Peregrino Proteo Peregrino Proteo (en griego, Περεγρῖνος Πρωτεύς; c. 95 – 165 d. C.) fue un filósofo griego cínico, oriundo de Pario, ejerció su actividad en Misia. Después de haber salido de su casa cuando era joven, vivió primero con los cristianos de Palestina. Luego fue expulsado de esta comunidad y adoptó el estilo de vida de un filósofo cínico. Finalmente, se instaló en Grecia. Se suicidó haciendo su propia oración fúnebre e incinerándose a él mismo sobre una pira funeraria durante los Juegos Olímpicos de 165 d. C. En 180 d.C., una estatua de Peregrino fue erigida en su ciudad natal, Pario. Se cree que esta estatua tenía poderes oraculares. Biografía Existe sólo un relato de la vida de Peregrino y este es el de Luciano de Samosata, en su sátira, La muerte de Peregrino (en latín, De Morte Peregrini). Aunque es una crítica a Peregrino, algunos hechos de su vida pueden ser extraídos del relato. Peregrino nació en Pario, en 95 d. C. De joven, fue sospechoso de parricidio, y tuvo que huir de su casa natal. Durante su vagabundeo, llegó a Palestina, se acercó a la comunidad cristiana y consiguió un puesto que le dio cierta autoridad. Cumplió una pena carcelaria bajo la administración romana, durante la cual los cristianos le ayudaron mucho. Habría esperado ser martirizado, pero el gobernador de Siria le soltó. Parece que en este momento se convierte en cínico, ya que volvió a su casa en Pario, renunció a su herencia y donó todo su dinero al pueblo de su ciudad natal. Reanudó su vida de vagabundo, manteniendo al principio relaciones cercanas con los cristianos, pero finalmente les ofendió y fue expulsado de la comunidad. Fue a Egipto para estudiar con el famoso cínico Agatobulo donde aprendió el duro ascetismo de la secta. Fue a Roma, donde empezó una campaña contra el abuso de autoridad de las autoridades romanas, y especialmente contra el emperador Antonino Pío. Se granjeó algunos discípulos entre el pueblo. Aunque fue tolerado al principio, fue finalmente expulsado por el prefecto de la ciudad. Fue después a Elis, en Grecia, donde continuó su predicación anti-romana. Durante los Juegos Olímpicos (153 o 157 d. C.), Peregrino maltrató al acaudalado filántropo Herodes Ático, por lo cual la muchedumbre habría atacado Peregrino, quien tuvo que refugiarse en el templo de Zeus. En Atenas, Peregrino se dedicó al estudio y a la enseñanza de la filosofía consiguiendo muchos alumnos, entre los cuales se encontraba Aulo Gelio. Durante los Juegos Olímpicos de 161 d. C, anunció que iba a incinerarse durante siguientes los Juegos Olímpicos: Dijo que quería añadir una contera de oro sobre una vida dorada; el que había vivido como Heracles debía morir como Heracles y mezclarse con el éter. «Y deseo», dijo Peregrino, «ayudar a la humanidad, mostrándole que cada uno debería no preocuparse por la muerte; por eso todos los hombres deben ser mi Filoctetes». Cumplió su promesa : la última noche de los Juegos Olímpicos de 165 d. C., se inmoló sobre una pira funeraria situada 20 estadios (3,7 kilómetros) al este de Olimpia. Luciano de Samosata, quien estaba presente, fue testigo del acontecimiento, después de haber oído a Teagenes de Patras, el más ferviente de los discípulos de Peregrino, elogiar las intenciones de su maestro. Es difícil de reconstituir las motivaciones propias de Peregrino a propósito de los acontecimientos de su vida, porque Luciano, por razones generales o personales, presenta una opinión hostil de Peregrino. Según Luciano, Peregrino estranguló a su padre; se volvió cristiano para enriquecerse; fue encarcelado para aumentar su notoriedad; donó su herencia para ganar el favor del pueblo de su ciudad natal; fue discípulo de Agatobulo para volverse más obsceno; atacó los romanos para volverse famoso; y se mató él mismo para volverse infame. AULU-GELLE, Nuits attiques. Livre XII. XI XI. C'est tromper que de commettre une faute dans l'espoir qu'elle restera ignorée ; le voile qui la couvre est tôt ou tard déchiré. Dissertations du philosophe Pérégrinus à ce sujet. Pensée du poète Sophocle. J'ai connu à Athènes le philosophe Pérégrinus que l'on sur nomma dans la suite Protée : c'était un de ces hommes aux moeurs graves, à l'âme constante. Il habitait une chaumière hors des murs d'Athènes ; j'allais souvent le visiter, car sas entretiens étaient pleins de noblesse et d'utilité. Mais ce que j'ai recueilli de plus remarquable de sa bouche, le voici : « Il disait que le sage ne pécherait pas, même avec la certitude que sa faute serait ignorée des hommes et des dieux. L'homme, selon lui, devrait être retenu, non par la crainte du châtiment ou de l'infamie, mais par l'amour du juste et de l'honnête, par le sentiment du devoir. Les hommes, ajoutait-il, qui n'ont pas reçu de tels principes, soit de la nature, soit de l'éducation, et qui n'ont pas assez d'empire sur euxmêmes pour s'abstenir du mal, seront tous enclins à pêcher, lorsqu'ils pourront espérer le secret et l'impunité. Mais si les hommes savaient que rien ne peut rester longtemps caché, ils seraient alors détournés du mal par la honte. Aussi le philosophe pensait qu'il faudrait sans cesse avoir à la bouche ces vers de Sophocle, le plus sage des poètes : Ainsi, ne cache rien ; car le temps, qui voit tout et entend tout, révèle tout. Un autre poète ancien, dont le nom m'échappe en ce moment, a dit que « la vérité est fille du temps. » LUCIEN, LXVIII, Sur La Mort De Péregrinus (01). LUCIEN A CRONIUS (02), SALUT. 1. L'Infortuné Pérégrinus, ou plutôt Protée, comme il aimait à se faire appeler, vient d'éprouver le même sort que le Protée d'Homère (03). Il s'était déjà fait toutes sortes de choses par amour pour la gloire, il avait pris mille formes différentes; enfin il s'est changé en feu; tant sa passion était ardente: le voilà converti en charbon, l'excellent homme, à la façon d'Empédocle. Seulement ce dernier a eu soin que personne ne le vit se précipiter dans les cratères de l'Etna, tandis que notre héros a choisi l'assemblée la plus nombreuse de la Grèce, pour monter sur un bûcher des plus hauts, en présence d'une foule de témoins, et après avoir tenu de beaux discours aux Grecs sur cette entreprise, quelques jours avant de la mettre à exécution. 2. Il me semble que je te vois éclater de rire de l'idée quinteuse de ce-vieillard ; je t'entends même t'écrier, comme de juste: "Quelle extravagance ! Quel triste amour de la gloire !" et les autres exclamations usitées en pareil cas. Mais ce n'est que de loin et sans te compromettre que tu parles de la sorte. Eh bien! moi, c'est au pied même du bûcher que j'ai dit ce que je pensais, et devant une foule.de témoins, choqués de ma franchise et pleins d'admiration pour la folie de ce vieillard imbécile. Quelques-uns, il est vrai, se moquaient de lui: mais peu s'en est fallu que je ne fusse mis en pièces par les Cyniques, comme Actéon le fut autrefois par ses chiens, et son cousin Penthée par les Ménades. 3. Voici d'ailleurs l'analyse de la pièce. Tu connais le poète, tu sais qu'il a joué la tragédie toute sa vie, à détrôner Sophocle et Eschyle. A peine arrivé à Élis, et traversant le gymnase, j'entends un cynique qui, d'une voix forte et rude, débitait sur la vertu des lieux communs vulgaires et ressassés, et insultait indifféremment tout le monde. Il se mit ensuite sur le chapitre de Protée. Or, je vais essayer de te rendre, autant que possible, tout ce qu'il a dit sur ce sujet. Tu le reconnaîtras, j'espère, à son style, car tu as maintes fois entendu ces sortes de braillards. 4. "Protée, dit-il, est accusé par certains d'un fol amour de gloire. O terre, ô soleil, ô fleuves, ô mer, ô Hercule, notre patron ! Protée , qui dans la Syrie a souffert la prison; qui dans sa patrie a abandonné plus de cinq mille talents (04); qui s'est fait exiler de Rome; Protée, plus brillant que le soleil, et qui pourrait le disputer à Jupiter Olympien! Parce qu'il veut sortir de cette vie par le feu, on l'accuse de forfanterie! Hercule n'en at-il pas fait autant? Esculape et Bacchus n'ont-ils pas été brûlés par la foudre? Empédocle ne s'est-il pas jeté dans les cratères?" 5. Ainsi parlait Théagène, c'est le nom de ce criailleur. Je demande à l'un des assistants ce qu'il veut dire avec son feu, ce qu'il peut y avoir de commun entre Protée, Hercule et Empédocle. "C'est, me répond-il, qu'avant peu Protée doit se trouver aux jeux olympiques. - Comment , lui dis-je, et pour-quoi?" Il allait me répondre, lorsque le cynique se met à tempêter si fort que je ne pus entendre autre chose. Il me fallut donc écouter le reste de sa harangue, et ses digressions hyperboliques au sujet de Protée. Dédaignant, en effet, de le mettre en parallèle avec le philosophe de Sinope, ou son maître Antisthène, il l'élevait au-dessus de Socrate, et appelait même Jupiter à soutenir la comparaison. Il finit cependant par les mettre sur la même ligne, et il conclut en ces mots 6. "Il a été donné à l'univers de contempler deux chefs-d'oeuvre, Jupiter Olympien et Protée. L'ouvrier, l'artiste qui a produit l'un est Phidias, l'autre est sorti des mains de la nature. Mais hélas! cet ornement du monde va passer de l'humanité au séjour des dieux sur les ailes du feu, et nous laisser orphelins. Après avoir prononcé ces paroles tout en sueur, il se met à pleurer d'une façon ridicule et à se tirer les cheveux, ayant bien soin de ne pas les arracher. Cependant on emmène le cynique au milieu de ses sanglots, et en faisant mine de le consoler. 7. Mais voilà qu'aussitôt il en monte à la tribune un autre qui ne donne pas le temps à la foule de s'écouler, et qui verse à son tour sa libation sur les entrailles toutes chaudes encore. Son exorde fut de rire à gorge déployée et de se donner l'air de le faire de bon cœur; puis il débuta par ces mots: "Puisque ce coquin de Théagène a terminé sa pitoyable harangue par les pleurs d'Héraclite, il est juste que je commence la mienne en riant comme Démocrite." Après quoi il se mit à rire de plus belle, de manière à nous entraîner tous à en faite autant. 8. Enfin reprenant son sérieux : "Qu'avons-nous de mieux a faire, citoyens, dit-il, après les discours ridicules que nous venons d'entendre, et en voyant les folies de vieillards auxquels il ne manque, pour satisfaire leur gloriole extravagante, que de faire des culbutes en pleine assemblée ? Mais pour que vous sachiez quel est cet ornement du monde, qui doit se cuire aujourd'hui, écoutez-moi: je connais depuis longtemps son humeur, et je suis au courant de sa vie. C'est de la bouche de ses compatriotes que je tiens la plupart de ces détails, et force leur a été de le bien connaître. 9. Cette pièce merveilleuse, ce chef-d'œuvre de la nature ce canon de Polyclète (05), était à peine arrivé à l'âge d'homme qu'il fut surpris en adultère dans une ville d'Arménie. Il est roué de coups, s'échappe en sautant d'un toit, et s'enfuit emportant un raifort dans le derrière (06). Quelque temps après, il corrompt un joli garçon et n'obtient qu'en payant à la famille, qui était pauvre, une somme de trois mille drachmes, de ne pas être dénoncé au gouverneur d'Asie. 10. Mais je n'insiste pas sur ces gentillesses et autres semblables: il n'était encore qu'une masse informe d'argile, et non le chef-d'œuvre admirable d'un artiste consommé. Cependant, ce qu'il a fait à son père vaut la peina d'être mentionné. Vous savez tous, on vous a dit comment il a étouffé ce bonhomme, qu'il lui peinait de voir vieillir passé soixante ans. L'affaire s'étant répandue, il s'enfuit, se condamne à un exil volontaire et se met à errer de pays en pays. 11. Ce fut vers cette époque qu'il se fit instruire dans l'admirable religion des Chrétiens, en s'affiliant en Palestine avec quelques-uns de leurs prêtres et de leurs scribes. Que vous dirai-je? Cet homme leur fit bientôt voir qu'ils n'étaient que des enfants; tour à tour prophète, thiasarque, chef d'assemblée, il fut tout à lui seul, interprétant leurs livres, les expliquant, en composant de son propre fonds. Aussi nombre de gens le regardèrent-ils comme un dieu, un législateur, un pontife, égal à celui qui est honoré en Palestine, où il fut mis en croix pour avoir introduit ce nouveau culte parmi les hommes (07). 12. Protée ayant donc été arrêté par ce motif, fut jeté en prison. Mais cette persécution lui procura pour le reste de sa vie une grande autorité, et lui valut le bruit d'opérer des miracles et d'aimer la gloire, opinion qui flattait sa vanité. Du moment qu'il fut dans les fers, les Chrétiens, se regardant comme frappés en lui, mirent tout en oeuvre pour l'enlever ; mais ne pouvant y parvenir, ils lui rendirent au moins toutes sortes d'offices avec un zèle et un empressement infatigables. Dès le matin, on voyait rangés autour de la prison une foule de vieilles femmes, de veuves et d'orphelins. Les principaux chefs de la secte passaient la nuit auprès de lui, après avoir corrompu les geôliers : ils se faisaient apporter toutes sortes de mets, lisaient leurs livres saints; et le vertueux Pérégrinus, il se nommait encore ainsi, était appelé par eux le nouveau Socrate. 13. Ce n'est pas tout; plusieurs villes d'Asie lui envoyèrent des députés au nom des Chrétiens, pour lui servir d'appuis, d'avocats et de consolateurs. On ne saurait croire leur empressement en de pareilles occurrences: pour tout dire, en un mot, rien ne leur coûte. Aussi Pérégrinus, sous le prétexte de sa prison, vit-il arriver de bonnes sommes d'argent et se fit-il un gros revenu. Ces malheureux se figurent qu'ils sont immortels et qu'ils vivront éternellement. En conséquence, ils méprisent les supplices et se livrent volontairement à la mort. Leur premier législateur leur a encore persuadé qu'ils sont tous frères. Dès qu'ils ont une fois changé de culte, ils renoncent aux dieux des Grecs, et adorent le sophiste crucifié dont ils suivent les lois. Ils méprisent également tous les biens et les mettent en commun, sur la foi complète qu'ils ont en ses paroles. En sorte que s'il vient à se présenter parmi eux un imposteur, un fourbe adroit, il n'a pas de peine à s'enrichir fort vite, en riant sous cape de leur simplicité. 14. Cependant Pérégrinus est bientôt délivré de ses fers par le gouverneur de Syrie, amateur de philosophie, et qui savait notre cynique assez fou pour se livrer à la mort dans le dessein de s'illustrer. Il le fait mettre en liberté, ne le jugeant digne d'aucune punition. Celui-ci, de retour dans sa patrie, trouve les esprits encore tout échauffés du meurtre de son père et nombre de gens prêts à le poursuivre en justice. La plus grande partie de ses biens avait été pillée durant son absence; il ne lui restait plus que des champs de la valeur de quinze talents environ; ce qui, joint à l'avoir que lui laissait son vieux père, lui composait une somme d'à peu près trente talents, et non pas cinq mille, comme l'a dit ce fou de Théagène: car avec cette somme on pourrait acheter la ville entière de Parium (08) et cinq de ses voisines, y compris les habitants, les bestiaux et toutes les dépendances. 15. Ainsi l'effervescence n'était point calmée, mais l'accusation devenait imminente, et il allait, avant peu, s'élever quelque orateur contre lui. Le peuple témoignait hautement son indignation: on plaignait ce bon vieillard, que tout le monde connaissait, d'avoir été si affreusement mis à mort. Mais voyez comment le prudent Protée trouve moyen de parer à tout et d'éviter le danger. Il s'avance dans l'assemblée de ses compatriotes, les cheveux longs, enveloppé d'un mauvais manteau, une besace sur l'épaule, un bâton à la main, en vrai costume de tragédie. Affublé de la sorte, il déclare qu'il leur abandonne tout le bien que lui a laissé son vénérable père, qu'il en fait un don public. A ces mots, tout le peuple, gens pauvres et toujours avides de largesses, se met à jeter des cris: "Vive le philosophe! vive le patriote! vive le rival de Diogène et de Cratès!" Cependant les ennemis de Pérégrinus ont la bouche close; et, si quelqu'un eût essayé alors de parler du meurtre, il eût été lapidé sur-le-champ. 16. Pérégrinus reprend donc sa vie errante, accompagné dans ses courses vagabondes par une troupe de chrétiens qui lui servent de satellites et subviennent abondamment à ses besoins. Il se fit ainsi nourrir pendant quelque temps. Mais ensuite ayant violé quelques-uns de leurs préceptes (on l'avait vu, je crois, manger d'une viande prohibée), il fut abandonné de son cortège et réduit à la pauvreté. Il imagine alors, en manière de palinodie, de redemander à sa ville natale la donation qu'il lui avait faite, et il présente à l'empereur une requête à l'effet d'obtenir que ses biens lui soient restitués sur son ordre. Mais ses compatriotes avaient, de leur côté, envoyé une députation qui rendit sa réclamation inutile; et il fut sommé de laisser les choses dans l'état où elles étaient, vu que sa donation était toute volontaire. 17. Un troisième voyage, entrepris par lui à cette époque, le conduit en Égypte auprès d' Agathobule, qui l'initia à la belle profession qu'il exerce aujourd'hui. La tête à moitié rasée, le visage barbouillé de boue, il n'a pas honte de porter les mains sur lui-même au milieu d'une nombreuse assemblée et d'accomplir un acte que les Cyniques osent qualifier d'indifférent; il se frappe ou se fait frapper le derrière avec une férule, et commet mille autres indécences. 18. Quand il s'est bien formé à cette école, il s'embarque pour l'Italie. A peine hors du vaisseau, il se met à injurier tout le monde, et particulièrement l'empereur (09), dont il connaît assez la bonté et la clémence, pour ne pas craindre les suites de son audace. Or, l'empereur, on le comprend sans peine, méprise ses invectives et ne croit pas devoir punir pour des mots un prétendu philosophe, qui d'ailleurs, en sa qualité de cynique, fait profession de dire des injures. Ce fut toutefois pour cet homme une occasion d'accroître sa renommée. Déjà même il se trouvait des niais pour admirer son extravagance, lorsque le gouverneur de la ville, en magistrat prudent, le voyant passer toutes les bornes, le renvoya en disant que Rome n'avait pas besoin d'un philosophe tel que lui. Néanmoins ce bannissement le rendit encore célèbre; il n'était bruit que du philosophe que sa franchise et son indépendance avaient fait exiler; on le comparait à Musonius, à Dion, à Épictète et à tous ceux qui avaient eu le même sort (10). 19. De retour en Grèce tantôt il déclame contre les Éléens, tantôt il cherche à faire armer toute la Grèce contre Rome. Il y avait un personnage éminent par son savoir et par sa considération (11), qui, entre autres services rendus aux Grecs, avait amené des eaux à Olympie et préservé ainsi les spectateurs de mourir de soif. Pérégrinus se met à déblatérer contre lui, l'accusant d'avoir efféminé les Grecs; il valait mieux que les spectateurs des jeux olympiques souffrissent de la soif, et que la plupart d'entre eux, ma foi, fussent atteints de graves maladies, causées par cette affluence considérable et par la sécheresse du pays. Il débitait ces invectives en buvant lui-même de cette eau. Aussi manqua-t-il d'être lapidé; la foule s'élança sur lui. et notre brave philosophe ne put échapper à la mort qu'en se réfugiant auprès de Jupiter. 20. A l'olympiade suivante, il apporta aux Grecs une harangue qu'il avait composée quatre ans auparavant, en l'honneur de celui qui avait fait l'aqueduc, et pour se justifier d'avoir pris la fuite. Cependant il commençait à être négligé du peuple et cessait d'être un objet d'admiration; tous ses tours étaient usés, et il était à bout de nouveautés pour éblouir l'assistance, attirer les regards et provoquer la surprise, ce qui avait toujours été sa passion dominante. Enfin il a imaginé la fameuse affaire du bûcher et répandu parmi les Grecs, aux derniers jeux olympiques, le bruit qu'il se brûlerait aux suivants. 21. Et maintenant il met en oeuvre tous ses procédés de charlatanerie: il a creusé, diton, sa fosse, apporté le bois et fait montre d'un grand courage. Or, selon moi, il devait attendre la mort et non pas s'enfuir de la vie, ou, s'il était résolu à s'en défaire, il n'avait pas besoin de tout cet appareil tragique : il y a bien d'autres genres de mort, et il n'avait qu'à choisir dans la quantité pour s'en aller. Tenait-il à périr par le feu comme Hercule, il pouvait se rendre en silence sur une montagne boisée, et là se brûler seul, en présence de quelque Philoctète, par exemple de Théagène. Mais non, c'est à Olympie, devant une assemblée générale, qu'il veut se faire cuire comme sur une scène. Et il se rend justice, par Hercule ! en s'imposant le supplice dû aux forfaits des parricides et des athées. Seulement il s'y prend un peu tard: c'était dans le taureau de Phalaris qu'il devait depuis longtemps expier ses crimes, et non au milieu d'une flamme qui l'étouffera en un instant, dès qu'il ouvrira la bouche. En effet, beaucoup de gens m'affirment que c'est un genre de mort des plus expéditifs, et qu'à peine ouvre-t-on la bouche, on meurt. 22. Cependant il s'imagine, je crois, que ce sera un spectacle imposant de voir un homme se brûler dans un endroit consacré, où il n'est pas permis d'enterrer d'autres morts. Mais ne savez-vous pas, dites-moi, que jadis un fou (12), cherchant à s'immortaliser et ne pouvant y réussir par d'autres moyens, mit le feu au temple de Diane Éphésienne ? C'est quelque chose d'analogue que prépare notre cynique: c'est le même amour de gloire qui le fait sécher. 23. Vainement il prétend qu'il n'agit ainsi que pour le bien de l'humanité, afin d'apprendre aux hommes à mépriser la mort et à braver les tourments. Je lui demanderais volontiers, ou plutôt à vous-mêmes, citoyens : "Souhaiteriez-vous de voir les scélérats devenir ses disciples, dédaigner la mort, se faire brûler vifs et se rire de semblables frayeurs?" Non, si je vous connais bien, vous ne le voudriez pas. Comment donc Protée, par une distinction impossible, espère-t-il être utile aux bons et ne pas rendre les méchants plus audacieux et plus téméraires? 24. Supposons toutefois qu'il n'ait pour témoins que ceux auxquels un pareil spectacle peut être utile, je vous demanderai encore si vous souhaiteriez que vos enfants suivissent un pareil exemple. Non, diriez-vous. Mais à quoi bon vous faire cette question? Il n'y a pas un de ses disciples prêt à suivre les traces du maître. Il faudrait alors savoir mauvais gré à Théagène, qui se pose en imitateur des vertus de Protée, de ne vouloir pas l'accompagner pour monter avec lui près d'Hercule, tandis qu'il ne tiendrait qu'à lui d'arriver au plus vite à la félicité suprême, en s'élançant dans le feu la tête la première. Ce n'est pas, en effet, dans la besace, le bâton et le manteau, que consiste l'imitation; tout cela est peu dangereux, facile, et à la portée de tout le monde; mais c'est la fin, l'acte capital de Protée qu'il doit imiter, en se construisant un bûcher de souches de figuier aussi vertes que possible, et en se faisant étouffer par la fumée. Or, comme le feu n'est pas la propriété exclusive d'Hercule et d'Esculape, mais le partage des sacrilèges et des meurtriers, que nous y voyons tous les jours condamnés par la justice, il vaut donc mieux qu'il périsse par le feu, qui appartient en propre aux Cyniques. 25. Toutefois, lorsque Hercule s'est décidé à se brûler, un mal affreux le consumait : il était dévoré, dit la tragédie par la robe ensanglantée du Centaure. Mais Protée, quelle raison le détermine à se jeter dans le feu? Il veut, par Jupiter, faire montre de courage, à l'instar des Bracbmanes. C'est à eux, en effet, que Théagène l'a comparé; comme s'il n'y avait pas aussi dans l'Inde des fous remplis de vanité. Eh bien! qu'il les imite. Seulement ils ne s'élancent point dans les flammes, s'il faut en croire Onésicrite, amiral d'Alexandre, qui vit Calanus (13) se brûler; mais, une fois leur bûcher construit, ils se tiennent auprès, immobiles, attendant les premières atteintes du feu; après quoi, ils montent avec un maintien calme, se couchent et se laissent consumer sans faire le moindre mouvement. Qu'y aura-t-il donc de si merveilleux dans l'action de Protée, si, après s'être élancé dans le feu, il meurt aussitôt enveloppé par les flammes? D'ailleurs, il espère peut-être en réchapper moyennant quelques brûlures, à moins qu'il ne s'ingénie, comme on le prétend, de creuser une fosse profonde pour y mettre le bûcher. 26. Il y a, du reste, des gens qui assurent qu'il est prêt à changer d'avis: il raconte déjà certains songes dans lesquels Jupiter ne veut pas permettre qu'on profane un lieu consacré. Mais il peut être tranquille dé ce côté. Je suis tout disposé à jurer qu'aucun dieu ne sera fâché de voir Pérégrinus faire une fin misérable. D'autre part, il ne lui sera pas facile de se rétracter. Les Cyniques ses amis l'exhortent, le poussent au feu, lui embrasent l'esprit, et ne le laissent pas témoigner de faiblesse. Ah! s'il pouvait seulement en entraîner deux avec lui dans le feu, quand il s'y jettera, quelle action agréable il accomplirait! 27. On m'a dit encore qu'il ne veut plus qu'on l'appelle Protée, mais qu'il a changé son nom en celui du phénix, oiseau des Indes, qui se brûle quand il est arrivé à une extrême vieillesse. Il répand en même temps parmi les peuples d'anciens oracles, qui veulent qu'on le regarde, après sa mort, comme le génie tutélaire de la nuit. Il est clair qu'il demande des autels et qu'il espère qu'on lui élèvera une statue d'or. 28. Je ne crois pas impossible, du reste, qu'il se trouve parmi cette foule d'imbéciles quelques gens, qui viennent se dire guéris par lui de la fièvre quarte, et qui assurent avoir vu en songe le génie tutélaire de la nuit. Aussi, ses détestables disciples se proposent-ils déjà d'élever sur son bûcher un temple où il rendra des oracles, sous prétexte que le Protée, fils de Jupiter, et le premier du nom, était un devin fameux. Je jurerais que sous peu l'on instituera des prêtres qui mettront en avant le fouet, les brûlures et autres gentillesses; sans compter qu'on célébrera quelques mystères nocturnes, avec promenades de flambeaux autour du bûcher. 29. Théagène, d'après ce que m'a dit un de mes amis, récitait dernièrement un oracle qu'il prétendait tenir de la Sibylle, et dont voici la substance en vers (14): Lorsque Protée, orgueil de la secte cynique, Construira son bûcher près de la basilique Vouée à Jupiter, maître absolu des cieux, Et du feu montera vers le ciel radieux, Je veux que les mortels, qui rampent sur la terre, Invoquent de la Nuit ce maître tutélaire, Comme Hercule et Vulcain assis au rang des dieux. 30. Voilà ce que Théagène assure avoir entendu dire à la Sibylle. Moi, je vais vous rapporter un autre oracle de Bacis (15) sur le même sujet, où il est dit avec beaucoup de justesse : Quand le cynique, aux noms changeants comme son âme, Sautera, fou de gloire, au milieu de la flamme, Puissent les chiens-renards, qui marchent sur ses pas, Suivre ce loup, courant après un beau trépas! Et si l'un d'eux, craignant Vulcain et ses colères, S'enfuit, courez-lui sus; assommez-le de pierres, Pour que son froid orgueil cesse les chauds discours Où sa forfanterie éclate tous les jours; Quand on lui voit au dos la besace remplie D'un or, fruit de l'usure et de la vilenie, Et que sa gueuserie, étalée aux passants, Est riche dans Patras de trois fois cinq talents. "Qu'en dites-vous? Cet oracle de Bacis ne vaut-il pas celui de la Sibylle? Voici donc le moment venu pour les disciples de Protée de choisir l'endroit où ils veulent opérer leur évaporation, car c'est ainsi qu'ils appellent leur brûlement. " 31. Il dit, et l'assistance tout entière se mit à crier: "Qu'on les brûle tout de suite ! Ils ont mérité le feu!" et l'orateur descend en riant de la tribune. Mais Nestor-Théagène entendit ces clameurs, (16) il accourt et remonte à la tribune, et s'égosille à vomir mille injures contre celui qui venait de descendre, excellent homme, dont je n'ai pu savoir le nom. Pour moi, je le laissai se mettre en quatre et je m'en allai voir les athlètes. On disait, en effet, que les Hellanodices étaient dans le Pléthrium (17). Voilà ce qui se passa à Élis. 32. Lorsque nous fûmes arrivés à Olympie, l'Opisthodome (18), était rempli d'une foule de gens, les uns blâmant, les autres approuvant le dessein de Protée, à ce point qu'ils étaient près d'en venir aux mains, quand Protée lui-même s'avança, escorté d'une multitude considérable, derrière l'endroit où s'exercent les hérauts. Là il se mit à parler de sa propre personne, racontant quelle avait été sa vie, et les dangers qu'il avait courus, et tout ce qu'il avait souffert pour la philosophie. C'était un interminable récit; mais l'affluence était si grande que je n'en entendis qu'une faible partie. Ensuite, craignant d'être étouffé au milieu d'une telle cohue, comme le furent plusieurs personnes, je m'en allai, disant un long adieu à mon sophiste avide de mourir et prononçant lui-même sen oraison funèbre. 33. Je l'entendis pourtant prononcer à peu près ces paroles: qu'il voulait couronner une vie d'or par un trépas également d'or; qu'après avoir vécu comme Hercule, comme Hercule il désirait mourir, et se vaporiser dans les airs. "Je veux, ajouta-t-il, rendre, en mourant, service aux hommes et leur apprendre à mépriser la mort. Il faut donc que tous les hommes soient pour moi des Philoctètes." Les plus niais de l'assistance se mettent à larmoyer et à lui crier: "Conservez-vous pour les Grecs!" Mais d'autres plus fermes lui crient: "Finissez-en!" Ce mot ne laisse pas de troubler singulièrement le vieillard, qui espérait qu'on le retiendrait, qu'on ne souffrirait pas qu'il se jetât dans les flammes et qu'on le forcerait à rester en vie. Mais ce "Finissez-en!"qui lui tombe d'une manière aussi imprévue, le rend tout pâle, malgré sa teinte déjà cadavéreuse, le fait trembler, ma foi, et lui coupe la parole. 34. Moi cependant, comme tu dois croire, je ne me tenais pas de rire, n'ayant aucune pitié pour l'homme le plus vain de tous ceux qui ont poussé jusqu'à la manie la passion de la gloire. Comme un nombreux cortège le suivait, sa vanité eut de quoi se repaître en jetant les yeux sur la foule de ses admirateurs. Il oubliait, le malheureux, que ceux que l'on conduit à la croix, et qui sont entre les mains du bourreau, ont une suite encore plus nombreuse. 35. Cependant les jeux finirent, les plus beaux que j'eusse vus à Olympie, moi qui pourtant y ai assisté quatre fois. La rareté des voitures, occasionnée par le grand nombre des départs, me fit rester malgré moi. Protèe, qui remettait de jour en jour, finit par annoncer que la nuit suivante il donnerait le spectacle de sa cuisson. Un de mes amis étant venu me prendre, je me levai vers le milieu de la nuit, et je me rendis droit à Harpiné (19) où était le bûcher. Cet endroit est à vingt stades d'Olympie, au-dessous de l'hippodrome, quand on se dirige vers l'orient. En arrivant, nous trouvâmes le bûcher placé dans une fosse, à la profondeur d'une brasse. Il y avait un grand nombre de torches avec des sarments entrelacés pour prendre feu aisément. 36. Dès que la lune est levée, car il fallait bien qu'elle fût aussi témoin de ce bel exploit, Protée s'avance dans son costume ordinaire, entouré des sommités de la secte cynique, notamment l'illustre citoyen de Patras, qui marche, un flambeau à la main, et remplit à merveille le second rôle de la pièce. Protée aussi portait un flambeau. Arrivés au bûcher, chacun y met le feu de son côté, et il s'élève aussitôt une grande flamme, produite par les torches et le bois sec. Ici, mon cher, fais bien attention. Protée dépose sa besace, met bas sa massue d'Hercule, se dépouille de son manteau, et paraît avec une chemise horriblement sale. Il demande de l'encens pour le jeter dans le feu : on lui en donne, il le jette et dit, en se tournant vers le midi, car le midi joue aussi un rôle dans cette tragédie : "Mânes de ma mère et de mon père, recevez-moi avec bonté !" Après quoi, il s'élance dans le brasier et disparaît enveloppé par une grande flamme qui s'élève. 37. Je te vois rire encore une fois, mon cher Cronius, du dénouement de la pièce. Pour moi, quand je l'entendis invoquer les mânes de sa mère, je ne lui en voulus pas trop, ma foi; mais quand il parla de ceux de son père, je ne pus m'empêcher de rire, en me rappelant tout ce qu'on avait dit au sujet du meurtre de ce vieillard. Quant aux Cyniques, rangés autour du bûcher, ils ne pleuraient pas, mais, les yeux fixés sur la flamme, ils gardaient un silence qui peignait leur douleur. Enfin, n'y tenant plus: "Allons-nous-en, m'écriai-je, fous que nous sommes ! Ce n'est pas un agréable spectacle de voir rôtir un vieillard, et d'être infectés de ce fumet odieux. Attendez-vous qu'un peintre vienne nous le représenter comme on a fait le tableau des amis de Socrate dans la prison ?" Ces paroles les mirent fort en colère; ils me dirent des injures ; quelques-uns même levaient le bâton sur moi : mais, quand je les eus menacés de les prendre et de les jeter dans le feu pour y rejoindre leur maître, ils cessèrent et demeurèrent en paix. 38. Pour moi, mon cher ami, en m'en allant, je réfléchis, entre autres choses, à tout ce qu'a de violent l'amour de la gloire, passion à laquelle ne peuvent résister des hommes dignes d'ailleurs de notre admiration, encore moins un pareil personnage, qui, après une vie de folies et d'extravagances, méritait bien de mourir par le feu. 39. Ensuite je rencontrai une foule de gens qui allaient voir aussi ce spectacle. Ils se flattaient de trouver Protée encore en vie, le bruit s'étant répandu qu'il ne monterait sur le bûcher qu'après avoir salué le soleil levant, comme on dit que font les Brachmanes. La plupart s'en retournèrent, quand je leur eus dit que la chose était finie, excepté ceux qui ne tenaient pas tant à voir cette scène, que le théâtre où elle avait eu lieu, et qui voulaient recueillir quelque reste du feu. C'est là, mon cher ami, que j'eus beaucoup à faire, quand il fallut répondre en détail à toutes les questions et raconter le fait dans ses moindres circonstances. Quand je rencontrais un habile homme, je lui racontais, comme à toi, la simple vérité. Mais pour les imbéciles, sottement avides du merveilleux, j'ajoutais, de mon cru, quelque détail tragique: par exemple, qu'au, moment où le bûcher flambait, et que Protée s'y précipitait, il y avait eu un tremblement de terre, accompagné d'un mugissement affreux, et qu'on avait vu du milieu de la flamme s'élancer un vautour, volant vers le ciel et criant d'une voix humaine: "J'abandonne la terre et je monte vers l'Olympe." Mes gens, stupéfaits et frissonnants; se jetaient à genoux et me demandaient si le vautour s'était envolé du côté de l'orient ou de l'occident. Je leur répondais ce qui me passait par la tête. 40. Arrivé à l'assemblée, je m'arrêtai devant un homme en cheveux blancs, ma foi, et auquel sa barbe épaisse donnait un air grave et digne. Il parlait de Protée, et disait qu'un instant après s'être brûlé, ce héros lui était apparu revêtu d'une robe blanche, et qu'il l'avait laissé se promenant gaiement sous le Portique des sept échos (20), couronné d'olivier sauvage. Il ajouta l'histoire du vautour, qu'il jurait avoir vu lui-même s'envoler du milieu du bûcher, tandis que c'était moi qui lui avais donné l'essor, pour me moquer des stupides et des fous. 41. Vois par là toutes les merveilles auxquelles cet événement va donner lieu; que d'abeilles vont se réunir, que de cigales vont se rassembler, que de corneilles vont s'abattre, comme autrefois sur le tombeau d'Hésiode. Les Eléens ne vont pas manquer de lui élever des statues, et je sais de bonne source qu'il en sera de même chez les autres Grecs, auxquels on prétend qu'il a écrit. C'est un bruit, en effet, que dans toutes les cités considérables il a envoyé des lettres avec son testament, ses conseils et ses recommandations. Il a chargé de cette mission quelques-uns de ses amis qu'il appelle les messagers de la mort, les courriers des enfers. 42. Telle fut la fin du pauvre Protée, qui, pour le dire en deux mots, ne considéra jamais la vérité ne prit pour règle de ses discours et de ses actions que la vanité et le désir immodéré des louanges de la foule, au point de se jeter dans le feu pour les obtenir, dût-il ne plus les entendre et la mort l'y rendre insensible. 43. Je terminerai mon récit par une anecdote qui te prêtera beaucoup à rire. Je t'ai dit autrefois qu'à mon retour de Syrie j'avais voyagé sur mer avec lui, depuis la Troade. Pour passer agréablement la traversée, il avait avec lui un joli garçon, qu'il formait à la vie cynique et qui lui servait d'Alcibiade. Quand nous fûmes dans la mer Égée, il eut une frayeur mortelle durant la nuit, les ténèbres s'étant épaissies et les flots soulevés avec violence: on vit alors pleurer comme une femme cet homme admirable, qui affectait de mépriser la mort. 44. Quelque temps avant de se brûler, onze jours environ, ayant mangé, je pense, plus que de raison, il vomit pendant la nuit et fut pris d'une fièvre violente. Le médecin Alexandre, qui avait été appelé, racontait qu'il l'avait trouvé se roulant par terre et ne pouvant supporter l'ardeur de la fièvre. Il demandait de l'eau froide avec l'impatience d'un amant; le médecin la lui refusa, en lui disant que, s'il désirait la mort, elle venait d'elle-même frapper à sa porte; qu'il pouvait la suivre sans qu'il fût besoin d'un bûcher: mais Protée lui répondit qu'une pareille fin n'était pas assez glorieuse, étant commune à tous les hommes. 45. Voilà ce qu'a dit Alexandre. Pour moi, j'ai vu Protée, quelques jours avant sa mort, se bassiner les yeux d'un collyre dont la violence lui tirait des larmes. Tu vois pourquoi ? Éaque ne reçoit pas ceux qui sont tout à fait aveugles. C'est à peu près comme si un criminel, près d'être conduit à la croix, se faisait panser l'orteil. A ton avis, qu'aurait fait Démocrite en voyant tout cela? Il aurait ri de cet homme, comme il le mérite. Et cependant je ne sais s'il aurait trouvé assez de rire pour tant de folie. Quant à toi, mon doux ami, ris-en à ton aise, et surtout ris de ceux que tu verras l'admirer. (01) Suivant Tillemont, la mort de Pérégrinus eut lieu l'an 165 après Jésus-Christ. Voy. Tillemont, Hist. des empereurs, t. II, p. 472. (02) Philosophe grec, de la secte d'Epicure. (03) Voy Homère, Odyssée, IV, v. 417; Virgile, Géorgiques, IV, v. 406. Le fameux Apollonius de Tyane aimait aussi se faire appeler Protée (04) Plus de 45 millions de francs. Cette somme hyperbolique est réduite plus loin, § 14: à 15 talents, 75000 Francs. (05) Voy. De la danse, 76. (06) Voy. la note de M. Artaud sur le vers 1079 des Nuées, p. 139 de sa traduction d'Aristophane. (07) Ce passage est fort controversé. Je me suis guidé d'après les meilleurs critiques. (08) Colonie de Milésiens, sur l'Hellespont, au-dessus de Lampsaque, aujourd'hui Camanar. (09) Antonin le Pieux ou Marc Aurèle. (10) "L'empereur Domitien, par un édit, chassa de Rome tous les philosophes, Les plus célèbres, enveloppés dans celte proscription, furent L. Arulénus Rusticus, philosophe stoïcien, qui avait été disciple de Plutarque, Sénécion et Hermogène de Tarse, auteur d'une histoire dans laquelle Domitien se crut désigné sous un nom supposé. Il le fit mourir, ainsi que Rusticus et Sénécion, et fit crucifier les libraires qui vendaient cet ouvrage. Épictète, Télésinus, Artémidore, Musonius Refus, Dion Chrysostome, dont les ouvrages assez nombreux sont venus jusqu'à nous, furent également proscrits. La plupart de ces philosophes se retirèrent dans les Gaules, dans la Libye, et Dion dans le pays des Gètes. "BELIN DE BALLU." (11) Hérode Atticus. (12) Érostrate. (13) Voy. Robert Geier, Alexandri Magni historiarum scriptores, p. 91, 108, 119, 150, 301 et suivantes. On y trouvera réunis tous les témoignages des anciens sur la mort de ce fou vaniteux. (14) Imitation des Chevaliers d'Aristophane, voy. p. 86 de la traduction de M. Artaud. (15) Espèce de Nostradamus, un des plus anciens et des plus fameux devins de la Grèce. Il était de la Béotie. Cf. le Dict. de Jacobi. (16) Parodie de l'Iliade, XIV, v. I. (17) Le Pléthrium, du mot pl¡yron, arpent, était un endroit du Gymnase d'Olympie, où les Hellanodices appariaient les athlètes suivant leur âge et le genre de leurs exercices. Voy. Hermotimus, 40 et suivants. (18) Portique placé derrière le temple de Jupiter Olympien. (19) Ville de l'Élide, à peu de distance du fleuve Harpinatès. (20) Ainsi nommé parce qu'il répétait un son jusqu'à sept fois.