur avis et les informations qu’ils détiennent. L’utilité de cet exercice de prévision
dépend, dans une large mesure, de la solidité des hypothèses sur lesquelles il se fonde et
du raisonnement suivi pour aboutir à chaque conclusion. Une présentation transparente des
étapes suivies lors des calculs améliore considérablement la crédibilité des prévisions, et
donc leur influence sur le processus de décision.
Le meilleur modèle de travail analytique permettant d’élaborer une vision réaliste pour un
secteur de la santé redressé est celui de Noormahomed et Segall (1994), qui ont dessiné
la carte du Mozambique post-conflit. L’OMS l’a publié à titre d’exemple de « meilleure
pratique ». Ses fondements rationnels sont décrits clairement dans Segall (1991). De plus
en plus souvent, les discussions à propos du relèvement des pays sortant d’une crise (et les
conférences des donateurs organisées pour financer ce relèvement) s’articulent autour d’un
examen complet des dépenses d’équipement et récurrentes qu’il faut soutenir. Les Nations
Unies, la Banque mondiale et un groupe de donateurs essentiels participent habituellement
à l’étude des principaux facteurs, arrêtent leurs priorités et estiment le coût supplémentaire
de la reconstruction. Le Module 12. Formuler des stratégies pour le relèvement d’un secteur
de la santé en crise présente les étapes pratiques à suivre pour formuler des scénarios de
reconstruction réalistes, ainsi que pour définir les obstacles que l’on risque de rencontrer et
les erreurs usuelles à éviter. Voir également l’Annexe 3. Évaluation des besoins post-conflit.
Dans des situations caractérisées par l’apparition soudaine d’opportunités de relèvement,
comme ce fut le cas au Kosovo, au Timor-Leste, en Afghanistan et récemment en Iraq,
il n’a pas été possible de procéder à une analyse détaillée semblable à celle menée pour
le Mozambique. Aux premières heures, agitées, de la transition, lorsqu’il a fallu prendre
des décisions d’allocation très globales, il a fallu se contenter d’estimations agrégées et
grossières au lieu de chiffres résultant d’une analyse plus fine. Des estimations imprécises
(mais non biaisées) revêtent tout de même une certaine utilité pour les décideurs. Malgré
leurs carences, lorsqu’elles existent et que les participants leur accordent plus ou moins
foi, des prévisions même rapides peuvent influer fortement sur les grandes décisions.
À condition qu’elles ne soient pas trop éloignées de la réalité (ce qui ne peut se vérifier qu’a
posteriori), un secteur de la santé en pleine transition aura toujours à gagner à disposer de
projections de ressources.
La projection de l’enveloppe financière du secteur de la santé pour les années à venir ne
constitue pas un exercice académique. Si elles sont formulées correctement, les projections
procurent aux décideurs un cadre de référence utile qui permet de juger des diverses options
possibles. Là encore, l’ordre de grandeur des niveaux de financement projetés est primordial.
Par exemple, tous les scénarios concevables à propos de la Somalie convergent vers la même
conclusion : le secteur de la santé doit opérer dans les limites de financement très strictes, et
faire preuve d’une grande retenue et d’un sens très aigu des priorités dans ses choix. À l’autre
extrémité du spectre, en 2003, les prévisions concernant l’Iraq montraient que les limitations
de capacité, la sécurité et la gouvernance allaient probablement compter davantage que les
niveaux de financement pour l’avenir du secteur de la santé iraquien.
La disponibilité des ressources ne devient pleinement pertinente que si l’on peut estimer le
coût des services, de façon à en déduire de manière raisonnable les résultats à attendre pour
un niveau de ressources donné. Les coûts de la prestation des services sont souvent négligés
et sous-évalués, ce qui compromet tout l’exercice de prévision ultérieur. Dans l’enthousiasme
propre aux phases de transition, la tentation de prendre ses rêves pour des réalités à propos
des niveaux de ressources et des coûts des services est fréquente, et il convient d’y résister
Module 6 Analyser le financement et les dépenses du secteur de la santé
177
Module 6
avec force. Les exemples de planificateurs et de décideurs qui finissent par déchanter sont
légion. Il semble plus sage de produire des estimations plus prudentes.
Pour formuler des hypothèses raisonnables sur l’évolution à venir dans un contexte marqué
par l’instabilité, il faut forcément s’appuyer sur un jugement subjectif et des choix arbitraires.
Cet exercice ne doit donc pas être mené sans le concours des personnes qui connaissent
le domaine et des décideurs. Les deux peuvent en effet apporter un retour d’information
précieux et renforcer ainsi la fiabilité des prévisions. Sur le plan conceptuel, les objectifs
poursuivis par la consultation des parties sont différents et évoluent au fil du temps.
Au départ, il s’agit d’améliorer la fiabilité des projections en sollicitant un éventail aussi
large que possible d’avis éclairés, avis qui ne reçoivent pas tous automatiquement le même
poids. En effet, les analystes doivent incorporer aux projections les conseils judicieux,
mais laisser de côté les arguments peu convaincants ou les suggestions erronées. Lorsque
le premier cycle de consultations est terminé et que les prévisions sont considérées comme
raisonnablement solides compte tenu des informations disponibles, il convient de contacter
les parties prenantes afin de les informer des raisonnements qui ont présidé à la réalisation
des projections, ainsi que de la validité et des limites de ces dernières. Une fois que ces
prévisions sont acceptées (au moins sur le plan technique), on peut commencer à analyser
leurs conséquences pratiques pour les différentes parties. Cette dernière phase n’est pas
dénuée de risques. En effet, les parties prenantes qui repèrent des effets indésirables dans les
prévisions telles qu’elles ont été acceptées peuvent réagir négativement. Il faut s’attendre
à ce type de revers et le gérer avec habileté politique. Ce n’est que si cette dernière phase
est couronnée de succès que l’exercice de prévision sera intégré aux mesures effectivement
adoptées.
Le tableau ci-après propose un moyen de cartographier les nombreux facteurs à prendre en
compte pour la prévision des ressources à venir. Tous les facteurs présentés ne seront pas
pertinents dans tous les cas. La plupart ont trait aux évaluations qualitatives, c’est-à-dire
qu’ils ne se traduisent pas directement en variables, mais permettent de choisir des valeurs
supérieures ou inférieures pour les principales variables.
Voir également le Module 2. Donner un sens (approximatif) à des données (bancales),
section Faire des projections à partir des informations disponibles.
Module 6
178
Prévisions des ressources à venir dans une perspective de relèvement
Domaine
Remarques
Conseils et exemples
Des négociations de paix
sont-elles en cours ? À quelle
échéance peut-on s’attendre
à ce qu’elles aboutissent ?
Il est possible que l’on attende beaucoup des « dividendes Les « dividendes de la paix » se sont souvent révélés être une
de la paix », ce qui risque d’influencer les projections
chimère. Les processus de paix coûtent généralement plus
budgétaires.
cher que prévu.
L’issue des tentatives précédentes de règlement de paix
donne des indications sur les chances de succès des
négociations en cours.
Les périodes d’impasse politique et militaire offrent aux
participants une certaine marge de manœuvre pour apprécier
la situation de départ et pour discuter des projets de
relèvement.
L’issue probable de la crise
sera-t-elle la continuité de
l’ancien gouvernement/État
ou un changement radical ?
Lorsque l’on anticipe un changement radical, les
prévisions financières deviennent extrêmement sensibles
aux hypothèses de base. Des scénarios différents doivent
exposer aux décideurs les conséquences des différentes
hypothèses. Par exemple, on ignore parfois
complètement la base budgétaire potentielle d’une région
sécessionniste.
Les pays qui accèdent à l’indépendance ou à la liberté après
avoir connu l’oppression conçoivent souvent des projets
sociaux audacieux. Ces aspirations sont le plus souvent
contrariées lorsque la situation évolue.
L’échec de l’État peut se
traduire par une vacance du
pouvoir à certains endroits,
même après l’arrêt des
opérations militaires à
grande échelle.
L’économie politique des États faillis est mal connue.
La documentation (inadéquate) disponible sur les soins de
santé dans les environnements privés d’État laisse à penser
que les coûts opérationnels sont élevés. Pour tirer des
conclusions plus solides, il faut explorer davantage la
question.
Le pays est gouverné par un
organisme national ou
étranger.
Il convient de tenir compte du calendrier de restitution
des fonctions assurées par l’autorité transitoire à un
gouvernement national.
Dans certains cas, comme en Bosnie, les dispositifs
transitoires restent en place plus longtemps que prévu.
Relations attendues du futur
gouvernement avec la
communauté internationale.
Les principales dimensions du conflit (géopolitiques,
économiques, pénales et humanitaires) conditionnent le
degré et le mode de participation de la communauté
internationale.
Une allégeance politique et militaire résolue aux pays
occidentaux est habituellement associée à la générosité des
donateurs et à l’effacement de la dette.
Le conflit s’inscrit-il dans le
cadre d’une crise régionale ?
Lorsque l’on s’attend à ce que la crise régionale dure, on
ne peut guère anticiper de réduction des dépenses
militaires.
Poids de l’armée dans les
décisions concernant l’avenir
du pays.
Les haut gradés ne veulent pas perdre la part généreuse
de financement public dont ils bénéficiaient en temps de
guerre. On peut encourager les militaires à accepter des
postes dans le civil, ce qui coûte souvent très cher.
Nombre de combattants à
La démobilisation coûte cher. Elle conditionne dans une
démobiliser de tous les côtés. large mesure les dépenses publiques et absorbe une
grande partie des fonds des donateurs.
Des intervenants extérieurs peuvent apporter aux décideurs
locaux des indications précieuses tirées de processus
antérieurs comparables.
Les seigneurs de la guerre conservent souvent leur milice
personnelle alors que les hostilités sont officiellement
terminées et taxent pour ce faire la population locale.
Exemple : Au Mozambique (1993-1997), lors de l’une des
opérations les plus réussies à ce jour, l’estimation prudente
du coût de la démobilisation par combattant est ressortie à
US $1 000.
Analyse du secteur de la santé dans les urgences complexes
Politique et
militaire
Points à prendre à
compte/Questions à poser
Économie
Gestion des
dépenses
publiques
(GDP)
Points à prendre à
compte/Questions à poser
Remarques
Conseils et exemples
Cohérence et stabilité du
gouvernement.
Les gouvernements de cohabitation sont parfois
incapables de gouverner. Par ailleurs, en cas de
remaniements fréquents, le respect des engagements
devient de moins en moins probable.
Situation économique de
départ et tendances
récentes. Performances
économiques prévues.
Les variables macroéconomiques suggèrent-elles une
continuité par rapport aux années précédentes ou un
revirement spectaculaire ?
L’Economist Intelligence Unit apporte des données
macroéconomiques actualisées et qui ont fait l’objet de
recherches poussées. La Banque mondiale et le Fonds
monétaire international constituent également des sources
utiles (pour de plus amples détails, voir le Module 14.
Ressources).
Principaux facteurs
conditionnant l’économie.
Vulnérabilité face aux chocs
exogènes.
Les recettes des pays pétroliers fluctuent
considérablement.
Les départements du Trésor dont les recettes sont tributaires
d’un produit de base unique ont du mal à honorer leurs
engagements à long terme.
Événements/conditions
susceptibles d’induire une
évolution spectaculaire des
performances économiques.
Il convient de tenir compte des facteurs militant pour ou
contre des investissements privés étrangers substantiels.
Exemple : Si la République démocratique du Congo est
considérée comme un pays potentiellement riche (à condition
d’être correctement géré), la Somalie est considérée comme
structurellement pauvre. Les prévisions économiques doivent
tenir compte de ce type de facteurs.
Niveaux de pauvreté.
La rapidité et l’intensité du relèvement post-conflit
dépendent des niveaux de richesse de départ et de leur
répartition.
Infrastructure économique.
Les réseaux bancaires et de communication peuvent être
inexistants ou rudimentaires, comme en Afghanistan en
2002.
Perspectives économiques
internationales : expansion
ou contraction ?
La perception de l’environnement économique mondial
conditionne largement les choix de politique publique.
Il arrive que des conditions particulières protègent certains
pays des événements économiques mondiaux.
Relations attendues entre le
futur gouvernement et les
IFI.
S’il est perçu comme enclin à l’ajustement et à la
réforme, le futur gouvernement devrait bénéficier d’un
soutien important de l’extérieur.
Les positions de la Banque mondiale en disent long sur les
intentions de la communauté internationale des donateurs
dans son ensemble.
Capacité budgétaire de l’État. Dans nombre de pays pauvres, même en l’absence de
conflit, la capacité de l’État à lever des impôts est
minime. La plupart des recettes publiques proviennent
des droits de douane ou des licences. S’attend-on à ce
que les recettes publiques augmentent significativement
après la fin des hostilités ?
Module 6
Les niveaux de financement peuvent devenir plus
prévisibles à court et moyen terme en présence de tels
dispositifs.
Il faut beaucoup de temps et d’efforts pour que les
instruments de gestion de l’aide soient opérationnels, et ces
derniers sont lents à réagir aux événements imprévus. Ils
peuvent même se révéler inefficaces durant les processus de
transition rapides, surtout lors des premières phases.
179
Mécanismes de gestion des
financements accordés par
les donateurs, en place
(comme un fonds fiduciaire
multidonateurs) ou en cours
de discussion.
Dans les pays déchirés par la guerre, il arrive que les
recettes publiques passent en dessous de 10 % du PIB. De
plus, « Le relèvement budgétaire après l’effondrement prend
du temps. On considère qu’augmenter de 0,5 pour cent par
an la part de l’économie assujettie constitue un effort
considérable » (Hay, 2003).
Module 6 Analyser le financement et les dépenses du secteur de la santé
Domaine
Module 6
Remarques
Conseils et exemples
Cohérence des décisions de
politiques publiques. Le pays
est-il tenu à un programme
d’ajustement structurel/de
lutte contre la pauvreté ?
Quel est l’historique de mise
en œuvre de ces
programmes par le
gouvernement ?
Il arrive que le ministère des Finances s’engage à
protéger certains secteurs des crises financières, en
déclarant leur attribuer une part minimum de
financement.
Le comportement du ministère des Finances lorsqu’une crise
frappe permet de déceler si ces engagement sont sincères de
la part des décideurs locaux ou s’ils sont imposés de
l’extérieur et simplement invoqués à intervalles réguliers.
Les déclarations en faveur du secteur de la santé sont
fréquentes, mais la santé constitue rarement la priorité
d’un gouvernement en guerre.
Exemple : En Angola, le président a régulièrement fait
échouer les tentatives déployées par le ministère des
Finances pour instaurer une certaine discipline budgétaire.
Qualité des systèmes de
GDP.
Plusieurs aspects entrent en ligne de compte :
transparence, respect des règles et des rôles, discipline
budgétaire, respect des engagements et bonne exécution
des allocations budgétisées, entre autres.
La proportion de l’assistance apportée par les donateurs qui
passe directement par les administrations publiques donne
une idée de la perception de la qualité des systèmes de GDP
existants.
Situation de la dette, actuelle
et projetée. Position des
principaux créanciers vis-àvis du pays.
L’importance de l’endettement existant s’appréhende mieux
Le volume de l’encours et du service de la dette, ainsi
que les projections d’évolution, donnent une indication de lorsqu’elle est exprimée en proportion de l’économie plutôt
qu’en valeur absolue. Il convient également d’étudier le profil
la marge de manœuvre financière dont bénéficie l’État.
de la dette. La dette commerciale à court terme est plus
Les pays perçus comme étant riches, tels que l’Angola ou lourde à supporter que la dette préférentielle à long terme.
l’Iraq, peuvent avoir accumulé un niveau d’endettement
« La part du budget discrétionnaire allouée à la santé constitue
qui les paralyse. Le service de la dette pèse à son tour
parfois un meilleur indicateur de l’engagement des autorités
sur le financement public des services de santé.
vis-à-vis des services de santé à financement public que sa part
dans le total des dépenses publiques » (Hay, 2003).
Concurrence de la part des
sollicitations budgétaires des
autres secteurs.
Il faut aussi tenir compte des engagements officiels de
l’État envers des secteurs qui font concurrence à celui de
la santé pour obtenir des ressources.
Lorsque des documents officiels citent la santé comme une
priorité au même titre que beaucoup d’autres, il ne faut pas
s’attendre à des allocations préférentielles.
Dépenses extrabudgétaires.
Existe-t-il une estimation de
la proportion des dépenses
publiques non intégrées au
processus budgétaire ?
Les dépenses budgétaires et extrabudgétaires sont des
concepts mal définis, utilisés de manière imprécise par
les participants. Les arrangements hybrides ne sont pas
rares. Voir le Glossaire du Module 14.
Les allocations budgétées sont parfois payées et
comptabilisées en dehors des voies régulières de la GDP. Par
exemple, il arrive que des prêts concessionnels soient inscrits
au budget mais dépensés dans le cadre d’accords spéciaux,
ce qui se traduit par des écarts importants entre les
dépenses planifiées et exécutées.
Niveau de dépendance
vis-à-vis de l’aide. Tendances
récentes de l’aide.
Existe-t-il des signes témoignant de la lassitude des
donateurs (fréquente lorsque les crises se prolongent
beaucoup) ?
Un appui bilatéral aux programmes et de vastes prêts
concessionnels témoignent de l’engagement à long terme des
donateurs. Inversement, si les donateurs préfèrent faire
passer les financements par les agences des Nations Unies et
par les ONG, c’est qu’ils rechignent à prendre des
engagements fermes.
Il faut prévoir l’apparition d’un hiatus pendant la transition et
les donateurs doivent faire pression pour qu’il soit comblé
avant que ses conséquences ne frappent de plein fouet la
prestation des services de santé.
Un hiatus pendant la transition risque-t-il de se produire
? Il n’est pas impossible qu’un recul du financement
humanitaire à la fin d’une crise prolongée soit
concomitant à un démarrage lent de l’aide au
développement pendant tout processus de transition.
Aide (en
général)
Position actuelle et attendue
de la communauté des
donateurs vis-à-vis du pays,
du gouvernement, des
rebelles et du secteur de la
santé.
Les valeurs géopolitiques du pays jouent un rôle
important dans les décisions des donateurs.
Par ailleurs, il arrive que les donateurs soutiennent
l’approche adoptée dans un pays à des fins de
démonstration, ce qui en assure le succès.
La communauté internationale a parfois investi massivement,
en capital politique et en moyens financiers, pour faire
aboutir un processus de paix/relèvement, au point que la
dépendance commence à s’inverser. La générosité des
donateurs, même si elle n’est pas justifiée par les
événements, est alors assurée.
Analyse du secteur de la santé dans les urgences complexes
Gestion des
dépenses
publiques
(GDP)
Points à prendre à
compte/Questions à poser
180
Domaine
Aide (en
général)
Financement
de la santé
Points à prendre à
compte/Questions à poser
Remarques
Conditionnalité. Qu’attendent
les donateurs du pays afin de
maintenir ou de majorer les
niveaux d’aide ? Ces
conditions peuvent-elles être
remplies ?
Pour accepter d’aider un pays, les donateurs imposent
souvent comme condition que celui-ci débloque des
dotations publiques généreuses pour la santé et
l’éducation. Les donateurs des pays du Nord sont les plus
ardents partisans de ce type de pratique.
Les exigences des donateurs sont-elles réalistes ? Si l’on
déçoit les donateurs, risque-t-ils de revoir leur aide à la
baisse ?
Un revirement spectaculaire
de la part d’un donateur
vis-à-vis d’un pays est-il
prévisible ?
Le traitement des urgences complexes par les médias
internationaux influe sur les niveaux d’aide. Quelle est la
proportion de l’aide actuelle qui risque de disparaître
lorsque l’attention se portera sur d’autres zones à
problème ?
Exemple : L’Afghanistan est passé du statut de paria à celui
d’important destinataire de l’aide lorsqu’il a changé de
gouvernement et de majorité politique, en 2002.
Conseils et exemples
Concurrence d’autres pays/
Une crise visible, avec des implications politiques, peut
urgences pour le financement capter l’attention et les fonds des donateurs.
par les donateurs.
Inversement, si d’autres pays tombent en disgrâce
auprès des donateurs, ces derniers peuvent se tourner en
réaction vers un pays comparativement perçu comme un
bon élève.
Il arrive que la façon dont un pays destinataire se présente
aux donateurs influe davantage sur les décisions de ces
derniers que le comportement ou les résultats effectifs de ce
pays.
Capacité d’absorption du
financement intérieur et
extérieur du secteur de la
santé. L’absorption peut-elle
s’améliorer à court ou moyen
terme ?
Il est rare qu’une estimation directe de la capacité
d’absorption soit disponible. On peut dans certains cas
repérer des signes indirects indiquant des problèmes sur
ce plan.
Il peut exister des goulets d’étranglement importants en
dehors du secteur de la santé. Au Sud-Soudan, l’absence de
banques, de moyens de communication, de routes et
d’entreprises conditionne le profil, le coût et le rythme du
relèvement.
Engagements formels des
pouvoirs publics concernant
le financement de la santé.
Peuvent s’inscrire dans le cadre d’engagements de niveau Les exemples de pays pauvres capables d’allouer plus de
10 % de leurs ressources publiques intérieures à la santé
supérieur, comme la stratégie de réduction de la
pendant une période prolongée sont extrêmement rares.
pauvreté.
Les retards et les prolongations dans les programmes
planifiés témoignent d’une piètre capacité d’absorption.
Il arrive que les donateurs ne financent que certains
Conditionnalité de l’action
domaines, et négligent ainsi des composantes
des donateurs dans le
importantes de la prestation des services de santé.
secteur de la santé.
Qu’attendent les donateurs
du pays afin de maintenir ou
de majorer les nivaux d’aide ?
Ces conditions peuvent-elles
être remplies ?
Les exigences des donateurs sont-elles adaptées aux
ressources et capacités (intérieures et extérieures)
disponibles ?
Il est fréquent que des objectifs globaux soient adoptés sans
que l’on ait sérieusement analysé les ressources susceptibles
d’être allouées à la santé. Les décalages grossiers entre les
ambitions et les moyens sont monnaie courante.
Étant donné la fragmentation et l’enregistrement
lacunaire des flux d’aide, les chiffres ont tendance à
sous-estimer les niveaux effectifs.
Exemple : En Somalie, l’aide allouée à la santé a été estimée
à US $5-7 par habitant et par an en 2005. En 2006, une
étude détaillée a révélé que les flux d’aide étaient deux fois
plus importants qu’on ne le pensait (Capobianco et Naidu,
2008).
Programmes de financement
sur plusieurs années en
cours ou en phase de
négociation dans le secteur
de la santé.
Ces instruments de financement peuvent stabiliser les
dépenses de santé tant qu’ils sont en vigueur.
Le total des dépenses augmente rarement du montant d’un
financement supplémentaire, comme un prêt concessionnel.
Les autorités financières peuvent en effet profiter d’une
partie de ce nouvel apport pour en faire bénéficier des
domaines négligés extérieurs au secteur de la santé. Les
fonds sont fongibles (voir la définition).
Module 6
181
Estimations disponibles de
l’aide au secteur de la santé,
actuelle et à venir.
Module 6 Analyser le financement et les dépenses du secteur de la santé
Domaine
Module 6
182
Domaine
Remarques
Conseils et exemples
Contributions probables des
initiatives mondiales pour la
santé aux dépenses de
santé.
Des initiatives mondiales pour la santé sont-elles déjà en
place dans le pays ?
Exemple : Le financement accordé aux projets verticaux au
Libéria a quadruplé entre 2005 et 2008, ce qui a conduit à un
doublement des dépenses par habitant consacrées aux
services de santé (Canavan et al., 2008).
Proportion du financement
réservé à la santé.
Un volume élevé de dépenses de santé agrégées peut
masquer des déséquilibres et des rigidités.
Exemple : Les engagements des donateurs pour le VIH/sida
en 2005 ont dépassé l’allocation nationale budgétée pour
2003 par l’Éthiopie, le Rwanda et l’Ouganda, trois pays où le
niveau de prévalence du VIH est faible à modéré (Shiffman,
2008).
Instruments de gestion de
l’aide, comme les fonds
communs, en place ou en
cours de discussion dans le
secteur de la santé.
Des négociations soutenues entre des donateurs
influents, visant à mettre en place de tels instruments,
témoignent d’un engagement à long terme vis-à-vis du
secteur de la santé.
Étant donné les limitations des fonds fiduciaires
multidonateurs, un ou plusieurs fonds communs d’aide
spécifiquement consacrés à la santé peuvent se révéler plus
efficaces pendant la transition de la guerre à la paix.
Situation relative du secteur
de la santé par rapport aux
autres postes de dépense.
La réputation du secteur de la santé et la pertinence
politique de la prestation des soins influent sur les
décisions de financement des pouvoirs publics, des
donateurs et des usagers.
Promettre de confier la gestion de la santé aux rebelles dans
le cadre des négociations de paix montre que l’on ne la
considère pas comme un secteur prioritaire, qui ne
bénéficiera pas d’un financement généreux, ni d’un poids
politique important à l’avenir.
Sources de financement
intérieur non exploitées.
Il convient d’évaluer dans quelle mesure le financement
intérieur pourra réalistement être étoffé au fil du temps.
Dans les pays pauvres, les accords de partage des coûts ne
tiennent généralement pas leurs promesses. Après le conflit,
il faut des années de reprise économique soutenue avant que
ces accords dégagent un rendement significatif.
Le PIB (de départ et projeté) ainsi que les niveaux de
pauvreté donnent des indications sur les contributions
privées aux dépenses de santé auxquelles on peut
raisonnablement s’attendre.
Analyse du secteur de la santé dans les urgences complexes
Financement
de la santé
Points à prendre à
compte/Questions à poser
Module 6 Analyser le financement et les dépenses du secteur de la santé
183
La durabilité est sans cesse évoquée au titre des critères essentiels permettant d’évaluer toute
activité ou initiative induite par l’aide. Il arrive que l’on confère à cette notion le poids d’un
argument décisif. Ainsi, déclarer que quelque chose est « non durable » revient à le qualifier
d’inutile, voire de nuisible, ce qui exclut toute autre considération. Dans le contexte des
États faillis, marqués par une grande pauvreté ou des besoins de services de santé en forte
augmentation, comme en République démocratique du Congo et en Afghanistan, il convient
de revoir la signification que l’on accorde à la durabilité. En effet, pendant de longues périodes
(probablement durant des décennies), ces pays seront incapables de survivre en comptant
uniquement sur leurs propres moyens. Un service de santé doit donc être considéré comme
« durable » quand il fonctionne sans interruption, quitte à ce qu’il soit financé par des ressources
extérieures. Plutôt que de minimiser l’importance de services de santé efficaces pour une
population qui en a besoin uniquement au motif qu’ils sont financés par des sources extérieures,
il vaut mieux s’attacher à la prévisibilité de ces financements et aux éventuelles conditions dont
ils s’accompagnent. Ce changement de perspective suffirait à corriger l’approche adoptée.
Les donateurs rechignent à admettre le simple fait qu’un pays ravagé par un conflit prolongé
et privé des ressources et des capacités élémentaires n’est pas viable et ne le sera pas avant
longtemps, même une fois que les remèdes habituels auront été administrés. Les donateurs se
retrouvent face à un choix difficile, auquel ils préfèrent échapper : se désengager totalement
et de manière irréversible (et accepter le bond de la mortalité, de la morbidité et de la
pauvreté qu’entraîne cette décision), soit garantir que les services de santé essentiels seront
assurés sur la durée, sans interruption ni baisse de qualité. S’ils optent pour cette deuxième
possibilité, il convient de ne pas lancer toute nouvelle activité dans le secteur de la santé sans
être certain que les donateurs la financeront sur la durée.
Malheureusement, les donateurs optent souvent pour une solution intermédiaire : cycles
de financement courts, évaluations répétées de l’intérêt de reconduire le financement,
changements fréquents des activités bénéficiant de l’aide et de l’approche de programmation
et interruptions répétées des flux d’aide sont monnaie courante. Ainsi, des initiatives
disparates sont lancées mais n’ont jamais la chance de s’enraciner. Par exemple, l’insistance
des donateurs à introduire un dispositif de partage des coûts dans des pays ravagés par une
guerre témoigne de cet attachement excessif à la durabilité (Poletti, 2003). Cette erreur a
exacerbé l’inefficience et l’iniquité dans un contexte déjà marqué par la détresse, la pauvreté
écrasante et de graves limitations opérationnelles. Les protestations qui ont suivi semblent
avoir dissuadé les donateurs de rechercher la durabilité à tout prix.
On a tendance à utiliser la notion de durabilité comme un concept global, mais il n’est
pas inutile d’opérer une distinction entre la durabilité technique, qui a trait à la capacité
d’exécuter certaines fonctions, et la durabilité financière, laquelle résulte de la disponibilité
de ressources, de la capacité budgétaire et de la priorité relative accordée aux soins de santé.
En effet, il arrive qu’un État ait en absolu les moyens de financer des services de santé, mais
qu’il préfère les utiliser dans un autre domaine. De surcroît, il faut aussi tenir compte de la
durabilité politique. Par exemple, un gouvernement qui n’est pas sûr que son mandat sera
renouvelé sera peut-être tenté d’abandonner une mesure nécessaire mais impopulaire. Il en
va de même pour les donateurs, dont les revirements fréquents sont bien connus.
Si les différents aspects de la durabilité comptent tout autant lorsqu’il s’agit de déterminer l’avenir
d’une activité du secteur de la santé introduite grâce à un soutien extérieur, les discussions à ce
sujet ont tendance à accorder trop d’importance à la dimension financière. Ce biais inopportun,
très fréquent chez les donateurs, ne fait que perpétuer l’hypothèse selon laquelle un financement
adéquat lève la plupart des obstacles, voire tous. En ne se souciant pas des limitations des
capacités, on encourage les gaspillages. En raison de ce biais en faveur de la viabilité financière,
on ferme les yeux sur les dégâts que provoque une crise prolongée sur les capacités techniques.
Plus les perturbations sont prolongées et graves et plus le relèvement prendra du temps, d’autant
que dans certains cas, les capacités étaient déjà très insuffisantes avant la crise.
Pour une étude intéressante de la durée de la dépendance des pays sortant d’un conflit vis-àvis du financement des donateurs, voir Chand et Coffman (2008).
Module 6
Placer la durabilité dans son contexte
184
Analyse du secteur de la santé dans les urgences complexes
Conseils de lecture
Evans R.G. Health for all or wealth for some? Conflicting goals in health
care reform. In Mills A., (ed.), Reforming health sectors. Londres, Kegan Paul
International, 2000.
Analyse caustique des principes, du discours et des objectifs (avoués et inavoués) du
mouvement de réforme de la santé, dont les fondements bancals sont mis au jour sans
complaisance. Selon cet ouvrage, toute réforme a des visées redistributives (explicites
ou non), qui peuvent être progressistes ou régressives. La réforme du secteur de la santé
telle qu’elle a été préconisée avec vigueur dans les années 1990 insistait sur l’efficience
et l’efficacité, ce qui a détourné l’attention de son objectif central, à savoir le basculement
des coûts de la santé, qui étaient jusque-là supportés dans une large mesure (via la
fiscalité) par les ménages aisés et en bonne santé, sur les individus pauvres et malades. Ces
réformes n’étaient pas celles « de Robin des Bois mais du Sheriff de Nottingham ». Selon
cette interprétation, la réforme du secteur de la santé visait délibérément à faire pièce
aux ambitions d’équité du système des soins de santé primaires, ainsi qu’aux avancées
modestes réalisées dans cette direction.
Au cours de la dernière décennie, la réforme du secteur de la santé a perdu nombre de
ses attraits. Un corpus grandissant de travaux de recherche montre que cette réforme n’a
que rarement, et encore, produit les effets escomptés. Tandis que ses partisans imputent
ces revers à une mauvaise exécution et à de la résistance politique, Evans est plus direct.
À son avis, la réforme des services de santé a échoué en raison de ses défauts intrinsèques,
visibles dès le départ à quiconque a bien voulu se donner la peine d’étudier l’ensemble
des mesures proposées. « Des idées anciennes sont revenues au goût du jour, du moins
dans les débats, ignorant ainsi complètement non seulement les données actualisées sur
les déterminants de la santé, mais aussi l’expérience accumulée sur le terrain par les
systèmes de santé au cours des cinquante dernières années. Cet historique, ainsi que
les avancées dans la recherche dont il s’est accompagné, a apporté des enseignements
importants sur les implications et les conséquences des différentes formes d’organisation et
de financement de la santé. Il semblerait toutefois qu’un certain nombre de ‘réformateurs’
aient manqué ces cours (voire tout le cursus) ».
Gottret P. et Schieber G. Financer la santé : une nouvelle approche : un guide
pour les décideurs et les praticiens. Montréal, Québec : Éditions Saint-Martin,
2007. Disponible en ligne à l’adresse suivante : www.worldbank.org, consulté le
10 janvier 2011.
Module 6
Présentation concise, complète et informative, qui porte un nouveau regard sur
l’expérience accumulée lors de la mise en œuvre des réformes du secteur de la santé dans
un large éventail de pays. De manière fort intelligente, cet ouvrage souligne que les pays
se caractérisant par des niveaux de revenu différents doivent aborder ces problèmes et ces
choix de manières différentes. Selon Gottret et Schieber, les pays à bas revenu doivent faire
des choix et des arbitrages difficiles, et il n’existe aucune solution ou panacée universelle.
Cet ouvrage constitue un point de départ utile pour qui a besoin d’informations élémentaires
sur la réalité et les tendances du financement de la santé, tout en proposant une analyse
des principaux concepts. Il présente avec honnêteté les méthodes de financement en les
replaçant dans leur contexte, en énonçant leurs avantages et leurs insuffisances, loin des
expressions à la mode, slogans et autres solutions magiques.
Hay R. The ‘fiscal space’ for publicly-financed health care. Oxford, Oxford
Policy Institute (Policy Brief No. 4), 2003.
Description succincte, réaliste et tranchante des importantes limitations de financement
auxquelles doivent faire face les décideurs dans les pays pauvres. Des améliorations
marginales ne suffisent pas à combler de tels déficits. Dans de nombreux pays, le secteur
de la santé est condamné à dépendre massivement et durablement de l’aide. S’ils veulent
s’affranchir de cette dépendance, ces pays doivent adopter des stratégies radicalement
différentes pour définir les objectifs et les priorités du secteur, son financement et le mode
de prestation des services. Lecture à compléter par:
Module 6 Analyser le financement et les dépenses du secteur de la santé
185
Williams G. et Hay R. Fiscal Space and Sustainability from the Perspective
of the Health Sector. Chapitre 4 in : High Level Forum on the Health Millennium
Development Goals Selected Papers 2003–2005. OMS et Banque mondiale, 2006.
Cette étude accessible procède à une projection des flux d’aide et des dotations publiques
pour un groupe de trente pays à bas revenu suivant différents scénarios. Ses conclusions
ne sont pas optimistes. Même accrue, l’aide ne suffira pas à porter les dépenses de santé
aux niveaux requis pour permettre à ces pays d’atteindre les OMD relatifs à la santé. Il
convient donc de restructurer la manière dont les donateurs et les bénéficiaires financent
les dépenses de santé dans les pays pauvres.
McPake B., Kumaranayake L. et Normand C. Health economics: an international
perspective, Londres, Routledge, 2002.
Cet ouvrage permet aux analystes et aux planificateurs de comprendre les diverses
options possibles ainsi que les conséquences des choix qu’ils opèrent. Dans des situations
où l’écart entre ressources et besoins est très important, comme dans les pays frappés
par une crise chronique ou sortant d’une telle crise, l’analyse économique se révèle
particulièrement précieuse. La méconnaissance de l’économie de la plupart du personnel
humanitaire facilite l’exportation de mesures depuis les pays à haut revenu vers les pays
à bas revenu, mesures qui sont acceptées ou imposées, bien souvent via les organisations
internationales, sans considération pour leurs conséquences ou pour leurs limites.
Cet ouvrage applique des concepts économiques élémentaires au secteur de la santé en
s’appuyant sur des comparaisons, de brèves études de cas et des exemples. Ses auteurs
estiment que les principes économiques sont universels. Les exemples tirés de différents
pays renforcent cette conviction, laquelle doit toutefois être considérée avec un certain
recul dans un contexte de crise.
Examen franc et réfléchi d’une question controversée. Près de deux décennies
d’expérimentation de divers mécanismes de partage des coûts dans les pays pauvres n’ont
produit que de bien piètres résultats. Malgré l’expérience peu probante accumulée dans des
régions frappées par des conflits, certains donateurs ont conditionné leur financement des
projets exécutés par les ONG dans le secteur de la santé à l’inclusion d’une composante
de partage des coûts dans leur structure. Ce document présente certains des mécanismes
de partage des coûts mis en place en République démocratique du Congo et au Libéria, et
les juge tous décevants sur le plan de la collecte des recettes, de l’efficience et de l’équité.
Il convient d’étudier de manière approfondie l’impact du partage des coûts dans des
situations d’urgence complexe, tout en neutralisant les biais idéologiques qui entachent
habituellement l’examen de cette question, rendant toute discussion inutile. Il convient
également de trouver d’autres moyens de financer la prestation des soins de santé lorsque
les crises se prolongent.
Ce document synthétise en outre avec clarté les principales sources de financement de la
santé, les mécanismes de paiement des prestataires et les dispositifs de partage des coûts.
Schick A. A contemporary approach to public expenditure management.
Washington, DC, The World Bank Institute, 1998. Disponible en ligne à l’adresse
suivante : www.worldbank.org, consulté le 10 janvier 2011.
Magnifique introduction au domaine, claire et parfaitement lisible, vivement recommandée
aux néophytes. Les praticiens chevronnés y trouveront aussi des informations intéressantes.
L’auteur réussit à rendre intéressant et vivant un sujet aussi aride que la présentation des
systèmes de gestion des finances publiques, de leurs insuffisances et de leurs limitations
structurelles. Un chapitre est consacré à la question cruciale de l’inadaptation des systèmes
de GDP dans les pays développés lorsqu’ils sont appliqués au secteur public indigent
Module 6
Poletti T. Healthcare financing in complex emergencies: a background
issues paper on cost-sharing. Londres, London School of Health and Tropical
Medicine, 2003. Pour une introduction à la litérature disponible sur ce sujet, voir
Cost-recovery in the health sector: an inappropriate policy in complex
emergencies aussi par Timothy Poletti, disponible en ligne à http://www.
odihpn.org/report.asp?id=2609, consulté le 9 janvier 2011.
186
Analyse du secteur de la santé dans les urgences complexes
des pays pauvres. Allen Schick est également l’auteur principal du Manuel de gestion
des dépenses publiques. Washington, DC, Banque mondiale, 1998. Cet excellent manuel
couvre bon nombre de ces thèmes, d’un point de vue légèrement plus pratique.
Segall M. Health sector planning led by management of recurrent
expenditure: an agenda for action-research. International Journal of Health
Planning and Management, 6, 37-75, 1991.
Présentation claire, riche d’enseignements, et directement ancrée dans l’expérience, de ce
que signifie planifier dans le secteur de la santé : opérer des choix éclairés entre plusieurs
solutions d’allocation en tenant compte des limitations d’ordre politique, financier et
de gestion. Ce document analyse les étapes logiques à suivre ainsi que les nombreux
obstacles à surmonter pour parvenir à une politique redistributive progressiste, telle que
celle des soins de santé primaires. La mauvaise réputation dont souffre depuis quelque
temps la planification de la santé, ainsi que les résultats médiocres enregistrés par la mise
en œuvre des soins de santé primaires dans de nombreux pays, peuvent dans une certaine
mesure être considérés comme partiellement responsables du désintérêt dont on témoigne
actuellement pour l’approche réaliste et rationnelle exposée dans cet article classique.
Ce dernier ne fait aucune référence aux obstacles supplémentaires spécifiques auxquels
se heurtent les secteurs de santé des pays en guerre. Néanmoins, la plupart, si ce n’est
l’intégralité, des considérations présentées par l’auteur se confirment aussi dans un tel
contexte, du moins au niveau conceptuel.
Références bibliographiques
Module 6
Canavan A. et al. Post-conflict health sectors: the myth and reality of funding gaps.
Commandé par le Health and Fragile States Network. Élaboré en collaboration avec le Royal
Tropical Institute, Amsterdam, 2008.
Capobianco E. et Naidu V. A review of health sector aid financing to Somalia (2000–2006).
Washington, DC, Banque mondiale (Working Paper n °142), 2008.
Chabot J. et Waddington C. Primary health care is not cheap: a case study from Guinea
Bissau. International Journal of Health Services, 17, 387-409, 1987.
Chand S. et Coffman R. How soon can donors exit from post-conflict states? Washington,
DC, Center for Global Development (Working paper 141), 2008. Disponible en ligne à
l’adresse suivante : www.cgdev.org, consulté le 10 janvier 2011.
Commission sur la macroéconomie et la santé. Macroéconomie et santé : investir dans la
santé pour le développement économique, Genève, OMS, 2001.
Cumper G. E. Should we plan for contraction in health services? The Jamaican experience.
Health Policy and Planning, 8, 113-121, 1993.
Decaillet F., Mullen P.D. et Guen M. Sudan health status report, (version préliminaire),
Banque mondiale, 2003.
Doherty J. et Govender R. The cost-effectiveness of primary care services in developing
countries: a review of the international literature. [Washington, DC], Banque mondiale
(Projet sur les priorités en matière de lutte contre les maladies, Working Paper n° 37), (2004).
Disponible en ligne à l’adresse suivante : www.dcp2.org, consulté le 10 janvier 2011.
Erasmus V. et Nkoroi I. Report on cost sharing in selected counties of the New Sudan.
Secrétariat à la Santé du Nouveau Soudan et International Rescue Committee, 2002.
Noormahomed A.R. et Segall M. The public health sector in Mozambique: a post-war
strategy for rehabilitation and sustained development, Mozambique country paper. Genève,
OMS (Série Macroéconomie, Santé et Développement n °14), 1994. Disponible en ligne à
l’adresse suivante : http://whqlibdoc.who.int/hq/1994/WHO_ICO_MESD.14.pdf, consulté
le 10 janvier 2011.
Module 6 Analyser le financement et les dépenses du secteur de la santé
187
Module 6
Nordhaus W.D. The economic consequences of a war with Iraq. In: War with Iraq: costs,
consequences, and alternatives. Washington, DC, American Academy of Arts and Science, 2002.
Pavignani E. et Colombo A. Providing health services in countries disrupted by civil wars:
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Disponible en ligne à l’adresse suivante : www.who.int/hac/techguidance/hbp/Providing_
services_main/en/, consulté le 9 janvier 2011.
Shiffman J. Has donor prioritization of HIV/AIDS displaced aid for other health issues?
Health Policy and Planning, 23, 95-100, 2008.
Banque mondiale. Rapport sur le développement dans le monde 1993. Investir dans la santé.
Banque mondiale, 1993.
Organisation mondiale de la Santé/Soudan. The health sector in Sudan: a strategic framework
for recovery. Khartoum, 2003.
188
Analyse du secteur de la santé dans les urgences complexes
Annexe 6a Pourquoi et comment effectuer une enquête sur les ressources
extérieures
Lorsqu’une crise se prolonge, il est très difficile de se procurer des informations fiables, actualisées
et complètes sur les ressources provenant de l’aide internationale. Sachant que, dans de telles
situations, les ressources extérieures représentent souvent la plus grande part du financement alloué
à la santé, toute analyse sérieuse du secteur ne saurait en faire l’impasse. Les donateurs comme
les destinataires s’efforcent de recueillir des données sur les entrées de ressources extérieures, et
collectent généralement des volumes impressionnants de chiffres, malheureusement présentés
dans des formats disparates. À partir de ces données, il est donc impossible de se renseigner sur
la situation véritable sur le terrain de manière continue et régulière.
Dans de nombreuses crises de longue durée, les Nations Unies s’efforcent d’étudier les flux
d’aide, comme le décrit le Module 3. Comprendre le contexte passé, présent et à venir du
pays Cependant, il arrive que le format standardisé agrégé utilisé par la plupart des bases
de données soit insuffisant pour répondre aux besoins d’information de secteurs tels que
celui de la santé. Lorsqu’un système de suivi comme celui mis en place en Afghanistan existe
déjà, il convient d’explorer les moyens de le compléter par des informations supplémentaires
sur la santé.
Les difficultés décrites plus bas expliquent en partie l’inadéquation de la plupart des données
de routine. Si l’on veut obtenir une vision sérieuse des ressources extérieures, il est dans la
plupart des cas nécessaire de procéder à une enquête standardisée ad hoc. Cette enquête doit
être reconduite chaque année, ou tous les deux ans, et suivre chaque fois la même méthode
standardisée.
Objectifs de l’enquête sur les ressources extérieures :
• Obtenir une image fiable de l’enveloppe de ressources disponible pour le secteur de la
santé depuis quelques années.
•
Étudier les tendances du financement et en tirer des conclusions sur les niveaux de
financement probables dans un avenir proche.
•
En savoir plus sur la nature des ressources extérieures mises à la disposition du secteur
de la santé (investissement, salaires, médicaments, etc.) et sur leur répartition dans le
pays et entre les niveaux de soins.
•
Se renseigner sur les responsabilités de management des ressources extérieures incombant
aux différents acteurs du secteur de la santé.
Annexe 6a
De toute évidence, rassembler des données sur l’assistance extérieure, qui constitue souvent
une grande partie du financement total du secteur, sans les compléter par des informations
sur les dépenses intérieures y afférentes, publiques et privées, ne permet que de dresser un
tableau incomplet.
L’enquête proposée est nécessaire, mais mobilise beaucoup de personnel et se heurte à de
nombreuses difficultés :
• La fragmentation et l’ambiguïté des rôles : multiplicité des donateurs, des organismes
de développement, des banques, des fondations et des ONG. La plupart des ressources
émanent de donateurs bilatéraux (à savoir les pays riches) et passent par les organismes
d’exécution. Ainsi, un organisme donné peut faire figure de donateur aux yeux du
destinataire sur le terrain, alors qu’en fait, il n’est qu’un intermédiaire dans la transaction.
Le risque de double ou de triple comptage des fonds constitue donc une préoccupation
de tous les instants.
•
La fragmentation dans le pays donateur, avec des fonds gérés par certaines administrations
(par exemple ceux destinés aux urgences) qui suivent des règles et des voies de
décaissement différentes de ceux qui sont contrôlés par d’autres administrations, par
exemple celles chargées du développement. À cet égard, l’Union européenne affiche
l’une des configurations les plus complexes. Certains pays, comme la France, comptent de
nombreux organismes spécialisés, tous indépendants les uns des autres. Par ailleurs, chez
Annexe 6a Pourquoi et comment effectuer une enquête sur les ressources extérieures
189
•
Les dons informels émanant de sources privées peuvent être substantiels, par exemple
dans le cas de pays ayant une large diaspora. Par ailleurs, les pays hors du cercle occidental
traditionnel du Comité d’aide au développement (CAD) peuvent constituer une source
d’aide non négligeable, mais difficile à étudier en raison de leurs modalités.
•
La variété des cycles de planification et des formats budgétaires. Il est extrêmement
difficile d’élaborer un instrument d’enquête convenant à tous les acteurs, lesquels
utilisent des outils de planification, de budgétisation et de comptabilité très différents.
Les responsables de l’enquête doivent s’entendre avec chaque organisme sur le meilleur
moyen d’ajuster les données de chacun à l’outil de collecte standard. Dans certains cas,
la conversion des données sources, qui permet de les intégrer dans la base de données
de l’enquête, suppose des manipulations lourdes et imaginatives. Il convient d’arrêter
un calendrier standard pour le recueil des données financières, puisque les dates de
clôture des exercices et les systèmes comptables et d’information financière varient d’un
organisme à l’autre. Pour la plupart des organismes, l’exercice fiscal correspond à l’année
civile, laquelle peut donc servir de norme. Il convient alors d’ajuster en conséquence
les données communiquées par les organismes dont l’exercice fiscal chevauche deux
années civiles.
•
Des problèmes de langue peuvent entraver l’accès à l’information, car certains organismes
n’ont pas pour usage de faire traduire leurs documents de travail pour les diffuser à
l’international. Dans un tels cas, les responsables de l’enquête doivent décider s’ils
ignorent ces contributions (peut-être parce qu’elles sont d’une importance marginale)
ou au contraire s’ils souhaitent engager des coûts supplémentaires pour surmonter la
barrière de la langue.
•
Les préoccupations concernant l’utilisation des informations recueillies. Certains organismes
sont mal à l’aise vis-à-vis de ce type d’enquêtes, surtout lorsqu’elles interviennent dans
des environnements troublés. Il convient tout particulièrement de rassurer les participants
en leur expliquant que les chiffres collectés ne seront pas utilisés contre ceux et que
les déclarations sujettes à controverse prononcées lors des interviews seront citées de
manière anonyme. Les informations particulièrement sensibles concernent le salaire
du personnel international, les coûts de l’appui aux programmes ou les frais généraux
supportés par les organismes d’exécution, ainsi que l’achat de certains articles (lorsque
l’aide est liée).
•
La lassitude des répondants. Les acteurs de l’aide sont sans arrêt invités (par de multiples
organismes dans le pays destinataire, par les unités de coordination, par le siège, les
auditeurs, les donateurs, etc.) à communiquer des chiffres (toujours sous des formats
différents) sur leurs activités, chiffres qui le plus souvent ne circulent que dans un sens,
sans revenir, traduits en information, à leur source. Il arrive donc que certains rejettent
spontanément les nouvelles demandes d’informations, synonymes pour eux de corvée.
•
Les lacunes dans les informations disponibles auprès des répondants.
Par exemple, la plupart des organismes versent des fonds aux ONG sans garder de trace
détaillée des projets financés jusqu’à leur achèvement. Ainsi, estimer les taux annuels
d’exécution pour l’intégralité du portefeuille de projets d’un organisme nécessiterait
une étude détaillée de chaque projet, et donc de se procurer les données auprès de
chaque ONG. Étant donné que ces dernières sont fort nombreuses, il serait peut-être plus
indiqué de s’appuyer sur un échantillon d’ONG plutôt que d’étudier tous les projets.
Par ailleurs, certaines lignes de financement sont consacrées à des programmes intégrés
(c’est-à-dire qui couvrent d’autres secteurs, comme l’éducation, l’agriculture, etc.), si
bien qu’il est difficile, voire impossible, d’obtenir des chiffres précis concernant la
Annexe 6a
certains donateurs, des fonds sont contrôlés par le siège, et d’autres par les bureaux de
pays, qui peuvent tout ignorer des lignes de financement accordées par le siège. De plus,
des autorités décentralisées, comme les régions et les communes, versent parfois des
fonds supplémentaires. Enfin, il arrive que des financements privés émanent du même
pays, sans que les autorités de l’État en aient connaissance, en totalité ou en partie.
190
Analyse du secteur de la santé dans les urgences complexes
santé. Les programmes visant à enrayer le VIH/sida sont ainsi souvent multisectoriels,
et donc complexes à étudier. De plus, de nombreux projets s’étendent sur plusieurs
zones administratives ou niveaux de soin, ce qui entrave l’examen analytique des
allocations respectives.
•
Étant donné l’incertitude du contexte politique, certains organismes peuvent hésiter à
communiquer les chiffres prévisionnels de leurs financements, ou tout simplement ne pas
être informés des grandes décisions qui sont prises au siège en fonction de l’évolution de la
situation politique et militaire. Malgré cette importante limitation, l’information à propos
des exercices en cours et passés (qui permettent d’étudier les tendances du financement)
devrait être disponible pour la plupart des organismes. Il convient toutefois de faire preuve
de prudence lorsque l’on interprète les tendances à venir, car elles indiquent souvent
un recul des niveaux de financement, qui s’amorce un ou deux ans après l’enquête.
Ce recul est souvent un artifice qui s’explique par la propension des donateurs à
communiquer des chiffres prudents qui ne tiennent compte que des engagements ou des
promesses fermes.
•
Dans un environnement en évolution rapide, le renouvellement fréquent du personnel
chez les donateurs limite le volume d’informations que ces derniers maîtrisent et la
collaboration qu’ils offrent.
Méthodes et dispositifs pratiques
Pour surmonter les réactions de méfiance, l’équipe qui réalise l’étude doit être perçue
comme indépendante des institutions pour lesquelles le résultat de l’enquête revêt un
intérêt particulier (outre la connaissance). Pour résoudre ce problème, on peut demander
à un organisme de recherche de chapeauter tout le dispositif. On peut aussi composer
une équipe conjointe comprenant des représentants des différentes parties. Si elle veut
motiver les informants, l’équipe doit bénéficier d’une solide réputation technique.
Elle doit aussi clarifier l’objectif de l’enquête et expliquer pourquoi chaque organisme
a tout intérêt à ce que l’on parvienne à une évaluation fiable de l’assistance extérieure
ciblant le secteur. Par exemple, recevoir un courrier signé par les principaux acteurs prêts
à promouvoir l’enquête pourrait inciter les autres organismes à y participer.
•
L’équipe chargée de l’enquête doit rester restreinte (2-3 personnes), afin de préserver la
cohérence du travail. Il est préférable que tous les membres de l’équipe se penchent sur
le cas des premiers organismes étudiés, afin de pouvoir s’entendre sur les méthodes et
les corrections à apporter.
•
Pour favoriser la participation, toutes les parties doivent accepter (et avoir l’assurance)
que les informations collectées tomberont dans le domaine public, seront largement
diffusées et resteront facilement accessibles pour toutes les parties prenantes.
•
L’équipe doit tester l’instrument d’enquête et les critères retenus pour la collecte des
données sur un petit échantillon d’organismes, choisis en raison de leur diversité.
Par exemple, un organisme bilatéral travaillant uniquement/principalement par
l’intermédiaire des ONG, une agence des Nations Unies gérant directement la plupart
de ses activités et une banque de développement pourraient constituer un échantillon
acceptable pour un cycle d’essai. Il faut par ailleurs encourager les organismes test à
faire part d’un retour d’information sur les problèmes rencontrés lors de la préparation
des données nécessaires, sur le volume de travail interne requis, etc., ce qui permettra
d’améliorer les outils d’enquête.
•
L’instrument d’enquête doit intégrer autant d’instructions et de définitions que nécessaire
afin de standardiser au maximum les réponses. Dans un environnement multilingue,
les malentendus sont particulièrement fréquents. Il convient donc de repérer autant que
possible les sources de malentendu et d’y remédier pendant la phase de test.
•
Il convient de présenter l’enquête à l’organisme interviewé lors d’une réunion formelle
pendant laquelle l’instrument est étudié par toutes les parties et les définitions,
questions et doutes sont éclaircis. Habituellement, une deuxième session de travail
Annexe 6a
•
Annexe 6a Pourquoi et comment effectuer une enquête sur les ressources extérieures
191
•
De nombreuses contributions extérieures sont apportées en nature, et l’organisme doit
en convertir la valeur en termes monétaires afin de pouvoir en faire état. Lorsqu’il ne
le fait pas, il faut convertir ces données à l’aide d’une grille de coûts standard, utilisée
pour toutes les sources. On se heurte à une difficulté particulière (fréquente dans le
cas de l’aide liée et des médicaments de marque) lorsque les organismes donateurs
ont acheté les apports en nature à un prix qui dépasse largement la moyenne des prix
internationaux. L’étude de ces écarts permet d’obtenir des informations précieuses sur
les inefficiences qui existent et offre un argument de poids en faveur de leur correction.
Toutefois, appliquer les mêmes critères à tous les informants peut se révéler très difficile
et coûteux en main-d’œuvre. Dans tous les cas, l’aide liée doit être traitée à part.
•
La plupart des organismes donateurs expriment les chiffres dans leur monnaie locale,
et ces chiffres doivent alors être convertis dans une unité commune, comme le dollar
des États-Unis. Si l’on utilise la monnaie locale, il convient de convertir les séries
temporelles en prix constants pour neutraliser l’effet d’une forte inflation. Lorsqu’on
veut harmoniser les taux de change, on peut avantageusement s’appuyer sur le site Web
http://www.oanda.com/convert/fxhistory, qui donne les taux de change annuels moyens
pour la plupart des monnaies. Le repli du taux de change du dollar des États-Unis par
rapport à la plupart des monnaies utilisées par les donateurs, qui s’est amorcé au milieu
des années 2000, risque de laisser croire à une augmentation des financements, alors que
ce ne fut pas le cas, ou d’aboutir à une surestimation des véritables augmentations. Pour
que les tendances suivies soient plus proches de la réalité, on peut envisager de convertir
tous les montants en euros.
•
Une fois que les enquêteurs ont compilé les données, il convient de retourner l’instrument
à chaque organisme concerné, afin qu’il en vérifie l’exactitude.
•
Il est pratique de commencer par les organismes de financement à proprement parler,
au niveau national. L’équipe pourra ainsi couvrir une large proportion du financement
total, accumuler une expérience précieuse, prendre confiance en elle et dans ses capacités,
sans pour autant engager de frais de déplacement. Une fois que l’on a une vision plus
claire de la situation au niveau national, on peut envisager d’étendre l’enquête aux ONG.
Cependant, cette deuxième phase suppose des instruments différents et un coût plus élevé.
De plus, de nombreuses ONG ne fonctionnent pas selon un budget formel, ce qui ajoute
aux difficultés. Avant de lancer l’enquête auprès des ONG, il convient donc d’envisager
de vérifier la cohérence entre les informations recueillies auprès des organismes financiers
et celles tirées d’un échantillon d’ONG. Si l’écart est important, il faut en comprendre les
raisons avant de concevoir l’enquête sur les contributions des ONG.
•
Étant donné la multiplicité des sources de financement et la fragmentation qui
prédomine, il est hors de question que l’enquête parvienne à une couverture
totale, même si les enquêteurs déploient tous les efforts possibles. Ces derniers
doivent décider quand cesser de rechercher les données manquantes (sources
inconnues ou impossibles à contacter ou organismes qui refusent de collaborer),
en raison des coûts qu’entraîne la recherche de toute information supplémentaire.
Une enquête couvrant plus de 80 % de toutes les sources de financement possibles doit
être considérée comme une réussite. Le rapport final doit mentionner clairement toutes
les sources de données manquantes identifiées.
•
Il convient de prendre des mesures pour capitaliser sur l’expérience accumulée lors
de l’exécution de la première enquête lorsque l’on élabore la suivante. Dans l’idéal, il
Annexe 6a
est nécessaire pour lever les doutes résultant de la compilation des données et pour
décider des approches les plus judicieuses à adopter en vue de surmonter les principales
difficultés. Pour certains organismes de configuration particulièrement complexes, une
troisième réunion peut se révéler utile. De nombreux organismes omettent d’actualiser
régulièrement les informations requises et doivent donc les collecter au moment du
lancement de l’enquête, ce qui peut prendre du temps et nécessiter des conseils techniques
de la part des responsables de l’enquête.
192
Analyse du secteur de la santé dans les urgences complexes
faut se doter d’une capacité permanente, conformément à ce qui est décrit à l’Annexe 5.
La mise en place d’une cellule d’information sur la politique sanitaire. S’il est encore
trop tôt pour le faire, il est recommandé de prendre des mesures afin de regrouper les
outils d’enquête, ce qui permettra aux enquêteurs de s’en servir à l’avenir.
Pour une excellente application de l’approche proposée dans la présente annexe, voir
Capobianco et Naidu (2008).
Annexe 6a
Les coûts et leur analyse
Il est primordial d’être conscient des coûts induits par toutes les décisions relatives au secteur
de la santé, et de comprendre le comportement relatif aux coûts, à tous les niveaux de soins,
et encore plus en cas de pénurie de ressources, dont souffrent invariablement les secteurs
de la santé en crise. Les gestionnaires du secteur de la santé doivent veiller à recueillir et
à analyser les données sur les coûts des soins : sans cette analyse, toute planification, tout
pilotage et toute évaluation deviennent des exercices vains.
Malheureusement, de par leur formation et leur expérience professionnelle, bon nombre de
ces gestionnaires ignorent tout de l’analyse des coûts et de la discipline que l’on acquiert
lorsqu’on la pratique. De plus, la rareté des informations adéquates et la difficulté objective
des évaluations économiques que l’on observe en cas de crise prolongée ne font qu’étendre
le règne de la subjectivité dans les décisions. Néanmoins, une analyse des coûts même
rudimentaire, ou du moins la conscience des concepts sur lesquels elle repose, constituent
des éléments incontournables de toute décision de gestion sensée.
Cette brève annexe a pour objectif de guider les professionnels de la santé dans le dédale
des concepts et des termes relatifs aux différents types de coûts, ainsi que dans leurs usages
différents. Pour une discussion détaillée, accessible aux profanes, des questions décrites ciaprès, voir les documents cités dans les Références bibliographiques.
Le coût s’entend comme la valeur des ressources utilisées pour produire quelque chose.
Il convient d’opérer une première distinction entre le coût financier et le coût économique.
Le premier « mesure l’argent que l’on perd lorsque l’on acquiert ou consomme une
ressource » (Perrin, 1988). Il indique donc combien d’argent a été dépensé pour les facteurs
utilisés pour apporter un service. Le coût économique exprime lui le coût total supporté par
la société, et se fonde sur le coût d’opportunité, soit le coût de l’alternative la plus appropriée
que l’on choisit de ne pas retenir. Par exemple, un travailleur du secteur des soins de santé
communautaires qui choisit de procurer des services gratuitement induit un coût d’opportunité
pour la société : il aurait pu consacrer son temps à une autre activité, par exemple à la culture
de la terre (le rendement de cette activité donnant une mesure du coût d’opportunité de
la prestation gratuite des services de santé). Mais si ce travailleur devient un réfugié et
qu’il ne peut accéder à aucune autre activité productive, le coût d’opportunité de son temps
recule significativement.
Les coûts économiques doivent inclure les biens et services qui sont produits gratuitement par
les donateurs ou les bénévoles et aussi ceux qui sont subventionnés (leur coût ne reflète plus
le prix du marché), et leur donner un prix. Pour évaluer ces coûts, il est fréquent de s’appuyer
sur les prix du marché local, ou sur les prix du marché corrigés, en cas d’imperfections (par
exemple des subventions) ou les prix du marché imputés, lorsque ces prix n’existent pas et
qu’il faut recourir à des valorisations de substitution. Par exemple, on peut se fonder sur le
salaire moyen de la main-d’œuvre locale pour évaluer le coût indirect (voir ci-après) d’un
domestique cherchant à se faire soigner.
Dans les contextes perturbés, lorsque les dons sont très nombreux, que l’on importe beaucoup
de facteurs et que les prix sont largement faussés par les subventions, il importe de corriger les
prix afin d’obtenir une estimation du coût économique effectif. Les secteurs sociaux, tels que
celui de la santé, profitant largement de ces facteurs, dans la plupart des cas, le recours à des
prix fictifs (shadow prices, comme on appelle ces prix corrigés) est obligatoire. Par exemple,
les médicaments qui ont été donnés peuvent gonfler le coût des soins de santé s’ils entrent
dans les calculs au prix auquel ils ont été achetés par un organisme caritatif occidental auprès
d’un distributeur d’un pays riche. Le recours aux prix locaux peut remédier à cette distorsion.
Inversement, lorsque les taux de change locaux sont grossièrement gonflés, l’utilisation des
prix internationaux peut être préférable. Les coûts économiques doivent également tenir
compte du coût d’opportunité d’investir aujourd’hui pour le service en question plutôt que
de retarder le paiement et d’utiliser l’argent à des fins productives.
Les facteurs ci-dessus expliquent pourquoi les coûts financiers sont inférieurs aux coûts
économiques. C’est la perspective de l’utilisateur des coûts et sa finalité qui déterminent quand
il faut utiliser le coût financier ou le coût économique. Le coût financier est principalement
193
Annexe 6b
Annexe 6b
Annexe 6b Les coûts et leur analyse
194
Analyse du secteur de la santé dans les urgences complexes
utilisé à des fins comptables et de gestion, tandis que le coût économique est privilégié pour
les valorisations économiques, la planification et l’allocation des ressources.
La définition des coûts financiers ci-dessus met en avant la valeur des ressources acquises
ou consommées, et non le coût effectif d’un bien. La valeur des ressources varie au fil du
temps et il existe souvent une différence de valeur entre l’achat et la consommation d’une
ressource : le coût historique désigne la valeur d’une ressource au moment où elle a été achetée.
Pour refléter cette différence, il est donc préférable d’utiliser le coût de remplacement
(courant), qui correspond au prix de la ressource consommée si elle était achetée aujourd’hui.
Le recours au coût de remplacement est particulièrement justifié pour les infrastructures de
santé, qui ont parfois été construites plusieurs décennies avant la date de l’analyse. Le coût
historique de la construction se révélerait plutôt inutile dans le contexte de la planification du
relèvement d’un réseau ravagé, de sa restructuration ou de son expansion. Le coût d’achat
est le prix payé pour acheter un service en dehors de l’organisation (voir l’Annexe 7 sur la
contractualisation), au lieu de se procurer ce service à l’aide des ressources internes.
Certains coûts varient avec le volume d’activité, certains restent fixes, et d’autres sont dans
le cas intermédiaire :
• Les coûts fixes restent constants, indépendamment de ce qui est produit, du moins à court
terme. Exemple : achat de matériel, location d’un immeuble, salaire d’un responsable
administratif. Les coûts irrécupérables représentent une catégorie de coûts particulière,
qui ont été engagés de manière irrévocable et qui ne peuvent pas être récupérés :
il s’agit par exemple du coût de la formation d’un professionnel de santé qui émigre
ultérieurement. La prestation des soins de santé a tendance à s’accompagner de coûts
fixes élevés, liés à l’infrastructure, à l’équipement et au personnel.
•
Les coûts variables varient proportionnellement au volume d’activité. Exemples :
médicaments, consommables, alimentation, carburant.
•
Les coûts semi-variables ont une composante fixe et une composante variable.
Par exemple, la masse salariale se compose d’une partie fixe, car les fonctionnaires
doivent être rémunérés quelle que soit leur charge de travail, et d’une partie variable,
correspondant au personnel recruté à durée déterminée, par exemple les vaccinateurs
pendant une campagne.
•
Les coûts par paliers ont le même comportement que les coûts fixes jusqu’à ce que le
niveau d’activité atteigne un certain seuil. Ils passent alors au niveau supérieur. Exemple :
un médecin peut traiter un certain nombre de patients, mais si ce nombre est dépassé, un
autre médecin doit être recruté, et le coût du travail fait un bond.
•
Le coût total est la somme des coûts fixes, variables, semi-variables et par paliers pour
un volume d’activité donné.
Annexe 6b
En divisant le coût total par la production (nombre d’unités produites), nous obtenons le coût
unitaire (ou coût à la pièce), par exemple le coût du traitement d’un patient.
Les centres de coûts sont des unités au sein des organisations (service d’un hôpital, centre
de santé, etc.) pour lequel on souhaite identifier et analyser les coûts. Il est important de
définir précisément la structure et les fonctions des centres de coûts que nous entendons
analyser et comparer, et d’identifier une unité moyenne typique afin d’éviter de tirer des
conclusions erronées.
Une autre classification pertinente se fonde sur la durée de vie utile des facteurs nécessaires
à une activité : les coûts d’équipement sont les coûts des ressources qui durent plus d’un an
(par exemple, bâtiments, véhicules, formation préalable, ordinateurs et autre matériel) tandis
que les coûts récurrents sont ceux des facteurs qui durent moins d’un an et qui doivent
être achetés régulièrement (salaires, médicaments, carburant, chauffage, etc.). Le matériel
qui dure plus d’un an mais qui coûte très peu cher peut être considéré comme une dépense
récurrente à condition que le plafond de prix soit défini et utilisé de manière systématique
(habituellement US $100). La distinction entre coût d’équipement et coût récurrent est
importante, car la plupart des budgets présentent cette structure « duale ».
Annexe 6b Les coûts et leur analyse
195
Les facteurs d’équipement sont achetés à un moment dans le temps, mais sont utilisés
pendant une période, et leurs coûts doivent donc être étalés sur cette période. Puisqu’ils
peuvent représenter des sommes substantielles (par exemple dans le cas d’un immeuble), qui
sont mobilisées et qui ne peuvent pas produire de rendement, il importe de tenir compte de
l’intérêt des autres opportunités d’investir ce capital. Pour ce faire, on utilise des techniques
d’annualisation, qui tiennent compte de la dépréciation de l’actif et de la préférence pour
le présent (actualisation). Si, au contraire, notre analyse se borne à comptabiliser le coût
du capital, nous pouvons nous contenter d’estimer la dépréciation du bien d’équipement.
La méthode la plus simple est celle de l’amortissement linéaire, avec laquelle le coût de
remplacement du bien d’équipement est divisé par le nombre d’année de vie utile attendu.
Voici un exemple de classification type des coûts par catégorie de
facteurs
Coûts d’équipement
Coûts récurrents
Immeubles
Salaire du personnel
Véhicules
Médicaments, fournitures, vaccins
Équipement
Carburant et maintenance des véhicules
Formation avant emploi
Formation en cours d’emploi
Etc.
Exploitation et maintenance des bâtiments
Il est également possible de classer les coûts suivant la fonction et l’activité (gestion,
supervision, formation, etc.), par niveau d’utilisation et par source.
Les coûts financiers d’un service peuvent être répartis en coûts directs, indirects et généraux.
Les coûts directs ont trait aux ressources directement consommées pour la production
du service : médicaments, personnel, etc. Les coûts indirects sont ceux des ressources
utilisées pour la prestation des services par les unités d’appui (par exemple la radiologie,
les laboratoires) qui fournissent de manière centralisée les autres départements. Les frais
généraux sont les coûts relatifs aux ressources partagées utilisées pour le fonctionnement
de l’organisation dans son ensemble, mais qui n’ont pas directement trait aux soins : gestion,
sécurité, etc. Il n’est pas possible d’allouer directement les coûts indirects et les frais
généraux, car leurs ressources partagées servent à différents clients. Il existe différentes
techniques pour répartir ces types de coûts, sur la base de la distribution de l’utilisation des
ressources entre les différents centres de coûts. Dans le cadre d’une évaluation économique
(plutôt que financière), cette classification est utilisée différemment : les coûts directs sont
ceux qui ont trait à la prestation et à l’utilisation directes des services de santé, les coûts
indirects renvoient à la perte de productivité des patients et des soignants en raison du
traitement médical, et les coûts intangibles ne peuvent pas être évalués, car ils concernent la
douleur, la souffrance, la stigmatisation sociale, etc.
Dans les comparaisons de coûts, on utilise le coût marginal, défini comme le coût
supplémentaire supporté pour produire une unité de service supplémentaire. Par exemple,
admettre un patient supplémentaire à l’hôpital alors que le taux d’occupation des lits n’est
que de 60 % n’entraîne qu’une hausse de coût modeste. Inversement, une fois que tous les
lits sont occupés, admettre un patient de plus suppose d’agrandir le service, de recruter du
personnel supplémentaire, etc. Le coût marginal augmente alors considérablement. On préfère
souvent utiliser le coût marginal plutôt que le coût moyen, surtout pour les microdécisions à
court terme (par exemple lorsqu’un directeur d’hôpital a besoin d’évaluer plusieurs
options). Au niveau macro et à long terme, les coûts moyens reflètent bien les véritables
coûts variables.
Il est délicat de comparer les coûts et les prix au fil du temps dans un environnement perturbé,
en raison des variations spectaculaires du pouvoir d’achat de la monnaie qui ne sont pas rares
dans de telles situations. Pour pouvoir tirer des conclusions significatives, il faut convertir
les montants courants ou nominaux en termes constants ou fixes. Pour y parvenir, il faut
Annexe 6b
Etc.
196
Analyse du secteur de la santé dans les urgences complexes
tenir compte de l’inflation. La pratique courante consiste à prendre pour année de base (ou
de référence) la première année d’une série temporelle, à laquelle se référeront toutes les
valeurs suivantes. Les prix des années suivantes sont ensuite déflatés, c’est-à-dire corrigés
en fonction du taux d’inflation observé pendant l’année correspondante, ce qui les rend
comparables à ceux de l’année de base. Les déflateurs sont généralement calculés par les
autorités centrales telles que le ministère des Finances, l’institut national de la statistique ou
la banque centrale. Dans les pays connaissant des perturbations, les déflateurs officiels sont
souvent inexistants ou contestés, ce qui rend difficile, voire impossible, l’établissement de
comparaisons pertinentes sur la durée. Les économies dirigées par l’État central posent des
difficultés particulières, car l’accès aux ressources n’y dépend pas strictement de l’argent.
Ainsi, dans un pays en transition entre l’administration centralisée et l’économie de marché,
les tendances de financement peuvent se révéler très trompeuses.
Les données financières sont généralement produites par les différents départements des
organisations sanitaires à des fins comptables. Pourtant, il est rare de trouver une présentation
ou une analyse consolidée des coûts supportés par ce secteur. Cette carence s’explique en
partie par la séparation fonctionnelle entre les dirigeants et le personnel administratif, ainsi
que par la fragmentation de ces données entre les différents départements. Par ailleurs,
l’existence de sources de financement et de procédures comptables différentes ne facilite
pas la reconstitution du tableau d’ensemble. De plus, de nombreux systèmes d’information
financière sont conçus pour maîtriser les dépenses, plutôt que pour les optimiser, et procurent
des données d’une utilité limitée pour l’analyse des coûts, qui requiert des études ad hoc.
Les difficultés techniques liées à l’identification, à la valorisation, à l’interprétation et à
la comparaison des coûts découragent également les dirigeants. Cependant, étant donné
la pénurie de ressources et le gaspillage qui frappent de nombreux secteurs de la santé
en difficulté, l’analyse des coûts peut établir le socle qui permettra de dégager des gains
d’efficience spectaculaires.
Annexe 6b Références bibliographiques
Annexe 6b
Creese A. et Parker D. (eds.). Cost analysis in primary health care: a training manual for
programme managers. Genève, Organisation mondiale de la Santé, 1994. Disponible en
ligne à l’adresse suivante : www.who.int, consulté le 10 janvier 2011.
Introduction brève et brillante aux concepts, termes et méthodes, accessible aux profanes,
facilement lisible, qui abonde d’exemples pertinents et est complétée par des exercices.
Point de départ recommandé aux professionnels de la santé qui ont besoin d’acquérir les
notions de base de l’économie de la santé, de l’analyse des coûts, de l’évaluation, de la
planification et du management.
Kumaranayake L. The real and the nominal: making inflationary adjustments to cost and
other economic data. Health Policy and Planning, 15, 230-234, 2000.
Perrin J. Resource management in the NHS. Londres, Chapman and Hall, 1988.
Walker D. et Kumaranayake L. Allowing for differential timing in cost analyses: discounting
and annualization. Health Policy and Planning, 17, 112-118, 2002.
Analyser les modèles de prestation
des soins de santé
Module 7
198
Analyse du secteur de la santé dans les urgences complexes
Résumé
Le présent module s’intéresse aux principaux aspects qu’un pays en situation de crise doit
prendre en considération en matière de prestation de soins de santé. Le taux de couverture
par les services de santé les plus importants, le volume de soins fourni par les établissements
de santé, ainsi que l’efficience, l’efficacité et la qualité des soins dispensés constituent les
éléments de base à étudier. Ce module passe en revue les différents modèles de prestation des
soins de santé pour mieux comprendre comment fonctionnent les secteurs de la santé et pour
contribuer au débat sur le relèvement et la réforme de ces secteurs. L’intérêt des différents
programmes de prestations de base est ensuite évalué. Dans une seconde partie, le module
aborde des aspects particuliers de la prestation de soins comme les modèles de prescription,
les programmes verticaux, les soins de santé en milieu urbain, les services sanitaires mobiles
et les soins dispensés dans le cadre d’opérations de secours humanitaires.
L’annexe 7 traite des motivations, des modalités, des avantages et des limites de la
contractualisation des services de santé, une option déjà adoptée par le secteur de la santé de
certains pays sortant d’un conflit et à l’étude dans de nombreux autres.
Modules connexes :
Module 2. Donner un sens (approximatif) à des données (bancales)
Module 5. Comprendre les processus d’élaboration de la politique sanitaire
Module 9. Examiner le réseau de santé
Module 11. Analyser le sous-secteur pharmaceutique
Couverture sanitaire
Module 7
Les réinstallations liées à des événements violents conduisent les populations concernées
à se regrouper à l’écart des zones les plus dangereuses. La répartition disparate de ces
populations diminue l’utilité des mesures de couverture géographique. L’accès effectif
des populations aux soins serait un indicateur bien plus significatif, mais il est difficile
à mesurer, notamment dans les zones instables. C’est pourquoi l’utilisation des soins sert
souvent d’indicateur de substitution de l’accès aux soins. L’accès des utilisateurs potentiels
aux soins peut être permanent dans les zones non touchées par les troubles ou intermittent
du fait d’interruptions de la prestation résultant de problèmes de sécurité ou de logistique
ou encore du fait de mouvements de populations. Si la nature même de certains services
(vaccination, par exemple) autorise un mode de fourniture intermittent, d’autres, au contraire,
sont fortement pénalisés en cas d’interruption et d’imprévisibilité.
En obligeant des communautés auparavant dispersées ou nomades à se concentrer à proximité
des services de santé, les épisodes de violences peuvent améliorer l’accès physique aux
soins. Les violences intracommunautaires peuvent modifier en profondeur la répartition
géographique des individus et, donc, également modifier la carte de l’accès aux services
de soins. Même si, avant la crise, les structures de soins étaient utilisées par différents
groupes ethniques ou religieux, le réseau de soins peut ensuite se recomposer en portions
mutuellement inaccessibles, contrôlées par telle ou telle partie en conflit et utilisées par les
populations leur étant affiliées. La couverture sanitaire s’interprète dès lors différemment.
Compartimentés, les services de santé deviennent partie intégrante du conflit politique en
cours, puis de sa résolution.
On ne dispose de taux de couverture détaillés pour quasiment aucun secteur de la santé
en situation de crise. La couverture sanitaire est calculée à l’aide d’unités quantitatives
(accouchements assistés, vaccination antirougeoleuse, etc.) mais les estimations
démographiques ne sont pas fiables. Des enquêtes types comme les enquêtes démographiques
et sanitaires ou les enquêtes en grappes à indicateurs multiples (MICS) ont été réalisées dans
de nombreuses situations d’urgence complexe mais leurs résultats peuvent avoir été biaisés
par des difficultés d’échantillonnage liées à des problèmes de sécurité ou d’accessibilité.
Les estimations auxquelles ces enquêtes ont abouti doivent être interprétées en tenant compte
des groupes étudiés. Les populations échantillonnées peuvent être essentiellement urbaines
ou n’inclure que certaines régions privilégiées ou encore exclure un pourcentage important
d’individus concernés mais vivant dans des zones contrôlées par des groupes rebelles.
Les enquêtes sur les taux de couverture, qui sont réalisées par des programmes spéciaux
tels que le Programme élargi de vaccination (PEV), viennent très utilement compléter les
évaluations générales. Comme c’est systématiquement le cas avec les programmes spéciaux,
leurs résultats ne sont pas représentatifs des performances des services de santé en général.
Les estimations de l’utilisation des services de soins telles que le nombre annuel de soins
ambulatoires par habitant sont extrêmement intéressantes. Étant donné la fragmentation de
l’offre de services, les chiffres de la consommation dont on dispose sont souvent incomplets,
ne reflétant qu’une faible partie des performances totales. Avant de les utiliser, il faut
généralement opérer quelques ajustements pour tenir compte des données manquantes.
Il est fréquent que les prestations des organismes d’aide humanitaire soient comptabilisées
séparément des prestations équivalentes fournies par le système de santé traditionnel.
La consommation de services curatifs est la plupart du temps sous-estimée, surtout en ville,
où sont concentrés les prestataires de soins privés à but lucratif.
Les données relatives à la couverture et à l’utilisation doivent toujours être croisées avec
les données sur l’offre de services. Les résultats concernant les services de santé ne pouvant
être fournis qu’au moyen de matériels, d’équipements ou de personnels particuliers doivent
être globalement proportionnels à ces intrants. Par exemple, l’examen des frottis de crachats
permettant de dépister la tuberculose nécessite de disposer de microscopes et de personnel
de laboratoire. Les décalages importants entre le nombre de nouveaux cas signalés et les
équipements et personnels requis amènent à s’interroger sur la fiabilité des données ou
l’utilisation des intrants notifiés.
La méthode de collecte des informations relatives aux soins de santé influe sur la méthode
choisie pour étudier la consommation de services. Dans les secteurs où sont utilisés des
outils standard de collecte de données, les tentatives d’agrégation des chiffres déclarés par
des prestataires de services épars ont quelques chances de réussir. Elles peuvent permettre de
dresser un tableau détaillé, encore qu’imprécis. Avec des systèmes de collecte fragmentaires,
où les différentes catégories de prestataires n’ont pas défini de méthodes communes, il n’est
pas possible d’agréger des données hétérogènes. Les chiffres disponibles, sélectionnés pour
leur fiabilité et compilés sous la forme de séries de données couvrant différentes régions
et différents contextes, doivent demeurer séparés. De cette manière, les séries présentées
peuvent refléter les caractéristiques d’un service donné et révéler des lacunes au niveau de
la prestation de services.
Avec l’aggravation de la crise, l’offre devient très inégale. Les ressources sont concentrées
dans les zones accessibles, sûres, qui peuvent tirer un avantage disproportionné de cette
situation et afficher des niveaux d’offre de services qu’elles n’avaient jamais atteints (y
compris en temps de paix). Tant pour des motifs de sécurité que des raisons opérationnelles,
les organismes d’aide humanitaire privilégient les régions frontalières. Dans les pays en
proie à des troubles, de très vastes portions de territoires, parfois vidées de leur population
originelle, peuvent être privées de services de santé, y compris des plus élémentaires.
La couverture sanitaire de base est un concept auquel il est fréquemment fait
référence mais dont la définition reste vague. Quand un paquet de services essentiels
a été officiellement formulé, il constitue un point de départ pour le travail d’analyse.
Comme l’adoption universelle d’un paquet de base officiel est rare dans les secteurs de
la santé ravagés par la guerre, on retrouve souvent toute une série de services considérés
comme « essentiels » par différents prestataires dans différents contextes. Dans la plupart
des cas, malgré la fragmentation, certains services essentiels sont fréquemment proposés.
Il est plus parlant d’exprimer le taux de couverture par les services essentiels sous la forme
d’un intervalle entre le service ayant le meilleur taux de couverture (PEV, en général) et
le service ayant le plus bas (il s’agit, presque toujours, des accouchements assistés par du
personnel qualifié). Dans certains pays, l’indicateur des accouchements assistés inclut les
accouchements assistés par des accoucheuses traditionnelles, ce qui peut expliquer certains
chiffres étonnamment élevés (voir le tableau ci-dessous, par exemple).
Pour évaluer l’accès aux services essentiels de la population cible, les indicateurs suivants se
révèlent utiles, pour peu qu’ils aient été calculés de manière fiable. L’utilisation de certains
199
Module 7
Module 7 Analyser les modèles de prestation des soins de santé
200
Analyse du secteur de la santé dans les urgences complexes
services est mieux exprimée sous la forme d’un taux de couverture allant de 0 à 100 %,
tandis que, dans d’autres cas, la mesure la plus appropriée semble être la consommation
de services, c’est-à-dire le nombre de services utilisés par personne et par an. Les taux
de couverture nationale masquent généralement de formidables disparités à l’intérieur du
territoire. Ils devraient donc être complétés par les taux de couverture enregistrés dans les
zones privilégiées et dans les zones mal desservies. Lorsque les estimations de population
ne sont manifestement pas fiables, mieux vaudrait ne calculer aucun taux de couverture.
La production de services exprimée en valeur absolue est alors préférable.
• Couverture par le vaccin DTC3. Cette donnée peut servir d’indicateur de substitution
de la proportion d’enfants entièrement vaccinés (couverts par le PEV), dans le cas,
fréquent, où le statut « ayant reçu tous les vaccins » n’est pas enregistré dans le système
d’information. Sachant que ce vaccin nécessite trois contacts répartis sur au moins deux
mois pour qu’ils soient atteints, les taux élevés de couverture par le DTC3 donnent à
penser que l’accès aux services de vaccination est relativement prolongé. Les couvertures
vaccinales calculées à partir d’enquêtes en grappes sont plus fiables que celles obtenues
à partir des injections déclarées et des populations théoriques. Malheureusement, les
enquêtes en grappes se rapportent souvent aux populations vivant dans des zones sûres.
Module 7
•
Couverture antirougeoleuse (indicateur pertinent en raison de l’importance de cette
maladie parmi celles que cible le PEV). N’exigeant qu’une seule injection pouvant être
effectuée en dehors des établissements de soins, c’est celle qui affiche généralement
les taux les plus élevés. Les campagnes de vaccination peuvent entraîner de fortes
variations de cet indicateur. Les chiffres concernant la couverture vaccinale aident à
vérifier la fiabilité des estimations démographiques : le fait que l’on constate souvent des
taux de couverture largement supérieurs à 100 % conduit logiquement à s’interroger sur
l’exactitude de ces estimations.
•
Nombre moyen de consultations ambulatoires par habitant et par an. Certains systèmes
d’information sanitaire traitent différemment les premières consultations et les visites
de suivi. La décomposition de cet indicateur par type de praticien fournit des indices
supplémentaires sur le niveau des soins fournis. Les résultats sont fortement influencés
par la disponibilité des médicaments.
•
Proportion d’accouchements assistés par du personnel médicalement qualifié ou, en
fonction du système d’information en place, proportion d’accouchements ayant lieu
dans un établissement de santé. Si un pourcentage important d’accouchements ayant lieu
« dans un établissement de santé » est assisté par du personnel non qualifié, l’interprétation
de l’indicateur est différente. Généralement, cet indicateur correspond au taux de
couverture le plus faible parmi les services de base.
•
Proportion des nouveaux cas de tuberculose attendus détectés et proportion de ces
malades ayant suivi tout le protocole thérapeutique. Il est fréquent que le nombre
de nouveaux cas attendus soit estimé à partir d’hypothèses réellement audacieuses.
Avant d’interpréter cet indicateur ou de procéder à des comparaisons avec des contextes
différents, il est préférable d’évaluer la manière dont le taux d’incidence a été estimé.
•
Proportion des nouveaux cas attendus d’autres maladies transmissibles importantes
détectés puis traités. Le taux de couverture est à interpréter différemment selon que les
services de lutte contre la maladie sont intégrés dans les services médicaux généraux ou
fournis par le biais de programmes spéciaux distincts.
•
Des indicateurs se rapportant aux soins hospitaliers seraient extrêmement intéressants
mais il est rare que l’on puisse en disposer à l’échelle nationale. Pour estimer le nombre
de dossiers, mieux vaut se fonder sur les journées d’hospitalisation que sur les admissions
ou les sorties. Compte tenu des fortes variations qu’ils enregistrent, il est préférable de
mesurer ces indicateurs sur des périodes prolongées.
•
Les taux de couverture par d’autres services de base, tels que la surveillance de la
croissance et les consultations prénatales, sont généralement moins révélateurs des
Module 7 Analyser les modèles de prestation des soins de santé
201
performances des services en général ; en effet, leurs niveaux souvent excessivement
élevés s’expliquent la plupart du temps par des normes techniques reflétant un niveau
d’exigence trop bas pour être acceptable.
Au sujet des indicateurs, voir le Module 2 et l’Annexe 2.
Le tableau ci-dessous présente un échantillon d’indicateurs relatifs à la consommation de
services de santé. Ils ont été mesurés pour de nombreux secteurs de la santé en situation de
crise. L’objectif est de montrer la fourchette des valeurs les plus souvent constatées dans les
zones pauvres et désorganisées. Les années choisies se rapportent autant que possible à la
période de crise ou la période juste après. Les nombreuses cases vides correspondent aux cas
où aucune estimation fiable n’était disponible.
Consommation de services et taux de couverture dans le secteur de la
santé de certains pays
Pays
Accès aux
services
de santé
de base
Consultations
ambulatoires
par habitant
et par an
Afghanistan
Angola
24 %
Bande de Gaza
et Cisjordanie
Cambodge
Accouchements
assistés par du
personnel qualifié
Année
35%
19%
2006
17 %
1998
94 %
>95 %
2008
33 %
39 %
34 %
1998
31 %
74 %
2007
Congo
(République
démocratique)
0,3
Enfants
couverts
par le PEV
0,2
Kosovo
Libéria
Mozambique
Ouganda
Soudan
72 %
1999
39 %
46 %
2007
45 %
26 %
1993
20 %
2003
30 %
0,4
57 %
0,7
84 %
40-60 %
0,8
27 %
2001
Note 1 : pour l’Afghanistan, le Mozambique et l’Ouganda, la couverture par le vaccin DTC3 est utilisé
comme indicateur indirect de la proportion d’enfants entièrement vaccinés.
Note 2 : s’agissant de la République démocratique du Congo, les chiffres indiqués pour les accouchements assistés par du personnel qualifié proviennent de l’enquête démographique et sanitaire 2007.
Bien que cette source soit globalement sûre, les chiffres semblent trop élevés pour être fiables.
L’utilisation des services de santé disponibles est inégale. Les hôpitaux tertiaires dans des
zones sûres densément peuplées et n’ayant pas des capacités suffisantes de filtrage des premiers
contacts dans leurs environs tendent à être sursollicités par des patients atteints de pathologies
communes et se présentant spontanément, sans prescription médicale. À l’inverse, nombre
d’établissements de soins primaires situés en périphérie sont sous-utilisés en raison de la
médiocrité des services proposés, des difficultés d’accès et de la concurrence exercée par
d’autres prestataires de soins (parfois soutenus par des ONG ou des organismes caritatifs).
La participation financière des patients a été identifiée comme l’une des principales causes
de la faible utilisation des services de santé. La facturation informelle des soins par des
agents de santé a également un effet dissuasif sur la consommation de services.
Il est souvent difficile de disposer de données fiables et complètes sur le volume de soins
fournis. Les chiffres nationaux peuvent induire en erreur car le phénomène de sous-déclaration
est important. Pour y remédier, un échantillon d’établissements dont les déclarations sont
réputées fiables peut être utilisé pour calculer le rapport moyen personnel/patient. Dans de
nombreux cas, les ONG fournissent les données se rapportant aux établissements qu’elles
soutiennent. Si l’on se sert de ces chiffres, il faut les interpréter avec prudence. Au sujet des
problèmes de données les plus courants et des moyens d’y remédier, voir le Module 2.
Module 7
Utilisation des services proposés dans les établissements de soins
202
Analyse du secteur de la santé dans les urgences complexes
Module 7
Les chiffres concernant la charge des services varient de manière spectaculaire et aléatoire
selon les périodes, en fonction de l’évolution de la sécurité, des approvisionnements et des
effectifs. Les évaluations trop ponctuelles peuvent être trompeuses. Quand elles existent, les
séries chronologiques fournissent des indications importantes sur la direction prise par les
services. Toutefois, en raison de la non-déclaration d’un grand nombre de données, un travail
considérable de nettoyage et de correction des données est nécessaire pour construire des
séries chronologiques. Les modifications des flux d’informations et les erreurs de données
sont trop souvent prises à tort pour des variations du volume d’activité des services.
Les charges de travail moyennes pour les principales catégories d’établissements ou
les grandes catégories de services (hospitalisations, soins ambulatoires, interventions
chirurgicales majeures, etc.) sont des données utiles pour évaluer la consommation des
services disponibles. Comme chaque catégorie d’établissements englobe à la fois des unités
de soins trop et trop peu utilisées, les chiffres moyens seraient à compléter avec les chiffres
les plus élevés et les plus bas.
Le taux d’utilisation des services peut atteindre des niveaux très élevés parmi les personnes
déplacées, généralement en mauvaise santé. L’accès aux centres de soins, souvent facilité
ou instauré par des organismes de secours humanitaires, encourage la consommation.
Pour les populations déplacées, le chiffre de quatre consultations ambulatoires par habitant et
par an est considéré comme un chiffre standard (Projet Sphère, 2004), alors que la moyenne
nationale est souvent inférieure à un. Ces derniers chiffres incluent rarement les services
proposés aux réfugiés et aux personnes déplacées dans leur propre pays.
Les secteurs de la santé hypertrophiés tendent plus que les autres à dilapider leurs ressources
limitées dans des établissements sous-utilisés où la qualité des soins ne satisfait pas à des
normes acceptables, ce qui crée une spirale descendante en termes d’efficience et d’efficacité.
Quand le pouvoir politique est contesté, les autorités peuvent attacher une importance
particulière à ces établissements en décrépitude, davantage destinés à signaler la présence
gouvernementale qu’à dispenser des soins.
Il n’est pas rare de constater des charges de travail excessives dans certains établissements
privilégiés en termes de localisation, d’actifs ou de moyens. Les surcharges peuvent être
transitoires, liées à la présence de personnes déplacées ou de praticiens renommés. En outre,
en temps de guerre, l’offre de services particulièrement appréciés par les patients, quels que
soient leur valeur objective et la praticité dans un établissement donné, peut ponctuellement
doper la consommation. Ainsi, les hôpitaux soutenus par des associations caritatives peuvent
voir augmenter le chiffre des hospitalisations pour la tuberculose quand ils proposent des
repas gratuits.
En raison de la diminution du réseau de soins périphérique, de problèmes de sécurité ou
de leur mobilité limitée, certains patients peuvent effectuer des séjours prolongés dans
un établissement de santé ou à sa proximité. Les hospitalisations ont de plus en plus la
préférence, davantage pour des raisons de commodité que des raisons techniques. Le fait
même que des lits soient disponibles induit des admissions, dont certaines ne sont pas
strictement nécessaires. Dans les hôpitaux de mission, le nombre des hospitalisations tend à
être plus élevé qu’ailleurs.
Les épidémies qui, souvent, frappent les populations exposées à des violences tendent à absorber
l’essentiel des capacités hospitalières. Les victimes de famines sont souvent hospitalisées
lorsque les autres modes de prise en charge ne sont pas ou plus disponibles. Les services en
charge des maladies chroniques, qui, en principe, peuvent être gérées en ambulatoire, sont
de plus en plus utilisés et doivent souvent être agrandis. Les populations en mouvement qui
trouvent des hôpitaux sur leur route peuvent temporairement venir les surcharger.
Si ces facteurs sont insuffisamment pris en compte, l’augmentation de la charge de
travail en milieu hospitalier peut inciter à réinvestir dans des infrastructures lourdes, au
risque d’entraîner ensuite des surcapacités. Le fait de disposer de financements extérieurs
grâce à la crise exacerbe cette tendance. Avant d’investir, il faut soigneusement étudier la
population d’usagers et les pathologies qui seront prises en charge par les établissements.
Module 7 Analyser les modèles de prestation des soins de santé
203
Si ces informations sont rarement disponibles à l’échelon central, où sont prises la majorité
des décisions d’investissement relatives au secteur hospitalier, elles le sont généralement au
niveau des établissements.
Évaluer l’efficacité et l’efficience des prestations de services de
santé
De nombreux indicateurs fournissent des éléments permettant d’évaluer l’efficacité et
l’efficience des prestations. À propos de certains des indicateurs les plus utiles et de leurs
limites, voir l’Annexe 2. Pour les définitions associées au terme « efficience », voir le glossaire
du Module 14. Ressources.
Les niveaux globaux d’efficacité et d’efficience doivent être évalués en passant en revue
le plus grand nombre possible d’indicateurs pertinents. Quand la situation est instable, il
est rare de pouvoir mesurer directement l’efficacité et l’efficience ; il faut alors rassembler
divers éléments d’information, parfois de nature qualitative. Certains des éléments examinés
constituent des indices indirects de l’efficacité et de l’efficience. La majorité d’entre eux ont
trait à la fois à l’efficacité et à l’efficience.
L’étude des niveaux d’efficacité et d’efficience peut donner des résultats très contrastés.
L’efficience est susceptible d’être globalement médiocre quoiqu’inégale. Les coûts de
prestation augmentent car l’impératif de réaction à la crise et la générosité des financements
offerts, de même que la modestie des exigences comptables, rendent les gestionnaires moins
sensibles à la question de l’efficience. Les normes opérationnelles sont fixées à des niveaux
qui ne sont tenables que sur de courtes périodes et avec le soutien d’organismes extérieurs
puissants. L’initiative autochtone est étouffée par la mise à disposition de ressources très
majoritairement étrangères. Le conflit en cours contribue à justifier des décisions inefficientes
qui, en temps normal, paraîtraient inacceptables.
Dans cet environnement critique, certains organismes, établissements ou programmes sont
capables de fournir des services de manière efficace. Leurs bons résultats peuvent être
reconnus et jugés transposables à une plus grande échelle ou dans un domaine connexe. Il est
rare que ces modèles performants survivent à leur expansion ou puissent être reproduits dans
un autre cadre alors que les conditions initiales ayant permis leur succès ne sont pas réunies.
En raison des restrictions de ressources, il n’est pas possible d’augmenter indéfiniment à
la fois l’efficacité et les taux de couverture : au-delà d’un certain seuil, les progrès ne sont
possibles que sur un seul plan, au détriment de l’autre.
Les coûts très élevés qu’il faut engager pour obtenir de bons résultats dans des environnements
difficiles peuvent demeurer partiellement ignorés car ils ne figurent pas en totalité dans les
budgets ou sont engagés loin du lieu de prestation des services. Les contributions volontaires
ou les dons sont rarement enregistrés car ils sont faits « à titre gracieux ». Ils peuvent induire
des coûts d’opportunité considérables qui, une fois correctement calculés, jettent un éclairage
différent sur des résultats jugés satisfaisants. Lorsque l’on compare des performances, le
risque d’omettre des coûts cachés existe toujours.
•
Déséquilibres entre les différents niveaux de soins et entre les services ;
•
Qualité médiocre des soins prodigués ;
•
Non-observance par les prescripteurs des protocoles thérapeutiques les plus indiqués ;
•
Mauvaise observance par les patients de leurs régimes thérapeutiques ;
•
Multiplication des crises et des urgences donnant à penser que le système est
insuffisamment équipé pour faire face aux événements (ordinaires pour la plupart mais
pour certains imprévisibles) ;
Module 7
Aspects signalant une prestation inefficace des services :
• Absence de direction politique accompagnée d’une prolifération des priorités, des
programmes et des initiatives ;
204
Analyse du secteur de la santé dans les urgences complexes
•
Apparition de flambées de maladies malgré les mesures de lutte contre la maladie prises
en amont et censées être efficaces ;
•
Marchandisation des soins de santé, les décisions diagnostiques et thérapeutiques se
fondant essentiellement sur le critère de l’intérêt commercial ;
•
Recours à des techniques inappropriées ou erronées, parfois parce que les matériels et
les médicaments ont été offerts ou, pour être plus précis, ont été bradés à très bas prix,
dans des situations d’urgence.
Aspects signalant une prestation inefficiente des services :
• Problèmes de redondances et de chevauchements des services et des fonctions ; répétition
d’initiatives identiques ;
•
Répartition déséquilibrée : concentration des ressources à certains niveaux de soins
ou dans des services particuliers, au détriment d’autres pourtant aussi importants.
Investir dans des dispositifs de soins communautaires en négligeant les services d’appui
est un exemple classique de déséquilibre. Pour une autre illustration de ce problème, se
reporter à l’Étude de cas no 14 ;
•
Caractère ambigu des fonctions et des responsabilités, dispersées entre plusieurs
organismes et organisations ;
•
Disproportion entre les tâches à accomplir et les ressources allouées ;
•
Erreurs d’attribution des responsabilités, les gestionnaires centraux se voyant confier des
tâches périphériques ;
•
Faible utilisation des services de santé proposés. Parfois, le système se dessert lui-même,
comme, par exemple, quand un mécanisme de partage des coûts est instauré dans le
cadre de services d’urgence très coûteux proposés à des populations pauvres ;
•
Faibles charges de travail ;
•
Sous-utilisation des intrants disponibles (agents de santé inoccupés, par exemple);
•
Longues durées d’hospitalisation ;
•
Taux d’abandon élevés parmi les patients inscrits à un programme de soins ;
•
Multiplication des protocoles et des barèmes ;
•
Généralisation du gaspillage et du chapardage. Le gaspillage des intrants provenant
de dons est généralement considérable, souvent parce que les intrants en question sont
inappropriés, qu’ils ne correspondent pas aux besoins du moment, que les modes de
prestation sont improvisés et qu’une valeur moindre est attribuée aux biens obtenus
gratuitement et qui, souvent, n’avaient pas été demandés par les destinataires ;
•
Profusion de matériels hors service, qui n’ont pas été réparés faute d’argent, de pièces de
rechange ou de connaissances techniques suffisantes ;
•
Mauvaise affectation ou utilisation des connaissances techniques, des matériels et des
médicaments.
Qualité des soins
Module 7
Comme les systèmes de prestation de soins sont perturbés par la crise, les niveaux de qualité
baissent fortement en raison de divers facteurs qui interagissent. Il n’est pas rare de constater
des taux de fréquentation très élevés dans des services au contenu technique discutable.
Si les normes de qualité sont globalement médiocres, il existe des îlots d’excellence, où le
niveau technique dépasse souvent les niveaux atteints en période de paix. On devine souvent
les capacités et les ressources d’organismes d’aide ou d’associations caritatives derrière ces
bonnes performances techniques.
Module 7 Analyser les modèles de prestation des soins de santé
205
La plupart des acteurs les plus performants, par exemple des hôpitaux ou des programmes
spéciaux, ont une taille ou une portée limitée, et donc une influence elle aussi limitée
sur la situation sanitaire globale. Leur visibilité et leur prestige peuvent être tout à
fait exceptionnels. Le coût financier de leurs bons résultats est rarement connu, ce qui
empêche d’évaluer les possibilités d’affecter différemment les ressources absorbées par
ces institutions. Une fois établis, ces prestataires de soins de haute qualité sont capables de
préserver leurs sources de financement privilégiées et ainsi de poursuivre leurs activités,
surtout s’ils sont soutenus par des organisations caritatives. Les évolutions apparues à
cause du conflit se pérennisent alors.
Évaluer la qualité des soins exige d’identifier certains critères et certaines normes pour que la
qualité au sens large devienne ensuite mesurable et interprétable. Pour une étude approfondie
de cet aspect complexe, voir Donabedian (2003).
L’examen de la qualité des soins requiert de prendre en compte différents éléments:
• Les aspects structurels concernent les intrants absorbés par la production des services
de santé. Il s’agit notamment des conditions de travail, des qualifications du personnel,
ainsi que des matériels et des médicaments disponibles. Les aspects structurels de la
prestation des soins sont les plus faciles à étudier. Même dans les situations les plus
troublées, on parvient à identifier certains indicateurs structurels à partir des données de
routine ou des rapports d’évaluation et de contrôle. Les listes de vérification destinées à
collecter des indicateurs de ce type abondent.
•
Les effets des soins de santé sont, à l’évidence, l’ultime critère de la qualité.
Malheureusement, leur étude se heurte à des difficultés techniques importantes et revient
généralement cher. De plus, leur interprétation est excessivement délicate. Les effets à
long terme, en particulier, sont difficiles à évaluer dans les contextes instables, quand
les variables ne peuvent pas ou quasiment pas être contrôlées. Dans les secteurs de la
santé traversant une crise, on dispose donc de très peu de mesures relatives aux effets des
soins fournis.
Il est fréquent de s’appuyer sur la seule évaluation des aspects structurels et du processus
de transformation en considérant que, si tous les intrants nécessaires sont disponibles
et si les méthodes de travail sont saines, les effets des soins ont des chances d’être
satisfaisants. Dans un secteur de la santé perturbé, il est préférable d’opérer de multiples
vérifications avant de souscrire sans réserve à un tel postulat. La prudence est de mise
avec les programmes de lutte ciblant une seule maladie et qui, par définition, laissent
Module 7
•
La valeur de ces indicateurs est principalement négative, c’est-à-dire que l’absence
d’intrants de base suggère une qualité insuffisante, tandis que leur existence ne garantit
pas une qualité suffisante. Dans de nombreux cas, plutôt qu’utiliser des moyennes,
mieux vaut exprimer la disponibilité des intrants de base sous la forme de la proportion
des lieux de prestation de soins en étant dotés. Par exemple, indiquer que 60 % des
structures de soins de santé primaires (SSP) ne sont pas équipées de tensiomètres en état
de marche est plus parlant que d’indiquer que la structure de SSP moyenne est équipée
de 0,8 tensiomètre.
Les aspects liés au processus concernent la façon dont les intrants disponibles sont
transformés en activités de soin. Ils dépendent de toute une série de facteurs tels que
les compétences des agents de santé, l’organisation du travail, les incitations ou encore
l’information du public. Identification correcte d’une pathologie, prescription du traitement
adapté, observance des consignes par le patient, stockage approprié des médicaments et
des vaccins, tous ces paramètres concourent au processus de transformation, de même
que le ressenti des patients. La majorité des indicateurs de transformation sont collectés
grâce à l’observation directe ou lors d’entretiens. Les systèmes d’information de routine
produisent des indicateurs de transformation tels que les taux de létalité ou le taux de
réussite d’un protocole thérapeutique. Compte tenu du manque de solidité des données de
routine, il faut être extrêmement prudent avant de considérer comme fiable un indicateur
de transformation dérivé de ces données.
206
Analyse du secteur de la santé dans les urgences complexes
de côté toute une série de facteurs de risque liés à l’environnement et aux violences.
Les progrès sanitaires qui sont escomptés en réduisant la charge de morbidité et de
mortalité générée par la maladie ciblée peuvent être contrebalancés par des pertes
concomitantes dans d’autres domaines, pertes induites ou amplifiées par la crise.
Modèles de prestation des soins de santé
Module 7
ll faut déterminer si les modèles dominants de prestation des soins de santé sont adéquats
compte tenu de la situation et des besoins sanitaires présents et futurs. Le climat politique
d’un pays et les choix de développement opérés par (et quelquefois pour) ses gouvernants
influent considérablement sur les choix qui sont faits dans le secteur de la santé.
Lorsque des changements politiques majeurs se produisent, comme la naissance d’un nouvel
État ou l’effondrement d’un régime honni, les responsables de l’élaboration des politiques
peuvent se sentir obligés d’instituer un modèle de prestation de soins radicalement différent
du précédent. Le nouveau modèle peut être choisi sans évaluation préalable rigoureuse
des problèmes du secteur et des politiques envisageables. Les mérites du modèle antérieur
peuvent être minimisés, tandis que les avantages d’un changement radical peuvent être
exagérés. On accorde rarement voire jamais assez d’attention aux conséquences et aux coûts
qu’induit la modification du modèle de fourniture des soins. Dans l’ancien bloc de l’Est,
le démantèlement précipité des systèmes de soins hérités du modèle soviétique illustre ce
phénomène de façon très frappante.
Le débat sur le modèle de prestations à adopter peut prendre le pas sur le travail d’identification
des contraintes structurelles fondamentales. Les attentes exceptionnelles suscitées par le
nouveau modèle de prestation peuvent retarder la suppression des distorsions profondes qui
affectent le système, une tâche pourtant essentielle pour que le modèle de prestation soit à
la hauteur de ce qu’il promet. Croyant à l’existence une solution miracle, les responsables
des politiques peuvent espérer que tous les problèmes seront résolus par l’adoption d’une
seule mesure. En Afghanistan, en 2002, le débat politique s’est polarisé sur l’instauration
de clauses de sous-traitance (voir l’Annexe 7), une approche séduisante dans un secteur
de la santé dominé par les ONG. Les distorsions structurelles du secteur (réseau de soins
délabré comprenant une composante hospitalière importante, structure déséquilibrée des
effectifs, poids et absence de réglementation du sous-secteur privé à but lucratif, etc.) ont été
minorées, les décideurs escomptant implicitement qu’elles disparaîtraient d’elles-mêmes ou
que le nouveau modèle de prestation les corrigerait de manière indirecte.
Le tableau ci-dessous récapitule la plupart des modèles qu’un décideur peut envisager.
Dans la réalité, les possibilités qui s’offrent vraiment sont moins nombreuses. Le fait est que
les options litigieuses sont rarement retenues par les responsables politiques dont la situation
est précaire. Les programmes d’action internationaux tendent à éclipser les solutions locales
aux yeux des donateurs. Des groupes d’intérêt puissants peuvent empêcher l’introduction
des approches nouvelles et les modèles de prestation peu familiers peuvent ne pas attirer
l’attention des décideurs. Par conséquent, les changements peuvent n’avoir lieu qu’à
la marge.
Le modèle de prestation en vigueur est fréquemment le produit de déterminants politiques,
militaires et logistiques qui, de fait, éliminent toute autre option. Au Sud-Soudan, le blocage
prolongé de la situation politique et militaire a coupé les établissements de soins tertiaires
des villes de garnison (administrées par le pouvoir central) du réseau de soins rural, situé
dans des zones contrôlées par les rebelles. Dans ces zones, les services de santé étaient
assurés par des établissements de petite taille, mal équipés sur le plan technique, gérés par
des ONG et des organisations caritatives et financés par l’aide internationale. De nombreux
prestataires ont eu recours à la facturation des soins aux patients pour compléter l’aide
extérieure. Le problème des coûts élevés de la sécurité et de la logistique était accentué
par la dispersion des activités entre de très nombreux acteurs, ce qui bloquait l’évolution
et l’essor des services de santé. L’issue politique incertaine du conflit a découragé tout
investissement d’envergure. Durant ce long conflit, les services de santé en milieu rural sont
Module 7 Analyser les modèles de prestation des soins de santé
207
restés rudimentaires sur le plan technique et ne couvraient qu’une partie de la population,
avec une capacité d’orientation des malades dérisoire. Ce modèle a été retenu par défaut, en
l’absence d’autres solutions réalistes.
Dans bien des situations, certains des éléments décrits ci-dessus coexistent et se combinent
de diverses manières, avec à chaque fois un poids et une influence différents sur le secteur
de la santé concerné. Les situations hybrides, ambiguës, de transition sont monnaie courante.
Il est fréquent que les décideurs sous pression ne sachent guère quelle voie choisir.
Les accords politiques aboutissant à des gouvernements de cohabitation peu solides tendent
à empêcher l’instauration de nouveaux modèles de prestation des soins.
Différents modèles de prestation de soins méritant d’être étudiés
Financement
Options possibles
Commentaires
Public : impôt et
recettes douanières
Il s’agit du modèle dominant (au moins pour ce qui
est des aspirations) dans la plupart des excolonies. Son objectif de couverture universelle
gratuite ne s’est matérialisé que dans un petit
nombre de secteurs de la santé relativement riches
et bien gérés.
Public : aide
internationale
Modèle dominant choisi dans de nombreux pays en
transition. Des considérations politiques et la
couverture médiatique peuvent provoquer des
apports de fonds soudains et abondants, ce qui
entraîne des gaspillages, comme au Kosovo et au
Timor-Leste. Les instruments de gestion de l’aide
mis en place pour acheminer les financements
étrangers influent sur leur efficacité.
Public/privé :
cotisations
obligatoires au
régime d’assurance
maladie
Private contributions are often complemented by
public subsidies or employer payments.
Demanding fairly sophisticated management
systems, this is mainly adopted in middle-income
countries.
Privé : concours
volontaires en
provenance de pays
riches ou de la
diaspora, motivations
caritatives ou
religieuses ou
volonté de solidarité
Les financements sont acheminés via des ONG,
des missions et des groupes de soutien
internationaux. En raison de la dispersion des
sources de financement, il est difficile de suivre les
flux, qui sont généralement sous-estimés.
Privé : cotisations
d’assurance
volontaires ou
paiements directs
des patients
Formule appliquée par défaut dans de nombreux
pays parce que le secteur public, en déclin, ne
parvient plus à jouer son rôle. Type de financement
reconnu généralement avec réticence et sousestimé dans les statistiques officielles. La qualité
des soins de santé marchandisés est parfois
catastrophique.
Privé : fonds
provenant des
régimes
communautaires par
prépaiement
Formule donnant souvent de bons résultats quand
elle est appliquée à petite échelle et soutenue par
des subventions (explicites ou non). Transposer
des pilotes prometteurs à plus grande échelle pour
couvrir des populations plus nombreuses est
généralement difficile.
Système public, via
un service national
de santé,
généralement intégré
à la fonction publique
Très fortement critiqué dans les années 1990 pour
son inefficience et son inefficacité. Il résiste mieux
qu'on ne s'y attendait après plus d’une décennie de
réforme du secteur de la santé. Le modèle
conserve son attractivité grâce à sa simplicité, sa
prévisibilité et son équité. Aux yeux de nombreux
cadres de santé de pays en développement, il
demeure le modèle de prestation de référence, à
réintroduire aussi vite que possible à l’issue d’une
crise.
Prestataires publics
autonomes,
appartenant souvent
à l’administration
mais parfois séparés
de la fonction
publique
Lié aux réformes de décentralisation. Pour
fonctionner, ce système exige un cadre solide sur
le plan tant politique, qu’administratif et
réglementaire. Dans les États déliquescents, des
initiatives locales peuvent empêcher l’effondrement
du système de prestation de soins de base. Peut
être soutenu par des programmes de dons
généreux.
Prestation
Module 7
Dimension
208
Analyse du secteur de la santé dans les urgences complexes
Dimension
Niveau et
localisation
des
prestations
Options possibles
Commentaires
Module 7
Prestataires privés
sans but lucratif,
financés par des
organismes
donateurs via des
aides non
remboursables.
Le dispositif standard depuis des décennies, à la
base du fonctionnement du secteur de l’aide
internationale. Modèle de prestation dominant
dans les États faillis.
Programmes
(publics) verticaux
conçus pour lutter
contre des maladies
spécifiques ou ciblant
des groupes
particuliers
Principalement financés par l’aide et cogérés par
des responsables internationaux et nationaux. Les
services bénéficiant de cette aide sont fournis par
des prestataires publics et privés, et font
éventuellement l’objet d’une contractualisation en
règle. Quand les crises se prolongent, ces
programmes se développent naturellement grâce
aux ressources mises à disposition et à la marge
de manœuvre opérationnelle dont ils bénéficient.
Prestataires privés
sous contrat avec
des organismes de
financement publics
(généralement des
organismes
donateurs), sous la
surveillance de l’État
bénéficiaire
Dans les pays pauvres, ce sont essentiellement des
œuvres caritatives et des ONG. Une émanation des
réformes inspirées du concept de « nouvelle
gestion publique ». Malgré l’attrait conceptuel
évident de cette approche, les résultats qu’elle a
produits sont mitigés. Des expériences pilotes
menées au Cambodge ont donné des résultats
prometteurs. Elle a été introduite à grande échelle
en Afghanistan. Pour un bref examen de l’approche
contractuelle et une liste de références essentielles
s’y rapportant, voir l’Annexe 7.
Prestataires privés
payés par les
employeurs ou les
clients
Système généralement peu réglementé, concentré
surtout dans les grandes villes. Les principaux
contributeurs peuvent être des entreprises privées
ou parapubliques.
Hôpitaux mettant
essentiellement en
œuvre des
techniques de pointe,
des traitements
nécessitant une
hospitalisation et
parfois des services
d’orientation des
patients
C’est souvent le modèle dominant même quand
son introduction n'a pas été planifiée ;
généralement renforcé quand la crise se prolonge.
En zone urbaine, il s’agit essentiellement
d’hôpitaux publics ou de structures à but lucratif
s’appuyant largement sur la participation financière
des usagers.
En zone rurale, de grands établissements sans but
lucratif mais disposant de techniques relativement
avancées sont parfois gérés par des organismes
caritatifs, des missions et
des ONG.
Prestataires de SSP
offrant
essentiellement des
soins ambulatoires,
ne disposant pas de
techniques de pointe
mais dont les
services sont
théoriquement très
efficaces
Un modèle intéressant mais dont l’implantation et
l’essor sont plus compliqués que prévu.
Quartier / domicile,
soins de proximité
fournis par des
professionnels (axés
sur les SSP ou non)
Les soins à domicile sont souvent fournis dans un
cadre privé et informel par des professionnels de
santé privés appartenant officiellement au secteur
public.
Quartier/domicile,
soins de proximité
fournis par des
agents de santé
communautaires ou
des membres de la
communauté
Extrêmement populaire dans les années 1980 mais
progressivement tombé en disgrâce, quand sont
apparues les limites inhérentes au modèle.
Favorisée par les ONG sur la base de projets
pilotes, la réapparition de protocoles de soins à
domicile pour certaines maladies (paludisme,
diarrhées et infections respiratoires aiguës – IRA)
semble encourageante mais il n’existe encore
aucun élément probant d’une transposition réussie
à une plus grande échelle.
Mobile (la plupart du
temps, fourniture de
certains services
seulement)
Généralement très coûteux, notamment en
effectifs et en équipements. Pour les groupes de
population peu denses ou nomades, cela peut être
l'unique option envisageable.
Les cadres de santé axés sur les SSP ont été
formés dans certaines disciplines médicales. Pour
le reste, les SSP sont dispensés principalement par
des médecins et des infirmiers hospitaliers.
Module 7 Analyser les modèles de prestation des soins de santé
Dimension
Options possibles
Réglementation
Commentaires
Modèle englobant la
plupart des
pathologies (dans la
limite des solutions
techniques possibles)
Comprend généralement des programmes
spéciaux, souvent sans lien avec les services
généraux. Il s’agit fréquemment d’un modèle
théorique, qui n’est que rarement mis
en œuvre.
Programme sélectif
d’interventions
prioritaires (lutte
contre une maladie,
programmes ciblant
des groupes en
particulier, etc.)
Généralement financé par des donateurs. Malgré
l’engouement que ce modèle suscite chez des
institutions internationales influentes, il n'est que
rarement, voire jamais, appliqué in extenso. La
fixation des priorités répond plus souvent à des
motivations politiques que techniques. Ce modèle
de prestation peut être efficace, mais il est
rarement rentable ou équitable. Dans les secteurs
de la santé faisant face à une pénurie de
ressources, il peut être l’unique option
envisageable.
Services d’urgence ;
modèle ciblant les
populations en très
grande difficulté
Dans le cadre de ce modèle financé par des
donateurs et des organismes caritatifs
internationaux et des dons privés, les soins sont
principalement dispensés par des ONG, dont
certaines sont extrêmement spécialisées. Le
modèle a progressivement évolué, établissant ses
propres méthodes et normes techniques.
Soins essentiellement
curatifs ; absence de
planification,
évolution en fonction
de la demande
Ce modèle tend à se traduire par des services
utilisant des techniques de pointe en milieu
hospitalier. Principaux utilisateurs : les populations
urbaines aisées. Cette formule débouche
généralement sur une flambée des coûts et des
résultats médiocres et inéquitables en termes de
santé publique.
Dans la plupart des
cas, domaine réservé
du secteur public
Dans la pratique, c’est une piste négligée par de
nombreux ministères de la Santé. Le fait que le
secteur public soit en concurrence avec des
prestataires privés pour le partage des ressources
et des clients est source de conflits d’intérêt.
Un organe autonome
reconnu par toutes
les parties prenantes
réglemente le
secteur de la santé.
Plus souvent, la réglementation s’applique à
certaines composantes du secteur en particulier
(professions de santé, marché du médicament,
etc.)
Indirecte, via des
dispositions
réglementaires en
vigueur à l’étranger.
Par exemple, certification des professionnels de
santé ou contrôles de qualité que les médicaments
doivent subir pour être vendus par des entreprises
opérant dans des juridictions bien réglementées
(UE, etc.).
Entendue des
soins
209
Note : les différentes options ne s’excluent pas mutuellement et sont souvent adoptées simultanément.
Des paquets de services de soins essentiels (ou de base) ont été mis au point dans
plusieurs secteurs de la santé et ce pour diverses raisons, pas nécessairement explicites.
Le programme de services inspiré du concept de SSP et défendu à la conférence d’Alma-Ata
mettait l’accent sur la justice sociale et la responsabilisation. Simultanément, des paquets
privilégiant l’efficience, peu coûteux et peu ambitieux ont été préconisés par des organismes
d’aide extrêmement influents. Le concept de paquets de services est séduisant car il promet
une fixation des priorités explicite, factuelle et rationnelle. La démarche objective qui
sous-tend le processus d’élaboration des programmes par leurs partisans laisse espérer
que l’on obtiendra des résultats indiscutables. Néanmoins, comme l’a démontré Tarimo de
manière convaincante (1997), le concept de paquets de services tend à entraîner des erreurs
d’interprétation et des abus.
En raison de la fragmentation que l’on observe dans les secteurs de la santé en crise, de
nombreux acteurs peuvent être tentés par l’idée de paquets standard. En 2003, de nombreuses
parties prenantes et observateurs du secteur de la santé afghan l’ont saluée comme une
évolution décisive. C’est pourquoi la formulation d’un programme de services est une des
propositions les plus fréquemment avancées au début d’un processus de relèvement. Avant
de s’engager dans cette voie, les décideurs auraient avantage à s’appuyer sur l’expérience
acquise en la matière.
Module 7
Paquets de soins de santé essentiels
210
Analyse du secteur de la santé dans les urgences complexes
Module 7
•
Comme dans les autres domaines de la planification de la santé, définir un paquet de
services essentiels est un exercice subjectif, même lorsqu’il affiche une objectivité
apparente. En l’occurrence, la négociation joue un rôle crucial. Les parties prenantes qui
participent à l’exercice exercent une influence décisive sur son issue.
•
Les paquets qui sont finalement retenus au terme d’un travail de formulation mobilisant
beaucoup de temps et d’énergie sont souvent des versions peu innovantes du paquet
standard de services de SSP. Même les composantes dont l’efficacité est discutable, comme
les soins prénatals, la surveillance de la croissance, les accoucheuses traditionnelles et
les agents communautaires de santé, tendent à être conservées (au moins sur le papier)
au lieu d’être supprimées.
•
La formulation de paquets de base peut induire des coûts d’opportunité importants, en
particulier dans les périodes de transition (après-guerre), lorsque des priorités urgentes
se disputent l’attention des responsables politiques et que les capacités techniques
existantes sont sursollicitées.
•
La décision d’engager un exercice de formulation de paquets peut relever d’une tactique
de temporisation plutôt que d’une volonté de fixer les priorités. En outre, elle peut
contribuer à masquer (plutôt qu’à mettre en lumière) la paralysie du système due à
l’insuffisance des ressources.
•
Les paquets peuvent inclure tous les services de base considérés comme souhaitables
par les professionnels de santé mais sans qu’il soit tenu suffisamment compte de ce qui
est abordable par rapport aux moyens existants et prévisibles. Les paquets qui n’ont pas
de coût défini n’ont aucune signification, mais ceux dont les coûts sont sous-estimés de
manière optimiste sont trompeurs. L’une des règles empiriques à retenir est que, dans la
pratique, la fourniture des prestations du paquet tend à coûter plus que ce qui était prévu.
Les raisons de cette sous-estimation chronique des coûts réels sont moins souvent liées
à des erreurs techniques qu’à des considérations politiques.
•
Il est, au mieux, exceptionnel que les paquets de soins de base soient intégralement mis en
pratique. Les pressions exercées par les patients contraignent les professionnels de santé
à traiter des pathologies normalement non intégrées au paquet. Les professionnels euxmêmes ont tendance à privilégier les pathologies complexes et les traitements sophistiqués,
sans se soucier de la réelle importance quantitative des premières et de l’efficacité des
seconds. En outre, la prise en compte insuffisante des problèmes de capacités au moment
de l’élaboration des paquets compromet leur mise en pratique.
•
Il est fréquent que l’exercice de formulation d’un paquet de services ne tienne pas compte de
la diversité des contextes observables sur le territoire d’un même pays, en particulier quand
il est vaste. Le paquet qui est finalement retenu peut n’être adapté qu’à un sous-ensemble de
situations. Au sein d’un même pays, la typologie des maladies peut varier à tel point d’une
région à l’autre qu’il peut sembler nécessaire de définir plusieurs paquets. En principe,
dans des zones comme le Sud-Soudan, trois programmes de services de soins seraient
nécessaires : un paquet pour les bassins fortement peuplés, un autre pour les zones à faible
densité de population et un dernier pour les populations nomades. À ces trois paquets peut
éventuellement s’ajouter un quatrième, spécifiquement destiné aux rapatriés. Selon le type de
situation, les mêmes services de base ont un coût qui peut sensiblement varier. Autrement dit,
à financement égal, il faut s’attendre à des paquets de contenu très différent.
•
L’exercice de formulation d’un paquet n’a que rarement, voire jamais, le poids politique
requis pour remettre en question des programmes verticaux bien établis. Les services
fournis dans le cadre de ces programmes verticaux sont donc intégrés au programme de
soins de base, quel que soit leur intérêt objectif, tandis que les dispositions relatives à
la gestion des programmes verticaux demeurent la plupart du temps distinctes de celles
des services standard. Le paquet de soins essentiels censément intégré peut être en
réalité un assemblage disparate de filières de production de soins, aucun acteur n’étant
véritablement responsable de l’ensemble des prestations.
Module 7 Analyser les modèles de prestation des soins de santé
211
•
La principale difficulté à laquelle se heurtent les gestionnaires du secteur de la santé n’est
pas de sélectionner les services à fournir mais plutôt de trouver les moyens d’assurer
la prestation effective d’un ensemble prédéfini de services dans la limite étroite des
capacités et des ressources disponibles. La capacité à résoudre les problèmes a des
chances de se révéler plus utile que l’établissement de plans détaillés de prestations
des services de santé aux différents niveaux de soins. C’est plus crucial encore dans
les contextes instables, où les gestionnaires de santé ne maîtrisent pas parfaitement les
informations, les événements et les ressources.
•
La plupart des paquets de services existants n’intègrent pas la totalité des nombreux
paramètres financiers et techniques qu’implique la prise en charge, sur de multiples sites,
de populations, de plus en plus nombreuses, malades du sida. Sans même parler d’inclure
les thérapies antirétrovirales hautement actives (TAHA), le simple fait d’améliorer les
services de base pour leur permettre de faire face au nombre croissant de pathologies
liées au sida nécessite d’investir massivement dans des structures, des personnels, des
équipements, des stocks de médicaments et des systèmes de gestion, ce qui va de pair avec
une montée en flèche des dépenses récurrents. À l’heure actuelle, il est hors de question de
fournir à moindres frais des SSP dans un pays ravagé par le VIH/sida. Au lieu d’identifier
les conséquences de l’épidémie sur les services de base standard et de les reformuler en
conséquence, la réponse la plus fréquente consiste à introduire des programmes spéciaux,
mis en œuvre par des agences et des ONG spécialisées. Les résultats prévisibles de cette
façon de procéder sont des coûts de prestation élevés et une nouvelle détérioration des
services de base standard déjà confrontés à des ressources et des capacités très insuffisants.
Compte tenu des problèmes susmentionnés, les efforts déployés pour concevoir des paquets
ayant véritablement des chances de réussir devraient essentiellement viser à créer des conditions
favorables à la prestation de services essentiels équitables, normalisés et d’un niveau de qualité
acceptable. Parmi les conditions structurelles favorables figurent la formation technique et
managériale appropriée des candidats à la prestation des services essentiels, la mise à
disposition de ressources suffisantes, des décisions cohérentes d’affectation des ressources, des
outils professionnels fiables pour les différents services (information, protocoles pertinents,
objectifs réalistes, mécanismes de surveillance opérationnels) et des incitations efficaces.
Quand la majorité des conditions favorables ne sont pas réunies (ce qui est généralement le cas),
les bénéfices associés à la formulation de paquets de services peuvent ne pas être proportionnels
aux investissements très importants nécessités par le travail qu’elle nécessite. Souvent, l’une des
solutions de repli raisonnables consiste à définir rapidement et à moindres frais des programmes
provisoires, en s’appuyant sur l’avis d’experts et sur ce qui se fait déjà sur le terrain.
Modèles de prescription
Les modèles de prescription ont été étudiés dans divers environnements. L’expérience
acquise au fil du temps a débouché sur une méthodologie d’évaluation standard, reconnue
et appliquée partout dans le monde (Organisation mondiale de la Santé, 1993). Le tableau
ci-dessous présente quelques-uns des indicateurs collectés dans les secteurs de la santé en
situation critique.
Pays
Cisjordanie et Bande de Gaza
Année
Nombre moyen
de médicaments
par ordonnance
% d’ordonnances
prescrivant des
antibiotiques
1997
1,8-3,1
35-54 %
Érythrée
1999
1,8
44 %
Mozambique
1993
2,4
52 %
Ouganda
1993
1,9
56 %
Somalie
2001
2,3
66 %
Soudan
1993
1,4
63 %
Module 7
Quelques aspects de la qualité des prescriptions dans une sélection de
pays en crise
212
Analyse du secteur de la santé dans les urgences complexes
Les types de prescriptions dépendent des qualifications professionnelles des prescripteurs,
de la qualité de leur formation, des activités de formation en cours d’emploi et de contrôle,
des traditions établies, des incitations du marché, des préférences des patients, de la
réglementation, des difficultés d’approvisionnement en médicaments et de l’existence
éventuelle de protocoles thérapeutiques.
Quand une crise se prolonge, ces paramètres évoluent, mais pas tous dans le même sens
ni de manière uniforme. On observe couramment un ensemble disparate de phénomènes.
La diminution du nombre de points de vente en dehors des grandes villes peut conduire à
une moindre disponibilité des médicaments non nécessaires. Leur remplacement par des kits
standard induit un certain rationnement. Il s’ensuit une baisse du mésusage des antibiotiques
et des médicaments injectables qui, bien que perçue de manière négative par les prescripteurs
et les patients, représente un progrès tangible. Dans le même temps, la marchandisation des
soins de santé encourage la prescription de médicaments inutiles, voire dangereux. Dans un
contexte d’assouplissement des normes, les services de santé financés ou directement fournis
par des ONG compétentes peuvent être améliorés grâce à la formation en cours d’emploi
et à des mesures concernant l’approvisionnement et la supervision, ce qui se traduit par de
meilleures pratiques de prescription. Cependant, si elles ne sont liées qu’à des ressources
externes, à des questions de capacité et à des pressions exercées, ces améliorations risquent
de n’être que de courte durée.
Des protocoles thérapeutiques standard peuvent avoir été formulés et s’être inscrits dans la
pratique quotidienne avant la crise. Quand c’est le cas, certaines ONG arrivées sur le terrain
peuvent les adopter. Attachés à leurs propres normes internationales, d’autres prestataires de
services de santé préfèrent ignorer ces protocoles nationaux.
Rares sont les secteurs de la santé en situation difficile qui, en pleine crise, ont investi dans
la formulation de protocoles thérapeutiques standard ou dans l’actualisation de protocoles
existants. De précieuses occasions de diffuser les bonnes pratiques professionnelles sont
ainsi perdues. C’est donc aux programmes de lutte contre la maladie et aux organismes
internationaux qu’il incombe de pallier ce manque. Comme ces acteurs sont peu susceptibles
de parvenir à un certain degré de consensus, les protocoles se multiplient.
Les divergences sont fréquentes entre, d’une part, les responsables gouvernementaux qui
vantent les mérites des protocoles existants alors qu’ils ne sont pas opérationnels et, d’autre
part, les dirigeants d’ONG qui en minimisent l’intérêt sans même les avoir examinés.
Les cadres de santé de plus haut niveau ont tendance à négliger des protocoles perçus comme
des obstacles à leur pratique professionnelle. Dans ces discussions futiles, les véritables
utilisateurs des protocoles thérapeutiques, à savoir les prestataires de soins situés en première
ligne, courent le risque de n’être pas entendus.
Programmes verticaux
Module 7
Favorisés par les approches centrées sur les résultats qui ont dominé le secteur de l’aide
et celui de la santé publique dans les années 1980 et 1990, les programmes verticaux sont
devenus des réseaux mondiaux, avec des buts, des modèles de prestation, des habitudes de
travail et des perspectives de carrière identiques. Les milieux politiques, les organismes
bailleurs de fonds, les lobbyistes, les journalistes, les professionnels et les agents de terrain
participent à ces initiatives d’envergure mondiale. Les programmes verticaux possèdent de
nombreuses caractéristiques contribuant à leur permettre de s’adapter à des crises prolongées.
Le fait d’avoir un accès privilégié à des ressources et des capacités internationales protège
les programmes verticaux de certains des facteurs de tension observés dans les services
généraux. Leur contenu technique et leur « neutralité », ainsi que leurs liens relativement
ténus avec des États contestés les aident à opérer de part et d’autre des lignes de front et à
passer des accords avec des parties adverses. Lorsqu’une crise éclate, ils sont capables de
mobiliser et de déployer rapidement des ressources et des compétences. Se conformant à
des règles standard et assurant des programmes de services comparables, ils sont souvent en
mesure de surmonter les obstacles liés aux capacités locales.
Ces atouts expliquent leur tendance à prospérer dans des environnements désorganisés et,
dans certains cas, à assumer un travail colossal. Par contraste, quand les systèmes standard
sont en pleine déroute, les programmes verticaux exercent sur les organismes bailleurs de
fonds un attrait accru. Ces programmes voient alors leur nombre augmenter et leur champ
d’application s’étendre à tel point qu’ils deviennent parfois le modèle standard de prestation.
Il est difficile d’étudier les programmes verticaux comme s’il s’agissait d’un ensemble
coordonné de prestataires de services de santé. On trouve de très nombreuses évaluations
portant sur tel ou tel programme mais les analyses comparées de leurs mérites sont rares.
Plus rares encore sont les études consacrées aux interactions de ces programmes avec les
services de santé standard. Une culture du repli sur soi, les problèmes liés à la levée de fonds,
l’obligation de rendre des comptes aux bailleurs (souvent éloignés), un désintérêt pour les
événements n’étant pas directement liés aux objectifs du programme et l’absence effective
de liens avec les systèmes de management généraux font partie des facteurs qui contribuent
au cloisonnement entre programmes verticaux et services de santé ordinaires. Le fait que les
modèles de programmation et de compte rendu diffèrent également entre eux est un obstacle
de plus à une étude exhaustive de ces instruments de fourniture de soins.
Comme leurs coûts financiers et d’opportunité sont rarement connus, en tout cas à une
échelle nationale, il n’est pas question de comparer leurs mérites respectifs. Les programmes
verticaux peuvent adapter leurs méthodes opérationnelles aux contextes violents et instables,
mais leurs buts, leurs pratiques de programmation et leurs méthodes de gestion ressemblent de
façon saisissante à ceux de leurs homologues intervenant dans des contextes plus faciles.
Tous les programmes verticaux ont des points communs, que ce soit au niveau de leur
conception (lignes de commandement et méthodes de programmation), de leurs systèmes
d’approvisionnement et de distribution, de la formation sur le terrain et parfois en amont, de
la gestion du personnel ou encore des incitations et des outils de surveillance. Certaines de
leurs composantes, comme les systèmes ou procédures d’approvisionnement, peuvent être
placées sous la responsabilité d’organisations internationales.
Les programmes verticaux ne constituent pas une catégorie homogène. Tout en ayant bien
des approches conceptuelles et des modèles d’organisation en commun, leurs structures
respectives sont très diverses. À côté des organisations phares possédant des ramifications
dans le monde entier et capables de s’imposer sur les terrains les plus difficiles, on trouve
généralement de nombreuses coquilles vides. Créées par des organismes internationaux
ou des ministères de la Santé dans l’espoir de drainer des fonds supplémentaires mais
n’y parvenant pas, elles peuvent être incapables de fournir un travail utile, si l’on excepte
l’organisation ponctuelle d’un atelier ou la publication d’un communiqué de presse.
Certains des atouts de ces programmes sont aussi leurs carences. La capacité à surmonter
les obstacles locaux les conduit à accorder très peu d’attention au contexte local et à mal
s’y adapter. La poursuite d’objectifs de portée mondiale devient une quête du Graal,
qui doit continuer en tout lieu, même là où elle est manifestement déplacée. On observe
fréquemment une absence d’intérêt pour tous les modes de prestation des services autres que
ceux du modèle du programme. Les crédits liés dissuadent toute programmation conjointe
et excluent la redistribution des ressources disponibles dans le système de santé. Le contrôle
exercé sur les agents du programme (même ceux qui figurent nommément sur la liste des
agents publics) nuit à la productivité.
Multipliés par le nombre de programmes, les systèmes d’aide ciblés contribuent à la
fragmentation et au gaspillage, ainsi qu’à l’éparpillement de ressources limitées entre un
trop grand nombre d’activités « prioritaires ». L’impression très répandue que les ressources
mobilisées par ces programmes viennent s’ajouter aux ressources générales décourage toute
mesure corrective, voire toute critique ouverte.
Les programmes verticaux ont été critiqués pour leur inefficience intrinsèque, de même que
pour les distorsions à long terme qu’ils introduisent dans les systèmes de santé. L’intérêt
qu’ils suscitent résiste néanmoins à l’épreuve de la critique, comme en témoigne le Fonds
mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme, qui a redonné un nouveau
souffle aux approches verticales (Segall, 2003).
Les programmes verticaux se développent en temps de guerre avant de traverser une période
de transition pendant laquelle ils doivent réduire leurs opérations et renoncer à certains de
213
Module 7
Module 7 Analyser les modèles de prestation des soins de santé
214
Analyse du secteur de la santé dans les urgences complexes
leurs privilèges. Les donateurs commencent à envisager de financer le Trésor et le ministère
de la Santé et d’acheminer leurs fonds via des instruments intégrés. De leur côté, les
gouvernements des pays sortant d’une crise n’ont de cesse de restreindre les ressources et la
liberté d’action des programmes verticaux. Intégrer les activités de ces programmes dans le
système traditionnel sans perturber la fourniture des services qu’ils assurent s’est révélé être
une tâche ardue, de longue haleine et sujette à controverses.
Les programmes verticaux ne s’intègrent que difficilement aux débats sur la politique
sectorielle, même si l’on observe depuis peu la conclusion de partenariats public-privé
destinés à financer des programmes sanitaires complets à l’échelle d’un pays. Clairement,
la fixation de priorités globales n’a aucune importance aux yeux des gestionnaires de
programmes. À l’inverse, les autorités sanitaires sont souvent satisfaites des résultats obtenus
par ces programmes et ont donc tendance à leur laisser toute latitude, estimant peut-être qu’ils
sont de toute façon trop puissants pour être contrôlés. Les processus de formulation d’une
stratégie de relèvement peuvent évoluer sans être enrichis d’aucun apport des prestataires les
plus importants, qui vaquent tranquillement à leurs activités habituelles.
La transition de l’après-guerre peut néanmoins être l’occasion de rationaliser ce tableau très
fragmentaire. Il faut identifier des moyens réalistes d’intégrer les programmes verticaux,
ce qui nécessite une analyse approfondie de leur fonctionnement interne, de manière à
isoler les composantes se prêtant à une fusion précoce. Les activités d’approvisionnement
et les activités financières font partie des premières composantes susceptibles d’être
intégrées dans les systèmes traditionnels, une fois que ces derniers ont atteint un niveau
d’efficacité acceptable.
Une autre étape importante pour combler le fossé entre les programmes verticaux et les
services généraux consiste à les inclure dans un budget-programme sectoriel. Pour ce faire, il
faut disposer d’informations financières fiables et les autorités doivent être capables d’exiger
leur publication ; il faut aussi les compétences techniques requises pour donner du sens aux
données collectées. Ces conditions ne sont généralement pas réunies au début d’un processus
de relèvement mais peuvent l’être progressivement, grâce à un travail technique patient et
une pression politique constante. Un profil budgétaire détaillé peut utilement éclairer les
décideurs sur le coût des programmes verticaux, permettre de comparer les coûts respectifs
et évaluer les écarts éventuels avec ceux des services généraux.
La nature de certains programmes verticaux tels que les programmes pour une maternité sans
risques encourage à les intégrer dans les services de santé généraux, avec à la clé d’éventuels
avantages réciproques. D’autres programmes comme les programmes de pulvérisation pour la
démoustication se fondent sur des approches et des techniques qui les tiennent naturellement
à l’écart des autres services de santé. Aucun avantage systémique substantiel n’est à attendre
de leur absorption. Toute stratégie d’intégration devrait tenir compte de cette évidence.
Fourniture de soins de santé en ville
Module 7
Après des épisodes de violence prolongés, de vastes pans de la population peuvent se
retrouver concentrés dans les villes épargnées par les hostilités ou à leur périphérie.
Les personnes déplacées s’installent dans des camps permanents ou rejoignent les autres
habitants dans des quartiers insalubres. D’immenses nouveaux quartiers voient le jour.
La fourniture de soins de santé à des populations qui se déplacent pour fuir l’insécurité ou
qui viennent volontairement s’installer en ville se heurte à des difficultés particulières mais
offre aussi des possibilités intéressantes, dont il est rarement fait état.
Les services de santé urbains sont profondément affectés par ces évolutions. Le gouvernement
peut concentrer l’essentiel des ressources et des capacités de l’État dans les villes qu’il contrôle.
Attirées par des conditions plus favorables en termes de sécurité et sur le plan opérationnel,
les organismes internationaux et les ONG peuvent y programmer des interventions
complémentaires. Les projets se multiplient et les programmes verticaux concentrent leurs
activités dans les zones urbaines. Les associations caritatives peuvent investir dans de
nouvelles structures de soins. Les apports de fonds de la diaspora encouragent l’ouverture
de lieux supplémentaires. Mais dans bien des cas, l’avantage comparatif que détiennent les
Module 7 Analyser les modèles de prestation des soins de santé
215
•
Alors que les États en grande difficulté peuvent être prêts à investir dans des soins de santé
en milieu urbain mais ne disposent pas des ressources nécessaires, les donateurs hésitent à
financer les dépenses très importantes qu’il faudrait engager. Les dirigeants et les donateurs
devraient débattre de manière transparente des politiques de répartition, en reconnaissant
que, dans certains quartiers de taudis, la situation sanitaire est aussi préoccupante qu’en
zone rurale. Il faudrait faire comprendre aux décideurs qu’investir dans la fourniture de
soins en milieu urbain ne signifie pas nécessairement construire de grands hôpitaux ;
•
Réinjecter des fonds dans des services urbains fragmentés, déséquilibrés et organisés
de manière non rationnelle risque d’induire encore plus de gaspillage. De nombreux
arguments plaident en faveur de programmes de développement globaux, s’inscrivant
dans le long terme et s’appuyant sur une évaluation rigoureuse de la situation et sur
Module 7
services de santé urbains en termes de ressources ne se traduit pas par une meilleure qualité
des soins en raison de l’inefficacité de l’allocation des ressources et des opérations.
Les incertitudes concernant l’avenir des établissements urbains dont la population
croît en temps de guerre n’incitent guère à planifier des réseaux de santé rationnels.
Souvent dépassées par l’ampleur et la gravité des problèmes, les autorités sanitaires ont de
plus en plus de mal à apporter des réponses efficaces. Les mesures prises au coup par coup
(souvent en fonction des apports d’aide extérieure), voire une absolue négligence, deviennent
la règle. Le problème est d’autant plus compliqué qu’il n’existe pas de modèle standard
accepté pour la fourniture de services de santé aux populations démunies concentrées
dans les zones urbaines et périurbaines. Au final, les services de santé urbains évoluent de
façon anarchique, sans cohérence ni direction d’ensemble. En même temps, de nombreux
gouvernements conservent la mainmise sur les principales villes du pays, et la plupart
des infrastructures de santé urbaines résistent, ce qui signifie que, à l’issue de la crise, les
responsables de la planification doivent faire avec l’environnement dont ils héritent. Or une
reconfiguration radicale des réseaux de soins urbains est généralement exclue.
Les prestataires privés à but lucratif sont habituellement prompts à saisir les possibilités
commerciales qu’offrent des populations urbaines en mauvaise santé et sans accès à des
services publics adéquats. Les prestations privées connaissent un essor important, dans
un environnement le plus souvent très peu réglementé. Les agents du service public sont
généralement parties prenantes dans la majorité des transactions privées formelles ou
informelles. En dehors de quelques prestataires offrant des soins de qualité, on assiste à
une prolifération de services exécrables et souvent chers. Comme les données relatives
aux prestataires privés sont le plus souvent incomplètes, ce sous-secteur important n’est
généralement pas pris en compte dans les politiques et les statistiques. Les responsables
de l’élaboration des politiques peuvent formuler quantité de stratégies, de directives et de
normes se rapportant aux prestataires de soins publics et ignorer le secteur en plein essor que
représentent leurs homologues du secteur privé.
Il faut impérativement concevoir un modèle réaliste et approprié pour la prestation des
services de santé urbains. Il est probable qu’il faille radicalement s’écarter des approches
standard qui, le plus souvent, ne prennent pas en compte l’ensemble des spécificités des
soins de santé en ville. Ceux qui conçoivent ou évaluent les stratégies relatives à la fourniture
de soins dans les villes de pays ravagés par la guerre doivent peut-être garder à l’esprit les
quelques considérations ci-dessous :
• L’augmentation spectaculaire de la population urbaine en temps de guerre n’est que
partiellement inversée quand les violences cessent. Les immenses bidonvilles qui
apparaissent à la périphérie des villes à la faveur d’un conflit tendent à y rester ensuite.
C’est précisément pendant le conflit qu’il faudrait prévoir, par précaution, l’installation
de services de santé permanents dans ces zones susceptibles de s’étendre. En outre,
ces réseaux de soins devraient être conçus comme des composantes à part entière des
services de santé généraux. La situation effroyable des populations vivant dans ces
quartiers exige des services dotés de ressources substantielles et capables de traiter un
très grand nombre de patients. Des investissements massifs dans l’infrastructure sont
donc généralement indiqués ;
216
Analyse du secteur de la santé dans les urgences complexes
des financements suffisants. Sachant qu’il faut des dizaines d’années d’efforts soutenus
et cohérents pour qu’un programme de soins de santé en milieu urbain ait des effets
démontrables, il faut le concevoir, le financer et l’évaluer en conséquence ;
•
Les quartiers de taudis offrent un terrain propice à la propagation des maladies transmissibles,
y compris le VIH/sida, en particulier en temps de guerre, quand de nouveaux venus
s’installent dans des conditions d’hygiène déplorables. La décrépitude des établissements
de santé fait partie des nombreux risques sanitaires auxquels sont exposés les habitants de
ces quartiers. Améliorer leurs performances est judicieux, y compris pour des raisons de
santé publique. Du fait du nombre important de bénéficiaires concernés et des catastrophes
sanitaires qu’ils permettent d’éviter ou, au moins, de limiter, les programmes de santé
publique peuvent s’y révéler extrêmement rentables. Ils doivent être considérés comme
des composantes cohérentes et permanentes des services de santé généraux, au lieu de
n’être de que des mesures ponctuelles prises dans l’urgence, comme c’est souvent le cas ;
•
Les prestataires de soins échappant à la réglementation jouent un rôle trop important pour
être ignorés par les décideurs politiques et les responsables de la planification en matière
de santé. Il faut trouver des moyens réalistes et originaux de réglementer leurs activités et
d’exploiter leur potentiel. Bien comprendre leur contribution est la première étape avant
de prendre des dispositions pour faire évoluer leur pratique dans un sens favorable ;
•
Les services de santé urbains doivent s’écarter des modèles de SSP classiques qui ont été
conçus pour des populations rurales et s’adapter aux conditions de prestation existantes.
Par exemple, quand la main-d’œuvre est abondante (situation fréquente dans les grandes
villes), il est possible de recycler une grande partie des effectifs et de les redéployer
à l’extérieur des établissements de santé, où ils peuvent, par exemple, devenir des
prestataires privés sans but lucratif. La pratique informelle de nombreux travailleurs du
secteur public de la santé pourrait être réglementée de manière réaliste, sous la forme de
soins à domicile classiques, reconnus comme faisant partie d’un ensemble de services
étendu ;
•
La capacité à régler ses dépenses de santé varie selon le niveau économique. Entre les
plus démunis et l’élite aisée, il existe une couche intermédiaire de petits commerçants,
artisans et fonctionnaires disposant de revenus modestes mais non négligeables.
Les stratégies de financement des dépenses de santé doivent prendre en compte cette
diversité et proposer aux habitants des villes des produits adaptés à leurs catégories
socioéconomiques et faisant l’objet de subventions différentes ;
•
La population urbaine peut choisir entre un certain nombre de prestataires concurrents.
Il faut mettre en place des stratégies pour améliorer l’information offerte aux usagers et
les aider à choisir parmi les prestataires. Il convient de trouver des manières innovantes
d’employer l’argent public pour encourager les usagers à s’adresser aux prestataires
appropriés et compétents ;
•
La fourniture des soins de santé en milieu urbain est fortement parasitée par des
considérations d’ordre politique, pas nécessairement rationnelles. Des dirigeants pressés
de toutes parts, des institutions influentes, des groupes religieux, des associations
professionnelles, des représentants des milieux d’affaires, des ambassades et des services
de coopération, la liste n’est pas exhaustive de ceux qui contribuent à guider les choix,
déjà difficiles à opérer sur le seul plan technique. Les rumeurs et les informations biaisées
circulent rapidement et librement. Apaiser l’électorat urbain figure habituellement parmi
les priorités des acteurs de la vie politique. Toute proposition visant à améliorer la
situation exige des négociations patientes au sein de ce réseau de pouvoir et d’influence.
Fourniture de soins de santé mobiles
Module 7
On dispose généralement de très peu d’informations sur les services de santé fournis par des
unités mobiles. La plupart des systèmes d’information sanitaires ne font pas la différence
entre les services fournis à l’intérieur des établissements de santé et les autres. Par conséquent,
les données concernant les services fournis ailleurs que dans les établissements de santé
permanents peuvent être mélangées aux autres ou n’être enregistrées nulle part.
Module 7 Analyser les modèles de prestation des soins de santé
217
•
La fragmentation verticale est courante : les équipes chargées de la lutte contre une
maladie en particulier travaillent sans aucun lien avec les équipes mobiles responsables
d’autres programmes sanitaires. Les occasions manquées sont légion.
•
Les avantages inhérents à certains services mobiles fournis de façon tout à fait ponctuelle,
sans le soutien d’un établissement de premier recours (soins prénatals, par exemple),
paraissent discutables.
•
Les réseaux de soins mobiles sont difficiles à maintenir en fonction sur la durée.
Des problèmes de sécurité, des lignes de front qui se déplacent, des véhicules en fin de
course, des personnels fatigués et sous tension, des routes en mauvais état, des obstacles
saisonniers, l’incertitude concernant les déplacements de population et le caractère
aléatoire des financements sont autant de facteurs qui affectent les performances des
services mobiles.
•
Les équipes mobiles peuvent induire des coûts d’opportunité importants car leurs membres
sont des professionnels qui abandonnent provisoirement leur poste de travail habituel.
Les services de soins fournis en brousse peuvent dès lors ne plus être disponibles dans
les établissements qui emploient normalement ces professionnels. De même, certains
services mobiles comme la vaccination peuvent se développer au détriment d’autres
services de base, comme l’obstétrique, si ce sont les mêmes agents qui en sont chargés.
Module 7
Les services de santé mobiles sont rarement évalués, les informations sont
insuffisantes et il n’existe donc pas de corpus de bonnes pratiques auxquelles se référer.
Les services mobiles sont généralement organisés au coup par coup, en fonction des
décisions prises sur le terrain et en l’absence de directives standard ou bien conformément
aux instructions de programmes spéciaux, élaborés indépendamment les uns des autres.
Ces services sont souvent considérés comme un modèle déficient, non durable, mais la
question n’est abordée qu’en surface et aucune autre approche réaliste n’est proposée.
Une étude sur les unités de soins mobiles a conclu que « la stratégie de recours aux unités
de soins mobiles devait rester exceptionnelle et n’être qu’une solution de dernier ressort
pour fournir des services de santé à des groupes de populations n’ayant accès à aucun
système de soins. Les unités de soins mobiles peuvent être envisagées sur une courte période
de transition, en attendant la réouverture de structures fixes ou la possibilité d’y avoir de
nouveau accès » (Du Mortier et Coninx, 2007).
De fait, les services de santé mobiles sont une option très attrayante dans de nombreux
secteurs de la santé en crise, quand les problèmes de sécurité sont extrêmement importants, les
communications difficiles et les déplacements de population continuels. Lorsque le maillage
du réseau de santé périphérique est défaillant et que les systèmes d’appui manquent de fiabilité,
les soins mobiles peuvent, dans certaines circonstances bien spécifiques, représenter l’unique
formule envisageable. En outre, la fourniture de services tournés vers l’extérieur peut être
l’occasion de tirer parti des sureffectifs souvent constatés dans les structures de soins ayant
résisté à la crise.
Des capacités mobiles importantes offrent certaines possibilités pendant les périodes de
combat ou dans les zones récemment accessibles aux opérations de secours. Lors de conflits
où les services de santé sont la cible d’éléments hostiles, l’existence d’unités mobiles
diminue la vulnérabilité du système. Après une guerre, pendant la période de transition qui
se caractérise par d’importants mouvements de population et des profils de réinstallation
manquant de clarté, les soins mobiles offrent de véritables avantages. Pour répondre aux
besoins créés par les situations de ce type, il peut être plus judicieux d’investir dans des
unités de soins mobiles et temporaires que dans des infrastructures permanentes.
Sur le terrain, diverses approches sont mises en œuvre et certains inconvénients sont
fréquemment cités.
• La gamme de services proposés est souvent très restreinte. Nombre d’opérations
sont peu rentables, de sorte que le coût unitaire des services mobiles peut être
formidablement élevé.
218
Analyse du secteur de la santé dans les urgences complexes
•
Les incitations financières dont les organismes d’aide assortissent généralement leur
stratégie avancée entraînent la multiplication de ce type d’activités, quels qu’en soient
l’efficacité et le coût. À l’inverse, la suppression des incitations entraîne l’arrêt des
missions, alors même qu’elles seraient nécessaires et techniquement faisables.
Tous les inconvénients précités sont loin d’être négligeables. Certains semblent liés à la façon
même dont le travail des équipes mobiles est financé et promu, et il est donc difficile d’y
remédier. Rarement à la portée des services de soins essentiels confrontés à une pénurie de
ressources, la fourniture de soins mobiles dépend en grande partie de programmes verticaux
ou du soutien d’ONG. Ce mode de prestation doit toujours être envisagé sous réserve que ses
avantages priment ses coûts, généralement élevés.
Aide humanitaire
Module 7
L’aide humanitaire constitue un cas particulier de rationalisation des ressources sanitaires.
Le but suprême de l’aide humanitaire est de réduire la charge de mortalité et de morbidité
évitables par des opérations de secours plutôt que de remédier aux causes profondes des
problèmes de santé. Une situation d’urgence se traduit généralement par une surmorbidité et
une surmortalité par rapport aux niveaux « habituels ». Le surcroît de morbidité, d’invalidité
et de mortalité s’explique non seulement par l’absence d’actions essentielles de santé
publique et de prise en charge médicale mais également par la pénurie de biens essentiels à
la survie (eau, nourriture, abris, assainissement, sécurité, etc.) et par l’incapacité à atténuer
les effets des facteurs déterminants (biologiques, sociaux, politiques ou économiques).
Les populations contraintes de se déplacer sont exposées à de nouveaux risques sanitaires :
insécurité alimentaire, mauvaise qualité de l’eau et de l’assainissement, surpopulation dans
les lieux d’installation temporaires, exposition à des agents infectieux et à des vecteurs
contre lesquels elles ne sont pas immunisées, etc. Les personnes déplacées à l’intérieur de
leur propre pays et les réfugiés sont également plus vulnérables que les autres car ils ont
perdu leur emploi, leurs biens et leurs réseaux sociaux et sont parfois devenus entièrement
dépendants de l’aide. À la fin d’une crise prolongée, de nombreuses personnes déplacées
ou réfugiées se réinstallent et peuvent facilement submerger les services de santé locaux.
Si les réfugiés ont en principe droit à une protection et une assistance, les personnes déplacées
ne jouissent en revanche d’aucun statut particulier ; aucun organisme n’est chargé de s’en
occuper. Parmi tous les migrants forcés, les personnes déplacées dans leur propre pays sont
les plus vulnérables.
Les déplacés internes et les réfugiés ne sont pas toujours concentrés dans des camps où ils
ont accès à des services de santé. Dans bien des cas, ils se mêlent à la population locale et
dès lors ne sont plus aussi facilement identifiables et susceptibles de bénéficier de l’aide
humanitaire. Une évaluation des programmes sanitaires en faveur des réfugiés afghans
installés au Pakistan a été réalisée en 2005. Au final, il s’est avéré que plus d’un million
d’Afghans, qui n’étaient pas officiellement enregistrés comme réfugiés et, ne bénéficiant
d’aucune aide, vivaient dans habitats urbains précaires. Globalement, seulement la moitié
des Afghans réfugiés au Pakistan vivaient dans des camps et bénéficiaient du statut de
réfugié ainsi que de la protection et de l’assistance auxquelles ce statut donne droit (Michael,
Corbett et Mola, 2005).
Étant donné que les personnes déplacées sont globalement très vulnérables, que l’urgence
est d’aider des populations nombreuses et que l’objectif est d’éviter toute surmortalité, les
opérations sanitaires sont rarement rentables. En outre, elles sont rarement intégrées dans
les services qui sont fournis aux populations non déplacées vivant dans la même zone (et
qui bénéficient souvent de services de moins bonne qualité). Il s’ensuit fréquemment des
tensions entre les déplacés et les résidents qui se disputent des ressources limitées. Dans le
même temps, les services de santé fournis par des organismes étrangers, dont les coûts et les
normes sont plus élevés, peuvent affaiblir des services locaux déjà fragiles.
Qui plus est, l’approche humanitaire peut être appliquée par des organismes et des personnels
qui en ont l’habitude, même en l’absence de toute urgence objective. L’urgence de la situation
peut être exagérée par les médias, les responsables politiques, les bailleurs de fonds et par les
Module 7 Analyser les modèles de prestation des soins de santé
219
organismes d’aide humanitaire pressés d’utiliser des fonds. Le personnel humanitaire qui est
dépêché sur place par des organismes disposant de financements substantiels est susceptible
de mal apprécier la situation et de tout ignorer des dispositifs déjà en place. Compte
tenu de l’absence d’informations fiables qui caractérise les zones ravagées par la guerre,
les divergences d’appréciation sont la norme. Dans d’autres cas, c’est un comportement
moutonnier que l’on observe, comme en 2003 après l’invasion de l’Iraq par les alliés, où
les organismes de secours humanitaires ont mis en œuvre des méthodes classiques dont
l’adéquation à cet environnement nouveau et très particulier était discutable.
Le secteur de l’aide humanitaire a travaillé d’arrache-pied pour définir des normes
opérationnelles (Le Projet Sphère, 2004). Toutefois, appliquer ces normes sans aucune
discrimination peut créer de graves problèmes. Lorsqu’un déplacement de population devient
définitif, continuer de respecter des normes de soins qui sont beaucoup plus ambitieuses
que les normes en vigueur avant l’arrivée de l’aide est clairement impossible et tout à
fait inéquitable. De surcroît, lorsque les financements se font rares, les organismes d’aide
humanitaire peuvent décider de réduire le nombre de bénéficiaires des soins pour pouvoir
continuer à respecter leurs normes. L’écart entre les quelques bénéficiaires du secours
humanitaire et le reste de la population se creuse alors.
Les organisations humanitaires doivent réagir rapidement et massivement en cas de
catastrophe. Leurs opérations tendent donc à consommer énormément de ressources dans
des délais plutôt brefs. Quand les décisions sont prises, les considérations de coût ont
essentiellement trait au niveau de fonds disponibles. Les coûts d’opportunité sont rarement
pris en compte. Une telle approche paraît peu adaptée aux situations d’urgence complexes
et prolongées, lorsque les interventions sanitaires des organismes étrangers peuvent durer
plusieurs dizaines d’années. Bien que connu depuis longtemps, cet inconvénient majeur
semble avoir résisté à toute mesure corrective. Le principal obstacle paraît donc presque
consubstantiel à la manière dont l’aide humanitaire est financée et gérée.
Il n’est pas facile de recenser en détail les interventions humanitaires actuellement en cours.
Certaines organisations importantes ont coutume de travailler seules de leur côté ou de
se coordonner uniquement avec leur organisation mère. Le secteur de l’aide humanitaire
est financé par des circuits spécifiques, sans lien avec le reste de l’aide. Les forums et les
mécanismes de coordination définis par les organismes de secours sanitaires tendent à
fonctionner séparément de ceux concernés liés aux services de santé généraux.
Les délais de financement et de programmation des opérations humanitaires sont courts,
ce qui rend encore plus difficile l’étude des interventions futures. Les donateurs peuvent
subordonner leurs décisions à des événements politiques ou militaires très aléatoires, comme
l’éclatement d’un conflit ou la signature d’un accord de paix. De nouvelles ONG ayant
réussi à collecter des fonds peuvent arriver sur place, tandis que d’autres sont contraintes de
se retirer malgré le travail efficace qu’elles peuvent avoir entamé.
Au final, les informations concernant les organismes d’aide tendent à ne pas être intégrées
dans les rapports sur les services de santé généraux. Les erreurs grossières d’appréciation des
réalités du terrain sont la norme et même une documentation relativement précise devient
vite obsolète. Le fait d’omettre ou d’inclure certaines activités sanitaires d’urgence peut
considérablement modifier le tableau. Les services chirurgicaux dirigés par le CICR dans le
Sud-Soudan sont réputés avoir absorbé une part considérable des ressources affectées aux
soins de santé mais aucun élément quantitatif n’est venu étayer cette allégation importante.
Les armées et les groupes rebelles gèrent des services de santé où la composante chirurgicale
occupe une place prépondérante. Les armées organisées disposant de ressources substantielles,
comme l’armée angolaise, investissent beaucoup dans leurs services médicaux. Les meilleurs
professionnels de santé peuvent être recrutés par l’armée. Il arrive que certains services de
santé militaires soient accessibles à la population, mais dans ce cas, cette utilisation par
les civils ne représente qu’une faible partie de l’activité totale. À l’inverse, il arrive que
Module 7
Services de soins des armées
220
Analyse du secteur de la santé dans les urgences complexes
des formations de combattants désorganisées s’adressent aux services de santé civils pour
obtenir des médicaments ou des soins, qu’ils extorquent souvent sous la contrainte.
Parfois, les hôpitaux militaires se servent de leurs capacités et moyens techniques excédentaires
pour jouer le rôle de prestataires privés à but lucratif, proposant des soins payants aux civils.
Une fois le conflit terminé, les services de santé militaires gérés par l’armée gouvernementale
et les rebelles peuvent rendre à la vie civile de très nombreux agents de santé, modifiant ainsi
profondément la composition des effectifs de soignants civils et le marché du travail dans le
secteur sanitaire.
Les armées étrangères et les forces de maintien de la paix ont également leurs services
de santé, qui peuvent dispenser des soins à l’ensemble de la population, quelquefois pour
améliorer leur image de marque.
Services de santé des forces rebelles
Dans les pays contrôlés simultanément par le gouvernement et les forces rebelles, deux ou
plusieurs systèmes de santé distincts, présentant des caractéristiques différentes, peuvent
coexister. La compartimentation peut être étanche. C’était le cas au Soudan, où, jusqu’en
2005, il n’y a eu aucune communication entre les autorités sanitaires centrales et leurs
homologues opérant dans le sud du pays. Les deux camps n’avaient pas d’informations sur
le pan du secteur de la santé qui échappait à leur contrôle et ils en ignoraient donc l’existence
dans leurs rapports, leurs évaluations et leurs plans.
Les partitions alimentent les suspicions au sujet des privilèges réputés accordés à l’autre camp
et entraînent un gaspillage considérable. Les organismes d’aide et les ONG ne contrarient
généralement pas ce modèle et répartissent leurs activités entre les bureaux collaborant avec
l’un ou l’autre camp. Ils se retrouvent souvent dans l’incapacité de rapprocher les méthodes,
les informations et les activités. Au fil du temps, l’isolement se renforce de part et d’autre.
Les investissements des groupes rebelles dans la prestation de services de santé dépendent
de la nature politique de la rébellion. Quelquefois, l’accent est mis sur les soins de santé,
considérés comme un engagement politique à offrir ultérieurement des services de soins.
Les groupes rebelles peuvent vanter les mérites de leurs stratégies avancées, leurs déclarations
étant parfois corroborées par les organismes d’aide qui collaborent avec eux. À y regarder
de plus près, la qualité effective de ces services de santé ne correspond généralement à
celle annoncée. Dans les zones contrôlées par les rebelles, la situation sanitaire est souvent
déplorable. En l’absence d’informations fiables, la position la plus raisonnable semble être
de s’attendre au pire. Là où les ONG jouent un rôle majeur, comme en Afghanistan et au
Sud-Soudan, les informations relatives aux services de soins sont plus fiables que dans les
zones partiellement interdites aux éléments extérieurs.
Bien souvent, les services de santé des forces rebelles procèdent d’une entreprise de
propagande. En réalité, ce sont les organismes d’aide et les ONG qui sont en charge des
soins même s’ils acquiescent quand les autorités du camp rebelle s’en adjugent le mérite.
S’appuyant sur des négociations et des compromis permanents, les relations entre les
détenteurs du pouvoir local et les acteurs extérieurs sont souvent tendues. Dans les pays
déchirés par la guerre, il est extrêmement rare de trouver des gouvernants et des groupes
rebelles sincèrement préoccupés de la santé des populations qu’ils contrôlent.
Conseils de lecture
Braveman P. Monitoring equity in health: a policy-oriented approach in
low- and middle-income countries. (Equity Initiative Paper n° 3) Genève,
OMS, 1998. WHO/CHS/HSS/98.1.
Module 7
Un inventaire intelligent des principaux concepts, des outils disponibles, des sources
d’information et des indicateurs utiles pour les études sur l’équité. Ce document examine
les atouts et les limites des méthodes d’étude existantes. Le lecteur y trouve des conseils
pratiques sur le traitement des données. Les écueils potentiels sont mis en lumière. Grâce à
son exhaustivité, l’analyse va au-delà des seules questions d’équité et englobe de nombreux
Module 7 Analyser les modèles de prestation des soins de santé
221
aspects intéressants comme les facteurs socioéconomiques déterminant la situation sanitaire
d’un pays, les moyens de mesurer cette situation et l’étude de l’offre de soins. Un précieux
travail de synthèse et un ouvrage de référence pour tous les apprentis analystes.
Chabot J. et Waddington C. Primary health care is not cheap: a case study
from Guinea Bissau. International Journal of Health Services, 17,387-409, 1987.
L’évaluation brillante d’un programme de SSP brillant, qui rejetait carrément le modèle
d’intervention en vigueur et lui préférait l’exploration, l’expérimentation et l’apprentissage.
Cet article a remis allègrement en cause l’opinion dominante de l’époque selon laquelle il
était possible de dispenser des SSP à bas coût. Quiconque ayant une véritable expérience
concrète de la mise en place de SSP dans des contextes similaires à ceux examinés dans cette
étude reconnaît les problèmes décrits par les auteurs et leurs conséquences considérables. En
outre, ce document proposait une introduction claire à la manière dont devait être établi le
bilan économique d’une intervention mal structurée (et difficile à étudier) dans le domaine
des SSP.
Avec une vingtaine d’années de recul, c’est un article qui mérite d’être relu par tous ceux
que tenteraient les approches à la mode, normalisées et d’un bon « rapport coût-efficacité »
élaborées loin du terrain et, une fois encore, encensées par le secteur de l’aide. Les auteurs
proposent une autre approche : démarrer à petite échelle et lentement, chercher en premier
lieu à comprendre, modifier l’approche en fonction des connaissances acquises et si cela
semble justifié, et ne pas chercher à occulter les résultats éventuellement imprévus, voire
déplaisants, d’une expérience. Le fait est que le message n’est pas populaire.
Jenkinson C., ed. Assessment and evaluation of health and medical care:
a methods text. Buckingham, Open University Press, 1997.
Une introduction très complète aux approches et aux méthodes possibles de mesure
et d’évaluation des soins de santé. L’ouvrage vise à substituer aux prises de décision
subjectives (c’est-à-dire fondées sur des avis) des processus plus formels d’évaluation des
politiques et actions sanitaires. Il couvre les études épidémiologiques traditionnelles, les
méthodes de recherche qualitatives, les approches économiques de l’évaluation, la mesure
de l’état de santé et de la qualité de vie, les méta-analyses, etc. Même si les évaluations
formelles sont un luxe en situation d’urgence, le manuel aide à interpréter les conclusions
de recherches et d’études entreprises dans d’autres contextes et à déterminer dans quelle
mesure ces résultats sont transposables aux situations chaotiques qui caractérisent les
urgences sanitaires.
Cet examen sans détour et pénétrant d’un concept galvaudé s’appuie sur des exemples
très divers, tirés de l’expérience de pays riches et aussi d’autres. Tarimo fait valoir que
« … les paquets sont souvent perçus comme un substitut à une autorité défaillante. On
voit difficilement comment un simple processus ou la définition d’un paquet de services
de santé pourrait régler les problèmes en l’absence de toute vision, stratégie ou direction.
Les politiciens et les décideurs tentent souvent d’éviter des choix difficiles en demandant
davantage de données ou de décentralisation. Par conséquent, l’appel à définir des
paquets ou à investir peut même faire croire que tout fonctionne normalement alors qu’il
n’existe aucune volonté politique ou aucune autorité suffisamment forte pour prendre
des décisions difficiles mais essentielles. De ce point de vue, les programmes peuvent
être considérés comme une forme de « SSP indolores ». Le document se termine sur une
série de recommandations qui devraient paraître avisées aux praticiens familiarisés avec
la réalité des services de santé. Lecture recommandée à tous ceux qui envisagent de se
lancer dans la formulation des programmes de services de soins.
Module 7
Tarimo E. Essential health service packages: uses, abuse and
future directions. Current concerns. (ARA Paper number 15) Genève,
OMS, 1997. WHO/ARA/CC/97.7. Disponible en ligne à l’adresse suivante :
www.who.int, consulté le 10 janvier 2011.
222
Analyse du secteur de la santé dans les urgences complexes
Van Damme W., Van Lerberghe W. et Boelaert M. Primary health care vs.
emergency medical assistance: a conceptual framework. Health Policy
and Planning, 17:49-60, 2002.
Une présentation claire des caractéristiques respectives que les soins de santé primaires
et l’aide médicale d’urgence devraient présenter dans l’idéal. Un travail utile pour
les décideurs et les professionnels du terrain, qui ne connaissent pas forcément les
fondements conceptuels et les conséquences pratiques des deux approches. Dans la
plupart des situations de transition, les soins de santé primaires et l’aide médicale
d’urgence coexistent dans des proportions variables, selon l’évolution des demandes et
des pressions, les préférences en termes d’organisation et les financements disponibles
ou pour de simples questions de commodité. La clarté conceptuelle préconisée par les
auteurs, sous réserve d’être parfaitement assimilée par les différents acteurs en présence,
devraient décourager l’adoption de beaucoup de mesures mal conçues ainsi que les débats
stériles sur la durabilité, la responsabilité et le caractère participatif qui s’ensuivent et
parasitent si souvent le travail engagé après un conflit.
Références bibliographiques
Doherty J. et Govender R. The cost-effectiveness of primary care services in developing
countries: a review of the international literature. Disease Control Priorities Project (Working
Paper n° 37), 2004. Disponible en ligne à l’adresse suivante : www.dcp2.org, consulté le
10 janvier 2011.
Donabedian A. An introduction to quality assurance in health care. New York, Oxford
University Press, 2003.
Du Mortier S. et Coninx R. Mobile health units in emergency operations: a methodological
approach. Londres, Overseas Development Institute (ODI Humanitarian Practice Network
Paper n° 60), 2007. Disponible en ligne à l’adresse suivante : www.odihpn.org, consulté le
10 janvier 2011.
Gouvernement islamique de transition d’Afghanistan, ministère de la Santé. A basic package
of health services for Afghanistan. Mars 2003/1382, 2003. Disponible en ligne à l’adresse
suivante : http://unpan1.un.org, consulté le 10 janvier 2011.
Le Projet Sphère. Manuel : Charte humanitaire et normes minimales pour les interventions
lors de catastrophes. 2e édition révisée. Genève, 2004.
Michael M., Corbett M. et Mola G. The road to health and the road to Afghanistan: joint
UNHCR/WHO evaluation of health and health programmes for Afghan refugees in Pakistan.
Genève, HCR, 2005.
Organisation mondiale de la Santé. Comment étudier l’utilisation des médicaments dans les
services de santé. Quelques indicateurs de l’utilisation des médicaments. Genève, 1993.
Organisation mondiale de la Santé. Rapport sur la santé dans le monde. Les soins de santé
primaires. Maintenant plus que jamais. Genève, 2008.
Segall M. District health systems in a neoliberal world: a review of five key policy areas.
International Journal of Health Planning and Management, 18:S5-S26, 2003.
Module 7
Annexe 7 Contractualisation des services de santé
Contractualisation des services de santé
223
Annexe 7
Généralités
1
Williamson, cité dans Palmer et Mills (2006).
Annexe 7
« Produire ou acheter » 1 ou encore « fournir ou acquérir » les soins de santé à financement
public est devenu l’une des alternatives majeures du débat sur la prestation de services de
santé dans les pays sortant d’une longue crise. Née dans les pays développés, cette politique
est de plus en plus souvent adoptée dans les secteurs de la santé aux ressources limitées, qui
y voient un moyen de développer la prestation de services. Dans les pays sortant d’un conflit
et où les autorités ont été considérablement affaiblies par une crise prolongée, cette approche
a été saluée comme un moyen de formaliser et de réglementer le rôle déjà important des
ONG, d’orienter les prestataires de services sur les zones mal desservies, d’étoffer l’offre de
services et de contribuer ainsi à consolider une situation politique précaire.
La présente annexe examine les principales caractéristiques de la contractualisation, analyse
ses avantages et inconvénients théoriques et pratiques, passe en revue les éléments attestant
de l’expérience des pays en crise et identifie les questions que les responsables et les décideurs
politiques doivent se poser avant de retenir cette formule.
La sous-traitance externe est définie comme « la méthode par laquelle le secteur public ou
des entreprises privées emploient et financent un agent extérieur pour exécuter à leur place
des tâches déterminées » (Kinnon, Velasquez et Flori, 1995). L’internalisation signifie qu’une
subdivision de l’organisation mère (un hôpital, un groupe de médecins, etc.) est chargée de
la fourniture de certains biens ou services. Quand la contractualisation s’effectue en interne,
les contrats sont passés entre différents niveaux de décision, créant ainsi une concurrence sur
un marché interne ou « quasi-marché ». Différents services peuvent être achetés : les soins
cliniques, les interventions en santé publique, les services non cliniques et les fonctions
de gestion.
L’externalisation, c’est-à-dire la conclusion de « contrats de services » implique un processus
concurrentiel au cours duquel le secteur public se procure des services auprès de prestataires
privés. En vertu des modalités de ces contrats fondés sur les résultats, la rémunération des
prestataires dépend d’indicateurs de résultats, l’objectif étant d’améliorer l’efficience et
l’équité des services de santé, ainsi que la coordination et la transparence. Des incitations
financières peuvent aussi être instaurées pour stimuler la demande (transferts monétaires
conditionnels au Nicaragua et au Mexique, par exemple).
Il existe différentes approches en matière de contractualisation des prestations de services
(Perrot, 2006 ; Loevinsohn et Harding, 2005). Depuis les années 1980, l’introduction
de mécanismes de marché dans le secteur des soins de santé s’inscrit dans une tendance
politique mondiale à réduire le rôle de l’État et à développer celui du secteur privé, considéré
comme relativement plus efficient, souple et à l’écoute des consommateurs. La faillite de
l’État a été attribuée au fait que le secteur public n’était pas incité à répartir ses ressources
de manière efficiente ou à l’autocentrisme d’administrations ou de groupes de pression
influents. Cette prise de conscience progressive des lacunes du secteur public et du coût des
soins de santé dans un contexte général de crises économiques et budgétaires a contraint
les responsables des politiques à recourir à différents modes de prestation des services et
à trouver de nouvelles sources de revenus et de nouveaux moyens d’accroître l’efficience.
224
Analyse du secteur de la santé dans les urgences complexes
Néanmoins, « assez peu d’études se sont attachées à vérifier la validité de ces déclarations
d’ordre général » (Green, 2007). Le débat sur la contractualisation est ouvert, comme l’illustre
la présente annexe : une revue (Green, 2007) de l’expérience de contractualisation des
services de santé dans une dizaine de pays en développement révèle les progrès accomplis
sur le plan de l’efficacité, tout en soulignant que de nouvelles études seraient nécessaires
pour en évaluer les effets sur l’équité. L’«enthousiasme » que suscite actuellement cette
approche (Eldridge et Palmer, 2009) requiert une évaluation rigoureuse des risques potentiels
qu’elle implique dans les environnements spécifiques où elle doit être mise en œuvre. Il faut
notamment être extrêmement vigilant quant au risque de « triche », c’est-à-dire au fait que
les rapports sur les performances des services peuvent être manipulés de sorte à atteindre les
objectifs souhaités.
Comme il a été indiqué plus haut, des solutions relevant du secteur privé et inspirées
de la « nouvelle gestion publique » ont été préconisées pour contourner les obstacles
inhérents au secteur public. Ainsi, des réformes sectorielles ont été engagées pour réduire
les administrations publiques, en dissociant les fonctions d’élaboration des politiques, de
réglementation et de surveillance (demeurant du ressort du ministère de la Santé) de la
prestation des services de santé, destinés à être sous-traités à différents prestataires publics
et privés (à but lucratif ou sans but lucratif). Cette séparation, déjà adoptée dans le cadre de
différents modèles mis en œuvre dans la majorité des pays développés, a été introduite plus
tard dans certains pays en développement et elle est envisagée dans la plupart des autres.
Le fait de savoir dans quelle mesure la nouvelle gestion publique a tenu ses promesses est
matière à controverses ; il faudrait disposer de davantage d’éléments probants pour établir un
bilan valable (Global Health Watch 2005-2006, 2005-2006).
L’occasion qu’offrent les secteurs de la santé désorganisés de transférer des réformes
politiques sans rencontrer de trop fortes résistances, de même que le pari que, dans de
telles conditions, il sera possible de repartir de zéro sur le plan institutionnel 2 , ont incité
les partisans de la nouvelle gestion publique à insister pour que la contractualisation soit
adoptée sans préparation, même sur les terrains les plus difficiles comme en Afghanistan et
au Sud-Soudan. Dans ces pays pourtant, bien que les ONG puissent assurer des services de
santé efficaces, la capacité actuelle des nouveaux pouvoirs publics à jouer correctement leur
rôle d’acheteur de services (préparation des contrats de service, gestion et surveillance des
prestataires) est extrêmement limitée (voir plus loin).
Avantages et inconvénients de la contractualisation
Selon la théorie économique classique :
• la contractualisation stimule la concurrence. Les prestataires sont donc contraints
d’adopter des techniques innovantes et d’ajuster leurs prix pour s’adapter à la demande
et aux besoins des acheteurs ;
Annexe 7
•
l’instauration de relations contractuelles devrait accroître la sensibilisation aux coûts et
rendre les négociations plus transparentes, deux facteurs d’amélioration de l’efficience
•
la contractualisation irait dans le sens d’une décentralisation des responsabilités de
gestion, ce qui permettrait une efficience supérieure à celle des structures administratives
extrêmement centralisées de l’ancien système ;
•
la contractualisation peut attirer l’attention des gestionnaires sur les résultats
mesurables.
2
Les détracteurs de cette thèse font valoir que, même dans les pays où l’État est presque
complètement déliquescent, certaines institutions, structures traditionnelles et capacités
administratives résiduelles sont préservées.
Annexe 7 Contractualisation des services de santé
•
225
après un conflit (le développement des soins de santé est alors généralement une priorité),
la contractualisation est considérée comme une formule garantissant une meilleure
coordination des prestataires et un recentrage plus rationnel des services autour d’un
programme commun, ce qui devrait ensuite se traduire par un essor rapide des services
de santé.
•
Deuxièmement, la concurrence entre prestataires est souvent limitée, en particulier dans
les zones reculées et difficiles d’accès où prévalent généralement des arrangements de
gré à gré, c’est-à-dire non contractuels et non concurrentiels mais simplement fondés sur
la confiance. Les contrats de longue durée (qui ont parfois la préférence car ils entraînent
des coûts de transaction moins importants) « verrouillent » les fonds publics pour un usage
spécifique, ce qui limite les possibilités de réaffecter les ressources de manière à régler
les problèmes d’efficience ou d’équité. Par exemple, pour une ONG présente depuis
longtemps dans une région dotée de ressources pléthoriques, il serait difficile et onéreux
de transférer ses activités dans une zone non desservie. L’un des risques réside dans
l’opportunisme de prestataires qui pourraient, par exemple, pratiquer une antisélection
de leurs patients ou se sentir moins tenus par l’objectif d’efficience : pour réduire ces
risques, il faut des mécanismes de surveillance idoines et des incitations directement
liées aux résultats. Le caractère limité de la concurrence est un phénomène flagrant dans
les pays en développement et plus encore dans ceux où la situation est chaotique et où les
principaux financeurs et la plupart des prestataires sont respectivement des organismes
d’aide et des ONG, c’est-à-dire deux types d’agents économiques particuliers.
Avant le recours à la contractualisation, les organismes d’aide finançaient les activités
des ONG via des subventions, dont l’attribution n’impliquait pas de concurrence ouverte.
Avec cette formule, en outre, le rôle décisionnel des autorités sanitaires concernées est
nettement plus important.
•
Troisièmement, la capacité d’un opérateur à se faire une place sur le marché de la santé
et à en sortir est limitée. Le coût des actifs (hôpitaux, équipements) dont il faut disposer
pour fournir les services de santé (la plupart des actifs étant irrécouvrables donc perdus),
le niveau de qualification très élevé qui doit être celui des professionnels de santé, le
temps nécessaire à bâtir une réputation et les règles de délivrance des agréments sont
autant de barrières à l’entrée de nouveaux acteurs sur le marché des soins de santé et à
leur sortie ensuite.
3
D’après une source, les coûts de gestion du ministère afghan de la Santé publique sont
minimes par rapport aux aides non remboursables (Fritsche, information obtenue à titre privé).
Annexe 7
Les opposants à la contractualisation des services de santé avancent plusieurs arguments.
• Premièrement, elle peut, dans un premier temps, induire des coûts de transaction
élevés liés à la rédaction et la négociation des accords, ainsi qu’au suivi des contrats
et au règlement des litiges ; une fois le système en place, les coûts tendent à baisser 3.
L’asymétrie de l’information entre les prestataires et les acheteurs de soins explique
pourquoi ces derniers, à savoir les États, manquent souvent d’informations sur le coût et
la qualité des prestataires publics et privés, et ont rarement les compétences juridiques et
techniques requises pour rédiger des contrats détaillés et veiller efficacement à l’exécution
des dispositions contractuelles. L’asymétrie d’information s’explique notamment
par la grande complexité technique des soins de santé et les incertitudes concernant
la charge de travail ; ces deux facteurs font qu’il est difficile de définir précisément
le produit objet du contrat (en l’occurrence les services à fournir) qui, contrairement
aux autres produits marchands, ne peut pas être marchandisé, mais aussi de définir les
conditions financières.
226
Analyse du secteur de la santé dans les urgences complexes
•
Quatrièmement, d’aucuns ont souligné que mettre trop fortement l’accent sur l’efficience
pouvait conduire à négliger d’autres aspects tout aussi importants, tels que l’équité ou la
qualité des soins. C’est la raison pour laquelle certaines expériences de contractualisation
des services de santé, comme celle conduite au Rwanda, incluaient la qualité des soins
dans le suivi des résultats obtenus par les prestataires 4 .
•
Cinquièmement, la plupart des pays en situation d’urgence sont très dépendants de l’aide
extérieure : ce sont les donateurs et non le ministère de la Santé qui achètent les services
de santé et, en raison des conditions dont l’aide est assortie, ils préfèrent souvent des
contractants internationaux (ONG, par exemple) à des prestataires locaux.
•
Enfin, déléguer la tâche d’achat des soins peut entraîner des surcoûts. Ainsi, du fait des
sommes tout à fait considérables qui sont en jeu, les centrales d’achat de médicaments
négocient souvent des prix plus intéressants que des acheteurs isolés comme les ONG.
Ces difficultés sont accentuées en période de crise, quand les capacités institutionnelles
(fonctionnaires compétents en matière de rédaction de contrats, de gestion, d’administration
et de surveillance) sont réduites et que les marchés de la santé sont généralement sousdéveloppés. Le risque d’aggraver la fragmentation du système de santé en multipliant le
nombre de prestataires ne peut pas être négligé. Toutes ces raisons expliquent que, par le
passé, les contrats de services liés aux soins de santé se limitaient aux services annexes
(restauration, nettoyage, etc.), pour lesquels le cahier des charges est plus simple et les
services eux-mêmes sont bien moins complexes ; la contractualisation n’a concerné les
services cliniques qu’à partir des années 1990.
Expériences nationales
Annexe 7
Plusieurs facteurs expliquent que l’on dispose d’encore assez peu d’éléments probants
sur l’efficacité de la sous-traitance des services de santé dans les pays en crise et que ces
divers éléments manquent de cohérence : adoption fragmentée de cette approche, portée
de la contractualisation (de simples programmes spéciaux à des services complets de
SSP), objectifs différents poursuivis selon les contextes, difficulté à évaluer les coûts et
les avantages, importance du contexte (le modèle qui fonctionne le mieux dans un cadre
donné n’est pas forcément transposable ailleurs), caractère « déviant » des incitations de
marché dans un contexte où les sources de financement et les prestataires se combinent de
manière complexe (secteur public, donateurs, secteur privé à but lucratif, secteur privé à
but non lucratif), essor progressif du secteur privé dans de nombreux secteurs de la santé.
Néanmoins, au terme d’une décennie très riche en expérimentations, un certain nombre
d’enseignements empiriques commencent à se dégager. Globalement, des effets bénéfiques
ont été constatés sur le plan de l’accès aux services de santé et de l’équité en matière de
soins ; en revanche, les éléments indiquant une amélioration de la qualité et de l’efficience
des services sont peu nombreux. Des observateurs ont suggéré que les améliorations
observées pour certains aspects pouvaient se produire au détriment d’autres aspects (voir
Liu, Hotchkiss et Bose, 2007).
Deux modèles pilotes de contractualisation (externe et interne) ont été expérimentés au
Cambodge à la fin des années 1990 et évalués par rapport à des districts de référence.
Les enquêtes réalisées avant et après les interventions ont montré que la couverture par les
SSP avait davantage progressé dans les districts où les services avaient été contractualisés
que dans les districts de référence sous l’effet, principalement, d’une utilisation accrue par
les ménages les plus pauvres (Bhushan, Keller et Schwartz, 2002). Toutefois, les différences
entre les flux de ressources convergeant vers les districts étudiés pourraient expliquer cette
variation. La quasi-absence de prestations publiques offertes au Cambodge doit être prise en
compte lorsqu’on évalue ces résultats positifs (Palmer et Mills, 2006). Sur ce point, des avis
divergents se sont exprimés (Loevinsohn et Harding, 2005).
4
Fritsche, information obtenue à titre privé.
Annexe 7 Contractualisation des services de santé
227
Une étude concernant plusieurs pays de la Région OMS de la Méditerranée orientale
(Siddiqi, Masud et Sabri, 2006) montre que la contractualisation, sous réserve que les
conditions préalables soient réunies et que les capacités existent, peut contribuer à améliorer
les résultats du système de santé. Cependant, la liste des conditions préalables est si longue
qu’il est préférable de s’interroger sur la faisabilité de la formule avant de l’appliquer dans
des zones difficiles émergeant d’un conflit.
L’exemple du Rwanda (Soeters, Habineza et Peerenboom, 2006) atteste de l’amélioration
sensible de plusieurs indicateurs après l’instauration d’une contractualisation fondée sur
les résultats. Malgré son succès, la mise en place du système au niveau institutionnel a
été complexe et les auteurs évoquent plusieurs questions qui devront être réglées avant
toute extension du programme, en particulier l’intégration de la contractualisation dans le
système réformé de financement de la santé qui a été adopté par le pays. En outre, les coûts
de transaction ont été estimés à 25 % du coût total de la contractualisation, ce qui n’est
pas négligeable.
L’étude de Loevinsohn et Harding (2005) déjà mentionnée, qui s’appuie sur l’expérience
de contractualisation tentée dans 10 pays, montre que les résultats ont été positifs, avec des
effets impressionnants obtenus au Cambodge (Haïti étant le seul pays de l’échantillon aux
prises avec une crise prolongée). Les auteurs soulignent que des questions clés, qui se posent
tout particulièrement dans les situations d’urgence, doivent encore être réglées ; il s’agit
des conséquences de la contractualisation sur l’équité et de son rapport coût-efficacité par
rapport aux aides non remboursables aux ONG (un mode de financement des services auquel
il est fréquent de recourir dans ce type de contexte).
Parmi les pays connaissant une situation de crise prolongée et où la contractualisation des
services de santé est effective, l’Afghanistan fait figure d’exception à de nombreux égards.
Au terme de plus de vingt années de conflit, le système de santé afghan était exsangue.
Le secteur privé à but non lucratif jouait un rôle prépondérant, 80 % des établissements de
soins « publics » étant gérés par des ONG. Les prestataires privés à but lucratif détenaient
probablement la part la plus importante du marché des soins de santé. L’insécurité qui régnait
dans le pays constituait un obstacle majeur : le fait que de vastes zones étaient inaccessibles
ne faisait qu’aggraver le problème des capacités déjà limitées des autorités sanitaires.
Dans le chaos qui a suivi la chute du régime taliban, les donateurs, sous la houlette de la Banque
mondiale, ont été les fers de lance d’une évolution de la politique de santé visant à faire des
ONG les principaux prestataires d’un programme de services de base. Le changement s’est
amorcé très rapidement, malgré une certaine réticence des ONG à devenir des sous-traitants
et en dépit des craintes initialement exprimées par le ministère de la Santé publique. Aucun
projet pilote comparable à l’expérience cambodgienne n’a été tenté. Trois mécanismes et
contenus contractuels différents ont été financés respectivement par la Banque mondiale,
USAID et la Commission européenne, en collaboration avec le ministère.
L’organisation internationale Management Sciences for Health a estimé que les dépenses
récurrentes à engager pour fournir un paquet de services de soins essentiels s’élevaient à
US $4,55 par habitant et par an. Ce chiffre, qui est devenu la référence pour la tarification
des contrats utilisés par les trois bailleurs de fonds, est contesté par plusieurs observateurs,
qui le jugent trop bas et fondé sur une étude peu fiable (Strong, Wali et Sondorp, 2005).
Une conférence organisée en 2007 sur ce thème a conclu que « la fourniture d’un paquet
minimum, sans même parler d’un paquet plus complet, pour un coût compris entre US $5 et
10 se révélera sans doute être une utopie » (Carlson, 2007).
Le but était de couvrir tout le territoire afghan rapidement, au moyen d’arrangements
contractuels progressivement étendus aux 34 provinces du pays. Si l’on se base sur la
population d’un district ou d’une province comptant un organisme sous contrat, le taux de
couverture par le programme de base était estimé à 82 % en 2006, ce qui apparaît comme un
progrès très significatif sur une courte période. Toutefois, une enquête de portée nationale
conduite auprès des ménages ruraux fait ressortir des niveaux de couverture nettement
Annexe 7
Le cas de l’Afghanistan
228
Analyse du secteur de la santé dans les urgences complexes
moins importants : seulement 19 % des accouchements étaient assistés par des soignants
qualifiés et la couverture du DTC3 était de 35 % (ministère de la Santé publique, 2007).
Les tendances sont encourageantes, même si les améliorations sont lentes et toujours fragiles
en raison de l’insécurité ambiante. Les autorités sanitaires ont donc fait en sorte de mieux
gérer et de mieux surveiller le respect des contrats et les résultats des ONG. Par ailleurs,
les experts internationaux ont participé de manière significative à la mise en œuvre de la
contractualisation.
Un temps relativement court s’est écoulé depuis l’introduction de ce dispositif et les
principales questions soulevées par les autres expériences nationales restent ouvertes,
notamment celles concernant la durabilité, l’équité et le suivi de la qualité des services.
En outre, les évaluations des effets de la contractualisation négligent souvent un aspect crucial : le
facteur décisif de la période postérieure à la chute des Talibans a été l’augmentation spectaculaire
des niveaux de financement, qui a permis le développement des services de santé. L’aide en
faveur de ces services est passée de US $2-3 par habitant et par an en 2002 à un montant moyen
de US $22 au cours de la période 2004-2006 (OCDE, base de données en ligne du CAD). Les
utilisateurs afghans des services de santé ont complété les apports de fonds des donateurs à
hauteur d’environ US $14 par habitant et par an (ministère afghan de la Santé publique, 2007).
Il est possible que la contractualisation ait accentué cette remarquable progression des niveaux
de ressources et elle a très certainement permis une régulation de la croissance des services après
le conflit. Toutefois, sans augmentation substantielle des moyens affectés à l’offre de soins, il ne
fallait guère s’attendre à des progrès significatifs dans ce domaine.
Conclusions
Annexe 7
Globalement, les éléments accumulés sont encourageants et donnent à penser que la
contractualisation des services de santé pourrait contribuer à améliorer les prestations.
Néanmoins, il faut être prudent avant de généraliser les résultats actuellement disponibles :
aucune des différentes expériences nationales n’a débouché sur des succès incontestables.
Les décideurs et les responsables des politiques qui tentent de remettre sur pied un système
de santé délabré doivent donc garder à l’esprit les obstacles qui devront être surmontés.
Les secteurs de la santé défaillants semblent se prêter tout particulièrement mal aux réformes
inspirées du concept de nouvelle gestion publique. « Un État incapable de fournir des
services sociaux de qualité en raison de capacités administratives largement insuffisantes
a peu de chances d’être en mesure de sous-traiter efficacement ses services cliniques ou
autres » (Bennett et Mills, 1998). Il ne faut donc pas voir dans la contractualisation une
panacée ou un moyen commode de pallier l’inefficience de l’État ou l’absence de capacités
administratives et de gestion. C’est pour cette raison que l’externalisation des services de
santé devrait être envisagée avec beaucoup de prudence dans les zones où la désorganisation
qui règne amplifie la majorité des problèmes évoqués ci-dessus.
Dans les secteurs de santé ébranlés par la guerre, il est souvent impossible d’évaluer si
les prestataires de soins respectent leur contrat ; en outre, les raisons pour lesquelles la
contractualisation peut échouer sont légion (progression de l’insécurité, par exemple) et
l’évolution du contexte peut rapidement avoir pour effet de rendre obsolètes les objectifs
initialement fixés. Dans plusieurs secteurs publics très affaiblis, les relations entre le
ministère de la Santé et les prestataires privés qui sont censées être le pivot de tout dispositif
de contractualisation, peuvent être tout à fait superficielles. Les organismes donateurs
demeurent aux manettes et imposent différentes conditions aux prestataires de soins, comme
en Afghanistan. L’établissement de relations contractuelles durables est une question qui
s’applique aux zones non exposées à une crise. D’après Palmer et Mills (2006), « on ne sait
pas encore exactement ce qui se produirait dans l’hypothèse où ce soutien serait retiré aux
États, si les gouvernements concernés pourraient continuer à contractualiser les services et
si cela se révélerait d’un bon rapport coût-efficacité pour eux ». Dans les pays en proie à une
crise prolongée et souvent très dépendants de l’aide étrangère, la question de la durabilité des
relations peut ne plus être pertinente.
Annexe 7 Contractualisation des services de santé
229
Dans le même temps, la privatisation non planifiée et non encadrée de l’offre de
services de santé que l’on observe dans de nombreux secteurs de la santé désorganisés
peut, dans une certaine mesure, être irréversible. Quand le secteur a été profondément
ébranlé par la guerre et que la prestation des services de santé est dominée par les
ONG, il peut être très tentant de recourir à la contractualisation dans un but tactique,
pour réglementer des relations mal définies et opaques et redonner du pouvoir aux
autorités sanitaires. La contractualisation devrait être considérée comme l’une des
formules pouvant permettre de restructurer des secteurs de la santé perturbés par un
conflit. Toutefois, son adoption implique une reconfiguration de l’offre de services
de santé, un aspect essentiel pourtant souvent négligé. Les carences fondamentales
du secteur de la santé n’ont guère de chances d’être palliées par le seul recours à la
contractualisation, laquelle devrait plutôt être perçue comme l’une des composantes
d’un programme de réformes cohérentes embrassant tout le secteur.
Les décideurs envisageant de contractualiser les services de santé devraient être
conscients des difficultés brièvement évoquées plus haut ou, pour reprendre la
formulation élégante de Hsiao (1994) : « La magie de la marchandisation incite
souvent les gouvernements à franchir le pas sans procéder à une analyse critique
préalable des conditions à remplir pour que les marchés soient efficients et sans
chercher à se référer à des expériences probantes. Le marché de la santé présente
des carences importantes, qui peuvent produire des résultats contraires à ceux
escomptés. Mais les corriger peut se révéler impossible ou coûteux. »
Conseils de lecture
Annexe 7
England R. Experience of contracting with the private sector.
A selective review. Londres, DFID Health Systems Resource
Centre,
2004.
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en
ligne
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England.pdf, consulté le 10 janvier 2011.
Palmer N. et Mills A. Contracting-out health service provision in resourceand information-poor settings. In Jones A.M., ed. The Elgar Companion to
Health Economics. Cheltenham, Edward Elgar, 2006.
Perrot J. La diversité du recours à la contractualisation dans les systèmes de
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Annexe 7
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Annexe 7
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230
Analyse du secteur de la santé dans les urgences complexes
Global Health Watch 2005-2006: an alternative world health report. Londres, Zed
Books. Disponible en ligne à l’adresse suivante : www.ghwatch.org, consulté le 10
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3e édition. New York, Oxford University Press, 2007.
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Soeters R., Habineza C et, Peerenboom B. Financement en fonction des résultats et
modification du système de santé de district : Expérimentation au Rwanda. Bulletin
de l’Organisation mondiale de la Santé, 84:884-889, 2006.
Annexe 7
Module 8
Analyser les systèmes de gestion
Module 8
232
Analyse du secteur de la santé dans les urgences complexes
Résumé
Ce module étudie l’ensemble des systèmes de gestion à l’œuvre au cours d’une crise prolongée,
leur évolution face aux difficultés et leurs interactions mutuelles, parfois conflictuelles.
Il insiste sur la nécessité de s’intéresser aussi bien aux établissements informels qu’aux
institutions officielles. Il analyse en détail les outils de gestion de l’aide et examine l’étendue
de la planification des activités sanitaires et les conditions qu’elle doit remplir pour être
efficace dans un contexte dégradé. Il expose rapidement les difficultés de la réglementation
des soins de santé en temps de crise et formule quelques remarques tirées des expériences de
régénération de systèmes de gestion paralysés. Il se conclut par un examen des capacités et
de leur développement dans un secteur de la santé perturbé.
L’Annexe 8 analyse la pertinence d’une approche sectorielle (SWAp) et sa faisabilité dans
un contexte de crise, et décrit les instruments sectoriels qui permettraient de progresser.
Modules connexes :
Module 3. Comprendre le contexte passé, présent et futur du pays
Module 5. Comprendre les processus d’élaboration de la politique sanitaire
Module 6. Analyser le financement et les dépenses du secteur de la santé
Module 9. Étudier le réseau de santé
Introduction
Une crise prolongée transforme les secteurs de la santé à un point tel qu’elle exclut toute
possibilité de retour à la situation d’avant le conflit. Les personnels de santé autochtones sont
confrontés (dans leur pays comme à l’étranger) à différentes méthodes de gestion. Dans une
économie dollarisée qui oblige les responsables de la santé à revoir les modèles de service
public établis, le secteur de la santé s’ouvre. L’effondrement des anciens systèmes encourage
l’expérimentation et l’innovation. Toute intervention visant à préserver les systèmes de
gestion existants d’un effondrement définitif, ou à rétablir leur fonctionnement élémentaire,
doit accepter le fait que des changements sont inévitables.
Si certaines des distorsions du secteur de la santé dues à un conflit prolongé peuvent
disparaître spontanément, d’autres sont solidement ancrées. Des modèles « culturels »,
concernant notamment la gestion des crises, les approches verticales et par projet, la vision
à court terme, la dépendance vis-à-vis d’initiatives et de ressources extérieures, sont parfois
encore visibles des années après la normalisation apparente du secteur. Une fois enracinées
dans la pratique courante, ces distorsions ne se corrigent pas d’elles-mêmes mais requièrent
une action délibérée.
Pour gérer efficacement les changements de grande ampleur qui interviennent au cours
d’une crise prolongée, il faut trouver un délicat équilibre entre les préoccupations présentes
et les problèmes à venir. Une bonne perception des effets à long terme induits par les
décisions prises en toute bonne foi pendant la guerre, par exemple la promotion d’approches
verticales de la fourniture de services, permet de limiter leur impact négatif. Mais le plus
souvent, on néglige les répercussions futures des mesures dictées par la crise. À l’inverse,
des craintes déplacées sur la viabilité à terme des opérations dues à la crise peuvent donner
lieu à des interventions inadaptées pour répondre aux problèmes présents. La capacité à
tirer des leçons de l’expérience ne semble pas être la qualité première du secteur de l’aide
(Berg 2000).
L’étude des systèmes de gestion dans un secteur de la santé en crise présente des difficultés
particulières liées à leur désorganisation, à leur dispersion et à leur instabilité. La plupart
des fonctions de gestion étant assurées par différents organismes (locaux ou étrangers) qui
entretiennent des liens distendus et irréguliers, une bonne connaissance des systèmes existants
ne peut passer que par des évaluations exhaustives. La cartographie du rôle des différents
acteurs dans chaque branche de la gestion peut aider à voir plus clairement comment les
tâches sont réellement exécutées et à trouver des solutions pour améliorer la situation.
Évaluation de la dégradation des systèmes de gestion
La fourniture de soins de santé passe par l’exécution de plusieurs fonctions de gestion:
•
Collecte et analyse des données
•
Formulation de politiques, planification et élaboration de programmes
•
Gestion financière
•
Gestion du personnel
•
Gestion des ressources
•
Approvisionnement
•
Réglementation
•
Supervision et contrôle de la qualité
•
Dans les secteurs de la santé fortement dépendants de l’aide, la coordination de cette aide
doit également constituer l’une des composantes essentielles des systèmes de gestion, et
englober la plupart des fonctions mentionnées ci-dessus. Pour plus d’informations, voir
la section Gestion de l’aide dans le présent module et le Module 6.
Dans tous les systèmes, y compris dans les États les plus stables, chaque fonction est plus
ou moins performante. En cas de crise, les variations et les extrêmes sont plus prononcés.
Certaines fonctions sont soutenues ou relayées par les organismes d’aide, d’autres restent,
du moins en théorie, sous l’entière responsabilité des autorités sanitaires locales. Si les
capacités de ces autorités sont fortement dégradées, les fonctions qu’elles assument sont
interrompues. Les organismes d’aide se montrent extrêmement pointilleux sur les fonctions
qu’ils acceptent de soutenir ou d’assurer. Les donateurs évitent généralement de s’engager
dans des domaines controversés. Et les autorités bénéficiaires se montrent parfois réticentes
à abandonner des fonctions considérées comme essentielles à l’exercice de leur pouvoir.
Ainsi, l’approvisionnement peut être généreusement financé, voire pris en charge par des
organismes extérieurs, sans qu’une réglementation permette de garantir une utilisation correcte
des biens fournis. Les performances du système pâtissent de ces déséquilibres fonctionnels.
Lorsque les fonctions de l’État s’effondrent, comme ce fut le cas en Afghanistan et en Iraq,
les systèmes de gestion de la santé se délitent et il ne reste plus grand-chose à analyser.
Par ailleurs, les fonctions encore debout peuvent être tellement perturbées qu’elles paraissent
fondamentalement défectueuses aux observateurs extérieurs, et que toute tentative visant à
les relancer semble vouée à l’échec. À cet égard, il faut se garder de toute conclusion hâtive,
la désorganisation observée dans les systèmes de gestion de la santé pouvant être due à un
choc externe plutôt qu’à un défaut de conception intrinsèque. En d’autres termes, lorsque
les fonctions de gestion s’arrêtent, on ne peut émettre que des hypothèses. La solidité d’un
système de gestion ne peut être évaluée que lorsque celui-ci est en action.
Les études sur le fonctionnement des systèmes de gestion menées avant que ceux-ci ne
s’effondrent peuvent fournir des indications utiles. L’examen des documents disponibles
(règles et réglementation, anciens rapports et dossiers, description du rôle des responsables,
etc.) permet également d’éclairer la question. On peut parfois y repérer des schémas obsolètes
ou de graves incohérences entre des composants censés agir les uns sur les autres. Très
souvent, il n’existe aucune description écrite des systèmes de gestion, ou ces descriptions
sont trop éparses ou fragmentaires pour donner une indication fiable de l’état des systèmes
avant la crise.
Il faut être très prudent lorsque l’on inspecte les structures ainsi que les règles et la
réglementation officielles sur la gestion, car elles n’ont pas forcément grand-chose à voir
avec les pratiques effectives. Les constructions théoriques détachées de la réalité sont monnaie
courante. Et les informateurs peuvent être influencés par leur attachement aux pratiques en
cours avant la crise. Leur diagnostic doit être interprété avec soin.
Les systèmes de gestion résultent d’une évolution sur des dizaines d’années, marquée
occasionnellement par un changement brusque. Si ce changement ne s’enracine pas, les
habitudes antérieures regagnent progressivement du terrain. Les compromis résultant des
233
Module 8
Module 8 Analyser les systèmes de gestion
Module 8
234
Analyse du secteur de la santé dans les urgences complexes
conflits de pouvoir entre différents acteurs sont fréquents. Certaines traditions sont si bien
ancrées que les personnes en place sont incapables d’envisager d’autres approches. « Les
pratiques administratives élémentaires restent imprimées dans l’esprit des fonctionnaires,
anciens et actuels, même lorsque les structures ont cessé de fonctionner et que les documents
ont disparu » (Cliffe, 2005).
Les traditions administratives peuvent ressurgir avec plus de vigueur encore à la fin d’une
crise prolongée, si l’État sinistré (et le groupe au pouvoir) survit. Si la capacité à résister
à de grandes difficultés est interprétée comme la preuve d’une bonne organisation, qui se
rendra compte qu’un changement radical s’impose ? Des mesures archaïques peuvent alors
se maintenir malgré le processus de relèvement. On passe alors à côté de l’occasion de
réformer le système offerte par la transition vers la paix. La fonction publique, enhardie par
sa propre survie, impose son esprit conservateur. Le relèvement de l’Angola, dynamisé par
d’abondants revenus pétroliers, est fortement marqué par ce phénomène.
Structures de gestion
Dans de nombreux pays, le secteur de la santé reproduit la structure administrative de l’État,
avec un niveau central (national), des niveaux intermédiaires (provinces, régions ou États) et
des niveaux périphériques (districts ou circonscriptions). Ces unités administratives peuvent
être très anciennes et, pour cette raison, avoir acquis une grande importance aux yeux des
populations locales. Certains pays qui adoptent une structure décentralisée ont auparavant
éliminé le niveau intermédiaire ou en ont réduit les attributions. Dans certaines régions, les
limites administratives ont été établies selon des critères ethniques.
La superficie et la population d’une unité administrative varient selon le pays et à l’intérieur
même du pays. La population d’un district est généralement comprise entre 10 000 et
500 000 habitants. Les principaux paramètres à prendre en compte pour la gestion des services
sanitaires sont la taille de la population à desservir, la zone à couvrir et les infrastructures
de communication locales. Le découpage administratif théorique doit être rapproché des
conditions et des contraintes réelles. Parfois, les autorités du district n’existent que sur le
papier ou ont fui la zone qu’elles sont censées administrer. Et des mouvements de population
importants peuvent vider de leur sens les données démographiques disponibles. En 2001, en
République démocratique du Congo, le nombre d’unités administratives sanitaires est passé
de 308 à 515. Cette restructuration ne s’étant accompagnée d’aucune allocation de
ressources ou de capacités, de nombreuses « zones de santé » en sont restées au stade de
constructions virtuelles.
Alors que les populations couvertes par un secteur administratif sont très différentes, les
ministres de la Santé ont tendance à répartir la plupart des ressources importantes, qu’il
s’agisse d’établissements de santé, de personnel, de fonds ou d’équipements, par unité
administrative. De toute évidence, d’autres critères s’imposent. Un classement des districts
selon la taille de la population permettrait d’appliquer des règles d’allocation des ressources
différentes. On pourrait aussi rattacher les différentes ressources à d’autres indicateurs
spécifiques. Mais cette approche rationnelle suppose l’existence d’une base d’informations
à jour et fiable et la capacité de traiter ces informations. Deux conditions rarement remplies
dans un contexte d’instabilité. Dans certains cas, plutôt que de s’appuyer sur des critères
officiels, les gestionnaires allouent les ressources en fonction des besoins sur le terrain.
Dans certains arrangements informels, plusieurs districts se regroupent autour d’un hôpital
de premier recours qui reçoit une grande part des ressources, parfois par le biais d’une ONG.
Si ces solutions constituent une réponse au problème, elles sont par essence précaires, en
particulier en cas de changement fréquent des gestionnaires.
Certaines autorités sanitaires ont tenté de compenser le décalage entre la structure
administrative et les problèmes de prestation des soins en regroupant plusieurs districts dans
une même unité de gestion des services sanitaires. Dans le Cambodge de l’après-conflit,
le Plan national de couverture médicale a créé des districts opérationnels, autrement dit
des unités autonomes rassemblant plusieurs districts contigus. Mais cette réforme justifiée
n’a pas reçu suffisamment de ressources et s’est heurtée sur plusieurs fronts à une forte
résistance. Des années après sa création, le Plan national de couverture médicale n’a été que
partiellement mis en œuvre. Pour plus d’informations, voir l’Annexe 12.
Dans certains cas, la structure de gestion est calquée sur le réseau de santé. Les hôpitaux
occupent une place prépondérante, ils disposent de budgets autonomes et sont officiellement
responsables du réseau périphérique. La plupart des hôpitaux s’étant développés de manière
organique au fil du temps, leur répartition et leur taille sont rarement adaptées. S’ils servent
de modèle à la structure de gestion, celle-ci a peu de chances de répondre aux véritables
besoins sanitaires. De plus, les hôpitaux sont par essence mal équipés pour les soins de
santé primaires. Le plus souvent, cette conception obsolète entraîne une concentration des
ressources et du pouvoir dans les établissements principaux, au détriment des niveaux de
services inférieurs. Et risque de perturber le bon fonctionnement et l’efficacité de la prestation
des services, comme c’est le cas en Angola.
Certaines grandes villes organisent des systèmes de gestion particuliers, en s’appuyant
sur l’expertise et les ressources fournies par les donateurs. Ces systèmes ont généralement
pour but d’améliorer les performances des services de santé urbains, souvent médiocres
malgré une certaine abondance de ressources et de compétences. La relative sécurité dont
bénéficient les grandes villes en période de trouble, alliée au gonflement de leur population
en raison des déplacements internes, attire les investissements dans les soins de santé urbains,
souvent associés à des plans de gestion particuliers. Ces efforts, certes louables, creusent
l’écart entre ces zones privilégiées et le reste du pays et parviennent rarement à résoudre les
problèmes structurels à l’origine du mauvais fonctionnement des services de santé urbains.
La rationalisation de la prestation des soins de santé en ville est toujours une entreprise
difficile, semée d’embûches sur le plan organisationnel et politique. Pour approfondir ce
sujet, voir le Module 7.
Évolution des pratiques de gestion induite par la crise
À mesure que la crise devient plus profonde et que l’aide s’accroît, les systèmes de
gestion d’origine sont mis de côté ou abandonnés. Des habitudes de travail bien ancrées
sont oubliées. La gestion de la crise l’emporte sur tout le reste. Les « bonnes pratiques
de gestion » sont négligées et peuvent être remises en cause par les nouveaux venus.
La coexistence de pratiques divergentes devient la règle. Des modèles de travail apparaissent,
sont adoptés provisoirement puis rapidement remplacés.
À mesure que les responsables expérimentés partent et que les décisions sont prises par
des collègues plus jeunes et des nouveaux venus, le savoir et la mémoire institutionnels
disparaissent. Dans des crises profondes et prolongées, comme en Afghanistan ou en Somalie,
la plupart des meilleurs cadres vont rejoindre les rangs de la diaspora. Lorsque la crise se
termine, beaucoup restent à l’étranger, travaillent avec des organismes internationaux ou,
s’ils reviennent, semblent totalement déphasés par rapport à la nouvelle situation.
Avec l’interruption des voies de communication et de contrôle, les fonctions de décision et de
pouvoir se dispersent et se fragmentent. On doit désormais rendre des comptes aux organes
ou aux personnes qui contrôlent les ressources. Les organismes d’aide internationaux et les
ONG gagnent en influence par rapport aux autorités bénéficiaires, comme au Sud-Soudan.
Leur diversité et leur autonomie empêchent toute mise en œuvre d’une politique cohérente.
Les départements du ministère de la Santé travaillant sur des services ou sur des zones
favorisées par les donateurs ont un accès privilégié aux financements et se développent
en conséquence. Ils acquièrent un statut spécial au sein du ministère et bénéficient d’une
grande autonomie décisionnelle.
Sous la pression, les responsabilités des différents services de l’État se brouillent : les
tâches, nouvelles ou anciennes, sont attribuées à des organes censés être capables de les
exécuter, quelle que soit leur place dans l’architecture de gestion globale. Oubliés par les
décideurs et soumis à des exigences toujours plus réduites, les services les moins efficaces
stagnent, tout en conservant leur part de ressources et leur statut dans l’organisation, sans
doute pour des raisons historiques ou politiques. Cette situation les préserve parfois d’une
désintégration méritée. La capacité organisationnelle croît et décroît, essentiellement au gré
235
Module 8
Module 8 Analyser les systèmes de gestion
Module 8
236
Analyse du secteur de la santé dans les urgences complexes
des financements accordés par les donateurs et des mouvements de personnes compétentes
qui leur sont associés.
Parfois, la politique choisie échoue à cause d’une structure de gestion inadaptée à sa mise en
œuvre. En période de crise, la réponse la plus fréquente à l’inadéquation des structures de
gestion consiste à mettre en place une nouvelle structure spéciale. Au lieu de remplacer les
anciennes structures, on en ajoute de nouvelles. Peu à peu, la plupart des structures de gestion
en fonctionnement sont des structures « spéciales », provisoires dans leur conception initiale
et leurs objectifs. Mais beaucoup perdureront après la crise pour devenir permanentes.
Le « laisser-faire » gagne du terrain chez les autorités bénéficiaires de l’aide. Sans certitude
concernant la durée de leur mission et leur avenir, pleinement conscientes des limites de leur
pouvoir, les autorités sanitaires centrales et locales tiennent un double langage. Au niveau
politique, elles mettent en avant leur vocation à gouverner et déplorent, ou même s’offensent,
d’être empêchées de le faire complètement.
En même temps, dans leur pratique quotidienne, elles n’exercent pas forcément tout leur
pouvoir, acceptant l’une après l’autre la plupart des propositions faites par les donateurs, les
banques de développement ou les ONG. Elles peuvent souscrire à des objectifs contradictoires,
qualifiés même de « priorités ». Les négociations se transforment en cérémoniaux où les
autorités bénéficiaires adoptent une attitude digne mais vide, et où les gestionnaires de l’aide
se voient accorder toutes leurs exigences ou presque : leurs propositions sont validées, même
si cette approbation repose rarement sur un engagement réel.
Et cela n’a rien de surprenant, puisque la plupart des conditions imposées par les organismes
d’aide pour la mise en œuvre des programmes proposés ne peuvent être satisfaites par les
autorités bénéficiaires. C’est par exemple le cas lorsqu’un bénéficiaire s’engage à prendre à
sa charge les dépenses récurrentes et le personnel d’un établissement construit avec l’aide
du donateur. Aucun responsable d’un secteur de la santé en crise ne peut raisonnablement
être certain de pouvoir tenir une telle promesse. Désireux d’exploiter toutes les ressources
disponibles pour répondre aux besoins sanitaires et conscients qu’ils pourront aisément
justifier le non-respect de leurs engagements, les représentants des autorités bénéficiaires
préfèrent acquiescer à la plupart des propositions des donateurs, même celles qui leur
semblent douteuses. Et si une administration publique émet des objections, il s’en trouvera
une autre pour approuver sans discussion la proposition. Il en résulte un parti pris général de
non-intervention, les représentants de l’État étant réduits au rôle d’observateurs (parfois de
participants) des différentes initiatives mises en œuvre dans le domaine sanitaire.
Avec l’appui d’organismes d’aide étrangers, les programmes verticaux se multiplient.
Les domaines négligés par les organismes d’aide sont très gravement touchés.
La fragmentation des projets peut atteindre des degrés extrêmes, comme ce fut le cas dans
l’Angola des années 1990, où une trentaine de programmes verticaux (réels dans certains
cas, mais plus souvent virtuels) devaient appuyer un large éventail d’actions sanitaires.
La création d’un programme spécial, si possible avec les ressources fournies par les donateurs,
devient la riposte préférée à tous les problèmes. Dans un contexte de cloisonnement, il
arrive alors que plusieurs programmes soient mis en place pour résoudre un même problème
sanitaire. De plus, les limitations financières peuvent restreindre le champ de certains systèmes
de gestion à une poignée de provinces. La balkanisation est un phénomène courant.
En général, les programmes spéciaux instaurent des systèmes de gestion distincts qui se
regroupent et s’étendent durant les crises prolongées. Ainsi, un même établissement peut
recevoir des médicaments de différentes sources et rendre compte de ses activités à plusieurs
autorités. Au Sud-Soudan, le programme pour l’éradication de la poliomyélite s’est appuyé
sur un imposant système autonome sans commune mesure avec les services sanitaires
généraux. Il avait établi ses propres frontières territoriales, laissant de côté celles observées
soit par l’État central, soit par les autorités rebelles.
En cas de défaillance de l’État, la prestation des services est entièrement prise en charge
par les organismes d’aide. La coopération habituelle entre les autorités nationales et les
organismes d’aide donne lieu à des montages particuliers, comme ce fut le cas en République
démocratique du Congo, au Libéria, en Somalie et au Sud-Soudan. Les partenaires s’efforcent
de créer des mécanismes adaptés pour gérer les services et pour répondre aux exigences
de sécurité accrues résultant le plus souvent de la défaillance des États. Les difficultés
inhérentes à ces situations ne sont pas suffisamment étudiées. En Somalie, l’Organisme pour
la coordination de l’aide en Somalie (SACB) mis en place par la communauté de l’aide
constitue une expérience qui mérite un examen attentif (voir l’Étude de cas n° 12).
En cas d’effondrement total de l’État ou de création d’une nouvelle administration publique,
déléguer la gestion des services de santé à des responsables sans expérience pratique et à des
structures de gestion nouvellement créées pose des difficultés particulières. Parfois, les nouvelles
autorités sanitaires insistent pour obtenir le contrôle des opérations, sans prendre la mesure des
difficultés qui les attendent et des perturbations que peut causer un transfert de responsabilités
brutal dans la prestation des soins de santé. Une approche progressive, qui offre d’abord aux
responsables autochtones des occasions limitées et ciblées d’acquérir une expérience pratique,
peut apporter une solution judicieuse à des problèmes de pouvoir et de légitimité controversés.
Il n’est pas rare que des structures de gestion héritées du passé se mêlent à des structures
nouvelles issues d’initiatives disparates introduites au fil du temps. En raison des intérêts
qui sous-tendent la plupart de ces dispositifs, cette mosaïque est extrêmement difficile
à rationaliser.
Gestion de l’aide
La dispersion de l’aide extérieure entre différents organismes et intermédiaires, en particulier
au plus fort d’une situation d’urgence complexe ou en cas de défaillance de l’État, est la
norme. Par ailleurs, de nombreux organismes d’aide souffrent d’un morcellement interne
important, avec différents niveaux de hiérarchie, de programmes et d’initiatives. Au sein
des grandes organisations, les actions sans cohérence ou les instructions contradictoires se
multiplient.
Le mécontentement dû aux effets secondaires de cette fragmentation a conduit à expérimenter
de nouveaux outils de gestion de l’aide, notamment les fonds fiduciaires ou les fonds
communs. Lors des périodes de transition de la guerre à la paix, il devient encore plus
nécessaire de partager des canaux pour permettre aux ressources externes de circuler en toute
transparence. L’urgence de remettre l’État sur pied, les énormes exigences de reconstruction
malgré des capacités d’absorption limitées et le nouveau climat de planification favorisent la
mise en place d’instruments de financement compatibles avec des systèmes de gestion des
finances publiques standard. Ces instruments financiers peuvent être gérés par des institutions
comme la Banque mondiale, le PNUD ou l’UNICEF, ou être exploités conjointement par ces
organismes et par les autorités bénéficiaires. Dans certains cas, des structures spécialisées
sont créées pour les gérer.
Les procédures que les organismes internationaux sont contraints d’appliquer aux instruments
de gestion de l’aide qu’ils exploitent sont souvent inadaptées au contexte et trop lourdes pour
les capacités locales. Au Timor-Leste, « La contrainte la plus importante, lorsqu’on travaille
avec la Banque mondiale, tient en un mot : achats. Le premier aspect de ce problème est
l’importance attachée aux règles d’achat qui, à certains moments et pour certains membres
du personnel de la Banque mondiale, semblent tourner à l’obsession. Si le désir de se
protéger de toute corruption et de toute collusion se justifie, la volonté d’éviter tout soupçon
d’infraction aux règles de passation des marchés peut mener à une application beaucoup
trop rigide de ces règles. » (Tulloch et al., 2003).
En période de transition, il convient de ménager un équilibre délicat entre le maintien
de multiples options permettant d’assurer les fonctions élémentaires même si certains
programmes s’avèrent inopérants, et la correction du morcellement généré au cours de la
période d’urgence. L’intégration des mécanismes de financement déjà en place dans des
mécanismes plus vastes peut contribuer à rationaliser la gestion de l’aide sans risquer de
paralyser les opérations ou d’accaparer trop d’attention.
L’expérience montre que les instruments communs de gestion de l’aide exigent un temps
de préparation important, entraînent des coûts élevés de mise en œuvre, suscitent des
polémiques liées à la modification des relations de pouvoir et progressent de façon irrégulière.
237
Module 8
Module 8 Analyser les systèmes de gestion
Module 8
238
Analyse du secteur de la santé dans les urgences complexes
Ces défauts doivent être mis en balance avec leurs résultats potentiellement importants en
termes d’efficacité opérationnelle, de transparence et de renforcement des capacités.
Seuls les organismes prêts à investir massivement dans des processus à long terme doivent
envisager de recourir à ces outils de gestion de l’aide, et uniquement après une évaluation
complète du contexte et des conditions favorables à leur instauration. Si les bénéficiaires,
désireux de contrôler au moins partiellement les apports des donateurs, peuvent accepter des
conditions contraignantes pour l’instauration de ces mécanismes (par exemple, l’ouverture
de leurs livres comptables à des vérificateurs indépendants), ils risquent de ne pas se rendre
compte de toutes leurs implications. Un temps d’observation réciproque est généralement
nécessaire aux bailleurs de fonds et aux bénéficiaires avant qu’ils puissent saisir les aspects
essentiels de leur nouveau mode de fonctionnement. Les deux partenaires doivent absolument
comprendre que cette restructuration suppose un profond changement dans leurs habitudes
de travail et leurs règles de procédure.
En raison des limitations de la capacité d’absorption qui pèsent sur le relèvement du secteur
à la fin d’un long conflit, l’instauration de nouveaux outils de gestion de l’aide (même s’ils
sont d’un montant financier et d’une portée limitées) en période de guerre peut permettre de
gagner du temps par la suite. Ainsi, les ressources supplémentaires accordées pour soutenir
le relèvement après un accord de paix pourront passer par des instruments qui ont fait leurs
preuves, évitant les retards ou les interruptions. Malgré son importance, cet élément est
souvent négligé par les représentants des donateurs, qui attendent généralement qu’une
avancée politique se matérialise avant d’engager des négociations sur l’instauration de
nouveaux instruments de gestion de l’aide.
Pour un examen complet des instruments d’aide, voir Leader et Colenso (2005). L’OMS
a mené une étude riche d’enseignements sur l’évolution récente de la gestion de l’aide au
niveau international dans le domaine de la santé (2008).
Fonds fiduciaires multidonateurs
Pour gérer les flux d’aide, des fonds fiduciaires multidonateurs (MDTF) ont été créés dans
plusieurs pays en transition (Afghanistan, Bosnie-Herzégovine, Iraq, Soudan, Timor-Leste,
ainsi que la Cisjordanie et la Bande de Gaza ). Randel, Mowjee et Jacquand définissent les
MDTF (2006) comme des « ... mécanismes de financement, spécifiques à chaque pays,
qui reçoivent de la part de plusieurs donateurs des contributions qui sont regroupées et
versées par un Administrateur à différents bénéficiaires (État, ONU, ONG, selon le type
de gouvernance et les objectifs poursuivis) ». Avec le temps et l’expérience, les MDTF ont
évolué. Il existe actuellement des MDTF très différents les uns des autres, aucun modèle
standard n’ayant encore émergé. Il s’agit généralement de mécanismes extrêmement
structurés sur le plan des procédures et des dispositions juridiques.
Les MDTF comptent parmi les instruments financiers préférés des organismes de prêt
internationaux. Ils séduisent les donateurs pour l’importance des flux financiers qu’ils
permettent, y compris dans des pays dont les systèmes internes de gestion des dépenses
publiques sont inadaptés. Par ailleurs, les petits donateurs qui ne sont pas présents dans le
pays peuvent y participer, pour un coût réduit et sans courir de risques fiduciaires importants.
Dans les contextes difficiles tels que celui de l’Iraq, les donateurs choisissent de passer par
les MDTF pour éviter une publicité indésirable et les mesures de rétorsion qui pourraient
en découler. En outre, l’instauration de ces instruments permet de ménager les sensibilités
politiques typiques des processus de transition, notamment celles provoquées par les
gouvernements de coalition.
Lorsqu’une instance intérimaire remplace le gouvernement national, une part importante des
subventions des donateurs peut transiter par des fonds fiduciaires gérés par des organismes
internationaux. En l’absence de recettes intérieures, ces fonds représentent souvent l’essentiel
des financements à la disposition du secteur public
En général, les MDTF couvrent tout un éventail de dépenses du secteur public, des lignes
budgétaires courantes aux investissements liés à la reconstruction. Des MDTF avec des
destinations différentes et gérés par des organismes distincts peuvent coexister. Tel MDTF
prendra en charge les dépenses récurrentes d’un secteur public en reconstruction (ou
entièrement recréé), tel autre sera consacré à des projets défendus par des ONG. Les actions
humanitaires sont, elles, généralement financées par d’autres mécanismes. De même, les
dépenses liées à l’armée, à la police et aux prisons peuvent ne pas entrer dans le mandat de
certains MDTF, soit parce que certains donateurs hésitent à s’impliquer dans des activités
aussi sensibles ou parce qu’il existe des règlements interdisant expressément à certaines
institutions de les financer.
Des MDTF ont également été instaurés dans des contextes contestés ou morcelés, comme
en Bosnie-Herzégovine, où coexistent plusieurs organismes gouvernementaux et où les
donateurs ont des stratégies contradictoires. Dans de tels contextes, les fonds fiduciaires
sectoriels ou thématiques ont tendance à prévaloir. Les conditions imposées par les donateurs
pour orienter leurs contributions vers tel ou tel MDTF peuvent nuire à la cohérence globale
des allocations. Si le fonds fiduciaire représente une amélioration sensible en termes de
procédures financières, son profil de dépense peut rester déséquilibré.
Les secteurs ou les zones qui ont la faveur de certains donateurs restent parfois hors du champ
d’action des MDTF généralistes. Parce que le secteur de la santé bénéficie de mécanismes de
financement privilégiés directement négociés entre les donateurs, les ONG et les autorités
sanitaires, les responsables sanitaires considèrent souvent les MDTF généralistes comme
des solutions de financement de second plan.
Les MDTF ont une fonction à la fois fiduciaire et exécutive. En outre, dans de nombreux
cas, ils doivent également endosser les fonctions de financement d’un gouvernement
embryonnaire. Toutes les fonctions d’un MDTF nécessitent un renforcement des capacités.
Naturellement, concilier tous ces éléments dans un système équilibré présente bien des
difficultés. « Les MDTF de l’après-crise ne sont pas simplement des mécanismes financiers,
ils influent aussi sur les comportements. On observe qu’ils favorisent l’harmonisation entre
donateurs et l’alignement des financements sur un plan national, et qu’ils encouragent les
gouvernements à s’engager et les exécutants à collaborer. Mais un financement commun
n’aboutit pas forcément à une coordination. À ce jour, l’expérience montre que le mode de
gestion des fonds peut avoir un impact important sur les changements de comportement
qu’il encourage » (Randel, Mowjee et Jacquand, 2006).
Lorsque les bonnes pratiques de gestion des dépenses publiques ont été abandonnées depuis
longtemps, les MDTF montrent comment les transactions financières devraient se dérouler
dans un secteur public normalisé. Les futurs gestionnaires publics, s’ils en ont la possibilité,
peuvent se servir de ce terrain d’apprentissage pour acquérir la discipline et les compétences
procédurales dont ils auront besoin plus tard pour traiter avec des organes de contrôle tels
que le ministère des Finances.
Un MDTF est généralement administré par une banque de développement ou une agence des
Nations Unies pour le compte des donateurs, réunis dans une sorte de conseil d’administration.
L’administrateur dialogue avec l’organisme de gestion de l’aide du gouvernement, qui peut
être le ministère de la Planification, des Finances ou de la Coopération, ou être hébergé par
l’un de ces ministères. Dans certains pays, comme l’Afghanistan, où l’État s’est effondré,
le gouvernement a instauré un organisme de gestion de l’aide, sous la forme d’une instance
intérimaire chargée d’assumer les fonctions des tout nouveaux ministères jusqu’à ce que
ceux-ci aient acquis les capacités suffisantes. Parfois, certaines fonctions fiduciaires sont
confiées à un agent de contrôle extérieur (en général, une société multinationale) qui
intervient au nom de l’administrateur et de l’organisme de gestion de l’aide. Ce dispositif
particulier facilite les rapports entre les principales parties et désamorce les tensions en cas
de difficultés.
L’expérience acquise à ce jour indique que la fonction fiduciaire des MDTF est généralement
correctement remplie. Dans le chaos qui entoure l’effondrement d’un État, une gestion
financière efficace et transparente est de toute évidence une belle réussite. Mais le coût à
payer peut être élevé : ralentissement des opérations et entrave à l’émergence d’institutions
autochtones. Par ailleurs, les règles de procédure peuvent compliquer la réaction à des
événements imprévus. Des problèmes opérationnels urgents peuvent reléguer au second plan
239
Module 8
Module 8 Analyser les systèmes de gestion
Module 8
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Analyse du secteur de la santé dans les urgences complexes
Étude de cas n°12
Coordonner l’aide dans le vide politique de la Somalie
Depuis 1991, la Somalie représente pour le système d’aide international un environnement
de travail inhabituel : structures publiques affaiblies ou absentes, factions semant le trouble,
persistance de réseaux politiques et économiques informels et, dans certaines régions,
violence endémique. Pour trouver des solutions stratégiques et opérationnelles viables,
les intervenants extérieurs ont été contraints d’expérimenter des méthodes originales. Le
renforcement de la coordination de l’aide représentait un enjeu crucial dans un contexte
aussi éclaté. Les méthodes utilisées pour y parvenir méritent qu’on s’y arrête.
L’Organisme pour la coordination de l’aide en Somalie (SACB), créé à Nairobi en 1994,
a constitué une tribune permanente où les problèmes humanitaires et les questions de
développement étaient débattues, où les informations étaient collectées et diffusées,
où les réactions aux crises étaient planifiées, et où se négociaient des positions et des
actions communes. C’est également là que les acteurs intéressés se partageaient les
informations relatives à la sécurité, afin d’harmoniser leurs réactions en cas d’incident.
Le SACB a recueilli des données de qualité croissante sur les flux d’aide vers la Somalie,
éclairant ainsi un sujet d’une grande opacité. La participation se faisait sur la base du
volontariat et était ouverte (sur un pied d’égalité) aux donateurs, aux agences de l’ONU
et aux ONG. Les décisions y étaient prises par consensus ou, en cas de désaccord, à la
majorité. La participation d’intervenants non occidentaux était très limitée. Étant donné
le poids des œuvres caritatives islamiques en Somalie, leur absence du SACB était un
inconvénient de taille.
Le Comité d’orientation sanitaire du SACB se démarquait par son influence et son efficacité.
Au fil des ans, il a accumulé de vastes connaissances sur les questions de santé en Somalie,
tout en renforçant son réseau de contacts et de collaborateurs. C’est lui qui a encouragé
l’élaboration d’un cadre sanitaire stratégique et il a réussi à mobiliser d’importantes
ressources de l’Alliance GAVI et du Fonds mondial de lutte contre le SIDA, la tuberculose
et le paludisme (FMLSTP), prenant de fait la place laissée libre par des autorités sanitaires
défaillantes. En cas de catastrophe ou d’épidémie, il était en première ligne.
Comme d’autres dispositifs de coordination très en vue, le SACB était sujet à controverse,
ses détracteurs et ses partisans s’exprimant avec la même force. Les critiques lui
reprochaient son installation à Nairobi, la participation insuffisante des Somaliens, les
coûts à la charge des intervenants qui devaient assister à des réunions fréquentes, et
l’impact très limité des codes et des directives produits par le SACB. À ces reproches
justifiés, il faut ajouter que malgré des années de collaboration, aucun instrument efficace
de gestion de l’aide (fonds commun ou fonds fiduciaire) n’a été mis en place. Le Comité
d’orientation sanitaire a été accusé de faire pression sur les participants pour qu’ils
adhèrent aux initiatives et aux conduites fixées. De toute évidence, certains intervenants
n’étaient pas prêts à renoncer à la liberté d’action dont ils bénéficiaient ou à rendre
totalement compte des fonds perçus.
Dans les réalisations du SACB comme dans les difficultés traversées, des éléments
personnels ont joué un rôle prépondérant. Malgré les critiques, le SACB a tenu bon
et a conservé un rôle central dans la plupart des transactions, en particulier dans le
secteur de la santé. Des partenaires ont continué de le soutenir, ou tout au moins de
tolérer son existence. Le SACB était tout bonnement trop utile pour être fermé tant
qu’il n’existait pas de meilleur dispositif.
La frilosité des donateurs à prendre des engagements fermes dans un contexte troublé et
volatil, la faiblesse de l’aide et l’absence d’interlocuteurs autochtones crédibles expliquent
en partie les carences imputées au SACB. L’organisation d’une coordination étroite peut
être tout simplement impossible dans le contexte politique et les conditions de sécurité
de la Somalie. Le SACB a aussi souffert des rivalités au sein du système d’aide. Sa
mission de coordination a été remise en cause par des organismes désireux de prendre
sa place, du moins dans certains secteurs. Les querelles de ce type sont courantes dans
des climats aussi éclatés, obscurs et instables que celui de la Somalie. Elles doivent
être prises en compte par tous ceux qui désirent instaurer des mécanismes efficaces de
gestion de l’aide dans un pays sinistré.
En 2006, le SACB a pris le nom de Coordination of International Support to Somalis
(CISS). Le CISS travaille par le biais d’un réseau de comités, dont un qui se consacre au
secteur de la santé, avec l’appui du Somali Support Secretariat (SSS). Il n’est pas certain
que le changement de nom se soit accompagné d’un changement de fonctions et d’une
meilleure efficacité. En fait, les difficultés auxquelles sont confrontés les partenaires sont
toujours aussi redoutables.
le renforcement durable des capacités. Des occasions d’apprendre peuvent être manquées.
Et la réussite même de la fonction fiduciaire d’un fonds peut en prolonger l’existence plus
que ne l’exigerait le développement des institutions. « Les organismes de gestion de l’aide
sont plus faciles à instaurer qu’à fermer. Dans le pire des cas, elles deviennent un pouvoir
au sein du pouvoir, elles participent à l’exécution de tous les projets et s’enlisent dans la
corruption. » (Mckechnie, 2003).
Les relations entre la Banque mondiale et les Nations Unies créent aussi des problèmes,
en raison de leurs impératifs et de leurs habitudes de travail différents, de la diversité des
pratiques financières au sein de la famille onusienne, des conflits d’intérêts qui apparaissent
lorsque ces agences doivent décider de leur propre financement, et de l’insistance de
certains donateurs à affecter leur contribution à un projet particulier. Concilier les impératifs
juridiques et administratifs des différents partenaires d’un même mécanisme constitue un
défi constant, qui a conduit plusieurs fois à l’élaboration de systèmes bien trop complexes.
Par ailleurs, la promesse d’affecter les fonds de façon rationnelle entre les différents postes
de dépenses publiques peut rester lettre morte si les plans de relèvement nationaux ne sont
qu’un inventaire des demandes d’allocation de fonds, sans aucun ordre de priorité.
Il y a des avantages considérables à faire passer une grande partie de l’assistance extérieure
par un MDTF. Pour en bénéficier au maximum, plusieurs conditions doivent être remplies.
Il convient de suivre des macro-politiques solides, étroitement liées aux stratégies de
relèvement sectoriel. Le nouveau gouvernement doit bénéficier d’une certaine crédibilité.
Les donateurs doivent apporter une assistance régulière au pays, et mener des actions en
cohérence avec la politique générale choisie. De leur côté, les capacités locales doivent être
à la hauteur de la tâche. Si cette dernière condition n’est pas remplie, il y a de fortes chances
que le fonds fiduciaire joue son rôle de relais beaucoup plus longtemps que prévu.
La cohérence de l’allocation des ressources en relation avec les dépenses sectorielles dépend
dans une large mesure du niveau de participation des donateurs au(x) MDTF. Si des bailleurs
de fonds majeurs choisissent de ne pas passer par un MDTF, ou si les donateurs participants
continuent de verser des financements importants sans passer par le MDTF, des distorsions
peuvent subsister dans les dépenses. Il est donc essentiel de parvenir à une masse critique
de donateurs si l’on veut que les MDTF constituent des instruments de programmation
sectoriels efficaces.
Pour plus d’informations sur les MDTF, voir Schiavo-Campo (2003) ainsi que Randel,
Mowjee et Jacquand (2006).
Fonds communs
Les fonds communs sont généralement plus restreints et moins structurés que les MDTF.
Dans la plupart des cas, ils sont spécialement destinés à un secteur ou à un sous-secteur.
Ils sont parfois mis en place pour couvrir les dépenses publiques non prises en charge par les
MDTF ou pour apporter une solution financière souple à des besoins urgents ou imprévus.
Les partenaires peuvent également opter pour ce type d’instrument pour écarter les donateurs
de fonctions stratégiques telles que l’élaboration des politiques publiques.
Les systèmes de mise en commun peuvent prendre en charge des lignes budgétaires
particulières qui dépendent largement de l’aide et intéressent de nombreux donateurs.
Les fonds communs destinés à l’achat de médicaments en constituent l’exemple parfait.
La mise en commun peut aussi constituer une première approche pour les donateurs qui
souhaitent coopérer avec les autorités mais hésitent à prendre des engagements fermes avant
d’avoir fait l’essai d’une collaboration concrète.
Au niveau sectoriel, la mise en commun des fonds des donateurs est intéressante à plusieurs
égards. Elle simplifie et stabilise les flux d’aide, renforce la transparence des opérations
d’assistance, abaisse (ou, mieux, uniformise) les conditions attachées aux contributions des
donateurs, unifie les exigences de communication d’informations et favorise la prise de décisions
cohérentes. En outre, la mise en commun permet aux bénéficiaires et aux bailleurs de fonds
d’acquérir une connaissance mutuelle de leurs objectifs, perceptions et modes opératoires.
241
Module 8
Module 8 Analyser les systèmes de gestion
Module 8
242
Analyse du secteur de la santé dans les urgences complexes
Comme les autres formes de coordination, la mise en commun des contributions exige un
effort soutenu et durable. Les coûts de transaction peuvent rester élevés. De plus, l’impact
de la mise en commun en termes d’appropriation est mitigé. Lorsqu’elles sont chargées de
la gestion quotidienne, les autorités bénéficiaires de l’aide jouissent généralement d’une
plus grande latitude dans la programmation ; en contrepartie, elles doivent permettre aux
donateurs de participer aux choix stratégiques. Les systèmes de mise en commun des
contributions sont courants dans les pays où les autorités sont affaiblies, voire absentes, et
où les donateurs jouent un rôle qui dépasse celui de simples organismes de financement.
L’importance de la reddition des comptes pour les donateurs les amène parfois à se focaliser
sur les mécanismes financiers sans clarifier les objectifs ultimes des dépenses prises en charge.
Parce qu’ils concentrent trop de ressources sur certains domaines (et pas nécessairement les
plus importants) au détriment des autres, les fonds communs consacrés à une ligne budgétaire
particulière peuvent entraîner des distorsions dans l’ensemble du secteur. Une étude sur les
dépenses sectorielles donne aux partenaires une idée plus globale des flux financiers et peut
les encourager à adapter leurs contributions en conséquence.
Fonds communs pour l’action humanitaire
En 2006, lors de la réforme du système international d’aide humanitaire, des fonds communs
ont été mis en place au Soudan et en République démocratique du Congo. En contraignant
les agences des Nations Unies et les ONG participantes à négocier des programmes de travail
annuels pour l’ensemble du pays, ces fonds ont renforcé la planification et la coordination
de l’action humanitaire dans ces deux pays. Toutefois, certains défauts bien connus des
opérations d’aide (décaissements imprévisibles, lourdeur des procédures et des exigences
des donateurs, coûts de transaction élevés et conflits d’intérêts) n’ont pas trouvé de solution.
Certains de ces défauts devraient disparaître quand les systèmes parviendront à maturité,
mais d’autres sont sans doute d’ordre structurel. Globalement, les fonds communs, tels
qu’ils sont gérés au Soudan et en République démocratique du Congo, sont perçus comme
des améliorations notables par rapport aux habituelles procédures d’appel global (Stoddard
et al., 2006).
Cependant, ces systèmes présentent pour les participants d’énormes difficultés techniques,
procédurales et politiques. La plupart des organismes impliqués ont été incapables (ou peu
désireux) de revoir leur fonctionnement interne pour s’adapter aux nouveaux instruments
financiers. Il n’est pas certain que les fonds communs fassent suffisamment pression
sur les donateurs, les agences des Nations Unies et les ONG pour qu’ils modifient leurs
procédures internes et leurs habitudes de travail. Dans les grands pays fortement perturbés,
l’élaboration d’un programme annuel d’action humanitaire couvrant la plupart des secteurs
et des intervenants pose des difficultés insurmontables. En République démocratique du
Congo, l’évaluation des besoins qui devait servir de base à la formulation du plan d’action
humanitaire a mobilisé une équipe de trente personnes pendant plus de deux mois. Face à une
information toujours insuffisante, la répartition des fonds entre différents secteurs, régions et
interventions suppose des arbitrages délicats et souvent subjectifs. Mais une fois la décision
prise, la cohérence globale s’en trouve remarquablement renforcée. L’autre difficulté tient au
besoin de souplesse et de capacité d’adaptation rapide à l’évolution des conditions réelles.
Ces impératifs requièrent des capacités de renseignement permanentes et indépendantes,
soutenues par des systèmes de gestion solides.
Devant les perspectives ouvertes par ces fonds et les résultats encourageants obtenus au
cours de leur première année d’existence, il est probable que les donateurs pousseront à la
création de fonds similaires dans d’autres pays en crise. Pour de plus amples informations,
voir Stoddard et al., 2006.
Étude de cas n° 13
Soutien budgétaire aux dépenses récurrentes du secteur
provincial de la santé au Mozambique
dans les années 1990
Le soutien budgétaire sectoriel a été instauré vers la fin de la guerre (1992) pour
combler le déficit de financement et maintenir à flot des services de santé sous-dotés
et délabrés. Avec le temps, il a évolué jusqu’à jouer un rôle majeur dans l’expansion
des services observée dans la décennie suivante. Au départ, ce programme devait
passer par les circuits de gestion financière de l’État, conformément aux procédures
de décision du pays. Mais plusieurs obstacles sérieux (délabrement des systèmes de
management de l’État, manque de fiabilité de la base d’informations et habitudes
discutables en matière d’établissement des priorités) en ont retardé la mise en œuvre
et ont imposé de nombreuses révisions de sa conception. Toutefois, la disponibilité
d’argent frais non affecté a fortement encouragé les responsables locaux à mettre
en ordre leurs systèmes de management.
Délibérément lié à la production de services, ce soutien budgétaire sectoriel favorisait
l’utilisation des systèmes d’informations existants, qui s’en sont trouvés renforcés.
Après quelques années d’efforts soutenus et grâce au solide appui technique fourni
par le donateur impliqué, la plupart des provinces ont pu exploiter ces ressources
financières, les allouer de façon cohérente et rendre compte des dépenses de
façon acceptable pour le bailleur de fonds. Les années suivantes, la couverture des
services sanitaires s’est considérablement étendue et les grands déséquilibres dans
la prestation se sont réduits. La capacité de décision au niveau des provinces a
largement bénéficié d’un canal de financement souple, conçu pour compléter les
mécanismes de financement de l’État et en limiter les défauts.
En outre, ce programme a contraint les partenaires à examiner toutes les ressources
allouées aux provinces et districts, afin d’orienter le soutien budgétaire de façon à
combler les lacunes les plus graves. La disponibilité de fonds non affectés a permis de
réduire la fragmentation induite par les programmes spéciaux et les opérations ont
beaucoup gagné en efficience.
Les informations recueillies par le biais des travaux de programmation provinciale
ont permis d’analyser les schémas de ressources et de production au niveau national,
ce qui, à son tour, a influé sur la structure du budget de l’État et sur les décisions
allocatives de certains donateurs. La coordination a pu être renforcée. D’autres
donateurs ont rejoint le programme, apportant un modèle opérationnel pour les
discussions sur les approches sectorielles (SWAp) qui ont débuté vers la fin des
années 1990. En outre, les pratiques de programmation et de comptabilité acquises
à l’occasion de la gestion de ce soutien budgétaire sectoriel ont permis au secteur de
la santé d’absorber des subventions de l’État de plus en plus importantes.
Le processus n’est pas allé sans heurts. Le plus facile a été de surmonter les faiblesses
techniques. Mais au sein de l’administration publique, la résistance au changement
était forte. L’amélioration des pratiques de gestion a mis en lumière les lacunes
techniques et les mauvaises pratiques délibérées de nombreux fonctionnaires. Parmi
ces derniers, ceux de l’administration centrale n’ont guère apprécié de perdre la
maîtrise des décisions d’allocation provinciale qu’impliquait ce mode de financement.
De nombreux donateurs habitués à contrôler de près les fonds attribués se sont
montrés sceptiques. Face à une intervention de plus en plus présente et influente,
certains organismes donateurs majeurs se sont sentis mis sur la touche. Mais le fait
même que le programme ait perduré et soit parvenu à se développer au cours de
plus d’une décennie d’existence est bien la preuve de son intérêt intrinsèque pour les
partenaires concernés. Finalement, il a été absorbé dans des dispositifs plus vastes
de gestion de l’aide.
Lorsque le programme a été lancé, la plupart de ses effets à long terme les plus
intéressants n’avaient pas été envisagés. Cette initiative presque désespérée,
instaurée dans le contexte le moins propice qui soit, a contribué au-delà des
espérances au relèvement des services de santé. Plusieurs facteurs expliquent
cette réussite, notamment l’intégration du programme aux systèmes autochtones,
sa croissance progressive selon les avancées observées, une bonne résistance aux
nombreuses crises traversées, l’ouverture à l’innovation et au changement, une
excellente connaissance de la situation locale et une certaine dose de prise de risque.
243
Module 8
Module 8 Analyser les systèmes de gestion
Module 8
244
Analyse du secteur de la santé dans les urgences complexes
Comparaison des atouts et des faiblesses des prestataires de
soins de santé publics et privés
La privatisation des soins de santé passe par différents mécanismes, dans certains cas
officiels, mais le plus souvent informels. La pratique individuelle privée l’emporte sur les
systèmes institutionnels. Les zones d’ombre sont nombreuses, les intervenants étant peu
désireux de clarifier les rôles, les responsabilités et les régimes de propriété. Si le discours
officiel insiste sur la séparation, voire la concurrence entre les sous-secteurs public et privé,
les comportements sur le terrain sont marqués par une grande connivence. Le transfert ou
l’utilisation gratuite de moyens publics pour générer des recettes privées sont monnaie
courante. Médicaments, équipements, locaux permettent de compenser la faiblesse des
salaires dans le secteur public.
Dans le secteur privé, la décision d’investir dans des actifs du secteur de la santé tels que
des installations, des équipements ou de la formation, est généralement prise isolément.
En Somalie, les membres de la diaspora financent ainsi de nouveaux hôpitaux et des services
spécialisés, que ces derniers répondent ou non à un besoin. Les hôpitaux caritatifs sont
souvent situés près des missions qui en sont propriétaires, même si elles se trouvent loin des
centres de population et des routes principales. Les organismes d’aide d’urgence hésitent
parfois à négocier avec les autorités locales et avec d’autres acteurs le champ d’action, la
taille et l’emplacement de leurs services de santé. Ailleurs, des prestataires privés à but
non lucratif seront capables d’attirer une aide extérieure conséquente, et de proposer ainsi
des services de santé d’une plus grande technicité. À mesure que la qualité des services est
reconnue par la population, la zone de desserte s’étend. Dans les localités où les services de
santé se sont effondrés, les ONG bien intentionnées peuvent se trouver dépassées par cette
explosion de la demande.
Par définition, les prestataires de soins de santé à but lucratif obéissent à des considérations
commerciales, souvent en l’absence totale de réglementation. Finalement, le prétendu
dosage public-privé peut être tellement irrationnel et déséquilibré qu’il rend impossible
toute intégration véritable de ses éléments disparates. L’Étude de cas n° 14 en propose une
illustration éloquente.
Après des années de privatisation galopante et de marchandisation de la fourniture des soins
de santé observées lors des crises les plus graves, on peut raisonnablement considérer que la
plupart des agents et des établissements de santé se comportent comme des acteurs privés.
L’attrait du profit étant bien présent et bien ancré, inverser cet état de fait sera sans doute
impossible. C’est pourquoi il faut résister à la tentation de rétablir un vaste secteur public.
L’acceptation du rôle central joué par les acteurs privés dans la prestation des services de
santé dans la plupart des pays en proie à la guerre doit pousser les décideurs du secteur
public à engager une véritable révolution culturelle.
Malheureusement, l’idéologie fausse les débats sur la prestation des services de santé
publics et privés. Les généralisations excessives concernant le sous-secteur de la santé privé
ne rendent pas compte de son hétérogénéité intrinsèque. Les rares informations pertinentes
disponibles se heurtent à des croyances tenaces. Les prestataires privés ont donné lieu à trop
peu d’études (et à trop de spéculations) dans la plupart des pays en guerre ou en transition.
Une enquête approfondie sur ces prestataires privés s’impose partout où ils occupent une
place importante dans le secteur de la santé et où des décisions de politiques publiques
vitales doivent être prises, autrement dit dans la plupart des secteurs de la santé qui passent
d’un état de guerre à la paix. Il faut étudier la fourniture de soins de santé, formelle ou
informelle, par le secteur privé, comprendre les modèles d’entreprise dominants et identifier
des incitations efficaces pour les prestataires de soins.
Mais une étude de ce type présente de grandes difficultés et nécessite une préparation et une
réalisation soigneuses. En outre, l’évaluation des résultats ne doit pas être influencée par des
considérations idéologiques. Pour être vraiment utile, une étude de la prestation des soins
de santé par le secteur privé doit porter sur les opérateurs formels et informels, ainsi que sur
leurs relations avec les autorités sanitaires publiques. Mais il s’agit là d’un point sensible
dont l’examen risque de soulever des polémiques. Il n’existe à notre connaissance aucune
étude de ce type réalisée dans un pays en crise. La République démocratique du Congo ou
la Somalie se prêteraient parfaitement à une telle enquête, si tant est qu’un tel projet soit
envisageable dans des contextes aussi délicats.
Pratiques de planification dominantes
Les secteurs de la santé ont des traditions différentes lorsqu’il s’agit de planification.
Dans certains ministères de la Santé, certains services de planification occupent une place
prépondérante et exercent une grande influence, alors que dans d’autres, ils ont peu de
moyens et sont considérés comme secondaires. Ils se confondent souvent avec les unités
d’exécution spéciales financées par les donateurs (voir la description donnée dans l’Étude
de cas n° 6). Si la planification centralisée n’est plus en vogue, les ministères de la Santé
gardent des réflexes tenaces, en particulier pour tout ce qui concerne la publication des
lois, des directives, des instructions et des recommandations.
Lors d’une crise profonde, l’horizon de planification se contracte pour rejoindre le cadre
temporel des opérations d’urgence. Les investissements à long terme, notamment dans les
ressources humaines et l’infrastructure, sont négligés au profit des actions à court terme,
dont les bénéfices sont difficiles à évaluer. Les opérations de planification sont totalement
interrompues ou se poursuivent en se détachant progressivement de l’évolution des
conditions sur le terrain. Des planificateurs impuissants se plaisent à formuler des plans
excessivement détaillés et déconnectés de la réalité. Dans d’autres cas, les planificateurs
des autorités centrales se focalisent sur des enclaves privilégiées, plus sûres, vers lesquelles
s’orientent souvent les gros projets d’investissements. Ils reprennent alors les fonctions
des représentants locaux. Les problèmes d’allocation sont remplacés par les questions
d’administration et d’exécution.
Des carences institutionnelles antérieures à la crise, mais exacerbées par celle-ci, peuvent
expliquer la fragmentation de la planification centrale. Ainsi, les dépenses récurrentes
et d’équipement sont budgétées séparément par deux services différents, tandis qu’un
troisième organisme planifie le développement des ressources humaines. Le financement
des dépenses récurrentes est souvent amputé, malgré les apports conséquents des donateurs.
Les décisions d’allocation des ressources sont prises au coup par coup, isolément les unes
des autres. Les mesures de décentralisation, qui incluent souvent le transfert des services de
soins de santé primaires aux autorités locales, ainsi que le maintien des grands hôpitaux sous
contrôle de l’État central, sont autant de nouveaux obstacles à une planification rationnelle.
Pour ne rien arranger, les plans du pouvoir central portent, dans bien des cas, uniquement
sur les décisions d’allocation sous la responsabilité du ministère de la Santé. Les autres
ressources, même si elles proviennent d’autres branches du secteur public, ne sont pas
toujours intégrées aux plans du ministère. Il arrive aussi que les contributions des donateurs,
bien que connues des autorités sanitaires centrales et, dans certains cas, gérées par leurs unités
d’exécution spéciales, ne soient pas intégrées aux documents de planification en raison de
règles budgétaires contraignantes ou tout simplement par facilité. Naturellement, le résultat
des opérations de planification réalisées dans de telles conditions est peu satisfaisant.
Malgré l’expertise et les ressources dont ils disposent, les organismes donateurs produisent
aussi parfois des plans reposant sur des informations erronées, morcelés et discutables.
Les outils de planification préférés des donateurs ne sont pas toujours adaptés à des
environnements instables (Gasper, 2000). Les décisions politiques mettent à nu les notions
de rationalité et d’objectivité sur lesquels s’appuie généralement la planification (Hill, 2000).
Et, dans les situations d’urgence complexes, les choix des donateurs pâtissent d’un manque
d’informations qui favorise l’adoption de solutions passe-partout.
Certaines initiatives ambitieuses menées à l’échelle mondiale, notamment les Objectifs du
Millénaire pour le Développement (OMD), semblent bien déplacées dans des secteurs de la
santé dépourvus de toute base de prestation des soins. Dans les contextes difficiles comme
celui du Sud-Soudan, les méthodes de planification axées sur les résultats, qui s’appuient sur
des hypothèses discutables, souvent implicites, et qui sont adoptées sans la moindre analyse
approfondie des ressources disponibles et des limitations opérationnelles, sont forcément
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Module 8
Module 8 Analyser les systèmes de gestion
Module 8
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Analyse du secteur de la santé dans les urgences complexes
hors de propos, quoi qu’en disent les discours officiels. Il existe souvent un décalage flagrant
entre les objectifs affichés et les ressources allouées. Au Tchad, par exemple, pour respecter
les exigences des OMD concernant la couverture des services, il faudrait des ressources
humaines quatre fois supérieures à celles qui devraient être disponibles en 2015 (Kurowski
et al., 2004).
La poursuite obstinée d’objectifs trop ambitieux conduit souvent à la mise en place de
programmes spécialisés particulièrement coûteux. Étant donné la marge de manœuvre dont
bénéficient les donateurs lors d’une crise profonde et l’importance des ressources dont ils ont
le contrôle, leurs initiatives, si elles sont mal conçues, peuvent infliger aux services de santé
des dégâts nettement supérieurs à ceux causés par les choix malencontreux des autorités.
L’évaluation des effets cumulés des différentes opérations de planification menées dans le
secteur de la santé doit tenir compte de plusieurs éléments :
• Les informations pertinentes disponibles pour les décideurs. Sans une bonne connaissance
de la situation d’ensemble, les plans sont sous l’influence de rêves illusoires, des modes
dominantes, d’hypothèses infondées (généralement présentées comme des faits) et
de manœuvres politiques. La première mesure pour remettre en état des fonctions de
planification dégradées consiste à rassembler des informations disparates pour obtenir
une image complète et cohérente. Diffusée de façon convaincante, celle-ci peut améliorer
considérablement les décisions collectives.
•
La proportion de ressources non affectées circulant dans le système de santé. Lorsque
l’essentiel des ressources est alloué à des programmes spéciaux, il ne reste plus de
place pour la planification sectorielle. L’instauration d’instruments souples de gestion
de l’aide destinés à couvrir les besoins qui ne correspondent à aucun projet bénéficiant
de contributions spécifiques peut améliorer sensiblement la cohérence et l’efficacité du
secteur. Voir l’Étude de cas n° 13.
•
Le contexte politique dans lequel s’inscrit la planification sanitaire. Si les autorités
sanitaires sont affaiblies, elles risquent de ne pas avoir suffisamment d’influence pour
imposer leur vision auprès des autorités centrales et périphériques. De puissants groupes
de pression peuvent aussi empêcher toute modification du statu quo. De plus, les
organismes de financement peuvent être contraints de soutenir les modèles dominants,
qu’ils soient ou non adaptés au contexte et même s’il y a peu d’arguments en leur faveur.
Les solutions sont alors d’ordre politique plutôt que technique.
•
Le calendrier politique, militaire et économique favorable (ou non) à la planification.
Les gouvernements relativement stables et reconnus par la communauté internationale
peuvent investir dans la planification malgré les difficultés liées au conflit. À l’inverse,
si le gouvernement risque d’être rapidement renversé et remplacé par un autre régime
politique et que les organismes donateurs s’abstiennent de prendre des engagements
fermes, la situation n’est évidemment pas propice à un travail de planification sérieux.
•
La possibilité d’identifier clairement l’orientation suivie par le secteur de la santé. Des
politiques cohérentes, bénéficiant d’un large soutien, peuvent encourager les participants
à élaborer des plans compatibles avec les objectifs communs, même en l’absence de
mesures exécutoires. Si, par exemple, il existe un écart important dans la fourniture
des services entre une région défavorisée et le reste du pays, une information bien
pensée peut convaincre les opérateurs autonomes d’investir pour rétablir l’équilibre.
Dans un contexte de crise, une planification persuasive peut avoir plus d’effet que sa
variante normative.
•
L’existence d’une culture de la planification, qui s’appuie sur une bonne perception
des limites des capacités et des ressources, de la cohérence ou de l’incompatibilité des
solutions, de la discipline décisionnelle, des perspectives à long terme et des initiatives
volontairement limitées. Des facteurs puissants contribuent à l’érosion de la culture de
la planification lors d’une crise prolongée : incertitude quant à l’issue politique, moindre
contrôle sur les décisions, abondance des ressources provenant des donateurs, dispersion
du pouvoir, volonté d’accélérer les décisions, multiplication des priorités (toutes
soutenues avec force par tel ou tel organisme).
•
L’existence de directives crédibles concernant les décisions d’allocation des ressources,
par exemple des critères d’investissement dans les nouvelles structures de santé, les
configurations standard y afférentes, l’estimation du coût moyen en vue d’évaluer les surou les sous-financements, les conséquences financières à long terme des plans choisis,
les critères d’évaluation de l’efficience et de l’efficacité des activités sanitaires, ainsi que
les critères permettant d’analyser la composition des dépenses de santé. En investissant
dans l’élaboration de directives solides, un ministre de la Santé en difficulté qui prétend
mener le jeu gagne en crédibilité. L’absence de directives ou l’élaboration de directives
imparfaites mettra en revanche en évidence la vacuité de ses prétentions.
La dissolution des fonctions de planification souvent observée en cas de crise peut être
perçue comme inévitable par des intervenants sous pression. Certaines personnes peuvent
même considérer la planification comme une activité secondaire qui les écarte de tâches
plus essentielles. Néanmoins, les caractéristiques propres à un contexte de crise (rareté
des ressources, besoins accrus, activités déconnectées, événements imprévisibles, graves
conséquences des échecs, financements extérieurs frais et nouvelles opportunités) nécessitent
un renforcement et un élargissement du champ de la planification. L’Étude de cas n°14 décrit
l’orientation suivie par les services de santé d’un district sinistré au nord de l’Ouganda,
après la disparition des capacités de planification au niveau central comme au niveau
périphérique.
Étude de cas n° 14
Développement spontané de la prestation des soins de santé
dans un district frappé par la guerre
Situé dans le nord de l’Ouganda, le district de Gulu a été le théâtre de violences
pendant des dizaines d’années. En 2002, sa population était estimée à 470 000
habitants, soit 40 habitants au kilomètre carré. C’était un district d’une grande
pauvreté, avec des ménages aux revenus inférieurs à la moyenne nationale. Les
indicateurs de l’état de santé y étaient aussi nettement plus mauvais que les chiffres
nationaux. Les dépenses de santé annuelles, estimées de manière prudente à 7 à
8 dollars des États-Unis par personne (à l’exclusion des dépenses privées), se
situaient dans la moyenne ougandaise. Mais comme ces chiffres n’incluaient pas les
données des organismes de secours, il est possible que les chiffres réels aient été
nettement plus élevés.
Ce district était desservi par quatre hôpitaux et 33 structures de santé primaires. Pour
des raisons de sécurité essentiellement, 22 autres structures périphériques avaient
été fermées. Les rapports faisaient état d’un taux de une consultation par personne
et par an. Seulement 16 % des accouchements avaient lieu dans un centre de santé.
La couverture du programme PEV était nettement en deçà de la moyenne nationale.
Le faible taux d’utilisation des services de base semblait indiquer que les structures
de soins de santé primaires censées être opérationnelles étaient sous-utilisées.
Certaines n’existaient peut-être même que sur le papier.
À Gulu, les soins de santé étaient essentiellement dispensés par les hôpitaux. Ceux-ci
disposaient au total de 950 lits, soit deux lits pour 1000 habitants, contre la moitié (un
lit pour 1000 habitants) en moyenne pour l’Ouganda. Deux grands établissements,
l’hôpital de Lacor et l’hôpital régional de Gulu, se distinguaient par leur taille, leurs
résultats et les ressources absorbées. Lacor, un hôpital privé de 474 lits géré par
une organisation chrétienne, avait une histoire et des caractéristiques originales.
En quarante ans, ce modeste dispensaire était devenu l’un des plus grands hôpitaux de
l’Ouganda. Cette expansion s’expliquait certainement par l’extraordinaire dévouement
et les capacités exceptionnelles de ses responsables, personnels et sympathisants
croyants. Les dépenses récurrentes de l’hôpital de Lacor représentaient pratiquement
la moitié des dépenses totales du district, soit US $1,3 million. Les dons et les aides
couvraient 70 % des dépenses d’exploitation. La contribution financière des patients
représentait 16 % de ces dépenses, et les subventions de l’État couvraient les 14 %
restants.
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Module 8
Module 8 Analyser les systèmes de gestion
Module 8
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Analyse du secteur de la santé dans les urgences complexes
L’hôpital régional de Gulu était un établissement public de 300 lits. Le district de
Gulu accueillait un autre établissement public de 100 lits ainsi qu’un hôpital privé de
80 lits. Le rôle de ces petits hôpitaux, qui fonctionnaient en deçà de leurs capacités,
n’était pas clair. Les deux principaux hôpitaux totalisaient 60 % des consultations
dans le district. Tous deux faisaient état d’une importante charge de travail et de
taux d’occupation des lits élevés, voire excessifs. Environ la moitié des admissions
à l’hôpital de Lacor étaient liées à des affections courantes qui auraient pu, pour
beaucoup, être traitées au niveau des structures de soins primaires. Le nombre très
faible (moins de 200) d’interventions chirurgicales majeures déclaré par l’hôpital
régional de Gulu laissait supposer que la proportion des affections courantes traitées
par cet établissement était encore plus importante.
Gulu constituait un exemple extrême de dérive par rapport aux normes internationales
d’efficacité et d’efficience de la prestation des soins. En fait, dans ce district, la
pyramide des soins de santé était inversée. Si l’on applique les coefficients courants
du nombre de structures par habitant, le réseau de santé planifié de Gulu aurait
dû se composer de 40 ou 50 structures de soins de santé primaires auxquelles se
seraient ajoutés un ou deux hôpitaux, pour un total de 200 à 300 lits. Ainsi, en raison
du grand nombre de structures fermées, le réseau des soins de santé primaires était
loin des normes recommandées. En revanche, la capacité des hôpitaux était trois ou
quatre fois supérieure à ce que prévoirait un plan raisonnable.
Le tableau que nous venons de brosser s’était dessiné au fil des ans, sous l’effet
conjugué de plusieurs facteurs. L’insécurité généralisée avait été l’un des principaux
obstacles au développement des services de santé. L’effondrement des fonctions
de planification au cours des dizaines d’années de troubles, la prédominance de
conceptions obsolètes de l’hôpital, l’incapacité des décideurs à considérer le
système de santé du district comme un tout, étaient autant de facteurs, fréquents
en situation de crise, qui avaient poussé à réagir sans la moindre cohérence à la
pression prolongée subie par les services de santé du district. Avec pour résultat des
moyens fonctionnels superflus coexistant avec d’énormes carences.
À ce tableau s’ajoute la concurrence entre prestataires de soins de santé
publics et privés, qui reposait sur une méfiance mutuelle et se traduisait par un
manque total de communication. Une relative abondance de ressources émanant
d’organisations caritatives, de dons privés et des autorités centrales, avait entraîné
des investissements matériels considérables. D’où le complexe hospitalier décrit,
dont le coût de remplacement peut être estimé à 20 à 25 millions de dollars.
L’offre généreuse de soins hospitaliers (de qualité, dans le cas de Lacor) face à des
services de soins de santé primaires mal en point, avait stimulé la demande des
patients, laquelle avait, à son tour, entraîné de nouveaux investissements destinés
à accroître la capacité des hôpitaux. C’est ainsi que la population de Gulu avait eu
accès à des services curatifs de relativement bonne qualité, concentrés dans quelques
établissements, tout en perdant le bénéfice des services de santé de base. Les autres
approches permettant d’assurer des soins dans des contextes instables, notamment les
services mobiles ou les structures provisoires, ne s’étaient guère développées.
Pour ce qui concerne l’état de santé de la population, l’affectation de l’essentiel des
ressources aux services hospitaliers pouvait avoir un coût d’opportunité important.
Le taux extrêmement élevé (700) de mortalité maternelle semblait appuyer cette
conclusion, surtout si l’on considère la facilité d’accès théorique aux services
obstétriques d’urgence qui aurait dû être garantie par la présence de quatre hôpitaux.
De plus, on pouvait légitimement craindre pour la viabilité d’un réseau hospitalier
aussi fourni, dépendant fortement de l’aide extérieure, dans un district appauvri.
Le développement organique des soins hospitaliers, s’il n’est pas toujours aussi
marqué qu’à Gulu, est un phénomène courant en situation de crise. On peut le voir
comme une réaction naturelle à une situation de violence qui perdure. Mais il a un
coût immédiat, avec l’abandon des services de base, auquel s’ajoute un fardeau
financier qui est appelé à perdurer. Une fois que des investissements importants ont
été réalisés dans des équipements de soins de haut niveau et que l’essentiel des
ressources est absorbé par les hôpitaux, le développement des services de santé de
base est fatalement freiné par les limitations financières présentes et à venir. Le seul
remède consiste à prendre conscience des problèmes durables provoqués par les
décisions d’expansion en l’absence d’un cadre de développement global.
La décision de restructurer la fourniture des soins de santé à Gulu devrait être prise
par les autorités sanitaires du district. Les choix techniques à faire semblent évidents.
La charge des soins hospitaliers devrait être affectée pour l’essentiel à l’établissement
le plus performant (Lacor). Il conviendrait de soustraire d’importantes ressources
aux deux hôpitaux publics pour renforcer le réseau de soins de santé primaires.
Cette mesure permettrait de filtrer une partie de la charge excédentaire de Lacor, qui
pourrait alors jouer pleinement son rôle d’hôpital de recours pour un coût moindre.
Les ressources supplémentaires dégagées permettraient de soutenir une nouvelle
expansion des services de soins de santé primaires. Cette saine évolution ne sera
possible que si les prestataires publics et privés s’entendent sur une stratégie globale,
dans une perspective à long terme. Les décideurs qui s’engageront dans cette voie
pourtant raisonnable se heurteront à d’importants obstacles politiques, et le contexte
délicat d’un district qui sort tout juste d’un conflit prolongé n’arrangera rien.
Réglementation
Dans certains cas, la capacité de réglementation était déjà insuffisante ou absente avant
la crise, notamment dans les pays où la pratique privée avait été interdite. Lorsqu’une
situation d’urgence se prolonge, les fonctions de réglementation sont durement touchées
ou s’effondrent complètement. Affaiblis, souvent contestés, les pouvoirs publics ne sont
pas en mesure de faire appliquer la législation existante. La multiplication des intervenants
(étrangers pour la plupart) et des structures hiérarchiques ne fait qu’ajouter aux difficultés.
La dispersion du pouvoir, conjuguée à des moyens de communication médiocres, met les
prestataires de services hors de portée des organismes de réglementation, si tant est que
ceux-ci fonctionnent. Évidemment, les pouvoirs publics préfèrent souvent laisser la question
de côté et se concentrer sur la fourniture des services.
Dans de nombreux secteurs de la santé, une législation existe, mais les acteurs concernés
ne la connaissent pas et personne ne la fait appliquer. Dans certains cas, les lois et les
règlements sont formulés en termes si vagues qu’ils en perdent pratiquement toute utilité.
La réglementation fixe parfois des niveaux tellement irréalistes que les prestataires n’en
tiennent généralement aucun compte. Dans d’autres cas, la législation est valable, mais
aucune instance réglementaire n’est présente ou assez solide pour la faire appliquer.
Ce manque d’efficacité s’explique le plus souvent par l’absence absolue de ressources,
ou par des structures inadaptées aux tâches qui leur sont dévolues. Par exemple, certains
organismes réglementaires restent centralisés et ne disposent pas de capacités suffisantes
pour remplir leur mission sur le terrain.
En outre, les incitations accordées aux autorités de réglementation ne sont pas suffisantes
pour que ces autorités acceptent d’accomplir des tâches délicates ou même, dans certains
contextes, dangereuses. Dans d’autres cas, l’absence de poids politique constitue le principal
handicap. Les prestataires de services de santé résistent parfois aussi à ce qu’ils considèrent
comme une ingérence, surtout si la légitimité des autorités publiques est contestée ou leurs
compétences douteuses. Le climat général de non-respect de l’état de droit nuit également à
la réglementation de la fourniture des soins de santé.
Des difficultés particulières apparaissent dans les États défaillants, où les organismes d’aide
opèrent dans un vide réglementaire total. Les initiatives visant à instaurer des mesures autoexécutoires ont enregistré un succès limité. Au Libéria, en 1996-1997, tous les efforts des
ONG pour formuler une politique commune de fonctionnement, la Joint Policy of Operation,
se sont soldés par une adoption partielle du texte (Schowengerdt, Spiegel et Spielberg, 1998).
Les pouvoirs publics et les organismes d’aide partenaires qui souhaitent renforcer la capacité
réglementaire pourront trouver quelque utilité aux remarques suivantes :
• L’élaboration d’une réglementation constitue une activité par essence politique, difficile
à pratiquer dans des situations contestées. Des groupes d’intérêt puissants profitent de
la crise pour satisfaire leurs membres. Les ministres de la Santé ont du mal à brider les
associations professionnelles, à cause de conflits d’intérêts évidents.
•
Les autorités sanitaires qui réglementent les prestataires privés, à but lucratif ou non, et
qui ont aussi d’importantes responsabilités dans la fourniture des soins, sont confrontées
à un conflit d’intérêts. Il existe souvent deux poids et deux mesures, les opérateurs privés
249
Module 8
Module 8 Analyser les systèmes de gestion
Module 8
250
Analyse du secteur de la santé dans les urgences complexes
étant tenus de respecter des normes de qualité nettement supérieures à celles auxquelles
sont soumis les établissements publics. Pour améliorer l’équité, le recours à une instance
de réglementation indépendante chargée de superviser à la fois les opérateurs publics et
privés peut être une bonne solution.
•
Pour être efficace, la réglementation requiert généralement des ressources importantes.
Faute de moyens et de ressources suffisants, les organismes de réglementation sont
condamnés à perdre toute utilité ou, pire, risquent de s’adonner à des manœuvres
frauduleuses susceptibles de perturber la fourniture des services. Dans les cas extrêmes,
l’absence de réglementation peut être préférable à une réglementation bancale.
•
Dans le domaine de la santé, même en temps normal, la législation seule est rarement
efficace, essentiellement à cause d’une application inadéquate. Les décideurs auraient
tout intérêt à se concentrer sur ce problème plutôt que sur les questions de législation et
de procédure.
•
La réglementation doit être établie en fonction de la situation du secteur de la santé. Elle
doit pouvoir être appliquée par la majorité des prestataires et son application contrôlée
par les organismes de réglementation. Instaurer des règles idéales strictes constitue le
meilleur moyen d’inciter les gens à contourner la loi et d’encourager la corruption.
•
Dans la plupart des secteurs publics, les dirigeants, habitués aux tâches de direction et
de contrôle, connaissent mal les questions de réglementation. Il est parfois difficile de
trouver des spécialistes de la question dans les rangs du service public. Ce handicap
culturel se traduit souvent par des positions équivoques ou contreproductives, ainsi que
par une défiance réciproque entre fonctionnaires et acteurs du privé. Pour être efficace,
la réglementation requiert une formation complète et de qualité, des incitations solides
et des compétences financières et comptables renforcées.
•
Les mécanismes de réglementation indirects produisent parfois de meilleurs résultats
que les méthodes directes (généralement difficiles à appliquer). Ainsi, il peut être plus
efficace d’informer le public sur les bons gestes de soins que de sanctionner les mauvaises
pratiques des agents de santé. L’agrément des prestataires les plus performants peut
pousser des collègues moins bons à améliorer leur propre niveau. Les incitations à passer
d’une zone surpeuplée à une région délaissée sont un autre exemple de réglementation
« douce » que des autorités affaiblies peuvent essayer de mettre en place, avec plus de
chances de succès que si elles tentaient d’interdire de pratiquer dans les zones surdotées
en ressources humaines.
•
L’aspect le plus difficile à réglementer concerne les prestataires informels, qui ne manquent
pas de se multiplier lors des crises prolongées. Il est plus facile de concentrer les efforts
sur les prestataires officiels, mais cela risque de ne pas suffire dans les contextes où
l’essentiel des soins est fourni par des prestataires informels. Des instruments adaptés,
souvent indirects ou informels, peuvent être nécessaires pour réglementer ce soussecteur, avec pour première étape la mise en évidence des activités informelles.
Si l’abandon de la mission de réglementation est parfois inévitable en temps de crise,
l’expérience montre que la difficulté de faire appliquer les mesures réglementaires est
proportionnelle à la durée pendant laquelle elles ont été négligées. De plus, un sous-secteur
privé est plus facile à réguler à ses débuts que lorsqu’il est organisé et puissant. En repoussant
le règlement de ces questions, on s’expose à des problèmes bien plus graves à l’avenir.
Le maintien de fonctions réglementaires élémentaires, voire rudimentaires, au cours d’une
crise prolongée, peut par la suite faciliter un relèvement plus équilibré et plus efficace.
Et la réintroduction de dispositifs réglementaires de qualité partout où ils sont absents doit
être l’une des priorités des décideurs politiques.
Il existe très peu de littérature concernant la réglementation de la fourniture des soins de santé
lors d’une crise prolongée. Aucun modèle positif n’ayant été proposé, toutes les leçons tirées
jusqu’à présent portent sur les pratiques à éviter. Il est vraiment primordial de ne pas négliger
cette question, dont les conséquences sont perceptibles dans la plupart des secteurs de la
santé. Il est donc important d’aborder ce problème de façon positive et d’examiner s’il est
réaliste de vouloir adopter une approche différente de l’habituel principe de « laisser-faire ».
Décentralisation dans un secteur de la santé fragile
Une crise prolongée perturbe les réseaux de communication et les structures hiérarchiques,
entraînant un éclatement naturel de la prise de décision et favorisant l’émergence de nouveaux
acteurs autonomes. La réduction des budgets de l’État touche de façon disproportionnée
les autorités périphériques et les niveaux de soins inférieurs. Les dépenses de personnel
peuvent rester centralisées, notamment pour les cadres supérieurs. Ce sont souvent les
instances administratives supérieures, éloignées du champ des opérations qui conservent les
compétences de recrutement ou de licenciement.
Si les fonctionnaires périphériques gagnent en autonomie par rapport au ministère de la Santé,
leur pouvoir de décision peut rester limité. L’essentiel des ressources publiques demeurent
sous le contrôle des autorités centrales, alors que les moyens disponibles localement, fournis
par les ONG, doivent être négociés avec ces dernières. Faute d’aide ou d’instructions de
sa hiérarchie, le responsable sanitaire local se retrouve dans une position inconfortable :
s’il jouit d’une certaine latitude par rapport aux ressources contrôlées au niveau local, il
ne peut donner son avis (et n’a pas même d’informations) sur les ressources qui seront
prochainement allouées à son unité administrative. Cible passive des décisions négociées,
loin du point de fourniture des services, entre les donateurs, les ONG et les autorités
centrales, le responsable local consacre l’essentiel de son énergie à tenter de comprendre
des événements imprévisibles, notamment la fourniture de médicaments ou la disponibilité
des véhicules, et de combler les lacunes les plus criantes. Dans de telles conditions, une
programmation et une planification raisonnées semblent totalement hors de propos, et, de
fait, sont rarement pratiquées.
Dans des climats très défavorables, comme en République démocratique du Congo, les
autorités sanitaires locales sont obligées d’instaurer des programmes de collecte de fonds
pour financer la fourniture des soins de santé. Des mécanismes d’approvisionnement sont
également mis en place pour compenser la dislocation des dispositifs centralisés. Il arrive
aussi que les autorités locales coupent tout lien avec le pouvoir central, parfois dans une
stratégie délibérée d’affirmation de la puissance ou des intérêts locaux.
L’inventaire des ressources contrôlées par les autorités sanitaires locales aide à évaluer leur
véritable degré d’autonomie. Les résultats sont variables : certains districts disposent de
ressources considérables, qui transitent généralement par une ONG, d’autres sont privés de
tout, y compris des outils de travail les plus élémentaires. Si ce dénuement s’explique en
grande partie par des difficultés logistiques, d’autres facteurs entrent souvent en jeu.
Lors d’une crise prolongée, la délégation totale du pouvoir et des ressources a peu de
chances de figurer au rang des priorités politiques. L’État affaibli est généralement
incapable de mettre en place des autorités locales dignes de ce nom. Après la crise, une
période de renforcement des fonctions de l’État central peut être nécessaire avant qu’il soit
possible d’amorcer une décentralisation efficace. À la fin d’une crise prolongée, les autorités
sanitaires centrales doivent s’attaquer à la revitalisation de toute une série d’activités.
Dans certains cas, comme au Sud-Soudan, elles doivent recréer les bases d’un système de
santé public. Ailleurs, elles doivent rétablir des fonctions durement touchées. Dans tous
les cas, seul un pouvoir central efficace est capable de fournir à l’ensemble du secteur de
la santé les procédures de gestion, les dispositions réglementaires, les flux financiers et les
recommandations pratiques nécessaires.
La décentralisation est parfois considérée par les décideurs comme une avancée incontestable,
placée au premier rang des priorités gouvernementales, sans que l’on tienne vraiment
compte de ses objectifs, des diverses formes qu’elle peut prendre ou des conséquences
de ses différentes variantes. Il peut exister des différences fondamentales entre les types
de décentralisation, concernant notamment l’ampleur de la réforme (qui peut porter sur
l’ensemble de l’administration d’État ou sur un seul secteur, celui de la santé par exemple),
mais aussi sa profondeur, selon le pouvoir et la liberté d’action accordés aux autorités
251
Module 8
Module 8 Analyser les systèmes de gestion
Module 8
252
Analyse du secteur de la santé dans les urgences complexes
sanitaires locales. L’une des principales difficultés tient au degré de détail des dispositions
censées régir la réforme et résoudre les litiges à mesure qu’ils apparaissent. Si les dispositions
sont trop vagues ou incomplètes, et en l’absence d’instances solides pour les faire appliquer,
le processus de décentralisation risque fort de se transformer en une redistribution du pouvoir
désordonnée, injuste et inefficace. Dès le début de ce processus, les acteurs de la santé
auraient tout intérêt à réaliser une étude approfondie de la question, des objectifs ultimes de
l’opération et de l’expérience acquise dans d’autres secteurs de la santé en crise.
La décentralisation est parfois proposée pendant la période de transition qui suit un conflit.
Si des déséquilibres flagrants touchent le secteur de la santé et que des mesures de
redistribution énergiques s’imposent, elles doivent être introduites par le pouvoir central
avant que les autorités locales ne se mettent en place. Sinon, les administrations qui ont
le plus de moyens défendront obligatoirement leurs privilèges et rendront la redistribution
beaucoup plus difficile.
Étude de cas n° 15
La décentralisation au Sri Lanka
En 1987, dans le cadre d’un accord de paix conclu avec l’Inde afin de mettre un
terme à la guerre civile dans le nord-est de leur pays, les autorités sri lankaises ont
transféré une large part des pouvoirs législatif et exécutif aux Conseils provinciaux.
Cette réforme n’a guère reçu le soutien politique de la population sri lankaise, qui la
considérait comme une ingérence étrangère. Les lois complémentaires nécessaires
n’ont jamais été adoptées. Par la suite, l’insurrection maoïste a conduit l’île au bord
du chaos, avant d’être durement réprimée par l’armée.
L’administration publique centrale s’est opposée à la réforme. Les moyens de
management à la disposition des Conseils provinciaux sont restés lamentablement
insuffisants par rapport à leurs nouvelles responsabilités, et ces conseils n’ont pas pu
exercer les pouvoirs autonomes prévus par la loi. La région Nord-Est est celle qui a le
moins bénéficié de la décentralisation, car non craignait qu’elle ne fasse sécession.
D’après la loi, les Conseils provinciaux avaient toute latitude dans l’utilisation des fonds
qui leur étaient alloués, et ils n’avaient à rendre compte ni aux autorités centrales,
ni à leurs administrés. Le pouvoir central choisissait arbitrairement le montant de la
dotation qui leur était accordée (en 1997, elle représentait 77 % de leurs recettes
totales). Mais l’assiette fiscale utilisable par les Conseils provinciaux pour financer
les dépenses à leur charge était insuffisante. En 1988-1996, les dépenses de santé
représentaient environ 40 % du total de leurs charges. Les informations financières
sur les dépenses des provinces sont restées trop opaques et trop insuffisantes pour
permettre des décisions d’allocation avisées. Aucun système de vérification efficace
n’a été mis en place.
Les Conseils provinciaux étaient chargés des services de promotion de la santé, de
prévention et de traitement dans tous les établissements à l’exception des hôpitaux
de niveau supérieur. L’encadrement des médecins restait sous le contrôle du ministère
de la Santé. Les autorités centrales continuaient de gérer directement la prestation
des services de santé, pourtant dévolue aux organismes provinciaux. Le ministère
négligeait ses principales fonctions (élaboration des politiques, planification et
réglementation). Les établissements provinciaux, reclassés en hôpitaux tertiaires,
sont passés sous contrôle de l’État, pour la plus grande satisfaction des autorités
provinciales débarrassées de ce fardeau financier. Au niveau opérationnel, ce
reclassement administratif ne s’est traduit par aucune amélioration.
Le développement organique du secteur de la santé s’est opéré au gré des
exigences politiques plutôt que des besoins évalués. La réforme radicale, acceptée
sans conviction pour des raisons diplomatiques et militaires, n’a en fait jamais
réellement pris.
Résumé d’après Hsiao, 2000
Rénovation de systèmes de gestion paralysés
Depuis des années, la communauté des donateurs s’intéresse aux systèmes de gestion.
Leur renforcement, parfois même leur remaniement complet, était considéré comme
un élément stratégique indispensable à la rénovation des systèmes de santé affaiblis.
Les conseillers en gestion se sont ainsi multipliés dans le monde entier. Malgré les
investissements énormes réalisés un peu partout, les résultats sont mitigés, voire médiocres.
Les secteurs de la santé qui sortent d’une crise prolongée risquent toujours d’être submergés de
propositions et d’initiatives pilotées par les donateurs, visant à réformer les systèmes de gestion.
Dans ce domaine, l’expérience a permis de tirer quelques leçons :
a. Des réformes de la gestion ont été proposées dans des secteurs de la santé souffrant
d’un manque criant de ressources, avec les résultats médiocres que l’on peut imaginer.
De même, des secteurs de la santé mieux nantis financièrement ont complètement
ignoré ces réformes. L’amélioration des pratiques de gestion et l’augmentation des
ressources doivent être simultanées s’il l’on veut parvenir à une amélioration notable des
performances du secteur de la santé. Pour de plus amples informations sur l’évaluation
de l’enveloppe financière, voir le Module 6.
b. En se multipliant, les initiatives tendent à se neutraliser les unes les autres, rendant
impossible l’établissement de nouveaux systèmes de gestion. Si l’on a engagé d’emblée
des négociations avec les organismes donateurs, afin de convenir d’une stratégie
commune de renforcement de ces systèmes, il est possible de freiner la prolifération
d’initiatives de gestion sans lien entre elles. La continuité des méthodes et des actions
passe également par des mesures destinées à réduire la rotation des fonctionnaires de
l’État et des représentants des organismes donateurs.
c. Face au manque d’efficacité qui prévaut dans les systèmes de santé en crise, l’amélioration
des pratiques de gestion, via un gain d’efficience dans l’exploitation des ressources
existantes, peut améliorer notablement les performances des services. Parfois, il suffit de
supprimer une règle mal conçue pour déclencher des progrès manifestes. L’augmentation
de la production grâce à une meilleure utilisation des ressources disponibles est
la preuve d’une bonne capacité de gestion, et suffit parfois à elle seule à drainer des
moyens supplémentaires.
d. Le recours ponctuel à des spécialistes peut être utile, notamment au démarrage du
processus de relèvement. Toutefois, la mise en place de systèmes de gestion efficaces
exige la présence permanente de spécialistes en interne et nécessite des efforts soutenus
sur la durée. Une dépendance excessive vis-à-vis des conseillers extérieurs est à éviter,
car elle distrait généralement les responsables et favorise le report des décisions.
e. Les nouveaux consultants risquent fort de proposer des solutions toutes prêtes. Sans une
adaptation lente et rigoureuse aux conditions locales, ces solutions ont peu de chances
d’être à la hauteur des attentes.
f. La technologie est souvent présentée, à tort, comme LA solution définitive aux faiblesses
de la gestion. La technologie peut certes décupler les performances globales d’un
système solidement conçu, lui-même piloté par des cadres compétents travaillant dans
un environnement favorable, mais elle ne peut pas compenser l’absence de ces facteurs.
g. On confond souvent renforcement des systèmes de management et formation en
management. Si la formation doit faire partie d’un programme d’interventions complet,
elle n’est pas suffisante en soi. Les systèmes de santé en phase de relèvement doivent
envisager la création (ou la réactivation, si elle existe déjà) d’une formation postuniversitaire en bonne et due forme destinée aux managers de la santé professionnels.
h. Le plus souvent, la conception des systèmes de gestion s’intéresse essentiellement aux
aspects techniques et procéduraux. En général, on n’est pas assez attentif aux incitations
et à leur action sur le comportement aussi bien des responsables que des agents de santé
qu’ils encadrent. Or, des incitations bien conçues constituent peut-être l’élément le plus
important d’un système de gestion efficace.
253
Module 8
Module 8 Analyser les systèmes de gestion
Module 8
254
Analyse du secteur de la santé dans les urgences complexes
i.
La crise est à l’origine d’un pluralisme qui appelle des approches différentes des
pratiques de gestion. Contrairement au patron classique qui maîtrise toute la chaîne
des opérations, dans un contexte de crise, le manager intervient dans un ensemble
de relations, de flux de ressources et de décisions hétérogènes, sans cohérence et
sans ligne directrice. Il doit impérativement comprendre cet environnement et diriger
les événements dans la direction souhaitée pour réussir, ou tout au moins limiter les
dégâts. Pour cela, il doit faire preuve d’un bon esprit d’analyse pour donner un sens
à des situations complexes, où se mêlent une foule de partenaires et de concurrents.
Des dons de communication lui permettront de se renseigner sur les programmes
suivis, les ressources dont disposent d’autres intervenants et les activités qu’ils
mènent. Et des talents de négociateur s’imposent s’il veut s’entendre avec d’autres
sur les actions à entreprendre.
En général, de nombreux intervenants (en particulier les intervenants extérieurs) demandent de
tout reprendre à zéro. En instaurant de nouveaux systèmes, on risque de choisir des méthodes
inadaptées, de désorienter les participants habitués à d’autres pratiques, de perturber des
opérations déjà soumises à des contraintes importantes et de démanteler des éléments de l’ancien
système qui ont fait leurs preuves mais qui passent inaperçus dans ce revirement complet.
Certes, dans certains cas d’effondrement total, un changement radical semble être la seule solution.
D’un autre côté, la naissance d’un nouvel État ou la création d’une nouvelle administration
dans un État existant, comme celle mise en place d’un commun accord au Sud-Soudan, donne
l’occasion d’instaurer des systèmes de gestion modernes, allégés et réactifs, libérés des règles
archaïques de l’administration publique. Mais on risque parfois de laisser passer cette occasion à
cause des pressions en faveur de la création d’emplois, courantes vers la fin d’une crise.
Dans des contextes moins difficiles, une réactivation provisoire des systèmes de gestion
suivant les anciennes orientations, qui permet de faire le bilan de leurs points forts et de leurs
points faibles, peut se justifier. On pourra ainsi vérifier si les anciens systèmes sont adaptés
au nouveau contexte. Les résultats de cette évaluation serviront de base à la conception
de nouveaux systèmes de gestion bien pensés, qui conserveront les éléments valables de
l’ancien système, complétés par de nouveaux dispositifs idoines. Il convient d’apporter
une attention de tous les instants à ce processus, pour éviter qu’il ne s’interrompe en cours
de route, et que les anciens systèmes de gestion soient réactivés tandis que les réformes
nécessaires soient reportées, voire annulées. Les premiers effets de la stratégie de relèvement
peuvent engendrer un sentiment de satisfaction qui, s’il sert de prétexte à l’interruption du
processus, doit être activement combattu.
Certains éléments des futurs systèmes de gestion peuvent déjà être en place et il ne reste
alors qu’à les identifier. Les crises profondes favorisent l’expérimentation, l’innovation et la
sélection naturelle. Après des années de tâtonnement dans des conditions difficiles, on a des
chances de voir émerger des systèmes de gestion robustes, même si leur portée et leur taille
sont limitées. Une étude approfondie de l’évolution sur le terrain doit aider à identifier les
programmes qui pourront être appliqués à grande échelle. L’Étude de cas n° 19 présente le
cas de la République démocratique du Congo.
Évaluation des capacités existantes
Le concept de « capacité », tel qu’il ressort de l’importante littérature qui lui est consacrée,
est difficile à définir. L’évaluation des capacités est une véritable gageure dans n’importe
quel contexte difficile, à plus forte raison dans un secteur de la santé en crise. Néanmoins,
il est faux de penser que, lors d’une crise prolongée, les capacités sont forcément réduites.
Chaque niveau de capacité réagit différemment à la crise.
La capacité systémique est celle qui risque le plus de souffrir de la crise, car le secteur de
la santé se morcelle, perd sa ligne directrice et les sous-systèmes sont désorganisés. En fait,
on considère qu’un système de santé est « en crise » lorsque sa capacité globale à remplir
son rôle n’atteint plus un niveau acceptable. Le problème tient alors à la dislocation des
différents éléments du système, qui, pris séparément, sont parfois plus solides qu’avant la
crise. C’est l’incapacité de ces éléments à se coordonner de façon cohérente sur la durée qui
réduit spectaculairement l’efficacité générale du système. Le résultat global est inférieur à la
somme des différents éléments.
Des îlots de capacité organisationnelle émergent ou arrivent de l’étranger. Les organismes
les plus solides peuvent bénéficier d’une capacité d’exécution ou de résolution des problèmes
importante ou en amélioration, mais comme elle est coûteuse et importée, cette capacité ne
peut être viable et durable. Les étrangers, qui occupent des postes d’encadrement dans ces
organismes, tirent mieux les leçons de la crise que les locaux, généralement placés à des
postes subalternes.
Le volume total de capacité personnelle peut augmenter avec l’arrivée massive de cadres
étrangers qualifiés. En revanche, la composante locale risque de pâtir de l’émigration.
Celle-ci se conjugue à la perte de responsabilité des personnels locaux les plus expérimentés,
qui abandonnent leur poste de haut niveau dans des organismes locaux pour prendre des
postes de niveau moindre dans des organismes internationaux ou des ONG. De plus,
pour survivre, certains cadres qualifiés acceptent des postes sans lien avec leur spécialité.
Les rares compétences s’amenuisent encore et les cadres sont souvent moins performants
dans des domaines qui leur sont étrangers. Peu utilisées dans un environnement de travail
perturbé, les compétences techniques des individus s’amenuisent. Et la gestion des aspects
personnels de la crise absorbe une part de l’énergie, du temps et de l’attention qui pourraient
être consacrés au développement professionnel des cadres locaux.
L’évaluation de la capacité existante peut commencer par un tour d’horizon du secteur,
qui permettra d’identifier les pôles (une province, une programme particulier, un domaine
fonctionnel précis, une ONG, etc.) qui dégagent les meilleures performances. Il s’agit ensuite
d’étudier et de comprendre les raisons de ces bonnes performances, et les conclusions ne
sont pas toujours réjouissantes. Un élément donné réussit parfois en drainant les rares cadres
compétents disponibles dans d’autres domaines défavorisés. La prédominance de l’un se
fait alors aux dépens des performances globales. C’est là un schéma fréquemment observé
avec les unités d’exécution spéciales soutenues par les donateurs. Mais dans d’autres cas,
la réussite s’appuie sur des facteurs potentiellement reproductibles : incitations adaptées,
objectifs et stratégies clairement définis, méthodes de gestion efficaces, etc. Les exemples de
réussite semblent démontrer que l’exploitation des capacités sous-utilisées disséminées dans
l’ensemble du secteur de la santé peut produire des effets systémiques positifs.
Trop souvent, les performances médiocres sont exclusivement imputées au faible niveau
des salaires. C’est une explication valable, mais généralement pas suffisante. Bien sûr, une
rémunération insuffisante explique dans une large mesure le manque de motivation dont pâtit
de toute évidence la prestation des services. Néanmoins, si le personnel est incompétent, il
obtiendra des résultats médiocres (au moins sur le plan technique), même avec un salaire
correct. Dans tous les cas, une augmentation de salaire n’a pas, à elle seule, d’impact durable
sur la motivation : après un certain temps, les performances retrouvent leur niveau de départ.
Et, dans les crises prolongées, l’éducation générale et la formation sont généralement d’un
faible niveau. Des compétences professionnelles précaires, facilement observables, risquent
d’entraver le développement du secteur des années après la fin de la crise. On comprend que les
victimes des perturbations qui, pendant des années, ont peiné pour obtenir des qualifications
et des diplômes de deuxième ordre, aient du mal à accepter cet état de fait. Malgré cela, il est
essentiel d’évaluer la gravité de ce déficit de qualifications pour se faire une idée du volume
de capacité personnelle sur lequel le secteur de la santé pourra s’appuyer, et pour élaborer des
programmes réalistes de relèvement et de développement du secteur.
La capacité dépend largement de contraintes étrangères au secteur de la santé. La rareté des
entrepreneurs, fréquente à la fin d’une crise prolongée, peut représenter un obstacle de taille à la
reconstruction. L’absence de routes et de moyens de communication ralentit le relèvement tout
en gonflant les coûts. Une législation inexistante ou inadaptée est souvent un obstacle majeur à
des pratiques de gestion publique saines. Des règles obsolètes concernant la fonction publique
nuisent fortement aux performances du secteur de la santé. Toute évaluation de la capacité
existante doit rechercher les causes des principaux problèmes. Un examen trop étroitement
ciblé sur le secteur de la santé est souvent à l’origine de mesures correctives inadaptées.
255
Module 8
Module 8 Analyser les systèmes de gestion
Module 8
256
Analyse du secteur de la santé dans les urgences complexes
L’évaluation de la capacité existante suppose l’exploration des différentes composantes de
la « capacité » :
• La connaissance et la mémoire peuvent pâtir de la migration des cadres autochtones et
du taux élevé de rotation des expatriés, dus à des conditions difficiles sur le terrain. La
mémoire personnelle est généralement plus tenace que la mémoire institutionnelle. Il arrive
que, faute d’être identifiés, certains îlots de savoir et de mémoire ne soient pas exploités,
ou qu’ils soient marginalisés pour des motifs politiques ou parce qu’on préfère suivre une
orientation qu’une bonne compréhension de la situation pourrait remettre en cause.
•
Information. Une évaluation de l’exhaustivité, de la fiabilité, de l’actualité et
de l’accessibilité de l’information existante, ainsi qu’un examen des méthodes
d’actualisation, de diffusion, de validation et d’utilisation de l’information dans la
prise de décision, donnent une idée de la capacité disponible. La connaissance, par
les différents intervenants, des conditions du terrain et des actions en cours ou en
projet, constitue un autre indicateur important. L’analyse ne doit pas se cantonner aux
systèmes d’information officiels. Lorsque les instruments institutionnels fondés sur la
connaissance sont fermés ou désorganisés, ils peuvent être remplacés par de nouveaux
moyens, parfois informels, instaurés par les organismes ou émanant de réseaux de
personnes bien informées. Si des réseaux de savoir se sont développés, la capacité
réelle du système peut être plus importante qu’on ne pourrait le penser de l’extérieur.
Ces ressources informelles permettent à des intervenants déterminés, qui les connaissent
bien, de prendre des décisions relativement éclairées.
•
Formulation des politiques. En présence de tout élément prouvant l’existence de
discussions donnant lieu à des décisions concertées, on a des raisons de penser qu’une
certaine capacité systémique est en place. Les débats incapables de déboucher sur
des actions concrètes sont la preuve du contraire. Un programme politique surchargé,
qui passe d’une question à l’autre sans aboutir au moindre résultat, confirme les pires
inquiétudes quant à la médiocrité de la capacité systémique.
•
Négociation. Dans le même ordre d’idées, toute indication d’une action concertée
découlant de négociations entre les principaux intervenants permet de tabler sur
l’existence de capacités. Pour mieux cerner la situation, on vérifiera si les questions
sur lesquelles ont porté les efforts étaient pertinentes, si le succès est dû uniquement à
l’implication d’un acteur particulièrement charismatique ou énergique ou au contraire à
la convergence de vue des différents intervenants, et si les résultats sont à la hauteur des
efforts fournis.
•
Exécution. L’examen des initiatives effectivement lancées dans le secteur de la santé est
riche d’enseignements sur les niveaux de capacité actuels, leur localisation, les domaines
fonctionnels dans lesquels ils se développent et les groupes qui en ont le contrôle. Dans
certains cas, des programmes spéciaux peuvent afficher des performances étonnamment
élevées, notamment dans des cadres restreints particulièrement contrôlés. Les exemples
positifs peuvent renforcer la confiance dans la capacité du secteur de la santé à développer
les activités existantes ou à soutenir de nouvelles initiatives. Mais ces attentes peuvent
être déçues.
•
Il n’est pas rare que les autorités centrales édictent des règles et des recommandations
négligeables (et dont les exécutants ne tiennent aucun compte), alors que les organismes
de santé locaux souhaiteraient (et pourraient) réagir aux problèmes auxquels ils sont
confrontés. En 2005, en République démocratique du Congo, ce contraste entre un
pouvoir central insignifiant et des organismes périphériques actifs était frappant. Les
grands pays morcelés sont exposés à l’apparition de véritables fossés entre la capitale et
ses ministères, et le reste du pays.
Apprentissage et évaluation. L’aptitude du système à tirer les leçons de l’expérience
constitue un autre indicateur d’une solide capacité. Si, en examinant les vieux documents
disponibles, on rencontre des problèmes qui ont été considérés comme majeurs
pendant des dizaines d’années sans jamais être corrigés, ou si des initiatives similaires
sont constamment relancées sans que le travail déjà réalisé ne soit exploité, on peut
légitimement s’inquiéter.
•
Appropriation de la capacité existante (par les acteurs locaux ou étrangers). Dans les
crises particulièrement prolongées notamment, il arrive que certains étrangers aient noué
des liens personnels avec le pays, aient acquis des connaissances approfondies à son
sujet et soient en quelque sorte dépositaires d’une bonne part de la capacité personnelle
disponible. La distinction entre acteurs locaux et étrangers s’estompe lorsque l’on parle
de capacité : celle-ci est détenue par l’ensemble des intervenants locaux ou étrangers
qui ont travaillé au sein du secteur de la santé dégradé suffisamment longtemps pour en
avoir une connaissance intime. À l’inverse, les cadres locaux qui ont émigré ou se sont
détachés de l’évolution de leur pays peuvent devenir des outsiders, au même titre que les
étrangers fraîchement arrivés.
•
Ressources humaines. La capacité est le résultat d’un dosage équilibré de ressources
matérielles et immatérielles. L’examen des ressources humaines peut révéler certains défauts
classiques. Le nombre total d’agents de santé peut être insuffisant pour gérer le réseau
sanitaire et desservir l’ensemble de la population. Ce fut par exemple le cas au Cambodge, où
les massacres ont beaucoup éclairci les rangs. Le personnel le plus touché étant aussi le plus
qualifié, la capacité de formation a fortement diminué, ce qui, après la fin de la crise, a freiné
pendant des années le relèvement du secteur. Là où les responsables sont recrutés parmi les
professionnels de la santé sans recevoir de formation spécifique, les managers compétents
sont rares. Certaines compétences ou certaines catégories de professionnels peuvent être
absentes ou sous-représentées. Dans chaque domaine, la capacité peut être particulièrement
forte ou faible, selon que les compétences voulues sont disponibles ou non.
•
Infrastructure. Bureaux, locaux de formation, entrepôts, ateliers, ont tous une incidence
sur la capacité du secteur de la santé à produire les résultats escomptés. Alors que
l’infrastructure physique se délabre souvent pendant une crise prolongée, les organismes
et ONG bâtissent, rénovent ou louent généralement des locaux convenables. Pour les
équipements, le décalage peut être important entre les organismes d’aide et les autorités
du pays. Même correctement formés, les managers sont moins efficaces dans un
environnement de travail inadapté. Les lacunes ou les incohérences patentes dans les
chaînes fonctionnelles (par exemple, une formation informatique proposée à des cadres
qui n’utilisent pas d’ordinateur) sont le signe d’une capacité médiocre.
•
Ressources financières. L’insuffisance des financements entrave le bon fonctionnement
des secteurs de la santé les plus désorganisés. En dehors de l’absence totale de fonds, les
pénuries sont souvent dues à l’incurie des systèmes de gestion des finances publiques.
Dans de nombreux cas, la gravité des perturbations provoquées est disproportionnée par
rapport aux fonds qui permettraient de régler les problèmes de fourniture des services.
Il suffit de peu pour accomplir des merveilles si cet argent sert à résorber des carences
critiques. À l’inverse, il arrive qu’un financement conséquent mal ciblé entraîne
seulement de nouveaux gaspillages.
•
Goulets d’étranglement, ou limitations mineures ayant un impact important sur
l’ensemble du système. Il arrive que la mise en œuvre des programmes se heurte à des
obstacles mineurs que personne n’avait prévus. Ainsi, des programmes de décentralisation
ambitieux sont-ils condamnés à l’échec dans les pays où les agences bancaires sont rares,
si les autorités sanitaires de district ne reçoivent pas de coffres. La présence de ces goulets
d’étranglement est souvent le signe que les décideurs ont une mauvaise connaissance du
contexte, défaut souvent à l’origine d’une capacité médiocre.
•
Processus : règles, réglementation, habitudes, traditions, croyances. S’agit-il d’atouts
à renforcer progressivement ou de handicaps à surmonter par le biais d’une réforme
radicale ? Certains secteurs de la santé ont fait preuve d’une résistance remarquable face
à la crise, supportant une pression prolongée avec un relatif succès. De multiples facteurs
contribuent à préserver les fonctions vitales du secteur de la santé : fierté professionnelle
s’appuyant sur les réussites passées, habitude de se tirer des difficultés, continuité de
257
Module 8
Module 8 Analyser les systèmes de gestion
Module 8
258
Analyse du secteur de la santé dans les urgences complexes
l’encadrement, présence de personnalités déterminées qui guident leurs collègues vers
des objectifs raisonnés… Ces situations privilégiées exigent que l’on aborde la réforme
de façon prudente et respectueuse.
•
À l’opposé, le système de santé peut entrer dans une sorte de transe organisationnelle, où
les ressources sont absorbées sans donner de résultats, où les décisions sont repoussées
à l’infini, où les ministres et les managers sont remplacés sans que les performances du
secteur ne s’en ressentent, et où les actions partent dans tous les sens. Or, les secteurs de
la santé même les plus résistants peuvent se retrouver dans un tel état s’ils sont exposés
trop longtemps à des difficultés. Dans d’autres cas, la désorganisation du secteur sanitaire
peut être le symptôme de la mauvaise santé générale du tissu social. Ces états critiques
doivent être traités par des thérapies de choc.
Réaction à des crises aiguës. Outre l’aptitude à formuler des stratégies, à élaborer des
plans, à mettre en œuvre des actions et à en évaluer les résultats, la réaction systémique à
un événement imprévu, par exemple une épidémie ou une catastrophe naturelle, est riche
d’enseignements sur les capacités du secteur de la santé. Dans un environnement habitué
aux crises aiguës, la capacité de réaction peut atteindre un niveau remarquable. Mais la
vigueur des réactions ne doit pas engendrer d’espoirs démesurés concernant la capacité
globale du système. En fait, les compétences, les états d’esprit, les cadres temporels, les
habitudes de travail requis pour résoudre les crises aiguës ne sont généralement pas ceux
qui permettent d’assurer une fourniture régulière des services sur la durée. Pire encore, la
gestion réussie d’une crise aiguë peut pousser les responsables à traiter de la même façon
la fourniture des services, avec des résultats évidemment médiocres.
Renforcement des capacités
L’hypothèse, souvent fausse, selon laquelle les secteurs de la santé en crise se heurtent
forcément à des limitations de capacités explique la prolifération d’initiatives de renforcement
des capacités que l’on observe souvent dans les crises prolongées. L’évaluation de ces actions
permet d’identifier plusieurs défauts courants :
• Rares sont les initiatives découlant d’une analyse systémique. Comme les incitations
(positives et négatives) à l’œuvre dans le système sont rarement prises en compte, les
stratégies qui permettraient de les orienter dans la direction souhaitée sont souvent
négligées.
•
La plupart des efforts visent à apporter aux cadres qui, pense-t-on, ne possèdent pas
les connaissances suffisantes, des compétences qu’ils devront acquérir dans des ateliers
généralement de courte durée. Les compétences pratiques, qui ne peuvent être acquises
que sur le terrain, sont traitées en salle de classe, loin du lieu de travail, voire du pays.
Pour ne rien arranger, même si ces formations permettent d’engranger des compétences
solides, celles-ci, dans un contexte perturbé, restent inutilisées et disparaissent
rapidement : même si la capacité est bien présente, elle ne peut être exploitée.
•
Peu d’initiatives capitalisent vraiment sur le travail déjà réalisé. Au contraire, la plupart
reprennent tout à zéro. Une expérience précieuse est gaspillée et l’on reproduit toujours
les mêmes choses. Comme on évalue rarement les actions, on ne tire aucune leçon du
travail déjà fourni.
•
La plupart des formations sont de courte durée, dispensées au coup par coup, sans suivi
dans le temps. Rares sont les initiatives qui durent suffisamment longtemps pour donner
les résultats attendus et les consolider.
•
Les interventions sont souvent conçues et mises en œuvre par des acteurs extérieurs qui
connaissent mal la situation. Des modèles tout prêts sont imposés d’en haut sans être
correctement adaptés. Dans certains cas, la langue constitue une barrière difficilement
surmontable qui restreint encore davantage l’efficacité des solutions de formation
importées.
Si la plupart, voire la totalité de ces défauts sont présents, le travail de renforcement des
capacités risque de se solder par un énorme gaspillage d’efforts et, en fait, par une destruction
de capacités.
Conseils de lecture
Gasper D. Evaluating the ‘logical framework approach’: towards learningoriented development evaluation. Public Administration and Development,
20:17-28, 2000.
Depuis les années 1970, l’approche du cadre logique (« logical framework approach »
ou LFA) s’est largement développée dans l’univers de l’assistance, au point de devenir
le principal outil de planification, de suivi et d’évaluation. De nombreux donateurs
conditionnent l’accès aux financements à la soumission d’un cadre logique correctement
formulé. Toutefois, les hommes de terrain savent à quel point les cadres présentés sont
loin de la réalité de leur travail quotidien. Cet article édifiant explique les raisons de cette
situation.
«... les cadres logiques sont forcément simplificateurs et deviennent dangereux s’ils ne sont
pas perçus comme tels ; ils peuvent favoriser la réflexion logique, mais pas s’y substituer,
car l’application d’un format fixe produit généralement de l’illogisme ; et ils ont tendance
à rigidifier les choses, et donc entravent l’adaptation plus qu’ils ne la favorisent. »
« Pour conclure, il faut utiliser l’approche du cadre logique avec précaution, et parfois
y renoncer. Les cadres logiques peuvent favoriser une réflexion utile sur les objectifs,
les hypothèses et les données, mais perdent de leur utilité lorsque l’on passe de la
planification au suivi, puis à l’évaluation. Ils peuvent devenir sérieusement restrictifs, lors
de l’évaluation, lorsque les effets et les itinéraires non intentionnels sont importants, qu’il
existe des interactions complexes entre le programme et le contexte et que l’efficacité des
moyens prévus n’est pas bien comprise au préalable, et que les priorités des intervenants
sont très différentes, ces situations étant plus souvent la règle que l’exception. »
La complexité et l’instabilité caractéristiques des environnements en proie à la violence
soulignent encore davantage les limites de l’approche du cadre logique. Il est ahurissant
de voir des représentants des donateurs certains de pouvoir maîtriser la programmation
de l’aide dans des environnements tels que l’Afghanistan ou la République démocratique
du Congo depuis le confort de leur quartier général, par le biais d’instruments comme les
cadres logiques.
Handy C. Understanding organizations, 4e éd. Londres, Penguin Global, 2005.
En un mot, un chef d’œuvre. Handy réussit à donner une analyse instructive, pleine
d’esprit et propice à la réflexion d’un domaine notoirement aride. Il examine en détail tout
l’éventail d’hypothèses, de modèles, de méthodologies et de cultures qui façonnent les
organisations modernes, en invitant constamment le lecteur à tirer ses propres conclusions.
La pratique prend le pas sur la théorie, qui est présentée, étudiée et remise en cause à la
lumière de l’expérience réelle.
Les nombreux encadrés présents dans cet ouvrage sont souvent amusants et toujours
intéressants. La réflexion est complétée par un guide foisonnant et motivant pour ceux
qui souhaitent approfondir le sujet. Un ouvrage plaisant, destiné aux futurs responsables
comme à ceux qui sont déjà à l’œuvre, aux analystes organisationnels et à tous les lecteurs
qui s’intéressent au comportement des personnes et des organisations qui les emploient.
Leader N. et Colenso P. Aid instruments in fragile states. Londres, DFID
(PRDE Working Paper 5), 2005.
Une étude des solutions à la disposition des donateurs qui traitent avec des « États
fragiles », vaste catégorie qui comprend à la fois les États en proie à la violence, à la faiblesse
des institutions, à une gestion médiocre, à une mauvaise direction ou à la contestation.
Cet article montre que les donateurs doivent changer la façon dont ils abordent généralement
259
Module 8
Module 8 Analyser les systèmes de gestion
Module 8
260
Analyse du secteur de la santé dans les urgences complexes
les partenariats difficiles, à savoir par l’aide humanitaire, un engagement limité, le recours
à des intermédiaires et avec le souci d’éviter les risques.
Une meilleure compréhension des risques et des possibilités offertes par ces environnements,
qui s’appuierait sur une analyse systémique et une expérimentation cohérente, devrait
permettre aux donateurs de faire des choix plus pertinents. Les auteurs étudient les
stratégies et les options de programmation à envisager dans les différentes situations.
Ils concluent qu’une panoplie d’instruments d’assistance adaptées à chaque contexte et
révisées au fil du temps en fonction de l’évolution du pays, a plus de chances d’être
efficace qu’un modèle d’aide unique. Un message marqué au coin du bon sens, qui invite
à changer radicalement le mode de fonctionnement habituel du secteur de l’assistance, et
pas seulement dans le cas des États fragiles.
Potter C. et Brough R. Systemic capacity building: a hierarchy of needs.
Health Policy and Planning, 19: 336-345, 2004.
Une critique intéressante de la conception du renforcement des capacités et de l’exécution
des actions qui y sont associées. Cet article affirme que les résultats médiocres des opérations
de renforcement des capacités entreprises dans différents contextes sont imputables à de
graves défauts de conception. Le résultat ? Des faiblesses secondaires comme l’insuffisance
des équipements sont invariablement traitées par le biais de programmes de renforcement
des capacités, alors que les lacunes systémiques sont laissées en l’état. De toute évidence,
un changement de méthode s’impose.
En se plaçant dans une perspective systémique et en classant les problèmes selon
l’importance des capacités nécessaires, on peut identifier et mettre en application un
ensemble cohérent d’interventions. La capacité (ou l’absence de capacité) liée aux
structures, aux systèmes et aux rôles doit être distinguée de la capacité liée au personnel
et à l’infrastructure, aux compétences et aux outils. « Le moment est venu, pour les
gouvernements des pays qui s’efforcent d’améliorer leurs services de santé et pour les
partenaires du développement qui tentent ostensiblement de soutenir leurs efforts, de sortir
de la litanie du « manque de capacités » et des fausses solutions sans la moindre efficacité
(équipement, formation et construction). Pour les auteurs, en traitant le renforcement
des capacités systémiques comme un ensemble d’éléments hiérarchisés parmi lesquels
les moins tangibles sont les plus importants, il serait possible d’améliorer sensiblement
l’utilisation des ressources d’aide au développement. »
Saltman R. B. Regulating incentives: the past and present role of the state
in health care systems. Social Science and Medicine, 54: 1677-1684, 2002.
Un examen lucide, riche d’enseignements pour les pays pauvres, des changements
intervenus dans le secteur de la santé de nombreux pays d’Europe qui ont restructuré leur
prestation des services de santé. Après avoir éclairci le sens des termes « réglementation »
et « incitations » appliqués aux systèmes de prestation des soins, Saltman montre que le
marché planifié instauré par les réformateurs n’a pas amoindri le rôle de l’État. Bien au
contraire, ses responsabilités en matière de réglementation se sont étendues.
« ...il est beaucoup plus complexe et beaucoup plus coûteux d’exercer une autorité de
surveillance que d’opérer un contrôle direct. Négocier et suivre des contrats est plus
compliqué et demande plus de personnel que fournir un budget. Concevoir des règlements
liés aux résultats est plus difficile que publier des règles et des circulaires. »
« ... le passage à un environnement plus entrepreneurial, à l’intérieur comme à l’extérieur
du secteur public, suppose non seulement un niveau similaire d’activité de l’État, mais des
types et des niveaux d’activité nettement plus sophistiqués. Il faut pour cela du personnel
mieux formé et plus motivé, des informations plus fiables, et davantage de connaissances
dans le domaine financier et comptable. Tout cela a un coût élevé. Aussi le nouveau rôle
de réglementation de l’État risque-t-il d’être au moins aussi onéreux que l’ancien modèle
hiérarchique. Ce qui laisse penser que l’adoption d’incitations de type libéral comme
dispositif central de gestion d’un système de santé n’est pas une stratégie adaptée à des
États pauvres. »
Références bibliographiques
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Development Issues, 2000).
Brinkerhoff D. W. Capacity Development in Fragile States. ECDPM (Centre européen
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Randel J., Mowjee T. et Jacquand M. Review of trust fund mechanisms for transition
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Wiles P., Farah K. H. et Bakard A. A. Review of aid coordination for Somalia: final
report, 2004.
261
Module 8
Module 8 Analyser les systèmes de gestion
Annexe 8
262
Analyse du secteur de la santé dans les urgences complexes
Annexe 8 Instruments inspirés par les approches sectorielles (SWAp) dans
les secteurs de la santé pendant ou après un conflit
L’intérêt suscité par les approches sectorielles (SWAp) comme moyen de rationaliser
l’assistance extérieure et de renforcer la cohérence des actions sectorielles, et l’introduction
de ces approches dans de nombreux secteurs de la santé dans le monde entier, ont placé ce
concept au cœur des préoccupations des pays qui se relèvent d’une crise.
Les SWAp ont été définies de multiples façons, mais elles présentent généralement certaines
grandes caractéristiques, notamment une stratégie sectorielle complète mise en œuvre sur
le moyen terme, un programme de dépenses incluant les contributions les plus importantes,
la participation de tous les intervenants majeurs et l’adoption de méthodologies communes
alignées sur les procédures officielles.
Dans les secteurs de la santé confrontés à une cruelle pénurie de ressources et à un manque
d’efficacité dramatique, les perspectives de rationalité et d’exhaustivité ouvertes par les
SWAp sont évidemment séduisantes. En fait, les milieux touchés par un conflit présentent de
nombreuses caractéristiques qui devraient encourager l’adoption d’une approche sectorielle.
L’effondrement des anciennes institutions, procédures et habitudes de travail peut favoriser
la recherche de nouvelles approches. Le morcellement important de la plupart des secteurs
de la santé frappés par un conflit, et leur manque d’efficacité paralysant, exigent des mesures
correctives. Pour répondre aux besoins et attirer des ressources extérieures supplémentaires
là où l’aide est indispensable, il est primordial d’améliorer l’absorption et l’efficacité de
cette aide. L’hétérogénéité de nombreux secteurs de la santé touchés par un conflit favorise
l’adoption de méthodes collaboratives. Et un cadre de relèvement est indispensable pour
guider chaque participant indépendant dans la transition de la guerre à la paix.
Mettre en pratique ces idéaux reste extrêmement difficile. De nombreux problèmes liés à
l’environnement politique, aux autorités bénéficiaires et aux partenaires du développement
peuvent dissuader d’adopter une approche sectorielle.
Environnement politique. Sachant que le cadre politique a souvent disparu, les discussions
sont paralysées par une mémoire institutionnelle déficiente et restent confinées à des
cercles restreints. Les sensibilités politiques peuvent entraver la tenue de discussions
« rationnelles ». La base d’informations sur laquelle doit s’appuyer une démarche de
programmation solide est généralement insuffisante. De plus, il est parfois impossible de
prévoir la position financière des nouveaux États ou des États qui émergent d’une crise
prolongée. La capacité d’absorption est faible. Les systèmes de gestion des finances
publiques, les organismes de réglementation, les agences de vérification et même les banques
commerciales peuvent ne pas exister ou être affaiblis. Dans un contexte de transition, les
choses évoluent si vite qu’il est impossible de prolonger les négociations ou de prendre des
engagements fermes, et les partenaires sous pression prennent des décisions hâtives.
Autorités bénéficiaires. Le gouvernement ne dirige pas comme il le devrait la formulation
des politiques en raison de limitations de capacité, d’un pouvoir limité, d’une légitimité
contestée, du manque d’aptitude des fonctionnaires nouvellement nommés ou de l’urgence
d’autres tâches. D’un côté, un gouvernement composite et précaire risque d’hésiter à
s’engager auprès d’un groupe solidaire d’organismes donateurs. D’un autre côté, les donateurs
frileux évitent généralement de traiter directement avec un pouvoir central dont la légitimité
est douteuse.
Partenaires du développement. Dans la plupart des régions en proie à un conflit, les donateurs
ont des objectifs très différents. Les principales agences qui cherchent à renforcer leur
influence ne sont pas toujours disposées à négocier ou à accepter des compromis. Il arrive
que les organismes de secours et les ONG, qui connaissent mal les SWAp et ne leur trouvent
guère d’intérêt, dominent le secteur de la santé, les gros bailleurs de fonds préférant rester en
retrait, en particulier si l’issue politique de la crise est incertaine. Faute de limites imposées
par les autorités bénéficiaires, des agences très combatives poursuivent leur programme
dans leur coin, et justifient leur position par des problèmes d’urgence ou d’absorption.
En outre, la prolifération d’intervenants privés (à but lucratif ou non) qui poursuivent chacun
des objectifs différents toujours difficiles à concilier dans un cadre politique partagé, limite
l’étendue, et donc l’efficacité, du processus SWAp.
Tous ces problèmes peuvent expliquer pourquoi le Timor-Leste, jeune pays ayant connu
une crise brève et intense et qui a été placé sous administration provisoire de l’ONU,
est le seul endroit où une SWAp a été formellement adoptée dans le secteur de la santé
(Tulloch et al., 2003).
Il existe des arguments très solides contre l’adoption d’une SWAp dans un contexte perturbé.
Si une approche sectorielle est prématurée dans la plupart des situations de transition, la
réflexion sectorielle, elle, ne l’est pas. En fait, les approches adoptées pendant un processus
de relèvement facilitent l’évolution structurelle à venir ou, au contraire, l’entravent.
Plusieurs mesures peuvent être considérées comme les pièces maîtresses d’une future SWAp.
Ces mesures sont également séduisantes en soi, en raison des gains d’efficacité systémique
qu’elles peuvent générer. Alors qu’un alignement total sur les systèmes et les procédures
nationaux est généralement impossible, l’alignement officieux des programmes des donateurs
sur des instruments concrets semble être le chemin à suivre (OCDE, 2004).
L’étude des secteurs de la santé frappés par un conflit montre que de nombreuses expériences
sont menées pour résoudre le problème très répandu de la fragmentation. Divers instruments
sectoriels ont été mis en place. Certains sont largement utilisés par la communauté de l’aide,
d’autres sont le fruit d’initiatives locales destinées à résoudre des problèmes concrets.
La plupart de ces instruments sont étudiés en détail dans d’autres sections de ce manuel.
Des analyses sectorielles ont été menées afin d’élaborer une stratégie de relèvement de
la santé (Mozambique 1990-1992), ou dans le cadre d’opérations plus vastes, notamment
les Évaluations des besoins post-conflit (PCNA, voir l’Annexe 3) ou la formulation d’une
stratégie de réduction de la pauvreté, comme en République démocratique du Congo et au
Libéria. Tous les exemples connus correspondent à des analyses ponctuelles. Aucun secteur
de la santé n’a essayé de se doter d’une capacité d’analyse permanente, sous la forme par
exemple d’un observatoire des politiques de la santé. Étant donné les avantages qui pourraient
en découler, il serait pourtant bon que les responsables qui amorcent une transition durable
vers la paix envisagent la création d’un tel outil (voir l’Annexe 5 pour un examen rapide de
cette question).
Les instruments communs de gestion de l’aide peuvent être polyvalents, comme les fonds
fiduciaires multidonateurs (MDTF), ou spécialement destinés au secteur de la santé, comme
les « fonds communs » destinés à couvrir les dépenses récurrentes ou l’achat de médicaments
(voir le Module 8). Il existe d’autres dispositifs, notamment l’audit indépendant de l’exécution
du soutien budgétaire, l’externalisation de la fourniture de services de santé, comme au
Cambodge et en Afghanistan (voir l’Annexe 7), et les systèmes d’approvisionnement
sectoriels. Le programme novateur d’achat et de distribution de médicaments mis en place
en République démocratique du Congo est décrit rapidement dans l’ Étude de cas n° 19 du
Module 11. Analyser le secteur pharmaceutique.
Les outils de programmation communs incluent des éléments de planification comme
l’aménagement normalisé des structures de santé à construire ou à rénover (Cambodge
et Mozambique), des paquets de services de santé de base comme ceux mis en place en
Afghanistan, en République démocratique du Congo, au Liberia et au Sud-Soudan, une
grille commune des salaires pour les cadres nationaux à recruter comme en Afghanistan
(voir l’Étude de cas n°9 du Module 5), des listes normalisées de médicaments essentiels et
des directives thérapeutiques.
Les instruments communs relatifs aux ressources humaines peuvent porter sur la description
des postes, les critères de certification, la conception des cours et les supports de formation.
Pour plus de détails, voir le Module 10. Analyser les ressources humaines du secteur de la
santé.
Il existe des forums de coordination dans chaque secteur de la santé perturbé, mais ils
sont le plus souvent considérés comme inefficaces, comme nous l’avons vu au Module 5.
La mise en place d’une partie des instruments sectoriels décrits précédemment, qui enjoignent
263
Annexe 8
Annexe 8 Instruments inspirés par les approches sectorielles (SWAp)
Annexe 8
264
Analyse du secteur de la santé dans les urgences complexes
les participants à partager les mêmes priorités et à adopter des démarches communes,
constitue un excellent moyen d’apporter du contenu et du sens à des mécanismes de
coordination vides.
Dans de tels contextes, d’autres instruments méritent d’être étudiés, notamment l’instauration
d’une politique commune de partage des coûts, l’établissement d’un organisme d’agrément
indépendant ou la normalisation des outils de collecte des données. Il y a de nombreuses leçons
à tirer des innovations introduites dans les autres secteurs de la santé frappés par la guerre. Mais
certains instruments sectoriels sont mal documentés ou mal connus à l’étranger. À l’inverse,
les instruments qui ont la faveur du secteur de l’aide, notamment les PCNA et les MDTF, sont
encouragés et appliqués dans les environnements les moins propices, avec les résultats que
l’on imagine.
Pour faire avancer les choses, les possibilités offertes par les situations de transition doivent
être exploitées dans une optique de développement, et correctement documentées et évaluées.
Il convient d’examiner les mérites de chaque instrument, en s’interrogeant sur la possibilité
de l’intégrer aux systèmes locaux remis sur pied. Les chances de réussite sont meilleures si
les problèmes à traiter intéressent réellement la plupart des partenaires. Il arrive que, dans
un premier temps, seuls participent quelques intervenants désireux de tester de nouvelles
méthodes, et qu’ils soient ensuite rejoints par des partenaires plus prudents. La résolution
d’un problème particulièrement épineux peut donner aux participants la confiance nécessaire
pour s’attaquer à d’autres difficultés.
La réflexion sectorielle est indéniablement positive en termes de stratégie, car elle favorise
l’identification des problèmes systémiques (souvent négligés) et propose des solutions. Elle
encourage l’étude des systèmes complexes en mouvement, et aide à définir une orientation
à long terme. Des initiatives menées dans un cadre commun, et non au coup par coup
renforcent spectaculairement la cohérence du secteur. En outre, la réflexion sectorielle peut
être très bénéfique au niveau opérationnel, si elle permet de gagner en efficacité, d’améliorer
la transparence et de vérifier l’authenticité des engagements. Les partenaires apprennent à
négocier sur des procédures et des choix concrets, et sélectionnent un petit nombre de priorités
réelles parmi des dizaines d’options. Par ailleurs, l’instauration d’instruments d’approche
sectorielle offre aux partenaires les plus motivés un terrain d’apprentissage précieux, qui
peut s’avérer plus efficace que les formations habituelles de développement des capacités.
La diversité des instruments qui émergent dans un secteur de la santé en cours de relèvement
offre des solutions de remplacement en cas d’interruption d’un programme majeur ou
d’événement imprévu. Elle fournit également aux décideurs des éléments factuels à prendre
en compte lorsqu’ils doivent faire un choix entre plusieurs options concurrentes. Sans cette
pratique directe des avantages et des inconvénients des différentes approches, ce sont les
théories et les arguments à la mode qui risquent de l’emporter.
La voie du relèvement sectoriel est semée d’une multitude d’écueils et
d’embûches. Ainsi, des programmes trop ambitieux peuvent paralyser les opérations.
Des approches intéressantes peuvent être entravées par des limitations de capacité et/ou des
considérations politiques. Les revers politiques ou militaires portent atteinte aux engagements
et à la confiance, et poussent les partenaires à recourir à des méthodes d’urgence. Le coût
d’opportunité de l’instauration d’instruments SWAp peut être supérieur aux bénéfices qui en
découlent. Les apôtres des solutions miracles, des gains immédiats et des réformes radicales
risquent de faire oublier que l’élimination de distorsions systémiques profondément
enracinées ne se fait pas sans effort. Si trop d’acteurs travaillent à l’extérieur d’un cadre
sectoriel, ils en réduisent de fait l’intérêt. Les changements dans les programmes, les équipes
et les priorités des donateurs peuvent annuler des années de labeur et de réels progrès. Et la
liste ne s’arrête pas là.
Pour un incrémentalisme stratégique. Le contexte de conflit ou de transition exige que l’on
s’éloigne radicalement de l’approche classique de l’aide. Les négociations lentes, patientes,
extensives qui mènent à une SWAp dans un secteur de la santé stable n’ont pas leur place
dans un secteur instable. La multiplicité des acteurs et des programmes, caractéristique
des environnements perturbés, doit se transformer en force, autrement dit en une source
265
d’innovation et de concurrence entre les différents modes de prestation des services de santé.
Prise de risque, sincérité, expérimentation, liberté opérationnelle, rapidité et sensibilité aux
facteurs politique sont quelques-unes des qualités nécessaires si l’on veut encourager le
relèvement systémique d’un secteur de la santé en crise.
Références bibliographiques
Hill P. S. Change and complexity: the operational district in Cambodia (Version préliminaire).
Londres, DFID, 2007.
Organisation de Coopération et de Développement économiques. Direction de la coopération
pour le développement. Harmonisation and alignment in fragile states. Rapport provisoire.
Overseas Development Institute, (ODI) 2004. [DCD (2005)3].
Pavignani E. et Durão J. R. Managing external resources in Mozambique:
building new aid relationships on shifting sands? Health Policy and Planning.
14: 243-253, 1999.
Tulloch J. et al. Initial steps in rebuilding the health sector in East Timor. Washington, DC,
The National Academies Press, 2003.
Annexe 8
Annexe 8
Annexe 8 Instruments inspirés par les approches sectorielles (SWAp)
Annexe 8
266
Analyse du secteur de la santé dans les urgences complexes
Notes:
Module 9
Étudier le réseau de santé
268
Analyse du secteur de la santé dans les urgences complexes
Résumé
Module 9
Ce module examine comment les réseaux de santé évoluent sous l’effet des perturbations.
Après une présentation générale de la composition, de l’équilibre et de la forme du réseau
général, il étudie certains aspects importants tels que la répartition géographique des
établissements de santé, leur régime de propriété ou leur état physique et fonctionnel. Il insiste
sur la nécessité de distinguer les nouveaux schémas émergeants des distorsions anciennes,
parfois accentuées par la crise. Il propose des moyens d’agréger les chiffres disponibles pour
les transformer en indicateurs utiles pour l’étude du réseau. Il se concentre particulièrement
sur les hôpitaux et les établissements de soins de santé primaires, ainsi que sur les relations
qu’ils entretiennent. Il évoque les difficultés liées à la planification du relèvement d’un
secteur de la santé en crise ainsi que les moyens de les surmonter.
L’Annexe 9 donne des indications pratiques sur l’élaboration d’une base de données
sommaire des établissements de santé.
Modules connexes :
Module 2. Donner un sens (approximatif) à des données (bancales)
Module 5. Comprendre les processus d’élaboration de la politique sanitaire
Module 8. Analyser les systèmes de gestion
Module 10. Analyser les ressources humaines du secteur de la santé
Module 12. Formuler des stratégies pour le relèvement d’un secteur de la santé
en crise
Caractéristiques générales du réseau
Dans la plupart des secteurs de la santé, les établissements sont classés par catégorie,
selon leur taille et les services fournis. En général, un niveau de soins regroupe plusieurs
catégories d’unités médicales. La classification ébauchée ci-après est un modèle autour
duquel s’articulent différentes variantes :
Établissement de santé par niveau de soins
Niveau
de soins
Description fonctionnelle
Remarques
Tertiaire
Grands hôpitaux universitaires
spécialisés, généralement situés
dans les principales villes et souvent
uniquement dans la capitale. Équipés
des technologies les plus avancées,
ils se consacrent essentiellement aux
soins hospitaliers. Une part
importante de leur capacité est
généralement absorbée par les
services de première ligne. Ce niveau
inclut parfois des établissements de
soins de niveau inférieur également
situés dans la capitale.
Dans certains secteurs de la santé, ce
niveau est divisé en deux segments
de soins : supérieur et inférieur. Il
s’agit généralement d’une distinction
théorique et sans grande utilité dont
on peut, dans la pratique, ne pas tenir
compte, en particulier lors de crises
prolongées où la capacité de soins
supérieurs est souvent affaiblie et où
les hôpitaux tertiaires se distinguent
davantage par leur taille et par leur
coût que par leur niveau technique.
Secondaire
Établissements de première
référence1 situés dans des zones
urbaines ou rurales et proposant
généralement des services
chirurgicaux et d’urgence de base.
Dans de nombreux cas, la
composante ambulatoire
(généralement pour des soins de
première ligne) est très importante.
Des établissements qualifiés
d’hôpitaux mais ne disposant pas des
fonctions correspondantes sont
souvent inclus dans ce groupe.
En milieu urbain, les hôpitaux
secondaires sont préconisés comme
filtres pour les affections courantes,
afin d’éviter un engorgement des
établissements de niveau supérieur. Si
l’environnement urbain est dégradé et
les flux de référence2 des patients
désorganisés, l’avantage de ce filtre
théorique reste à démontrer.
1
2
Selon la terminologie officielle de l’OMS un établissement de premier recours.
Selon la terminologie officielle de l’OMS un système d’orientation.
269
Niveau
de soins
Description fonctionnelle
Remarques
C’est ce niveau qui compte la plus
grande proportion d’établissements
fantômes dans la plupart des secteurs
en crise.
Primaire
Petits établissements fournissant
essentiellement des soins
ambulatoires de base. Ce groupe
comprend souvent des centres
rudimentaires qui emploient des
agents de santé communautaires.
Certains établissements se
consacrent exclusivement aux soins
intégrés à des programmes spéciaux
(maternité sans risque, lutte contre
la tuberculose, vaccinations). En
théorie, ces établissements servent
de base aux actions de prévention et
aux activités de proximité.
Ces centres de santé sont très
souvent sous-exploités, en particulier
dans les régions où règne
Dans certains réseaux de santé qui ont une tradition de planification centralisée, les
établissements, en particulier ceux de niveau primaire, sont aménagés sur un modèle standard.
Leur répartition obéit à certains critères, notamment la population à desservir ou la partition
administrative du pays. En revanche, si les décisions d’investissement ont été prises de façon
plus dispersée, les établissements ont des tailles et des fonctions différentes. Certains ont
évolué au fil du temps, se développant au gré des conditions locales. Entre ces deux modèles,
le réseau peut mélanger différents styles d’établissements, planifiés chacun dans une optique
différente. Ainsi, les hôpitaux de l’époque coloniale coexistent avec des établissements
construits dans le cadre de programmes de lutte contre certaines maladies ou par l’armée,
par des organismes privés, par des associations caritatives, etc. Évidemment, ils sont très
différents par leur structure, leur taille, leurs équipements, leurs fonctions et leur emplacement.
Dans certains secteurs de la santé, la structure du réseau officiel peut sembler très élaborée,
avec une pyramide fonctionnelle idéale composée de différentes catégories de centres de
santé parfaitement organisées. Mais très souvent, la situation sur le terrain diffère nettement
des constructions théoriques des planificateurs qui travaillent au niveau central et qui ne
disposent d’aucun moyen pour réorganiser un ensemble disparate d’établissements ou
pour encourager la mise en place d’un système efficace de référence (ou d’orientation)
des patients.
Parfois, l’origine de certaines caractéristiques majeures, comme des écarts géographiques
importants dans la prestation de services, remontent à une époque antérieure à la crise. Si les
différences d’accès aux soins de santé ont souvent pour origine un développement inégal qui
ne s’est pas accompagné de politiques de redistribution suffisantes, une mauvaise planification
de la santé peut aussi avoir joué un certain rôle. C’est le cas lorsque la planification s’est
appuyée avant tout sur la structure administrative du pays et donc sur des critères territoriaux.
Les régions administratives faiblement peuplées sont largement favorisées par cette approche,
au détriment des zones densément peuplées. En raison de sa simplicité et malgré ses défauts
évidents, ce critère de planification est étonnement très répandu. Il est parfois repris sans
discernement au cours des périodes de transition ou de reconstruction, lorsque des critères
nécessitant davantage d’informations peuvent sembler inapplicables.
Malgré les possibilités de changement offertes par la crise, certains schémas profondément
ancrés, notamment la domination des hôpitaux, sont généralement extrêmement tenaces.
Les acteurs locaux ont tendance à développer une vision idéalisée de la situation avant la
crise et conservent un attachement viscéral aux anciens modèles. Les défauts sont facilement
(et à tort) justifiés par la crise. N’étant pas reconnus, ils ne sont pas traités avec la détermination
voulue. L’un des principaux apports d’une analyse approfondie serait d’aider à distinguer les
vieux schémas et tendances de nature stable des schémas et tendances temporaires, provoqués par
la crise.
Le rapport entre le nombre d’établissements et la population permet de déterminer
l’accessibilité aux soins et de la comparer d’une région à l’autre. En raison des déplacements
de population observés lors de crises prolongées, ces dénominateurs sont toujours contestables
et doivent être pris avec les plus grandes précautions. Le nombre indiqué d’établissements en
activité, lui aussi, est souvent sujet à caution. Outre les fréquentes erreurs de comptabilisation,
Module 9
Module 9 Étudier le réseau de santé
270
Analyse du secteur de la santé dans les urgences complexes
Module 9
l’application de critères différents pour classer les établissements explique dans de nombreux
cas les écarts importants entre les différents rapports officiels.
En dépit de ces imperfections, les normes admises au niveau international permettent
d’évaluer la gravité de la situation. Dans les pays pauvres, les hôpitaux de première référence
(ou de premier recours) desservent en théorie entre 150 000 et 300 000 personnes, et les
centres de santé fournissant un paquet complet de services de santé de base, entre 10 000 et
20 000. Dans les secteurs de la santé en crise, on rencontre fréquemment des taux deux ou
même trois fois plus élevés. Lorsque le nombre de lits est connu et relativement fiable, les
taux inférieurs à un lit pour mille habitants sont courants. Étant donné que parmi ces lits,
beaucoup sont concentrés dans un petit nombre d’hôpitaux tertiaires, l’accès réel aux soins
hospitaliers est souvent encore inférieur. En général, ces taux moyens masquent des disparités
très importantes dans le pays et à l’intérieur des régions. Lorsqu’un pays est divisé en unités
administratives très vastes en particulier, un découpage en sous-unités fonctionnelles permet
de faire apparaître des déséquilibres qui, sinon, resteraient cachés. En comparant le chiffre
moyen global aux ratios des zones les plus et les moins favorisées, on obtient une image plus
juste de la situation.
Quelques indicateurs relatifs au réseau de santé,
recueillis dans des secteurs sanitaires en crise
Année
Nombre
de lits
Nombre de
lits pour
1 000
habitants
Nombre
d’agents
de santé
qualifiés
par lit
Rapport hôpital
de référence/
établissements de
soins primaires
Afghanistan
2002
≈ 8 400
0,4
1,4
1: 8
Angola
1998
≈ 8 000
0,7
3,1
Cisjordanie et
Bande de Gaza
2008
5 000
1,3
2,8
1: 8
Mozambique
1991
12 000
0,8
1,5
1 : 30
Soudan
2000
23 000
0,7
2
1 : 20
Tadjikistan
1998
42 000
6,1
7
Pays/Territoires
Note : Étant donné que de nombreux « hôpitaux de référence » sont en deçà des normes en vigueur,
le rapport hôpitaux/établissements de soins de santé primaires ne rend pas forcément compte de la
gravité de la situation.
Les crises prolongées modifient profondément les caractéristiques du réseau existant. Les
établissements situés dans des zones en guerre peuvent être détruits, pillés ou simplement
abandonnés par un personnel terrifié. Faute d’un entretien régulier, même les établissements
en activité sont parfois en ruines. Dans les zones surpeuplées, les centres de santé ont
tendance à se multiplier et à s’étendre sous la pression d’une demande croissante, grâce
aux fonds des donateurs. De nouveaux centres de santé construits par des ONG peuvent se
multiplier dans des zones sans risques et pratiques du point de vue opérationnel. Certaines
fonctions élémentaires, notamment les interventions chirurgicales d’urgence, sont parfois
mises en place dans des établissements qui n’ont pas été conçus pour les accueillir. Si le
réseau de santé s’est contracté sous l’effet de la crise, il n’est pas rare que les établissements
encore en activité soient en sureffectif.
Les différentes forces en jeu dans la crise risquent de produire au moins une partie des effets
suivants :
• Le réseau modelé par la crise est en général fragmenté, inefficient et inéquitable. Sa
structure évolue rapidement en même temps que la crise, des établissements anciens sont
fermés ou abandonnés, de nouveaux établissements sont construits, et les relations de
gestion et d’approvisionnement sont modifiées. La venue d’une ONG dotée de moyens
Module 9 Étudier le réseau de santé
271
•
La situation sur le terrain n’a souvent pas grand-chose à voir avec les données disponibles
au niveau national. Les catégories officielles d’établissements sont souvent extrêmement
trompeuses et ne sont utilisables qu’après une comparaison minutieuse avec les définitions
fonctionnelles. Voici, par exemple, une définition approximative et minimaliste, d’un
Centre de santé : « Établissement de soins fournissant des services de santé de base.
À cet effet, il doit employer au moins un agent de santé de niveau intermédiaire et une
sage-femme qualifiée et disposer d’une capacité de vaccination permanente et d’un
laboratoire de base ». Dans une autre situation, la liste des conditions minimales pour
être inclus dans cette catégorie peut être élargie. Avant tout, les données qui entrent dans
la définition fonctionnelle choisie doivent être disponibles régulièrement ou faciles à
obtenir (pour plus d’informations sur ces définitions et sur leur application, voir l’Annexe 9
dans ce module et l’Exercice 9 du Module 15).
Étude de cas n° 16
Composition du réseau sanitaire en Afghanistan
Pendant plusieurs années, l’OMS Afghanistan, en collaboration avec des informateurs
provinciaux et régionaux, a recensé les établissements de santé existants. Parfois,
les listes établies présentaient des incohérences frappantes (incohérences internes
ou différences par rapport aux listes des années précédentes). En 2002, un projet
commun a permis une étude du réseau de santé sur l’ensemble du pays, incluant
tous les établissements accessibles aux enquêteurs.
Sur l’ensemble des établissements répertoriés dans la base de données de l’OMS, 140
ont été considérés comme inactifs, alors que 210 établissements qui n’étaient pas
dans la base des données étaient en fait actifs. Dans l’ensemble, les établissements
non recensés ou incorrectement enregistrés représentaient environ le tiers du nombre
total réel d’établissements. Les écarts spectaculaires entre les chiffres de routine et
les enquêtes sur le terrain sont relativement courants dans les secteurs de la santé
fortement perturbés.
•
Les rapports officiels sous-estiment généralement l’importance des disparités
géographiques à l’intérieur du pays, certains établissements étant toujours considérés
en activité alors qu’ils ont cessé depuis longtemps de déclarer des opérations et d’être
approvisionnés. Les erreurs portent le plus souvent sur les centres de santé situés dans
des zones éloignées ou inaccessibles, les agents d’information hésitant à les effacer
des rapports officiels. Les chiffres des établissements privés, à but lucratif ou non, sont
souvent totalement inexacts. Les premiers se multiplient dans les zones urbaines, où
l’offre de soins de santé est souvent nettement supérieure à ce qu’indiquent les autorités
centrales. Les seconds, détenus ou gérés par des associations caritatives, sont aussi
souvent absents des statistiques officielles.
•
Le nombre de lits d’hôpital est une source courante d’incohérences : il apparaît souvent
comme stable, même si l’état de délabrement du service empêche de prodiguer le
moindre soin hospitalier. Lorsque le nombre de lits ne correspond plus à rien, il vaut
mieux estimer la taille de l’établissement d’après la surface couverte.
•
La crise financière qui touche généralement les États paralysés, à laquelle s’ajoutent
des contraintes sécuritaires et logistiques, conduit à l’abandon progressif des travaux
d’entretien. L’état de nombreuses installations se dégrade rapidement et les équipements
tombent en panne. La destruction et le pillage (qu’ils soient le fait des combattants,
des personnels de santé ou de la population) s’ajoutent parfois aux dommages dus à
la négligence. Il suffit de quelques années de tourmente pour que le réseau se retrouve
à l’état de ruine. Parfois, les travaux de maintenance improvisés réalisés avec l’aide
d’ONG sont de tellement mauvaise qualité qu’ils en perdent toute utilité. En raison du
Module 9
importants à tel endroit peut stimuler la prestation de services, alors qu’ailleurs, l’arrivée
à terme d’un projet provoque un recul des services. La prestation de services ne cesse
donc de changer et les chiffres correspondants sont très vite obsolètes.
272
Analyse du secteur de la santé dans les urgences complexes
degré de délabrement atteint lors d’une crise prolongée, la remise en état d’un réseau
exige toujours des investissements massifs et sur de longues périodes.
Module 9
•
Globalement, l
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