Yves DARIO Je viens du Centre pour l’égalité des chances et la lutte contre le racisme. Le Centre est un service public autonome qui est l’homologue belge de la HALDE. Il traite des cas de discriminations, sur la base de deux outils légaux : la loi tendant à réprimer certains actes inspirés par le racisme et la xénophobie et la loi tendant à lutter contre certaines formes de discrimination. Depuis 2003, cette dernière permet au Centre de travailler sur les discriminations fondées sur l’orientation sexuelle. On m’a demandé de parler de la discrimination et de la situation des lesbiennes et gays dans le monde du travail en Belgique. Je vais le faire à partir de deux types de données. D’une part, les données qui concernent les signalements reçus au Centre en 2007, donc les statistiques propres au Centre. D’autre part, les données issues d’une étude qui a été initiée par le Centre et réalisée par un professeur de l’Université de Gand (Mr John VINCKE) et son équipe, qui a plus largement tenté de voir quel était l’état de la discrimination pour les lesbiennes et gays dans le monde du travail en Belgique. Les données statistiques du Centre sont reprises dans notre rapport d’activités consultable sur Internet, www.diversite.be ., A partir de ce lien, vous pouvez avoir accès à toutes les données que je vais vous présenter. Une synthèse et les conclusions de l’étude y sont également disponibles. Le premier tableau permet de relativiser un peu l’importance de l’orientation sexuelle parmi tous les motifs qui sont traités par le Centre. Elle correspond, en terme de nombres de signalements, au quatrième motif traité par le Centre avec plus ou moins 5 % des signalements. Evidemment, ce nombre de signalements n’est que la partie émergée de l’iceberg. Probablement qu’un nombre important de signalements n’arrive jamais jusqu’à nous. Ces chiffres sont donc tout à fait relatifs. Si on se concentre sur le motif orientation sexuelle et que l’on essaye de voir quels types de secteurs sont concernés par ce type de plaintes, on voit ce qu’on appelle le « vivre ensemble » (ce qui relève des conflits de voisinage, des insultes homophobes, des menaces, des dégradations de biens, …) arrivent en tête avec environ 27 % des signalements. Viennent ensuite les biens et services (qui concernent les refus d’attribution d’un logement par exemple, que ce soit un logement privé ou social) avec 24 % des signalements. Les médias et internet sont le troisième secteur concerné (avec, par exemple, la problématique des blogs homophobes, des interviews dans la presse avec des citations homophobes, …). L’emploi et la formation arrivent enquatrième position. L’enseignement est l’avant-dernière catégorie. Un cas emblématique de 2007 concerne le refus par des parents, lors d’un voyage scolaire, que leur enfant partage sa chambre avec un autre élève homosexuel. Enfin, la catégorie « autres » reprend toute une série de questions liées aux congés de paternité au sein de couples lesbiens adoptants ou, des choses beaucoup plus généralistes et qui relèvent moins de la plainte et de la discrimination réelle. Je reviens à l’emploi et à la formation. En 2005, on a essayé un peu de sérier le type de plaintes reçues dans ce secteur, ce qui nous a permis par ordre décroissant d’avoir ces cinq catégories. Cette typologie 2005 est encore valable pour les cas rencontrés en 2007 et elle est très semblable à ce qu’on retrouve dans le rapport SOS Homophobie en France ou dans certaines études québéquoises. Le harcèlement est très fréquent. On a rencontré, par exemple, le cas d’un dentiste pour enfants, à qui on ne mettait plus de rendez-vous. La secrétaire avait développé un système de harcèlement professionnel basé sur l’amalgame pédophilie-homosexualité. Il a eu de gros soucis professionnels à cause de ça. On retrouve ensuite le refus d’embauche. Le Centre a connu un cas emblématique dans une société de consultants qui a simplement refusé un candidat à partir du moment où la direction a su qu’il était homosexuel lors d’un entretien. Son « style de vie » ne correspondait pas à la société. C’est la justification qui lui a été donnée. Le refus de prolongation de contrat est aussi courant comme dans le cas d’un gérant de station-service licencié à partir du moment où son orientation sexuelle a été connue et révélée, pendant un congé de maladie, par un de ses collègues. Ensuite, dans la catégorie conditions de travail, on a vu un cas assez récent d’une procédure qui n’avait pas été suivie. En cas de décès de l’époux/l’épouse, il y a toute une procédure de condoléances à suivre au sein de l’institution mise en cause, Or,lors du décès du conjoint d’une personne homosexuelle, aucune marque de sympathie n’avait été manifestée. Le travailleur en a profondément été blessé. Enfin, les mauvaises évaluations, c’est assez clair, et ça ne nécessite pas d’explications complémentaires. Voilà pour les données statistiques du Centre. Je vais maintenant passer à l’étude sur « la situation des lesbiennes et gays dans le monde du travail ». Depuis 2003, et la loi anti-discrimination, on dispose d’une protection légale contre les discriminations fondées sur l’orientation sexuelle et ce également dans le champ de l’emploi. Toutefois, une question restait posée : est-ce que cette protection permet pour autant de faire disparaître la discrimination sur le lieu de travail ? Voilà pourquoi cette étude est née, pour faire un peu le point, l’état de la question sur ces types de discrimination. La méthodologie utilisée était, d’une part, une enquête par questionnaire via un site internet inspiré du questionnaire que Mr Christophe FALCOZ a utilisé lors de son enquête pour la HALDE. Vous voyez ici la référence de l’enquête de la HALDE. Et à côté de cette enquête par questionnaire, le Professeur VINCKE a essayé de faire des comparaisons avec une autre enquête démographique générale européenne qui s’appelle Study on Income and Living Conditions (SILC), réalisée en 2005. Il a comparé les premières données récoltées par le questionnaire à ces données générales pour voir s’il y avait vraiment des différences entre les personnes homosexuelles et les personnes hétérosexuelles. Les échelles et les questions étaient identiques pour permettre la correspondance des deux études. Le groupe d’enquête : 2497 lesbigays, ont répondu au questionnaire. 92 % de ce groupe se définissait exclusivement comme homosexuel sur une échelle qui leur était proposée allant de l’item « exclusivement hétérosexuel » à l’item « exclusivement homosexuel ». Beaucoup plus de néerlandophones ont répondu que de francophones et plus d’hommes que de femmes. L’âge moyen des répondants est de 35 ans. Les diplômés de l’enseignement supérieur sont sur-représentés avec 75 %. 75 % des répondants occupaient un emploi salarié. Les hommes qui ont répondu occupaient plus des fonctions de direction et travaillaient généralement plus dans le secteur privé, tandis que les femmes occupaient plus des fonctions d’employées et des fonctions dans des services plutôt publics ou des structures d’enseignement, de soins, de santé et des services sociaux. La plupart des répondants était embauchée dans des entreprises ou institutions de plus de 50 travailleurs. Que nous montrent les chiffres ? On voit que l’orientation sexuelle a bel et bien une influence sur la carrière. Pour 30 % des répondants, on voit que ça a vraiment un impact sur le choix du travail. Pour 28 %, un impact sur le choix de l’entreprise dans laquelle on va travailler. Pour 34 %, sur le choix du secteur. Pour 31 %, sur la situation géographique du lieu de travail et, pour 8 %, sur l’idée de se dire que pour éviter toute discrimination, ou bien tout comportement homophobe de la part des collègues, il faut procéder à la création de sa propre entreprise. On remarque que ce sont les répondants avec une formation universitaire voire même post-universitaire qui ont plus tendance à choisir des emplois ouverts à une orientation sexuelle différente, à un emploi « lesbigay friendly ». Et on voit que les employés qui sont issus de petites entreprises, donc de moins de 50 travailleurs, sont ceux qui ont le plus envisagé de développer leur propre entreprise. Le questionnaire a aussi permis de faire un topo sur l’ouverture par rapport à l’orientation sexuelle dans le cadre de l’emploi. On voit que les francophones apparaissent comme généralement moins ouverts quant à l’orientation sexuelle, dans le secteur de l’emploi, que les néerlandophones. Les hommes apparaissent aussi comme plus ouverts que les femmes. La taille de l’entreprise, bizarrement, ne semble pas avoir d’influence selon les répondants. Pourtant, on voit que les répondants sont généralement des gens issus de grandes entreprises. On peut donc s’interroger sur ce résultat. Ce sont les personnes hautement qualifiées qui apparaissent comme moins ouvertes que les personnes moins qualifiées dans le champ de l’emploi. Et, corollairement, on remarque que, lors des entretiens d’embauche, l’orientation sexuelle est moins souvent évoquée chez les répondants plus qualifiés que chez les répondants moins qualifiés. A propos du coming-out, on voit que plus d’un répondant sur deux tait son orientation sexuelle pendant la phase d’intégration, généralement les six premiers mois d’entrée en fonction. C’est dans ce cas-là qu’on voit le plus l’utilisation de termes neutres pour évoquer sa vie privée ou carrément l’évitement des questions dites personnelles. 60 % des répondants fait état d’une amélioration des relations de travail après leur coming-out. Quand on parle de son orientation sexuelle, on va le faire généralement avec ses collègues directs ou son supérieur direct mais généralement peu ou pas avec ses subalternes. On voit que dans le cas où ça se passe mal, où il y a une détérioration du climat de travail après un coming-out, ça se marque surtout avec les mêmes personnes, soit les collègues, soit les supérieurs. Le questionnaire proposé visait aussi à recueillir toute une série d’expériences négatives pour voir comment cette discrimination se concrétisait dans le champ du travail. Un peu moins de 25 % des répondants qui estime ressentir ou avoir ressenti une homophobie directe ou indirecte. Encore une fois, les réactions homophobes sont surtout le fait des collègues et des supérieurs directs et toujours pas des subordonnés. 65 % de cette partie de répondants fait état de discrimination appelée indirecte, donc plutôt les rumeurs, les allusions, les moqueries, mais jamais centrées directement sur la personne. 12 % font état de discriminations directes avec des insultes personnelles, des menaces et parfois même des agressions verbales ou même physiques. On imagine très bien les conséquences de ces expériences négatives. 20 % des répondants se considèrent comme ayant vécu une grosse période de dépression, de déprime, après ces mauvaises expériences. 50 % de ces mêmes répondants fait état d’un sentiment de colère et de stress toujours présent au travail. Une donnée complémentaire : les femmes ont plus tendance que les hommes, en tout cas c’est ce qu’elles disent, à intervenir et réagir quand quelqu’un est victime d’homophobie. Parmi les formes de discrimination qui sont présentées par les répondants, la plus souvent rapportée est la mise hors jeu lors de promotions. Là, une fois encore, ce sont les hommes qui semblent plus touchés que les femmes par les différentes formes de discriminations. Mais, ils sont plus exposés puisqu’ils en parlent aussi plus facilement que les femmes. Les répondants qui sont issus d’entreprises de moins de 10 travailleurs, de petites structures, semblent moins concernés par la discrimination, contrairement à ce que pensent les répondants. Enfin, les plus de 45 ans sont surtout ceux qui se plaignent d’avoir été mis hors jeu et d’avoir raté des promotions. J’en arrive maintenant à la comparaison entre les données issues de l’enquête par questionnaire internet et les données européennes SILC 2005. On voit que, par comparaison avec les données générales, les lesbigays travaillent plus dans les services publics, l’enseignement et le secteur tertiaire en général. Ils sont sur-représentés dans les secteurs qui sont très réglementés, qui offrent une certaine stabilité et une certaine sécurité et, comme notre groupe de répondants, dans des entreprises de plus de 50 travailleurs. Les salaires ont également été comparés et là, apparemment, le facteur orientation sexuelle ne jouerait pas. Il n’y aurait pas de différence de revenus expliquée par là tant pour les gays que pour les lesbiennes. Toutefois, au niveau du nombre d’heures travaillées, il semblerait que les lesbiennes travaillent plus d’heures par semaine que les femmes hétérosexuelles, en comparaison. Alors que les gays, eux, resteraient à un nombre d’heures équivalent aux hommes hétérosexuels en terme de prestations. On a essayé de tirer quelques recommandations des résultats de cette étude. L’une des recommandations principales est de travailler sur des politiques de diversité au travail axées sur l’inclusion, que ce soit dans l’image que l’entreprise donne vers l’extérieur aussi bien que dans la politique de gestion des ressources humaines qui est menée à l’intérieur. Car, effectivement, plus on favorisera une visibilité lesbigay plus on permettra un coming-out facile. On a vu que le fait de faire son coming-out avait généralement des répercussions positives sur les relations de travail... Ces politiques, on ne le rappellera jamais assez, doivent impliquer tous les partenaires de l’entreprise, personne ne doit être oublié et la communication doit vraiment aller aussi bien de la direction vers le personnel que du personnel vers la direction. La création de groupes lesbigays peut éventuellement être un outil. La presse de cette semaine rapporrtait qu’un grand établissement bancaire belge allait lancer pour la première fois une action en direction de ses travailleurs lesbigays, on va être très attentifs à cela et voir comment cela va se concrétiser. Alors évidemment, le pendant d’une politique plutôt préventive, que serait cette politique de diversité inclusive, c’est d’organiser une approche pro-active et curative de la lutte contre la discrimination en permettant vraiment des procédures souples de gestion de plaintes dans l’anonymat, la confidentialité. Dans cette même perspective, il convient également d’optimaliser le rôle des personnes de confiance, des conseillers en prévention - c’est comme ça qu’on les appelle en Belgique - toutes ces personnes qui sont amenées à gérer la charge psychosociale au travail et tous les phénomènes de harcèlement au travail. Pour conclure, quelques perspectives que le Centre a envie d’explorer suite à cette étude. On s’est rendu compte que l’échantillon que l’on avait pu toucher via cette enquête internet était un groupe de personnes très qualifiées avec beaucoup d’universitaires, beaucoup de postuniversitaires. Aussi, nous allons plus que probablement initier une nouvelle enquête centrée cette fois sur les travailleurs moins qualifiés avec carrément une cible sur les ouvriers pour vraiment avoir des chiffres globaux qui peuvent nous donner une image globale de la situation des lesbigays dans le monde du travail. Ces nouveaux chiffres seront peut-être différents de ceux qu’on a pu récolter avec cette première enquête. On vise aussi d’autres types d’enquêtes. Mais ça, ce sont des projets à plus long terme sur l’étude des carrières des lesbigays, par exemple. Cette étude viserait à voir comment évolue un lesbigay dans sa carrière professionnelle. Va-t-il accéder à des promotions de manière régulière ? Va-t-il avoir le même parcours qu’un travailleur hétérosexuel ? Autre piste développée par le Professeur VINCKE dans ses conclusions, et qui nous paraît assez intéressante, c’est l’étude des facteurs constitutifs du climat homophobe, parce que c’est vrai qu’on a parlé de discrimination directe et de discrimination indirecte, mais probablement qu’une étude plus fine de ces différents facteurs se révèlerait intéressante. Merci. Réponse à une question : Yves DARIO Dans le cadre de notre étude, on utilise le vocable lesbigay, parce qu’il y a, en Belgique, un cadre légal en trois lois : une loi racisme, une loi genre et une loi autres motifs. Nous sommes mandatés pour travailler sur la base de la loi racisme et autres motifs mais pas sur la loi genre. Donc, le Centre ne travaille pas la thématique T du LGBT, et c’est pour ça qu’on a choisi le vocable « lesbigay » parce que c’est ce qui couvrait le plus globalement le public sur lequel on peut travailler et sur lequel l’étude porte.