De l’écriture scripturale à l’écriture picturale, de l’indicible au dicible, du dit au non-dit : les représentations du Conde de Villamediana Laurène SANCHEZ Les représentations de Juan de Tarsis (ou Tassis) y Peralta, comte de Villamediana (Lisbonne,1582 ? - Madrid,1622) émanent de l’analyse de documents s’inscrivant dans deux types d’expressions : une linguistique et une picturale. Dans la catégorie linguistique, deux formulations essentielles de la personne de Villamediana se dégagent à travers le « él », puis le « yo ». Une courte transition entre ces deux aspects sera assurée par la manifestation du « tú », qui complètera le paradigme des personnes du singulier. La troisième personne est d’abord le fait du correspondant de la Députation d’Aragon, Gerónimo Dalmao au cours de ses échanges épistolaires et administratifs depuis Madrid avec son employeur, dans le premier tiers du XVIIe siècle. Ces envois de lettres se déroulent entre 1615 et 1631 ; certaines années ont disparu à la suite de l’incendie de l’édifice de l’institution en 1808 par les troupes napoléoniennes. Les manuscrits sont donc incomplets mais dans la quantité retrouvée, les mentions directes à Villamediana sont on ne peut plus rares. Les explicites ne sont pas légion, elles se chiffrent au nombre de deux. La référence au comte se fait par le pronom personnel « il ». Góngora s’inscrit dans cette modalité, celle de l’absence référenciée (ou référence à l’absent), avec un sonnet écrit en 1622 en hommage à son ami et disciple dont la brutale fin tragique fut aussi spectaculaire que l’avait été sa vie. 144 Laurène SANCHEZ Cet auteur a aussi utilisé la modalité de l’interlocution comme le prouve la deuxième personne du singulier du sonnet Al Conde de Villamediana, de su Faetón. Le « tu » est le fait de passages littéraires dédiés au Comte qui jouissait de son vivant d’une reconnaissance et d’une véritable célébrité. Un autre écrivain dont l’immortalité ne fait aucun doute, lui a aussi consacré un hommage : Cervantès. Ces deux figures du Siècle d’Or espagnol s’exercent alors dans le panégyrique. Une troisième intervention s’opposera à elles car elle aura recours à une tonalité bien moins amicale. La dernière représentation du Comte de Villamediana est celle qu’il donne de sa propre personne ; l’expression du « yo » va apporter une nouvelle dimension au personnage. Ce sont quelques sonnets qui vont compléter l’expression de la personne, certes passée par le filtre de l’écriture littéraire. Toutefois, cette voix poématique subit fortement l’empreinte du « moi » réel et de son expérience puisque la composition en vers est l’espace où le comte manifeste ses peines et déceptions bien baroques face à l’amère réalité « historicoanecdotique » vécue. Le « je » apparaît soit de manière explicite à travers les plaintes par exemple, soit de manière implicite (conjugué parfois avec l’explicite) à travers ses poèmes satiriques ; ceux-ci disent, la plupart du temps avec force dédain, et trahissent son rapport au monde et à l’altérité, essentiellement perçue comme contrariante, négative voire ennemie. La seconde grande forme d’expression qui met en scène au sens propre mais de manière paradoxale le comte de Villamediana est la représentation plastique de sa mort peinte par Castellano en 1868 (cf. l’article de Dominique Besseron, Des esquisses au tableau peint ou l’élaboration d’un langage pictural). Elle a recours à des modalités propres au langage codifié de l’art considéré mais elle reprend l’expression de la troisième personne, celle de l’absence. De manière curieuse et par certains aspects, elle rejoint l’expression de Gerónimo Dalmao. La boucle se referme sur la référence à l’omniprésence de cet homme absent. « L’absent omniprésent » est l’oxymore qui pourrait convenir à ce Burlador précurseur de la pièce et de la mise en scène dramaturgique du téméraire Icare baroque puni et ravi par Thanatos. La finitude terrestre permet aux deux don Juan (celui de chair et celui de papier) d’atteindre l’immortalité et de ne plus être pour l’éternité que troisième personne, celle de la légende pour le premier et du mythe pour le second. Les représentations du Conde de Villamediana 145 Le Comte de Villamediana à la troisième personne C’est Gerónimo Dalmao qui nous a initiée au comte de Villamediana par une approche plutôt aride, administrative. Don Juan de Tassis détient la charge de Grand Courrier du Royaume héritée de son père. Il est mentionné de manière implicite à chaque lettre, même si entre 1611 et 16151 il est en Italie, avec le vice-roi et mécène le comte de Lemos. En 1617, il est à Madrid puis entre 1618 et 1621 il est à nouveau exilé pour avoir vendu quelques titres des postes et pour des écrits satiriques visant parmi tant d’autres des personnes haut placées et rancunières. L’avènement de Philippe IV met un terme à cet éloignement de la Cour qui aura suscité des compositions poétiques empreintes de tristesse, d’amertume et de clairvoyance quant à l’univers du pouvoir. Gerónimo Dalmao, en tant qu’agent administratif est obligé, par convention et pour des raisons de sécurité, de mentionner à chaque fois le dernier courrier envoyé et le dernier reçu de manière à vérifier si tout est arrivé entre les destinataires qui deviennent à leur tour expéditeurs. Or, les échanges postaux présentent souvent du retard dû à un simple dysfonctionnement ou aux conditions météorologiques. Il arrive aussi que des missives disparaissent de manière mystérieuse. À aucun moment pourtant, malgré plusieurs centaines de lettres traitées, n’apparaît de mention mettant en cause l’efficacité de Villamediana alors qu’il est notoire qu’il détient cette charge très convoitée car fort lucrative. Le correspondant-espion de la Députation est prudent, évite de choquer les susceptibilités et les gens bien placés à la Cour. Il tente en effet de préserver voire de développer son réseau d’information. Or les membres qui en font partie sont tous liés par des relations diplomatiques fragiles. Médire sur le Comte, pourtant mal aimé voire haï mais puissant et ennemi de la faction à laquelle se rattache l’Aragonais, ne relève pas de la stratégie d’un bon ambassadeur. Il agit avec une prudence similaire lorsqu’il mentionne d’autres personnes bien plus puissantes. Il assiste sans cesse aux caprices de la roue de la Fortune qui décide soudain de chutes sociales force handicapantes, voire mortelles. Il est un événement marquant où le Comte tint en fait le tout premier rôle lors d’une des représentations théâtrales du 15 mai 1621 données à Aranjuez pour fêter l’anniversaire du roi Philippe IV2. Son épouse, Isabelle de Bourbon, dont Villamediana était ouvertement amoureux, commanda une pièce à ce dernier. Elle connaissait ses ––––– 1. Pour Cotarelo il revint à Madrid « hacia últimos de 1617 ». 2. L’anniversaire était le 8 mai mais il avait fallu attendre le 15 pour le fêter. 146 Laurène SANCHEZ talents à la plume, les concours poétiques remportés avec brio et ses relations avec les plus grands écrivains dont Góngora qui fut son maître. Or, le Grand Courrier du royaume fut une fois encore celui par qui le scandale arrive. Son œuvre de facture chevaleresque et mythologique, La gloria de Niquea, fut mise en musique par Mateo Romero et utilisa une grande machinerie théâtrale qui requit l’intervention de l’ingénieur italien Fontana. Elle se joua en alternance avec une pièce de Lope de Vega El vellocino de oro. Les dames de la Cour et la reine elle-même tenaient les rôles dans les deux créations. Pendant la représentation de la seconde, on ne sait comment, une des torches incendia la scène. Le Comte se précipita pour sauver la reine et l’emporta dans ses bras loin des feux de la rampe mais la rapprochant des siens. Ce fut source à moult commentaires, les gazettes se déchaînèrent après que les courtisans avaient élaboré toutes sortes de théories sur l’origine mystérieuse de l’incendie. Villamediana fut accusé de l’avoir provoqué pour pouvoir se permettre la licence relatée. Une fois de plus, Gerónimo Dalmao, pourtant quelque peu courtisan mais avant tout fonctionnaire prudent, comme il se doit, ne tombe pas dans le rapport cancanier ; il demeure dans l’information la plus neutre possible qu’il transmet six jours plus tard (Ms 781, f° 69-70 du 21.5.22) : Las fiestas de Aranjuez se acabaron el martes tercer día de Pasquas y esse día estándose representando una comedia q la hazían las damas de la Reyna, de noche se encendieron unas tramoyas, y si no se acudiera con grande priessa à (sic) apagar el fuego, sucediera un gran daño. Fue Dios servido q no sirviesse en ninguna persona pero dizen q lo q se quemó valdría seis mil ducados. La verdadera relación de todo este sucesso procuraré haver y la embiaré a VS la semana q viene3. À aucun moment n’apparaît le nom qui est sur toutes les lèvres de Madrid et d’Espagne grâce aux dépêches spéciales et aux voyageurs. Saragosse est déjà au courant de l’événement par des Aragonais de retour ou autres personnes qui se faisaient un plaisir de tout rapporter en premier, comme Dalmao le déplore en d’autres occasions épistolaires. Il condamne ceux qui parlent trop vite et sont à l’affût de ––––– 3. « Les fêtes d’Aranjuez prirent fin mardi, le troisième jour de Pâques et ce jour-là, alors que les dames de la reine représentaient une comedia, en soirée, la machinerie prit feu et s’il l’on n’était accouru promptement pour l’éteindre, un grand malheur serait arrivé. Il plut à Dieu que personne ne souffrît de mal mais on dit que ce qui brûla atteindrait les six mille ducats. J’essaierai de me procurer la vraie relation de cet événement et de l’envoyer à Votre Seigneurie la semaine prochaine. » La traduction est de notre fait. Les représentations du Conde de Villamediana 147 nouvelles relevant de l’ancêtre de la presse à sensation. Il ne mentionne même pas la reine qui ce soir-là tenait le premier rôle sur scène4 et le partagea avec l’auteur de la pièce hors des tréteaux et bien malgré elle. Il se contente de mentionner le prix des dégâts et d’écrire qu’il attend de détenir « la verdadera relación » (la vraie relation) pour la transmettre. Cependant les courriers des semaines et des mois qui suivent ne font apparaître aucune nouvelle information sur ce sujet et le correspondant se contente d’écrire : « Los Reyes vinieron ya de Aranjuez con muy buena salud, Dios los guarde, y los Sres Infantes de la misma manera » (f° 73-74’ du 25.5.22)5. Villamediana est pourtant néanmoins bien présent et son attitude effrontée et provocatrice continue de creuser sa tombe malgré les mises en garde diverses. Même s’il pense à l’instar du don Juan théâtral « tan largo me lo fiáis » 6, il n’a plus que quatre mois à vivre. Cet événement sentimental hors de l’espace scénique proprement dit traversa les Pyrénées et le temps puisqu’en 1668, dans une de ses fables intitulée Le mari, la femme et le voleur, La Fontaine en rapporte encore la saveur : […] C‘est la peur : elle fait vaincre l’aversion, Et l’amour quelques fois ; quelque fois il la dompte ; J’en ai pour preuve cet amant Qui brûla sa maison pour embrasser sa Dame, L’emportant à travers la flamme. J’aime assez cet emportement ; Le conte m’en a plu infiniment : Il est bien d’une âme espagnole, Et plus grande encore que folle. La langue française permet le jeu de mots « conte / comte » qui donne la possibilité une fois de plus de faire référence sans nommer 7. Le fabuliste poursuit ainsi ce qui semble être devenu une tradition. Une missive datée du 30 octobre 1619 (Ms 350, f°420-422) cite cependant l’aristocrate de manière non équivoque. Certes, cette mention ne relève pas d’une attention spécifique à sa personne, le but est autre. Elle existe parce qu’elle renvoie à un service postal plus que défaillant car il est désormais atteint de paralysie totale pour cause de ––––– 4. La déesse de la Beauté. 5. « Le roi et la reine sont rentrés d’Aranjuez en excellente santé, Dieu les garde, et les Infants aussi ». 6. « Vous m’accordez un bien long délai ». 7. Nous mettons en italiques les extraits concernés. 148 Laurène SANCHEZ suspension d’activité décidée par le Conseil. Toutefois, Dalmao n’était pas obligé de nommer expressément, il pouvait se borner à citer la charge de Grand Courrier. Or, c’est par le nom qu’il commence la référence et « Correo mayor » vient ensuite, en apposition. Il est clair que Villamediana renvoyait tout de suite à un contenu référentiel fort connu et bien particulier : An sido tantas las diferencias y pleytos q el Conde de Villamediana, Correo Mayor8, à, puesto al q tenía la estafeta desse Reyno q para evitar los daños, dilaciones y otras cossas q cada semana teníamos acá en la ida y venida de los pliegos, q resolvió el Consejo no se despachasse ordinario ninguno ; no tan solamente alcanzó este mandado al Portugués sino al mismo Correo Mayor, de manera q oy estamos sin estafeta y creo q la resolución no será fixa, porque la comodidad q recibe su Magd con ella es muy grande y si se hubiessse de bolver a lo q en tiempos passados se hazía, tendría de gastos de correos más de diez mil ducados. Yo entiendo q se mirará lo q más conviene y se bolverá, a, assentar nueba estafeta, q no falta quien haze assiento en esto y con mayor ventaja q hasta aquí. Por lo q e dicho a VS no, e, escrito ni avissado de lo q ay de nuebo9. Cette référence directe s’explique parce que le fonctionnaire doit justifier un arrêt total de la transmission d’information à Saragosse qu’il refuse de se voir imputer. Nonobstant, ce passage permet de mettre en évidence un des aspects de la vie de Villamediana : ses rapports très conflictuels que d’autres documents présentent comme généralisés à bon nombre de personnes issues de diverses strates sociales. Ici, c’est au détriment de la communauté : « An sido tantas las diferencias y pleytos q el Conde de Villamediana, Correo Mayor , ––––– 8. Idem. 9. « Les différends et les procès que le Comte de Villamediana, Grand Courrier, a intenté contre celui qui détient l’estafette du Royaume ont été si nombreux, que pour éviter les préjudices que nous supportions ici pour l’allée et venue des plis, le Conseil a résolu de ne plus dépêcher de courrier ordinaire. Ce mandat concerne non seulement le Portugais mais également le Grand Courrier lui-même, en conséquence de quoi nous nous trouvons aujourd’hui sans estafette. Je crois que la décision ne sera pas définitive parce que le service est de prime importance pour Sa Majesté car s’il fallait revenir à la situation des temps passés, elle compterait en dépenses postales plus de dix mille ducats. Je pense que l’on va étudier la meilleure solution et que la nouvelle estafette va fonctionner à nouveau. Il ne manque pas de gens qui insistent pour que cela soit et de manière plus efficace que jamais. C’est pour cette raison que je n’ai tenu VS au courant de ce qu’il y a de nouveau ». Notre traduction. Les représentations du Conde de Villamediana 149 à, puesto al q tenía la estafeta desse Reyno q para evitar los daños, dilaciones y otras cossas q cada semana teníamos acá en la ida y venida de los pliegos, q resolvió el Consejo no se despachasse ordinario ninguno. » Exilé pour ses excès au jeu, le comte de Villamediana brille à Naples10 où il organise les fêtes offertes par le vice-roi le comte de Lemos en l’honneur des fiançailles des enfants princiers, le futur Philippe IV et Isabelle de Bourbon, fêtes dont le faste fait déborder de louanges le prophétique Cervantès dans son Voyage au Parnasse. Voici la traduction de la première des deux références au comte : Don Juan de Tassis sera de mon conte Le commencement, afin qu’il soit mémorable Et que mes mots atteignent mes intentions. Ce seigneur remarquable, Puisqu’une ville médiane le fait comte, Lui qui est en ses oeuvres roi admirable ; Qui son avoir jamais ne cache, Car toujours le répartit ou le répand, Qu’il sache ou bien non vers où ; Celui que pèse si juste la renommée Vu la grandeur de son nom illustre Qu’elle l’appelle prodigue et libéral. L’image est on ne peut plus positive. Il est nommé en début de composition et doublement avec le jeu de mots : « puisqu’une ville médiane (Villamediana) le fait comte » (v.5). Il présente toutes les caractéristiques du parfait noble de la Renaissance. Honneur, renommée (fama) – dont la littéraire –, puissance, générosité. La seconde et dernière mention retrouvée dans les manuscrits de Gerónimo Dalmao date de 1622. Elle narre la mort du Comte survenue le dimanche 21 août 1622 mais n’est rapportée que le samedi 27, jour où l’estafette quittait Madrid en fin de soirée. Il était inutile d’écrire plus tôt. Toute nouvelle urgente exigeait de dépêcher un courrier à cheval payé fort cher. Ici, le caractère sensationnel n’exigeait cependant pas de tels frais, d’autant que le représentant du royaume aragonais est fort économe (Ms 781, f° 121-122’) : El Domingo à las ocho de la tarde mataron al conde de Villamediana en la Calle Mayor yendo en su coche sin poder ––––– 10. Il séjourne dans le royaume de Naples, alors partie intégrante de la monarchie espagnole, de 1611 à 1615. 150 Laurène SANCHEZ confessar ; diéronle una herida por el pecho con una arma tan terrible q al punto ecspiró. No se à podido averiguar por donde le vino este daño. El matador se escapó sin q se pudiesse conocer ni tanpoco los q le acompañavan que dizen eran otros quatro ombres, muy valientes q luego como hizo el casso metieron mano a sus espadas para defender al matador. Su Magd dizen q a sentido mucho este casso tan atroz y aquella noche se dieron pregones por la Corte offreziendo seis mil ducados a quien descubriesse el que lo, à, hecho, y como no fuere el matador, la vida de un condenado, à, muerte11. Le seul élément connu et central de cet assassinat, c’est le Comte, obligatoirement nommé. L’aspect impersonnel est relayé sous la forme de mataron. Tout relève du bruit qui court, du « on dit ». Mais l’information relève de la gazette ou de son précurseur el aviso, sorte de dépêche, une variante journalistique de l’information que Gerónimo Dalmao transmet à ses supérieurs12. Il est remarquable qu’aucun adjectif, aucune expression ne traduise un sentiment quelconque de la part de l’expéditeur. Cette affaire sent le souffre et depuis six jours les commentaires sont légion. Il est prudent d’attendre avant de laisser transparaître quelque opinion que ce soit. Son attitude rejoint celle qu’il a montrée lors du mystérieux incendie du théâtre d’Aranjuez. De plus, les langues vont encore une fois bon train et les plus hautes instances du pouvoir sont visées comme commanditaires de l’assassinat. Le comte est à peine mort que l’on murmure dans les rues des refrains en sa faveur ou contre lui. Les uns accusent le roi, d’autres Olivarès ; d’autres encore croient discerner une vengeance passionnelle tramée dans les bas-fonds que le Comte se plaisait à ––––– 11. «Dimanche à huit heures du soir, on a assassiné le Comte de Villamediana, dans sa voiture, Calle Mayor, et il n’a pu recevoir l’extrême-onction. On lui a asséné un coup à la poitrine avec une arme si terrible qu’il est mort sur le coup. On n’a pas pu savoir l’origine du préjudice. Le tueur a pris la fuite sans que l’on n’ait pu découvrir son identité, pas plus que celle de ceux qui l’accompagnaient. On dit qu’ils étaient quatre, très fiers-à-bras, car au moment où l’homme accomplissait son crime, ils ont dégainé leur rapière pour protéger le tueur. On dit que SM a été très touchée par cette épouvantable affaire et cette nuit-là, les crieurs publics ont clamé dans tout Madrid que la somme de six mille ducats était offerte à celui qui donnerait le nom du coupable et dans le cas où ce ne serait pas l’assassin, on gracierait un condamné à mort ». Notre traduction. 12. Signalons que divers textes rapportent la mort du Comte de Villamediana dont un de Quevedo, un de ses grands ennemis, et un autre de don Gonzalo de Céspedes y Meneses, chroniqueur de Philippe I, qui refit un récit en 1630 de cet assassinat. Des libelles coururent dans tout Madrid, un codex de la Biblioteca Nacional rapporte de manière administrative cet événement. Les représentations du Conde de Villamediana 151 fréquenter lors de certaines virées nocturnes. Son ami Góngora relate les faits dans un récit qui est bien plus empreint de tragique ; il émane certes de la plume d’un écrivain, qui narre les faits, bien loin de son style obscur et labyrinthique habituels : Sucedió el domingo pasado a prima noche, el 21 de éste. Viniendo de Palacio en su coche con el señor don Luis de Haro, hijo mayor del Marqués de Carpio, y en la calle Mayor salió de los portales que están a la acera de San Ginés, un hombre que se arrimó al lado izquierdo, que llevaba el Conde, y con arma terrible de cuchilla, según la herida, le pasó el costado izquierdo al molledo del brazo derecho, dejando tal batería que aun en un toro diera horror. El Conde al punto, sin abrir el estribo, se echó por cima de él y puso mano a la espada, mas viendo que no podía gobernarla, dijo : « Esto es hecho ; confesión, señores ! ». Y calló13. Néanmoins, la correspondance de Dalmao concède parfois la parole à des personnages dans le but de donner plus de véracité à la chose racontée. Góngora rapporte les dernières paroles du comte et elles le réhabilitent car il demande à être confessé, ce qui remet en question sa réputation d’athée. Il est représenté avec son courage réputé, même dans cette situation extrême car il n’hésite pas à porter la main à sa rapière pour entreprendre un ultime duel. La description de la blessure entraîne une impression d’horreur et la condamnation du crime. Mais le poète ne s’arrête pas là. Dans un autre écrit, il signale avec courage l’impossible vérité quant à l’identité du commanditaire de ce contrat assassin : Mentidero de Madrid, Decidnos14, ¿ quién mató al Conde ? Ni se sabe, ni se esconde, Sin discurso descurrid : Dicen que le mató el Cid ––––– 13. « C’est arrivé dimanche dernier, le 21, en début de soirée. Alors qu’il [le Comte] était dans sa voiture, Calle Mayor, en compagnie de monsieur don Luis de Haro, fils aîné du Marquis de Carpio, un homme sortit des arcades du trottoir de San Ginés. Il s’approcha sur la gauche, là où se trouvait le Comte et avec une redoutable arme blanche étant donné la blessure, il l’atteignit depuis le côté gauche jusqu’au gras du bras droit en ouvrant une brèche telle, qu’elle effraierait même si un taureau en était la victime. Immédiatement et sans même ouvrir la portière, le Comte s’élança sur lui et porta la main à son épée. Mais voyant qu’il ne pouvait la manier, il dit : ‘C’en est fait. Vite, l’extrême-onction, messieurs !’. Et il se tut. ». Notre traduction. 14. Interlocuteur de la voix poématique, c’est-à-dire le public. Laurène SANCHEZ 152 Por ser el Conde Lozano : ¡ Disparate chabacano ! La verdad del caso ha sido Que el matador fue Bellido Y el impulso soberano15. Dans cette composition en octosyllabes, mètre adapté à la situation, l’interpellation se fait au cancanoir, lieu public sensé tout savoir, tout connaître de ce qui s’ourdit ; toutes les caté-gories sociales de la capitale le fréquentaient. Don Juan de Tarsis apparaît une fois encore sous la dénomination du comte. Il est l’objet incitant l’écriture qui traduit la douleur face à l’injustice de la mort brutale d’un ami. Il se situe néanmoins en dehors de la dualité poète / cancanoir ; il est la troisième personne grammaticale, l’absent dans tous les sens du terme. Dans ce texte, Góngora fait montre d’une plume autrement plus explicite, acérée et accusatrice que celle du correspondant aragonais. Il cite el Conde qui, par antonomase et étant donné le contexte, ne peut être que Villamediana. Par le style qui lui est propre et la maîtrise de la langue, le jeu de mots final offre plusieurs niveaux de lecture. L’un d’eux rend le roi responsable de la mort de son ami. Un second fait référence à l’homosexualité du comte. Puis Góngora lui dédie plusieurs poèmes, une octava et probablement trois décimas. Un des sonnets, composition noble par excellence a pour sujet la Fortune et ses avatars ; il l’adresse également à deux autres personnages dont le sort mue de manière dramatique. Il s’agit de Don Rodrigo Calderón, « favori » du favori de Philippe III, le duc de Lerma et du comte de Lemos célèbre mécène qui avait été vice-roi à Naples ; il avait protégé l’ « Academia de los Ociosos » créée par Juan Bautista Manso, marquis de Vila, dans laquelle Villamediana s’était illustré par son esprit et par sa plume : Al tronco descansaba de una encina Que invidia de los bosques fue lozana, Cuando segur legal una mañana Alto horror me dejó con su rüina. ––––– 15. « Cancanoir de Madrid, / dis-nous qui tua le comte ; / on ne le sait, on ne le cache, / sans infléchir qu’on réfléchisse ; /on dit que le tua le Cid / parce qu’il était le comte Lozano ; / fredaine d’âne ! / la vérité en l’affaire la voici : / le tueur fut Bellâtre / et l’impulsion souveraine (soit super-anale ) ». Traduction dans Poésies, choisies et traduites par R. Marteau, ELA/La Différence, Giromagny, 1989. Les représentations du Conde de Villamediana 153 Laurel que de sus ramas hizo dina Mi lira, ruda sí, mas castellana, Hierro luego fatal su pompa vana (Culpa tuya, Calíope), fulmina. En verdes hojas cano el de Minerva Árbol culto, del Sol yace abrasado, Aljófar, sus cenizas, de la yerba. Cuánta esperanza miente a un desdichado! A qué más desengaños me reserva, ¿ A qué escarmientos me vincula el hado16 ? Le sonnet est clairement de facture baroque, avec les thèmes de la désillusion (el engaño), de l’éphémère fortune, de la chute dans un style culterano17. Mais à aucun moment ne surgissent des noms, tous les éléments réfé-rentiels du réel sont métaphorisés, contrairement à ce que présenteront les compositions de Villamediana sélectionnées. Le contexte de l’époque permettait aux contemporains de reconnaître, de déchiffrer immédiatement l’implicite et l’élément poétisé. Ils peuvent toutefois, échapper totalement à un lecteur actuel s’il ne se penche pas sur les événements d’alors. Le texte est cependant riche et porteur parce qu’il se détache de l’anecdote pour prendre une dimension universelle, atemporelle, qualité des grandes compositions. Le Comte de Villamediana à la deuxième personne Avant de passer à la première personne annoncée, il est intéressant de montrer la représentation de la seconde ; son illustration sera brève à la mesure du corpus sur lequel elle s’appuie. Il s’agit d’une courte citation de Cervantès qui porte aux nues don Juan de Tarsis. Elle est issue de Voyage au Parnasse qu’il dédia au comte de Lemos malgré le refus de celui-ci de l’emmener à Naples. Les premiers vers de l’œuvre offrent une deuxième personne grammaticale : ––––– 16. De las muertes de don Rodrigo Calderón, del Conde de Villamediana y Conde de Lemos (1622). 17. « Culteranismo : estilo literario desarrollado en España desde finales del siglo XVI y a lo largo del XVII, caracterizado, entre otros rasgos, por la riqueza de metáforas, el uso de cultismos y la complejidad sintáctica, y considerado despectivamente estilo oscuro y afectado, en su época y posteriormente. » Dans le Dictionnaire de l’Académie Royale de la Langue Espagnole. Laurène SANCHEZ 154 Tú, el de Villamediana, el más famoso, de cuantos entre griegos y latinos alcanzara el lauro venturoso18. Cette interpellation, même si elle est convention littéraire et systématisée par le père du Quichotte dans ses prologues au lecteur, marque à deux reprises et de manière consécutive le comte de Villamediana : « Tú » et son titre amputé de « Conde » mais enrichi de « el de » qui lui confère une identité reconnue, en passe de devenir ou déjà devenue légende, comme les Grecs et les Latins qui sont cités, accompagnés du laurier symbolique. Celui-ci renvoie aux honneurs et à la gloire guerrière mais aussi littéraire, perfection que tout noble digne de ce titre se doit de présenter, surtout depuis Garcilaso de la Vega. Or, don Juan de Tarsis s’était consacré aux deux maniements, celui de l’épée19, et celui de la plume. Cette reconnaissance cervantine indique aussi que le comte jouissait d’une notoriété indéniable de tout premier rang que les siècles ont un peu effacée, altérée. Certes, il n’est pas impensable que la démarche du grand inventeur du roman moderne ne soit empreinte d’une once d’intérêt dans le but de gagner la faveur de Lemos, mécène qui l’avait écarté du cercle de ses protégés. Góngora, dans son sonnet intitulé Al Conde de Villamediana, de su Faetón20 adresse son éloge directement à don Juan pour sa fable mytho-logique de 228 octavas ; l’adjectif possessif « tu » du treizième vers montre la définition qui relie l’aristocrate à une plume reconnue : ¿ Quién, pues, verde corteza, blanca pluma les dio ? ¿ Quién de Faetón el ardimiento, a cuantos dora el Sol, a cuantos baña ––––– 18. Toi, celui de Villamediana, le plus célèbre / parmi tous les Grecs et les Latins / que le laurier de la Fortune a couronnés/touchés. 19. Et ce, comme mestre de camp lors des campagnes militaires de Naples et de Lombardie (qui prennent fin avec la paix d’Asti en 1615), fait positif dans la société du XVIIe siècle ou par son engagement dans des duels, fait réprouvé, condamné et poursuivi par la justice. 20. Rappelons succinctement la légende : Fils d’Hélios ( Soleil) et de l’océanide Clyméné, il obtient de son père la permission de conduire son char pendant une journée. Mais effrayé par la vue des animaux-signes du Zodiaque, il perd le commandement des guides des chevaux célestes et descend trop bas, brûlant les montagnes, ou monte trop haut risquant de se heurter aux constellations. Zeus, craignant la destruction de l’Univers, le foudroie. Les représentations du Conde de Villamediana 155 términos del Océano la espuma dulce fía ? Tu métrico instrumento, en Mercurio del Júpiter de España21. Le Mercure latin est en fait le Hermès grec aux pieds ailés (force de l’élévation et aptitude aux déplacements rapides), messager de Zeus auprès des dieux des Enfers. La référence renvoie à la charge de Grand courrier du Royaume et donc du monarque, métaphorisé dans « Júpiter de España ». Mais Hermès, patron des orateurs, invente aussi la lyre et la flûte qu’Apollon récupère. Pour Góngora, Villamediana appartenait au panthéon des Grands, des dieux poètes couronnés de lauriers. Cependant, tous les écrits n’étaient pas dithyrambiques, loin de là. Jorge de Tovar, secrétaire du Real Patronato, appartenant au Conseil royal, et plus tard secrétaire d’Etat, composa une décima à Villamediana, qui est une mise en garde, une sorte de prophétie. En effet, le Comte n’était pas tendre avec cette famille qu’il attaquait tant au niveau de l’infidélité féminine que de l’ascendance juive. Ici, Tovar s’adresse directement à son adversaire, utilisant le vos, pronom en vigueur entre gens de classe sociale élevée ; il se différencie du tutoiement, réservé au peuple de manière générale ou parfois aux épouses. Señor Correo Mayor, Delito es tan conocido Gozar lo no merecido Como hurtar favor. General será el temor Del León, que os certifico22, Que si a imitación de Enrico Se llama a engaño en el dar, Habéis, Conde, de quedar Más prudente y menos rico23. ––––– 21. Nous ne citons et ne traduisons que les deux tercets du sonnet : « Qui donc verte écorce et blanche plume / leur donna? Qui assure l’embrasement / la hardiesse de Phaéton / à tous ceux que le soleil dore, / à tous ceux que la douce écume baigne / au bord de l’Océan ? Ton mètre instrumental / en Mercure du Jupiter espagnol. » 22. Ici, la première personne se rapporte à la voix poématique, interlocutrice de Villamediana. 23. « Monsieur le Grand Courrier, / On reconnaît tout autant comme délit / Jouir de ce qui n’est point mérité / Et une faveur voler. / La crainte du Lion sera totale / Car je vous certifie, / Que si tout comme Henri / On appelle donner tromperie, / Vous aurez, Comte, à demeurer / Plus prudent et moins opulent. » Laurène SANCHEZ 156 L’interpellation est polie mais l’inimitié certaine et marque ce règlement de compte. Pourtant, point d’insulte mais un niveau de langue correct ; l’auteur sait jouer avec les mots (certifico renvoie à sa charge de Grand Courrier, par exemple) et avec les idées, même si la plume n’est pas aussi déliée que celle de l’adversaire qui bientôt va répondre, comme il sera vu plus bas. Après ce rapide aperçu sur l’expression de la deuxième personne du singulier et sa caractérisation, le dernier volet va éclairer de façon directe, de l’intérieur extériorisé par et dans l’écriture, Villamediana. Il va prendre la parole et se mettre en représentation, dans la dimension polysémique de l’expression. Le Comte de Villamediana à la première personne « Todo lo posible es poco »24. Cette devise du Comte révèle bien son caractère, son ambition et les débordements qui précipitèrent sa fin tragique. Avec le temps, surtout celui de l’exil, ses écrits vont pondérer cette pensée lors des moments de désillusion. Néanmoins, dès qu’il retrouve l’ambiance de la Cour, son naturel le rejoint bien vite et Villamediana retombe dans sa périlleuse témérité. Sa langue et sa plume cumulent les inimitiés des puissants dénoncés pour s’enrichir sans vergogne aux frais de la monarchie. Les sonnets choisis relèvent de trois tendances : amoureuse, désillusion (desengaño) et compositions satiriques. Le « je » s’exprime explicitement dans les deux premiers types d’écrits alors qu’il est implicite et révélé dans le dernier. La première composition relève du registre amoureux. Elle appartient à la série parfois attribuée à la reine Isabelle de Bourbon, comme le propose R. Marteau25, auteur des traductions suivantes proposées. Villamediana avait eu la témérité de porter la devise « son mis amores reales », jeu de mots entre « réels » et « royaux » qui donne « mes amours sont réelles / royales ». L’ensemble de son attitude a contribué à forger la légende de ses amours non réciproques avec l’épouse du monarque. L’affectif marque de manière obsessionnelle ses manifestations linguistiques : Buscando siempre lo que nunca hallo, no me puedo sufrir a mí conmigo, ––––– 24. « Tout ce qui est de l’ordre du pos-sible est peu de chose » ou « ne suffit point». 25. Dans Poésies, choisies et traduites par R. Marteau, ELA/La Différence, Giromagny, 1989. Les représentations du Conde de Villamediana 157 y encubierta la culpa y no el castigo me tiene amor, de quien nací vasallo. Yo sufro y no me atrevo a declarallo, con ver tan imposible el bien que sigo, que cuando me condena lo que digo, no me puedo valer con lo que callo. Sigo como dichoso, no lo siendo ; quisiera dar razones y estoy mudo, y de puro rendido me defiendo. Del tiempo fío lo que en todo dudo, y en fin he de mostrar claro muriendo que en mí el amor más que el agravio pudo26. La facture de ce sonnet est de toute évidence cultista : jeu de mots, dérivations, oppositions, contradictions, paradoxes relèvent d’une écriture traditionnelle du désarroi amoureux devenue quasi convention pure. Toutefois, ni le lexique ni la construction syntaxique ne s’inscrivent ici dans la ligne expressive de Góngora caractérisée par une tonalité culterana et hermétique. Lope dans son Arte Nuevo de hacer comedias prescrit le sonnet pour les moments d’introspection. L’exemple choisi en est une preuve convaincante : pronoms personnels sujets, pronoms réfléchis, pronoms compléments, verbes, tout renvoie à l’amoureux transi et plaintif. Dans tout le poème, vingt-six occurrences de l’expression directe de la première personne se partagent l’espace de la composition, chiffre particulièrement élevé par rapport à d’autres écrits du Comte. Trois gérondifs, sont liés au « je », et portent ainsi le chiffre à vingt-neuf. Cette pléthore d’occurrences de la première personne grammaticale (quatre expressions aux vers 2 et 5) révèle une focalisation sur le dépit et la souffrance amoureux ; l’égo est en fait l’unique sujet de la voix poématique. Chez d’autres auteurs ––––– 26. Dans ces vers, ce qui est en caractères italiques relève de l’expression de la première personne du singulier et les gérondifs renvoient à elle de manière indirecte. Les mots en caractères gras représentent l’altérité, ici l’amour à la troisième personne. Voici la traduction : « Toujours cherchant ce que jamais je ne trouve, / je ne peux moi-même me souffrir, / et me dérobe la faute et non au châtiment / l’amour, dont je suis de naisssance le vassal. // Je souffre et n’ose le déclarer, / tant je vois comme impossible le bien que je poursuis, / car me condamnant ce que je dis, / je ne puis me prévaloir de ce que je tais. // Je feins d’être heureux, ne l’étant pas ; / je voudrais des raisons donner et muet me tiens, / et d’être à bout je me défends. // Je confie au temps ce dont en tout je doute, / et veux clairement montrer qu’à la fin mourant / put davantage en moi l’amour que le dommage. » Laurène SANCHEZ 158 et dans des sonnets abordant la même thématique de la frustration affective, il est plus courant que l’amour personnifié devenu interlocuteur du « je » ou l’objet même de l’amour pour lequel le cœur bat occupent bien davantage l’espace de l’écriture. Deux autres poèmes du comte montrent plus de réserve dans la surenchère exhibée. Dans ce deuxième sonnet, le « je » direct s’efface dans les tercets, renouant davantage avec la conception même du sonnet quant aux règles de la construction de la pensée : Callar quiero y sufrir, pues la osadía de haber puesto tan alto el pensamiento basta por galardón del sufrimiento sin descubrir más loca fantasía. Sufrir quiero y callar ; mas si algún día los ojos descubrieren lo que siento, no castiguéis en mí su atrevimiento, que lo que mueve Amor no es culpa mía. Ni aun ellos por mirar el propio objeto De su felicidad merecen pena, que basta la que sufren con su ausencia. Mas ¿ cómo podrá amor estar secreto dentro de un alma de esperanza ajena, si la piedad no esfuerza su paciencia27 ? L’objet de l’amour apparaît enfin et une seule fois au vers 7 avec no castiguéis, demande à l’impératif négatif, relié à un verbe de souffrance. L’amant subirait le pouvoir de l’aimée. L’amour apparaît à deux reprises avec et sans majuscules selon qu’il est actif ou passif. La composition suivante concède une bien plus grande place à l’aimée, comme le montrent les termes en gras qui s’opposent au « je » mis en évidence en caractères italiques : ––––– 27. « Me taire je veux et souffrir, car la hardiesse / D’avoir si haut mis la pensée / Suffit comme guerdon de la souffrance/ Sans découvrir plus folle fantaisie. // Souffrir veux et me taire ; mais qu’un jour / Les yeux découvrent ce que je sens, / Ne châtiez pas en moi leur audace : / Ce que meut Amour ne peut m’être imputé. // Ni de leur regard sur l’objet même / De leur félicité ils ne méritent punition, / Car celle suffit qu’ils souffrent de son absence. // Or, comment amour pourra rester secret / Dans une âme à l’espérance étrangère, / Si la piété n’éprouve sa patience ? » Les représentations du Conde de Villamediana 159 Aquí donde fortuna me destierra con vos estoy, señora, aunque sin veros, por milagro este bien me hizo quereros, que en lo demás ningún pesar me yerra. Sin que pueda morir, me falta tierra ; moriré en la memoria de perderos, seguro con saber que ha de teneros en sí mi alma donde Amor os cierra. A la vista inmortal del pensamiento no se verá jamás que ausencia impida lo que impide a mis ojos hoy mi suerte. Ni yo, desde tan largo apartamiento, tengo más que ofreceros que una vida, que, de no veros, es eterna muerte28. Ce poème allie la peine de l’amour inaccessible à la douleur de l’exil. Neuf mentions sont faites de la femme aimée (dont l’interpellation « Madame », señora29, au vers 2) contre douze de la voix de l’amoureux en peine. L’équilibre est à peu près conservé en comparaison avec les autres sonnets abordés. Ce quatrième exemple met en évidence une attitude de plus en plus dégagée de l’expérience du « moi » pour atteindre dans les deux tercets une dimension moins anecdotique, plus universelle : Es tan glorioso y alto el pensamiento Que me mantiene en vida y causa muerte, Que no sé estilo o medio con que acierte A declarar el bien y el mal que siento. ––––– 28. « Ici même où fortune m’exile / je suis avec vous, souveraine, sans vous voir, / et par miracle ce bien me fit vous chérir / qui ne m’épargne ailleurs aucune peine. // Sans que je puisse mourir, la terre me faut ; / je mourrai dans la mémoire en vous perdant, / rassuré de savoir qu’en elle vous recevra / mon âme où l’Amour vous enferme. // À la vue immortelle de la pensée / jamais on ne verra que l’absence empêche / ce qui ce jour empêche à mes yeux ma fortune. // Et moi, après si longue séparation, / je n’ai rien que ma vie à vous offrir, / laquelle, ne vous voyant, est mort éternelle. » 29. Nous préférons traduire par « Madame » terme respectueux envers une dame, surtout de la noblesse. Le choix de R. Marteau établit définitivement que le sonnet est dédié à Isabelle de Bourbon. Nous serons plus prudente, même si la tentation est présente, vu le contexte général. Laurène SANCHEZ 160 Dilo tú, Amor, que sabes mi tormento, y traza un nuevo modo que concierte estos varios extremos de mi suerte que alivian con su causa el sentimiento. En cuya pena, si glorioso efeto, el sacrificio de la fe más pura, que está ardiendo en las aras del respeto, ose el amor, si teme la ventura : que entre misterios de un dolor secreto amar es fuerza y esperar locura30. L’Amour est ici personnifié et interpellé selon un procédé traditionnel ; cinq fois en deux vers (dont quatre au vers 5 et une au vers 6) en font un interlocuteur de la voix poématique. Le deuxième tercet (v. 12) reprend le terme sans majuscule et à la troisième personne ce qui contribue à se dégager de l’expérience personnelle pure pour atteindre une dimension plus universelle. La poésie amoureuse de Villamediana présente un nombre important de compositions fort intéressantes dont l’étude n’entre pas dans l’espace limité de cet article ; elle mérite une attention particulière pour relever ses diverses influences et expressions en fonction du moment de création. Elle est toutefois bien souvent liée à l’exil dont l’auteur fit plusieurs fois l’expérience ; aux déceptions du monde ambitieux de la Cour s’ajoutait l’éloignement de l’être aimé. Dans la veine de la désillusion face au monde du pouvoir, des vanités baroques, deux sonnets ont été retenus . Dans le poème suivant, l’acte d’allocution a pour destinataire, et de manière métaphorique, le silence apostrophé, univers opposé à celui de l’auteur dont on assassine la voix : Silencio, en tu sepulcro deposito, Ronca voz, pluma ciega y triste mano, ––––– 30. « Tant est glorieuse et haute la pensée / qui me maintient en vie et cause ma mort, / que je ne vois manière ou moyen de réussir / à déclarer le bien et le mal que je ressens. // Amour, dis-le, toi qui sais mon tourment, / et dicte un mode nouveau qui accorde / ces extrêmes divers de mon sort / qui, par leur cause, allègent le sentiment. // En telle peine, s’il est de glorieux effet, /le sacrifice de la foi la plus pure / qui se consume sur les autels du respect, // qu’il ose, l’amour, même s’il craint le hasard : / parmi les mystères d’une douleur secrète / aimer est force et folie l’espoir. » Les représentations du Conde de Villamediana 161 Para que mi dolor no cante en vano Al viento dado ya, en la arena escrito. Tumba y muerte de olvido solicito, Aunque de avisos más que de años cano, Donde hoy más que a la razón me allano, Y al tiempo le daré cuanto me quito. Limitaré deseos y esperanzas, Y en el orbe de un claro desengaño Márgenes pondré breves a mi vida, Para que no me venzan asechanzas De quien intenta procurar mi daño Y ocasionó tan próvida huída31. Cette poésie inspirée de la souffrance de l’exil, du vécu est pleine d’amertume, de désillusion. Elle fait référence à des ennemis responsables de la déchéance de l’ambitieux Comte. Les douze expressions du « je » expriment que l’objet de la composition est la voix poématique elle-même et son rapport au monde. Le lexique relève de la bataille perdue, de la frustration, de la limitation des horizons vitaux. Le poème suivant est tout aussi explicite : Vuelvo a probar segunda vez, Fortuna, Efectos de tus iras, agraviados Con tristes experiencias, observados Los varios movimientos de tu luna. Despediré esperanzas una a una, Si ellas mal, sus avisos bien logrados, Cuando entre engaños ya desengañados, Ambicioso anhelar no me importuna. Son, para mí, razón las sinrazones; En mudo sufrimiento a veces leo Noticias que di al tiempo de mi daño. ––––– 31. Notre traduction : « Silence, en ton tombeau je dépose, / Voix éraillée, aveugle plume et triste main, / Pour que ma douleur déjà sur le sable écrite / Au vent ne chante pas en vain. // Je sollicite tombe et mort d’oubli, / Plus chenu de mises en garde que de grand âge,/ Où désormais plus qu’à la raison je me plie, / Et donnerai aux temps tout ce dont je me défais. // Je limiterai les désirs et les espoirs, / Et dans ce monde d’une évidente désillusion / Mon existence jalonnerai de courtes bornes, // Pour que ne soient victorieux les pièges / De celui qui tente de me nuire / Et à une fuite bien avisée m’obligea. » Laurène SANCHEZ 162 Callaré quejas, beberé pasiones, Para que vez segunda mi deseo No pise en el umbral del desengaño32. Le « moi » continue d’être très présent (dix occurrences) surtout à travers des oxytons ou monosyllabes qui donnent davantage de force à cette présence de la voix poématique ; son énergie prouve qu’elle n’est pas aussi affaiblie qu’elle le clame. L’interlocuteur, la Fortune et ses aléas, apparaît trois fois. Mais à travers le tú, c’est encore le « je » qui est sous-entendu. Ce dernier sonnet clôt cette sélection sur l’exil : Hágame el tiempo cuanto mal quisiere Y nunca de mis daños se contente, Que no me he de perder inútilmente Por lo que sin propósito dijere. Gobierne bien o mal el que tuviere A su cargo las leyes de la gente, Que a mí, y a mi censor impretendiente, No hay mudanza de estado que me altere. Lleve mi confianza por el suelo Sus alas, pues parece que no acierta El que se atreve a peligroso vuelo ; Quede mi queja y esperanza muerta, Pues vemos que la envidia más que el celo A la murmuración abrió la puerta33. ––––– 32. Notre traduction : « Pour la seconde fois, je goûte à nouveau, Fortune, / Les effets de ton courroux, aggravés / De tristes expériences, dues à l’observance / Des mouvements changeants de ta lune. // Je congédierai un à un mes espoirs / Déçus, mais les mises en garde comblées, / Alors que face aux duperies désormais assumées / Mes ambitieuses aspirations ne m’importunent plus. // Les aberrations sont pour moi raison ; / Dans une souffrance silencieuse je lis parfois / Des nouvelles que je donnai du temps de mon infortune. // Je tairai les plaintes, boirai les passions, / Pour qu’une seconde fois mon désir / Ne se trouve aux portes de la désillusion. » 33. « Que le temps me fasse tout le mal qu’il veuille / Et ne se contente jamais de mes maux, / Car je ne vais pas me perdre inutilement/ Pour ce que je pourrais dire malencontreusement. // Qu’il gouverne bien ou mal,/ Celui qui aurait à veiller sur les lois publiques, / Car moi, et mon censeur non candidat à une quelconque charge, / Il n’est guère de changement de condition qui me touche. // Que ma confiance traîne par terre / Ses ailes car il semble que celui / Qui ose un vol Les représentations du Conde de Villamediana 163 Ce poème révèle une colère encore très présente et non assumée en dépit de certaines affirmations. La première personne du pluriel est à remarquer. Elle inclut la complicité du lecteur et s’intègre parfaitement dans l’environnement de la médisance publique que Villamediana connaissait fort bien et à laquelle il participait, de manière justifiée ou non. Le dernier volet de ce travail sur les sonnets du comte va précisément aborder trois compositions satiriques. Le Comte n’hésitait pas à dénoncer les femmes infidèles et à ridiculiser les malheureux maris dans des textes qui circulaient dans toute la capitale après être passés par les cancanoirs comme celui de San Felipe. Il ne faut pas omettre la portée de tels écrits dans le premier tiers du XVIIe siècle où l’honneur est une des valeurs fondamentales de la société, comme le rappelle le théâtre de l’époque. Lope disait que les affaires d’honneur assuraient l’adhésion immédiate du public. Le déshonneur ne pouvait s’essuyer que dans le sang, dans des duels, du moins en théorie. Ici, le destinataire et l’attaque sont doubles puisqu’il rend public l’outrage d’un mari et fait référence à l’ascendance juive de l’amant, don Diego de Tovar, convers peu sincère d’après Villamediana et un des fils de Jorge de Tovar dont il a été précédemment question : « A doña Justa Sánchez y don Diego de Tovar » En nombre de Justa, en obras de pecadora, Santa del calendario de Cupido, Cuyos milagros tienen su marido Canonizado de paciencia ahora. Culpas absuelve, penitencias llora Del que es primo y al fin quizá marido, 34 Libre manteo de vuelta guarnecido Que uno le paga y otro le desflora. –––––––––– dangereux échoue. // Que ma plainte et mon espoir restent lettre/ morte car nous voyons bien que l’envie plus / que le zèle a ouvert la porte à la médisance. » Dans la traduction du dernier vers, il est impossible de rendre le jeu de mots de manière satisfaisante ; celo signifie à la fois « zèle », « célérité » et « jalousie ». 34. « Cierta ropa interior, de bayeta o paño, que traen las mujeres de la cintura abajo, ajustada y solapada por delante » (Diccionario de Autoridades). «La jupe de dessus » ( B. Sesé et M. Zuili, Vocabulaire de la langue espagnole classique, Nathan Université, Paris, 1997. Laurène SANCHEZ 164 ¿ Qué dirá la corona del vïudo, Viendo que ha renovado Don Jumento El cuerno en este sábado y no santo35? Dirá que de mal término es cornudo Y que olvida el honor del regimiento, Y nosotros diremos otro tanto36. Le « je » est implicite dans le contenu satirique même mais devient explicite au dernier vers avec la double expression de la première personne du pluriel (pronom personnel sujet non obligatoire en espagnol et verbe). Une fois encore, elle inclut la voix poétique mais aussi un auditoire qu’elle veut son allié car l’honneur est affaire publique. Certes, il pourrait s’agir d’un procédé rhétorique pour minimiser le « moi ». Cependant, lorsque Villamediana veut être présent dans des compositions très dures, il n’hésite pas l’ombre d’un instant à se mettre en scène. Ici, l’attaque à la vertu de la dame est très forte. Il semble oublier qu’il fut jadis le premier à profiter de ses faveurs comme d’autres poèmes le mentionnent parfois. Il rend publique la vie privée non par souci de morale car son existence était fort agitée mais pour régler des comptes. Les victimes de son impitoyable plume corrosive bénéficient souvent d’une charge à la Cour et participent de la spoliation des caisses de l’État. Il ne faut pas omettre qu’il garde une amertume certaine de s’être vu écarté des plus hautes fonctions de l’Etat ; il a en effet caressé l’espoir d’occuper celle de favori qu’Olivarès a vite occupée sans l’ombre d’un doute. Pour continuer d’illustrer les différends qui l’opposent au clan des Tovar, voici la réponse que le Comte adresse à son allocutaire don Jorge dont la décima a été abordée dans le volet consacré à la deuxième personne. Villamediana dans la Décima à Don Jorge de Tovar ne se laisse pas impressionner par l’avertissement et répond par le même canal de communication qui rend la joute publique : ––––– 35. Allusion à l’origine juive des Tovar. 36. « De nom Justa, en oeuvres pécheresse, / Sainte du calendrier de Cupidon, / Dont les miracles ont maintenant / Canonisé l’époux pour sa patience. // Elle absout les fautes et pleure les pénitences / De celui qui est cousin et enfin peut-être mari, / légère de la jupe ornée du dessus / Que l’un paie et l’autre déflore. // Que dira du veuf la Couronne / Voyant que Monsieur Baudet a renouvelé / Ses cornes ce samedi pas saint pour un sou ? // Elle dira qu’il porte les cornes pour mauvaise conduite / Et qu’il oublie l’honneur de l’Administration,/ Et nous, tout autant en dirons ». Les représentations du Conde de Villamediana 165 « Décima à Don Jorge de Tovar » Respondo por indiviso, Si os he de decir la verdad, Que estimo la voluntad, Y cágome en el aviso ; Que por ser un circunciso No me pienso detener. Mejor hiciera en creer Que ya ha venido el Mesías, Y que de mis profecías La suya presto ha de ver37. Le Comte use d’un ton moins retenu que son adversaire et n’hésite pas à tomber dans la scatologie ou dans le rappel de l’ascendance juive, synonyme de tache dans l’idéologie des statuts de pureté de sang. Il reprend l’idée de prophétie exprimée par Tovar relative à une future chute (qui s’avéra être exacte) et l’inverse pour l’intégrer à son discours. L’équilibre dans le nombre d’occurrences de « je » et de « vous » est quasi total. Il s’agit d’un duel qui fait manier non pas l’épée mais la plume. La composition suivante, adressée au même Tovar, propose un discours aux idées similaires mais dans un registre lexical moins grossier. De plus, le yo n’apparaît que deux fois et l’interlocuteur quatre : Señor Jorge de Tovar, Si tomáis mi parecer, Más es tiempo de creer que no de poetizar. Pensaréis que es fabular El cantaros la Pasión ; Al contumaz faraón, Infiel eterno, precito, ––––– 37. « Je réponds par indivision, / Pour être sincère avec vous, / Que votre bienveillance apprécie / Et sur l’avertissement chie. / Puisque vous êtes un circoncis / Je ne pense aucunement m’arrêter. / Vous feriez mieux de croire / Qu’est déjà venu le Messie / Et que de mes prophéties / La vôtre bientôt allez voir ». Laurène SANCHEZ 166 Hoy viste de San-benito38 Santa, digo, Inquisición39. Le message utilise d’autres procédés pour être porteur, tel le passage à une troisième personne qui sert d’exemple, de métaphore. Une multitude de compositions écrites en mètre varié auraient pu illustrer cette partie où la première personne s’exprime et se révèle. Le choix permet toutefois de mettre en évidence certaines caractéristiques : si parfois il y a profusion d’occurrences verbales et d’adjectifs possessifs, d’autres, la personne grammaticale s’efface du premier plan. Elle demeure toutefois présente par d’autres techniques : soit à travers la deuxième personne qui rend la sienne implicite, soit par des procédés impersonnels qui la révèlent cependant, telle l’expérience (parfois dégagée de la simple anecdote), l’idéologie ou l’état psychologique révélés par les options lexicales. Pour clore ces considérations sur les manifestations grammaticales du comte Villamediana dans le paradigme des personnes du singulier, il apparaît que les diverses modalités étudiées présentent toutes un aspect fortement marqué par l’évaluation humaine de don Juan de Tarsis. Sa personnalité est loin de laisser indifférent ceux qui le connaissent. La troisième personne n’échappe évidemment pas au sceau du jugement. Le fait de ne pas le nommer (cas quasi systématique chez G. Dalmao) ne correspond pas à une indifférence mais au contraire à un processus de désir d’éloignement. Le Grand Courrier pour sa part, montre que ses écrits sont rarement neutres car ils s’expriment la majorité du temps dans une tonalité passionnelle, dans les registres extrêmes d’une totale adhésion ou du rejet tout entier. Bien que le fait soit rare, Villamediana inclut parfois le lecteur et passe alors au « nous » ; l’occurrence apparaît dans le cas d’une préoccupation publique. Quant à l’expression des diverses souffrances, ses qualités d’écrivain confirmé lui permettent, à quelques exceptions près, de passer du particulier à l’universel. Si cet Icare et la qualité de sa plume marquèrent profondément le premier tiers du XVIIe siècle, les époques suivantes ne cessèrent de ––––– 38. Jeu de mots : San Benito (saint Benoît) et sanbenito ou sambenito : petit manteau ou scapulaire porté par les « réconciliés » après jugement par le tribunal de l’Inquisition. ; écriteau dans les églises portant le nom et la punition des « pénitenciés ». 39. « Monsieur Jorge de Tovar, / Si vous écoutez mon avis, / Il est davantage temps de croire / Que d’écrire de la poésie. / Vous penserez que c’est affabuler / Que la Passion vous conter ; / L’impénitent pharaon, / Eternel incroyant, damné, / Est aujourd’hui du Sambenito habillé / Par la Sainte, dis-je, Inquisition ». Les représentations du Conde de Villamediana 167 s’intéresser à lui car son souvenir perdurait à travers ses écrits40. Le XIXe siècle, néanmoins, redécouvrit don Juan de Tarsis y Peralta de manière décisive et lui redonna un rôle de premier plan. En accord avec ce courant épris de romantisme, des érudits se penchèrent sur son oeuvre, des artistes se saisirent de sa brutale finitude et la peinture immortalisa sa légende. Cette dernière avait donné naissance à l’un des plus grands mythes occidentaux qui continue de fasciner et d’inspirer les diverses expressions artistiques : le mythe de don Juan. Docteur et Professeur Agrégé, Université de Paris III ––––– 40. La première impression des œuvres du comte de Villamédiana eut lieu à Saragosse en 1629.