Aliados (Alliés) Un opéra du temps réel Musique de Sebastian Rivas Livret d’Esteban Buch Photo : © : Jones / L.R.C./SIPA Création 14-19 juin 2013 Théâtre de Gennevilliers /ManiFeste-2013, festival de l’Ircam Version du 18 mars 2013 D’abord le corps. Non. D’abord le lieu. Non. D’abord les deux. Samuel Beckett, Cap au pire. I - Primero el Cuerpo Colimba : Conscrit : Primero el cuerpo. No. Primero el lugar. No. Primero los dos. D’abord le corps. Non. D’abord le lieu. Non. D’abord les deux. En este lugar al fin. Con este cuerpo al fin. En el fin del mapa. Rumbo adónde. Dans cet endroit à la fin. Avec ce corps à la fin. La fin de la carte. Cap vers où. El fin del mapa argentino. El fin del mar argentino. Rumbo al teatro. El Teatro de Operaciones del Atlántico Sur. La fin de la carte argentine. La fin de la mer argentine. Cap vers le théâtre. Le Théâtre d’Opérations de l’Atlantique Sud. Un soldadito argentino. Un colimba. Colimba clase sesenta y tres. Un petit soldat argentin. Un conscrit. Conscrit classe soixante-trois. Mi cuerpo en las máquinas del barco de matar. La sala de máquinas del Crucero General Belgrano. Mata el General Belgrano. Mata. Mon corps dans les machines du navire à tuer. La salle des machines du Crucero General Belgrano. Il est mortel le General Belgrano. Mortel. II - Obertura Pendant cette scène la voix et l’image du Conscrit s’articulent avec ce qui finit par ressembler à un documentaire sur la guerre des Malouines. Vers la fin on découvre Pinochet qui, assis sur un fauteuil roulant, regarde la télévision. L'aide de camp éteint l’appareil et lui tend des cachets. III – Lindo barco Pinochet : Lindo barco, el Phoenix, en Pearl Harbor. La Segunda Guerra mundial debió ser formidable. Lo bueno de estar en Inglaterra son esas películas de guerra que pasan por televisión. Pinochet : Joli bateau, le Phoenix, à Pearl Harbor. La Seconde Guerre mondiale a dû être formidable. Ce qui est bien d’être en Angleterre c’est tous ces films de guerre à la télévision. El edecán : Senador, el barco era el mismo pero no se llamaba Phoenix sino Belgrano. No era la Segunda Guerra mundial sino la Guerra de Malvinas. No 1941, sino 1982. L'aide de camp : Sénateur, le bateau était le même, sauf qu’il ne s’appelait pas Phoenix, mais Belgrano. Ce n’était pas la Seconde Guerre mondiale mais la Guerre des Malouines. Pas 1941, mais 1982. Pinochet acquiesce, l’air pas trop convaincu. El edecán : Las Malvinas. Las Falklands. (Pause) Recuerde a su amiga Margaret Thatcher. La Dama de Hierro. L'aide de camp : Les Malouines. Les Falklands. (Pause) Souvenez-vous de votre amie Margaret Thatcher. La Dame de Fer. Le visage de Pinochet s’éclaire. Pinochet : Qué mujer extraordinaria. Pinochet : Quelle femme extraordinaire. El edecán : Bueno, menos mal, no ha perdido del todo la cabeza. Así puede terminar su carta a los chilenos. L'aide de camp : Bon, tant mieux, vous n’avez pas perdu toute votre tête. Vous pouvez finir votre lettre aux Chiliens. IV – Carta a los Chilenos Pinochet : Todo lo que hice como soldado y como gobernante lo hice pensando en la libertad de los chilenos y en la unidad nacional. A ello consagramos todos nuestros desvelos quienes actuamos el 11 de septiembre. Nunca he deseado la muerte de ningún muerto que hice matar. Soy un guerrero cristiano. Occidental y cristiano. Pinochet : Tout ce que j’ai fait en tant que soldat et président, c’était pour la liberté des Chiliens et pour l’unité nationale. A cela ont été consacrés tous les efforts de ceux qui ont agi le 11 septembre. Je n’ai jamais souhaité la mort d’aucun mort que j’aie fait mourir. Je suis un guerrier chrétien. Occidental et chrétien. L'aide de camp: Bien dit, sénateur. El edecán : Bien dicho, senador. Pinochet : He sido objeto de una cobarde maquinación político-judicial. Por culpa del comunista Allende y sus amigos. Como ese juez comunista. Y esos Lores o cómo se llamen. Comunistas también, todos comunistas del carajo. Pinochet : J’ai fait l’objet d’une lâche machination politico-judiciaire. La faute au communiste Allende et ses amis. Comme ce juge espagnol communiste. Et ces Lords ou je ne sais quoi. Des communistes eux aussi, tous des communistes de mes deux. Emporté par son agitation, il essaye de se lever de son fauteuil. L'aide de camp l’en empêche. V - Catálogo El edecán : ¿Se ha vuelto loco ? Cálmese, si no quiere terminar su vida preso en esta casa. ¿O no sabe ya por qué está aquí ? L'aide de camp : Êtes-vous devenu fou ? Calmezvous, si vous ne voulez pas finir vos jours prisonnier dans cette maison. Ou ne savez-vous plus pourquoi vous êtes là ? On voit apparaître le document « Biographic Data » de la Defense Intelligence Agency. El edecán : Primero los cuerpos, dice la acusación. 300.000 personas privadas de libertad, 5.000 personas muertas y/o desaparecidas, dice, senador. Primero los L'aide de camp : D’abord les corps, dit l’accusation. 300.000 privées de liberté, 5.000 personnes mortes et/ou disparues, dit-elle, sénateur. D’abord les lieux, dit-elle. Le Stade lugares, dice. El Estadio Nacional de Santiago, la Caravana de la Muerte, dice. Y el Plan Cóndor, aliados contra el comunismo, con Kissinger y el general Videla. National de Santiago, la Caravane de la Mort, dit-elle. Et le Plan Cóndor, alliés contre le communisme, avec Kissinger et le général Videla. Avec l’évocation de ses crimes, la colère du général Pinochet retombe. A la fin il est enfoncé dans son fauteuil, l’air plus vieux que jamais. Pinochet : Ojalá el mío fuera el último sacrificio. Pinochet : Plût au ciel que le mien fûsse le dernier des sacrifices. VI – Visita El edecán : Otra vez le agarra la melancolía. Está bien eso, muy bien. Así a los médicos les da lástima y lo dejan irse a su casa. Igual, que no se le vaya la mano con la tristeza, senador. Hoy tiene visitas. L'aide de camp : Vous voilà à nouveau mélancolique. C’est bien ça, très bien. Les médecins auront pitié de vous et vous laisseront rentrer à la maison. Mais n’en faites pas trop avec la tristesse, sénateur. Aujourd’hui vous avez de la visite. L'aide de camp remet de l’ordre dans les vêtements de Pinochet, lui accroche une enseigne militaire et une marguerite. Margaret Thatcher s’avance, une rose à la boutonnière, dans un fauteuil roulant poussé par L'infirmière. Pinochet : Señora Baronesa, es un agrado recibirla en esta modesta casa. Es una pequeña casa, pero llena de gratitud y amor hacia Ud. Pinochet : Madame la Baronne, c’est un plaisir de vous recevoir dans cette humble demeure. La maison est modeste, mais elle est pleine de gratitude et d’amour pour vous. Thatcher : I am glad you are confortable here. It’s a long time, five months, to be confined to a house. Thatcher : Je suis heureuse de vous savoir ici à l’aise. C’est long, cinq mois, confiné dans une maison. Aucun des deux ne comprend l’autre. L'aide de camp et L'infirmière traduisent de manière approximative, les visages des deux vieillards s’éclairent. Pinochet : Se la ve bien, muy elegante. Pinochet : Vous avez bonne mine, très élégante. Nurse : …the way you look tonight. L'infirmière : …the way you look tonight. Thatcher : The rose I am wearing is the rose of England. Thatcher : La rose que je porte est la rose d’Angleterre. El edecán : Una rosa es una rosa… L'aide de camp : Une rose est une rose… VII – Tea time L'aide de camp sert le thé, aidé par L'infirmière. Pinochet : No, sin azúcar, gracias. Por la Pinochet : Non, pas de sucre, merci. A cause du diabetes. diabète. Thatcher : I know how much we owe to you, to your help during the Falklands campaign. Thatcher : Je sais combien nous vous devons, combien nous devons à votre aide pendant la campagne des Falklands. Elle cherche ses mots, s’immobilise dans une posture proche de sa statue à la House of Commons. VIII - Alianza Nurse : Mrs Thatcher had an exhausting time today, posing for a sculptor. Her bronze statue is to be set up at the Palace of Westminster. A bronze for the Iron Lady ! L'infirmière : Mrs Thatcher a eu une journée épuisante, elle a posé pour un sculpteur. Sa statue en bronze sera au Palais de Westminster. Un bronze pour la Dame de Fer ! Thatcher (reprenant ses esprits) : …during the Falklands campaign. The information you gave us, communications, and also the refuge you gave, to any of our forces who were able, if they were shipwrecked, to make their way to Chile. Thatcher (reprenant ses esprits) : … pendant la campagne des Falklands. Les informations que vous nous avez données, les communications, ainsi qu’un refuge pour nos troupes qui en cas de naufrage pouvaient rejoindre le Chili. Pinochet suit transi de plaisir ce discours que l'aide de camp lui traduit à l’oreille. Pinochet : Refugio y comunicaciones, eso es. Y un naufragio también. Pinochet : Refuge et communications, c’est ça. Et un naufrage aussi. On voit à l’écran des images des nationalismes argentin et anglais et des scènes de destruction en mer. Colimba : Frío mojado en el horno de la sala de máquinas. Encerrado en cincuenta y cinco grados de latitud sur. Qué hago yo acá. Servir a la patria. Dónde está el colimba clase sesenta y tres. Qué servir ni servir. No puedo nadar en la nada de las máquinas. Desaparezco en cincuenta y cinco grados de latitud sur. Conscrit : Froid mouillé dans le four de la salle des machines. Enfermé par cinquante cinq degrés de latitude sud. Qu’est-ce que je fais là. Au service de la patrie. Où est le conscrit classe soixante-trois. Servir mon oeil. Je ne peux pas nager dans le néant des machines. Je disparais par cinquante cinq degrés de latitude sud. Thatcher : You also brought democracy to Chile. You set up a constitution, you put it into effect. Elections were held, and then, in accordance with the result, you stepped down. Thatcher : Aussi, vous avez amené la démocratie au Chili. Vous avez fait une constitution, vous l’avez mise en vigueur. Il y a eu des élections et, au vu du résultat, vous avez démissionné. Pinochet : Y dejé el poder, es cierto. Lástima las elecciones. Pinochet : J’ai quitté le pouvoir, c’est vrai. Dommage les élections. Thatcher : So there are two reasons to thank you. Thatcher : Il y a donc deux raisons de vous remercier. Pinochet : Ud las merece. Pinochet : Je vous en prie. IX - Tango Thatcher : Now the organised international Left are bent on revenge. You’re a political prisoner. This is a political assassination. Thatcher : Maintenant la gauche internationale organisée cherche sa revanche. Vous êtes un prisonnier politique. C’est un assassinat politique. Pendant que le duo se poursuit, L'infirmière et l'aide de camp dansent un tango. Pinochet : Baronesa, se vengan porque peleamos juntos por el Mundo libre. Pinochet : Baronne, ils se vengent parce que nous avons lutté ensemble pour le Monde libre. Thatcher : The struggle against evil in the world is never ending. Thatcher : Le combat contre le mal dans le monde n’a pas de fin. Pinochet : La mano en la mano, somos invencibles. Somos aliados. Pinochet : La main dans la main, nous sommes invincibles. Nous sommes alliés. Thatcher et Pinochet : Allies, true allies, hand in hand. / La mano en la mano, aliados de verdad, aliados. Thatcher et Pinochet: Alliés, alliés véritables, la main dans la main. / La main dans la main, alliés pour de vrai, alliés. Thatcher : Allied against the dictators. Against Galtieri, against Saddam, against Stalin, against Hitler. Against all the dictators ! Thatcher : Alliés contre les dictateurs. Contre Galtieri, contre Saddam, contre Staline, contre Hitler. Contre tous les dictateurs ! Au mot de dictateur Pinochet sursaute et s’agite sur son fauteuil. Les deux danseurs se détachent. Pinochet : Dictador, dictador… otra vez esa palabra. ¿A mí porqué me miran ? Pinochet : Dictateur, dictateur… encore ce mot. Qu’est-ce qu’il y a, qu’est-ce que j’ai ? Thatcher : Dictators don’t surrender, they have to be well and truly defeated. Thatcher : Les dictateurs ne se rendent jamais, il faut aller jusqu’au bout pour les vaincre. Pinochet est redevenu un vieillard impotent, qui grommelle dans son fauteuil, puis s’assoupit. Thatcher a le regard perdu dans le vide, et fait à nouveau le geste de sa statue. Elle ne s’est pas aperçue de l’effet de ses paroles sur son ami. Nurse : Excellent, Milady. Like in the old days. Now it’s time to go home. L'infirmière : Excellent, Milady. Comme au bon vieux temps. Maintenant il faut rentrer. Thatcher ne réagit pas. Elle répète un léger mouvement de la main, simple tic compulsif. L'infirmière agite la main devant son regard perdu. X - Nurse Nurse : Please, don’t do that. Not now, not here ! The body goes first. No, it’s the mind. The place of the mind. Prime Minister. Baroness. Iron Lady. Mrs Thatcher. Margaret. Maggie… L'infirmière : Par pitié, ne faites pas ça. Pas maintenant, pas ici ! D’abord le corps s’en va. Non, c’est l’esprit. Le lieu de l’esprit. Allons, Premier Ministre. Baronne. Dame de Fer. Mrs Thatcher. Margaret. Maggie… A l’écoute de son surnom, Thatcher esquisse enfin une réaction. Nurse : Your duty is to remember and remind. To remember everything, even the bad things. The miners. The Belgrano, too. L'infirmière : Votre devoir est de vous souvenir et de vous rappeler. Vous souvenir de tout, même des choses pénibles. Des mineurs. Du Belgrano aussi. XI- It was a Danger Thatcher est restée immobile, mais à la mention du Belgrano son visage trahit une agitation profonde. Thatcher : It was a danger. That is fact. A danger to our ships. When it was sunk that ship was a danger to our ships. When orders were given to sink it and when it was sunk, it was in an area which was a danger to our ships. That is fact. I lived with the responsability for a very long time. My Goodness, I lived through many many anxious days and nights. Thatcher : C’était un danger. Voilà un fait. Un danger pour nos navires. Lorsqu’il a été coulé ce navire était un danger pour nos navires. Lorsque l’ordre a été donné de le couler et lorsqu’il a été coulé, il était dans une zone où il était un danger pour nos navires. Voilà un fait. J’ai vécu avec la responsabilité pendant très longtemps. Mon Dieu, j’ai passé dans l’angoisse beaucoup beaucoup de jours et de nuits. Thatcher est debout, revigorée. Nurse : Yes. You must have all of your head for your statue to be at the Palace of Westminster. L'infirmière : Oui. Vous avez besoin de toute votre tête pour votre statue au Palais de Westminster. XII- Goodbye El edecán réveille le général et lui tend ses médicaments. Thatcher : Today was in the spirit of the South Atlantic, which is the spirit of Britain at its best. With allies like you and me, no pasarán ! Thatcher : Aujourd’hui l’esprit de l’Atlantique Sud était avec nous, le meilleur esprit de l’Angleterre. Avec des alliés comme vous et moi, no pasarán ! Pinochet : Para la próxima guerra, cuente conmigo. Aliados ! (Il fait le salut militaire). Pinochet : Pour la prochaine guerre, comptez sur moi. Alliés ! (Il fait le salut militaire). Thatcher et L'infirmière sortent XIII- Yo pisaré las calles nuevamente El edecán : Senador, es hora de preparar su entrevista con los médicos. L'aide de camp : Sénateur, c’est l’heure de préparer votre entretien avec les médecins. El edecán y Pinochet : El senador Pinochet siente añoranza de su tierra natal y aburrimiento y frustración a causa de su condición física. Se despierta con frecuencia por las noches. Tenía la costumbre de leer, pero ahora tiende a sentarse delante del televisor. L'aide de camp et Pinochet : Le sénateur Pinochet a le mal du pays et ressent ennui et frustration à cause de sa condition physique. Il se réveille fréquemment la nuit. Il avait l’habitude de lire, mais maintenant il s’asseoit plutôt devant la télévision. Pinochet : Yo pisaré las calles nuevamente de lo que fue Santiago ensangrentado. Pinochet : Je marcherai à nouveau dans les rues de Santiago ensanglanté. Pinochet se lève de son fauteuil et marche d’un air parfaitement assuré. Les deux personnages disparaissent. XIV- Milicos Asesinos Todos Colimba : Milicos asesinos todos. Piratas asesinos todos. Generales asesinos todos. Y yo, yo, yo colimba en el teatro de operaciones para nada. Teatro de la nada. Conscrit : Militaires assassins tous. Pirates assassins tous. Généraux assassins tous. Et moi, moi, moi conscrit au théâtre des opérations pour rien. Théâtre du rien. Yo me tomo el buque. Me desierto todo. El mar me tomo. El raje me tomo. Y al carajo con ellos. No. Al recarajo. Je les laisse tous en rade. Je déserte aussi sec. C’est la mer à boire. Je me fais la belle. Et qu’ils aillent se faire mettre. Non. Se faire foutre. Dónde está el cuerpo del colimba. Desaparecido su cuerpo de este lugar. Où est le corps du conscrit. Disparu son corps de ce lieu. Le torpilleur du sous-marin nucléaire Conqueror évoque à l’écran le tir contre le Belgrano. L’opéra s’achève dans le noir avec une musique basée sur son imitation de la torpille.