ARTICLE ORIGINAL Progrès en Urologie (2000), 10, 1169-1172 La laparotomie horizontale courte selon Pfannenstiel dans la prostatectomie radicale rétropubienne Michel SOULIÉ (1), Nicolas VAZZOLER (1), Philippe SEGUIN (1), Fouad ATTALAH (2), Francis PONTONNIER (1), Pierre PLANTE (1) (2) Service (1) Service de Chirurgie Urologique et d’Andrologie, d’Anesthésie et de Réanimation, CHU de Rangueil, Toulouse, France RESUME Objectif : Evaluer l a faisabi lité de la l aparotomie horizontale courte selon Pfannnestiel pour réaliser la prostatectomie radicale rétropubienne et ses conséquences sur la consommation d’antalgiques post-opératoires. Matériels et Méthodes : De décembre 1998 à février 2000, 62 prostatectomies radicales ont été réalisées par une voie d’abord horizontale sus-pubienne courte. L’incision dans le pli inférieur de l’abdomen avait une longueur moyenne de 10,2 cm (8 à 14 cm). La durée moyenne de la prostatectomie radicale était de 130 minutes (90 – 210). Un double drainage (prévésical et sous-aponévrotique) a été systématique pendant 48 heures en moyenne. La consommation post-opératoire d’antalgiques morphiniques, les modalités et la durée de prescription ont été comparées entre 30 patients opérés avec cette technique et 30 patients opérés préalablement avec une incision médiane sous-ombilicale. Résultats : La durée d’ouverture et de fermeture de la paroi abdominale était d’environ 20 minutes. L’intervention a toujours été réalisée par cette voie autorisant une excellente exposition des aires lymphonodales et de la prostate. Les complications post-opératoires liées à cette incision se résument à un hématome sous-aponévrotique qui n’a pas été drainé. La consommation moyenne d’antalgiques post-opératoires a diminué de 44% en durée et en posologie par rapport au groupe de référence. Le contrôle post-opératoire de la paroi a montré une quasi-disparition de la cicatrice à 3 mois et l’absence de déhiscence pariétale secondaire. Conclusion : La laparotomie horizontale courte selon Pfannenstiel est une technique simple et reproductible applicable à la prostatectomie radicale rétropubienne. Cette étude de faisabilité s’accompagne d’une diminution de la consommation d’antalgiques postopératoires dans le groupe étudié. Mots clés : Cancer de la prostate, prostatectomie radicale rétropubienne, technique chirurgicale. La prostatectomie radicale est l’un des deux traitements de référence du cancer localisé de la prostate. Depuis 15 ans, des améliorations notables de la technique chirurgicale ont été apportées essentiellement sur les principes de dissection de l’urètre, de l’apex et des bandelettes neurovasculaires [1, 7, 8]. Les objectifs étaient d’améliorer la qualité du geste carcinologique et les résultats fonctionnels sur la continence et l’érection [6]. Peu d’études se sont intéressées aux voies d’abord moins "invasives" pour la prostatectomie radicale rétropubienne [3]. Les complications de l’incision pariétale sont peu documentées et leur fréquence est estimée entre 0,9 et 6% dans le rapport de l’ANAES [4]. Cette étude a pour objectif d’évaluer la faisabilité d’une laparotomie horizontale courte dérivée de la technique de Pfannenstiel dans la prostatectomie radicale rétropubienne et d’en évaluer les conséquences sur la consommation post-opératoire d’antalgiques [5]. Cette voie d’abord "minimal invasive" est intéressante à la période où éclôt la laparoscopie dans ce domaine Manuscrit reçu : mai 2000, accepté : septembre 2000. 1169 Adresse pour correspondance : Dr. M. Soulié, Service de Chirurgie Urologique, CHU de Rangueil, 31044 Toulouse Cedex. e-mail : soulie.m@chu-toulouse.fr M. Soulié et coll., Progrès en Urologie (2000), 10, 1169-1172 carcinologique [2]. Dans la prostatectomie radicale par chirurgie ouverte, l’amélioration de la tolérance de l’intervention est toujours d’actualité mais elle se conçoit seulement si la qualité de l’exérèse carcinologique n’est pas pénalisée. MATERIEL ET METHODES De décembre 1998 à février 2000, 62 prostatectomies radicales par voie rétropubienne ont été réalisées dans not re service en utilisant la voie d’abord de Pfannenstiel [5]. Les interventions ont été réalisées par deux opérateurs (MS et PP). L’âge moyen des patients était de 61,7 ans (52–71). Ils présentaient un adénocarcinome prostatique de stade T1c (21 patients) ou de stade T2 (41 patients) avec un PSA médian de 7,9 ng/ml (1,1-17). Le poids des patients variait de 61 à 108 kg (moyenne 81 kg) et le morphot ype brévili gne était dominant. Dix-huit patients avaient eu une laparotomie préalable (11 appendicectomies par incision de McBURNEY , 7 cures de hernies inguinales sans plaque synthétique). Technique chirurgicale Seule la description de la voie d’abord de Pfannenstiel est ici présentée. Tous les patients étaient placés en hyperlordose pelvienne pendant la phase de dissection de l’apex. L’incision a été faite horizontalement dans le pli inférieur de l’abdomen, au ras de la symphyse pubienne. Selon l’anatomie du patient, la longueur de l’incision cutanée a été de 8 à 14 cm avec une moyenne de 10,2 cm. L’aponévrose musculaire a été ouverte sur la même longueur dans le sens horizontal. Les muscles droits de l’abdomen et les pyramidaux ont été respectés et simplement écartés de la ligne médiane dans le sens vertical sur une dizaine de cm. L’aponévrose ombilico-prévésicale ouverte verticalement a permis d’accéder à l’espace prévésical de Retzius. Les cordons spermatiques ont été libérés, le repère supéro-latéral du muscle psoas a toujours été identifié même chez les patients déjà opérés. Un fil de Vicryl ® 0 éversant le bas de l’incision prépubienne a été suturé sur la peau du pubis afin d’améliorer l’exposition sous le pubis. L’écarteur de Gosset a été utilisé avec une valve refoulant la vessie après la libération antérieure de l’urètre et de l’apex prostatique. La prostatectomie radicale a été faite après curage lymphonodal bilatéral systématique et l’obtention d’un résultat négatif de l’examen extemporané, lorsque le PSA était supérieur à 10 ng/ml ou le score de Gleason des biopsies supérieur à six. La fermeture de la paroi abdominale a consisté en un surjet en "U" de fil Vicryl ® 0 sur les muscles droits et à un surjet de Vicryl® 1 sur l’aponévrose des muscles droits et larges. Un drainage aspiratif de l’espace prévésical de Retzius et sous aponévrotique a été systématique par deux drains de Redon n° 12 et 14. Les drains ont été positionnés légèrement au dessus de l’incision pour éviter de blesser le nerf fémoro-cutané. Un plan sous-cutané a été systématique pour affronter les berges du fascia superficialis et un surjet intradermique de fil résorbable a complété la fermeture pariétale. Un pansement compressif a été laissé pendant le temps de passage en salle de réveil. Critères d’appréciation de la technique Les opérateurs devaient mesurer le temps opératoire imparti à la voie d’abord (ouverture, fermeture) et qualifier leur impression après chaque opération ("satisfait" ou "non satisfait") selon la visualisation des structures et la qualité du geste chirurgical réalisé. Les antécédents chirurgicaux abdominaux et le morphotype des patients étaient notés en cas de difficulté rencontrée. Les pertes sanguines per-opératoires et la durée totale de l’intervention ont été rapportées à titre indicatif. Période post-opératoire Les patients ont été surveillés en Unité de Soins Intensifs pendant 48 heures en moyenne afin d’utiliser des systèmes de perfusion d’antalgiques à la demande (PCA). Nous avons analysé la consommation et les posologies des antalgiques (sulfate de morphine IV et sous-cutané, antalgiques oraux non opiacés) d’un groupe de 30 patients opérés avec l’incision de Pfannenstiel et d’un groupe comparatif de 30 patients opérés avec une incision médiane sous-ombilicale qui avaient eu le même protocole antalgique de morphine avec le système PCA, en 1998. Le nombre de patients étudiés a été limité à 30 par la durée de mise en place du protocole au sein de l’équipe d’anesthésie. L’analyse statistique a utilisé le test t de Student pour la comparaison des moyennes et le test du chi2 pour la comparaison des pourcentages observés dans les deux groupes. RESULTATS Phase opératoire Les 62 interventions ont été réalisées par cette voie sans nécessité d’ouverture supplémentaire ou de contre-incisions, même chez les patients déjà opérés. La durée opératoire a été de 130 min. en moyenne (90210) avec un temps opératoire imparti à l’ouverture et à la fermeture de la paroi ne dépassant pas 20 minutes (10-20). Les pertes sanguines ont été de 350 ml en moyenne (100-800). Critères d’appréciation de la technique L’exposition des aires lymphonodales, de la prostate et 1170 M. Soulié et coll., Progrès en Urologie (2000), 10, 1169-1172 des vésicules séminales a été jugée "satisfaisante" par les deux opérateurs dans les 62 interventions. De même, la dissection de l’apex et des vésicules séminales n’a jamais été gênée par cette voie d’abord. Les cicatrices abdominales, le morphotype bréviligne ou l’obésité des patients n’ont pas été rapportés comme obstacles de la technique. Période post-opératoire Une diminuti on de 33% de la consommation moyenne de sulfat e de morphine administré par pompe PCA a été constatée au cours des premières 24 heures dans le groupe "Pfannenstiel" (28,4 mg/j. contre 37,8 mg/ j). La consommation moyenne global e des morphiniques intra-veineux et sous-cutanés a diminué de 44% dans le groupe "Pfannenstiel" (44,7 mg contre 64,5 mg). On notait une diminution de la durée d’utilisation de la P CA de 20% dans le groupe "Pfannenst iel" (moyenne d’util isati on 37 heures contre 44,4 heures). Un relais par antalgiques oraux non opiacés, durant 2 à 3 jours, a été pris dans 30% des cas dans le groupe "Pfannnestiel" alors qu’il était de 80% dans le groupe comparatif. La comparaison statistique des groupes ne mont rait pas de différence significative. Sur le plan chirurgical, les drains ont été enlevés en moyenne 2 jours après l’intervention (1 à 4 jours). La mobilisation des patients a toujours été possible le lendemain de l’intervention avec une reprise de la marche dès la 48ème heure. La durée d’hospitalisation de 9 jours en moyenne (4-12) a été conditionnée par le maintien de la sonde vésicale pendant 7 jours, la plupart des patients ne souhaitant pas sortir avec la sonde en place. Le taux de marges positives des 62 prostatectomies radicales a été de 15%. Complications pariétales Une seule complication a été rapportée. Il s’agissait d’un hématome sous-aponévrotique de 40 mm x 30 mm apparu dans les 3 jours post-opératoires mais il n’a pas nécessité de drainage percutané ou chirurgical. Une simple surveillance a été faite jusqu’à résolution complète après 2 mois. Résultats à distance Les visites de contrôle ont eu lieu à 6 semaines et à 6 mois post-opératoires. Il n’y a pas eu d’éventration secondaire ou de douleurs résiduelles notamment sur les orifices de Redon. Après 3 mois, la disparition de la cicatrice dans le pli abdominal a été notée chez la plupart des patients revus secondairement. Il n’a pas été noté de cicatrice chéloïde, même chez deux patients noirs. DISCUSSION Cette étude de faisabilité montre que la voie d’abord horizontale courte selon Pfannenstiel a permis de réaliser une prostatectomie radicale rétropubienne chez 62 patients dans des conditions satisfaisantes d’exposition et de gestuelle chirurgicale. Le temps opératoire consacré à l’ouverture et à la fermeture de l’incision n’a pas dépassé 20 minutes avec une durée opératoire totale de 130 minutes en moyenne. Cette incision permet un accès direct sur l’espace de Retzius et les aires iliaques. L’exposition du plexus veineux pré-urétral permet sa ligature aisée et un abord de l’urètre facilité. Les pertes sanguines en moyenne de 350 ml rendent compte d’un geste d’exérèse prostatique peu hémorragique et toujours contrôlé par la bonne visualisation de l’opérateur. L’amélioration de la morbidité de la prostatectomie radicale reste une préoccupation même si le principal critère d’efficacité doit rester le traitement curatif de la maladie. La technique de la prostatectomie radicale s’est surtout améliorée dans la dissection de l’apex, de l’urètre et des bandelettes neurovasculaires grâce aux travaux de WALSH , permettant de diminuer les pertes sanguines opératoires et de limiter les risques d’incontinence et d’impuissance définitive [7, 8]. Peu d’auteurs se sont intéressés à la voie d’abord et à ses conséquences sur la tolérance de l’incision. MARSHALL a rapporté l’intérêt d’une mini-laparotomie par incision verticale de 7 à 8 cm en utilisant un écarteur muni d’un rétracteur pour la vessie [3]. Dans cette série, les complications liées à l’incision se limitent à un hématome sous-aponévrotique (1,6%) sur les 62 interventions. L’imputabilité des anticoagulants prescrits systématiquement à dose prophylactique en post-opératoire est probable. Dans la littérature, les complications pariétales sont diversement appréciées et varient de 0,9 à 6% dans les séries revues par l’ANAES [4]. Ces complications peu fréquentes regroupent les hématomes, les infections et les éventrations, mais la tolérance de l’incision médiane sousombilicale n’est jamais évoquée. Or, la consommation d’antalgiques et la douleur dans la phase post-opératoire, où intervient le type de voie d’abord, sont des paramètres à considérer dans la qualité de vie de l’opéré (6). Dans cette série, la consommation moyenne globale d’antalgiques morphiniques et non opiacés a diminué de 44% par rapport au groupe de référence opéré avec une incision médiane sous-ombilicale. Cette différence n’était pas statistiquement significative mais l’effectif de 30 patients dans les deux groupes explique le défaut de puissance de cette étude préliminaire. La douleur post-opératoire des patients n’a pas été quantifiée par un questionnaire analytique, aussi il n’est pas possible de conclure à un impact réel de la technique sur ce critère. 1171 M. Soulié et coll., Progrès en Urologie (2000), 10, 1169-1172 7. WALSH P., DONKER P.J. Anatomical radical retropubic prostatectomy; In: Campbell’s Urology, 7th ed., P.C. Walsh, A. B. Retik, E.D. Vaughan, Jr. and J. Wein. Philadelphia, W.B. Saunders, Co., 1998, vol. 3, chapt. 86, pp. 2565-2588. Au total, il apparaît que l’incision de Pfannenstiel permet la réalisation de la prostatectomie radicale dans le respect des règles carcinologiques avec une morbidité acceptable. Cette voie d’abord a amélioré la consommation post-opératoire d’antalgiques des patients de l’étude, mais une analyse documentée de la douleur post-opératoire s’avère nécessaire pour renforcer ce critère. 8. WALSH P. Anatomical radical prostatectomy: evolution of the surgical technique. J. Urol. 1998, 160: 2418-2424. ____________________ SUMMARY Pfannenstiel short horizontal laparotomy in retropubic radical prostatectomy CONCLUSION La mini-laparotomie horizontale permet de réaliser la prostatectomie radicale rétropubienne dans de bonnes conditions d’exposition du champ opératoire. Cette incision semble bien tolérée dans la phase post-opératoire au vu de la consommation d’antalgiques. Ces résultats nous incitent à poursuivre cette technique et à évaluer de manière prospective l’impact réel sur la douleur post-opératoire et la reprise d’activité physique. REFERENCES 1. ALSIKAFI N.D., BRENDLER C.B. Surgical modifications of radical retropubic prostatectomy to decrease incidence of positive surgical margins. J. Urol., 1998, 159: 1281-1285. 2. GUILLONEAU B., CATHELINEAU X., BARRET E., ROZET F., VALLANCIEN G. Laparoscopic radical prostatectomy: technical and early oncological assessment of 40 operations. Eur. Urol., 1999, 36: 14-20. 3. MARSHALL F.F., CHAN D., PARTIN A.W., GURAGNUS R., HORTOPAN S.C. Minilaparotomy radical retropubic prostatectomy: technique and results. J. Urol., 1998, 160: 2440-2445. 4. Opportunité d’un dépistage systématique du cancer de la prostate par PSA. Paris, Agence Nationale d’Accréditation et d’Evaluation en Santé, 1998, p. 31. 5. RACINET C., BOUZID F. Césariennes. Editions techniques EMC. Techniques Chirurgicales Urologie et Gynécologie, 1994, 41-900. 6. WALSH P., PARTIN A., EPSTEIN J.I. Cancer control and quality of life following anatomical radical retropubic prostatectomy: results at 10 years. J. Urol., 1994, 152: 1831-1836. Objective: To evaluate the feasibility of the Pfannenstiel short hori zontal laparotomy to perform retropubic radical prostatectomy and its consequences on postoperative analgesic consumption. Materials and Methods: From December 1998 to February 2000, 62 radical prostatectomies were performed via a short horizontal suprapubic incision. The mean length of the incision in the lower abdominal fold was 10.2 cm (range: 8 to 14 cm). The mean duration of radical prostatectomy was 130 minutes (range: 90 to 210 min). Double drainage (retropubic and sub aponeurotic) was systematically maintained for an average of 48 hours. Postoperative narcotic analgesic consumption, and the modalities and duration of prescription were compared bet ween 30 patients operated by this technique and 30 patients pre viously operated via a midline infraumbilical incision. Results: The abdominal wall opening and closing time was about 20 minutes. The operation was always performed via this incision, allowing excellent exposure of lymph node areas and the prostate. Postoperative complications related to this incision consisted of a single subaponeurotic haematoma, which was not drained. The mean dosage and duration of postoperative anal gesic consumption decreased by 44% compared to the reference group. Postoperative assessment of the abdominal wall showed almost complete disappearance of the scar at 3 months and no secondary wound dehiscence. Conclusion: The Pfannenstiel short horizontal laparotomy is a simple and reproducible technique for retropubic radical pros tatectomy. This feasibility study was accompanied by a reduc tion of postoperative analgesic consumption in the study group. Key-Words: Prostate cancer, retropubic radical prostatectomy, surgical technique. ____________________ 1172