N° 213 Par Danielle PISTER CERCLE LYRIQUE DE METZ 2013

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2013-2014
CERCLE
LY RIQ UE
D E METZ
Lakmé
de Léo Delibes
N° 213
Par Danielle PISTER
Léo Délibes
Léo Delibes
Lakmé
1883
par Danielle Pister
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SOMMAIRE
Un musicien éclectique
p. 05
Un rêve d’Orient
p. 10
Un reflet du temps
p. 15
Parole et musique
p. 20
Création et réception
p. 24
À lire
p. 28
À écouter et À voir
p. 28
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Lakmé
Et pourtant on aime de toute son âme cette âme qui vous échappe.
Pierre Loti, Rarahu, Le Mariage de Loti (1880)
Léo Delibes est reconnu internationalement pour la composition de
deux ballets, Coppélia et Sylvia. Ses œuvres lyriques légères sont
totalement sorties aujourd’hui du répertoire. Quant à Lakmé, même
si cette œuvre n’a jamais été totalement délaissée en France, sa
réputation concerne avant tout les pays francophones où elle se fit
rare à partir des années 1970. Cet opéra semble retrouver un regain
d’intérêt auprès des théâtres hexagonaux, mais aussi étrangers, en ce
début de XXIème siècle.
UN MUSICIEN ÉCLECTIQUE
Formation
Clément Philibert Léo Delibes, dit Léo Delibes, naît à Saint-Germain-duVal (agglomération de La Flèche dans la Sarthe) le 21 février 1836 (soit
deux ans avant Georges Bizet) . Son père postier meurt alors qu’il n’a que
onze ans et sa mère, fille de Jean Batiste, chanteur de l’Opéra-Comique et
compositeur, s’installe alors à Paris. Elle-même fine musicienne, bien que
non professionnelle, prend en charge l’éducation musicale de son fils avec
l’aide de son propre frère, Édouard Batiste, organiste à Saint-Eustache,
professeur de chant au Conservatoire et compositeur. L’enfant commence
par étudier le chant en participant à diverses chorales. Ce n’est qu’ensuite,
à presque douze ans en 1847, qu’il intègre le Conservatoire de Paris où il
aborde le piano, l’harmonium et l’orgue.
En 1850, à la deuxième tentative, il obtient un premier prix de solfège, et
suit les cours de composition d’Adolphe Adam. Ce dernier doit sa célébrité aux succès, en 1836, de son opéra-comique Le Postillon de
Longjumeau et, en 1841, de son ballet Giselle. Il est un des premiers à
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introduire la pratique, encore discrète, du leitmotiv. Chez lui, la musique de
ballet n’est plus un simple prétexte de rythmes à danser. Elle fait partie
intégrante de l’histoire racontée dont elle crée l’atmosphère. Son élève
saura s’en souvenir. Notons que le maître et son disciple auront une
destinée semblable : tous deux se consacrèrent à l’opérette, à l’opéracomique et à l’opéra, mais la gloire leur vint du ballet.
À l’issue d’un parcours sans grand relief au Conservatoire, par manque
d’ambition ou parce qu’il ne croit pas en ses chances, Delibes ne tente pas
le concours du Prix de Rome que la plupart de ses condisciples rêvent
d’obtenir. Il devient, en 1853, organiste à Saint-Pierre-de-Chaillot et complète ses revenus en donnant des leçons de piano.
Les débuts lyriques
Le jeune Léo, choriste à l’église de la Madeleine, avait participé au chœur
des garçons lors de la création du Prophète de Meyerbeer à l’Opéra de
Paris, en 1849. Son intérêt pour l’art lyrique est encouragé par le poste de
répétiteur obtenu au Théâtre-Lyrique, pour ses compétences pianistiques et
grâce à l’appui d’Adolphe Adam.
Il commence à composer des opérettes et des opéras-comiques au sortir du
Conservatoire. Comme le Théâtre-Lyrique est installé boulevard du
Temple, surnommé alors « boulevard du Crime », lieu où le mélodrame, la
comédie d’intrigue et l’opérette tiennent le haut de l’affiche, il entre en
contact avec un confrère, organiste à l’église Saint-Roch : Louis-AugusteFlorimond Ronger, dit Hervé. Ce dernier arrondit ses fins de mois le
soir, comme pianiste et comme comédien. Il a ouvert un café-concert en
1854, les « Folies-Nouvelles » où il joue ses propres œuvres totalement
extravagantes. Il produit, et interprète également, les premières pièces
d’Offenbach. En 1856, Hervé donne sa première chance au compositeur
Delibes en créant, dans son établissement, sa première opérette bouffe, au
titre parlant : Deux sous de charbon, ou le suicide de Bigorneau, une
asphyxie lyrique. L’œuvre apparaîtra à l’affiche 14 années de suite.
Offenbach remarque le jeune compositeur et l’invite aussitôt à collaborer
avec lui dans son théâtre des Bouffes Parisiens où il donne, la même année
1856, deux autres opérettes, avec un grand succès. En 1861, Delibes écrit,
pour la plus grande joie des spectateurs, avec Offenbach et d’autres
confrères, une opérette, Les Musiciens de l’orchestre, parodie de la très
populaire Muette de Portici, opéra mélodramatique d’Auber, son ancien
directeur au Conservatoire.
En 1857, il compose pour le Théâtre-Lyrique, où il est toujours accompagnateur, son premier opéra-comique, Maître Griffard. Il y donnera, en
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1863, Le Jardinier et son seigneur. Cette même année, son activité de chef
de chœur, lui offre l’occasion de travailler les partitions des Pêcheurs de
perles de Bizet et des Troyens de Berlioz, pour leur création en ce lieu ; la
même saison, pour une reprise, il arrange les parties vocales du Faust de
Gounod. Certains musicologues vont jusqu’à prétendre que Delibes aurait
écrit le ballet de Faust, indispensable pour que l’ouvrage soit créé, en
1869, à l’Opéra de Paris. Il est sûr que Gounod a essayé d’échapper à cette
corvée en demandant l’aide de son ami Saint-Saëns qui déclina la proposition.
Depuis 1858, Delibes fournit, au journal Le Gaulois, des critiques sous le
pseudonyme d’Éloi Delbès, anagramme de ses nom et prénom. L’année
1865 est faste pour lui : pour le second voyage de Napoléon III en Algérie,
Delibes écrit une cantate solennelle, pour soprano, chœur et orchestre,
Alger, qui lui attire quelques faveurs impériales ; il réalise une parodie du
Moïse de Rossini, intitulé Le Bœuf Apis, qu’il retire prudemment après la
première représentation pour ne pas subir les foudres du « Cygne de
Pesaro » qui fait alors la loi dans les salons et la vie culturelle de la capitale ; enfin, Delibes obtient le poste de deuxième chef de chœur à l’Opéra de
Paris, sous la direction de Victor Massé. En 1867, il collabore avec Bizet
et deux autres musiciens à l’opérette Malbrough s’en-va-t-en-guerre dont
il écrit le quatrième acte.
La qualité de ses orchestrations, dont il est redevable à l’enseignement de
son maître Adam, paraît exceptionnelle comparée à ce que produisent ses
confrères. Il s’en distingue d’autant plus, que rien dans ses partitions ne
peut choquer le goût et l’attente des spectateurs. À défaut de style, il a
trouvé un ton, dans la lignée de Boieldieu, Hérold et de son maître Adam :
mélodies spirituelles, orchestre brillant, harmonies légères. Par ailleurs,
l’organiste, qu’il est toujours, admire César Frank.
Les ballets
En 1866, Delibes signe la musique des deuxième et troisième tableaux du
ballet La Source dont le compositeur austro-russe, Léon Minkus, écrit les
première et quatrième parties. Le livret de Charles Nuitter et Arthur SaintLéon, comporte des éléments fantastiques et orientaux, très prisés à
l’époque par le public parisien. Immédiatement, les pages écrites par
Delibes attirent l’attention des musiciens et des ballettomanes qui décèlent
chez lui des prédispositions pour le genre chorégraphique. Le critique de
La France musicale oppose « la grâce et la langueur » de la musique de
Minkus à celle de Delibes « plus fraîche, plus riche en rythmes et d’une
orchestration plus recherchée. » L’engouement pour cette partition de
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Delibes explique que, près de dix ans après, en janvier 1875, ce deuxième
acte figure au programme inaugural de l’Opéra Garnier.
En 1867, Delibes compose un divertissement, Le Jardin Animé à partir du
ballet Le Corsaire de Joseph Mazilier et Adolphe Adam. En 1868, le
compositeur reçoit la Médaille d’or de la Ville de Paris, pour deux œuvres
chorales et en 1869, il donne sa dernière œuvre bouffe, La Cour du roi
Pétaud, au Théâtre des Variétés. C’est désormais sur les traces de
Meyerbeer, Bizet, Lalo qu’il s’engage.
Mais c’est le triomphe du ballet Coppélia, ou La Fille aux yeux d’émail,
joué à l’Opéra de Paris, le 2 mai 1870 qui lui vaut d’atteindre une célébrité durable. Il marque le retour au « ballet d’action », après le déclin du
romantisme. Le sujet est tiré d’un conte fantastique d’E. T. A. Hoffmann,
L’homme au sable. L’apparition de l’automate, l’utilisation des danses folkloriques marquèrent les esprits. De plus, l’histoire bien menée, montrant
la lutte en chaque homme du bien et du mal, dépasse l’anecdote pour renvoyer à une réalité humaine profonde et indémodable. Cette œuvre
inaugure également le genre du « ballet symphonique » : tout en étant au
service de l’argument, la musique est également pensée pour le concert.
Cette réussite est confirmée, en 1876, avec Sylvia ou la Nymphe de Diane,
ballet dont l’action se déroule dans la Grèce antique. Le livret de Jules
Barbier et du baron Reinach est complexe et a nui à sa postérité. Mais le
critique de L’Opinion salue « une partition qui révèle la main d’un maître
de la musique symphonique ». Piotr Illitch Tchaïkovski exprime son admiration pour Delibes, en particulier pour Sylvia : « Quel charme, quelle
richesse mélodique ! […] Si je n’avais pas connu cette musique, je
n’aurais jamais écrit Le Lac des cygnes. ». Il jugeait le compositeur français bien meilleur que Brahms, ce qu’il faut relativiser car il traitait le
musicien allemand de « bâtard sans talent. ». Mais il considère Delibes
comme le grand représentant de l’École française de ballet. Le Ménestrel
du 18 juin 1876, fait chorus : « De tous nos compositeurs, M. Léo Delibes
est aujourd’hui le plus essentiellement français. S’il voulait se montrer
moins discret, il n’est pas douteux qu’il ne pût très promptement relever,
avec le secours d’un ou deux confrères, la fortune compromise de notre
Opéra-Comique. »
Delibes a donné ses lettres de noblesse à la musique de ballet, jusque-là,
considérée comme purement fonctionnelle, appartenant à un genre
subalterne abandonné à des musiciens de second ordre. André Coquis, son
biographe, affirme : « c’est bien probablement à Delibes que l’on doit la
rénovation du ballet qui s’est produite au début du XXème siècle et qui a été
l’occasion pour Debussy, Ravel, Roussel, Florent Schmitt et autres, de
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composer des ouvrages qui comptent parmi les plus importants de leurs
œuvres ».
L’opéra
Enfin reconnu, rassuré sur ses capacités musicales, Delibes se consacre
entièrement, dès 1871, à la composition. Il quitte ses emplois d’organiste,
et ceux de l’Opéra et fait un mariage avantageux avec Léontine Estelle
Denain. Delibes reçoit la Légion d’Honneur en 1877, puis siège à la
commission musicale chargée de l’organisation de l’Exposition
Universelle de 1878. Il prend une forme de revanche avec le Conservatoire
quand il y est nommé, en 1881, professeur de composition.
En 1873, il revient à l’opéra-comique avec un sujet qui avait d’abord été
proposé à Offenbach et dont l’action se situe à l’époque de Louis XIV, Le
Roi l’a dit, sujet plein d’esprit et de grâce qui convient au tempérament du
compositeur. Mélodies élégantes, expression juste et délicate, le tout est
enlevé avec légèreté et allégresse et une qualité d’écriture pleine de trouvailles instrumentales. Cet opéra fut joué régulièrement jusqu’en 1900,
plus rarement dans la première moitié du XXème siècle, avant de tomber
dans l’oubli.
Delibes crée en 1880, à l’Opéra-Comique, Jean de Nivelle dont il retrouvera les librettistes, Edmond Gondinet, Philippe Gille et le créateur du rôletitre, le ténor Jean-Alexandre Talazac, pour Lakmé. Le sujet historique,
relève davantage du grand opéra à la Meyerbeer que du genre de l’opéracomique. Jouée jusqu’à la fin du XIXème siècle, l’œuvre tombe ensuite aux
oubliettes. En 1882, Delibes compose « six pièces de danse dans le style
ancien », pour Le Roi s’amuse, de Victor Hugo dont Verdi a tiré, dès 1851,
Rigoletto.
Delibes se rend à Bayreuth la même année -celle de la création de Parsifal
et sept mois avant le décès de Wagner-, au Festival de Bayreuth en compagnie d’Ernest Chausson, de Vincent d’Indy et de Camille Saint-Saëns.
S’il reconnaît le génie du compositeur allemand, il ne cherche pas à s’en
inspirer. Il confie au rédacteur du Télégraphe, en 1885 : « Pour ma part, je
suis reconnaissant à Wagner des émotions très vives qu’il m’a fait ressentir, des enthousiasmes qu’il a soulevés en moi. Mais si, comme auditeur,
j’ai voué au maître allemand une profonde admiration, je me refuse,
comme producteur, à l’imiter. ». Il affirme à son ami Lalo qui l’incite à tirer
profit de l’apport de Wagner : « Il est bien assez difficile de faire ma
propre musique, et de tâcher qu’elle ne soit pas trop mauvaise. Si je me
mettais à faire celle d’un autre, je suis certain qu’elle serait exécrable. » Ce
qui plaide au moins en faveur de la sincérité du musicien et de sa probité.
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UN RÊVE D’ORIENT
Les Librettistes
L’idée de Lakmé vient d’un collaborateur de Delibes qui a déjà écrit pour
lui les livrets du Roi l’a dit et de Jean de Nivelle, Edmond Gondinet
(1828-1888), fonctionnaire puis dramaturge français, auteur d’une quarantaine de pièces où il fait la satire du monde de l’administration. Il travailla
notamment avec Eugène Labiche et Alphonse Daudet et, pour des livrets
d’opérettes, avec les compositeurs Charles Lecoq, Robert Planquette et Hervé.
Philippe Gille (1831-1901), librettiste d’opéra, tenait une chronique
littéraire au Figaro, titrée « Bataille littéraire ». Gendre de Victor Massé, il
a travaillé avec Eugène Labiche, Jacques Offenbach, Robert Planquette,
Charles Lecocq et, avant Lakmé, avec Léo Delibes pour une demi-douzaine d’ouvrages dont Jean de Nivelle, en collaboration avec Edmond
Gondinet. Gille signera le dernier livret du compositeur, Kassya. Son plus
grand titre de gloire est d’avoir participé, avec Henri Meilhac, à la Manon
de Massenet (1884). Il fut élu en 1899 à l’Académie des Beaux-arts.
Le duo est en fait un trio, car Arnold Mortier (1843-1885), journaliste au
Figaro, co-auteur du livret du Docteur Ox d’Offenbach avec Gille, participe à l’élaboration du livret mais refuse que son nom apparaisse. La presse
se fait cependant l’écho de sa participation. Il a laissé lui-même quelques
propos sur les rudes discussions concernant le livret, avec un Delibes qui
traversait une crise de confiance en lui.
Les sources
Elles sont multiples et la première n’est pas d’ordre littéraire. Gondinet
avait été fasciné, comme le public, par Marie Van Zandt (1858-1919),
jeune cantatrice américaine d’origine hollandaise, « au physique de rêve,
au charme étrange avec son visage chaste et provoquant, et sa voix au
timbre de cristal hors du commun », aux dires des contemporains. Il la
découvre comme les Parisiens, en 1880, dans le rôle de Philine, dans le
célèbre opéra d’Ambroise Thomas, Mignon. À 21 ans, et en une soirée, elle
avait mis Paris à ses pieds. Littéralement envoûté, Gondinet persuade son
ami Delibes d’écrire un opéra pour cette soprano. Il lui parle d’un roman
de l’officier de la Marine nationale, Julien Viaud, dit Pierre Loti, Rarahu
ou le Mariage de Loti, paru en 1880 et plus ou moins autobiographique.
Après ce grand succès, l’auteur se fera le chantre des amours éphémères et
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douloureuses entre couples de races et de religions différentes : sa Madame
Chrysanthème (1887) inspirera l’opéra éponyme d’André Messager (1893)
et, indirectement, celui de Puccini, Madame Butterfly (1904). Delibes lit
trois fois Rarahu, pendant un voyage qui le mène de Paris à Vienne. « Il y
vit des danses étranges au clair de lune, des sonneries de fifres, des rêveries, d’amoureuses cantilènes, et, de la gare de Vienne même, il envoya à
son fidèle ami Gille une dépêche pour lui dire que l’idée d’une idylle dans
un pays lointain le transportait et qu’il ne voulait plus faire autre chose »,
raconte Mortier dans Les Soirées parisiennes. Les librettistes pensaient que
le livre de Loti était difficile à adapter et voulaient en retenir « seulement
la couleur, l’idée d’une passion sauvage aux prises avec notre civilisation
européenne ». Ils trouvaient séduisant et émouvant le drame né du conflit
entre la fidélité à une religion et à un pays et la puissance de l’amour. Or
l’action se passe à Tahiti, loin de l’Inde. Depuis les années 1990, des
recherches récentes ont exhumé une nouvelle, parue en 1849, dans la
Revue des Deux Mondes, Les babouches du brahmane. L’auteur, Théodore
Pavie (1811-1896), éminent orientaliste français, parlant chinois, hébreu,
hindi et sanscrit, avait occupé la chaire de sanscrit au Collège de France,
de 1853 à 1857. Il traduisit du sanscrit des fragments de l’épopée indienne
du Mahâbhârata et du Ramayana. Il avait rapporté, de chacun de ses
séjours en Amérique, Moyen-Orient, Inde, Chine, de nombreux textes et
contes folkloriques. En 1839, il voyaga de Calcutta, à Madras et à
Pondichéry. Il était en phase avec une France curieuse de la civilisation de
l’Inde comme le prouve la traduction de la Bhagavad-Gita par Émile-Louis
Burnouf, en 1861.
Les Babouches raconte l’histoire d’un anglais, Sir Edward, qui mène une
vie de dandy en Inde. Par bravade, il cherche à interrompre la méditation
d’un brahmane, nommé Nilakantha, en lui posant ses babouches sur la tête.
Pour cette profanation, ce dernier poursuivra l’insolent de sa vengeance
implacable : la jeune épouse d’Edward meurt pour avoir respiré une fleur
empoisonnée et lui se trouve bientôt réduit à l’état d’épave par une mystérieuse maladie. Mais il n’y a aucune intrigue amoureuse entre Roukmanie,
la fille de quinze ans du brahmane, et l’Anglais. En revanche, la nouvelle
décrit, avec un certain bonheur, les coutumes et les paysages du pays,
présentés comme fascinants et inquiétants à la fois. L’atmosphère mystérieuse est propre à séduire des librettistes en quête d’un sujet d’opéra exotique. Indéniablement les librettistes se souviennent de certains éléments,
comme le jardin du Brahmane décrit par Pavie et que reprend en termes
identiques la didascalie du livret de l’opéra, pour décrire le décor du premier acte. Le couple d’Edward et de sa femme évoque celui de Gérald et
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de sa fiancée Ellen. Lakmé comme Roukmanie se disent filles des dieux.
Le brahmane manifeste une égale hostilité à la présence des Anglais dans
les deux œuvres et il porte le même nom de Nilakantha. En revanche, celui
de Lakmé est une invention des librettistes, sans doute inspiré par le nom
donné aux épouses de Vichnou, Lakshmîs (Lakshmi au singulier), que cite
Pavie.
Mais les auteurs s’inspirent d’autres sources, notamment de livrets
d’opéra dont les clichés poétiques, les schémas convenus de l’intrigue
avaient eus du succès. Ils recomposent le tout pour l’adapter aux exigences
de la répartition habituelle des numéros musicaux.
Le tropisme oriental
L’exotisme fait recette. Qui ne rêve depuis 1872 de faire Le Tour du monde
en 80 jours ? Notons que les héros de Jules Vernes passent par les Indes où
Passepartout et Phileas Fogg sauvent une jolie jeune femme indienne du
bûcher, car on brûle les veuves avec le corps du défunt époux. Elle les
accompagne jusqu’en Angleterre où elle épousera Phileas Fogg. Les explorateurs qui risquent leurs vies sont de vrais héros et ils font rêver, comme
les contrées qu’ils découvrent. Les récits de voyages ou les romans inspirés par eux, comme ceux de Pierre Loti, sont des succès de librairie. Les
éléments pittoresques, la couleur locale faussement réaliste, reflète plus la
naïveté du temps que la réalité du pays décrit. L’actualité politique -les
protectorats français sur la Tunisie et l’Annam datent de 1881 et 1883-,
entretient la curiosité pout l’Orient qui remonte à des temps plus anciens.
Ce qu’on appelle orientalisme en littérature, en peinture et en musique
renvoie non pas à une référence géographique, historique ou stylistique
précise, mais à une curiosité pour des terres et des civilisations lointaines.
Le terme se répand à partir de 1830, mais cette tendance est bien antérieure : au XVIIème siècle apparaît la mode des turqueries dont témoigne le
célèbre « mamamouchi » du Bourgeois Gentilhomme, comédie-ballet de
Molière, musique de Lully. Sultanes et muftis de convention se multiplient
au siècle suivant, qu’il s’agisse des sages orientaux qui peuples les romans
des philosophes, des « turqueries » musicales de Mozart ou de la peinture
galante de l’époque : la Pompadour se fait représenter en costume turc. Le
XIXème siècle voit ce goût se développer avec l’« Égyptomanie » que provoque la campagne d’Égypte de Bonaparte de 1798, dans l’architecture, la
décoration, la peinture. L’occupation de l’Espagne par les troupes de
Napoléon entre 1808 et 1814 ramène l’attention vers le sud de l’Europe.
C’est encore plus vrai avec le mouvement de libération nationale qui soulève les patriotes grecs contre l’autorité ottomane, en 1821. Les sanglants
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massacres perpétrés par les Turcs, rallient à la cause grecque de nombreux
étrangers qui, à l’instar de Byron, vont se battre aux côtés des insurgés.
Cette guerre à peine terminée en 1830, commence la conquête de l’Algérie
par la France. L’établissement progressif de colons français renforce l’intérêt et la curiosité pour les paysages et les coutumes du pays. Victor Hugo
peut noter en 1829, dans la préface des Orientales, que « l’Orient est
devenu une préoccupation générale ». Ce recueil offre un regard sur
l’Orient méditerranéen, qui inspire de nombreux auteurs, peintres, décorateurs, et également compositeurs. Puis c’est vers un autre Orient, plus lointain et du même coup plus exotique, stimulant encore davantage leur inspiration, que se tourne toute une génération d’artistes.
L’ouverture du canal de Suez, inauguré en 1869, le développement des
routes, des voies ferrées et des liaisons maritimes à vapeur, favorisent les
échanges et les voyages, élargissant la curiosité, jusque-là concentrée sur
le pourtour méditerranéen, vers les horizons plus lointains de l’Asie, de la
Polynésie. Les explorateurs sont souvent dans les pas des conquérants
quand ils ne les précèdent pas. On s’intéresse autant aux paysages qu’aux
types humains, aux coutumes, aux religions, aux langues. Il n’est pas
besoin de courir les mers pour assouvir sa curiosité : les ouvrages, les
gravures, les tableaux et les expositions universelles, où les grandes
puissances comme la France et l’Angleterre peuvent exposer les richesses
de leurs possessions lointaines, permettent de nourrir le rêve oriental, entre
fascination et crainte. Cette place grandissante de l’Orient dans la
conscience occidentale résulte également de l’écroulement des certitudes
entraînées par la chute de l’Empire et l’affaiblissement de l’esprit des
Lumières.
Les précurseurs
L’opéra ne pouvait échapper à ce tropisme. Témoins L’Enlèvement au
sérail (1782), de Mozart, La Caravane du Caire, (1783), de Grétry, Le
Calife de Bagdad de François-Adrien de Boieldieu (1800). Dès 1849,
Ambroise Thomas, se souvenant de L’Italienne à Alger, écrit un opérabouffe, Le Caïd, dont l’action se déroule dans l’Algérie récemment conquise. C’est Félicien David (1810-1876) qui va fixer quelques règles
d’écriture dans son ode-symphonie du Désert (1844). Au cours de son
séjour en Égypte, ce musicien avait recueilli des mélodies arabes qu’il
intègre à sa partition. Au-delà de l’exploitation d’un répertoire authentique,
il élabore ce qui va devenir les formules idiomatiques de l’orientalisme
musical, reprises tout au long du XIXème siècle par Saint-Saëns dans
Samson et Dalila et par Léo Delibes dans Lakmé. Il s’agit du recours à
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l’intervalle de seconde augmentée1 ; de l’introduction d’ostinatos rythmiques2 ; de l’utilisation du mode mineur.
Félicien David consacre un opéra-comique, en 1851, à La Perle du Brésil
dont l’air du mysoli (oiseau exotique) fait encore aujourd’hui le bonheur
des sopranos légers, tandis que sa Lalla-Roukh, (1862) entraîne le spectateur sur les chemins de l’empire Moghol. Georges Bizet, en 1863, choisit
le cadre de Ceylan pour ses Pêcheurs de perles. On y trouve déjà l’idée
d’une prêtresse dont dépend la clémence des dieux et la profanation d’un
lieu inviolable qu’il faut punir par la mort des criminels. La reine Selika,
L’Africaine de Meyerbeer et Scribe (1865), amoureuse de Vasco de Gama
qui repart vers l’Europe, choisit de mettre fin à ses jours en s’étendant sous
un mancenillier aux effluves mortelles. Elle avait déjà protégé son amant
du couteau d’un rival jaloux Nelusko. C’est un sacrilège qui met le héros
en danger et elle le sauve en déclarant qu’il est son époux. Selika, comme
Lakmé, soigne celui qu’elle aime, le berce en veillant son sommeil, et boit
à la même coupe pour s’unir à lui. Le Roi de Lahore, opéra en cinq actes
de Jules Massenet (1877) se passe dans l’Inde du XIème siècle. La prêtresse
Sita aime d’un amour partagé, mais sacrilège, le roi Alim. Son rival le tue
et contraint Sita à l’épouser. Mais lors du mariage, Alim réapparait, avec
l’autorisation des dieux, dénonce le crime de l’époux. Les deux amants
s’enfuient, Sita se tue et Alim meurt avec elle : tous deux montent au paradis des bienheureux. On mesure le scandale qu’a pu provoquer Carmen,
deux ans plus tôt, par l’audace de son sujet et de sa musique, dans l’univers conventionnel de l’opéra-comique. Samson et Dalila (1877) de SaintSaëns, se passe dans la Palestine biblique et la veine orientale sera encore
exploitée au début du XXème siècle (Henri Rabaud, Mârouf, savetier du
Caire, 1914).
On s’aperçoit que les librettistes de Lakmé reprennent des canevas déjà
exploités. Quant à l’abandon d’une femme orientale par un Occidental sans
scrupules, le thème relève également des topoï de la littérature orientaliste
comme le rappelle Piotr Kaminski : il renouvelle le thème de l’amour
impossible en remplaçant l’obstacle de la différence sociale par celui de la
race et de la religion. Ce que l’on retrouve, en 1904, dans la Madame
Butterfly de Puccini. Il est donc impossible de désigner une source unique
d’inspiration pour le livret de Lakmé, il correspond à l’imaginaire d’un
Orient lointain, propre à cette fin du XIXème siècle.
1
L’intervalle de seconde, habituellement d’un ton, do-ré par exemple, est élargi d’un demi-ton, do bémol-ré, donnant
ainsi une couleur plus inhabituelle et du même coup plus exotique.
2
Répétition d’une cellule rythmique, procédé repris, plus tard, par Ravel dans Le Boléro.
14
LE REFLET DU TEMPS
Le cadre colonial
Lakmé se situe en Inde à l’époque de la colonisation britannique.
Découvert par Vasco de Gama en 1498, ce territoire a très vite intéressé les
Anglais qui, en 1600, fondent la Compagnie anglaise des Indes orientales.
Quand la Compagnie française des Indes achète Pondichéry, en 1673, une
rivalité de deux siècles s’installe entre Britanniques et Français. Elle se
solde au profit des premiers : la Reine Victoria est couronnée Impératrice
des Indes en 1876. Plus précisément l’action se déroule à une époque où
s’est installé un climat de tension entre populations hindoues et colons
britanniques, notamment pour des raisons religieuses, ce qui suscitent de
nombreuses révoltes populaires.
Si les librettistes Gondinet et Gille y font allusion, la politique n’est pas
leur préoccupation première, pas plus que la vérité de la couleur locale, et
les auteurs s’en tiennent à la vision sentimentale et attendrissante des récits
de voyages, imaginaires ou non. L’intérêt d’un sujet exotique est de permettre aux compositeurs, librettistes et décorateurs, d’inventer des
tableaux toujours plus imposants et étonnants, pour ravir le public parisien.
L’authenticité ne compte pas, il ne s’agit pas de reconstituer les lieux avec
exactitude, mais seulement d’évoquer quelque chose d’étranger, d’effrayant ou d’aventureux. Une esthétique de l’exotisme naît alors peu à peu,
bousculant les principes de la juste mesure qui fondait l’art français jusquelà. Chaque nouvelle production théâtrale cherchera ainsi à rivaliser avec la
précédente, en créant des décors toujours plus fastueux et surtout en visant
un parallèle entre le sauvage et le raffiné, le colossal et le délicat. Il ne
s’agit plus, comme pour les Romantiques, d’assouvir un besoin spirituel,
mais d’opposer le modèle occidental à celui d’un univers perçu comme,
plus ou moins, primitif. Les autochtones deviennent des ennemis :
Mrs Bentson, la gouvernante de la fille du gouverneur anglais, les craint
par-dessus tout. À l’opposé, Frédéric, l’officier ami de Gérald, incarne
l’Occidental soucieux de respecter les coutumes locales. L’atmosphère est
conflictuelle dès le début puisque les premiers propos entendus sont un
appel du brahmane contre l’envahisseur étranger. L’histoire d’amour entre
Lakmé et Gérald illustre cette opposition entre Orient et Occident.
Cependant, Lakmé n’est pas un opéra militant mais d’abord le récit d’un
amour interdit. Gérald n’est pas le lieutenant Pinkerton, celui qui conduira
15
Lakmé
Affiche de la
création au Théâtre
national de
l'Opéra-Comique.
Lakmé - Le Duo du 3ème Acte
Estampe d’Adrien Marie
16
Lakmé - Décor acte II
Mady Mesplé, Lakmé
(1970)
17
Cio-Cio-San, chez Puccini, au suicide. Mais le monde qui sépare Lakmé de
l’officier anglais mène inéluctablement l’héroïne à la mort : malgré
l’amour sincère qu’il lui porte, elle sait qu’il repartira. C’est un rêve, une
folie3 qui doit prendre fin.
Lakmé, entre opéra-comique et opéra
Dans la lignée de l’opéra-comique traditionnel, Lakmé conserve le découpage en numéros, alternant airs et dialogues parlés et incluant également un
divertissement dansé. Il existe deux versions de Lakmé qui témoignent des
mutations subies par l’opéra-comique dans la deuxième moitié du XIXème
siècle. À l’origine, Delibes compose une partition alternant passages chantés et parlés, ce qui est la norme à la Salle Favart, comme ce fut le cas pour
Carmen. La plupart des dialogues, réservés aux Anglais et à Hadji, à l’exception d’une exclamation de Lakmé quand elle découvre Gérald blessé,
ont peu à peu été remplacés par des récitatifs. À partir des années 1880, les
dialogues parlés des opéras-comiques commencent à disparaître au profit
de partitions intégralement chantées, comme c’est le cas pour Les Pêcheurs
de Perles. Dans Manon, Massenet mêle quelques dialogues entre les parties chantées, le passage de l’un à l’autre se faisant par le recours au mélodrame, paroles sur un motif orchestral.
Delibes conçoit donc des récitatifs chantés ou accompagnés appelés aussi
ariosos : l’orchestre ponctue les interventions du chanteur dont les
inflexions et la déclamation se rapprochent du parler. C’est ainsi qu’est
traité l’éveil de Gerald à l’acte III, « Quel vague souvenir alourdit ma
pensée ? ». Suivant les enregistrements, on peut entendre la scène où Hadji
s’adresse à Lakmé au second acte, sous une forme parlée ou chantée, sur
une mélodie à peine esquissée. La version avec ses dialogues originaux
n’est plus jouée aujourd’hui.
En cette fin du XIXème siècle, les opéras-comiques non seulement tendent à
se confondre avec les opéras intégralement chantés, jusqu’alors réservés à
la seule scène de l’Académie Royale de Musique, mais ils incluent un
ballet au deuxième acte, spécifique des œuvres jouées à l’Opéra. Delibes
ne se contente pas d’un bref divertissement, comme on en trouvait parfois
à l’Opéra-Comique qui ne disposait pas d’un corps de ballet de grande
qualité. En spécialiste du genre qu’il était devenu, il utilise son savoir-faire.
Il convainc le public au point que le ballet du second acte de Lakmé sera
repris lors du concert d’inauguration de la troisième salle Favart, le 7
décembre 1898. Lakmé emprunte encore au genre de l’opéra, la virtuosité
3
Gérald, acte II, scène 10.
18
vocale. Les rôles de Lakmé et Gerald nécessitent une grande agilité et une
tessiture particulièrement étendue. Celle de Lakmé, qui affronte l’un des
airs les plus virtuoses du répertoire, l’air des clochettes, au deuxième acte,
s’étend sur plus de deux octaves. Le registre aigu de Gérald est particulièrement sollicité dans l’air de bravoure, Prendre le dessin d’un bijou.
Par d’autres aspects, Lakmé relève de l’opéra-comique. Le quintette
bouffe des Anglais, au premier acte, est typique du genre par son écriture
et son entrain. L’Anglais ridicule fait depuis longtemps partie des personnages obligés des comédies à Paris, au XIXème siècle. À l’Opéra-Comique,
le Milord du Fra Diavolo de Scribe et Auber, avait immortalisé, dès 1830,
ce type dramatique. Cela correspond à un préjugé bien ancré chez les
Français sur l’excentricité des Anglais, sujet inépuisable de moqueries,
sans doute pour se venger de la « nation, ennemie héréditaire », depuis
Jeanne d’Arc. Mais il y a aussi, dans cette scène de Lakmé, avec les cinq
Anglais, le souvenir du quintette des contrebandiers à l’acte II de Carmen.
Enfin, la forme couplets/refrains, utilisée à maintes reprises, est caractéristique de l’opéra-comique. Delibes y recourt dans les stances de Nilakantha
au deuxième acte. Le refrain « C’est que Dieu de nous se retire, / C’est
qu’il attend la mort du criminel. Mais je veux retrouver ton sourire, / Oui,
je veux retrouver ton sourire, / Et dans tes yeux je veux revoir le ciel ! »
s’intercale entre deux couplets. On retrouve cette structure dans la berceuse
de Lakmé avec le refrain « le ciel tout étoilé / Le ramier blanc au loin s’en
est allé », énoncé à trois reprises. Ce mélange d’éléments d’opéra et
d’opéra-comique répond à une nécessité dramatique. La répétition, dans
les deux cas, correspond à un moment où le personnage veut éloigner un
danger (la malédiction des dieux, la mort de Gérald), c’est comme une idée
obsédante qui revient sans cesse. Le compositeur attribue un type d’écriture à chaque personnage selon son caractère ou son origine : aux touristes
anglais, la langue frivole et légère du quintette bouffe ; aux Hindous, la
parole parlée ; aux personnages tragiques, le chant exclusif et la dignité du
style. Lakmé ne recourt qu’une seule fois au parlé, quand elle crie « Hadji,
ils l’ont tué ! ». Ce changement d’écriture souligne la spontanéité d’un
personnage au comble de l’émotion. Dès sa première apparition, Lakmé
chante dans un registre aigu accompagnée par un chœur grave d’hommes.
Cette « hauteur » montre qu’elle est « fille des Dieux », au-dessus du
commun des mortels.
Sur le plan musical, Delibes ne s’aventure pas trop loin, se contentant
d’agrémenter le discours musical de couleurs modales, de figures
rythmiques plus souples, d’ornements et de vocalises qui contrastent avec
le langage convenu des personnages anglais. Delibes utilise des instru19
ments évocateurs de l’Orient : le tambour de basque, tambourin serti de
disques métalliques, dans la berceuse de Lakmé ; les crotales, sorte de
petites cymbales, dans la section Terâna du ballet et surtout la flûte. Il
privilégie certains intervalles comme les quintes à vide, intervalle de cinq
notes sans tierce au milieu, et les secondes augmentées notamment dans
l’ouverture et le ballet du deuxième acte. Enfin, les ostinatos rythmiques
sont nombreux. Dans un souci dramatique, Delibes associe certains instruments à des personnages ; la harpe, aux arpèges aériens, accompagne les
entrées de Lakmé tandis que le piccolo (petite flûte très aiguë) est associé
à la comique et grotesque gouvernante Mistress Bentson. Le piccolo est
aussi assimilé à la musique militaire. Au dernier acte, Gerald est tiraillé
entre l’appel du devoir (les piccolos des fifres qui défilent au loin) et l’exotisme des gammes pentatoniques chantées par les couples hindous venus
sceller leur union à la source sacrée.
Dès les premières notes du prélude, la tension entre les deux univers musicaux est marqué.
PAROLES ET MUSIQUE
L’opéra s’ouvre sur un bref prélude fondé sur trois thèmes principaux qui
ponctueront l’action et qui suggèrent l’ambiance orientale. Le premier,
solennel, lié au brahmane Nilakantha correspond à l’invocation des dieux
hindous. Il annonce le rôle joué par la religion dans le drame qui va se
nouer. Le thème plus bref et plus allant qui se greffe sur lui annonce la
scène du marché au second acte, là où se noue le drame à venir. Le second
thème est celui de la prière de Lakmé qui installe une tonalité orientale, par
sa courbe mélodique et par l’utilisation, notamment, de la seconde
augmentée. Le troisième thème est celui de l’aveu amoureux de Gérald.
Son côté élégiaque s’apparente au thème précédent par sa sensualité mais
s’oppose fortement au premier. Ainsi, très habilement les trois personnages
principaux, l’histoire d’amour impossible, la haine implacable, le cadre
mystérieux sur fond de profanation religieuse sont mis en place.
Acte I
La première scène nous fait pénétrer dans un lieu sacré où le brahmane
Nilakantha (baryton-basse), célèbre l’aurore dont l’apparition est suggérée
par un ostinato de notes aiguës à la flûte, répétant un motif qui évoque la
luxuriance de la nature indienne et l’aube naissante. Il ponctue l’incantation des hindous. Cette atmosphère sereine contraste avec les paroles du
20
prêtre qui prie les dieux d’abattre leur colère sur les colons anglais. Une
mélopée en l’honneur de la « blanche Dourga », à la ligne mélodique onduleuse et mystérieuse par le recours au mélisme4, s’échappe de l’intérieur du
temple. C’est la voix de Lakmé (soprano léger colorature), « la fille des
dieux », que la musique nimbe d’une aura sacrée. Après le départ de son
père, elle s’éloigne avec sa servante Mallika (mezzo-soprano) pour cueillir,
le long de la rivière des fleurs de lotus bleu en l’honneur du dieu Ganesh.
C’est le fameux duo des fleurs, Sous le dôme épais, dont le charme indéniable tient à son rythme berceur de barcarolle : les lignes vocales, dans
l’aigu pour la soprano, dans le médium pour la mezzo, sont écrites à la
tierce5 l’une de l’autre, ce qui donne une particulière douceur au chant.
De plus, l’union des voix, délicatement soulignée par une orchestration
subtile et un mélisme discret, crée un climat d’harmonie et de paix qui
semble baigner ces lieux.
En leur absence, deux officiers britanniques, Gérald (ténor) et Frédéric
(baryton léger), accompagnés par la fille et la nièce du Gouverneur, Ellen
et Rose, et leur gouvernante Mrs Bentson, pénètrent dans l’enceinte sacrée.
Frédéric les met en garde contre les dangers encourus par la profanation
qu’ils viennent de commettre, ce qui provoque les railleries de la petite
troupe qui s’éloigne après une discussion sur les mérites de la femme européenne et indienne. Gérald reste seul pour Prendre le dessin d’un bijou,
parmi ceux abandonnés par la prêtresse dont il se plaît à imaginer la
beauté. Bien que de forme classique -un bref récitatif précède l’aria qui
s’ouvre et se clôt sur la reprise de la même phrase, Fantaisie aux divins
mensonges…, la mélodie exprime cependant l’émotion qui l’étreint :
l’accompagnement essentiellement confié aux cordes présente un thème
très lyrique, qui berce la rêverie d’où se détache le thème amoureux de
Gérald déjà entendu, et la clarinette, exprime l’élan passionné de l’officier.
Les voix des deux promeneuses se font entendre dans le lointain le forçant
à se cacher. Lakmé restée seule se demande Pourquoi dans les grands
bois…, toute la nature lui semble changée, la rendant triste et heureuse à la
fois. Elle aperçoit Gérald. Effrayée et furieuse, elle veut d’abord le chasser,
mais lui reste fasciné par elle comme s’il entrait de plein pied dans son
rêve. Intriguée par la témérité de l’officier, elle veut connaître quel dieu le
conduit. C’est le dieu de la jeunesse… C’est l’amour ! Cet hymne plein de
flamme, à l’élan irrésistible, est bientôt repris à l’unisson par Lakmé. Mais
l’approche de Nilakantha oblige Gérald à partir. Le brahmane, en découvrant la profanation des lieux, crie vengeance.
4
Ensemble de notes chantées sur une seule et même voyelle. Si le mélisme est vraiment long et développé on parle
alors de vocalise.
5
C’est un intervalle entre deux notes que séparent trois degrés, do-mi, par exemple.
21
Acte II
C’est jour de marché et un chœur de marchands et de matelots sur la place
du village, s’interpellent. Surgit Mrs Benson égarée et effrayée par l’insistance des vendeurs, elle est bientôt rejointe par les autres britanniques.
C’est une scène typique d’opéra-comique où un personnage ridicule se
trouve en mauvaise posture. En même temps, une hostilité sourde, entre
hindous et anglais, semble prête à éclater. Bientôt danseurs et bayadères
viennent égayer les badauds. Ce ballet, très bien construit, fait partie des
pages restées célèbres de l’œuvre. On entend comme une préfiguration des
Danses Polovtsiennes du Prince Igor (1890) de Borodine, quand le chœur
se mêle aux dernières danses. Alors que les cinq Britanniques se sont éloignés, Nilakantha, déguisé en mendiant, entre à la recherche de l’étranger
qui a outragé sa fille. Celle-ci l’accompagne et essaie en vain de le faire
renoncer à sa vengeance. Il lui explique sa démarche, en deux couplets élégiaques, rares chez lui, Lakmé, ton doux regard se voile…, dans lesquels le
fanatisme du personnage le dispute à la tendresse pour sa fille : Dieu attend
la mort du criminel. Il est persuadé qu’en faisant chanter Lakmé, l’officier
qu’il cherche à identifier se trahira. Présentée comme une déesse incarnée,
Lakmé consent à chanter la légende sacrée de la fille du paria. C’est le
fameux air des clochettes, Où va la jeune hindoue… Les grandes capacités
techniques de la créatrice du rôle, Marie Van Zandt, explique la grande virtuosité de cet air. Conscient que ses consœurs ne possèderaient pas les
mêmes capacités vocales, Delibes a prévu dans sa partition deux lignes, au
choix, l’une virtuose, l’autre beaucoup plus accessible pour celles qui prendraient la relève. Delibes compose ainsi un air dit « à roulades », en raison
des nombreuses vocalises, destiné à combler un public toujours friand de
prouesses vocales. Mais la virtuosité n’exclut nullement la musicalité. De
plus, il a une justification dramatique : le chant doit être exceptionnel pour
attirer l’attention du profanateur.
La voix de Lakmé s’élève d’abord sans aucun accompagnement. La mélodie, qui tourne autour d’une même note, s’apparente à un chant d’oiseau.
La première partie repose sur une longue phrase très legato, où figure la
majorité du texte avec un accompagnement orchestral sobre utilisant
essentiellement la harpe et la flûte, toutes deux traditionnellement liées à la
féminité.
Suit une sorte de transition, sur un thème de couleur très exotique : les
percussions installent un rythme plus heurté, pendant que les bois exposent
un motif mélodique ondulant, à la tonalité orientalisante. La dernière
section est une immense vocalise extrêmement limpide et aérienne,
entièrement écrite pour valoriser la ligne de chant, qui culmine sur un si
22
aigu, accompagnée du tintement des clochettes.
Gérald arrive et la reconnaît. Lakmé troublée s’évanouit. Elle désigne ainsi
son ennemi, à Nilakantha qui prévoit de le faire tuer le soir même, pendant
la fête. C’est un lieu commun dramatique d’inscrire un événement tragique
au sein d’un climat joyeux. Grâce à son fidèle serviteur Hadji, Lakmé, peut
avertir Gérald du danger qu’il court et lui propose de la suivre dans la forêt
où il sera à l’abri. C’est l’instant d’un échange passionné pendant lequel
Lakmé avoue ses sentiments : Je ne veux pas que tu meures... Au nom de
son honneur de soldat, Gerald refuse de fuir. Nilakantha survient et le
poignarde, le laissant pour mort. Lakmé découvre qu’il n’est que blessé et
ordonne à Hadji de l’emmener dans la forêt.
Acte III
Dans une cabane au fond de la forêt, Lakmé veille sur Gérald endormi mais
hors de danger, en chantant une sorte de berceuse, d’une grande simplicité
mélodique, comme murmurée mais qui révèle toute la force de son amour.
Avec la deuxième strophe apparaît le tambour de basque qui rythme
chaque nouvelle phrase de Lakmé, appuyant par son timbre exotique la
sensation de chanson traditionnelle. Le contre-ut final, chanté pianissimo,
ajoute à l’impression d’apaisement. Gérald s’éveille avec le sentiment de
sortir d’un songe. Il invite Lakmé à l’y suivre : Ah ! vient dans cette paix
profonde,… L’aile de l’amour a passé ! Il accepte de boire l’eau sacrée que
va chercher Lakmé car elle assure un amour éternel et la protection des
dieux. Pendant son absence, survient Frédéric qui a retrouvé la trace de son
ami. Il le conjure de recouvrer sa raison, de rejoindre son régiment et sa
fiancée. Gérald le promet.
À son retour, Lakmé perçoit un changement. Alors que le son des fifres de
la garde anglaise sonne au loin, -souvenir de Carmen ?- elle lui tend la
coupe d’eau sacrée et se détourne pour mordre dans une fleur de datura à
la sève mortelle. Elle lui dit une dernière fois son amour, Tu m’as donné le
plus doux rêve… Tandis que Gérald boit le breuvage sacré et jure à Lakmé
un amour éternel, Nilakantha surgit, et Lakmé mourante, lui révèle le lien
sacré qui la lie à l’étranger. Lakmé expire, Gérald s’effondre, tandis que
Nilakantha proclame, extasié : Elle est dans la splendeur des cieux.
Avec Lakmé, Delibes parvient à trouver sa propre voie entre opéra à numéros (des sections hermétiquement séparées les unes des autres) et mélodie
continue (aucune rupture de la mélodie). Cette position médiane lui attire
les louanges d’un critique qui relève que certains éléments musicaux sont
entendus à plusieurs moments dans l’opéra, comme le morceau des Fifres
23
ou certains thèmes liés à Lakmé. Les numéros sont ainsi perméables, sans
que le procédé de citation atteigne au systématisme wagnérien qui agaçait
le critique.
En effet, lorsque Gérald prononce le nom de Lakmé, la mélodie du duo de
l’acte I, Dôme épais…, réapparaît systématiquement. Le musicologue
Rémy Campos dit que pour Delibes, « l’aventure de la création consiste
chez lui autant à regarder en arrière qu’à risquer de sages nouveautés. »
CRÉATION ET RÉCEPTION
Deux chanteurs exceptionnels
Lakmé obtient un triomphe le 14 avril 1883, à l’Opéra-Comique, deux ans
après Les Contes d’Hoffmann d’Offenbach et un an avant la Manon de
Massenet. Dans l’assistance, on peut voir le compositeur Ambroise
Thomas, l’écrivain Alexandre Dumas fils, l’ancien directeur de l’Opéra de
Paris Emile Perrin et les librettistes Henri Meilhac et Ludovic Halévy.
C’est Jules Danbé, resté célèbre pour avoir amélioré la qualité de l’orchestre de l’Opéra-Comique où il a créé les Contes d’Hoffmann en 1881,
Manon en 1884 et Le Roi malgré lui de Chabrier en 1887, qui dirige. On
n’a pas lésiné sur la splendeur des costumes et des décors luxuriants et
colorés, qui ont coûté plus de quatre-vingt mille francs-or. Chaque acte a
été confié à un décorateur différent. Cette beauté visuelle a contribué à la
réussite de la soirée, ce qui ne
diminue en rien la qualité des interprètes.
La cantatrice américaine, Marie
Van Zandt renouvelle son exploit
réalisé dans Mignon. Les critiques
ne tarissent pas d’éloges : « Cela
n’a plus rien de terrestre, c’est une
sorte d’apparition mystérieuse, une
idole hindoue toute mignonne et
éthérée, qui semble échappée du
rêve d’un poète. » On admire la
voix d’une extraordinaire agilité même si elle manque un peu de
puissance, mais elle « donne avec
Marie van Zandt, créatrice de Lakmé.
facilité et douceur le mi suraigu »-,
24
comme les talents de la comédienne. Tout juste note-on l’accent texan dans
les dialogues. On rapporte aussi qu’elle joue parfois les enfants gâtés, ce
qui lui vaudra de se brouiller avec Léon Carvalho, directeur de l’OpéraComique, l’année suivante et elle ne chantera plus à Paris. Mais elle continuera sa brillante carrière et chantera Lakmé un peu partout dans le monde.
Le ténor Jean-Alexandre Talazac (1853-1892) impressionne également et
il est applaudi à tout rompre. Il a débuté en 1877 au Théâtre-Lyrique. Il a
créé le rôle éponyme de Jean de
Talazac, créateur de Gérald.
Nivelle, en 1880, Hoffmann -son
grand rôle d’Offenbach en 1881, le
Des Grieux de Massenet, en 1884,
et Mylio du Roi d’Ys, en 1888,
Samson de Samson et Dalila en
1890. Son répertoire s’étendait de
Mozart à Verdi (La Traviata). Il fit
une carrière internationale :
Lisbonne, Bruxelles, Londres,
Monte-Carlo admirèrent son timbre
clair et brillant, la chaleur et la puissance de sa belle voix qu’il savait
ramener aux teintes les plus suaves
de la mezza-voce. Il avait fait entrer
dans la troupe de l’Opéra-Comique,
son compatriote et ami d’enfance,
Arthur Cobalet, avec lequel il chantera régulièrement. C’est lui qui
crée le rôle du brahmane.
La critique
Malgré les esprits chagrins, Lakmé n’a pas vraiment quitté le répertoire en
France, surtout en Province, même si dans les trente dernières années, on
l’a vu plus rarement. On a tort de le réduire à son seul air des clochettes.
La partition du ténor est une des plus belles jamais écrites pour une voix
qui doit lier souplesse et vaillance dans l’aigu. Il y a surtout une parfaite
adéquation entre les airs et la situation dramatique où ils sont développés.
Les personnages sont joliment campés, même le bref rôle de Frédéric,
dont on escamote trop souvent l’humour british. On goûte aujourd’hui
encore la séduction de la grâce mélodique, l’élégance et le charme d’une
orchestration habile, délicate et ravissante, souvent subtile. La fraîcheur de
l’expression correspond à la sincérité des personnages. Si la forme reste
25
conventionnelle, elle est toujours liée à la situation dramatique. Par exemple, la couleur orientale n’est utilisée que dans les prières, les incantations,
les danses et la scène du marché, donc là où c’est nécessaire. Elle n’a pas
de fonction purement décorative.
Il est incontestable que Delibes considère que sa responsabilité de musicien
n’est pas de convaincre le public de son génie, au risque de le choquer ou
d’être incompris par lui. Son devoir est, au contraire, de lui plaire en répondant à ses attentes. Ce qui n’implique aucune démagogie de sa part : seule
la qualité d’écriture la plus soignée possible peut toucher la sensibilité de
l’auditeur et l’éveiller à la beauté de la musique. Ce qui n’est pas une tâche
simple. À propos de son ultime opéra, Kassya, Delibes confie à un
interlocuteur anonyme : « Tout compte fait, c’est en prenant beaucoup de
peine qu’on parvient à donner à la musique un ton aisé. La musique est
comme une pâte qu’il faut tenir souple en la travaillant et en la réchauffant
sans cesse, jusqu’à la mise au point la plus étudiée. »
De plus, dans les années 1880, le public parisien de l’époque, légèrement
frileux et peu réceptif aux innovations excessives, attend de l’école française qu’elle se distingue de l’école allemande et notamment du fantôme
imposant que représente Wagner, par une certaine forme d’élégance, un
sens du raffinement et surtout de l’équilibre. Ce qu’un critique a traduit par
une formule lapidaire : « Delibes est Français, il boit dans son verre, laissant aux Allemands le plaisir de boire dans leur bock. » Un autre clôt le
débat en éludant le problème : « Est-ce de la musique orientale ou de la
musique française ? C’est de la musique charmante, voilà le principal. »
Il y a quelques dissonances : on ironise sur « la colère tranquille et peu
dangereuse » des Hindous quand Nilakantha les incite à la vengeance et sur
cette Africaine « en miniature », ou sur cette « œuvre hybride, indécise,
sans personnalité où se traduit presque à chaque page l’influence de
Massenet ; œuvre pleine de romances trop souvent vulgaires, d’exotisme
conventionnel et de fausse passion. » Willy, mari de l’écrivain Colette, très
influent critique, se montre le plus catégorique en 1918 : « Lakmé a ranci.
Les mignardises de cette musique avec l’âge, deviennent fatigantes comme
les séniles minauderies de ces dames inquiétantes qui s’en vont répétant :
« Vous ne pouvez pas vous figurer comme je suis restée jeune. »
Les raisons d’un succès
Pourtant, tous les ingrédients du succès, pour l’époque, sont réunis : exotisme, amours impossibles, musique délicate et colorée, airs qui se gravent
aisément dans la mémoire, jusqu’à la caricature des Anglais (sauf Gérald
26
et Frédéric), dont les Français aiment tant se moquer. Autant de qualités
qu’on a retournées contre le compositeur et l’œuvre. Certains lui ont reproché sa facilité mélodique, dont pourtant l’inspiration ne faiblit jamais, la
vision simpliste, voire raciste, de l’Inde !
On s’en est pris à l’histoire, certes rebattue. Pourtant, elle retrouve une
forme d’actualité puisque les conflits nés de l’opposition des cultures et des
différences religieuses reprennent une regrettable actualité. Surtout, elle
renferme tous les ingrédients des grandes histoires d’amour restées indémodables, comme celle de Tristan et Isolde ou de Roméo et Juliette :
l’amour qui se heurte à un interdit social, religieux ou clanique, le filtre que
l’on boit pour s’assurer un amour éternel (Juliette boit une drogue pour
échapper au mariage qu’on veut lui imposer et pouvoir retrouver Roméo),
la mort ou la séparation prématurée des amants.
Cela ne suffirait pas sans la poésie du récit. En dehors de celui d’un exotisme suranné, a-t-on suffisamment remarqué que le personnage de Gérald
évolue comme dans un rêve, d’un bout à l’autre de l’histoire, que Lakmé
est d’abord une chimère, sortie tout droit de la contemplation des bijoux.
Elle est plus un rêve désincarné qu’un être de chair. Quand Gérald reprend
connaissance, après sa blessure, il se souvient de l’avoir vue dans une
demi-conscience : loin de revenir à la vie réelle, il souhaite retourner, en
compagnie de Lakmé, dans cet engourdissement bienheureux, « pour
oublier le monde » et goûter « cette paix profonde ». La jeune femme a
plus le sens des réalités. Elle aussi a fait « le plus doux rêve » mais « pour
qu’il s’achève », elle doit quitter, seule, la vie. Gérald ne serait-il pas le
plus exotique des deux ? A moins qu’il n’incarne le rêve d’un Occidental :
s’approprier un Orient dont il ne voit pas la réalité et qui ne peut que lui
échapper un jour.
En 1950, Carmen était l’œuvre la plus fréquemment donnée à l’OpéraComique, suivie par Werther, Manon et Tosca. Lakmé était à la cinquième
place pendant la première moitié du XXème siècle, devancée par La Bohème
(1898), et Louise (1900). Lakmé est jouée en 1885, à Londres, par sa créatrice, Marie van Zandt. Bernard Shaw juge que Lakmé fut représenté non
pour ses mérites mais pour sa convenance avec le talent de Marie van
Zandt, ajoutant que c’était de la musique vraiment française, donc rien qui
puisse intéresser un critique sérieux. Il fallut attendre 1910 et Luisa
Tetrazzini pour que Lakmé soit donnée au Covent Garden, avant de disparaître du répertoire anglais. Même brève apparition aux États-Unis,
jusqu’aux années 1930 et 40 où Lily Pons chanta 49 représentations sur 52
au Metropolitan Opera. L’opéra quitta ensuite l’affiche. Les créations tar27
dives à Vienne en 1904, à Buenos Aires en 1913, à la Scala en 1916, montrent que l’œuvre s’exporte mal, sauf artistes exceptionnels. Le rôle principal convient aux voix françaises d’où la limitation de ce répertoire à la
France, comme pour Louise. La reconnaissance internationale Delibes a
toujours été celle du compositeur de ballet.
Delibes est élu à l’Institut, en 1884, au fauteuil de Victor Massé. Il publie
en 1887 des mélodies, comme Les Filles de Cadix qui reste un air de bravoure pour les sopranos légers. Le 16 janvier 1891, il meurt, frappé d’une
congestion. Il laisse un opéra inachevé, Kassya, terminé par Jules
Massenet, et créé en 1899.
Ce compositeur reste dans les mémoires comme un maître de la tradition
musicale française, légère et mélodieuse. Il avait la réputation d’être un
homme aimable. Il a construit son œuvre à son image.
À LIRE
Lakmé, L’Avant-Scène Opéra n°183, Paris, Editions Premières loges, 1998.
COQUIS, André, Léo Delibes, sa vie et son œuvre (1836-1891), Paris :
Richard Masse, 1957.
KAMINSKI, Piotr, Mille et un opéras, Fayard, 2003.
LACOMBE, Hervé Les Voies de l’opéra français au XIXème siècle, Paris,
Fayard, 1997.
PAVIE, Théodore, Scènes et récits des Pays d’outre-mer, Paris, Michel
Lévy, 1853, p. 76-102. Accessible sur le site Gallica de la Bibliothèque
Nationale de France :
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k56200497.r=Pavie%2C+Th%C3
%A9odore.langFR
À ÉCOUTER ET À VOIR
Même si, dans la première moitié du XXème siècle, Lakmé est souvent
programmé à l’Opéra-Comique, il n’y a aucun enregistrement intégral en
français avant la version de 1952, chez Decca. On dispose jusque-là, dans
les années 1920-30, d’airs isolés ou de duos, avec Miguel Villabella,
Charles Friant, Georges Thill (Gérald), Germaine Feraldy, Solange
Delmas, Yvonne Gall, et même Maria Callas (Lakmé), André Pernet,
impressionnant Nilakantha.
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Versions abrégées
Elles ne sont guère plus nombreuses : Malibran a republié récemment une
version, dirigée par Jésus Etcheverry, parfait connaisseur de l’opéra français avec Alain Vanzo, Renée Doria et Adrien Legros, parue chez Vega en
1961, bon exemple des distributions que l’on pouvait entendre à l’OpéraComique, diction et technique impeccables. EMI réunit, sous la baguette
de Georges Prêtre, en 1962, Nicolas Gedda, Gérald racé, Gianna d’Angelo,
Lakmé charmante, Ernest Blanc, magistral dans le rôle du brahmane. La
réédition en CD se trouve dans un coffret EMI, Dix opéras français. Les
années Pathé. On ne saurait oublier le couple canadien, à la ville comme
au disque, formé par le grand mozartien Léopold Simoneau et Pierrette
Alarie. Ils ont enregistré, en 1954, les airs et les duos des deux rôles principaux, avec Pierre Dervaux et André Jouve, republiés chez Philips. Tous
deux sont de parfaits stylistes et font ressortir toute la délicatesse de l’écriture de Delibes.
Intégrales en monophonie
La première intégrale, réalisée en studio, est en fait en langue russe et date
de 1946, avec la Lakmé de Nadezhda Kazantseva et l’impeccable Gérald
de Sergei Lemeshev : une fois passé l’exotisme de la langue russe, on
goûte une rare leçon de chant… français. Mais, en langue originale, la
primeur revient à la version, de 1952, avec le chœur et l’orchestre de
l’Opéra-Comique, republiée par Decca, à partir des matrices originales.
Cette version est dirigée par Georges Sébastian (1903-1989). Ce chef
d’orchestre d’origine hongroise, qui travailla avec Bruno Walter, établit
d’entrée une tonalité de sombre grandeur et d’exotisme luxuriant, ce qui ne
l’empêche pas de laisser percer l’humour des scènes avec les protagonistes
anglais. Il sait donner vie et mouvement à l’ensemble. Le ténor suisse
Libero de Luca, par ailleurs Werther, Des Grieux, Alfredo, ne rend pas le
côté rêveur de Gérald et la voix a des raideurs déplaisantes. Jean Borthayre
campe un Nikalantha orgueilleux et vengeur, au timbre chatoyant. À noter
le (trop) suave Frédéric de Jacques Jansen, bien chantant mais qui manque
un peu d’humour britannique. C’est la seule intégrale d’opéra officielle de
Mado Robin. Le réalisateur, John Culshaw, qui devait produire, notamment, la Tétralogie de Wagner, dirigée par Georg Solti, ne se montre pas
tendre avec la soprano dont il reconnaît l’étonnante étendue de la voix et la
grande agilité mais dont il regrette l’absence d’expression. L’auteur de ces
lignes, qui a entendu Mado Robin, à la fin des années 1950 sur scène, en
garde un autre souvenir. D’abord celui d’une voix qui semblait jaillir sans
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le moindre effort, même dans le registre le plus élevé et celui d’une artiste
en empathie avec son public. Si bien que l’on oubliait qu’elle ne fut point
une grande comédienne -s’en souciait-on à l’époque ?- mais elle imposait
sa présence, faite de simplicité et de sincérité, ce qui allait droit au cœur du
public et lui faisait croire à son personnage. S’agissant de Lakmé, il y avait
une indéniable adéquation entre la pureté de son timbre, à la tonalité
presque enfantine, et la jeunesse de son personnage et sa naïve et absolue
loyauté. On retrouvait le sens original du terme chant, carmen, incantation
magique qui faisait pénétrer l’auditeur dans un monde d’enchantement
absolu, auquel n’étaient pas étrangers ses fameux contre-mi, contre-fa (de
la Reine de la Nuit) et un ré au-dessus du contre-ré, aigus toujours harmonieux, d’une sonorité pleine et ronde, mais qui posaient des problèmes aux
ingénieurs du son de l’époque. Pour ces auditeurs privilégiés, il y aura toujours celles qui chantent Lakmé, souvent excellemment, et celle qui était
Lakmé, Mado Robin. Elle le vivait ainsi, comme elle le confessait, sans la
moindre forfanterie : « Quand je chante Lakmé, je suis Lakmé de tout mon
cœur, et quand elle meurt, j’ai vraiment la sensation de mourir avec elle. »
On se risquera à suggérer que, peut-être, le fait qu’elle ait épousé, à 18 ans,
un bel Anglais qui devait disparaître prématurément dans un accident de
voiture, a contribué à renforcer cette identification. Mado Robin chanta
Lakmé pour la première fois en 1946, à 28 ans, à l’Opéra-Comique. Elle
devait participer, dans cette salle, à la 1500ème, le 29 décembre 1960, jour
de son quarante-deuxième anniversaire, mais elle succomba le 10 décembre précédent à un cancer. La représentation, qui lui fut dédiée, eut lieu
avec Mady Mesplé entourée par Alain Vanzo et Michel Roux.
On a également publié, chez Rodolphe, une bande de radio de 1955, avec
quelques coupures, avec une Mado Robin égale à elle-même, l’excellent
brahmane de Pierre Savignol, et un Gérald Charles Richard, un peu frustre. La direction de Jules Gressier est inutilement brutale.
On retrouve, en 1961 (Malibran), Savignol et Alain Vanzo, à son meilleur,
avec Denise Boursin, qui a chanté Lakmé souvent, au timbre assez proche
de celui de Robin, mais sans ses dons exceptionnels, tous dirigés par un
Pierre-Michel Leconte très dynamique. L’intérêt est d’entendre le meilleur
Gérald de sa génération, quelques années avant son intégrale en stéréo,
enregistrée chez Decca en 1968.
Versions stéréophoniques
Dans cette dernière version, la Lakmé de Joan Sutherland est assez exotique pour des oreilles françaises : la voix n’a rien à voir avec celle d’une
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très jeune fille et sa diction très relâchée ajoute au dépaysement. Reste la
parfaite maîtrise de la technique vocale, même si l’air des clochettes est
baissé d’un demi-ton. Les moments les plus élégiaques sont finement ciselés et elle se montre très vaillante dans les moments de forte tension. On
est souvent plus du côté de Bellini que de Delibes. La voix d’Alain Vanzo
a un peu perdu son côté juvénile mais elle a gardé ses accents charmeurs et
la souplesse des demi-teintes. Gabriel Bacquier campe un Nilakantha,
menaçant à souhait, il exprime plus l’autorité que l’inquiétude d’un père.
Les aigus sont parfois un peu tendus, mais le personnage est crédible.
Richard Bonynge, bon connaisseur de la musique française tire le maximum de l’orchestre de Monte-Carlo et, la stéréo aidant, fait rutiler toutes
les couleurs et révèle les timbres les plus variés de la musique de Delibes.
Quoi que l’on pense de cette version, il faut être reconnaissant à ce chef et
à la Stupenda d’avoir défendu et fait triompher cet opéra en Amérique
comme en Australie.
On retrouve, en 1970, chez EMI, une distribution française avec Mady
Mesplé, qui a longtemps chanté ce rôle. Elle a mûri le personnage, mais sa
voix, elle le reconnaît elle-même, a des côtés métalliques qui passent parfois mal au disque. Charles Burles pâlit à côté de Vanzo, Roger Soyer est
stylé, la voix est belle mais on ne croit pas un instant à son personnage.
Alain lombard fait une lecture qui tend vers le grand opéra, ce qui alourdit
parfois certains passages. Chez le même éditeur, en 1997, Natalie Dessay,
qu’on a pu entendre à Nancy en 1996, grave une nouvelle version. C’est
pour elle que l’Opéra-Comique a remonté Lakmé, longtemps délaissée, en
1995. On connaît les qualités d’interprétation de la soprano. Alors au début
sa riche carrière, elle possède la voix du rôle qui se prête à toutes les
inflexions qu’elle apporte à son personnages. Elle trouve en José Van Dam,
un parfait alter ego : beauté du chant et incarnation d’un personnage fort
mais blessé. Il donne une grande humanité à son Nilakantha, plus torturé
qu’effrayant. L’américain Gregory Kunde a le style et la diction qui
conviennent au rôle, un timbre assez séduisant, mais le chant semble précautionneux et manque de la fièvre qui ferait croire à sa passion. On
connaît la probité musicale de Michel Plasson, à la tête de l’orchestre du
Capitole de Toulouse, attentif à faire ressortir toutes les nuances de la
musique, au risque de ralentir à l’excès le tempo. Notons dans le petit rôle
d’Ellen, Patricia Petitbon et dans celui d’Hadji, Charles Burles !
Versions prises sur le vif
Les versions live ne sont pas légion. Il faut signaler celle, historique avec
la Française Lily Pons qui a imposé l’ouvrage au Metropolitan Opera (The
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Golden Age). On en a un témoignage qui date de 1940, dirigé par Wilfrid
Pelletier. Il faut passer sur la qualité technique d’une prise de radio de cette
époque et accepter une conception de l’œuvre qui a évolué. Cependant Lily
Pons se montre convaincante et le Nilakantha de Ezio Pinza est superbe.
On trouve sous différentes étiquettes, Nuova Era notamment, la réalisation
du Festival de Martina Franca (1991) avec Alessandra Ruffini, Giuseppe
Morino, Bruno Pratico, sous la direction de Carlos Piantini. Le public semble beaucoup aimer, mais les accents sont à couper au couteau, le ténor a
une curieuse émission de voix. Seul Nilakantha reste acceptable.
Il ressort de toutes ces auditions que sans une grande Lakmé et un bon
Gerald l’œuvre est dénaturée et perd son charme. Il est rare d’avoir ce couple parfait. Dommage que Mado Robin n’ait pas pu enregistrer avec Vanzo
vers 1960. Il reste quatre grandes Lakmé : Mado Robin, Mady Mesplé,
Joan Sutherland, Natalie Dessay. Le choix est large pour Nilakantha mais
on regrette qu’Ernest Blanc n’ait pas fait l’intégrale. Quant à Gerald, Vanzo
reste insurpassé par la séduction du timbre et l’art du chant.
DVD
Il a existé une version filmée à l’opéra de Sydney, avec Joan Sutherland en
1976, sous la direction de Richard Bonynge. Elle n’est plus disponible. En
2012 a paru, sous le label Opera Australia, tournée dans les mêmes lieux,
une prise directe, avec Emma Matthews dans le rôle-titre, Aldo di Toro en
Gérald, Stephen Bennett en Nilakantha, sous la direction d’Emmanuel-Joel
Hornak, dans une mise en scène de Roger Hodgman. Le spectacle joue à
fond sur la luxuriance des costumes et des décors. La soprano est connue
par les retransmissions d’Opera Australia au cinéma. On a pu l’applaudir
cette année dans La Traviata. L’ensemble se laisse voir et écouter agréablement.
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Mado Robin
Lakmé
de Léo Delibes
L’animation concernant la présentation de Lakmé aura lieu le samedi
16 novembre 2013 à 16 heures, salle Ambroise-Thomas de l’Opéra-Théâtre
de Metz Métropole. Philippe Leider, conférencier, chef de chœur, spécialiste
de Massenet, assurera la conférence. Entrée libre.
Les représentations de l’opéra Lakmé auront lieu les vendredi 22 novembre
2013 à 20h, dimanche 24 novembre 2013 à 15h et mardi 26 septembre
2013 à 20h.
Une demi-heure avant chaque représentation, un « amuse-bouche », brève
présentation de l’œuvre, a lieu dans la salle Ambroise-Thomas. Entrée libre.
Opéra-comique en actes en trois actes
Livret d’Edmond Gondinet et Philippe Gille
La distribution
Nouvelle production de l’Opéra-Théâtre de Metz Métropole
En coproduction avec le Theater Bonn
Direction musicale : Jacques Mercier
Scénographie Benoît : Dugardyn*
Chorégraphie : Élodie Vella
Mise en scène : Paul-Émile Fourny
Costumes Giovanna : Fiorentini
Lumières : Patrice Willaume
Lakmé, Mélanie Boisvert*
Gérald, Mirko Roschkowski*
Hadji, Antoine Chenuet*
Frédéric, Jean-Luc Ballestra*
Rose, Pauline Claes*
Nilakantha, Nicolas Cavallier
Mallika, Carine Séchaye
Ellen, Charlotte Dellion*
Mistress, Benson Laure André
Chœur et Ballet de l’Opéra-Théâtre de Metz Métropole
Orchestre National de Lorraine
* Pour la première fois à l’Opéra-Théâtre de Metz Métropole
Couverture :
Directeurs de la publication :
Fleur sacrée de lotus bleu
Jean-Pierre Vidit, président et
Danielle Pister, première vice-présidente
Adresse postale du Cercle Lyrique de Metz : B.P. 90261 - 57006 Metz Cedex 1
Adresse du site : www.associationlyriquemetz.com
Email : contact@associationlyrique.com
Composition graphique et impression : Co.J.Fa. Metz tél. 03 87 69 04 90 info@cojfa.net.
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