2:23 PM Page 1 ETUDE EXPLORATOIRE SUR L’ EXPLOITATION SEXUELLE DES MINEURS A DES FINS COMMERCIALES 8/6/03 Disons non au l’ exploitation sexuelle infantile OIT-IPEC Organisation Internationale du Travail Programme International pour l’Eradication du Travail des Enfants (IPEC) Coordination pour l’Amérique Centrale, le Panama, la République Dominicaine et Haïti www.ipec.oit.or.cr / ipec@oit.or.cr COOPÉRATION Haïti RÉPUBLIQUE D'HAÏTI MINISTÈRE DES AFFAIRES SOCIALES & DU TRAVAIL Organisation Internationale du Travail Programme International pour l'Eradication du Travail des Enfants www.ipec.oit.or.cr / www.oit.or.cr Canada OIT-IPEC Organisation Internationale du Travail 18763 libro HAITI PORTADA Etude exploratoire sur l’ exploitation sexuelle des mineurs à des fins commerciales 18763 libro HAITI PORTADA 8/6/03 2:23 PM Page 2 “...Je voudrais aller à l’ école, être jeune et de venir infirmière.” L’exploitation sexuelle des mineurs: une problematique multidimensionnelle ORGANISATION INTERNATIONALE DU TRAVAIL (OIT) Programme International pour l’Eradication du Travail des Enfants (IPEC) Coordination pour l’Amérique Centrale, le Panama, La République Dominicaine et Haïti Carmen Moreno Coordonnatrice de l’ OIT-IPEC pour l’Amérique Centrale, le Panama, La République Dominicaine et Haïti Sabine Manigat Coordonnatrice de l’ OIT-IPEC pour Haïti Mr. Richard Mathelier Directeur de l' INESA EQUIPE DE RECHERCHE Dr. Nicole Magloire Coordonatrice Prof. Suze Mathieu Sociologue Prof. Nelson Silvestre Sociologue Me. Dilia Lemaire Avocat Copyright © Organisation internationale du Travail 2002 Première édition 2003 Les publications du Bureau international du Travail jouissent de la protection du droit d’auteur en vertu du protocole n°2, annexe à la Convention universelle pour la protection du droit d’auteur. Toutefois, de courts passages pourront être reproduits sans autorisation, à la condition que leur source soit dûment mentionnée. Toute demande d’autorisation de reproduction ou de traduction devra être adressée au Bureau des publications (Droits et licences), Bureau international du Travail, CH-1211 Genève 22, Suisse. Ces demandes seront toujours les bienvenues. OIT ETUDE EXPLORATOIRE SUR L’ EXPLOITATION SEXUELLE DES MINEURS A DES FINS COMMERCIALES. Organisation Internationale du Travail, 2003 Enfants, Exploitation sexuelle, Etude de recherche, Aspect juridique, Haïti 14.02.1 ISBN 92-2-214287-X Données de catalogage du OIT Les désignations utilisées dans les publications du OIT, qui sont conformes à la pratique des Nations Unies, et la présentation des données qui y figurent n’impliquent de la part du Bureau international du Travail aucune prise de position quant au statut juridique de tel ou tel pays, zone ou territoire, ou de ses autorités, ni quant au tracé de ses frontières. Les articles, études et autres textes signés n’engagent que leurs auteurs et leur publication ne signifie pas que le Bureau international du Travail souscrit aux opinions qui y sont exprimées. La mention ou la non-mention de telle ou telle entreprise ou de tel ou tel produit ou procédé commercial n’implique de la part du Bureau international du Travail aucune appréciation favorable ou défavorable. Visitez notre site dans la net: www.ipec.oit.or.cr et www.oit.or.cr Dessin: Identur (kyracruz@identur.com) Illustration: Harpo Joyg Imprimé lau Costa Rica 4 Présentation L’exploitation sexuelle commerciale des garçons, des filles et des adolescents est l’une des violations les plus sévères des droits humains. Elle entraine pour ces mineurs de grandes souffrances et des conséquences physiques et émotionnelles qui marquent leur enfance et, plus tard, leur vie adulte. L’élimination de cette forme d’exploitation requiert la participation active et l’effort public et concerté de tous les acteurs sociaux: les gouvernements, le secteur privé, les organisations de la société civile et la communauté internationale. L’Organisation Internationale du Travail (OIT), dans le contexte de sa lutte contre le travail infantile, a mis l’accent d’une manière spéciale sur la nécessité d’éliminer cette forme d’exploitation et dans cet esprit a approuvé en 1999 la Convention sur les pires formes du travail infantile. Cette dernière, dans son article 3, signale l’exploitation sexuelle commerciale des mineurs et ses multiples modalités, “... l’utilisation, le recrutement ou l’offre d’enfants aux fins de prostitution, de production de pornographies ou d’activités pornographiques ..”.entre autres, comme l’une des formes d’exploitations des mineurs qui doit être élinimée. En parallèle, la coopération canadienne, à travers l’ACDI se penche en Haití sur les questions d’égalité des sexes et travaille grâce au Fonds Kore Fanm, à l’habilitation des femmes et des fille haitiennes en les appuyant dans l’apprentissage de leurs droits avec, comme finalité, de leur permettre de faire respecter leurs droits. Dans cette optique, il y a plusieurs problématiques, comme celle de l’exploitation sexuelle, qui demandent à être mieux comprises et documentées. Le Kore Fanm offre la possibilité d’oeuvrer avec diferentes organisations et de creer des partenaires permettant le co-financement de projets et d’études stratégiques pour le secteur. C’est dans ce contexte que l’OIT et l’ACDI ont pu associer leurs efforts pour atteindre des buts communs. La présente étude est le résultat de l’analyse du problème de l’exploitation sexuelle commerciale des mineurs en Haití. Elle a été effectuée dans le cadre de l’IPEC et du Fonds Kore Fanm. Le Programme International pour l’Eradication du Travail Infantile (IPEC) de l’OIT administre depuis l’année 2000 le “Projet pour l’Elimination du Travail Infantile Domestique” lequel est financé grâce à l’assistence économique du Département du Travail des Etats Unis. Cette synthèse que nous présentons aujourd’hui analyse les causes et les conséquences de l’exploitation sexuelle commerciale que soufrent des centaines de garçons et de filles en Haití. Elle met l’accent sur la nécessité de la coordination interinstitutionnelle afin de trouver des solutions effectives à ce problème, à courte échéance dans la mesure du possible. Seule la connaissance de l’ampleur réelle du problème nous aidera à mettre un terme à la terrible situation de ces garçons et filles qui sont victimes de cette exploitation. Ils en font l’expérience dès leur plus tendre enfance et elle est associée à toutes sortes de violations de leurs droits humains. D’autre part, l’étude met en evidence que ce problème maintient une étroite relation avec d’autres facteurs tels que: la pauvreté extrême, l’expulsion scolaire, les grossesses à un âge précoce, la violence psycologique, physique et sexuelle, la consommation de drogues, la négligence ou l’abandon des parents, entre autres. Nous espérons que cette synthèse soit utile pour faire la lumière sur ce grave problème et sensibiliser la société dans son ensemble sur la nécessité et l’importance de la dénonciation de ce terrible fléau. Nous espérons aussi qu’elle soit une aide pour le Gouvernement au moment de formuler les strategies et de mettre en pratique les mesures qui permettront l’élimination de l’exploitation sexuelle commerciale des garçons, des filles et des adolescents. Carmen Moreno Coordonnatrice de OIT-IPEC Pour l’Amérique Centrale, le Panama, la République Dominicaine et Haïti 5 Table des Matières Résumé Exécutif Introduction 11 13 I.- L’ exploitation sexuelle des mineurs: Une problématique multidimensionelle 1.1. - Le concept d’ exploitation sexuelle des mineurs à des fins commerciales 1.2. - Le caractère multidimensionnel de l’exploitation sexuelle des mineurs en Haïti 1.3. - Protocole 17 17 18 22 II- Cadre 2.1. 2.2. 2.3 25 25 29 32 Juridique - La législation haïtienne relative aux mineurs - La législation internationale - Ecarts entre la législaton internationale et la législation nationale III- Le Cadre Institutionnel 3.1. - Au niveau de l’ Etat 3.1.2. - La justice : connaissance du phénomène – Recours légaux 3.1.3. - La Police 3.2. - Au niveau de la société civile 3.2.1. - Connaissance du phénomène et interventions spécifiques 3.2.2. - Perception du phénomène par les institutions: définition, conséquences, notion de genre 3.2.3. - Causes et facteurs de perpétuation selon les institutions 3.2.4. - Les recommandations des institutions 35 35 37 38 38 39 41 42 43 IV- Caractéristiques de l’ exploitation des mineurs à des fins commerciales 4.1. - Lieux où se practique l’ exploitation sexuelle des mineurs à des fins commerciales 4.2. - Lieux observés au cours de cette étude 4.2.1. - Identification des lieux et des personnes observées 4.2.2. - Comportement des personnes observées 4.3. - Caractéristiques des mineurs 4.3.1. - Origine et Éducation des mineurs 4.3.2 - Parcours des mineurs 4.3.3 - Expériences et pratiques dans le milieu 4.4. - Vécu et organisation du milieu 4.5. - Perception du milieu 4.6. - Recours et recommandations 45 45 46 46 48 49 50 53 56 61 63 64 V- Perception des adultes sur l’ exploitation sexuelle des mineurs à des fins commerciales 5.1.1. - Sexe et âge 5.1.2. - Niveau de scolarité des enquêtés 5.1.3. - Situation par rapport à l’emploi 5.2. - Connaissance de l’ exploitation sexuelle des mineurs à des fins commerciales 5.2.1. - Connaissance sur le type de pratiques liées à l’exploitation sexuelle des mineurs 5.2.3. - Opinion des adultes en relation à la provenance des mineurs sujets à l’exploitation sexuelle à des fins commerciales 5.2.4. - Causes et explication du phénomène par les adultes 5.2.4. - Connaissances sur les lieux où se pratique la prostitution 5.3 - Position, réactions et recommandations des adultes 67 67 68 68 69 70 Conclusion Bibliographie Annexes 83 89 91 71 71 78 79 7 Liste des tableaux et graphiques Répartition des enquêtés par zone et par sexe . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .49 Répartition des enquêtés selon leur lieu de naissance . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .51 Répartition des mineurs ayant été à l’école par sexe et par âge . . . . . . . . . . . . . . . . . . .52 Répartition des enquêtés selon le domicile actuel . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .52 Répartition des enquêtés par sexe selon l'âge du premier contact sexuel . . . . . . . . . . . .53 Répartitions des enquêtés selon le type de la première relation sexuelle avant 12 ans . . .53 Répartition des enquêtés selon l'âge des premières règles . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .54 Nombre de grossesses parmi les enquêtées . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .54 Répartition des enquêtés (en nombre absolu) selon les endroits ou se pratique généralement l’exploitation des mineurs à des fins commerciales . . . . . . . . . . .57 10. Nombre de clients par jour selon le sexe des mineurs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .58 11. Répartition des enquêtés par sexe selon le type de drogues consommé . . . . . . . . . . . . .59 12. Répartition des mineurs selon les problèmes expérimentés . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .60 13. Répartition des enquêtés selon les personnes profitant de leur prostitution . . . . . . . . . . .61 14. Réactions du client quand un mineur refuse d’avoir des relations sexuelles . . . . . . . . . . .63 15. Répartition des mineurs ayant porté plainte contre des actes de violence . . . . . . . . . . . .65 16. Répartition des mineurs selon là où ils adressent leurs plaintes . . . . . . . . . . . . . . . . . . .65 17. Répartition des adultes sondés par sexe et tranche d’âges . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .67 18. Répartition des adultes sondés par sexe et niveau de scolarité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .68 19. Répartition de la population par secteur d’activités économiques . . . . . . . . . . . . . . . . . .69 20. Répartition par sexe des sondés au courant du phénomène de l’exploitation sexuelle des mineurs à des fins commerciales . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .69 21. Répartition des sondés selon leur connaissance des pratiques liées à l’exploitation sexuelle des mineurs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .70 22. Principales pistes indiquées par les enquêtés pour reconnaître les mineurs livrés à la prostitution . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .70 23. Opinion des adultes par sexe sur la provenance des mineurs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .71 24. Principales causes indiquées par les adultes pour expliquer la prostitution des mineurs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .72 25. Niveau d’études des sondés et explication du phénomène . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .72 26. Opinions des adultes sur les causes de l’exploitation sexuelle des mineurs à des fins commerciales . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .77 27. Principaux lieux indiqués par les adultes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .78 28. Positions des adultes témoins éventuels d’ un cas d’ exploitaton sexuelle des mineurs à des fins commerciales . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .79 29. Réactions possibles des adultes témoins éventuels d’ une situation d’ exploitaton sexuelle des mineurs à des fins commerciales . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .80 30. Pistes de solutions proposées par les adultes pour contrecarrer l’ exploitaton sexuelle des mineurs à des fins commerciales . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .81 30. Institutions/Secteur identifiés par les adultes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .81 1. 2. 3. 4. 5. 6. 7. 8. 9. Graphique 1:Répartition des enquêtés par age et par sexe . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .50 Graphique 2: Mineurs forcés d'avoir des relations sexuelles commerciales . . . . . . . . . . . . .56 9 RESUME EXECUTIF L’exploitation sexuelle des mineurs à des fins commerciales constitue une violation grave des droits humains des jeunes et des adolescents des deux sexes victimes de cette exploitation. Le cadre juridique est désuet et non conforme aux conventions internationales ratifiées par l’état haïtien. L’enfant haïtien en général n’est pas protégé et encore moins les mineurs victimes de l’exploitation sexuelle. Étant donné l’importance du phénomène, son expansion depuis quelques années et le peu de données existantes sur ses caractéristiques, OITIPEC/ACDI a décidé de lancer cette étude exploratoire sur l’exploitation sexuelle des mineurs en Haïti. afin de: Le cadre institutionnel est aussi très limité. La problématique de l’exploitation sexuelle des mineurs à des fins commerciales est diluée dans celle des enfants en situation difficile: enfants en domesticité, “restavek”, enfants dans et de la rue. • « dégager les caractéristiques fondamentales du phénomène, • d’esquisser le profil des mineurs soumis à ce type d’exploitation, • explorer le thème des principaux bénéficiaires de l’exploitation des enfants, • sonder les perceptions de la population à l’endroit de ces pratiques, • faire des propositions d’intervention ». En plus de la revue du cadre juridique et du cadre institutionnel se rapportant au phénomène, 76 mineurs ont été interrogés ainsi que 207 adultes. Il en ressort que ce phénomène existe en Haïti particulièrement dans le milieu des enfants dans et de la rue. Il touche aussi d’autres secteurs de la société comme celui des écolières. Le secteur touristique comme incitateur d’exploitation sexuelle des mineurs n’a pas pu être exploré par la présente étude mais ne semble pas occuper une grande place dans les différentes facettes que prend le phénomène en Haïti. La question de genre est présente comme une des caractéristiques de la problématique en question: les filles sont plus nombreuses comme victimes de l’exploitation sexuelle, elles subissent plus de violence de la part des clients, elles sont moins bien payées, la société leur renvoie une image bien plus dévalorisante qu’elles intériorisent. La misère, la pauvreté sont les causes principales de cette exploitation sexuelle des mineurs d’après toutes les sources d’informations: études antérieures, institutions, professionnels, les mineurs eux-mêmes. Au niveau de l’état, il n’existe aucun plan national visant la protection de l’enfant ni de structures d’encadrement des institutions civiles travaillant dans le domaine. Une seule institution étatique, l’Institut du Bien Être Social et de Recherche, est responsable des enfants en situation difficile mais n’a aucun mandat explicite en ce qui concerne les enfants victimes de l’exploitation sexuelle. Elle dispose de peu de ressources et atteint un nombre très limité des enfants dont la charge lui incombe. Au niveau de la société civile, aucune institution n’a de programmes spécifiques visant cette problématique et cette catégorie d’enfants. Ces derniers sont pris en charge de façon individuelle, cas par cas, par des institutions caritatives qui s’adressent à des enfants en situation difficile. Ces institutions sont bien conscientes de l’existence du problème, elles souhaitent, toutes, une action synergique avec l’état en vue de mieux le connaître et de définir les stratégies pour y faire face. Les mineurs rencontrés, 42 garçons et 34 filles, évoluent dans des lieux où généralement se réunissent les enfants dans et de la rue: certains quartiers populaires, des zones récréatives ou proches. Les mineurs en général sont mêlés aux adultes et difficiles à distinguer. Dans certains endroits, Pétion Ville par exemple, leur comportement rappellent ceux de la prostitution “classique”: habillement provocateur, sollicitation des passants. Dans d’autres endroits, plus populaires, tout se passe beaucoup plus discrètement comme à St Martin ou au Carrefour de l’Aéroport. 11 Un peu moins de la moitié des mineurs interrogés viennent de la province. Ils sont venus à Port-auPrince en grande majorité avec leurs parents pour des raisons économiques. 52.6% d’entre eux savent lire et écrire. Dans l’échantillon sous étude beaucoup d’entre eux ont eu leur première relation avant l’âge de 12 ans et beaucoup de filles avant la puberté. Sept (7) des 34 filles ont été enceintes, ce qui représente 20.5% des filles interrogées (34) et 9.21% de l’échantillon global (76). Une était enceinte pendant que se déroulait l’enquête. Beaucoup d’entre eux vivent dans la rue, mais un certain nombre a un pied à terre : chambre louée, maison affermée, où ils vivent avec un de leurs parents, seuls, avec des amis ou avec un partenaire. Ils doivent faire face à la violence de la part des clients très souvent et les filles beaucoup plus que les garçons. Ils expérimentent de nombreux problèmes médicaux et consomment de la drogue, avec une prédominance des drogues bon marché. Les clients sont en général de jeunes haïtiens (nes) pour le moins aisés (ki gen kòb). Les garçons sont mieux payés et les filles ont plus de clients par jour. Parmi les bénéficiaires ces mineurs identifient leurs parents, les propriétaires d’hôtels, les gens travaillant dans le tourisme. Les mineurs sont très conscient de leur situation ils l’attribuent principalement à des conditions économiques désastreuses et demandent quasi unanimement que quelque chose soit fait pour les retirer de la rue, les renvoyer à l’école et les réintégrer dans une vie normale de jeunes. 12 Dans le cadre de cette étude un sondage a été mené auprès de 207 adultes en vue d’appréhender leur perception relative à l’exploitation sexuelle des mineurs à des fins commerciales. Les principaux résultats obtenus indiquent un niveau de connaissance relativement élevé de ceux-ci en rapport à l’existence du phénomène sous étude. Les problèmes économiques, particulièrement la pauvreté des parents, ont été identifiés comme une des principales causes de la prostitution des mineurs. Parmi les pistes de solutions suggérées pour contrecarrer l’expansion d’un tel phénomène : la création d’emplois, la création de centre d’accueils pour encadrer les jeunes, ainsi que des activités de formation et de sensibilisation des jeunes sont mentionnés par l’ensemble des adultes (femmes et hommes). Par ailleurs, selon les adultes, l’Etat devrait être le premier à assumer une telle responsabilité. Il est également important de signaler l’accent mis sur une collaboration Etat/Secteur privé ainsi que Etat/Société civile en général pour attaquer ce problème et appliquer les pistes de solutions proposées. Les recommandations concernent l’état qui devrait mettre sur pied un programme national de protection des droits de l’enfant en collaboration avec les institutions de la société civile, le domaine juridique qui devrait être mis à jour, des études ultérieures qui devraient définir de façon plus précise les différents aspects de cette exploitation des mineurs à des fins commerciales, un plaidoyer en faveur des droits de l’enfant et une plus grande visibilité médiatique des différentes violations de ces droits. INTRODUCTION L’exploitation sexuelle des mineurs à des fins commerciales a pris des dimensions internationales et constitue une violation grave des droits humains fondamentaux des enfants et des adolescents des deux sexes. 3. La société de consommation : un certain nombre de jeunes issus des classes moyennes subissent une forte pression sociale et aspirent à posséder certains des biens de consommation et de luxe, signe d’un certain statut social. Cette pression entraîne un énorme besoin d’argent et la tentation de le combler par des activités comme le commerce du sexe. 4. Orphelins du Sida qui doivent subvenir à leurs besoins ou qui deviennent souvent chefs de famille donc très vulnérables. 5. Comportement sexuel irresponsable : certains hommes cherchent à avoir des relations sexuelles avec une petite fille vierge. De plus certains mythes sont attachés au fait d’avoir des relations avec de très jeunes filles vierges ou ayant eu peu de partenaires, comme ne pas contracter le virus du Sida ou en guérir, accroître la virilité, etc. 6. Traditions et coutumes néfastes : outre les pratiques de mariages d’enfants précoces, forcés ou temporaires, il existe d’autres coutumes et traditions qui rendent les enfants vulnérables à l’exploitation sexuelle. 7. Enfin il est noté que dans nombre de pays, la plupart des filles de prostituées ont rarement la possibilité de vivre autrement : cela peut être du à des structures sociales rigides ou à la discrimination sociale1 . Elle se présente avec des caractéristiques et sous des formes différentes selon les régions où elle se pratique. Dans certains pays elle représente quasiment une forme contemporaine d’esclavage. Dans une nomenclature des Nations Unies pour répondre à la question: Pourquoi l’exploitation sexuelle commerciale infantile existe-t-elle? on retrouve les facteurs suivants : 1. La pauvreté; ce facteur qui est généralement la première réponse à la question est pondéré par des considérations comme: de nombreux enfants issus de familles pauvres ne se prostituent pas; des enfants dont les familles ne sont pas défavorisées se retrouvent dans des circuits de prostitution; l’exploitation sexuelle se retrouve dans les pays “développés” et dans les pays “en voie de développement”. D’autres facteurs rentrent donc en ligne de compte: I) Vivre et travailler dans les rues: l’Amérique Centrale et l’Amérique du Sud sont citées pour avoir un grand nombre de cette catégorie d’enfants qui se font exploiter sexuellement pour survivre. II) Les abus familiaux et le rejet des enfants; On estime que 80% des enfants victimes d’exploitation sexuelle à des fins commerciales souffrent de mauvais traitements psychologiques et/ou physiques au sein de leur famille; la plupart ont subi une agression sexuelle sous une forme ou sous une autre de la part d’un membre ou d’un ami de la famille. 2. Les conflits armés : qui ont comme conséquence que les enfants sont souvent séparés de leurs parents ou deviennent orphelins. Cette catégorie d’enfants non accompagnés est particulièrement vulnérable. Presque tous ces facteurs peuvent être appliqués au cas d’Haïti. La République d’Haïti compte environ 8 millions d’habitants pour une superficie de 27 750 km2. Environ 60% de cette population vit en milieu rural. On estime que 53% de la population urbaine vit en dessous du seuil de pauvreté. Les villes principales sont côtières et surpeuplées; elles sont caractérisées par une croissance rapide des zones de bidonville. Particulièrement la capitale est affectée par ce phénomène, du fait de la migration urbaine. La densité atteint plus de 2500 hab./ha dans certains quartiers de Port-au-Prince. Pourquoi la prostitution enfantine existe-t-elle? Textes de référence des Nations Unies - En Annexe 1 13 Haïti a une population jeune dont 15% a moins de 5 ans et 46% moins de 15 ans. L’espérance de vie est de 60.32 ans. La mortalité maternelle est estimée à 534/100.000 naissances vivantes et la mortalité infantile de 80.3/1000. Si 60% de la population de 10 ans et plus atteint le niveau primaire, seulement 32% se retrouve au secondaire et 2% à l’université. Le taux net de scolarisation à l’enseignement secondaire par sexe est de 26.0 pour les filles et de 23.4 pour les garçons. Le revenu per capita a chuté de US$ 390 en 1990 à US$ 190 en 1995. Il est estimé à 9721gourdes2 en 20003. Il convient de signaler que les bouleversements politiques des 10 dernières années ont eu pour corollaire une chute en cascade du produit intérieur brut et une augmentation prononcée du taux de chômage, situation aggravée par un exode massif des campagnes vers la ville. Une telle situation socio-économique tend à placer Haïti au rang des pays où l’exploitation sexuelle des mineurs à des fins commerciales semble avoir pour raison principale la pauvreté et ses multiples conséquences : exode rural, éclatement de la structure et des valeurs familiales. De plus, les différents facteurs consignés dans le texte de référence des Nations Unies, cité plus haut, se retrouvent dans la société haïtienne; les enfants des rues, les abus familiaux, les effets de la société de consommation, les orphelins du SIDA; le Coup d’Etat de 1991 a eu des effets similaires à ceux des conflits armés : enfants séparés de leur famille, orphelins etc. L’expansion de ce problème depuis ces dernières années, même si elle n’est pas documentée de façon formelle, peut se constater particulièrement dans certains quartiers de Port-au-Prince et de Pétion Ville. Cette problématique a été abordée dans plusieurs études concernant les enfants en situation difficile (enfants des rues, filles dans les rues) mais aucune étude spécifique n’y a été consacrée qui permettrait de mieux mesurer son ampleur, de connaître ses caractéristiques et la nature des interventions qui sont faites soit au niveau de l’Etat, soit au niveau de la société civile, de cerner le cadre juridique s’y appliquant. La législation haïtienne fait obligation à l’État haïtien de protéger tous les enfants mineurs (moins de 18 ans) contre toutes formes d’exploitation et particulièrement contre l’exploitation sexuelle. La ratification par l’État haïtien de la Convention sur les droits de l’Enfant renforce cette obligation et l’engage vis-à-vis de la communauté internationale. De plus, son adhésion au Programme International pour l’Abolition du Travail des Enfants (IPEC), formalisée dans un mémorandum d’accord en décembre 1999, devrait être un signe manifeste de sa volonté à mettre en place une politique nationale visant la protection de l’enfant contre l’exploitation par le travail. Tout ceci a conduit le OIT-IPEC à inclure, entre autres activités dans son programme pour l’éradication du travail des enfants, une étude exploratoire sur l’exploitation sexuelle des mineurs à des fins commerciales en Haïti. Cette étude a pour objectif de cerner les caractéristiques fondamentales du phénomène d’une part et d’autre part d’esquisser le profil des mineurs victimes de l’exploitation sexuelle à des fins commerciales, celui des bénéficiaires de cette activité et de sonder la perception de la population à l’endroit de ces pratiques. 2 Actuellement 1 USD = 42,5 gourdes. La dépréciation de la gourde est journalière et affecte considérablement le pouvoir d’achat de la population dont une grande partie vit en situation de chômage. En effet, à titre d’illustration il convient de souligner que le taux de chômage estimé pour 2002 est environ 2.1 fois plus élevé que le taux de chômage ouvert pour 2000. Par ailleurs, puisque cette étude exploratoire concerne le monde urbain, on peut souligner que le taux de chômage urbain, selon les estimations récentes (INESA, 20002), représenterait environ 28.5% de la population active en 2002. 3 L’ensemble des informations sur la situation socio-économique du pays est tiré de EMMUS III (2000). Une analyse plus fine aurait permis de dégager les tendances récentes de l’économie et ses implications majeures sur le social; ce n’est pas le cas pour cette étude exploratoire. 14 Le présent rapport est structuré comme suit : la première partie présente brièvement la problématique sous-étude et la méthodologie adoptée. La deuxième traite du cadre juridique et explore le cadre institutionnel. La troisième partie s’adresse directement aux résultats de l’enquête menée auprès des mineurs d’une part et d’autre part présente de manière synthétique les informations obtenues du sondage auprès des adultes. Le rapport se termine par l’énoncé de certaines conclusions et recommandations. Contraintes rencontrées en cours d’étude Malgré les précautions prises pour faire face aux imprévus, certaines contraintes ont quand même perturbé le calendrier des activités devant aboutir à la réalisation des différentes phases de l’étude et il a fallu le réviser pour y faire face. La première contrainte rencontrée a été l’obligation pour l’équipe, après avoir présenté et révisé les instruments de collecte de données rédigés en créole, avec la représentation du OIT-IPEC en Haïti et l’ACDI, de les traduire en français et d’attendre qu’ils soient approuvés par le siège de l’IPEC à Costa Rica avant de les utiliser. Cette contrainte a entraîné un retard considérable dans l’observation des zones ciblées, la formation des enquêteurs, l’administration du questionnaire aux mineurs et le sondage d’opinion. L’observation des zones a été aussi retardée par le fait que certaines d’entre elles reconnues habituellement comme étant le site de ce genre d’activités, étaient quasiment désertes comme en témoigne un des rapports d’observation. Des interventions policières au niveau de ces zones avaient entraîné un déplacement des populations qui antérieurement les fréquentaient. Certaines institutions ont pris du temps avant de répondre à la demande de rendez-vous. L’équipe n’a jamais pu rencontrer l’Institut du Bien Être Social, principale instance de l’État concernée par la problématique sous étude. En outre, la situation de trouble politique qu’a connu le pays durant la période allant de novembre 2002 à février 2003 a considérablement perturbé le déploiement de l’équipe et des enquêteurs sur le terrain. 15 L’exploitation sexuelle des mineurs: une problematique multidimensionnelle 16 I.-L’EXPLOITATION SEXUELLE DES MINEURS: UNE PROBLEMATIQUE MULTIDIMENSIONNELLE 1.1.- Le concept d’exploitation sexuelle des mineurs à des fins commerciales Le Premier Congrès Mondial contre l’exploitation sexuelle des mineurs qui s’est tenu à Stockholm en 1996 a permis de réaliser une avancée stratégique dans la formulation conceptuelle du phénomène et dans la mise en place, dans de nombreux pays, d’actions en vue d’y faire face. Dans un des documents soumis au congrès par l’OMS, il est souligné que : « …Aucun modèle ou cadre unique ne permet d’expliquer ou de décrire les différents modes de l’exploitation sexuelle commerciale des enfants (ESCE) et leurs conséquences. Dans le monde en développement, des facteurs macro sociaux et macro économiques comme la pauvreté et l’exclusion jouent sans doute un rôle important tandis que les caractéristiques particulières de l’enfant et de sa famille déterminent sa résistance ou sa vulnérabilité. Dans les pays industrialisés, la pauvreté certes peut exercer parfois une influence sur la ESCE mais il est probable que les caractéristiques individuelles du sujet, le bon fonctionnement de sa famille et son expérience jouent un rôle plus important…»4 Pour sa part, l'Organisation Internationale du Travail (OIT) a adopté en 1999 une convention portant sur les pires formes de travail des enfants. Aux termes de cette convention qui a été ratifiée par l'ensemble des pays de la région (Haïti fait exception en ce sens), est explicitement considérée comme pire forme de travail des enfants l'exploitation sexuelle des mineurs à des fins commerciales, de même que toutes les pratiques analogues (spectacles et exhibitions pornographiques. A ce titre l'ESC de mineurs est considéré comme un crime qui doit faire l'objet de sanctions précises de la part de tous les Etats ratificateurs. Pour bien comprendre la problématique en question, il faut cerner de plus près le concept d’exploitation sexuelle des mineurs à des fins commerciales. Il existe en effet, différentes définitions de ce concept. Pour certains, cette notion serait opposée à la prostitution dite classique où un (e) client (e) vient chercher les services d’un partenaire du même sexe ou du sexe opposé dans un lieu précis (bordel ou autre) contre de l’argent quelque soit son âge. Pour d’autres, l’exploitation sexuelle des mineurs à des fins commerciales, réfère à toute situation où un mineur est impliqué dans une relation sexuelle avec un adulte en vue d’un gain quelconque. Cette conception exclue le cas où un mineur a des relations sexuelles avec un ou OMS (1996). L’exploitation sexuelle commerciale des enfants: Dimensions sanitaires et psychosociales du problème. Document soumis au Congrès mondial contre l’exploitation sexuelle d’enfants à des fins commerciales. Stokholm, Suède, 27-31 août. 4 17 plusieurs de ses pairs mais en vue d’un gain et en dehors de toute relation affective. Une troisième vision serait celle qui fait intervenir un intermédiaire (passeur, maquerelle, «tyoul») comme bénéficiaire de cette activité. Jean Robert Chéry, directeur du Centre d’Éducation Populaire5 (CEP) a une définition plus pointue: «l’exploitation sexuelle est le fait qu’un enfant sert comme objet sexuel indépendamment de sa volonté sous les menaces d’un passeur ou de ses pairs.» Pour Martine Bernier et Françoise Ponticq, dans «Planifications d’interventions»6, un mineur en situation d’exploitation sexuelle à des fins commerciales est un mineur impliqué dans une relation sexuelle ou des activités connexes (pornographie, etc.) en vue d’un gain matériel, en dehors de toute relation affective. 1.2.- Le caractère multidimensionnel de l’exploitation sexuelle des mineurs en Haïti Le phénomène de l’exploitation sexuelle des enfants se pose en Haïti en des termes multidimensionnels. Il fait partie d’un contexte plus large qu’il conviendrait de caractériser de façon plus précise. Il rejoint les domaines économique, social, culturel (tabous, relations familiales), la question de genre. Il repose sur une série de tabous et de complicité à tous les niveaux de la société qui entretiennent une conception de l’enfance et du genre féminin comme des catégories vouées à se soumettre à la volonté de l’adulte et de l’homme. Le cas suivant en est une illustration éloquente. Les parents ont peu de moyens et font partie de la classe pauvre, Martine est une enfant et une fille, elle doit donc se soumettre à la volonté de l’adulte homme et même d’autres jeunes mâles. Il ne faut pas que le scandale éclate, les autorités de l’institution s’entendent pour l’étouffer. Finalement ce sont les filles qui sont pénalisées puisqu’en plus de la honte qu’elles ressentent elles doivent abandonner l’école. Histoire de vie ou témoignages Un cas rapporté par l’étude réalisée par Le Conseil National de l’Education pour les filles. (CONEF)7 5 Voir Synthèse des entrevues avec les responsables d’institutions en Annexe 6 Planification d’interventions utilisant les modes d’organisation sociale et économique des enfants et des jeunes vivant et travaillant dans les rues en Haïti et entre autres, de ceux et celles vivant de la prostitution Unité de Recherche sur les Enfants en Situation difficile (URESD) Université Quisqueya- Avril 1999 - Inédit 7 Jocelyne Trouillot-Lévy, Sabine Sanon, Dilia Lemaire.Violence exercée envers les filles dans le milieu scolaire–CONEF, miméo, version préliminaire, Port-auPrince, Haïti. 18 «L’affaire se passe dans une école d’un quartier populaire de la capitale, une école quasi gratuite parce que dépendant d’une église protestante de la zone, qui a reçu l’autorisation de fonctionner du Ministère de l’Éducation Nationale. Martine, une fillette de 13 ans, fille d’un père chômeur et d’une mère ouvrière prend des cours de rattrapage à l’école. Elle ne revient chez elle qu’après cinq heures de l’après-midi. L’école convoque un jour les parents pour leur demander de ne plus laisser les enfants après les heures de classe. Martine, ne sachant pas la raison de cette convocation prend peur et avoue à ses parents qu’il s’est passé quelque chose de très grave à l’école, il y a environ un mois. Son amie et elle ont été violées par deux employés de l’école. Trois jeunes garçons de l’établissement surprenant ces employés promettent de ne rien dire s’ils peuvent eux aussi «faire un coup». Lorsque la responsable de discipline est informée du fait, quelques jours plus tard, elle demande aux filles si elles ont déjà menstruées. Elle leur fait faire un test de grossesse. Lorsqu’elle apprend le résultat négatif, elle renvoie les deux employés et convoque une réunion de parents. Or à cette réunion nul mot de cette histoire n’est mentionnée. Les parents des élèves victimes ont alors crié leur indignation. Ils portent plainte au Commissaire du Gouvernement. Le dossier mettant en cause majeurs et mineurs est délicat et difficile à traiter. Les fillettes laissent l’école. Les garçons y restent. Le Ministère touché de la question ne dit rien. Le dossier est encore pendant devant la justice et les parents, sans se décourager, continuent d’attendre le mot du droit.» Aussi éloquent est le cas dénoncé en février 2003 dans tous les médias de la capitale par les organisations féministes de cette jeune fille de 17 ans violée par un agent de santé, employé de la fonction publique alors qu’elle était en prison au Fort National; elle devient enceinte, accouche en prison sans qu’aucunes mesures ne soient prises contre le violeur, alors qu’elle l’avait dénoncé à la directrice. Sans l’intervention de ces organisations féministes le cas serait resté caché. Cette conception des rapports de pouvoir entre homme et femme, adulte et enfant constitue un terrain favorable au développement de l’exploitation sexuelle des mineurs à des fins commerciales particulièrement des filles. Cette problématique n’a retrouve transversalement situation difficile: enfants victimes de violence dans fait l’objet d’aucune étude spécifique mais se dans différentes études faites sur les enfants en des rues, filles de rue, « restaveks », écolières le milieu scolaire, certains plaidoyers du Centre 19 d’Éducation Populaire (CEP) au niveau national et international. Il en ressort que cette exploitation frappe principalement le monde des enfants dans les rues et les enfants de la rue et à l’intérieur de ce secteur les filles sont les plus atteintes. Elle serait actuellement en pleine expansion. L’exploitation sexuelle des mineurs à des fins commerciales, en Haïti, est multiforme, elle revêt différentes facettes. La première forme que prend l’exploitation sexuelle des mineurs à des fins commerciales est celle des enfants dans les rues et les enfants de la rue. C’est d’abord dans ce monde que se retrouve la majorité des enfants exploités sexuellement à des fins commerciales. Martine Bernier et Françoise Ponticq8 constatent que toutes les filles de la rue rencontrées à Port-au-Prince, dans le cadre de leur étude, pratiquent une activité sexuelle en vue d’un gain et en dehors de toute relation affective. Pour le directeur du Centre d’Éducation Populaire, l’exploitation sexuelle des enfants est «déterminée par la culture de la rue qui lui donne sens et structure: vie de fête, de violence, d’alcool, de la drogue, de prostitution et de crime. »9 Dans la même étude, il affirme que les évaluations psychosociales du CEP permettent de déduire que 70% des petites filles des rues ont fait l’objet d’exploitation sexuelle de la part d’autres jeunes des rues et des passeurs. Les différentes études rapportent que ces enfants se retrouvent dans la rue principalement parce que leurs familles ne peuvent plus subvenir à leurs besoins ou qu’ils ont fui un foyer où ils étaient en situation de « restavèk » ou qu’ils sont orphelins ou séparés de leur famille (instabilité politique, SIDA, Coup D’état,) et qu’ils ne peuvent s’adresser à aucune structure d’accueil. Certains d’entre eux continuent d’avoir un pied à terre résidentiel, mais la rue devient leur principal lieu d’activité. Ils en font leur espace de vie et de travail. Ils s’organisent en gang, y trouvent de petits emplois (lavage de voiture, petit commerce informel, mendicité), ils deviennent des proies (particulièrement les filles) pour toutes sortes de violence, d’abus sexuels, pour les réseaux de drogues. Ils se construisent des mécanismes de défense qui souvent reproduisent les modèles de comportement que la société leur renvoie et qui ont contribué à les mettre dans la situation qu’ils vivent: violence, machisme entre autres. Op.cit L’exploitation sexuelle des enfants – Jean RobertChery – miméo. Avril 96 10 Dans une entrevue accordée par un médecin pratiquant à Pétion-Ville, l’intervenante rapporte qu’elle reçoit parfois des jeunes filles -18 à 22 ans- (tranche d’âge ne concernant pas ce cas mais qu’il convient de rapporter tenant compte du caractère spécifique de l’exploitation et de la violence sexuelles dans le pays), se présentent à son cabinet, sollicitant des services pour un avortement, accompagnée d’un homme beaucoup plus. Elle soupçonne qu’il s’agit de cas d’exploitation sexuelle. 11 Jocelyne Trouillot-Lévy, Sabine Sanon, Dilia Lemaire. Violence exercée envers les filles dans le milieu scolaire.–CONEF, miméo, version préliminaire, Port-au-Prince, Haïti. 8 9 20 Une deuxième forme plus sournoise de l’exploitation des mineurs à des fins commerciales, apparemment plus récente est celle du monde des écolières10. Cette dimension est moins connue et moins étudiée. Nous l’avons retrouvée cependant au cours de cette étude exploratoire. Dans une étude réalisée par CONEF11, la violence verbale autour du thème sexuel sur le chemin de l’école et dans le quartier est très souvent rencontrée par les filles: “Taquineries, railleries, commentaires de tout genre, invitation à monter en voiture pour une promenade plus agréable voilà en général ce que doit subir tous les matins l’élève fille pour se rendre à l’école spécialement dans les milieux défavorisés et dans les groupes d’âge plus avancés”. Une autre entrevue avec un policier nous révèle le cas d’une jeune fille de 17 ans en relation avec un homme de 43 ans qui lui paie sa scolarité et la bat très souvent. Nombreux sont les témoignages dignes de foi qui relatent des faits comme cette petite fille, qui pour ne pas être en retard à l’école prend “roue libre” avec un “personnage” mais en compensation couche avec lui…ou encore ce groupe de jeunes filles qui louent un appartement à Péguy Ville pour y recevoir des clients… Le “sugar daddy”12 est-il entrain de s’installer en Haïti? Si certains font une différence entre la prostitution dite “classique” et l’exploitation sexuelle des mineurs à des fins commerciales, le spectacle de certains coins de rue de Pétion Ville nous renvoie l’image de très jeunes filles faisant ouvertement “le trottoir” et y trouvant des clients. Dans notre optique, il s’agit là aussi d’une forme d’exploitation sexuelle de mineurs à des fins commerciales et sur laquelle devrait se pencher la législation haïtienne. Un rapport sur La Convention des Nations Unies relative aux droits de l’enfant dit d’emblée que les données manquent sur la prostitution infantile et l’éventualité du tourisme sexuel en Haïti. Cependant si on remonte aux témoignages des gens ayant vécu les années 50 et les années 70, cette prostitution induite par le tourisme, alors florissant en Haïti, incluait adultes et mineurs. Dans les années 80, au moment ou explosait à la face du monde l’horreur de la pandémie du SIDA, Haïti avait été classée parmi les fameux 4 H : homosexuels, héroïnomanes, hémophiles, Haïtiens. Des groupes de chercheurs haïtiens regroupés au sein du GHESKIO et du Groupe de recherche sur les maladies immunitaires et les infections opportunistes à l’époque avaient dénoncé cette classification paradoxale et pour le moins xénophobe de citoyens d’un pays parmi des syndromes ou des gens ayant un comportement particulier, ils avaient démontré avec à l’appui des publicités touristiques vantant les charmes sexuels des jeunes haïtiens que le tourisme induisait chez nombre de jeunes des pratiques sexuelles à des fins commerciales pour faire face à leurs difficultés financières et que les services de santé américains avaient décrété qu’ils étaient à l’origine de la pandémie. Autrement dit si l’impact du tourisme ne se retrouve pas actuellement dans les facettes de l’exploitation sexuelle des mineurs à des fins commerciales c’est dû au déclin du secteur touristique. Cependant il ne faut pas négliger les nombreux étrangers actuellement vivant en Haïti et qui sont des consommateurs de prostitution informelle adulte et mineure. Expression désignant un homme d’un certain âge entretenant une ou des très jeunes filles. 12 21 Le phénomène de l’exploitation sexuelle des mineurs à des fins commerciales en Haïti est donc en grande partie dilué dans la problématique des enfants en situation difficile. Dans d’autres pays de la région comme la République Dominicaine, il est plus visible dû au fait que certaines de ses formes sont plus répandues, comme la prostitution infantile liée au tourisme. En effet chez nos voisins à partir des années 70, le développement du secteur touristique a entraîné comme conséquence l’apparition de nouvelles formes d’exploitation sexuelle des enfants et des adolescents des deux sexes dans les centres touristiques. Cette plus grande visibilité a elle même eu comme conséquence un plus grand souci des institutions gouvernementales et non gouvernementales ainsi que des média pour le phénomène. Il s’en est suivi une série d’interventions visant à le contrer. Mais en même temps, l’ampleur de cet aspect de l’exploitation sexuelle des mineurs tend à occulter les autres, aussi réels et préjudiciables aux mineurs 13. Toute situation qui implique un(e) mineur (e) dans une relation sexuelle sans lien affectif est une forme d’exploitation sexuelle des mineurs à des fins commerciales et porte atteinte aux droits fondamentaux des enfants. Cette approche est celle qui a été adoptée dans le cadre de cette étude exploratoire. 1.3.- Protocole En regard des objectifs établis dans les Termes de Référence et du mandat, la présente étude vise à : • dégager les caractéristiques globales de la problématique • explorer le cadre juridique s’y appliquant • cerner la réponse institutionnelle • esquisser le profil des mineurs soumis à ce type d’exploitation, • sonder les perceptions de la population à l’endroit de ces pratiques • faire des propositions d’intervention à travers: 1. une compilation des documents existants 2. l’utilisation de différents instruments de collecte à savoir • Les entrevues avec des intervenants responsables d’institutions oeuvrant directement ou indirectement avec des mineurs victimes d’exploitation sexuelle à des fins commerciales permettant d’évaluer quelle était la réponse institutionnelle tant étatique que civile à cette problématique, quelles perceptions avaient ces institutions de l’exploitation sexuelle des mineurs à des fins commerciales et quelles étaient leurs recommandations. OIT-IPEC- (2002) - Explotacion sexual comercial de personas menores de edad en República Dominicana 13 22 • Les entrevues avec des personnes ressources qui par leur profession ou leur sensibilité sociale pouvaient aider à cerner la problématique. Ces entrevues ont été menées à partir d'une grille dont la structure comprend une douzaine de questions portant sur: la vocation de l'institution, sa connaissance de la problématique, les interventions éventuelles sur le problème, l'opinion sur les différents niveaux de responsabilité et les interventions nécessaires. • Une grille d’observation de certains lieux où se pratique l’exploitation sexuelle des mineurs à des fins commerciales visant l’identification des lieux et des personnes les fréquentant, le comportement des personnes observées. Cette grille a permis de décrire les zones identifiées pour l’enquête, le profil et le comportement des personnes observées. • Une enquête par questionnaire auprès des mineurs eux-mêmes portant sur leur origine et leur éducation, leur parcours, leurs expériences et pratiques dans le milieu, leur vécu et l’organisation du milieu, leur perception de celui-ci et d’eux mêmes, leurs recours et recommandations. • Un sondage d’opinion comprenant trois sections (renseignements personnels, connaissance et perception du phénomène, réactions et opinions) afin d’appréhender les différentes représentations de la population en relation avec le phénomène. • Des histoires de vie. Les trois premiers outils ont été administrés par des membres de l’équipe, ainsi que la rédaction des histoires de vie, le questionnaire et le sondage d’opinion par des enquêteurs. L’échantillon a été déterminé à l’avance par le commanditaire et précisé dans les termes de référence: une enquête auprès de 75 mineurs et un sondage d’opinion visant 150 à 200 adultes. Chacun des instruments de collecte est organisé en modules ce qui a facilité largement l’analyse des données obtenues à partir des indicateurs retenus. L’enquête et le sondage se sont déroulés sur une période de 15 jours. Les enquêteurs sélectionnés ont bénéficié de trois séances de formation d’une durée de 4 hres environ chacune. Il s'est agi pour la plupart d'étudiants universitaires. Outre les informations recueillies auprès des institutions on a également eu recours à des informateurs privilégiés parmi lesquels il faut citer: deux responsables de centres d'accompagnement d'enfants démunis, des policiers et responsables de bar/restaurant. Ces informateurs ont contribué grandement à faciliter l'accès à des informations plus précises, et aux mineurs enquêtés. L’étude a été confiée à une équipe multidisciplinaire: médecin-gynécologue ayant une expérience dans les questions de la santé de la reproduction et de la problématique de genre, anthropologue, spécialiste de la condition des jeunes en situation difficile, sociologue et juriste. 23 CADRE JURIDIQUE 24 II- CADRE JURIDIQUE Depuis la ratification de la Convention Internationale des Droits de l’enfant par Haïti le 23 décembre 199414 , un regain d’études et de réflexion sur la situation des enfants se tient en Haïti, réalisé autant par des associations nationales qu’internationales que par l’Etat haïtien. Chacune de ces études renvoie à une autre plus détaillée, parce que les informations recueillies ouvrent de nouvelles pistes de réflexions. (Différentes études sur la situation des enfants ont été menées depuis lors)15. Dans ce chapitre consacré au cadre juridique de cette problématique en Haïti, nous allons dans un premier temps faire brièvement le tour de la législation haïtienne relative aux mineurs en général avant de nous pencher sur ce que dit notre législation sur l’exploitation sexuelle des mineurs, ensuite par rapport aux textes internationaux que nous avons ratifiés, nous allons voir les écarts existants pour terminer par des recommandations relatives à d’éventuelles mesures à prendre pour adresser le problème de l’exploitation sexuelle des mineurs à des fins commerciales en Haïti. 2.1.- La législation haïtienne relative aux mineurs La Constitution de 1987 La Charte haïtienne, la Constitution d’Haïti approuvée par référendum le 29 mars 198716, dernière d’une série de 23 constitutions n’est pas très prolixe en ce qui concerne les enfants. A part les grandes obligations relatives à l’éducation primaire gratuite, elle ne parle pas beaucoup des mineurs. On les retrouve dans deux articles: • l’article 16-2, dans laquelle elle fixe la majorité à 18 ans; • l’article 261 ou elle prescrit pour la première fois que « tout enfant a droit à l’amour, à l’affection, à la compréhension et aux soins moraux et matériels de son père et de sa mère » En plus de faire obligation à la loi d’assurer la protection à tous les enfants. Les mineurs en droit civil Le Code civil haïtien promulgué en 1825 traite de la filiation, de la parenté, de la reconnaissance des enfants et des obligations qu’ils ont vis à vis de leurs parents quand ceux-ci ne sont plus en mesure de se prendre en charge. On y trouve aussi les mesures de protection de leurs patrimoine et héritage si l’un des parents ou les deux vient à mourir et laisse des biens en gestion par un tuteur ou autre responsable. Un conseil de famille17 est institué pour accompagner et contrôler le tuteur dans la gestion de ces biens mais nulle part les obligations faites au tuteur concernant l’éducation de l’enfant, son encadrement et les garanties qui lui permettraient de se développer harmonieusement ne sont précisées18. Il faut noter que ces mesures de protection qui sont prises en faveur d’un orphelin ne concernent pas les enfants nés de mères célibataires. Moniteur No 59 du 31 juillet 1997 Le droit des enfants à avoir des droits – Haïti Information Libre, Vol X No 98 – 1996 La situation des enfants en Haïti – 1996 Le droit des enfants dans la législation haïtienne – Dilia Lemaire Lhérisson – 1995 La situation des enfants de rue – Jean Robert Chery – 1998 Guide de travail pour les encadreurs accopagnant les enfants de la rue en Haïti – UNIQ-1999 Observations préliminaires sur un projet de Code de l’Enfant – MICIVIH-1998 Les mineurs et la détention préventive en Haïti – Rosevel Pierre-Louis – 2001 Restituer l’enfance – Evelyne Trouillot - 2001 16 Constitution de la République d’Haïti – Moniteur No 36 du 28 avril 1987 17 Institution prévue par la loi constituée de 6 membres (3 du coté paternel, 3 du coté maternel) sous la présidence du juge de paix de la zone 18 Code Civil: articles 329 à 385 14 15 25 On ne doit pas manquer de mentionner que le Code Civil fait état de quatre (4) « qualités d’enfants »: les enfants légitimes, les enfants naturels, les enfants adultérins et les enfants incestueux. Les deux premiers groupes ont droit à un acte de naissance mentionnant le nom du père alors que pour les deux autres c’est formellement interdit à l’Officier d’Etat Civil19. Le 23 mars 1928, une loi est votée par le parlement d’alors, déclarant le commissaire du gouvernement protecteur naturel des enfants et lui faisant obligation formelle d’intervenir toutes les fois qu’il y a mineur en cause, même lorsqu’on ne lui porte pas plainte20. Une loi créant « la maison centrale » est promulguée le 20 octobre 190921. Cette maison est à la fois un établissement de correction et une maison d’apprentissage qui a pour objectif d’éduquer tout enfant qu’elle soustrait à l’oisiveté et au vagabondage. Un décret-loi du 7 juin 1938 l’a réorganisé en « centre d’apprentissage professionnel dénommé « maison de rééducation » et au fil du temps, les enfants y étaient gardés sous surveillance spéciale pour y purger des condamnations fixées par le tribunal pour enfants. Le décret du 3 décembre 197322 régissant le statut des mineurs dans les maisons d’enfant, désigne le magistrat communal comme personne responsable de faire toute déclaration provisoire d’enfants abandonnés qui sont recueillis dans ces « orphelinats ». De plus ce décret prévoit les conditions de fonctionnement de ces orphelinats et leurs obligations vis à vis des enfants et de l’Etat. Le décret du 8 décembre196023, faisant obligation aux père et mère ou personne responsable d’un mineur de l’envoyer à l’école et qui le sanctionne d’emprisonnement quand l’enfant est trouvé dans la rue, en train d’errer au lieu d’être à l’école ou dans un centre professionnel. En 1966 un décret introduit l’adoption dans nos mœurs. Il est modifié par un décret du 4 avril 197424 qui trace la procédure, les conditions de l’adoption et les droits des enfants dans leur nouvelle famille. Un décret promulgué le 8 octobre 198225 stipule en son article 4 « les époux pourvoient ensemble à l’entretien et à l’éducation des enfants et préparent leur avenir ». L’article 13 de ce décret stipule que « la puissance paternelle est remplacée par l’autorité parentale ». Code Civil, article 306: «Cette reconnaissance ne pourra avoir lieu au profit des enfants nés d’un commerce incestueux ou adultérin ». 20 Moniteur No du avril 1928 21 Moniteur No 84 du 20 octobre 1909 22 Moniteur No 2 du 7 janvier 1974 23 Moniteur No 120 du 12 décembre 1960 publié à nouveau dans le Moniteur No1 du 2 janvier 1961 24 Moniteur No 32 du 18 avril 1974 25 Moniteur No 75 du 28 octobre 1982 19 26 Le dernier texte législatif relatif à la protection des enfants est le décret voté au parlement le 10 septembre 2001 « interdisant les châtiments corporels contre les enfants ». Les enfants dans le Code du travail Dans le Code du travail haïtien plus d’une vingtaine d’articles ont été consacrés aux enfants dans ses relations de travail, soit avec l’employeur d’une entreprise commerciale industrielle ou agricole, soit avec les responsables du domicile qui va les recevoir. L’âge spécifique de tout enfant accepté par ces employeurs est déterminé. Les conditions dans lesquelles il doit travailler, le minimum qui doit lui être fourni, les soins de santé, d’éducation et même de loisirs qui lui sont dus. Du travail des enfants Des articles 333 à 340, le législateur parle des conditions de travail du mineur dans les entreprises industrielles, agricoles ou commerciales, il est clairement stipulé que le mineur de moins de 15 ans ne peut y travailler. La Direction du Travail du Ministère des Affaires Sociales est l’instance en charge de la protection du mineur face à tout employeur. Une pénalité est prévue pour tout patron qui emploierait un mineur dans des conditions autres que celles prévues dans ces articles. Des enfants en service Le législateur haïtien a consacré les articles 341 à 356 du Code du travail pour poser les conditions de travail des enfants en service, c’est à dire en domesticité, appelé généralement « restavek ». Pour engager un enfant de même que pour s’en décharger, il faut que l’Institut du Bien Etre Social et de Recherche (IBESR) instance du Ministère des Affaires Sociales chargée de la protection des mineurs soit mis en cause et donne l’autorisation à la famille d’accueil. L’âge prévu pour que le mineur soit en service est de 12 à 15 ans. Il est prévu dans ce code que dans les villes ou l’IBESR n’est pas présent, l’administration communale se charge de veiller aux conditions d’accueil, d’hébergement et de traitement de ces enfants. Le mineur en droit pénal Lors de la promulgation du Code Pénal en 1835, on y trouvait deux articles concernant les mineurs: - l’article 280 qui précise que « si le crime de viol est commis sur la personne d’un enfant au-dessous de l’âge de quinze ans accompli, le coupable subira la peine des travaux forcés à temps ». - et dans l’article 282 il est mentionné que « quiconque aura attenté aux mœurs en excitant, favorisant ou facilitant habituellement la débauche ou la corruption de la jeunesse de l’un ou l’autre sexe au-dessous de l’âge de 2126 ans… » (suivent une série de sanctions prévues). A cette époque, la majorité est de 25 ans pour les hommes et de 21 ans pour les femmes 26 27 Dans le code pénal la prostitution n’est pas définie en tant que telle. Mais dans les articles 278, 279, 280 et 281, toutes les personnes qui sont trouvées coupables d’outrage public à la pudeur, d’attentat ou de viol tenté avec violence ou pas, seront sanctionnées, selon le genre de rapport qu’ils entretiennent avec la victime. - « Si la prostitution ou la corruption a été excitée, favorisée ou facilitée par leurs père, mère, tuteur ou autres personnes chargées de leur surveillance. (art. 282) - « …. si les coupables sont de la classe de ceux qui ont autorité sur la personne envers laquelle ils ont commis l’attentat27 , s’ils sont ses instituteurs ou ses serviteurs à gages ou s’ils sont fonctionnaires publics, ou ministre d’un culte, ou si le coupable, quel qu’il soit, a été aidé dans son crime, par une ou plusieurs personnes, la peine sera celle des travaux forcés à perpétuité. (art. 281) - « Quiconque aura attenté aux mœurs, en excitant, favorisant ou facilitant habituellement la débauche ou la corruption de la jeunesse, de l’un ou de l’autre sexe au dessous de l’âge de vingt et un an28 … » - « quiconque aura commis un crime de viol ou sera coupable de tout autre attentat à la pudeur, consommé ou tenté avec violence contre des individus de l’un ou l’autre sexe, sera puni de la réclusion (art. 279 ) - « Si le crime a été commis sur la personne d’un enfant au-dessous de l’âge de quinze ans accomplis, le coupable subira la peine des travaux forcés à temps ». (art. 280) Dans ces articles relatifs à tous rapports sexuels entre individus, et plus spécifiquement avec des enfants ou des dépendants, tentés ou réalisés avec violence, le législateur n’a pas prévu de structures spécifiques pour sanctionner et réhabiliter les victimes de cette exploitation sexuelle. Il a fallu attendre la loi du 7 septembre 196129 sur le tribunal pour enfant pour que l’article 50 du Code pénal se trouve modifié et prévoie un traitement spécial pour « le prévenu ou l’accusé (qui) aura plus de treize ans et moins de seize ans….. » La majorité pénale est depuis considérée comme étant 16 ans accomplis. Ce qui signifie que lorsque le mineur commet une infraction on le considère pleinement responsable dès qu’il a 16 ans, alors, il est jugé comme n’importe quel adulte. Les sanctions Les sanctions prévues par le Code Pénal, contre toute personne qui serait trouvée coupable de ces infractions sont de deux types : la tentative, qu’elle ait échouée ou pas En 1961 lors de la promulgation de ce texte, la majorité était de 21 ans pour les deux sexes 29 Moniteur no 94 du 2 octobre 1961 27 28 28 - Les sanctions civiles: telles, le retrait de l’enfant de la responsabilité du parent est la sanction prévue, l’interdiction de toute tutelle ou curatelle et de toute participation aux conseils de famille, pendant deux ans au moins et cinq ans au plus pour les personnes ayant autorité ou entretenant des rapports hiérarchiques; et pendant dix ans au moins et vingt au plus lorsque les coupables sont les parents ou toute personne responsable. Dans tous les cas, les coupables pourront de plus, être mis par le jugement, sous la surveillance spéciale de la haute police de l’Etat, en observant, pour la durée de la surveillance, ce qui vient d’être établi pour la durée de l’interdiction mentionnée au présent article. - Les sanctions pénales qui dépendent de la «qualité» de la personne coupable d’incitation à la prostitution, d’outrage public à la pudeur, du crime de viol sur la personne de tout mineur en général et plus particulièrement des mineurs de moins de 15 ans: • travaux forcés à temps: 3 ans au moins et 15 ans au plus30 • détention: 10 ans au moins et 20 ans au plus31 • réclusion: 3 ans au moins et 9 ans au plus32 Le Tribunal pour enfants Quelques mots sur cette instance prévue par nos textes: le tribunal pour enfant. La première fois que le législateur haïtien a créé cette instance, c’est par la loi du 16 juillet 195233 instituant dans chacun des tribunaux civils « une section de la jeunesse délinquante » appelée à connaître des crimes et délits commis par les mineurs de moins de 16 ans. En 196134, deux autres textes l’ont modifié, la loi du 7 septembre 1961 sur le mineur en face de la loi pénale et des tribunaux spéciaux pour enfants et le décret du 20 novembre 196135 instituant le tribunal pour enfants à Port-au-Prince, en attendant de pouvoir l’installer dans toutes les juridictions prévues dans la loi du 7 septembre. Mais, ce tribunal ne prévoit aucune mesure contre les mauvais traitements faits aux enfants. Il est créé pour condamner les enfants accusés d’infractions mais pas pour les enfants victimes de mauvais traitements. 2.2.- La législation Internationale Tout comme pour la législation nationale, nous partirons des textes généraux avant d’arriver aux textes spécifiques aux mineurs et à l’exploitation sexuelle des mineurs. La Déclaration Universelle des droits de l’homme 10 décembre 1948 – publié en Haïti ce même jour stipule dans son préambule que «l’avènement d’un monde ou les êtres humains seront libres de parler, de croire, libérés de la terreur et de la misère, a été proclamé comme la plus haute aspiration de l’homme»; et que l’article 4 stipule encore «nul ne sera tenu en esclavage ni en servitude; l’esclavage et la traite des esclaves sont interdits sous toutes leurs formes». article 19 du Code pénal article 19 bis code pénal article 20 du code pénal 33 Moniteur No 66 du 31 juillet 1952 34 Moniteur No 94 du 2 octobre 1961 35 Moniteur No 108 du 20 novembre 1961 30 31 32 29 Le pacte relatif aux droits civils et politiques sanctionné par le décret 23 novembre 199136, dans lequel il est stipulé que “nul ne sera tenu en esclavage, …en servitude… (article 8) que « tout individu a droit à la liberté et à la sécurité de sa personne… (article 9) et que « toute les personnes sont égales devant la loi et ont droit sans discrimination à une égale protection de la loi….”(article 26) est aussi un engagement formel de l’Etat de tout mettre en œuvre pour que ses citoyens soient protégés tant par les lois nationales que par des institutions qui seront créées avec cet objectif. La convention du 21 mars 1950 pour la répression de la traite des être humains et de l’exploitation de la prostitution d’autrui ratifiée par le décret du 2 septembre 195237 qui dit dans son article premier “les parties à la présente convention conviennent de punir toute personne qui, pour satisfaire les passions d’autrui: 1) embauche, entraîne ou détourne en vue de la prostitution une autre personne, même consentante; 2) exploite la prostitution d’une autre personne, même consentante.” La Convention américaine relative aux droits de l’Homme du 18 août 197938 dans son article 19 intitulé “droit de l’enfant” déclare que tout enfant a droit aux mesures de protection qu’exige sa condition de mineur, de la part de sa famille, de la société et de l’Etat. La convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (CEDAW) ratifiée par décret du 7 avril 198139 et la Convention Interaméricaine sur la Prévention, la Sanction et l’Élimination de la Violence contre la Femme, “convention de Belèm do Parà” ratifiée le 2 juin 1997 ne sont pas spécifiques aux enfants mais font des recommandations spécifiques aux femmes, à la violence qu’elles subissent sous toutes ses formes ainsi que des lois à prendre et des structures à mettre en place pour qu’une protection effective leur soit accordée. Il faut aussi mentionner la Convention pour la répression de la circulation du trafic des publications obscènes (10 septembre 1923) et son décret de ratification du 26 août 195340. Moniteur Moniteur 38 Moniteur 39 Moniteur 40 Moniteur 36 37 30 No No No No No 2 du 7 janvier 1991 9 du 22 janvier 1953 77 du 1er octobre 1979 76 du 14 novembre 1962 9 du 22 janvier 1953 Textes internationaux non ratifiés par Haïti Ces textes internationaux signés par Haïti mais non encore ratifiés sont mentionnés dans cette étude à cause de leur importance dans la lutte contre l’exploitation sexuelle des mineurs à des fins commerciales et la différence que leur application dans la législation haïtienne pourrait faire, une fois ratifiés et mis en application. • Pacte relatif aux droits économiques, sociaux et culturels. • Protocole facultatif à la convention relative aux droits de l’enfant, concernant la vente d’enfants, la prostitution des enfants et la pornographie mettant en scène des enfants. • La convention 182 de l’Organisation Internationale du Travail (OIT) sur les pires formes de travail des enfants. Les droits des enfants La déclaration des droits de l’enfant, sanctionnée par le décret du 16 janvier 197941 avec toutes les obligations que l’Etat prenait à sa charge relativement à la protection, l’encadrement et les mécanismes à mettre en œuvre pour que cette protection soit concrète. La Convention Internationale sur les Droits de l’Enfant, ratifiée par le décret du 23 décembre 199442, est le principal document relatif aux droits des enfants qui prend en compte tous les intérêts de l’enfant. Elle vient renforcer les précédentes conventions relatives au travail et à la prostitution des enfants qui avaient été prises par Haïti. Elle stipule comme obligations des Etats parties, dans les différents articles suivants: - 19: les Etats parties prennent toutes les mesures législatives, administratives, sociales et éducatives appropriées pour protéger l’enfant contre les mauvais traitements ou exploitation, y compris la violence sexuelle; - 34: les Etats parties s’engagent à protéger l’enfant contre toutes les formes d’exploitation sexuelle et de violence sexuelle et prennent en particulier toutes les mesures appropriées pour empêcher que a) des enfants ne soient incités ou contraints à se livrer à une activité sexuelle illégale; b) que des enfants ne soient exploités à des fins de prostitution ou autres pratiques sexuelles illégales; - 39: qui demande aux Etats parties de prendre toutes les mesures appropriées pour faciliter la réadaptation physique et psychologique et la réinsertion sociale de tout enfant victime de toute forme d’exploitation dans des conditions qui favorisent la santé, le respect de soi et la dignité de l’enfant. Le travail des enfants La liste suivante des différentes dispositions adoptées par Haïti relativement au travail des enfants est présentée ici pour illustrer la quantité d’obligations que l’Etat haïtien a prises vis à vis des enfants: • Décret sanctionnant la convention fixant l’age minimum d’admission des enfants aux travaux industriels – 13 juillet 1956.43 • Décret sanctionnant la convention concernant l’examen médical d’aptitude à l’emploi aux travaux non industriels des enfants et des adolescents – 13 juillet 1956.44 • Décret sanctionnant la convention concernant le travail de nuit des enfants dans l’industrie, révisée à San Francisco – 13 juillet 1956.45 • Décret sanctionnant la convention concernant l’examen médical d’aptitude à l’emploi dans l’industrie des enfants et des adolescents – 24 juillet 1956.46 Moniteur No 20 du 8 mars 1979 Moniteur No 59 du 31 juillet 1997 43 Moniteur No 95 du 6 septembre 1956 44 Moniteur No 95 du 6 septembre 1956 45 Moniteur No 95 du 6 septembre 1956 46 Moniteur No 95 du 6 septembre 1956 47 article 276-2 de la Constitution de 1987 41 42 31 2.3- Ecarts entre la législation internationale et la législation nationale La norme constitutionnelle haïtienne fait «des traités ou accords internationaux, une fois sanctionnés et ratifiés dans les formes prévues par la constitution, font partie de la législation du pays et abrogent toutes les lois qui leur sont contraires.» En d’autres termes, le fait par l’Etat haïtien d’avoir ratifié la Convention internationale des droits de l’enfant suffit pour que notre législation soit en adéquation avec la législation internationale. Mais, à l’analyse, il s’avère que sans textes de mise à jour et de mise en application des normes nouvelles, les écarts ne sont pas comblés et l’usage de ces normes nouvelles ne rentre pas dans la pratique des magistrats et des justiciables. Les écarts que nous pouvons mentionner quant à l’adéquation de la législation haïtienne relativement à la législation internationale peuvent se situer à deux niveaux: le premier, relatif à la législation et le second par rapport à notre réalité. Ecarts relatifs à la législation Le premier commentaire que nous pouvons faire concerne les contradictions de notre législation sur l’âge du mineur. La Convention dit que le mineur est celui qui n’a pas 18 ans, sauf stipulation contraire de la loi nationale. Notre loi nationale dit que le mineur est celui qui n’a pas 18 ans, mais pénalement il est celui qui a 16 ans accomplis. De ce fait, le mineur de 17 ans qui commet une infraction, en principe est passible du tribunal de droit commun –entendons tribunal pour adulte, mais ne peut ou ne devrait pas se retrouver en prison avec des adultes. Un autre commentaire concerne le libellé de l’article 280 du Code pénal: « si le crime de viol a été commis sur la personne d’un enfant au dessous de l’age de 15 ans accomplis… » cela veut-il dire que le mineur de plus de 15 ans ne bénéficie pas de la même protection? De même que l’article 281 qui stipule « quiconque aura attenté aux mœurs, en excitant, favorisant ou facilitant la débauche ou la corruption de la jeunesse, de l’un ou de l’autre sexe au dessous de l’âge de vingt et un an… » Il y aurait lieu de régulariser ces différences d’âges. De même, dans ces articles on ne prévoit absolument aucune assistance pour le mineur victime du viol, de l’attentat ou de la tentative de viol avec violence. Aucune instance spéciale pour recevoir les plaintes des mineurs ou de toute personne qui peut être au courant des violations dont ils sont victimes. Il n’est pas non plus prévu de mesures de réparation et d’accompagnement systématique de tout mineur victime de maltraitance ou d’exploitation sexuelle à des fins commerciales. De ce fait, la législation nationale n’est pas suffisamment détaillée et laisse place à beaucoup trop de latitudes pour que l’agresseur s’en tire sans sanction. 32 Les professionnels haïtiens du droit estiment que le libellé des articles du code pénal sur le viol et tout autre attentat à la pudeur commis sur un mineur est clair. Il ne permet aucun doute sur le fait que le consentement du mineur ne saurait constituer une excuse, ni même dédouaner le coupable. Le Commissaire du gouvernement interviewé l’a confirmé, il estime même que le manque de précision des articles du code pénal relatif à la débauche et la prostitution donne toutes les possibilités pour l’accusateur d’inclure sous cette rubrique toute incitation, action, offre ou autre attitude similaire d’un adulte à un mineur. Par contre, certains pensent que lorsque le législateur définit l’incitation ou la facilitation à la débauche, il ne voit pas le mineur qui s’offre de lui-même à la convoitise de l’adulte. Il faudrait donc que la loi se prononce sur cette situation pour lever ce doute. Les textes relatifs aux structures étatiques de protection des mineurs ne sont pas suffisamment détaillés ni suffisamment publiés. C’est comme s’ils n’existaient pas. Principalement en ce qui concerne le travail des mineurs, tant dans des entreprises commerciales ou industrielles que dans des familles. L’Institut du Bien Etre Social et de Recherches et le Bureau du Travail du Ministère des Affaires Sociales, en principe chargé de la protection des mineurs sont incapables d’informer sur la situation générale des enfants, voire de les protéger. Ecarts dans l’application des obligations internationales Les conventions internationales ratifiées par Haïti relatives au droit des enfants, tant la convention internationale des droits des enfants que les différents accords sur le travail prévoient des structures de contrôle, d’encadrement, d’assistance et de défense des enfants en situation difficile. Dans la plupart de nos textes ces structures sont mentionnées. Mais dans la réalité, elles n’existent pas ou des fois elles n’existent qu’au niveau de l’écrit. Les instances de l’Etat s’intéressant aux enfants qui devraient se charger de compiler, harmoniser, diffuser les textes relatifs aux enfants ne se sont pas dotés de moyens d’agir. Les différents codes utilisés généralement par la grande majorité des magistrats ne sont pas mis à jour. Nombreux sont ceux qui ignorent les prescrits de la Convention internationale des droits de l’enfant, texte international qui a connu le plus de publicité. Le tribunal pour mineurs créé pour se pencher sur le cas des mineurs en contravention avec la loi pose certains problèmes. En effet, s’il se penche sur les infractions commises par des mineurs, il ne se penche pas sur les problèmes que confronte le mineur avec l’extérieur. En d’autre terme, l’adulte qui abuse d’un mineur n’a aucun compte à rendre par devant cette instance. 33 De plus, ce tribunal est le seul fonctionnel à travers le pays pour connaître des infractions commises par les enfants de quelque lieu qu’ils viennent. On y a recensé des cas de mineurs venant de Mirebalais et de Jérémie. Ces enfants, coupables de délits dans leur patelin ont été expédiés avec leur dossier dans ce milieu totalement inconnu et après quelques mois d’emprisonnement, ont été libérés, sans jugement. Le Centre d’accueil, structure spéciale prévue pour recevoir les enfants en contravention avec la loi, n’existe que sur papier. Il a fonctionné à un moment. Il a cessé de remplir son rôle depuis 1987, sans explications. L’Etat et ses responsables n’ont jamais eu besoin de justifier par-devant quiconque de cette situation. A Port-au-Prince les enfants arrêtés par la police sont déposés au Fort National, la prison pour femmes et enfants. Dans les autres villes haïtiennes, ils se retrouvent dans des cellules avec les adultes. C’est le cas des services qu’offrent l’Institut du Bien Etre Social et de Recherche (IBESR) à toute entreprise commerciale, industrielle ou agricole qui veut embaucher des enfants ou à toute famille d’accueil qui accepte de recevoir un enfant en service. Les autorisations nécessaires ne sont pas délivrées, les contrôles ne sont jamais effectués et même lorsqu’on leur dénonce des cas de violation des droits des enfants, ils ne sont pas toujours en mesure d’intervenir. L’IBESR n’est pas au courant du nombre d’enfants qui se trouvent actuellement en domesticité. Il n’est pas au courant du traitement des enfants en domesticité. Il n’est pas au courant des familles qui acceptent de recevoir des enfants dans des conditions autres que celles prévues par la loi en la matière, pas plus qu’il n’est au courant du nombre d’enfants qui se retrouvent dans la rue à cause de la fuite de la maison d’accueil. La création de l’Ecole de la Magistrature (EMA) a permis que la génération de jeunes magistrats qui y sont passés soit au courant de la convention internationale relative aux droits de l’enfant. Mais, l’EMA ne leur fournit pas le matériel de travail lorsqu’ils vont entrer en fonction. Et souvent ils n’ont à leur disposition que les anciens codes. Ils oublient dans leur pratique ces notions « inapplicables » dans leur réalité. 34 III- LE CADRE INSTITUTIONNEL En Haïti, le cadre institutionnel impliqué de façon spécifique dans la problématique des enfants victimes de l’exploitation sexuelle à des fins commerciales n’existe pratiquement pas. Que ce soit au niveau des structures de l’état ou de la société civile, cette question se retrouve englobée à l’intérieur de la problématique des enfants en situation difficile, particulièrement enfants dans les rues, enfants de la rue et enfants en domesticité. Nous présentons ici: • d’une part les informations que nous avons pu obtenir sur les institutions étatiques, informations puisées dans un rapport rédigé pour le OIT en janvier 2000 et des entrevues passées avec un commissaire du gouvernement et un policier. (Malgré de nombreuses tentatives, l’équipe n’a jamais pu obtenir une entrevue avec un membre du personnel de l’IBESR). • d’autre part les résultats d’entrevues que nous ont accordées 4 institutions non gouvernementales parmi celles travaillant soit directement – L’Escale, Timkatèk, Centre d’Education Populaire, soit indirectement –Kay Fanm – avec les enfants en situation difficile. 3.1.- Au niveau de l’Etat 3.1.1 – L’Institut du Bien Etre Social et de Recherches (IBSR) Une seule institution étatique à notre connaissance a mandat de se pencher sur la problématique des enfants en situation difficile donc sur celle des enfants victimes d’exploitation sexuelle à des fins commerciales: l’Institut du Bien Être Social et de Recherche (IBESR). D’après le texte de Mathieu 2000, pp. 14-17 «L’IBESR intervient principalement à Port-au-Prince quoiqu’il y a deux (2) centres médicaux sociaux en province, un au Cap - Haïtien et l’autre aux Gonaives. Quoique celui des Gonaïves est actuellement fermé, l’institution travaille à sa réouverture. Par contre, le Dr Faucher, (directrice générale de l’IBESR à l’époque), prévoit une présence du Bien – Etre Social dans 12 villes de province, une dans chacun des neuf (9) départements aussi bien qu’à Petit Goâve et à St. Marc, où ils offriront des services d’assistance sociale aux familles nécessiteuses et sinistrées, et des services materno-infantiles. « La définition du Dr. Faucher de la protection sociale est celle de la loi organique du Ministère des Affaires Sociales (MAS) à savoir améliorer les conditions de vie de la population sur le plan économique, moral et social 35 Dans ce cadre là, l’IBESR offre plusieurs types de service à la population y inclus: • un service de protection des mineurs • un service social pénitencier • un service de certificat pré- nuptial • des oeuvres sociales • un service d’adoption • un service de contrôle de la prostitution Les services de certificat pré–nuptial et d’adoption ne font que livrer des certificats pré–nuptial et recommander l’adoption. » Pour notre rapport sur l’exploitation sexuelle des mineurs à des fins commerciales, deux services nous intéressent: le service de protection des mineurs et celui du contrôle de la prostitution. « Le service de protection des mineurs a comme “clientèle” cible, les enfants en domesticité, les enfants des rues et les enfants de famille en situation difficile. L’IBESR intervient dans des cas d’abus des enfants en domesticité pour les enlever de l’environnement abusif, les placer dans des institutions qui les accueillent, (comme l’Escale) et entame des recherches pour les remettre à leurs parents. En ce qui concerne les enfants des rues, les agents de l’IBESR interviennent auprès d’eux pour les porter à ne pas s’impliquer dans des activités de vol, de drogue et d’éviter de se laisser manipuler par des gens mal intentionnés. Pour les enfants de famille en situation difficile, souvent, ce sont les parents qui les amènent à l’IBESR demandant qu’ils soient placés dans une institution parce qu’ils ne sont plus capables de s’en occuper faute de moyen économique. « Pour l’année 1999 les agents de l’IBERS ont placé 30 à 40 enfants en domesticité à l’Escale; travaillé avec 86 enfants des rues et placé 76 enfants de famille en situation difficile dans différents orphelinats. Quand on considère qu’il y a environ 8000 enfants des rues à Port-au-Prince (Ponticq & Bernier 1999), l’IBESR a touché environ 1% de ces enfants pendant l’année 1999. Et pour les enfants en domesticité, le document de projet du Bureau International du Travail (OIT) préparer en 1998, concernant La Lutte Contre l’Exploitation des Enfants Domestiques en Haïti estime qu’il y a entre 110.000 à 250.000 enfants en domesticité au niveau national. Ceci permet de comprendre que le nombre d’enfant touché, dans ce domaine, par l’IBESR en 1999 est insignifiant. 36 «En ce qui concerne les critères de choix de la “clientèle” cible, il semblerait qu’il n’y en a pas. Les responsables croient que seulement les personnes réellement nécessiteuses se présenteraient à l’institution pour demander de l’aide. Quoiqu’ils n’ont pas été explicites à ce sujet, on a comme l’impression que c’est à cause de la honte et l’humiliation que doivent ressentir les demandeurs qui fait que, d’après les responsables, ils doivent être vraiment dans le besoin. Par conséquent, les personnes qui bénéficient, peuvent être recommandées par quelqu’un, par la police ou ils s’amènent eux-mêmes...» « Le service de contrôle de la prostitution est un programme qui offre des services préventifs et curatifs aux prostituées qui travaillent dans les bars et les cafés. Les prostituées qui ne font que les trottoirs ne sont pas incluses. Par conséquent, ce sont les prostituées qui travaillent dans les bordels qui sont le plus souvent bénéficiaires de ces services…» «Les agents de l’IBERS tentent de rencontrer deux fois par année les responsables de bar et de café pour les encourager à exiger des hommes, qui fréquentent leur établissement, l’utilisation de préservatifs et des prostituées une carte de santé livrée par des médecins de l’IBESR. Il faut quand même, signaler qu’au moment où ce rapport a été rédigé, (janvier 2000) le service de certificat de santé était fermé. Les agents de l’institution font des visites de routine dans les bordels et les cafés pour s’assurer qu’il n’y a pas de mineurs qui y travaillent. D’après le Dr. Faucher ces cas sont rares, mais s’ils en trouvent, les enfants sont enlevés et placés ailleurs.» (Mathieu2000:14-17)48. 3.1.2.- La justice: connaissance du phénomène – Recours légaux Au niveau de la justice, il faut noter une ignorance ou une méconnaissance presque totale du phénomène de l’exploitation sexuelle des mineurs. Il n’existe aucune structure ayant mandat de se pencher de façon spécifique sur ces violations. Un commissaire du gouvernement affirme qu’il n’a jamais entendu parler de l’exploitation sexuelle des mineurs à des fins commerciales dans l’exercice de ses fonctions. Ce même commissaire pense cependant qu’il y a provision dans l’article 282 du code pénal pour présenter de tels cas devant la justice. D’après lui pour contrer le phénomène il suffirait d’appliquer la loi et mettre en place des structures de surveillance. Les institutions de la société civile devraient dénoncer de tels agissements, car une fois au courant le commissaire du gouvernement devrait mettre l’action publique en mouvement. Quand on connaît l’ampleur du phénomène une telle affirmation est édifiante: elle témoigne du peu d’attention qui lui est accordée au niveau de la justice et aussi des nombreuses difficultés rencontrées pour porter de tels cas devant les tribunaux. Mathieu Suze – L’état des lieux de la protection sociale en Haïti – Produit pour le OIT – Décembre 2000 48 37 3.1.3.- La Police A travers l’entrevue accordée par un policier, nous apprenons que la Police intervient de façon ponctuelle. En 1997 une intervention de celle-ci a détruit une base de prostitution de mineurs qui se trouvait au cimetière de Port-auPrince. Certains hommes – clients – ont été emprisonnés puis libérés au bout de quelques heures après un sermon moralisateur. Les mineurs – des filles – ont été renvoyées chez elles. La zone a été clôturée par le Ministère des travaux publics et des agents de sécurité y ont été placés en faction. Ce policier connaît bien certains circuits de cette exploitation sexuelle des mineurs et certains bénéficiaires comme les propriétaires de maisons de passe. D’après lui pour freiner ce phénomène, il faudrait des interventions de l’Etat comme la création d’emplois, et de centres d’accueil pour retirer les enfants de la rue. La société civile pourrait contribuer en créant des écoles. Autrement dit, l’État haïtien, à toute fin pratique, est quasiment absent dans la protection des droits de l’enfant et particulièrement en ce qui concerne les mineurs victimes d’exploitation sexuelle à des fins commerciales. Un projet du Code de l’enfant en est à sa deuxième ou troisième version, sans aucun suivi. Comme il a été démontré dans le cadre juridique, la législation haïtienne d’une part, les conventions internationales sur la protection des droits de l’enfant signées et ratifiées d’autre part, lui donne des moyens – limités il est vrai – d’intervenir; cependant aucune intervention significative ne témoigne de son intérêt pour la question; des institutions étatiques comme le Ministère à la Condition Féminine et le Ministère de la Santé Publique qui auraient un rôle à jouer dans la protection de l’enfant n’ont aucun mandat spécifique pour le faire; peu de ressources sont affectées au développement institutionnel des structures concernées de fait qui demeurent inefficientes, la justice attend les dénonciations, la police, bien qu’au courant, n’intervient que de façon ponctuelle et sans aucun suivi. 3.2.- Au niveau de la société civile Au niveau de la société civile il existe un certain nombre d’institutions caritatives, ayant, pour la plupart, un statut d’ONG et dont les activités sont dirigées vers les enfants en situation difficile: enfants en domesticité, « restavèk », enfants des rues et de la rue. La vocation de ces institutions est d’encadrer ces enfants dans différents domaines. Parmi les plus connues nous avions relevé une liste de sept: Centre d’Education Populaire (CEP), L’Escale, CAFA, Timkatèk, Caritas, Lakay, Le foyer Maurice Sixto. Nous en 38 avons rencontré 3: Le CEP, L’Escale, Timkatèk. A cette liste nous avons ajouté Kay Fanm, une institution féministe, qui offre, entre autre, un accompagnement aux femmes victimes de violence. Dans le cadre de ses activités elle est parfois appelée à prendre en charge des mineurs victimes de violence. Les rencontres avec APROSIFA, une clinique oeuvrant dans le domaine de la santé de la femme, et avec l’UNICEF n’ont apporté aucun élément significatif pour le sujet sous étude. Comme le montrent les fiches signalétiques des institutions rencontrées, les programmes et activités visent la réhabilitation des enfants, le renforcement de leur confiance en eux et leur réinsertion sociale. Programmes d’éducation, services de santé, formation professionnelle sont les stratégies en général utilisées. L’Escale priorise la réinsertion des enfants en domesticité dans leur famille d’origine. Kay Fanm offre un accompagnement et une assistance juridique quand les circonstances le permettent. 3.2.1.- Connaissance du phénomène et interventions spécifiques Toutes ces institutions reconnaissent l’existence du phénomène de l’exploitation sexuelle des mineurs à des fins commerciales, toutes admettent qu’elles en reçoivent parmi leur “clientèle”. Cependant mise à part le CEP, elles n’en connaissent pas vraiment les circuits et peuvent difficilement nous donner une idée de l’ampleur du problème. Le Centre d’Éducation Populaire est vraiment la seule institution qui a été capable de nous fournir certaines indications sur les pratiques de l’exploitation sexuelle des mineurs à des fins commerciales particulièrement sur les lieux où elle s’exerce et son directeur a accompagné un membre de l’équipe dans le travail d’observation. Timkatek a orienté nos équipes d’enquêteurs vers les lieux où se regroupent les enfants des rues et les enfants de la rue à Pétion Ville. Mais aucune n’a de programmes s’adressant à la problématique de l’exploitation sexuelle des mineurs à des fins commerciales de façon spécifique. La prise en charge des mineurs victimes se fait cas par cas. Selon les besoins médicaux, psychologiques, juridiques elles s’adressent à des professionnels connus pour leur sensibilité ou leur engagement (à noter que l’équipe du CEP comprend un psychologue). C’était le cas pour la Fanmi se la vi, une des institutions pionnières dans le travail dirigé vers les enfants des rues, et qui avait développé des structures autonomes au niveau de l’éducation, de la santé, de la formation professionnelle, mais qui dans le cas de l’exploitation sexuelle à des fins commerciales ne pouvait intervenir que de façon ponctuelle. 39 Autrement dit, les interventions s’adressent aux enfants victimes, mais pas au phénomène lui-même. Seul le CEP, à travers son directeur est engagé dans des études sur la question, avec des recommandations et dans des plaidoyers tant au niveau national qu’au niveau international49. Ces institutions pour jouer un rôle efficace dans la lutte contre l’exploitation des mineurs à des fins commerciales devraient pouvoir s’appuyer sur des structures étatiques. Mais il n’existe aucun encadrement institutionnel étatique. Au contraire, elles doivent parfois assumer le rôle incombant à l’état qui souvent fait appel à elles et ce sont elles qui lui servent de recours. Le Centre d’Éducation Populaire (CEP)50 Le Centre d’Éducation Populaire ou CEP est une « Association pour les Enfants des Rues de Port-au-Prince ». Il est situé à la Rue St. Gérard #10. C’est « un organisme à but non lucratif, créé le 25 mai 1986 dans le but de mettre les jeunes en situation de développer, leurs ressources propres et de se tailler une place dans la société comme citoyen responsable à part entière. » Le centre intervient directement auprès des enfants dans la rue. Les membres de l’équipe du CEP interviennent auprès des enfants qui se regroupent du côté: 1) du Champs – de -Mars, 2) de la Cathédrale de Port-au-Prince, 3) le Portail Léogane, 4) Decayèt, 5) et le Ciné Lido (coin Grand Rue et Rue Joseph Janvier). Le CEP offre aux enfants des services de: formation technique ou professionnelle; de santé; d’éducation, d’accompagnement et de secours (sur la forme d’affermage de maison pour certains); et quand cela s’avère possible, facilite leur réintégration dans leur famille et / ou à l’école. Le CEP a comme “clientèle” deux (2) types d’enfants: 1) les enfants des rues, ceux qui ont la rue comme habitat; 2) et les enfants dit de la rue, ce sont des enfants qui passent leurs journées dans la rue mais qui dorment chez eux le soir. Le CEP retrouve ces enfants en allant vers eux dans la rue et travaillent avec des «cartels» d’enfants, au sein desquels les enfants se regroupent et fonctionnent ensemble. 49 L’exploitation sexuelle des enfants – Jean Robert Chery – miméo – Avril 1996 Les abus sexuels: enfants prostitués – Jean Robert Chéry – Forum « Enfance et Violence » – Enfant du Monde et Enfance Canada – Octobre 1995 Rapport de consultation – Consultation régionale des jeunes exploités à des fins commerciales – Aide à l’Enfance Canada (Haïti) avec la participation du Centre d’Éducation populaire – Novembre 1997 50 Voir en annexe le compte rendu complet des entrevues avec les responsables d’institution. 40 3.2.2.- Perception du phénomène par les institutions: définition, conséquences, notion de genre Même si elles ne sont pas concernées directement, les institutions ont toutes une perception de l’exploitation sexuelle des mineurs à des fins commerciales. Pour L’Escale, celle ci réfère à un mineur impliqué dans une relation sexuelle avec un adulte pour de l’argent, le CEP y voit un mineur impliqué dans cette relation avec un adulte ou un pair, soit directement soit à travers un proxénète ou un bordel. Kay Fanm la définit comme toute situation où un mineur est impliqué dans des activités sexuelles pour sa survie; Timkatek, comme toute situation où un mineur est victime d’abus sexuel. De leur point de vue, le phénomène touche filles et garçons avec des différences notables. D’abord les filles sont plus nombreuses; différentes explications sont avancées: Pour le CEP, si ces dernières sont moins nombreuses dans la rue, celles qui s’y trouvent subissent l’exploitation sexuelle à des fins commerciales dans un plus fort pourcentage que les garçons, ceux-ci ont d’autres possibilités de se trouver des petits jobs. L’Escale pense qu’ il y a un plus grand nombre de filles en situation de « restavek », donc un plus grand nombre de filles à risques. Cette perception rejoint un constat fait par Martine Bernier et Françoise Ponticq: la majorité des filles des rues sont prostituées d’une façon ou d’une autre51. L’Escale L’Escale est située dans la localité de Drouillard, zone marginale et défavorisée des environs de Port-au-Prince et fonctionne depuis 1997. Les enfants qui s’y trouvent ont été amenés soit par l’Institut du Bien Être Social, soit par la police et même par une radio de la capitale, Radio Guinen. L’Escale reçoit en majorité des fillettes. La directrice du centre pense qu’elle reçoit seulement des filles parce que celles-ci sont plus nombreuses en domesticité vu que la société en fait des êtres plus dociles, plus travailleurs. Les activités se déroulent autour de l’éducation, la santé, l’éducation sexuelle. De plus l’Escale favorise la réinsertion des enfants dans leur milieu familial. Filles et garçons font face aux mêmes risques: MST, SIDA. Les grossesses précoces et leurs conséquences alourdissent le lot des filles. Mais, filles et garçons intériorisent leur situation de façon différente: pour Jean Robert Chéry du CEP, les filles s’enfoncent dans un sentiment de dévalorisation (être un trou). L’Escale, Timkatèk signalent au contraire chez les garçons un certain sentiment de fierté d’être choisi comme partenaire sexuel par un adulte. Op.cit 51 41 Une des situations qui les humilient particulièrement c’est d’être utilisé comme travesti donc dépouillé de leurs attributs de mâle comme en témoigne une des histoires de vie. C’est aussi l’image que la société leur renvoie. Garçons et filles développent des difficultés à établir des relations affectives normales. Cette perception d’eux-mêmes est renforcée par l’image que leur renvoie la société: celle-ci semble plus tolérante pour les garçons:on dénonce moins souvent les cas d’agression à leur endroit, (Kay Fanm), s’ils en trouvent l’opportunité ils peuvent s’en sortir plus facilement; les filles, dans une certaine mesure, c’est leur lot, et elles restent stigmatisées à vie par cette période de leur itinéraire. Timkatèk (Timoun kap teke chans) Timkatèk est une ONG de Pères de St Jean Bosco, dirigée par le père Simon Elle a été fondée en 1994 et intervient à Pétion-Ville et à Delmas. Elle est située à Pétion-Ville, rue Derenoncourt. Elle offre un accompagnement aux enfants des rues ou en domesticité consistant en soins médicaux, éducation, hébergement pour les garçons. Timkatek reçoit plus de garçons que de filles Actuellement l’institution compte 40 garçons internés et 7 filles. 3.2.3.- Causes et facteurs de perpétuation selon les institutions Les causes du phénomène sont les mêmes pour toutes les institutions: la misère et la pauvreté. L’impunité et la corruption des juges, le manque de législation précise concernant le statut de mineur, la prostitution classique, etc. favorisent la perpétuation du phénomène. Kay Fanm souligne les faiblesses de la législation sur l’adoption, les préjugés contre les mineurs sexuellement exploités, l’Escale attire l’attention sur la vulnérabilités des enfants ayant des antécédents l’abus sexuels. L’absence d’intervention de l’état, la démission des parents sont aussi invoquées comme facteurs favorisant l’exploitation sexuelle des mineurs à des fins commerciales. Kay Fanm Kay Fanm est une organisation féministe créée en 1984. Kay Fanm intervient particulièrement dans l’Ouest, l’Artibonite, Les Nippes mais l’impact de ses activités est national. 42 Dans ses programmes Kay Fanm offre une aide juridique aux femmes victimes de violence, une formation technique particulièrement en gestion de petites entreprises, des sessions de sensibilisation sur la condition féminine, un accompagnement en terme d’hébergement, aide matérielle, d’encadrement organisationnel, etc. Kay Fanm s’adresse particulièrement aux femmes cependant l’institution reçoit des enfants restavek en situation difficile ou des enfants violés. L’âge de ces enfants varie entre 8 mois et 15 ans; ils sont amenés soit par leurs parents soit par des voisins. 3.2.4.- Les recommandations des institutions Les institutions interrogées dénoncent l’absence de l’état dans la protection des droits de l’enfant, malgré toutes les conventions signées et ratifiées. Les institutions concernées devraient travailler à un plaidoyer pour dénoncer le phénomène, faire respecter les droits de l’enfant, faire appliquer les dispositions du Code du travail sur le travail des enfants et se battre pour que soit définie une politique nationale visant la protection des enfants. Kay Fanm de plus pense que des mécanismes favorisant la dénonciation de ces actes et un accompagnement juridique des victimes devraient être mis en place. Timkatèk plaide pour la création d’emploi. Cet état des lieux du cadre institutionnel civil haïtien oeuvrant sur la problématique de l’exploitation sexuelle des mineurs à des fins commerciales dévoile ses faiblesses. Tout ce passe comme si le phénomène n’existait pas en soi avec ses spécificités: les victimes sont traitées cas par cas, les activités sont dispersées, il n’existe pas de programmes de prévention, les circuits ne sont pas explorés et dénoncés, les clients ne sont pas identifiés et traduits devant la justice. Ces faiblesses sont imputables en grande partie à l’État qui ne remplit pas son rôle normatif. Il n’existe pas de plan national pour la protection de l’enfant, pas d’instances au niveau de la justice mandatées pour faire appliquer les lois, recevoir les plaintes et en faire le suivi. Au cours de cette étude, en plus des institutions déjà citées, l’équipe a rencontré un certain nombre de professionnels dans le but de recueillir leur perception du phénomène de l’exploitation sexuelle des mineurs à des fins commerciales. Une femme médecin, gynécologue, une femme psychologue, travaillant dans un projet de prévention du Sida pour travailleuses sexuelles (FOSREF), un anthropologue biologiste travaillant pour une ONG (Parole et Action), un policier, un commissaire du gouvernement, 2 travailleurs sociaux. Les entrevues avec le commissaire du gouvernement et le policier nous ont permis d’appréhender le rôle et les interventions de la justice et de la police. 43 Tous ces professionnels sont interpellés par le phénomène. Comme les responsables des institutions, ils mettent en cause en premier lieu la misère, la pauvreté. Ils témoignent que le phénomène s’est intensifié depuis les 15-20 dernières années et est de plus en plus visible. Les filles impliquées sont plus nombreuses ; les deux travailleurs sociaux pensent que c’est un déshonneur, une honte pour les filles alors que c’est moins humiliant pour les garçons qui parfois même en tirent une certaine fierté. Pour l’anthropologue il y a une plus grande tolérance de la société pour les filles. Il y a donc différentes perceptions des mineurs victimes de l’exploitation sexuelle selon leur sexe. Ces perceptions sont exprimées difficilement, elles se cachent derrière des affirmations vagues, peu précises mais traduisent un mode de pensée imprégné de tabous et de préjugés. Selon l’avis de ces professionnels, les bénéficiaires de l’exploitation sexuelle des mineurs à des fins commerciales, sont soit des chefs de réseaux, soit des jeunes délinquants soit des malades. L’état et les institutions devraient intervenir de façon concertée à différents niveaux: combattre le chômage, créer des structures d’accueil et de réhabilitation, réviser les lois et punir les coupables. En Haïti on assiste donc à une augmentation sensible de l’exploitation sexuelle des mineurs à des fins commerciales depuis ces 15-20 dernières années. Certains secteurs de la société se sentent de plus en plus interpellés par ce phénomène. Certaines initiatives visant à mieux le comprendre voient le jour comme cette étude; des interventions souvent isolées, sont entreprises. Cependant malgré ces signes d’une prise de conscience, peu de progrès ont été réalisés au niveau des structures étatiques et des instituions de la société civile non seulement dans le travail d’éradication de l’exploitation sexuelle des mineurs mais plus globalement dans la protection des droits de l’enfant. 44 IV- CARACTERISTIQUES DE L’ EXPLOITATION DES MINEURS A DES FINS COMMERCIALES 4.1.- Lieux où se pratique l’exploitation sexuelle des mineurs à des fins commerciales La pratique de l’exploitation sexuelle des mineurs à des fins commerciales se fait de façon diffuse, diluée principalement dans le monde complexe des enfants en situation difficile. Il est difficile de cerner les lieux où elle se pratique réellement. Les endroits – Centre ville et Pétion Ville - identifiés par les termes de référence de la présente étude sont d’abord des lieux où se retrouvent les enfants dans les rues et de la rue à certains moments de la journée. La pratique de l’exploitation sexuelle dans ces lieux se fait à des heures bien particulières; ils constituent principalement le lieu du recrutement. En outre, l’activité est tellement discrète, presque clandestine, qu’elle est difficile à capter. En ce sens il importe de souligner l'inexistence en Haïti de ce que dans la plupart des pays on appelle "zone rouge" ou quartiers de concentration spécifique de la prostitution en général. De ce fait il a fallu identifier, avec l'aide d'informateurs et en fonction des termes de référence de l'étude, les quartiers dans lesquels a lieu l'exploitation sexuelle commerciale des mineurs. Au cours de cette enquête, l’observation de certains quartiers en région métropolitaine connus pour être fréquentés par les enfants dans la rue ou les enfants de la rue, s’est révélée assez pauvre en informations sur les caractéristiques des mineurs exploités, des clients éventuels, du comportement des différents acteurs, au moment où se réalisait l’observation. Dans d’autres quartiers, cette observation a été plus significative et confirme les informations recueillies dans les différentes études consultées. Il existe cependant des lieux précis où se pratique ouvertement la prostitution et où parmi des adultes, on retrouve des mineurs en situation d’exploitation sexuelle comme Kay Gwo Manman, plage abandonnée, du coté de Mariani et où des squatters ont érigé de petites pièces qu’ils louent soit à des couples soit à une fille ou un homme à la recherche d’un partenaire. Au cours de leur travail sur le terrain, certains de nos enquêteurs ont été amenés à visiter Kay Gwo Manman et ont confirmé les informations recueillies. De même, certains hôtels à Pétion Ville seraient une sorte de bordel où les mineurs se retrouvent parmi d’autres clients. Cette information nous est rapportée de façon précise par un médecin interviewé à Pétion-Ville. Il nous a été très difficile d’avoir accès à ces zones. 45 A noter que dans l’étude de Bernier et de Ponticq des zones et des lieux précis ont été signalés dans d’autres régions du pays: au Cap Haitien: chez les clients eux mêmes, à l’hôtel où les amène le client, à la Place 18, au bord de la mer, sur un vieux bateau. A Jacmel, sur la plage, chez elles dans les quartiers populaires. 4.2.- Lieux observés au cours de cette étude 4.2.1.- Identification des lieux et des personnes observées Les termes de références identifient deux zones sur lesquelles ils recommandaient de mener l’étude: le Centre Ville de Port-au-Prince et Pétion Ville. Les sites à observer ont été choisis à partir d’informations recueillies auprès des institutions et de personnes ressources travaillant dans le domaine. Les points suivant ont été retenus: • Cimetière de Port-au-Prince. Cet emplacement est connu pour les fréquentations furtives et interlopes; depuis le reportage de la réalisatrice Rachel Magloire "Kalfou plezi pye devan" ("Carrefours des plaisirs mortels"; 1990) on sait que c'est un lieu de prostitution "populaire", avec implication de mineurs sexuellement exploités, qui sont au centre du reportage. • Champ de Mars (Rue Magloire Ambroise - Pharmacie du Champs de Mars – Place des Artistes). Le Champs de Mars, cette immense "multiplace" bordée par la plupart des édifices d'Etat, du palais national au palais des ministères, comprend plusieurs sections et est de fréquentation très versatile selon la section et l'heure. La section en question (Rue Magloire Ambroise - Pharmacie du Champs de Mars – Place des Artistes) se trouve au sud de l'aire du Champs-de-Mars, un peu en retrait et moins éclairée, et fonctionne également le soir, surtout en fin de semaine, comme lieu de passe. • Cathédrale (Rue de l’Enterrement – Stade Sylvio Castor). Ce périmètre se trouve en plein quartier populaire au centre-ville et est contigu à une zone dans laquelle il y a une certaine concentration d'hôtels non touristiques. • Mairie de Port-au-Prince – La Saline. Cette grande place déserte dès la nuit tombée et bordée par un grand boulevard est très fréquentée par les enfants des rues. • Carrefour Aéroport. Cette zone présente les mêmes caractéristiques que la précédente. 46 • Pétion-Ville (zone Plaza Choucoune). Avec Pétion-Ville on touche la zone où la prostitution est la plus "visible" et "rentable". Cette ville banlieue de Port-au-Prince, où se concentrent de nombreux restaurants et boites de nuit fréquentés par une “clientèle” assez aisée, est aussi le théâtre, depuis le début des années 1990 et en particulier depuis 1994, d'un véritable commerce du sexe très visible dans les rues tout au long de la semaine. Le peu de tourisme que compte encore Haïti fréquente également beaucoup Pétion-Ville, là où se trouvent la grande majorité des hôtels. Histoire de vie ou témoignages Watil a 18 ans Il a grandi dans les alentours du quartier St. Martin et son clan siège au Carrefour de l’ aéroport. Il ne connaît pas ses parents. Sa première relation sexuelle il l’ a eu à 5 ans, violé par deux garçons de rue. “ Je n’ avais pas le choix, ils étaint plus grands, plus forts et je devais être accepté par un clan, je ne pouvais pas en créer un moi même” Watil nous raconte: j’ai vécu cet incident comme un examen officiel, je passe ou je crève, j’ ai passé l’ examen et je continue de crever. Je n’ ai aucune préférence pour un sexe ou l’ autre sauf qu’ avec les hommes on ne risque pas d’ avoir d’ enfants. Les observations ont eu lieu le soir, entre 7h 30 et 10h pm. 6 séances d’observation ont été réalisées. Le Champ de Mars a été observé à 3 reprises. Ce sont pour la plupart des zones commerciales, des lieux récréatifs ou proches de lieux récréatifs. On y retrouve de petits commerces formels et informels, des laveurs de voiture, des restaurants et parfois des hôtels. Dans toutes les zones, il y a quelques résidents. Ce sont des lieux très fréquentés, où adultes et mineurs se mêlent avec une nette prédominance d’adultes. Adultes et mineurs des deux sexes sont impliqués dans les activités de prostitution. 47 4.2.2.- Comportement des personnes observées Il varie selon la zone observée. On peut parler de deux types de comportement, qui sont en grande partie recoupés par les caractéristiques socio-économiques des quartiers d'observation de l'ESC. Une première catégorie d'attitudes relève essentiellement de la nature furtive des transactions. Dans les quartiers où les activités majeures diffèrent totalement du contexte de l'ESC (quartiers totalement étrangers aux activités de loisir et de tourisme), la “clientèle” de même que les "vendeurs(euses) de services" s'appliquent à "donner le change" sur la nature des activités menées. On peut donc dire que dans les zones populaires – ex. Carrefour aéroport-St. Martin - la situation est différente de celle que l'on trouve ailleurs. En règle générale ceux qui y achètent les services, adultes et mineurs des deux sexes, ne se différencient pas des autres personnes évoluant dans la zone; ils sont habillés simplement, sont à pied. Ainsi, à la Place des Artistes, au Champ de Mars, une de nos observatrices décèle des hommes portant cartables ou sacs laissant croire que ce sont des étudiants ou des employés de bureau; cela pourrait être aussi un artifice. Sans pouvoir décrire l’approche, elle note de temps à autre, un couple qui se dirige vers l’Hôtel Excelsior International; à coté de l’hôtel, un couloir mène à une maisonnette et à un édifice en état de délabrement; c’est là que pénètrent les couples; à l’entrée, les femmes paient une somme à des personnes se trouvant à l’entrée. Souvent ceux qui vendent leurs services, ne s’affichent pas; rendez-vous, lieu de rencontre s’obtiennent à travers des réseaux. Quand aux habitants, ils considèrent ça comme un mal nécessaire contre lequel on ne peut rien. Par contre, dans les quartiers très fréquentés le soir, pour une raison ou pour une autre (restaurants, boites de nuit, tourisme) le commerce du sexe est, sinon toujours plus ouvert, du moins plus perceptible. C'est le cas par exemple au Champ de Mars, du coté de la Pharmacie du Champ de Mars comme à Pétion Ville, où des observatrices ont noté que ce sont des étrangers ou des hommes de classe moyenne pauvre (chauffeur, travailleur) qui achètent les services. Ceux qui achètent les services utilisent différents stratagèmes: ils interpellent les mineurs, leur offrent une promenade ou les invitent à dîner. Les habitants de la zone, savent à quoi s’en tenir sur les particularités de la zone et ferment les yeux. Nombreux sont ceux qui espèrent déménager. 48 C'est sans doute à Pétion-Ville que les attitudes et comportements sont les moins subreptices. Les traits principaux de cette zone, qui ont été évoqués plus haut, expliquent en partie cette différence. On doit aussi prendre en compte que les milieux socio-économiques plus favorisés et le tourisme constituent deux milieux reconnus comme plus permissifs vis-à-vis de la commercialisation du sexe. Toujours est-il que c'est surtout dans cette zone que les mineurs, s’affichent, s’habillent de façon spéciale, mendient ou offrent leurs services, s’approchent des voitures. En général, ils se tiennent en groupe et répondent à l’invitation. Ces observations confirment l’aspect multiforme de l’exploitation sexuelle des mineurs à des fins commerciales dans la zone métropolitaine. A noter qu’elles ne concernent que certains aspects, tout le coté de l’exploitation sexuelle au niveau des écolières n’est pas représenté. Toute intervention devra en tenir compte et commencer par les points qui rejoignent toutes les formes de cette exploitation (études, plaidoyer, cadre juridique etc.). 4.3.- Caractéristiques des mineurs Parmi les instruments de collectes de données élaborés par l’équipe, un questionnaire s’adresse aux mineurs et un sondage aux adultes évoluant dans les différentes zones où se pratique l’exploitation sexuelle des mineurs à des fins commerciales. Le questionnaire destiné aux mineurs est subdivisé en 7 modules52. 1. Origine et éducation 2. Parcours 3. Expériences et pratiques dans le milieu 4. Vécu et Organisation du milieu 5. Perception du milieu 6-7 Recours et Recommandations Pour répondre aux exigences des termes de référence, 76 mineurs ont été questionnés. A Port-au-Prince, 57 enfants sur 76 ont été interrogés dans les zones suivantes : Aéroport et Delmas (13), Cathédrale et environs (14), Cimetière (5), Champs de Mars (12), Turgeau (4), Bas-de-la- Ville (6) et Hautde-la-Ville (4) tandis que dans la banlieue de Pétion-Ville ont été interrogés 19. Les lieux observés que nous avons décrit plus haut ne recoupent pas exactement les lieux où les mineurs ont été rencontrés Tableau 1 Répartition des enquêtés par zone et par sexe Source: Enquête auprès des mineurs/INESA pour le compte de OIT/IPEC-ACDI Décembre 2002 52 Voir Annexes 49 4.3.1.- Origine et Éducation des mineurs. Caractéristiques générales des mineurs enquêtés Sexe - Age Le graphique 1 met en évidence l’âge et le sexe des enfants touchés lors de l’enquête de terrain. 34 filles et 42 garçons ont été rencontrés; leur âge varie de 8 à 18 ans. Bien que beaucoup d’études antérieures signalent un plus grand nombre de filles victimes de l’exploitation sexuelle à des fins commerciales en Haïti, l’échantillon de cette étude rejoint un plus grand nombre de garçons. Il ne faut pas pour autant s’empresser de conclure que le phénomène s’étend de plus en plus aux garçons. Il convient de prendre en compte les jours et les moments de la journée où les enquêteurs ont été sur le terrain. Les enfants ont des moments précis où ils se trouvent dans la rue et disponibles pour répondre à un questionnaire. Bernier et Ponticq signalent une concentration différente et des filles et des garçons selon les moments de la journée ou les jours de la semaine53. Un peu plus de la moitié a entre 16 et 17 ans. 9 d’entre eux ont déjà 18 ans; ils ont cependant été retenus dans les données car leur itinéraire a commencé bien avant qu’ils n’accomplissent leur 18 ans et témoigne de façon non équivoque de la situation des adolescents victimes de l’exploitation sexuelle des mineurs à des fins commerciales. Bien qu’unique, le cas de l’enfant de moins de 10 ans (8 en réalité) a particulièrement retenu notre attention. Son parcours, retracé à partir du questionnaire, fait l’objet d’une des histoires de vie. Graphique 1 Répartition des enquêtés par âge et par sexe Source: Enquête auprès des Mineurs/INESA pour le compte de OIT-IPEC-ACDI Décembre 2002 53 Opus cité 50 Lieu de naissance Les mineurs interrogés sont originaires de la province; (le sud et le Nord particulièrement) dans une proportion de 46.05% (35). Un grand nombre (24) d’entre eux migrent vers la capitale en compagnie de leurs parents, le plus souvent la mère, ou d’un membre de la famille. Le fait que nombre d’enfants aient migré avec leur mère se comprend aisément quand on pense au rôle primordial de la mère dans la prise en charge des enfants en Haïti. La majorité d'entre eux, soit 25 y sont arrivés avant l’âge de 12 ans. La variable du lieu de naissance n'est pas anodine car le facteur migration joue certainement un rôle non négligeable dans la dégradation de la cellule familiale avec ses conséquences sur les enfants en particulier. On remarquera toutefois qu'un petit nombre, soit 6 d’entre eux, admettent qu’ils ont laissé leur ville natale de leur propre chef. Tableau 2 Répartition des enquêtés selon leur lieu de naissance Des conditions de vie extrêmement difficiles sont la raison principale de l’exode: la majorité des réponses de ces enfants conduits par leurs parents ou ayant migré seuls, réfère à la misère pour expliquer leur présence dans la région métropolitaine: (vi n dèyè la vi miyò, pou grangou, pou mwen te fè kòb)54. Il faut retenir 7 cas qui laissent pressentir un début d’itinéraire de restavèk: manman mwen ki te voye m ak yon dam (1) mwen te vi n rete ak yon matant mwen (2), ak yon tonton mwen (1) sèvi yon matant mwen (1) ak yon moun (2)55. Deux disent explicitement qu’ils sont venus mendier (1 envoyé par sa mère). Source: Enquête auprès des mineurs/INESA pour le compte de OIT-IPEC-ACDI, Décembre 2002 Les parents font partie en grande majorité de la classe des défavorisés; il faut remarquer que nous retrouvons plus de pères avec un métier (cultivateur, mécanicien, employé de magasin) que chez les mères: 5 cultivatrices, 1 cuisinière. Une mère est professeur, un père directeur d’école. Sinon la grande majorité exercent les multiples métiers du secteur informel: komès, machan dlo56, mande pour les mères; chapant , fè bloc, nan bòlèt, pour les pères.)57. Ces enfants ont eu une vie difficile; membres de nombreuse fratrie soit du côté de la mère soit du côté du père, vivant dans des maisons de 1 ou 2 pièces pour 53% d’entre eux qu’ils partageaient avec 8-9 personnes. 21 sont orphelins de mère et 26 de père. 39.4% ne voient plus ni mère, ni père ou les voient de temps en temps. Un certain nombre d’entre eux vivent avec un de leur parent. A la recherche d’une vie meilleure, à cause de la faim, pour faire de l’argent 55 ma mère m’a confié à une dame, je suis venu pour habiter chez ma tante, chez mon oncle, je suis venu pour servir ma tante, je suis venu avec quelqu’un. 56 Commerce, vendeuse d’eau, mendiante 57 charpentier, fabriquant de blocs, vendeurs de loterie 54 51 Tableau 3 Répartition des mineurs ayant été à l’ école par sexe et par âge Scolarité Dans notre échantillon 40 mineurs déclarent avoir été à l’école dont 25 garçons et 15 filles 9.21% sont encore à l’école. Sauf un, aucun n’a dépassé le certificat. Que ce soit parmi les mineurs ayant été à l’école ou ceux qui y sont encore, les garçons sont majoritaires. Il faut dire que l'abandon scolaire, en général avant la fin du cycle primaire, est un problème majeur dans la scolarisation en Haïti. Ce problème revêt presque autant d'importance que l'absence totale d'accès à l'école. Un problème connexe et tout aussi grave est l'entrée tardive dans le système scolaire, ce qui contribue à encombrer celui-ci de sur-âgés. A noter que dans cet échantillon aucune fille âgée de 10 à 12 ans n’a été à l’école. Domicile actuel Au moment de l’enquête, 26 vivaient dans la rue La différence entre les garçons et les filles vivant dans la rue est significative dans cet échantillon. Elle rejoint les constats d’autres études: il y a plus de garçons vivant dans les rues que de filles. Il faut cependant retenir que 9 filles déclarent vivre dans de mauvaises conditions avec tout que cela peut vouloir dire dont vivre dans la rue. Un grand nombre de ces mineurs ont un pied à terre: 17 vivent dans une pièce louée, 22 vivent seuls 13 avec un partenaire. 7 parmi ces 13 acceptent de préciser l’âge de ce(tte) dernier(ère): 2 ont moins de 18 ans, 4 sont âgés de 18 à 25 ans et 1 de 26 à 30 ans. 13 d’entre eux vivent avec des amis. Ce qui confirme la différence faite dans de nombreuses études entre enfants dans la rue et enfants des rues. Dans cette enquête en effet nombreux sont les enfants qui "cherchent la vie dans la rue, mais qui n'y dorment pas. Les enfants déclarant avoir un gîte (39) sont plus nombreux que ceux qui vivent dans la rue (26) Tableau 4 Répartition des enquêtés selon le domicile actuel Source: Enquête auprès des Mineurs/INESA pour le compte de OIT-IPEC-ACDI Décembre 2002 52 La misère et toutes ses conséquences, l’éclatement des familles se profilent déjà comme toile de fond de la vie de ces mineurs se retrouvant actuellement victimes d’une forme ou d’une autre d’exploitation sexuelle à des fins commerciales. 4.3.2- Parcours des mineurs L’initiation sexuelle est très précoce dans l’échantillon concerné. Ils sont nombreux (44) les enfants qui ont eu une première relation sexuelle avant 12 ans. Certaines observation qui mériteraient confirmation pour être généralisables cependant, indiqueraient qu'en Haïti comme dans bien d'autres pays, la sexualité précoce est associée à la promiscuité qui frappe les milieux socioéconomiques défavorisés. Il est en tout cas avéré que la rue en est un facteur décisif. Tableau 5 Répartition des enquêtés par sexe selon l’ âge du premier contact sexuel (en nombre absolu) Source: Enquête auprès des Mineurs/INESA pour le compte de OIT-IPEC-ACDI Décembre 2002 En essayant de préciser cette première relation, 30 d’entre eux la décrivent comme une relation sans pénétration soit avec quelqu’un qu’ils connaissaient (11) soit avec quelqu’un qu’ils ne connaissaient pas. (19) Tableau 6 Répartition des enquêtés selon le type de la première relation sexuelle avant 12 ans Source: Enquête auprès des Mineurs/INESA pour le compte de OIT-IPEC-ACDI Décembre 2002 53 Tableau 7 Répartition des enquêtés selon l’ âge des premières règles Ces chiffres sont révélateurs d’une pratique d’abus sexuels dont sont victimes les jeunes et qui constitue souvent une passerelle vers l’exploitation sexuelle à des fins commerciales. De telles pratiques ne sont pas dans la plupart des cas dénoncées. Des 3.9% qui auraient produit une plainte au moment de cette première relation, seulement 1.3% soutiennent avoir reçu de l’aide d’une institution par suite d’une «agression sexuelle». Parmi ceux qui ont eu leur première relation sexuelle après 12 ans, (25) la majorité disent qu’ils les ont eues avec des jeunes comme eux et qu’ils étaient consentants. Cette initiation sexuelle précoce, sans encadrement socioaffectif, rend aussi les jeunes très vulnérables à toutes sortes de sollicitations qui peuvent les conduire à devenir victimes d’exploitation sexuelle à des fins commerciales. Les jeunes ciblés par l’enquête, sont très réticents à se livrer quand on aborde le sujet de leur sexualité. (ce qui est confirmé dans les rapports de certains enquêteurs.) Même quand ils ont eu leur première relation sexuelle après 12 ans, ils en parlent difficilement. Les filles touchées par l’enquête ont eu en grande majorité leurs premières règles entre 12 et 14 ans ce qui laisse supposer qu’un certain nombre d’entre elles ont eu leur première relation avant la puberté. 7 des filles ont déjà été enceintes, 3 ont accouché, 1 a eu un avortement spontané et 2 un IVG. La dernière était enceinte lors de l’enquête. Cinq (5) garçons reconnaissent qu’une fille a déjà été enceinte d’eux, 3 s’occupent des enfants vivants. Tableau 8 Nombre de grossesses parmi les enquêtées A la question «prends- tu des précautions pour ne pas être enceinte?» 27 filles répondent par l’affirmative et 20 garçons déclarent prendre des précautions pour protéger leur partenaire contre une grossesse. Mais quand il s’agit de se protéger contre les MST, si 48 filles disent se protéger, seulement 19 demandent au client d’utiliser le préservatif. 9 des garçons utilisent le préservatif tout le temps, 17 de temps en temps. Malgré cet écart, il faut noter que les mineurs victimes de l’exploitation sexuelle ont un niveau appréciable d’information sur les pratiques de contraception et de protection contre les MST, particulièrement sur le préservatif. Les études ultérieures devront se pencher sur l’impact des multiples programmes de prévention qui visent les jeunes. 54 Histoire de vie ou témoignages Loransya est une petite fille qui habitait Kenscoff; son père était gardien d’une maison, sa mère vendait dans les rues. Ses parents étaient pauvres. Pour son âge elle avait de nombreuses responsabilités: s’occuper de ses frères et sœurs, aller chercher de l’eau. Mais elle dit qu’elle était heureuse avec sa famille, ses amis, entourée d’affection. Cependant à 8 ans elle a été obligée d’aller habiter chez une dame à Carrefour. Elle nous raconte: « il y avait un gros bonhomme, frère du premier mari de la dame. Il dormait dans une pièce dans la cour, à côté de la cuisine où moimême je dormais avec le charbon, les fatras et les rats. Un soir il a frappé à la porte de la cuisine et m’a demandé de lui chauffer de la nourriture. J’ai dû me lever et allumer le feu. C’est à ce moment qu’il m’a demandé de lui sucer le pénis, en me disant qu’il me donnerait une belle poupée. Mon cœur a battu fort car j’avais très envie de cette poupée que je voyais parfois en allant au marché. Je l’ai fait mais la poupée n’est jamais venue. J’avais tellement envie de cette poupée que je l’ai fait avec d’autres: celui qui ramassait les fatras, le marchand de balai, le petit nettoyeur de chaussures, mais la poupée n’est jamais venue. » Loransya a grandi et est devenue une belle jeune fille. La dame trouvant qu’elle était devenue une charge trop lourde, la renvoie à ses parents, sans argent, sans rien. Loransya est contente car un jour ou l’autre elle se serait enfuie. Mais en arrivant chez elle son père et deux de ses frères étaient décédés. Loransya en était arrivée à haïr la poupée mais elle a continué à coucher avec des hommes pour d’autres choses: vêtements, chaussures, nourriture… Loransya allait au marché tous les lundis avec sa mère pour l’aider à vendre des légumes, c’est comme ça qu’elle aboutit à Turgeau, devant le Royal Market. Un jour elle se retrouve enceinte. Elle nous raconte: « un soir j’ai couché avec 2 garçons pour dix dollars, et je me suis retrouvée enceinte. Je ne voulais pas du bébé parce que je ne savais pas qui était le père » Elle va donc trouver Mata qui règle le problème à coup de thés et comprimés et lui demande 50 dollars. Loransya n’avait pas cette somme, elle est donc restée à Port-au-Prince et a continué à se prostituer car c’était le seul moyen pour elle de se procurer de l’argent. Elle a réussi à payer sa dette envers Mata, le jour où elle a rencontré un « gros » blanc américain dans un hôtel sur le Champ de Mars et qui a payé ses services 50 dollars américains… 55 4.3.3- Expériences et pratiques dans le milieu Le module III tente de mettre en évidence différents aspects de l’exploitation sexuelle des mineurs à des fins commerciales en tenant compte des expériences et pratiques des enfants dans ce milieu. Le graphique suivant indique que 34 enfants ont commencé à avoir des relations sexuelles en vue d’un bénéfice entre 12 et 15 ans : 11 garçons et 23 filles. 35 - 17 garçons et 18 filles.- disent avoir été contraints d’avoir des relations sexuelles dans ce but, dont 21 avec des inconnus. Les filles commencent donc plus tôt que les garçons à être victimes de l’exploitation sexuelle. A la précocité et à la différence entre les genres il convient d'ajouter que ces données suggèrent, vu le nombre de cas de contraintes, l'existence de vécus traumatisants dès l'initiation sexuelle. Certaines des histoires de vie illustrent cette situation. Graphique 2 Mineurs ayant été forcés d’ avoir une relation sexuelle à des fins commerciales Source: Enquête auprès des Mineurs/INESA pour le compte de OIT-IPEC-ACDI Décembre 2002 En échange de ces relations, les mineurs reçoivent surtout de l’argent (31.6%), associé parfois à de la nourriture ou des vêtements. Les sommes reçues varient entre 7.5 gdes et 750 gdes. Dans une analyse de données en cours d’enquête, sur 66 mineurs, il y a lieu de souligner que selon l’opinion de 61% d’entre eux., ils reçoivent ce bénéfice seulement parfois. Les cas de non rémunération comptent parmi les abus additionnels dont sont victimes ces jeunes et dont on retrouve l'écho dans les réponses concernant les cas de refus de relation. Leurs clients les rencontrent dans la rue pour 46 d’entre eux ou bien ils sont présentés par quelqu’un d’autre (13) ou à travers un lieu de passe. 56 Le tableau ci-dessous donne une idée sur l’ensemble des lieux où se déroulent les actes d’exploitation sexuelle des mineurs à des fins commerciales. On constate que la plupart des enfants citent le domicile des clients et les hôtels comme lieux habituels Tenant compte de la réalité haïtienne et du milieu où évoluent ces enfants, les « dits » hôtels doivent être dans beaucoup de cas des maisons de passe comme cette maison située au Champ de Mars signalée dans une des observations. Les garçons fréquentent les bordels plus que les filles ce qui semblerait confirmer que la “clientèle” qui sollicite les garçons a un profil plus spécifique: elle serait plus aisée, plus sélective dans ses fréquentations. Tableau 9 Répartition des enquêtés (en nombre absolu) selon les endroits ou se pratique généralement l’ exploitation des mineurs à des fins commerciales 57 Les clients sont en général de jeunes haïtiens (nes) pour le moins aisés (ki gen kòb) (64.5%). Un plus grand nombre de filles a plus de 5 clients par jour. Ceci dévoile le caractère plus agressif de l’exploitation sexuelle des fillettes. Il faut aussi relier cette donnée au fait que plus de garçons ont d’autres types d’activités lucratives. Tableau 10 Nombre de clients par jour selon le sexe des mineurs La pratique d’autres activités liées à la prostitution est peu répandue; ceux qui ont répondu affirmativement identifient des zones comme Delmas 31, Kanada, le Lambi, Gelée (Cayes); 10 se déplacent parfois avec des touristes. Ces mineurs victimes de l’exploitation sexuelle sont exposés aux dangers de la drogue. Filles et garçons consomment une ou plusieurs drogues avec une prédominance des substances bon marché (tinner, gazoline, crac) comme l’indique le tableau suivant. Les filles sont les seules à utiliser la gazoline et sont plus grandes consommatrices de tinner. La cocaïne semble être absente de leurs habitudes. Cette consommation représente un autre facteur qui aggrave leur état de santé; de plus elle en fait une proie facile pour les dealers soit comme consommateurs soit comme intermédiaires. 58 Tableau 11 Répartition des enquêtés par sexe selon le type de drogues consommé Source: Enquête auprès des Mineurs/INESA pour le compte de OIT-IPEC-ACDI Décembre 2002 Comme nous l’avons déjà signalé, un pourcentage appréciable des mineurs interrogés, disent se protéger contre les MST, particulièrement les filles dont certaines vont jusqu’à proposer le préservatif au client. Malgré cette affirmation, le tableau 12 montre combien ces jeunes demeurent vulnérables. L’exploitation sexuelle des mineurs à des fins commerciales entraîne pour eux de très nombreux problèmes: violence physique, maladies sexuellement transmissibles, grossesses non désirées et si on y ajoute les arrestations cela donne une idée des expériences traumatisantes que vivent ces jeunes et quiles accompagneront tout au long de leur vie. 59 Le tableau suivant montre de plus combien les filles sont plus souvent victimes de violence; 10 garçons affirment n’avoir jamais expérimenté de problèmes ni avoir subi de violence; seulement 6 filles font la même affirmation. 10 filles déclarent des violences combinées pour seulement 4 garçons. Tableau 12 Répartition des mineurs selon les problèmes expérimentés Source: Enquête auprès des Mineurs/INESA pour le compte de OIT-IPEC-ACDI Décembre 2002 Histoire de vie ou témoignages C’est un petit garçon de 8 ans, nous l’appellerons Aliko (oui il a bien 8 ans, il situe sa naissance l’année où il n’y avait pas d’essence..1994?). Il est né aux Gonaives et arrive à Port-au-Prince avec ses parents. Yo vi n dèyè lavi. (ils sont venus chercher une vie meilleure) Il vit actuellement avec sa mère qui mendie pour vivre. Il est l’aîné de 6 frères et sœurs. Sa première relation sexuelle se passe avec une dame qu’il ne connaît pas et depuis un an a des relations sexuelles pour une gratification (dec. 2001) Il charge 25 gdes. Mais ne les reçoit pas toujours. Cela se passe en général chez la cliente et on le recrute dans la rue. Parfois c’est lui qui visite ses anciennes clientes et il y rencontre des gwo zouzoun des personnages hauts placés ou des hommes d’affaires). Aliko peut avoir entre 5 à 10 clientes par jour. Il participe parfois à des séances pornographiques: li bay chwo toutouni (il danse nu) à Delmas 31. Il utilise parfois le préservatif et se rappelle un cas particulier où la partenaire avait le sida. Ça lui est arrivé de subir des formes de violences de la part de ses partenaires: menaces, viol… Ça lui arrive aussi de prendre de la drogue (bòz). Son rêve : une grande maison pour les enfants de la rue, sans violence, où ils pourraient étudier et devenir CIMO (Corps d’Intervention Mobile, unité de la police nationale réputée pour sa violence). 60 4.4.- Vécu et organisation du milieu Le module IV du questionnaire d’enquête vise à déterminer l’organisation du milieu de l’exploitation sexuelle des mineurs à des fins commerciales avec emphase spéciale sur des intermédiaires qui auraient bénéficié des activités de l’exploitation sexuelle des enfants. Les mineurs sont obligés souvent d’avoir des relations sexuelles contre leur gré.. A la question «est-ce que quelqu’un t’oblige à la prostitution?» 38 des mineurs interrogés (50%) répondent oui. Les réponses à la question suivante «Qui» font cependant référence à un (e) client (e) plutôt qu’à quelqu’un pour le compte de qui ils travailleraient. Leurs réponses identifient des catégories de personnes bien spécifiques les obligeant à avoir des relations sexuelles avec elles. Ce sont entre autres des homosexuels, des prostituées adultes, des inconnu/es ayant l’envie d’avoir immédiatement des relations sexuelles, des jeunes comme eux. Par contre à la question suivante «est-ce que d’autres personnes profitent de cette activité?» 26 d’entre eux identifient très clairement les bénéficiaires de leurs activités : leurs parents sont les premiers (12) à côté des propriétaires de bordels ou hôtels, des personnes travaillant dans l’industrie du tourisme etc. 23 soit 30% de l’échantillon doivent partager ce qu’ils reçoivent avec quelqu’un d’autre qui, pour 11 d’entre eux, n’a aucune autre activité génératrice de revenu. La catégorie autre recueille le même pourcentage. La quantité relativement grande de désignation des parents en tant que bénéficiaires doit être associée, ici encore, à l'une des dérives les plus graves de la pauvreté. Dans le même ordre d'idées et en l'absence de données dans cette enquête elle indique la vraisemblance de la prolifération de l'exploitation sexuelle de mineurs scolarisés. Tableau 13 Répartition des enquêtés selon les personnes profitant de leur prostitution Source: Enquête auprès des Mineurs/INESA pour le compte de OIT-IPEC-ACDI, Décembre 2002 61 Histoire de vie ou témoignages « Mon nom est Lourdie, j’habite Carrefour. J’ai aujourd’hui 16 ans. J’opère à Pétion Ville où on me connaît sous le nom de Pierrette. Personne ne connaît ma vie pas même ma mère avec laquelle je vis. Cette dernière est aveugle…je suis sa fille unique du seul homme qu’elle aimait et qui est mort. J’avais alors 5 ans. J’ai été à l’école et j’ai même eu mon certificat. Ma première « opération » a eu lieu à 10 ans avec Pierre mon voisin qui lui en avait 15. J’étais à ce moment une fille rangée qui rêvait d’épouser Pierre avoir une famille et des enfants, devenir infirmière. Jusqu’au jour où j’ai rencontré Rose qui comme moi ne pouvait aller à l’école et qui travaillait. Rose avait toujours de beaux habits, elle pouvait même aller au studio. Elle travaillait à Pétion Ville. Je suis partie un jour avec elle et arrivée sur le lieu de travail, je l’ai vu s’entretenir avec un homme. Quelques minutes après elle m’invita à rentrer dans une chambre et de l’attendre. J’ai attendu jusqu’à ce que cet homme arrive, je m’en souviendrai toujours. Il me força à me déshabiller et me viola; il quitta la pièce rapidement en me laissant 10 dollars. Je me suis sentie couverte de honte. Rose continua à m’offrir du boulot et sans réfléchir, je me livrai à ce jeu dangereux mais qui me permettait de vivre et parfois même d’aller au studio comme elle surtout les jours où nos clients étaient des blancs. J’ai tenté de reprendre mes études mais les nuits étaient trop fatigantes, durant la journée nous devions dormir et préparer les toilettes du soir. Pour m’aider Rose m’a procuré un petit comprimé rose qui me permet de tout oublier. Les filles disent que c’est le même effet que la drogue sauf qu’il faut se piquer et puis les conséquences sont plus graves. Enfin je ne me drogue pas… Ma mère pense que je travaille dans un bar la nuit, elle s’inquiète un peu mais je l’ai rassurée » Lourdie, Pierrette voudrait aller à l’école, être jeune et devenir infirmière. Les mineurs dénoncent aussi le fait qu’ils subissent toutes sortes de violence de la part du client. 31 des enfants interrogés le confirment. Comme nous l’avons vu plus haut, les filles en sont les principales victimes Ce sont des agressions verbales et/ou physiques. 62 Le tableau 14 nous indique comment réagissent les clients si un des mineurs refusent d’avoir des relations sexuelles. 60 d’entre eux témoignent l’avoir fait: 34 garçons et 26 filles. Il faut souligner que ce refus est plus souvent accepté par le client quand il s’agit de garçons (18) que quand il s’agit de filles (8). On note aussi que le nombre de mineurs ayant trouvé le courage de refuser un contact sexuel est relativement élevé. Dans ce contexte d'oppression, de dévalorisation et de violence sociale, le fait mérite d'être souligné et rapproché sans doute de la véritable "débrouillardise" développée par ces jeunes pour survivre, même lorsque le prix à payer est souvent l'agression. Tableau 14 Réactions du client quand un mineur refuse d’avoir des relations sexuelles Ils sont 37 qui rapportent la quasi indifférence de la police quand elle les surprend. Si elle réagit, c’est avec violence (coups, arrestations). 22.4% des enfants reconnaissent cependant que la police les a parfois aidés. Ce chiffre peut être considéré comme "encourageant", dans le contexte de profonde dévalorisation de la police aux yeux des citoyens. En tout cas il converge avec le témoignage de l'escale sur les interventions de la police qui recueille des enfants des rues. Il rend plus crédibles les plans du ministère du Travail de former une police sociale. 4.5.- Perception du milieu Le module V traite de la perception des mineurs sur le milieu. Les mineurs ont une perception très critique du milieu dans lequel ils évoluent.. 29.9% d’entre eux (22) considèrent l’exploitation sexuelle à des fins commerciales comme une activité immorale, c’est du «vagabondage», 21% estiment que c’est de l’exploitation. Pour certains (14.5% des réponses) beaucoup de ces enfants qui se laissent ainsi exploiter n’ont pas le choix: ils doivent survivre; «afè yo ki pa bon, paske fòk yo viv»58 ils ont des problèmes économiques, ils doivent survivre. 58 63 Cette perception se précise quand on leur demande d’identifier les problèmes auxquels sont confrontés les mineurs victimes de cette exploitation: 47.4% les décrivent comme des enfants ayant des problèmes économiques, 14.5% y ajoutent le fait que souvent ce sont des enfants abandonnés par leur famille, 7 mentionnent comme autre facteur additionnel la violence familiale. Ces différents facteurs conduisent à la délinquance (san sal). 65 de ces mineurs reconnaissent qu’eux-mêmes font face à un ou plusieurs de ces problèmes, ce qui expliquerait leur situation actuelle.. Dans les réponses exprimées on retrouve un sentiment de dévalorisation personnelle (san sal, vakabondaj, san fanmi)59 et aussi une grande vulnérabilité, un besoin de protection qui semble prédominer par rapport à un durcissement espérable dans leur comportement et dans leurs opinions. Face à cette situation, 19.7% des mineurs interrogés ont reçu de l’aide soit d’une personne soit d’une institution. A la question «quelle forme d’aide», les réponses sont éparpillées, mais la majorité d’entre elles mentionnent de la nourriture et/ou des vêtements60. Certaines institutions sont mentionnées, comme Lakay de Père Estra61 la mairie de Delmas, ainsi que des interventions pour leur chercher du travail ou les inscrire dans un orphelinat. 4.6.- Recours et recommandations Les mineurs rencontrés répondent oui dans une proportion de 51.3% (39) quand on leur demande s’ils savent que l’état a signé des lois et des conventions pour faire respecter les droits des enfants. Plus de la moitié, 15 filles, 21 garçons, déclarent avoir porté plainte pour violences subies de la part des clients auprès de la police, de leurs parents ou d’amis. Ceux qui se sont adressés à la police représentent 32.8% (25). Cette attitude vis à vis de la police est un peu surprenante. Ces mineurs reconnaissent qu’en général la police est indifférente quand elle les surprend ou qu’elle réagit avec violence; cependant face aux violences 28.94% (22) s’adressent d’abord à cette police. Celle ci va intervenir parfois contre celui qui a commis l’acte violent, mais cette intervention ne s’inscrit dans aucune politique globale. Elle est aléatoire et dépend du bon vouloir du policier interpellé. Ce dernier n’agit pas comme instrument de la justice et n’a aucun compte à lui rendre, ce qui le rend moins dangereux. Délinquance, vagabondage, sans famille) Voir tableaux en annexe. Lakay: institution religieuse dirigée par le Père Estra, qui s’occupe des enfants des rues. 59 60 61 64 Les mineurs ne s’adressent pas seulement à la police comme le montre le tableau 15. Encore une fois, les réponses référant aux suites données à ces plaintes sont très éparpillées. Bon nombre d’entre elles réfèrent à des interventions de la police. Quand à ceux qui n’ont jamais porté plainte 44.7% (34) - les raisons invoquées sont principalement la peur, le manque de confiance ou au contraire le sentiment d’être capable de se défendre seul. Tableau 15 Répartition des mineurs ayant porté plainte contre des actes de violence Tableau 16 Répartition des mineurs selon là où ils adressent leurs plaintes Source: Enquête auprès des Mineurs/INESA pour le compte de OIT-IPEC-ACDI, Décembre 2002 Les réponses des mineurs sont très claires et significatives quand on questionne leurs attentes : 98.6% (72) souhaitent que des mesures soient prises pour améliorer leur situation, 91.7% (66) voudraient échapper à l’exploitation sexuelle à des fins commerciales, 92.9% (65) aimeraient retourner à l’école. Les mêmes thèmes reviennent quand on leur demande le mot de la fin. Les rapports des enquêteurs sont éloquents à ce sujet. Bon nombre d’enfants leur ont demandé si l’objectif de cette enquête était de les sortir de la rue; d’autres les ont pris pour des représentants de l’état et leur ont demandé avec insistance de revenir les chercher. Ces réponses interpellent directement les autorités responsables et la société toute entière, et leur demandent d’intervenir en toute urgence pour contrer cette violation des droits fondamentaux des enfants que représente l’exploitation sexuelle des mineurs à des fins commerciales. 4 d’entre eux osent dire qu’ils n’aimeraient pas changer de vie, et les raisons évoquées ne font que confirmer qu’une des principales causes de cette exploitation sexuelle des mineurs à des fins commerciales est leur situation économique précaire : “Je suis déjà perdu, j’ai l’habitude de vivre comme cela – je fais de l’argent avec eux – c’est ça qui me permet de vivre et d’entretenir ma famille – c’est de ça que je vis”62. Traduction de: Mwen deja gate, m abitye viv konsamwen fè lajan ak yo – se sa ki pèmèt mwen viv ak fanmi mwen- se sou sa mwen viv. 52 65 PERCEPTION DES ADULTES SUR L’EXPLOITATION SEXUELLE DES MINEURS A DES FINS COMMERCIALES 66 V- PERCEPTION DES ADULTES SUR L’EXPLOITATION SEXUELLE DES MINEURS A DES FINS COMMERCIALES 5.1.- Caractéristiques de la population concernée 5.1.1.- Sexe et âge Dans le cadre de l’enquête sur l’exploitation sexuelle des enfants, 207 adultes ont été questionnés dont 157 à Port-au-Prince et 50 à Pétion-Ville. Pour Portau-Prince, 24 % des enquêtés ont été abordés aux environs du Champ de Mars. Dans ces deux villes de la région métropolitaine, les enquêtés sont majoritairement des hommes (soit 94 hommes contre 63 femmes à Port-auPrince et 36 hommes contre 14 femmes à Pétion-Ville). Un tel résultat est significatif dans la mesure où, selon les enquêteurs, les hommes étaient plus enclins à répondre aux questions et donner leurs impressions sur le phénomène que les femmes63. Sur l’ensemble de l’échantillon enquêté, plus des trois quarts des sondés ont entre 18 et 59 ans et une part beaucoup plus faible (6%) de personnes est âgée de 60 ans et plus. Ce qui correspond, d’une manière générale, à la structure globale de la population haïtienne selon les données récentes disponibles. En effet, les dernières enquêtes, particulièrement l’Enquête Budget Consommation Ménages (EBCM, 1999), indiquent pour l’Aire métropolitaine qu’une proportion importante de la population se trouve dans la tranche d’âge 20 - 24 ans. De façon plus précise, plus d’un tiers des sondés (36.7% ) se trouve dans la tranche d’âge 18-29 ans et un peu moins d’un tiers (30.4%) a entre 30 à 39 ans alors qu’environ 17.4% déclarent avoir entre 40-49 ans. Seulement 13. 6% des enquêtés ont plus de 50 ans. Dans le tableau croisé de distribution par tranche d’âges et répartition par sexe, il ressort, pour la tranche 40 à 49 ans, une nette prédominance de femmes, soit sur 20 femmes pour 16 hommes. Tableau 17 : Répartition des adultes sondés par sexe et tranche d’âges Néanmoins, nous ne disposons pas d’informations précises sur cette réticence des femmes à se prononcer sur la question. Il serait intéressant, par contre, dans le cadre de nouvelles études sur le thème d’en chercher les causes. 63 67 5.1.2.- Niveau de scolarité des enquêtés.La majorité (44.4%) des enquêtés déclare avoir atteint le niveau secondaire. En considérant le niveau de scolarité par sexe, le sondage révèle: d’une part que 18% des femmes n’ont jamais fréquenté l’école, 23 % ont atteint le niveau d’études primaires, 38% le niveau secondaire et 18% le niveau universitaire; d’autre part, que seulement 6% des hommes n’ont aucun niveau de scolarité, 13% ont atteint le niveau primaire, 48% le niveau secondaire et 20% le niveau universitaire. D’importantes disparités par sexe sont relevées surtout au niveau primaire et secondaire et qui tendent à disparaître au niveau universitaire. La proportion de femmes n’ayant aucun niveau de scolarité est beaucoup plus élevée que chez les hommes. Ces résultats sont en conformité avec la tendance nationale et les plus récents résultats obtenus à partir de l’Enquête Budget Consommation Ménages (IHSI, 1999). Tableau 18: Répartition des adultes sondés par sexe et niveau de scolarité 5.1.3.- Situation par rapport à l’emploi Selon les principaux résultats du sondage, le commerce qu’il soit formel ou informel concentre la plus grande part de la population enquêtée. En effet, 37% des enquêtés se dédient à cette activité dont 25% dans le secteur informel et 12% dans le commerce formel. Seulement 4 % travaille dans le secteur industriel et environ 6% sont des fonctionnaires de l’administration publique. Il est à noter que le nombre de chômeurs représente près de 19% de la population enquêtée. Ces résultats obtenus sont conformes à la structure actuelle de l’économie haïtienne où un fort pourcentage de la population active travaille dans le secteur informel et en particulier dans le commerce où on retrouve une part plus importante de femmes que d’hommes. Le chômage touche à part égale les hommes et les femmes de l’échantillon. Il est néanmoins nécessaire de souligner le fait que les hommes sont plus nombreux à refuser de donner une information relative à leur secteur d’activités. 68 Sur l’ensemble de l’échantillon, environ 74% des personnes rencontrées déclarent avoir un métier et 25% déclarent ne pas en avoir. Les métiers déclarés sont des plus divers, avec cependant un pourcentage relativement élevé d’artisans tels: commerçants (10.6%), mécaniciens (5.8%) et de techniciens comme les informaticiens (5.8%). Tableau 19: Répartition de la population par secteur d’activités économiques 5.2.- Connaissance de l’exploitation sexuelle des mineurs à des fins commerciales D’une manière générale, la plupart des enquêtés (92%) sont au courant du phénomène de l’exploitation sexuelle des mineurs. Il est important de signaler que malgré la structure de l’échantillon, où une proportion plus importante de mâles ont été interviewés, les femmes sont généralement moins informées que les hommes sur l’existence de l’exploitation sexuelle des mineurs. En effet, 88% de femmes déclarent avoir entendu parler de l’exploitation sexuelle des mineurs contre 93% d’hommes. Tableau 20: Répartition par sexe des sondés au courant du phénomène de l’exploitation sexuelle des mineurs à des fins commerciales 69 5.2.1.- Connaissance sur le type de pratiques liées à l’exploitation sexuelle des mineurs Les données relatives à la connaissance des adultes sur le type de pratiques liées à l’exploitation sexuelle des mineurs à des fins commerciales montre que celle du sexe à des fins commerciales est de loin l’activité la plus connue chez les adultes. Le niveau de connaissance des autres types d’activités (danse nue, photo ou vidéo pornographiques) est moindre. S’il est vrai que les enquêtés (93.2%) disent être uniquement au courant du phénomène ou ont l’habitude d’en entendre parler, cependant quand il s’agit d’opiner sur le type d’exploitation sexuelle des mineurs, les réponses tendent à varier indiquant en quelque sorte le degré d’information de l’enquêté. Ils affirment être au courant à part presque qu’égale des pratiques suivantes: danses (48.3%), exhibitions (43.5%) et vidéos pornographiques (31.9%). On remarquera toutefois qu’à Pétion-Ville le nombre de réponses affirmatives sur la connaissance du type de prostitution pratiqué dans le cas de l’exploitation sexuelle des mineurs à des fins commerciales est plus élevé qu’à Port-au-Prince. Tableau 21: Répartition des sondés selon leur connaissance des pratiques liées à l’exploitation sexuelle des mineurs De l’avis de 63.3% des personnes interrogées, ils peuvent facilement reconnaître un mineur en prostitution. Les principales pistes mentionnées sont indiquées dans le tableau ci-dessous. La tenue vestimentaire et le type de fréquentation de ces mineurs sont pour la plupart des enquêtés, les principaux signes extérieurs leur permettant de les reconnaître. Tableau 22: Principales pistes indiquées par les enquêtés pour reconnaître les mineurs livrés à la prostitution NB: Le total est supérieur à 100% car il s’agit d’une question à réponses multiples. 70 5.2.3.- Opinion des adultes en relation à la provenance des mineurs sujets à l’exploitation sexuelle à des fins commerciales Pour l’ensemble, 43.5% adultes pensent que les mineurs proviennent de partout (ensemble du territoire national) et 37% estiment qu’ils sortent d’autres quartiers de l’Aire Métropolitaine. Une infime proportion, soit près de 5% croient que ces mineurs résident dans leur quartier. La distribution des opinions par sexe ne différent pas de celle de l’échantillon global. En effet, tant pour les femmes (41.5%) que pour les hommes (44.6%) les mineurs sortent de partout. Une part non moins significative de femmes (32.4%) et d’hommes (40%) considèrent qu’ils habitent d’autres quartiers. Tableau 23 : Opinion des adultes par sexe sur la provenance des mineurs Il est à noter qu’une proportion légèrement plus élevée de femmes (9% contre 2.3% d’hommes) considère que ces mineurs habitent leur quartier. Ceci peut s’expliquer par une plus grande présence des femmes et une meilleure connaissance ou préoccupation de celles-ci pour ce qui se passe sur leur quartier. 5.2.4.- Causes et explication du phénomène par les adultes Pour rechercher l’opinion des adultes sur les principales causes explicatives du phénomène d’exploitation sexuelle des mineurs à des fins commerciales, une question à choix multiple leur a été posée. Des différentes alternatives proposées, deux d’entre elles ont un niveau de fréquence plus élevé: la dégradation de la situation économique des parents (87.4%) et la démission des parents (51.7%). Dans une part moins importante, d’autres causes tels que le manque d’encadrement (44.4%) et la perte de valeurs morales (34.85%) sont mentionnés. De manière générale, les principales causes identifiées par les enquêtés ne sont pas isolées de la situation de crise multidimensionnelle que traverse le pays depuis plus de vingt ans, plus particulièrement la crise économique. 71 Tableau 24: Principales causes indiquées par les adultes pour expliquer la prostitution des mineurs NB: Le total est supérieur a 100% car il s’ agit d’ une question à réponses multiples Le croisement des opinions des adultes en relation à leur degré d’études, permet de voir que ceux qui considèrent comme explication première la pauvreté des parents ont atteint le niveau secondaire (43.7%), que 20.4% le niveau primaire, 20.4% le niveau universitaire et 11% n’ont jamais fréquenté l’école. Il convient de souligner le fait suivant : les croyances religieuses pour expliquer le phénomène se retrouvent fondamentalement chez la population scolarisée de l’échantillon. Tableau 25: Niveau d’études des sondés et explication du phénomène 72 5.2.3.1 Pauvreté des parents Tant chez les femmes (83%) que chez les hommes (89%), la pauvreté des parents est l’une des principales causes explicatives du phénomène d’exploitation sexuelle des mineurs à des fins commerciales. En introduisant le niveau de scolarité, il est observé que 15% des femmes n’ayant jamais fréquenté l’école considèrent la pauvreté comme une des principales causes de l’exploitation sexuelle des mineurs à des fins commerciales contre seulement 6% des hommes de cette même catégorie. Un changement de tendance est observé pour le niveau secondaire où 42% d’hommes contre 31% de femmes attribuent ce phénomène à la pauvreté des parents. Par conséquent, il y a une corrélation positive, particulièrement chez les hommes, entre le degré de scolarité et le fait de considérer un facteur économique, à savoir la pauvreté des parents, comme explication du phénomène d’exploitation sexuelle des mineurs à des fins commerciales. Le fait d’attribuer à la pauvreté l’explication d’un tel phénomène ne cache-t-il pas une forme de négation de l’existence d’exploiteurs et de demandeurs de ce genre de service ? Cette attribution du phénomène à la pauvreté par une proportion importante de l’échantillon (hommes et femmes) retient aussi l’attention compte tenu de la crise économique aigue que traverse le pays et de ses nombreuses conséquences sur les conditions de vie d’une grande partie de la population (aggravation du chômage, paupérisation...). Ce qui peut conduire à une forme de « fatalité ou excuse » pour justifier ce genre de situation, nonobstant la nécessité d’interventions pour contrecarrer la précarité des conditions de vie pour l’ensemble de la population. 5.2.3.2 Démission des parents Pour 47% de femmes et 57% d’hommes, la démission des parents constitue une des causes explicatives du phénomène de l’exploitation sexuelle des mineurs à des fins commerciales. En considérant le niveau de scolarité, une dispersion des réponses est observée. Plus d’hommes (27%) que de femmes (17%) ayant atteint le niveau secondaire considèrent que la démission des parents est à la base de l’existence de ce problème. Par contre, le pourcentage d’hommes et de femmes à répondre affirmativement à la question est le même, soit 6%, pour ceux et celles qui n’ont jamais fréquenté l’école. 73 A cet égard, il convient de souligner la place que joue l’éducation dans le renforcement et/ou la reproduction de l’idée que la famille est la seule et unique responsable de la protection de la population infantile et juvénile. Cette vision tend à confiner la société dans un rôle second et à la désengager tout au moins partiellement vis à vis de ses responsabilités par rapport aux enfants et aux jeunes. 5.2.3.3 Manque d’encadrement Près de 38% des femmes et 51% des hommes considèrent le manque d’encadrement comme l’une des causes de l’exploitation sexuelle des mineurs à des fins commerciales. Cette opinion est partagée par 16% de femmes contre 26% d’hommes ayant un niveau d’études secondaires. Pour ceux ayant fréquenté l’université, le pourcentage d’hommes et de femmes est presque identiques, soit 7% et 7.8% respectivement. En ce qui a trait à la proportion de femmes et d’hommes ayant fréquenté le primaire ou n’ayant jamais été à l’école, des différences sont observées quant à la prise en compte du manque d’encadrement comme cause du phénomène d’exploitation sexuelle des mineurs. On note d’une part qu’il existe plus d’hommes (9.2%) que de femmes (6.5%) avec un niveau d’éducation primaire qui pense que le manque d’encadrement est l’un des facteurs explicatifs de ce phénomène. Par contre, pour la catégorie de ceux qui n’ont jamais fréquenté l’école, une inversion dans la proportion est observée: 3% d’hommes contre 5.2% de femmes. L’éducation tire encore la sonnette d’alarmes particulièrement à l’analyse des résultats pour chacune des modalités. Paradoxalement, deux tendances inverses sont observées chez les femmes et chez les hommes. Une progression positive chez les femmes en fonction du degré de scolarité conduit à croire que celles-ci prennent plus conscience que les hommes de l’importance de l’encadrement chez les enfants et les jeunes. Bien que la provenance de l’encadrement ne soit pas précisée dans le questionnaire, il suggère qu’une part de responsabilité soit imputée de manière générale à la société. 74 5.2.3.4 Valeurs morales Les données du sondage indiquent que 27% de femmes contre 40% d’hommes opinent que les valeurs morales constituent l’une des causes de l’exploitation sexuelle des mineurs. En considérant le niveau de scolarisation, deux points méritent d’être signalés: • un pourcentage identique d’hommes et de femmes pour la catégorie n’ayant jamais fréquenté l’école (4%) • au niveau secondaire une plus grande proportion d’hommes (18.5%) que de femmes (10.4%) ainsi qu’au niveau universitaire (9.2% hommes contre 6.5% de femmes). Ces résultats sont significatifs dans la mesure où ils confirment le poids de l’éducation dans le renforcement de certains schèmes de pensée ou de comportement. Cette opinion qui se retrouve en quatrième position parmi les explications des causes du phénomène mériterait d’être creusée dans la mesure où elle pourrait permettre de mieux cerner les causes véritables du phénomène d’exploitation sexuelle des mineurs à des fins commerciales. 5.2.3.5 Violence dans la famille D’une manière générale, les résultats du sondage montrent une tendance plus poussée chez les femmes (20%) que chez les hommes (17%) à considérer la violence dans la famille comme une des causes de l’exploitation sexuelle des mineurs. Deux fois plus de femmes (8%) que d’hommes (4%) ayant atteint le niveau universitaire estiment que ce phénomène est lié à la violence dans la famille. Cette proportion est la même pour ceux qui ont un niveau d’études primaires (4% de femmes contre 2% d’hommes). Au niveau secondaire, un changement de tendance est observé : le pourcentage d’hommes à opiner que la violence dans la famille est l’une des causes de l’exploitation sexuelle des mineurs est légèrement plus élevé que celui de femmes, soit 6% et 4% respectivement. Pour ceux qui n’ont jamais fréquenté l’école on ne retrouve que 1.3% de femmes. Ceci s’explique par le fait que la femme est généralement la victime de cette violence domestique. 75 En résumé, les adultes au courant de l’existence de l’exploitation sexuelle des mineurs attribuent d’une manière générale ce phénomène à la pauvreté des parents. Il convient de souligner que: • pour le niveau n’ayant jamais fréquenté l’école, la proportion de femmes évoquant la pauvreté, le manque d’encadrement et la violence dans la famille est plus importante que celle des hommes. • pour le niveau secondaire, on retrouve plus d’hommes que de femmes à mentionner la pauvreté, la démission des parents, le manque d’encadrement, les valeurs morales et la violence dans la famille. • pour deux raisons, valeurs morales et manque d’encadrement une part égale d’hommes et de femmes est observée pour les niveaux n’ayant jamais fréquenté l’école et universitaire respectivement. • la violence dans la famille est la seule raison où une nette dominante de femmes est remarquée. En conséquence, l’éducation semble contribuer pour une grande part dans le renforcement et la reproduction de certaines valeurs, idées et représentations. La société, d’une manière générale, est reléguée au second plan dans la protection de la population infantile et juvénile. L’acuité de la crise économique tend globalement à favoriser une certaine « justification » par les adultes du phénomène d’exploitation sexuelle des mineurs à des fins commerciales et limite leur questionnement tout niveau de formation confondue sur les causes véritables, voire l’existence d’exploitateurs et demandeurs de ce genre de services. 76 Tableau 26: Opinions des adultes sur les causes de l’exploitation sexuelle des mineurs à des fins commerciales 77 5.2.4.- Connaissances sur les lieux où se pratique la prostitution Selon 37.2 % des sondés, les mineurs pratiquent la prostitution dans des quartiers autres que les leurs. Par contre 4.8% pensent qu’ils la pratiquent dans leurs quartiers de résidence. De façon plus précise, en ce qui concerne les lieux où sont généralement menés cette activité, les femmes et les hommes sont généralement du même avis à une différence d’un ou deux points de pourcentage . Ainsi pour 74 % de femmes et 75 % d’hommes questionnés La rue est le principal lieu mentionné. L’hôtel se place en deuxième position pour 53 % des femmes et 55 % des hommes. L’activité se mène aussi Chez le Client selon 32 % des femmes et 30 % d’hommes. La voiture (6.5 % de femmes contre 8.5 % des hommes) est aussi mentionnée comme lieu d’activité de l’exploitation sexuelle des enfants à des fins commerciales. Les différences d’opinion s’observent uniquement en considérant le cimetière (22 % de femmes contre 16 % d’hommes) comme lieu où se pratique l’exploitation sexuelle des mineurs. Tableau 27: Principaux lieux indiqués par les adultes Par contre en comparant les zones où le sondage a été mené, il convient de remarquer qu’à Port-au-Prince, les enquêtés ( 74.5 %) sont plus enclins à considérer la rue comme principal lieu où se pratique les activités liées à l’exploitation sexuelle des mineurs tandis que pour ceux (86%) rencontrés à Pétion-Ville, l’hôtel serait le principal lieu d’une telle activité indépendemment du fait que le pourcentage de réponse pour la rue soit sensiblement le même. A Port-au-Prince: • Dans les rues (74.5 %) • A l’hôtel (44.6%) • Chez le partenaire (28.7%) • Au cimetière (21.7%) A Pétion-Ville: • A l’hôtel (86.0%) • Dans les rues (76%) 78 Ces résultats réflètent à la fois la dynamique économique et la vie nocturne de chacune de ces agglomérations. En effet, Pétion-Ville concentre, depuis quelques années, la majeure partie de l’activité hôtelière, des bars et des restaurants et connaît une vie nocturne beaucoup plus intense que Port-auPrince. Ceci explique par conséquent le fait que l’hôtel soit le lieu le plus fréquenté à Pétion-Ville pour ce genre d’activités. 5.3- Position, réactions et recommandations des adultes En général, les femmes (90%) qui déclarent qu’elles éprouveraient de la gêne si elles assistaient à un acte d’exploitation sexuelle d’un mineur par un adulte sont plus nombreuses que les hommes (80%). Il convient de signaler que, seulement au niveau de la catégorie de ceux qui ont atteint un niveau secondaire, on retrouve plus d’hommes ( 41 %) que de femmes (35 %) à avoir une mauvaise perception d’une telle situation. Pour les autres niveaux de scolarité, comme l’indique le tableau suivant, le pourcentage de femmes à avoir une opinion différente est plus élevée. Tableau 28: Positions des adultes témoins éventuels d’un cas d’exploitation sexuelle des mineurs à des fins commerciales 79 Témoin d’un tel acte, la principale réaction serait de recourir à la famille du mineur. Ce recours « à la famille comme institution garente des valeurs morales » est beaucoup plus fort, pour l’ensemble, chez les femmes (65%) que chez les hommes (48%). Une telle démarche conforte l’opinion exprimée par les adultes quant aux causes explicatives du phénomène d’exploitation sexuelle des mineurs à des fins commerciales à savoir: la démission des parents. Par ailleurs, les femmes (49%) seraient plus enclines que les hommes (42%) à la dénoncer. Il convient de signaler le fait que l’on retrouve plus d’hommes (18.5%) ayant atteint le niveau secondaire à réagir de la sorte que de femmes (16.9%). Pour les autres niveaux de scolarité les femmes sont plus portées vers une telle réaction que les hommes. Ceci s’explique par: i) la présence beaucoup plus importante, d’une manière générale, de la femme dans le noyau familial; ii) la vision des hommes en relation à la sexualité et à la prostitution. Certaines femmes (30%) et certains hommes (29%), presque à part égale, déclarent qu’ils auraient une attitude pro-active en intervant pour empêcher un tel comportement. Ceci fait ressortir en filigrane une certaine responsabilisation de la « société » en relation à une telle situation. Tableau 29: Réactions possibles des adultes témoins d’une situation d’exploitation sexuelle des mineurs à des fins commerciales En dépit du malaise ressenti et de la prédisposition à réagir, les dénonciations effectives sont rares: seulement 10% de femmes et 7.7% d’hommes ont eu à le faire. Dans ces cas-là, il convient de signaler que les principales actions entreprises consistent: • pour les femmes soit d’aviser les parents ou d’en discuter avec des proches (amis ou parents) • pour les hommes soit d’avertir les parents ou de le dénoncer par voie de presse (radio ou journal) ou des écrits (documents). Aussi bien, les femmes (91%) que les hommes (89%) sont convaincus qu’il est possible d’entreprendre des actions pour contrecarrer l’exploitation sexuelle des mineurs à des fins commerciales. 80 Tableau 30: Pistes de solutions proposées par les adultes pour contrecarrer l’exploitation sexuelle des mineurs à des fins commerciales Leurs réponses indiquent le type d’activités à mettre en place et identifient les principaux secteurs responsables de leur mise en oeuvre. Les activités mentionnées prétendent offrir des pistes de solutions aux principales causes de l’exploitation sexuelle des mineurs. En ce qui a trait aux institutions et/ou secteurs identifiés, 48% des femmes contre 50% d’hommes pensent que c’est à l’Etat d’intervenir. Il est à noter qu’une part non négligeable de femmes (21%) considèrent qu’une collaboration Etat/secteur privé pourrait être un moyen de contrecarrer les méfaits d’une telle situation et offrir des alternatives de solutions. Tableau 31: Institutions/Secteur identifiés par les adultes En résumé, la création d’emplois jeunes est la principale solution signalée par l’ensemble des adultes (hommes et femmes). Si l’on tient compte des résultats du sondage, les problèmes économiques, en particulier, la pauvreté des parents, sont considérés par les adultes enquêtés comme l’une des principales causes de l’exploitation sexuelle des mineurs à des fins commerciales, aussi comprend-on leur préoccupation pour pallier à cet état de fait. Par ailleurs, l’analyse des résultats obtenus pour la question relative aux institutions ou personnes responsables de la mise en œuvre de telles actions, révèle que l’Etat devrait être le premier à prendre une telle responsabilité. Il est également important de signaler l’accent mis sur une collaboration Etat/Secteur privé ainsi que Etat/Société civile en général pour attaquer ce problème et appliquer les pistes de solutions proposées. 81 CONCLUSION Cette étude exploratoire sur l’exploitation sexuelle des mineurs à des fins commerciales en Haïti et de sa pratique dans la zone métropolitaine a permis d'identifier et d'analyser un certain nombre de réalités que confrontent des mineurs victimes d'une des pires formes d'exploitation. L'étude permet également d’identifier certaines pistes pouvant conduire à une meilleure appréhension de la problématique. Les causes Il faut reconnaître en premier lieu que bien des facteurs en Haïti rejoignent ceux que les Nations Unies ont retenus, et que nous avons mentionnés dans l’Introduction de la présente étude, pour essayer de répondre à la question « Pourquoi la prostitution infantile existe-elle?» En Haïti, la misère, la pauvreté sont à la base du phénomène. Cette affirmation se retrouve dans toutes les études consultées qui traitent des enfants en situation difficile Tous les informateurs rencontrés au cours de cette enquête que ce soit au niveau des institutions ou des professionnels s’entendent pour identifier la pauvreté comme première cause de l’exploitation sexuelle des mineurs. Cette explication se retrouve aussi dans la perception que les mineurs ont de leur situation et dans leurs requêtes: d’abord améliorer leur situation économique. Cette première cause est intimement liée au 2ème facteur signalé par les Nations Unies: vivre et travailler dans les rues. Cette forme d’exploitation des mineurs se retrouve en Haïti particulièrement dans le monde des enfants de la rue et des enfants des rues. Les études dans lesquelles on retrouve des informations sur cette problématique sont celles consacrées à cette catégorie d’enfants. Les 76 mineurs touchés par cette enquête appartiennent à ce milieu. Enfin, beaucoup de ces enfants -31 soit 40.7 de l’échantillon - ont été victimes d’un abus sexuel avant 12 ans rejoignant ainsi la 3ème catégorie du mémorandum cité. La pauvreté, l’éclatement des familles, le phénomène des enfants dans et de la rue, les abus sexuels dont sont les victimes les mineurs, l’environnement social et les pressions qu’il exerce sur les jeunes, tels sont donc les principales causes de l'ESC de mineurs, en Haïti comme dans de nombreux autres pays. 83 Mais on a vu que les Nations Unies retiennent comme autre facteur une des conséquences des conflits armés: les enfants séparés de leurs parents ou qui deviennent orphelins; cette catégorie d’enfants est bien présente en Haïti même si la cause principale n’est pas un conflit armé en tant que tel. L’exode rural, des situations de répression politique massive comme le Coup d’Etat de 1991 ont les mêmes conséquences. Certains observateurs notent d’ailleurs que l’augmentation du nombre des enfants de la rue coïncide avec la période du Coup d’Etat. D'autres part la pandémie du SIDA a considérablement augmenté le nombre d’orphelins abandonnés à eux-mêmes. Il faut noter que l’existence du phénomène de l’exploitation sexuelle des mineurs dans le monde des écolières est certainement liée à une situation financière précaire, mais sans doute aussi à la pression qu’exerce sur ces jeunes la société de consommation. Au cours de l’enquête nous avons retrouvé certaines expressions comme «elles aiment le luxe» en parlant des jeunes filles victimes de l’exploitation sexuelle et qui certainement réfèrent au fait que des «clients» profitent du besoin ou de l’envie qu’ont ces jeunes de certains biens et qui les rendent plus vulnérables. Les caracteristiques. Les fondements de l’exploitation sexuelle des mineurs a des fins commerciales en Haïti ne sont pas très différents de ceux qu’on observe dans d’autres régions. On retrouve les mêmes grands traits non seulement dans les autres pays de la région où de telles études ont eu lieu (Costa Rica, République Dominicaine, Panama) mais aussi à l’échelle internationale. Un récent documentaire de TV5 sur l’exploitation sexuelle des jeunes femmes dans les anciens pays de l’Europe de l’Est fait état du nombre grandissant de jeunes filles de moins de 18 ans impliquées dans ce trafic. Les caractéristiques de l’exploitation sexuelle des mineurs à des fins commerciales en Haïti mises en évidence par la présente étude méritent d’être soulignées. Le genre est important. Les filles sont les premières victimes. Les institutions rencontrées, les résultats de l’enquête menée auprès des mineurs, les personnes ressources interviewées le confirment. Cette situation correspond à la mentalité machiste de notre société et à sa vision de la femme. Elles subissent plus de violence, elles sont moins bien payées. La société les rejette beaucoup plus que les garçons qui peuvent s’en sortir plus aisément s’ils en trouvent l’occasion. Cité par Martine Bernier et Françoise Ponticq, op.cit. 64 84 Le mileu social aussi. Ces mineurs en général ont une scolarité faible, leur vie sexuelle a commencé très tôt, souvent avant 12 ans et de façon violente. Un milieu familial souvent défavorisé, des conditions d'existence marquées par les pénuries et la promiscuité infléchissent très souvent le destin de ces mineurs. Bon nombre d’entre eux sont victimes de maladies sexuellement transmissibles et sont souvent consommateurs de drogues. La plupart travaille pour leur propre compte mais nombreux sont ceux qui doivent partager leur gain avec quelqu’un d’autre qui vit á leurs dépens. Leurs parents, les propriétaires d’hôtels ou de bordels bénéficient de leur activité. “Clientèle” et lieux de l'ESC concordent. Le profil des clients décrit par l’échantillon concerné par cette étude correspond en grande majorité à des jeunes de classe aisée. Cependant, certaines particularités ont pu être décelées: les filles sont souvent victimes de clients issus de leur milieu, les clients qui sollicitent les jeunes garçons sont plus sélectifs, les mineurs identifient des étrangers comme clients. Les lieux où se pratique l’exploitation sexuelle des mineurs à des fins commerciales observés au cours de cette étude, correspondent à tous ceux signalés dans différentes études: lieux où généralement se réunissent les enfants dans et de la rue, certains quartiers populaires, des zones récréatives ou proches de zones récréatives, des quartiers où existent des activités nocturnes: restaurants, bars, discothèques, comme certains quartiers de Pétion-Ville. Les comportements et le type de client varie en fonction de ces caractéristiques zonales. Ils sont nombreux mais non recensés. Le nombre d’enfants atteints par ce fléau est difficile à préciser. Le milieu où ils se retrouvent en majorité est encore mal connu: celui des enfants des rues et des enfants dans la rue. Le nombre d’enfants de la rue aurait augmenté de 300% depuis 1991 où ils étaient environ 2000. Actuellement les chiffres se situent entre 6226 et 7833 dans la région métropolitaine selon l’Institut haïtien de Statistiques et d’Informatique64. Il n’existe aucune donnée sur l’extension de l’exploitation sexuelle des mineurs dans le milieu scolaire et les circuits d’adoption n’ont fait l’objet d’aucune enquête et échappent bien souvent à tout contrôle. La même source signale que pour les enfants dans la rue, le nombre diffère selon les jours. Il y en aurait un plus grand nombre le samedi, ce qui amène les auteurs à envisager l’hypothèse d’une “clientèle” des enfants ponctuelle, hypothèse que les études ultérieures devront prendre en compte. Cité par Martine Bernier et Françoise Ponticq, op.cit. 64 85 A ce sujet, un constat s’impose: 85% des mineurs en situation d’exploitation sexuelle à des fins commerciales souhaitent qu’on les sorte de la rue. L’étude n’a pas pu identifier des réseaux de l’exploitation sexuelle des mineurs à des fins commerciales en tant que tels. Par contre de plus en plus il existe des lieux où elle se pratique ouvertement: Kay Gwo Manman par exemple. Le circuit touristique comme incitateur à l’exploitation sexuelle des mineurs ne paraît pas jouer un rôle important actuellement. L’exploitation sexuelle des écolières bien que dénoncée, reste encore un sujet tabou. Pas de prise en charge. La réponse institutionnelle à cette situation est quasi inexistante. Tant au niveau de l’état que de la société civile, les interventions sont du type caritatif, cas par cas. Rien n’est entrepris de façon systématique et spécifique pour mieux connaître le phénomène et essayer de l’enrayer de manière durable. Paradoxalement, souvent les institutions de la société civile prennent la place de l’état alors qu’elles devraient être des structures d’appoint. La justice est inefficiente; elle est d’ailleurs rarement interpellée soit par les institutions, soit par les mineurs ou leurs parents. La revue de la législation nationale, en regard des instruments internationaux ratifiés par Haïti a permis de se rendre compte que dans la réalité l’enfant haïtien n’est pas protégé. Les lois sont désuètes, pas suffisamment précises et laissent beaucoup trop de latitude aux magistrats et autres responsables des enfants. Les institutions étatiques lorsqu’elles sont prévues par la loi ne dépassent pas le stade du papier. Les textes de loi nationaux tout en étant très limités et incomplets, permettraient un minimum de protection s’ils étaient appliqués. Les tabous pèsent encore lourd. Tout se passe à tous les échelons de la société haïtienne comme s’il fallait occulter le phénomène de l’exploitation sexuelle des mineurs à des fins commerciales, soit par peur d’en réaliser l’ampleur et d’avoir à en analyser les causes – ce qui remettrait en question bien des comportements individuels ou collectifs — soit pour continuer à assurer l’impunité aux responsables ou à cacher la complicité explicite ou implicite de certains secteurs. En effet les réactions des personnes touchées par le sondage indiquent au mieux une sensibilité de type parental mais aucun positionnement majoritaire condamnatoire. les réactions de "gêne" n'entraînent pas une propension à la dénonciation. 86 RECOMMANDATIONS Cette étude exploratoire suggère des recommandations dont certaines proviennent des mineurs eux-mêmes, principaux concernés par ce fléau et d’autres par les adultes qui ont bien voulu opiner sur la question. En tout état de cause, nos principales suggestions sont les suivantes: • Etudes approfondies sur les différents aspects de la problématique de • • • l’exploitation sexuelle des mineurs visant à identifier dans l’ensemble du pays les zones les plus touchées par l’exploitation sexuelle des mineurs à des fins commerciales et également les réseaux et bénéficiaires d’une telle activité. La prise en considération de mécanismes de prévention comme moyen de recours devant la loi et les possibilités de sanctionner les coupables devraient être également contemplées dans le cadre d’une telle politique. Mise sur pied d’une politique nationale de défense des droits de l’enfant mettant en synergie les institutions publiques et privées. L’élaboration d’une telle politique implique la mise à jour de la législation haïtienne et son adéquation avec les textes internationaux. Sur le plan juridique les mesures suivantes pourraient être mises en application. • Finalisation de la législation relative aux droits des enfants: - Relancer les réflexions à partir de la dernière version du projet du Code de l’enfant; - Mettre sur pied un comité juridique pour accompagner les différents partenaires qui vont travailler sur le projet de code de l’enfant; - Faire la sensibilisation sur les différentes nouveautés qui s’y trouvent, par rapport aux textes ratifiés; - Soumettre le texte au parlement et continuer la sensibilisation pour le faire adopter. • Mise sur pied effective et restructuration des institutions étatiques de promotion et de défense des droits des enfants, surtout au niveau des postes de police des zones sensibles à l’exploitation sexuelle des enfants. Pour faciliter cette restructuration il faudrait: - Mettre sur pied un comité inter-ministériel pour se pencher sur une politique nationale de défense des droits des enfants. - Définir le rôle de chacun des ministères concernés et l’action à entreprendre avec un calendrier réaliste d’activités et de mise en œuvre. - Avoir au niveau de la primature une coordination de ce comité et y adjoindre l’Office de la Protection du Citoyen. 87 • Sensibilisation, formation, encadrement des fonctionnaires chargés de la protection et de la défense des enfants: - Dès la mise sur pied de ce comité inter-ministériel, faire des séances d’information sur les droits des enfants, les prescrits de la loi, les conventions et autres textes ratifiés et responsabiliser les différentes instances concernées. - Mise en place effective de services à offrir aux enfants: centre d’accueil, tribunal, maison d’hébergement, services spéciaux au niveau des commissariats et sous commissariats, conseillers des enfants auprès des instances qui les reçoivent généralement. - Décentralisation de ces services. • Mise sur pied d’une coordination mixte (public-privé) pour que le public en général et les enfants en particulier sachent où s’adresser en cas de - besoin faciliter la mise en réseau d’institutions privées et de la société civile - organisée; mettre sur pied un comité qui servirait de lien entre les institutions publiques et privés afin que des actions communes puissent être planifiées et exécutées; • Réalisation d’une campagne d’information sur les droits des enfants, les différentes facettes de l’exploitation sexuelle des mineurs et les sanctions qu’entraîne une telle pratique. - les droits des enfants - les structures mises sur pieds - les instances spécialisées et les services qu’elles offrent - les sanctions encourues - un espace ouvert et public d’information sur les enfants pour les enfants et les adultes • Plaidoyer pour rendre plus visible le phénomène non seulement dans les médias mais dans les lieux où se retrouvent les enfants à risques. • L’élaboration de programme d’information et de formation pour changement de comportement devrait être envisagée dans les écoles niveau secondaire, au niveau des associations de jeunes mais aussi dans milieux où se retrouvent les enfants à risques : la rue, les orphelinats, pensionnats, les centres de détention. le au les les • Renforcement des institutions travaillant dans le domaine. Ce renforcement doit se baser sur des propositions concrètes recherchant de manière systématique la collaboration entre le secteur public et la société civile, ce dans le cadre de la politique nationale élaborée à cet effet. L’objectif est de rechercher une complémentarité et une coordination dans ce domaine. • Encadrement et interventions ponctuelles auprès des victimes (éducation, santé, hébergement). 88 BIBLIOGRAPHIE Bernier Martine, Dr Ponticq Françoise (1999).- Planification d’interventions utilisant les modes sociale et économique des enfants et des jeunes…, Rapport final soumis à Aide à l’Enfance Canada et UNICEF, pp 124. Bijoux Legrand.- Regard critique sur la famille haïtienne. Miméo Centre Maurice Sixto.- Enfants en domesticité. Miméo Chéry Jean Robert (1995).- Les abus sexuels : Enfants prostitués. Centre d’Education Populaire, Miméo. Port-au-Prince, Haïti Chéry Jean Robert (1996).- La situation des enfants. Miméo. Port-au-Prince, Haïti CONEF (sans date de parution).- Violence exercée envers les filles dans le contexte scolaire Congrès mondial contre l’exploitation sexuelle à des fins commerciales (1996). - Rapports des documents de Travail. HSI (2002).- Etude sur la situation des filles des rues et dans les rues de l’aire métropolitaine, ACDI, Centre d’Appui Familial, Save the Children, Mimeo, Rapport d’études, pp 44. HSI (sans lieu et date de publication).- Les enfants en domesticité. Haïti information libre (1996).- Le droit des enfants à avoir des droits –Vol IX No 98. MICIVIH (1998).- Observations préliminaires sur un projet de code de l’Enfant. Ministère de la Justice-PNUD 2001.- Index chronologique de la législation haïtienne 1804-2000. Nations Unies.- Recueil d’instruments internationaux – Volume I première et deuxième partie. OIT/IPEC (2002).- Explotación sexual comercial de personas menores de edad en República Dominicana, pp 207. OIT/IPEC (2002).- Explotación sexual comercial de personas menores de edad en Costa Rica, pp 206. OIT/IPEC (2002).- Explotación sexual comercial de personas menores de edad en Panamá, pp 256. Pierre-Louis Menan.- Code civil haïtien – Annoté et mis à jour. Pierre-Louis Rosevel (2001).- Les mineurs et la détention préventive en Haïti. 89 Trouillot Ernst & Pascal.- Code de Lois Usuelles. Trouillot Ertha Pascal.- Code de Lois Usuelles – Tome 2. Trouillot Evelyne .- Restituer l’enfance. HSI (2001). Port-au-Prince, Haïti UNICEF (2000).- La situation des enfants dans le monde. UNICEF (1993).- Les enfants en situation spécialement difficile en Haïti – Rapport d’enquête. UNICEF-OIM (2002).- Trafic des enfants haïtiens vers la République Dominicaine. UNIQ (1999) Guide de travail pour les encadreurs accompagnant les enfants de la rue en Haïti. Vandal Jean.- Code pénal haïtien – Mis à jour. Vieux-Gousse (1996).- Les enfants dans la législation du travail. Le droit des enfants dans la législation haïtienne – 1995. Projet de code de l’enfant. Institutions rencontrées: L’Escale, Timktek, Kay Fanm, Centre d’Éducation Populaire (CEP) 90 ANNEXES ANNEXES 91 ANNEXE I.- Entrevues L’Escale L’Escale ou Centre d’accueil pour enfants en domesticité (CAED) héberge et soigne une trentaine d’enfants victimes de sévices. Les enfants récupérés font l’objet d’une prise en charge globale (affective, médicale et psychologique). Cet hébergement médico-social est une étape en vue de leur réinsertion au sein de leur famille pour autant qu’il n’y ait pas de refus des parents ou des enfants (extrait d’un dépliant de Aide Haïti, association humanitaire suisse qui supporte le Centre d’accueil entre autres projets en Haïti). L’Escale est située dans la localité de Drouillard, zone marginale et défavorisée des environs de Port-auPrince et fonctionne depuis 1997. Les enfants qui s’y trouvent ont été amenés soit par l’Institut du Bien Être Social, soit par la police et même par une radio de la capitale, Radio Guinen. L’Escale reçoit seulement des fillettes. La directrice du centre pense qu’elle reçoit seulement des filles parce que celles-ci sont plus nombreuses en domesticité vu que la société en fait des êtres plus dociles, plus travailleurs. Les activités se déroulent autour l’éducation, la santé, l’éducation sexuelle L’impunité, la corruption des juges, la complicité de la police favorisent le phénomène. L’état ne remplit pas son rôle de protecteur des droits de l’enfant et le nombre d’enfants victimes augmente de plus en plus. Les institutions devraient s’engager dans des plaidoyers pour faire respecter les droits de l’enfant, pour faire appliquer les dispositions du code du travail sur le travail des enfants et se battre pour que soit définie une politique nationale visant la protection des enfants. Toutes ces activités requièrent des ressources financières énormes. Timkatek (Timoun kap teke chans) Timkatek est une ONG des Pères de St Jean Bosco, dirigée par le père Simon Elle a été fondée en 1994 et intervient à Pétion-Ville et à Delmas. Elle est située à Pétion-Ville, rue Derenoncourt. Elle offre un accompagnement aux enfants des rues ou en domesticité consistant en soins médicaux, éducation, hébergement pour les garçons. Timkatek reçoit plus de garçons que de filles et le responsable pense que c’est parce que les garçons trouvent moins facilement de travail. L’Escale ne travaille pas directement avec des enfants victimes d’exploitation sexuelle à des fins commerciales, mais la directrice reconnaît que parmi les enfants qu’elle reçoit certains se sont fait exploiter sexuellement. (10%). Elle rapporte que dans son expérience, elle a rencontré beaucoup de cas de petites filles ayant subi des abus sexuels de la part de femmes adultes. Actuellement l’institution compte 40 garçons internés et 7 filles. Elle définit l’exploitation sexuelle des mineurs à des fins commerciales comme le fait d’utiliser des mineurs à des fins sexuelles pour de l’argent. La misère, l’absence d’une politique de protection de l’enfant sont les facteurs qui amènent les mineurs à devenir victimes de l’exploitation sexuelle et ceux qui ont des antécédents d’abus sexuels sont les premières victimes. (situation à risque) Cette exploitation a des conséquences néfastes sur les enfants: grossesses précoces, MST, rejet social. Il note aussi que malgré tout les garçons en ressentent une certaine fierté du fait d’être choisi par un adulte comme partenaire sexuel. Parmi ces enfants, il croit qu’il y en a qui sont victimes d’une exploitation sexuelle à des fins commerciales. Comme gains ils reçoivent de l’argent, de la nourriture, des petits travaux. 93 Les activités de Timkatek visent le renforcement de la confiance des enfants en eux. Ils accordent une très grande importance aux soins médicaux. Pour le responsable rencontré, l’exploitation sexuelle des mineurs à des fins commerciales, c’est le fait d’abuser d’enfants sans protection. La misère, la démission des parents, l’absence d’intervention de l’état en sont les premières causes. L’impunité, la corruption, le laxisme de la police et de la justice contribuent à la perpétuation du phénomène. Les institutions devraient travailler à renforcer la justice. Comme intervention il préconise la création d’emploi dans les campagnes Kay Fanm Kay Fanm est une organisation féministe créée en 1984. Nous y avons rencontré la Coordonnatrice des programmes et Responsable administrative qui y travaille depuis sa création. Kay Fanm intervient particulièrement dans l’Ouest, l’Artibonite, Les Nippes mais l’impact de ses activités est national. Dans ses programmes Kay Fanm offre une aide juridique aux femmes victimes de violence, une formation technique particulièrement en gestion de petites entreprises, des sessions de sensibilisation sur la condition féminine, un accompagnement en terme d’hébergement, aide matérielle, d’encadrement organisationnel, etc. Kay Fanm s’adresse particulièrement aux femmes cependant l’institution reçoit des enfants restavek en situation difficile ou des enfants violés. L’âge de ces enfants varie entre 8 mois et 15 ans; ils sont amenés soit par leurs parents soit par des voisins, charitables. Les coupables de viols sont en général un membre de la famille. Les restaveks pour la plu-part, se sont enfuis et sont conduits à l’institution par un membre de la communauté. A date, les enfants reçus sont des filles et la coordonnatrice pense que les violences exercées 94 sur les garçons sont moins dénoncées, même occultées. De ces enfants, elle ne peut citer qu’un seul cas d’exploitation sexuelle d’une jeune mère de 15 ans sans ressources. En dehors d’un accompagnement juridique quand il y a poursuite et d’une aide matérielle, Kay Fanm n’a pas d’activités particulières pour ces enfants si ce n’est de les référer aux institutions concernées. Pour Kay Fanm, l’exploitation sexuelle des mineurs à des fins commerciales réfère aux mineurs qui travaillent pour un proxénète ou qui le font pour survivre. Cette exploitation a des conséquences différentes pour les filles et les garçons. La société est plus critique pour les filles que pour les garçons qui, s’ils en trouvent l’occasion, s’en sortent plus facilement, alors que les filles restent entachées à vie aux yeux de la société. De plus l’impunité perpétue le phénomène de victimisation qui affecte les filles. La responsable de Kay Fanm pense que la misère est la cause principale de l’exploitation sexuelle des mineurs à des fins commerciales. L’état de déliquescence de la justice – impunité, corruption, préjugé contre les mineurs exploités sexuellement, la préséance de la langue française dans les tribunaux, la loi sur l’adoption – favorise la perpétuation du phénomène. L’état est complètement désengagé, manque de politique, manque de structures et le travail des institutions s’en ressent; en effet elles se retrouvent à intervenir dans des champs qui devraient être du domaine de l’état et le désengagement de l’état bloque les résultats. Les institutions concernées devraient promouvoir un plaidoyer. Les activités primordiales devraient être la dénonciation du phénomène, un accompagnement des victimes et un plaidoyer. Kay Fanm tient à souligner que ce genre d’enquête devrait non seulement servir à des projets d’assistance mais aussi à nourrir un dossier de plaidoyer. Le Centre d’Éducation Populaire (CEP) Le Centre d’Éducation Populaire ou CEP est une «Association pour les Enfants des Rues de Port-auPrince». Il est situé à la Rue St. Gérard #10. C’est «un organisme à but non lucratif, créé le 25 mai 1986 dans le but de mettre les jeunes en situation de développer, leurs ressources propres et de se tailler une place dans la société comme citoyen responsable à part entière. Nous avons rencontré le Directeur du CEP, poste qu’il occupe depuis sa création. Le centre intervient directement auprès des enfants dans la rue. Les membres de l’équipe du CEP interviennent auprès des enfants qui se regroupent du côté : 1) du Champs – de -Mars, 2) de la Cathédrale de Port-auPrince, 3) le Portail Léogane, 4) Decayèt, 5) et le Ciné Lido (coin Grand Rue et Rue Joseph Janvier). Le CEP offre aux enfants des services de: formation technique ou professionnelle; de santé; d’éducation, d’accompagnement et de secours (sur la forme d’affermage de maison pour certains); et des fois favorise leur réintégration dans leur famille et / ou à l’école. Le CEP a comme “clientèle” deux (2) types d’enfants : 1) les enfants des rues, ceux qui ont la rue comme habitat; 2) et les enfants dit de la rue, ce sont des enfants qui passent leurs journées dans la rue mais qui dorment chez eux le soir. Le CEP retrouve ces enfants en allant vers eux dans la rue et travaillent avec des «cartels» d’enfants, parce que les enfants se regroupent et fonctionnent ensemble. Les enfants qu’ils rencontrent le plus souvent sont des garçons, les petites filles des familles en grande difficulté sont plus souvent placées en domesticité. D’après lui, le CEP rencontre parmi ces enfants, certains impliqués dans la prostitution. Ce sont le plus souvent des filles, parce que les petits garçons de la rue ont d’autres alternatives pour se procurer des sous, tel que le lavage des voitures, la mendicité, le «pick pocket», etc. Les filles impliquées dans la prostitutions bénéficient de l’argent, des avantages sociaux tel qu’un «petit job», des habits, des jeux, des bijoux, et la possibilité de trouver d’autres clients. Pour les garçons impliqués dans la prostitution ce sont les même types de bénéfices. D’après le directeur du CEP la prostitution a certaines conséquences identiques sur les filles que sur les garçons. C’est une pratique qui devient une manière de vivre très difficile à quitter; la possibilité d’attraper les maladies sexuellement transmissibles (MST) est un grand risque; la dévalorisation de soi; la difficulté d’établir des relations affectives normales constituent des handicaps à long terme pour les enfants. Cependant il existe certaines différences. Il est très difficile pour les garçons de fonder un foyer et d’accepter des responsabilités et les filles ont de plus en plus de difficultés a atteindre l’orgasme, par ce qu’éventuellement elles se perçoivent et elles sont perçues comme «un trou» et non comme une personne. La société, en général, perçoit ces enfants très mal, pour les filles, on pense qu’elles ne valent rien, elles sont perdues, c’est une génération qui n’a pas de «non». Elles ne vont pas à l’école, elles ne travaillent pas en plus elles se prostituent. Pour les garçons, ils «sont bons à mourir», la société haïtienne tolère beaucoup plus les lesbiennes que les homosexuels. D’ailleurs la seule catégorie de personne qui accepte les homosexuels en Haïti, sont les lesbiennes. Le CEP rencontre les enfants impliqués dans la prostitution dans le cadre de son travail mais n’a pas de programmes spéciaux adresses à ces enfants. Pour le CEP un enfant exploité sexuellement c’est «un enfant âgé de sept (7) à dix sept (17) ans, situé entre un passeur et un client, ou bien un enfant qui travaille dans un bordel. 95 ANNEXE II.- Mineurs Répartition des enquêtés (en nbre absolu) selon leur sexe et celui de leur partenaire Répartition des enquétés selon qu’ils aient reçues ou non de l’aide Types d’aides reçues usuellement par les enquêtés 97 Résultats trouvés par les enquêtés en adressant des plaintes aux autorités concernées Types de secours reçus après avoir adressé des plaintes aux autorités (La Police) 98 Les requêtes des enquêtés en terminant l’interview 99 Disons non au l’ exploitation sexuelle infantile Organisation Internationale du Travail Programme International pour l’Eradication du Travail des Enfants (IPEC) Coordination pour l’Amérique Centrale, le Panama, La République Dominicaine et Haïti www.ipec.oit.or.cr