Directeur : Henri Dieuzeide Rédacteur en chef : Zaghloul M o r s y Assistant au rédacteur en chef : Alexandra Draxler Les articles paraissant dans Perspectives expriment l'opinion de leurs auteurs et non pas nécessairement celle de l'Unesco ou de la rédaction. Ils peuvent être reproduits, sous réserve de l'autorisation préalable d u rédacteur en chef. Prière d'adresser toute correspondance au rédacteur en chef, Unesco, 7, place de Fontenoy, 75700 Paris. L a Rédaction serait heureuse d'examiner pour publication, contributions ou correspondances contenant des avis motivés — favorables o u n o n — sur les articles de Perspectives. 1975 Année internationale de la femme Perspectives est également publiée en anglais (Prospects, quarterly review of education), en espagnol {.Perspectivas, revista trimestral de educación), et en arabe (Mustaqbal al-Tarbiya). Publié par l'Organisation des Nations Unies pour l'éducation, la science et la culture, 7, place de Fontenoy, 75700 Paris. Imprimerie des Presses Universitaires de France Vendôme. © Unesco 1975 Abonnement annuel : 32 F Le numéro : 9,50 F U n e formule d'abonnement et la liste des agents généraux pour chaque pays se trouvent à la fin de ce numéro. revue trimestrielle d e l'éducation Vol. V Sommaire n° i 1975 L'éducation pour la libération en Afrique Mwalimu Julius K. Nyerere Vers une coopération internationale fondée sur de nouveaux rapports Aklilu Habte Auto-éducation et cultures novatrices Paul-Henry Chombart de Lauwe 22 Positions / Controverses Les tests à l'école : aide ou obstacle ? Jerrold R. Zacharias 37 3 Pièces pour un dossier : L'éducation dans les pays les moins développés Présentation Quelle éducation pour quel développement ? Samir Amin Éducation et travail : éléments pour une stratégie Manzoor Ahmed Retour aux langues et aux cultures nationales Abdou Moumouni Réflexions sur des technologies d'éducation adaptées au développement Henri Dieuzeide Les problèmes posés par l'accroissement de l'aide à l'éducation Francis J. Method L e défi laotien : une éducation non « polluante » Kamphao Phonekeo L a refonte du système d'éducation au Népal Dibya Deo Bhatt et Mohammad Mohsin U n e université au service de trois nations Cyril A. Rogers 103 108 Tendances et cas "3 50 52 57 68 76 82 94 Recherche de nouvelles méthodes d'enseignement en Tchécoslovaquie Bogumir Kujal L e baccalauréat international Gérard Renaud Télévision éducative et réforme de l'enseignement en El Salvador John K. Mayo, Robert C. Hornik et Emile G. McAnany Notes et comptes rendus L e cycle de base de l'éducation. L e programme asiatique de copublication. Rôle de l'enseignement supérieur dans l'éducation permanente : u n colloque. Revue de publications. Quelques publications récentes de l'Unesco. Nouvelles d'organisations et de fondations internationales. Livres reçus. 135 A u printemps 1973, nous avions le plaisir d'annoncer à nos lecteurs la parution en coédition avec Santillana (Madrid) de la version de Perspectives en langue espagnole. Dans le droit fil de l'encouragement par l'Unesco de nouvelles éditions de la revue dans des langues de grande diffusion, la Rédaction est heureuse de porter à la connaissance de ses lecteurs qu'une version en langue arabe sous le titre : Mustaqbal al-Tarbiya, similaire en tous points à celles qu'ils lisaient en anglais, espagnol ou français, paraît désormais au Caire, par les soins de l'Unesco Publications Centre, organisme national relevant de la Commission nationale égyptienne pour l'Unesco. U n numéro hors série regroupera une sélection des articles parus dans le volume IV, 1974 ; les numéros ultérieurs, à partir d u volume V , n° i, printemps 1975, paraîtront régulièrement peu après les éditions anglaise et française. Les lecteurs que cette version intéresse devront adresser leur demande de souscription au : Directeur de l'Unesco Publications Centre, 1, Talaat Harb Street, Tahrir Square, Cairo, Egypte. Mwalimu Julius K . Nyerere L'éducation pour la libération en Afrique1 M w a l i m u Julius K . Nyerere. Président de la République-Unie de Tanzanie. Auteur notamment de Education for self reliance, Ujama, essays on socialism, Socialism and rural development. Freedom and socialism. L'Afrique n'a guère réfléchi jusqu'à présent au problème de l'éducation. N o u s savons, ou croyons savoir, que ce qu'on appelle 1' « éducation » est une bonne chose. E n conséquence, tous les gouvernements africains y consacrent une part importante des recettes publiques. Cependant, j'ai parfois l'impression que pour nous autres Africains l'éducation doit au fond tendre à faire de nous des Européens — ou des Américains — à peau noire. Je dis cela parce que les politiques que nous appliquons en la matière montrent clairement que nous attendons en fait de l'éducation qu'elle nous permette d'obtenir les m ê m e s succès matériels que l'Europe et l'Amérique. Voilà bien l'objectif de notre action. Mais nous ne nous s o m m e s pas encore sérieusement demandé s'il était possible de parvenir à ce résultat, ni si l'imitation des réalisations matérielles de l'Europe et de l'Amérique était pour l'Afrique un objectif souhaitable. A m o n avis, il est urgent aujourd'hui d'examiner ces deux problèmes. N o u s nous proposons ici de procéder à une réévaluation complète de ce qui se fait en Afrique dans le domaine de l'éducation et de déterminer les divers choix possibles. Peu de choses peuvent rendre plus de services à notre continent. Cependant, sans nous considérer c o m m e liés par le passé, nous ne devons pas perdre de vue les réalités pratiques. N o s populations se font une certaine idée de l'éducation ; m ê m e si cette conception est erronée et contraire à leurs besoins véritables, il est impossible de faire c o m m e si elle n'existait pas. I. L e présent article est une version légèrement retouchée du discours que le président Nyerere a prononcé à l'occasion d'un séminaire sur l'éducation, la formation et les divers choix d'éducation dans les pays d'Afrique, organisé par la Fondation D a g Hammarskjöld à Dar es Salaam (République-Unie de Tanzanie) en mai 1974. C e discours est reproduit avec l'aimable autorisation des autorités tanzaniennes. 3 Perspectives, vol. V , n° I, 1975 Mwalimu Julius K. Nyerere D ' u n autre côté, il n'y a aucune raison de considérer la politique actuelle de l'éducation en Afrique c o m m e la seule, ni m ê m e c o m m e la meilleure, possible. Permettez-moi de vous exposer certaines des idées qui m e sont venues à l'esprit en considérant l'expérience que nous avons acquise. Car je suis de plus en plus fermement convaincu qu'en RépubliqueUnie de Tanzanie nous n'avons pas encore découvert de politique de l'éducation qui soit satisfaisante, o u bien que nous n'avons pas réussi à appliquer notre politique, ou encore qu'il y a d u vrai dans ces deux hypothèses. E n 1967, j'avais défini c o m m e suit le but de l'éducation : « Transmettre d'une génération à la suivante la s o m m e d'expérience et de connaissance accumulée par la société, et préparer les jeunes à entrer dans cette société et à participer activement à son maintien ou à son développement. » Aujourd'hui, sept ans plus tard, je considère encore cette définition c o m m e satisfaisante. Mais cette définition visait à s'appliquer à toutes les formes de société — elle se voulait universelle, objective et descriptive. Pour qu'elle puisse nous guider dans notre action en Afrique, il faut donc la développer et la renforcer quelque peu. Et je crois que le point sur lequel nous devons insister peut s'énoncer très simplement : le but essentiel de l'éducation est la libération de l ' h o m m e . « Se libérer », c'est « se libérer de quelque chose ». Toute libération suppose la suppression de certaines entraves à la liberté ; elle peut donc se réaliser par degrés et suivre u n certain processus. Supposons, par exemple, qu'un h o m m e réussisse à dégager ses poignets et à libérer ses bras : il peut se servir de ses mains pour libérer ses pieds de leurs fers. Mais l ' h o m m e peut être physiquement libre et rester dans les fers si son esprit subit la contrainte d'habitudes et de comportements qui limitent ses possibilités d'être humain. L'éducation doit libérer à la fois l'esprit et le corps de l ' h o m m e . Elle doit en faire u n être humain au plein sens d u terme, en lui faisant prendre conscience de ses possibilités d ' h o m m e , et en lui permettant d'être en rapport harmonieux et vivifiant avec lui-même, c o m m e avec ses voisins et son environnement. L'éducation doit donc mettre l ' h o m m e en mesure de se débarrasser des entraves à sa liberté qui l'empêchent de parvenir au plein épanouissement de ses facultés physiques et mentales. Il s'agit d'acquérir à la fois certaines attitudes et certaines compétences. L'éducation est incomplète si elle apprend à l ' h o m m e à élaborer des projets savants de paix universelle sans lui enseigner les moyens de nourrir convenablement 4 L'éducation pour la libération en Afrique et sa famille et lui-même. Elle est également incomplète et stérile si elle se borne à lui enseigner la façon de fabriquer des outils et de s'en servir habilement, et si elle néglige sa personnalité et ses relations avec ses semblables. C e que je veux dire, c'est qu'une nation libérée, en Afrique ou ailleurs, n'est pas simplement une nation qui s'est débarrassée d'occupants étrangers. C e succès initial, pour essentiel qu'il soit, n'est qu'une première étape dans la voie de la libération. L a libération signifie plus que cela. U n e nation n'est vraiment libre que lorsqu'elle peut compter sur ses propres forces, lorsqu'elle n'est plus dépendante économiquement et culturellement d'autres nations, lorsqu'elle est, de ce fait, en mesure de se développer en coopérant librement et sur u n pied d'égalité avec les autres m e m b r e s de la communauté mondiale. Il en est de m ê m e pour l ' h o m m e . U n h o m m e libéré se reconnaît essentiellement au fait qu'il a pris conscience de deux choses : sa propre nature d'être humain et l'aptitude de l ' h o m m e à se servir des circonstances, au lieu d'en être le jouet. Il doit avoir surmonté tout sentiment intérieur d'infériorité, ou de supériorité, et se montrer ainsi capable de coopérer avec ses semblables, sur un pied d'égalité, en vue de la réalisation d'objectifs c o m m u n s . E n ce sens, u n h o m m e peut être libéré alors que son pays est encore colonisé et — théoriquement d u moins — quand lui-même n'est pas encore libre physiquement. Car c'est seulement lorsque l ' h o m m e s'est déjà libéré mentalement dans une certaine mesure qu'il peut engager le combat pour sa libération physique avec quelque chance de succès. Celui qui se considère inférieur aux autres en raison de sa naissance leur restera inférieur dans la société organisée. L ' h o m m e suffisamment libéré pour rejeter les concepts d'esclavage et de colonialisme et refuser sa propre condition d'esclave a fait les premiers pas dans la voie de l'abolition de son état d'esclave et de colonisé. Car nul h o m m e n'est assuré de sa propre liberté tant que subsiste l'esclavage. Il n'est pas possible d'être Ubre dans une société esclavagiste sans lutter contre l'esclavage. Tout h o m m e libéré dans une société qui n'est pas libre combat inévitablement pour la liberté et s'efforce, pour atteindre ses objectifs, de tirer parti de toutes les circonstances, m ê m e les plus défavorables. Si, par exemple, il est contraint de servir dans une armée coloniale, il apprendra le maniement des armes, il verra c o m m e n t combat son ennemi et, le m o m e n t venu, il saura saisir l'occasion de mettre ses connaissances au service de la libération nationale. 5 Mwalimu Julius K. Nyerere Et quand son pays aura chassé l'occupant étranger, cet h o m m e libéré s'apercevra que sa tâche n'est pas terminée. Car il rejettera la misère, la maladie et l'ignorance c o m m e il a rejeté l'esclavage, sachant que ces fléaux détruisent aussi efficacement la personnalité humaine qu'un surveillant armé d'un fouet. L ' h o m m e libéré travaillera avec ses semblables à éliminer ces m a u x , en utilisant de nouveau toutes les ressources à sa disposition. Et ces ressources pourront être son propre savoir, les connaissances des autres, la terre, l'eau, ou tout simplement son propre labeur. C e combat, fondé sur la confiance en soi, lui permettra de se libérer davantage, parce qu'en luttant contre ce qui dégrade les h o m m e s il fera progresser l'humanité. Il appartient à l'éducation de réaliser, ou tout au moins d'entreprendre, cette libération des esprits en Afrique. L'éducation doit libérer l'Africain de sa mentalité d'esclave et de colonisé en lui apprenant à se considérer c o m m e u n m e m b r e à part entière d u genre humain, avec les droits et les devoirs que cela comporte. L'éducation doit le délivrer de l'habitude de se soumettre, c o m m e si elles étaient immuables, à des circonstances qui portent atteinte à sa dignité. Elle doit le délivrer des entraves de l'ignorance des techniques et le mettre à m ê m e de fabriquer et d'utiliser les outils de l'organisation et de la création pour assurer son développement personnel et celui de ses semblables. L'éducation a donc pour objet de libérer l ' h o m m e en favorisant son développement au sein de la société. Il ne s'agit pas d'accroître la production d'objets — qu'il s'agisse de pyramides, de fossés d'irrigation, de chemins de fer ou de palais. Cette forme de développement — habituellement appelée développement économique — peut faire partie d u développement de l ' h o m m e . Il en est ainsi en Afrique. Mais l'éducation ne doit pas viser à fabriquer des techniciens dont on pourra se servir pour développer l'économie. Elle doit former des h o m m e s qui auront les connaissances et les capacités techniques nécessaires pour développer l'économie et la mettre au service de l ' h o m m e dans la société. Il ne s'agit pas là d'un simple jeu de mots, ni d'une distinction dépourvue d'importance. Il est indubitable que l'Afrique a le plus grand besoin d ' h o m m e s possédant des connaissances techniques, et que sa liberté est restreinte par leur absence. Je ne cherche pas à déprécier la formation technique au profit de ce qu'on appelle parfois la culture générale. Bien au contraire. E n Tanzanie d'ailleurs, nous venons précisément d'entreprendre un grand programme pour donner à notre système d'enseignement u n caractère pratique et technique. 6 L'éducation pour la libération en Afrique C e que j'essaie de faire, c'est d'établir une nette distinction entre u n système d'éducation qui donne à des h o m m e s et à des f e m m e s libérés le m o y e n d'utiliser habilement les outils, et u n système d'enseignement qui les transforme en simples outils. Je voudrais être sûr que notre éducation technique et pratique formera des créateurs et non des créatures. J'aimerais être assuré que nos établissements d'enseignement ne deviendront pas, en fin de compte, des usines fabriquant des produits commercialisables. Je veux qu'ils élargissent l'esprit des h o m m e s et des femmes, sans faire de ces h o m m e s et de ces femmes de bonnes machines à produire des gadgets modernes. E n m'exprimant ainsi, je ne crois pas avoir étendu abusivement le sens du terme libéré. Car je parle de la libération de tout ce qui fait la valeur de l ' h o m m e . J'estime aussi que l ' h o m m e n'est pas libéré par son éducation s'il considère ses connaissances c o m m e u n m o y e n d'exploiter autrui. Son attitude signifie en effet qu'il cherche à vivre aux dépens de la société sans lui offrir en contrepartie une contribution supérieure, ni m ê m e comparable. U n tel h o m m e considère que ses connaissances l'ont élevé au-dessus de la société. O r on ne peut pas appeler libres ceux qui n'attribuent pas à la liberté et à l'être d'autrui la m ê m e valeur qu'à leur liberté et leur être propres. L ' h o m m e est en effet u n animal social. U n h o m m e isolé ne peut être ni libéré ni éduqué : ces mots sont alors dépourvus de sens ; ils ne peuvent s'appliquer par exemple à u n enfant abandonné qui aurait été élevé par des loups. Par conséquent, l'éducation est une activité sociale, qui a u n objectif social. C e sont les individus qui sont éduqués. Mais ils sont éduqués par leurs semblables, pour le bien c o m m u n de tous les m e m b r e s de la société. L'éducation vise à en faire des êtres humains faisant partie de la communauté des hommes. C e sont là des idées difficiles à exprimer en termes positifs, parce que chaque individu est à la fois u n être unique et une partie d u genre humain, et que chaque individu libéré apportera une contribution unique à l'ensemble de l'humanité. Cependant, il est facile de concevoir ce qu'est le contraire de l'éducation, au sens que j'essaie de préciser. C o m m e je l'ai déjà indiqué, c'est une forme d'éducation qui apprend à l'individu à se considérer c o m m e une marchandise dont la valeur est déterminée par des certificats, des diplômes et tous autres titres professionnels. Malheureusement, ce que nous appelons l'éducation en Afrique — et en Tanzanie — aboutit encore trop souvent à ce genre de 7 Mwalimu Julius K. Nyerere contre-éducation. Il existe des professionnels qualifiés qui déclarent : « M a valeur sur le marché est supérieure au traitement que je touche en Tanzanie. » Mais aucun être humain n'a de valeur marchande — sauf s'il s'agit d'un esclave. Il y a des gens instruits qui occupent des postes élevés dans l'administration ou des organismes semipublics et qui continuent de chercher u n poste en disant : « J'ai de l'instruction, mais on ne tient pas suffisamment compte de m e s titres ; je devrais avoir une plus belle demeure — ou u n traitement plus élevé, ou être mieux considéré — que telle ou telle personne. » Mais la valeur d'un être humain ne saurait se mesurer à son traitement, sa demeure ou sa voiture, ni à l'uniforme de son chauffeur. Ceux qui se plaignent ainsi s'imaginent qu'ils ne font qu'affirmer leurs « droits » de personnes instruites. Ils croient affirmer la valeur de leur éducation et leur valeur personnelle. E n réalité, ils font tout le contraire. C e qu'ils disent en réalité, c'est : « M o n éducation a fait de m o i une marchandise c o m m e r cialisable, c o m m e le coton, le sisal ou le café. » Et ils montrent qu'au lieu de libérer leurs qualités humaines, en leur donnant u n e meilleure chance de s'exprimer, l'éducation qu'ils ont reçue les a avilis. Car ils prétendent qu'étant des produits de qualité supérieure ils doivent être échangés, sur le marché, contre des produits d'égale valeur. Ils ne se présentent pas — d'ordinaire tout au moins — c o m m e des êtres humains supérieurs, mais c o m m e des marchandises de meilleure qualité. Ainsi, leur éducation en a fait des objets, des dépôts de connaissances, des ordinateurs d'un type spécial. O n leur a appris à se considérer e u x - m ê m e s et à considérer les autres c o m m e des objets ou des marchandises. Celui qui adopte cette attitude passe inévitablement sa vie à soutirer de la collectivité tous les avantages possibles — en ne lui apportant en retour qu'une contribution minimale — et à vivre selon ses désirs. Il exploite la communauté locale dont il reçoit nourriture, vêtements, logement et formation. Il exploite la c o m m u nauté mondiale quand il circule, c o m m e une balle de coton, à la recherche d u marché où le prix des compétences qu'il a acquises est le plus élevé. U n tel individu n'est pas u n être humain libéré, c'est u n produit commercialisé. N o u s condamnons ces individus, ou nous les plaignons, car ils symbolisent l'échec de la société. Mais il vaudrait mieux nous en prendre au système qui produit de tels gens et le réformer. Car c'est le type d'éducation que nous dispensons actuellement en 8 L'éducation pour la libération en Afrique Afrique, et les valeurs sociales sur lesquelles il est fondé qui produisent ces gens que nous condamnons. C'est notre système d'éducation qui inculque aux jeunes gens et aux jeunesfillesl'idée que leur éducation est monnayable et qui attire leur attention sur le prix qu'ils peuvent en tirer. C'est notre système éducatif qui ignore la valeur inestimable d'un être humain libéré qui coopère avec ses semblables à l'édification d'une civilisation digne de créateurs conçus à l'image de Dieu. D e cette description des résultats de notre système éducatif, comparés à ceux qu'il faudrait obtenir, se dégagent clairement deux conclusions. L a première est qu'il nous appartient, à nous Africains, de remettre en question les valeurs sociales et le système d'éducation qui forment ainsi des gens qui se considèrent c o m m e des produits commerciaux et qui ne sont, sur le plan social, que des ratés. U n tel m o u v e m e n t ne doit pas servir de prétexte à des attaques politiques contre les dirigeants africains actuels, car le système en vigueur est un produit de notre histoire. Mais, en tant que dirigeants, nous serons critiqués, c o m m e il se doit, dans l'avenir si nous refusons de reconnaître aujourd'hui que des changements sont indispensables. N o u s serons condamnés, c o m m e il se doit, par les générations futures si nous n'essayons pas dès maintenant de découvrir et d'adopter un système d'éducation capable de libérer la jeunesse africaine. L e second point est que l'éducation ne peut être indépendante de la société. L e système scolaire ne peut éduquer u n enfant en l'isolant du système socio-économique dans lequel il vit. Dire que l'éducation doit être intégrée à la société est u n Heu c o m m u n . Mais, en fait, l'éducation fait inévitablement partie intégrante de la société. A u x enfants c o m m e aux adultes, l'expérience de la vie apprend plus de choses que les livres et les maîtres. U n instant de réflexion suffit pour confirmer cette remarque. Supposons que, dans une école, on enseigne aux enfants que la vertu suprême consiste à coopérer avec autrui et à aider ceux qui éprouvent plus de difficultés que soi-même. Qu'arrivera-t-il si l'accès à une situation privilégiée dans la société — qu'il s'agisse de l'accès à l'enseignement supérieur ou d'autres avantages sociaux ou économiques — est fondé uniquement sur des connaissances de caractère livresque ? L'enfant qui aura bien écouté le conseil de ses maîtres sera rejeté, car il aura passé son temps à aider ses camarades afin d'améliorer le niveau général des connaissances, tandis que le mauvais élève ne se sera occupé que d'acquérir les connaissances correspondant 9 Mwalimu Julius K. Nyerere aux critères de sélection. L a vie se chargera donc d'apprendre à tous les élèves que si la coopération est u n devoir sacré, c'est la recherche de l'intérêt personnel qui détermine la situation sociale, le revenu et le pouvoir des individus. D e u x choses auront contribué à leur donner cette leçon : d'une part, l'existence m ê m e de privilèges sociaux et, d'autre part, les critères selon lesquels sont choisis les bénéficiaires de ces privilèges. L'enseignement officiel dispensé dans les écoles ou les cours pour adultes ne peut remplacer l'expérience de la vie acquise en dehors du système 'd'éducation. A u c u n système scolaire ne peut non plus fonctionner efficacement s'il va à l'encontre des pratiques sociales. Et pourtant, en Afrique, des changements s'imposent : il s'agit de savoir par où commencer. Sans m e risquer à généraliser le débat, je puis dire qu'il est évident — en Afrique tout au moins — que ce n'est pas en renonçant à u n système d'éducation institutionnalisé que l'on parviendra à intégrer l'enseignement à la société. N o u s ne pouvons revenir sur nos pas et nous fier exclusivement au système traditionnel, à ce que j'ai appelé antérieurement 1' « apprentissage par la vie et l'action ». N o u s ne pouvons revenir en arrière parce que la science moderne n'est pas répandue dans nos sociétés. M ê m e les valeurs sociales de la coopération ont souvent été battues en brèche par les effets d'un capitalisme importé. Les techniques modernes de production, d'échange et d'organisation étaient inconnues dans l'Afrique traditionnelle et sont encore ignorées par la majorité de nos adultes. Notre situation est donc la suivante : d'une part, nos systèmes officiels d'enseignement — dont la conception et le fonctionnement sont sans rapport avec la société dans laquelle les élèves qu'ils forment vivront plus tard — ne peuvent guère nous aider à libérer les populations africaines ; mais, d'autre part, revenir à l'apprentissage par la vie et l'action dans la société existante nous placerait dans u n état d'arriération sociale et technologique tel que tout espoir de libérer les habitants de nos pays dans u n avenir prévisible devrait être abandonné. Il faut donc que nous parvenions à combiner les deux systèmes. N o u s devons intégrer l'enseignement de type scolaire à la société. Et nous devons en m ê m e temps l'utiliser c o m m e u n catalyseur pour favoriser la transformation de cette société. Telle est, à m o n avis, la tâche qui s'impose à nous. C'est une tâche que diverses nations africaines, ou divers groupes dans ces nations, s'efforcent de mener à bien depuis une dizaine d'années. D e s travaux intéressants ont 10 L'éducation pour la libération en Afrique été effectués, une expérience précieuse a été acquise. Il faut maintenant examiner avec soin ces résultats et mettre en pratique ce qu'ils nous enseignent. Je n'ai pas à présenter aujourd'hui u n « rapport national » consacré à la Tanzanie, mais je crois qu'il est juste de dire que nous avons en tout cas reconnu que nous devions adapter notre système d'enseignement à notre situation et à nos aspirations : en 1967, nous avons défini assez ambitieusement notre politique c o m m e l'apprentissage de l'autonomie; la structure actuelle du système qui en est résulté marque certainement u n progrès par rapport à nos pratiques antérieures. Bien entendu, il faut d u temps pour changer u n système d'enseignement, et il faut attendre encore plus longtemps avant de pouvoir évaluer les résultats de ces changements. Les jeunes qui sont entrés à l'école primaire en 1967 viennent seulement de terminer leur septième année d'études, et ceux qui sont entrés dans une école secondaire il y a sept ans en sont seulement à leur première année de formation postsecondaire ou de vie professionnelle. Il est trop tôt pour déterminer avec certitude les résultats obtenus. Il nous faut cependant reconnaître, je crois, que nous n'avons pas fait tout ce qu'il aurait fallu. N o u s avons été trop timides — nous nous s o m m e s montrés trop peu libérés — pour transformer radicalement, c o m m e il était nécessaire, le système dont nous avions hérité. N o u s avons apporté à ce système des changements importants, notamment en ce qui concerne les plans et les programmes d'études. Mais nous jugeons encore en fonction des « normes internationales » de l'éducation. A nos yeux, u n Tanzanien n'est vraiment cultivé que lorsqu'il a reçu une forme d'éducation reconnue et jugée acceptable par les autres pays, notamment les pays anglophones. C'est à l'étranger que nous demandons de nous décerner des brevets de respectabilité. Ainsi, le premier problème que nous n'avons pas encore résolu est d'avoir suffisamment confiance en nous-mêmes pour refuser les choses jugées les meilleures au m o n d e — quel que soit le sens de cette expression — et choisir au contraire celles qui conviennent le mieux à notre propre situation. E n matière d'éducation, d'industrie, d'agriculture et de commerce, nous préférons trop souvent imiter aveuglément, plutôt que de prendre des initiatives ou de procéder à des adaptations rationnelles. L e second problème est que nous semblons incapables ou peu désireux d'intégrer réellement l'éducation à la vie, ainsi qu'à la 11 Mwalimu Julius K. Nyerere production. Je ne veux pas dire que nous n'ayons pas fait de progrès dans cette voie, ni que notre impuissance à progresser davantage tienne uniquement aux préjugés de nos éducateurs. Les parents d'élèves, les h o m m e s politiques et les travailleurs se montrent eux aussi méfiants ou hostiles à l'égard des innovations nécessaires en éducation. L e résultat global est qu'il est peu d'écoles qui fassent vraiment partie intégrante de la vie d u village, si ce n'est qu'elles occupent les enfants u n certain nombre d'heures par jour. Et ce qui est vrai des villages l'est encore plus des villes. E n outre, peu ou point d'écoles peuvent sérieusement prétendre que les élèves qu'elles forment contribuent, dans une assez large mesure, à subvenir à leurs propres besoins, et encore moins à ceux de la société en général. E n outre, et c'est là notre troisième échec, nous n'avons pas réussi à détruire la conviction que les résultats scolaires d'un enfant — ou d'un adulte — le rendent particulièrement digne de louanges et lui donnent droit à une situation sociale privilégiée. N o u s considérons encore qu'un enfant qui n'est pas admis dans une école secondaire a « échoué ». Et cette attitude persistera tant que nous n'aurons pas éliminé l'idée qu'une personne qui poursuit ses études au-delà de l'enseignement primaire doit être mieux rémunérée, simplement parce qu'elle a reçu ce supplément d'éducation, quelle que soit la façon dont elle l'utilise. Car c'est l'habitude de fixer les échelles de salaires en fonction de la dernière année d'études qui résume la conception selon laquelle l'éducation consiste à transformer la matière première humaine en u n produit raffiné. L à encore, il ne s'agit pas simplement d'un échec de notre système scolaire, mais d'un échec de la société tout entière. E n fait, les éducateurs se sont montrés plus progressistes en ces matières que les autres secteurs de la collectivité. Cela nous a permis de réduire l'importance accordée aux résultats des examens pour l'admission des élèves dans les écoles secondaires ; nous tenons compte d u travail en cours d'année pour l'octroi des diplômes. Mais notre société n'a pas encore admis que le caractère, l'esprit de coopération, le désir de servir jouent u n rôle dans l'aptitude des gens à recevoir une formation plus poussée. N o u s n'avons pas encore réellement songé à décider qu'il faut avoir l'expérience de petits emplois avant d'accéder à une formation de plus haut niveau. O n ne peut s'inscrire dans une école tanzanienne d u second degré qu'au sortir d'une école primaire. M ê m e l'admission d'adultes à l'université est souvent considérée c o m m e une concession à une doctrine politique, plutôt que c o m m e un système valable en soi ! 12 L'éducation pour la libération en Afrique L e gouvernement tanzanien, c o m m e ceux des autres pays, se heurte à de sérieux problèmes de choix et de priorités lorsqu'il veut déterminer l'éducation et l'organisation de la société qui conduisent à la libération de l ' h o m m e . Si nous savions c o m m e n t effectuer tous les changements nécessaires — et m ê m e si nous pouvions simplement dresser la liste de ces changements — je ne serais pas en train de vous exposer nos insuccès. N o u s serions trop occupés à leur trouver des remèdes. Je m e suis, en fait, borné à poser des questions, sans leur apporter de réponse. L'objet de l'éducation est la libération de l ' h o m m e . Je n'ai pas dit que la formation de type classique était mauvaise, inutile ou dépourvue d'importance. Je n'ai pas dit non plus que la formation professionnelle et technique n'était pas importante. C e que j'ai voulu suggérer, c'est que l'éducation ne doit pas être considérée uniquement, ni m ê m e essentiellement, c o m m e u n problème relevant des écoles, ou c o m m e u n m o y e n de faire progresser la connaissance et les techniques. L a diffusion des connaissances générales, professionnelles et techniques, revêt en Afrique une importance qu'on peut qualifier de capitale. Mais s'il en est ainsi, c'est seulement parce qu'elle fait nécessairement partie de l'éducation qui libère l ' h o m m e et lui permet de travailler, sur u n pied d'égalité avec ses semblables, au développement d u genre humain. 13 Vers une coopération internationale fondée sur de nouveaux rapports Entretien avec Aklilu Habte PERSPECTIVES Chacun sait que l'Unesco a vu ces quinze dernières années sa configuration se transformer radicalement d u point de vue d u nombre et de la répartition géographique de ses États m e m bres. Cette session de la Conférence générale1 a marqué l'apogée de cette période de changement avec l'élection d'un nouveau Directeur général. Pensez-vous qu'il s'agisse là d'une réalité ? Considérez-vous que l'Unesco entre dans une période nouvelle ? H A B T E Certainement. Il est évident que la position des États membres a été complètement bouleversée. Premièrement, les États membres d u tiers m o n d e se font maintenant mieux entendre et ne se contentent plus de reprendre des idées empruntées à tel ou tel groupe. Ils forment leurs propres idées. Deuxièmement, en raison de sa composition, l'Unesco ne peut pas faire abstraction des intérêts du tiers m o n d e , détenteur de la majorité des voix. Troisièmement, alors qu'auparavant les États membres d u tiers m o n d e ne jouaient pas leur rôle dans l'Organisation, le Secrétariat, les bureaux régionaux, les services de consultants mis sur pied par l'Organisation, on peut maintenant s'attendre à une plus grande participation de leur part. Enfin, on peut espérer que l'aide au développement tendra à satisfaire quelques-uns des besoins fondamentaux des pays les plus pauvres et que, sans abandonner la réflexion théorique sur la d é m o cratisation, sur la régénération de l'éducation, l'Unesco s'acheminera grâce à son programme opérationnel vers la mise en pratique de ces théories. i. L a dix-huitième session de la Conférence générale de l'Unesco (novembre-décembre 1974). M . Habte était président de la Commission de l'éducation. 14 Perspectives, vol. V , n° I, 1975 Aklilu H a b t e (Ethiopie). B.Ed., University of Manitoba (Canada) ; M.A., Ph.D., Ohio State University (États- Unis d'Amérique) ; a collaboré à divers titres, depuis 105S, avec l'Université Haïlé- Selassie I". Vers une coopération internationale fondée sur de nouveaux rapports P E R S P E C T I V E S E n m ê m e temps qu'elle procédait à d'autres transformations, l'Unesco a progressivement cessé d'exercer une action presque exclusivement normative pour entreprendre u n n o m b r e croissant de programmes opérationnels ; il semble que l'effort de décentralisation s'accompagnera d'un accroissement des aspects opérationnels des programmes de l'Unesco. C e que vous venez de dire semble aller dans le sens de cette évolution. H A B T E E n effet, j'ai m o n idée là-dessus, je l'avoue. J'ai toujours cru que la réflexion doit être mise à l'épreuve de l'action, pour la raison que l'action peut aussi influer sur la réflexion. Les deux doivent aller de pair. L'Unesco ne peut être une université médiévale, retranchée dans sa tour d'ivoire. Elle doit s'améliorer, élargir ses activités opérationnelles ; et l'un des moyens qu'elle a pour le faire est la décentralisation. O n ne peut résoudre les problèmes de l'Afrique, de l'Amérique latine et ceux de l'immense continent asiatique, ni m ê m e ceux de l'Europe, depuis Paris. Certes, les bureaux régionaux connaîtront aussi des problèmes, mais ceux-ci auront une dimension continentale et non une dimension internationale. L a décentralisation est une nécessité absolue, encore qu'il faille aussi résoudre le problème des relations avec le siège afin de conserver à l'action de l'Unesco son caractère international. P E R S P E C T I V E S L a décentralisation implique aussi une augmentation du budget, par conséquent des contributions des grands pays. O r la tendance semble être à l'inverse. H A B T E C e que vous dites n'est pas tout à fait exact. Il n'est pas question que l'Unesco demeure telle qu'elle est maintenant tandis qu'on créera des activités décentralisées supplémentaires : cela n'aurait aucun sens d u point de vue de la programmation. J'imagine que certaines tâches actuellement exécutées à Paris pourraient l'être dans de meilleures conditions en Asie, en Afrique, en Amérique latine ou en Europe. L a décentralisation de la fonction devrait aller de pair avec celle d u budget. Par contre, il est exact que les programmes opérationnels exigent toujours davantage d'argent, et il faut que les États m e m b r e s soient prêts à les financer s'ils sont plus utiles. L'Unesco devra peut-être définir u n ordre de priorité et préciser ce qu'elle peut et ne peut pas faire. L'Organisation ne peut pas tout faire pour tous, et pour tous les pays. Elle doit choisir un certain nombre de points importants et s'y consacrer ; et ce qu'elle fait, il faut qu'elle le fasse bien. Notre programme d'éducation 15 Entretien avec Aklilu Habte est composé d'une multitude de petites actions. Les crédits sont limités et il faut décider quelle est la meilleure façon d'en tirer le m a x i m u m . C'est là que le plan à m o y e n terme (doc. 18C/4) intervient, car il oblige à faire des choix. P E R S P E C T I V E S Durant la Conférence générale, les débats de la Commission de l'éducation ont tourné autour d ' u n certain nombre de grands thèmes tels que l'enseignement technique, l'éducation des adultes et la formation permanente, l'éducation pour la compréhension internationale, la jeunesse et quelques autres. H A B T E L'important est la façon dont deux principes fondamentaux sous-tendent l'activité de l'Unesco en matière d'éducation. L e premier est la démocratisation, et c'est là qu'interviennent les questions d'éducation des adultes, de formation permanente, d'alphabétisation, de développement rural intégré, d'éducation des groupes défavorisés : il s'agit dans tous ces cas de donner u n niveau minimal d'instruction à la majorité de la population. L e deuxième est la régénération de l'éducation, principe important lui aussi, qui soulève toute la question de la qualité de l'éducation. L'éducation pour quoi faire ? L'amélioration de la qualité de l'éducation dépend des systèmes politiques ou sociaux, et elle intéresse tous ses secteurs. C'est aussi dans ce contexte que s'inscrivent les questions de l'enseignement technique, du transfert de la technologie et de la transmission d u m i n i m u m de connaissances qui permet à l ' h o m m e de maîtriser son environnement. L e problème de la jeunesse — qu'on ne saurait négliger — est celui de la participation et, partant, de la démocratisation. Dans la plupart des pays en voie de développement, les jeunes, dont la cout u m e veut qu'ils écoutent leurs aînés, se sont rebellés contre une participation qu'ils jugent marginale. Ils souhaitent avoir leur mot à dire sur le fond m ê m e de l'éducation et travailler à en améliorer la qualité. L a révolte de la jeunesse pose avec d'autant plus d'acuité le problème qui est le problème majeur de l'avenir et qui est celui de l'intégration de l'enseignement théorique et de l'enseignement pratique. C'est ici que certaines expériences faites en U R S S , en Chine, à Cuba, en Guinée, en République-Unie de Tanzanie prennent tout leur intérêt. Il nous faut trouver u n m o y e n d'allier la théorie à la pratique, de faire le lien entre l'enseignement et le travail. Ces idées de régénération et de démocratisation sont au cœur de tout le programme d'éducation et lui donnent sa cohésion. 16 Vers une coopération internationale fondée sur de nouveaux rapports P E R S P E C T I V E S II est une question dont on parle beaucoup, ici et ailleurs, celle de la technologie, d u transfert et de l'adaptation de la technologie. Pourriez-vous nous donner votre avis sur ce point ? H A B T E L a science et la technologie ont m e n é l ' U R S S et les ÉtatsUnis d'Amérique sur la L u n e ; pourquoi ne pourraient-elles devenir un outil de développement ? La question qui se pose est la suivante : c o m m e n t utiliser au mieux la science et la technologie dans nos milieux culturels et sociaux respectifs afin d'améliorer nos conditions d'existence ? Certains préfèrent l'importation massive d'une technologie étrangère ; d'autres estiment que cette technologie est le résultat d'années de développement social et technique et qu'elle ne se transplante pas facilement. Il faut tenir compte des conditions sociales et du milieu et utiliser les méthodes qui vous mènent dans la direction où vous souhaitez aller. Prenons l'exemple de la santé. D a n s nos pays, bien souvent, le principal problème en la matière est celui des maladies transmissibles, telles que le paludisme. Or il s'agit fondamentalement d'action sur le milieu, d'assainissement et d'hygiène individuelle. N u l besoin de médecins hautement spécialisés pour remplir cette tâche, qu'il suffit de confier à des gens ayant reçu une formation technique de niveau relativement peu élevé. C'est une question d'option : lorsqu'un pays envisage de créer une université et que l'un des principaux problèmes qui se posent à lui est celui des maladies transmissibles, doit-il ouvrir une faculté de médecine où l'on formera des médecins en sept ou huit ans, ou bien organiser la formation de nombreux techniciens hygiénistes pour les campagnes ? C'est le genre de question à laquelle chaque pays doit répondre. P E R S P E C T I V E S Vous avez étroitement participé à l'organisation de la réforme générale de l'éducation en Ethiopie. H A B T E E n effet, et cette réforme est encore en cours. Lorsque nous concevions la réforme, nous nous s o m m e s dit que l'une des erreurs qui avaient été faites en Ethiopie avait été de considérer l'éducation c o m m e distincte des autres sources d u développement économique. O n s'achemine donc maintenant vers u n réexamen de l'ensemble d u système politique en vigueur dans le pays sans lequel la réforme, qui impliquait une telle remise en question, aurait d'ailleurs été dépourvue de toute signification. L e ministère a beau maintenant refuser de considérer qu'il s'agit d'une refonte de l'éducation, il n'en est pas 17 Entretien avec Aklilu Habte moins partie prenante d'une réforme qui s'oriente dans le sens d'une ouverture nouvelle vers l'éducation populaire, l'éducation de base, la décentralisation administrative, le développement rural, et vers l'octroi aux fonctionnaires d u gouvernement d'une responsabilité dans la coordination des activités de développement. Personnellement, je ne saurais dire quelle en sera l'issue. P E R S P E C T I V E S C e projet de réforme pourrait servir de modèle à d'autres pays, car il a été pensé et établi par les Éthiopiens euxm ê m e s , contrairement à ce qui s'est produit dans d'autres pays dont les ressortissants ont eu à appliquer une réforme imaginée et mise au point par des experts étrangers. H A B T E Vous avez entièrement raison. L'Ethiopie a maintenant des spécialistes jeunes et dynamiques dans tous les domaines. Si la possibilité ne leur est pas donnée de participer à la planification, l'application des plans s'en ressentira forcément. C'est ce qui se produit souvent en matière d'assistance internationale. Des experts arrivent. Ils dressent u n plan superbe, mais sans faire appel à vous et, lorsqu'ils s'en vont, personne n'est au courant de rien et le plan est classé. Et il reste aux archives, c o m m e u n trésor. Pour notre part, nous avions à l'université et au ministère — et nous le savions — les h o m m e s capables de procéder eux-mêmes à ce réexamen : de le diriger, de concevoir la manière dont nous voulions l'étudier et ce que nous voulions étudier, de décider ceux qui y participeraient, du temps qu'il faudrait, de la façon de coordonner l'action des pouvoirs publics et des particuliers. Cela fait, nous avons estimé qu'il était possible de demander l'aide de gens de l'extérieur. C'est alors que nous nous s o m m e s adressés à la Banque mondiale, à l'Unesco, qui nous ont envoyé des experts. D u point de vue de l'organisation, la responsabilité de l'étude a été confiée à la Commission nationale pour l'Unesco. Son secrétaire général en a été n o m m é directeur. Il était assisté d'un Comité consultatif international comprenant deux Éthiopiens et trois étrangers. Ces cinq personnes, dont j'étais, étaient chargées d'apporter leur appui technique au ministre et au directeur. Il a été créé sous l'autorité d u ministre u n groupe consultatif, composé des commissaires au plan national, d u vice-président de l'université à laquelle j'appartiens, de représentants des Ministères de l'agriculture, d u développement économique, de l'intérieur et de tous les ministères compétents à u n titre o u à u n autre en matière de développement. E n outre, dix-sept ou dix-huit groupes d'étude 18 Vers une coopération internationale fondée sur de nouveaux rapports étaient créés. Étudier tous les aspects de l'éducation, écoles maternelles, enseignement agricole, économie domestique, enseignement supérieur, développement des programmes, réforme administrative, etc., n'était pas chose simple. Tous ces groupes d'étude, sauf un, étaient présidés par des Éthiopiens ; faire partie d ' u n groupe d'étude était en soi une expérience éducative. Les travaux ont duré près d'une année, au cours de laquelle deux réunions ont été organisées au niveau national. L a première avait pour objet de jeter les bases d u travail à accomplir, de déterminer si les questions posées étaient bien les bonnes, si les problèmes soulevés étaient les problèmes réels et si les divers groupes d'étude avaient adopté les méthodes et l'approche qui convenaient. Ces groupes ont poursuivi leurs travaux, présenté leurs rapports et tenu une dernière réunion pour dresser le bilan de leurs travaux, qui a permis la rédaction d ' u n document général sur la refonte d u secteur de l'éducation. P E R S P E C T I V E S L'expérience de votre pays pourrait certainement servir d'exemple aux vingt-cinq pays les moins développés. H A B T E Absolument; notre plan est u n plan national au véritable sens d u terme. L a plupart des pays pourraient en faire autant s'ils en avaient la volonté et s'ils disposaient d ' u n nombre minimal de personnes capables de s'adapter à des tâches diverses. P E R S P E C T I V E S C e que vous venez d'exposer est fort intéressant pour qui réfléchit à la question de l'aide bilatérale et multilatérale. H A B T E Permettez-moi d'exprimer une opinion très personnelle au sujet de l'assistance. A u début d u développement de l'assistance internationale, l'ignorance régnait dans les deux camps. Ignorance des « donateurs » sur la manière d'octroyer leur aide, les contacts avec le tiers m o n d e étant encore marqués par l'esprit d u système colonial et l'aide considérée c o m m e une sorte d'aumône. Les pays en voie de développement avaient été isolés et étaient restés au m ê m e niveau pendant fort longtemps. D e l'argent était gaspillé, c'est certain, mais en m ê m e temps les deux parties acquéraient une certaine expérience. C e que nous avons appris au début, durant la période que j'appellerai la première phase, peut se résumer de la manière suivante : i. Fondamentalement, les h o m m e s ont de la fierté et ils comptent sur e u x - m ê m e s , lorsque l'assistance porte atteinte à leur dignité personnelle, elle présente des inconvénients 19 Entretien avec Aklilu Habte supérieurs aux avantages matériels qu'elle apporte. 2. L e développement ne peut être une simple question d'aumône. 3. L e m o n d e développé peut apprendre u n certain nombre de choses intéressantes des pays en voie de développement. 4. Enfin, en dépit de toutes ses faiblesses, l'aide peut favoriser la constitution de groupes de cadres dans les pays en voie de développement. Voilà pour la première phase. Q u a n d nous s o m m e s entrés dans la deuxième phase, les « donateurs », c'est-à-dire les institutions internationales, n'ont pas modifié leur approche ; ils ont omis de faire appel aux noyaux nationaux qui s'étaient constitués dans les divers pays et de leur apporter le soutien dont ils avaient besoin. U n e certaine hostilité, une certaine suspicion à l'égard de l'aide, est donc née parmi ceux-ci. E n effet, au lieu d'aider u n expert national de premier ordre, on a parfois fait venir de l'étranger u n expert de moindre compétence. Disons donc que dans sa seconde phase l'assistance doit faire appel aux ressortissants d u pays qui ont été formés. Dans une troisième phase, l'aide au développement doit passer du stade de l'aide octroyée à celui d u renforcement de la coopération. Il ne peut y avoir de coopération dans l'inégalité. P E R S P E C T I V E S C e sont des questions dont on parle beaucoup. Pensez-vous que les choses aient réellement changé ? H A B T E A m o n avis, on ne fait que commencer à parler de changement. A u niveau national notamment : les pays devront apprendre à évaluer et améliorer leurs politiques ; mais l'amélioration est déjà sensible. O n en parle aussi beaucoup au niveau international, mais sans que cela se traduise par autre chose que des discussions. Il serait intéressant, par exemple, de savoir dans quelle mesure les pays ont réellement participé à la programmation par pays. Qui conçoit le programme du pays, qui l'établit en réalité ? Quel est l'apport des diverses organisations internationales ? C e serait là u n m o y e n intéressant de juger la portée de cette attitude nouvelle à l'égard de l'assistance. Il n'en demeure pas moins que l'amélioration est réelle dans certains milieux. Je peux vous citer deux exemples précis. Pour l'université à laquelle j'appartiens, j'ai travaillé en liaison très étroite avec la F o n dation Ford ; nous lui exposons nos besoins, nous élaborons u n plan sur deux ou trois ans et, lorsqu'elle l'a approuvé, elle nous envoie u n chèque. Bien sûr, nous lui faisons parvenir une évaluation assez approfondie de ce que nous avons fait, mais le système reste très souple. 20 Vers une coopération internationale fondée sur de nouveaux rapports Autre exemple : la Suède a aidé à la construction d'écoles primaires en Ethiopie. Elle finance la construction à 50 %, le reste étant à la charge de la localité et de l'État. L'État doit également accepter de subvenir aux frais de fonctionnement. E n conclusion, je dois dire qu'il ne m e paraît pas juste de subordonner la question de l'aide à u n choix entre aide multilatérale et aide bilatérale. Si telle chose peut être mieux réussie avec le pays X qu'avec l'institution internationale A , traitons avec ce pays. Il ne devrait y avoir aucune opposition entre l'aide multilatérale et l'aide bilatérale. Elles doivent se compléter, dans les limites imposées par des considérations d'ordre politique. 21 Paul-Henry Chombart de Lauwe Auto-éducation et cultures novatrices1 Toute réalisation d ' u n projet dans la société, toute action sur les transformations, toute part active dans la décision collective d e m a n dent une double préparation. D ' u n e part, u n apprentissage, une instruction, une éducation permettent au sujet d'acquérir u n langage, des techniques, des connaissances qui lui sont nécessaires pour jouer son rôle de reproduction de la société. D'autre part, u n e prise de conscience, une libération des désirs, une auto-éducation, une coeducation lui donnent la possibilité d'exprimer ses aspirations, d'avoir une action révolutionnaire créatrice. L e premier m o u v e m e n t va dans le sens du maintien des structures, de lafixationde la société codifiée, d u renforcement d u pouvoir des groupes dominants. Il préserve le patrimoine culturel que les sujets cherchent à s'approprier o u la culture acquise à laquelle ils tendent à s'intégrer. Mais cette appropriation et cette intégration sont fondées sur l'inégalité et la hiérarchisation. Elles supposent l'acquisition d'un savoir de plus en plus étendu, de grades successifs de plus en plus élevés, qui séparent les individus par des barrières et renforcent les oppositions entre classes. L'auto-éducation consiste, pour u n individu ou u n groupe, à prendre en m ê m e temps conscience des conditions réelles dans lesquelles il vit, des possibilités qu'il a de réaliser ses projets et des efforts qui lui sont nécessaires pour les faire aboutir. Cette découverte de soi et des possibilités d'expression et d'action intéresse toute la vie personnelle et sociale des sujets, aussi bien dans leurs désirs esthétiques, sexuels, de communication que dans leur démarche rationnelle de participation à une action méthodique. Mais, i. Extrait d'un ouvrage à paraître sur la « culture-action ». 22 Perspectives, vol. V , n° i, 1975 Paul-Henry C h o m b a r t de L a u w e (France). Socio-ethnologue. Directeur d'études à l'École pratique des hautes études (EPHE) et directeur du Centre d'ethnologie sociale et de psychologie (Paris). Actuellement responsable d'une recherche coopérative internationale au CNRS sur les transformations économiques et sociales et le rôle de la dynamique culturelle dans ces transformations. Parmi ses principaux ouvrages : L a vie quotidienne des familles ouvrières, Pour l'université, Pour une sociologie des aspirations, Images de la culture. Auto-éducation et cultures novatrices en fonction m ê m e des travaux entrepris par de nombreux chercheurs avec lesquels nous s o m m e s en rapport, en particulier dans les pays du tiers m o n d e , nous insistons pour l'instant sur l'auto-éducation préparant aux transformations institutionnelles, sans nous méprendre sur le danger que présenterait pour l'avenir une telle démarche si elle ne permettait pas une expression libre sur tous les plans. A l'éducation traditionnelle, objet de critiques de plus en plus violentes de la part de nombreux chercheurs, s'oppose le m o u v e m e n t inverse de la dynamique culturelle permettant aux individus et aux groupes d'avoir une action novatrice, de faire éclater les structures périmées et de construire la société sur des bases nouvelles. Mais cette création et cette construction ne sont possibles que dans certaines conditions techniques, économiques et sociales, c'est-à-dire en tenant compte, dans la transformation des processus de la reproduction, des contradictions qui lui sont inhérentes et des possibilités de les surmonter par la recherche de solutions nouvelles. D a n s ces deux mouvements contradictoires, les problèmes de l'orientation et de l'auto-éducation peuvent être posés d'une façon plus claire pour les individus, pour les groupes et pour les sociétés. Contre l'orientation rigide qui canalise les individus dans des chemins étroitement tracés, la libération des désirs, la prise de conscience des aspirations masquées par les modèles imposés, est une revendication majeure des jeunes générations. Pour y répondre, u n changement radical est la seule voie possible de renouvellement et de progression. Mais l'abandon des systèmes de représentations et de valeurs périmés a pour conséquence, pendant u n certain temps, u n phénomène de désorientation. E n effet, l'orientation professionnelle vers des branches déterminées de la production, l'orientation intellectuelle qui classe les individus suivant des échelles et des tests, l'orientation de valeurs qui limite la fantaisie des désirs dans les conduites quotidiennes donnent aux individus des appuis et des points de repère dans leurs itinéraires sociaux en adaptant leurs ambitions aux choix préparés pour eux. L'utilisation de l'information peut donner une impression encore plus forte de rigidité, de directivité, de plus grande manipulation tout en accentuant encore l'illusion de sécurité. L a perte de l'initiative et de la liberté est la contrepartie de la directionnalité sécurisante. A u m o m e n t où la validité de tous ces appareils de contrôle et d'orientation est remise en question, au m o m e n t où d'autres systèmes de valeurs sont proposés ou imposés, les sujets, individus ou groupes, sont d'autant plus désorientés. Ils sont aussi plus disponibles pour 23 Paul-Henry Chombartde Lauwe s'attaquer à des transformations plus larges des structures et des institutions et pour faire œuvre créatrice. La prise de conscience des contradictions, des manipulations, des idéologies dominantes est à la base de toute possibilité d'action révolutionnaire dans une société. Aussi, les efforts entrepris depuis quelques années pour développer la « conscientisation M 1 , l'animation, l'apprentissage de l'action sociale et politique marquent-ils une étape importante dans l'auto-éducation et l'utilisation de la dynamique culturelle. Mais il est nécessaire de les replacer dans une analyse des transformations de la production et des changements des rapports sociaux qui en dépendent. L a prise de conscience, l'auto-éducation et la dynamique culturelle dans son ensemble peuvent être étudiées dans cette perspective aux niveaux des individus, des groupes et des sociétés, étant entendu que, dans la réalité, ces trois niveaux ne peuvent être dissociés. Au niveau de l'individu D a n s la civilisation industrielle, suivant le degré et les formes d'industrialisation, d'urbanisation et d'informatisation de chaque société, suivant les systèmes économiques, les individus sont plus ou moins conditionnés et exploités dans leur travail, manipulés dans u n environnement organisé par les groupes dominants qui définissent les besoins des autres, canalisés dans leurs choix de consommation par la publicité, socialisés dès leur enfance par l'éducation familiale et par l'instruction scolaire, soumis aux formes de langages des classes au pouvoir, fixés dans des rôles que la société définit suivant des fonctions, orientés dans leurs choix esthétiques, éthiques, philosophiques, politiques. Ainsi, objets d'exploitation et de manipulation, c o m m e n t peuvent-ils devenir sujets acteurs conscients ? Il est trop facile de dire qu'en supprimant l'école, en faisant éclater la famille, en se libérant d u travail en usine, en désertant les villes, en supprimant la bureaucratie, en détruisant tous les appareils d u pouvoir, les individus se trouveront libérés dans leurs désirs, pourront c o m m u n i q u e r , trouver leur plaisir. C e chantage au désir aboutit finalement à démobiliser toute entreprise révolutionnaire construcI. L e terme a été utilisé depuis longtemps dans des sens variés. N o u s pensons particulièrement ici à son utilisation par P. F R B I R E , La pédagogie des opprimés. Trad, française, Paris, Maspero, 1974. Voir sur ce point les articles de P. FRBIRE et de A . SILVA dans Perspectives, vol. II, n° 2, p. 193 et suiv., et vol. III, n° 1, p. 43 et suiv. 24 Auto-éducation et cultures novatrices tive, tout véritable projet de transformation sociale générale. E n revanche, en donnant au niveau de l'individu les moyens d'utiliser les processus de la dynamique culturelle, il est possible de réagir d'une façon constructive contre la dominance sous ses différentes formes et de libérer des forces créatrices. Si la dominance et la manipulation sont apparentes dans tous les domaines de la vie sociale depuis l'environnement et la production jusqu'aux institutions politiques (première dimension), si elles atteignent les individus dans leurs pratiques quotidiennes, leurs représentations, leurs besoins, leurs aspirations, leurs projets (deuxième dimension), en relation avec les processus de transformation de la société dans lesquelles ils sont impliqués (troisième dimension), il est possible également de favoriser le m o u v e m e n t inverse de dynamique culturelle dans ces divers domaines en suivant l'enchaînement des processus psychosociologiques correspondants pour aboutir à u n projet et à une action. L'individu ne peut être compris qu'en situation, dans des conditions économiques, des structures, des rapports sociaux propres à sa société et au m o m e n t historique où il vit. S o n itinéraire social personnel dans des branches de la production où il a travaillé, dans les classes sociales dont il a p u o u n o n franchir les barrières, dans les systèmes de parenté dont il dépend par naissance ou par alliance, ne fait pas ressortir entièrement le degré de liberté qu'il a eu dans ses choix. Derrière les aspects manifestes des décisions qu'il a prises, derrière les canaux apparents d'éducation, d'instruction, d'orientation, derrière les conditions de vie et de travail officiellement imposées, derrière les limites économiques connues, il existe toute une série de pressions latentes plus ou moins subtiles, dont les manipulations par les mass media, la publicité, les aménagements de l'environnement sont parmi les plus connues. A cts aspects latents des pressions sociales chez l'individu, il faut ajouter les aspects subconscients de son comportement, les deux étant liés lorsque la manipulation pratiquée avec l'aide de techniques psychologiques agit sur le subconscient en éveillant des désirs par des associations d'images, de bruits et de formules écrites. Il est facile ainsi, pour les groupes dominants qui possèdent les moyens de pression, d'orienter les individus des autres groupes dans les directions qui conviennent le mieux à leurs intérêts de classe, tout en prétendant, et parfois en croyant e u x - m ê m e s qu'il s'agit d u plus grand bien des intéressés. D a n s ces conditions la recherche d'une auto-éducation au niveau individuel consiste d'abord à passer d u latent au manifeste sur le 25 Paul-Henry Chombart de Lauwe plan social et d u subconscient au conscient sur le plan psychologique. Cette double prise de conscience s'opère d'abord dans les pratiques de travail, d'habitat, de consommation, de relations, de loisirs, de syndicats, de parti politique. L a représentation par u n individu de ses propres pratiques dans des conditions sociales prédéterminées lui permet progressivement de mesurer le décalage qui existe entre ses désirs et les possibilités de les réaliser dans les conditions matérielles et sociales o ù il se trouve. D a n s la liaison entre ses désirs et ses représentations s'expriment ses aspirations véritables. Il peut alors comprendre c o m m e n t les aspirations qui l'avaient poussé jusque-là étaient manipulées et ne correspondaient qu'à une orientation allant dans le sens d'intérêts qui ne sont pas les siens. L a prise de conscience de ses aspirations libérées lui donne à la fois une force qu'il ne soupçonnait pas et une impression d'impuissance, dans la mesure où il se rend compte que les conditions qui lui sont imposées l'empêchent de les réaliser. Par la suite il découvrira que les représentations qu'il a de ses pratiques, de sa condition, des barrières qui limitent son action entrent elles-mêmes dans u n système de représentations plus complexe et dans une logique qui lui viennent de sa classe, de sa famille, de l'instruction reçue, de l'organisation de l'espace qui l'entoure. Il prendra conscience aussi de la liaison entre ce système de représentations et u n système de valeurs suivant lequel il hiérarchise les objets, les personnes, les actes. Il verra ainsi que ses projets anciens n'étaient parfois que le reflet des décisions prises pour lui. Sur le plan personnel, le sujet peut revenir sur les événements de sa vie passée et chercher, dans une perspective psychanalytique, l'origine de ses désirs et de ses fantasmes, des images qui le hantent, du m o n d e imaginaire qu'il s'est construit en dehors de sa volonté. Mais son histoire individuelle s'inscrit dans l'histoire des groupes et de la société dont il fait partie. Son subconscient personnel n'est pas indépendant des structures sociales et de la culture reçue, non seulement dans leurs aspects manifestes mais aussi dans leurs aspects latents plus difficiles à déceler. D a n s ce contexte, la démarche de prise de conscience elle-même peut être biaisée par l'influence des modèles de pensée, de la logique des groupes dominants qui ont été imposés au sujet. L a conscience réfléchie suppose l'analyse d'une situation, d ' u n m o u v e m e n t qui peut être orienté par des « images-guides » anciennes, en prenant des points de référence inadéquats et en s'appuyant sur des informations inexactes. Ainsi des ouvriers, m ê m e en lutte syndicale 26 Auto-éducation et cultures novatrices avec u n patron, peuvent avoir une fausse conscience de leur situation dans leur entreprise et de leur stabilité d'emploi tant qu'ils n'ont pas eu des informations sur la façon dont la direction fait passer l'intérêt des actionnaires avant le respect d u droit au travail. U n e décision brutale injuste peut leur ouvrir brusquement les yeux. Cet effort de clarification, de vérité, de libération des mythes et des images-guides ne devrait pas être tourné uniquement vers le passé, dans la perspective régressive que nous avons critiquée. L a prise de conscience est aussi celle des possibilités et des exigences de l'avenir. L a vie tout entière repose sur les projets, et les projets sont élaborés à travers des processus multiples interférant les uns sur les autres. Les projets d'un individu s'insèrent dans u n système économique, dans des institutions politiques, dans des structures de relations, dans u n patrimoine culturel qu'il ne peut ignorer. Ils donnent lieu à des conflits intérieurs qui sont liés à des conflits sociaux. L e sujet individuel est u n c h a m p de bataille de la vie sociale. Partagé entre des modèles contradictoires et des systèmes de représentations et de valeurs lui venant des différents groupes sociaux auxquels il se rattache et qui s'opposent entre eux, il est obligé, pour faire ses choix, de prendre parti dans des débats qui dépassent sa vie personnelle et son environnement proche. L'auto-éducation consiste à lui permettre de prendre conscience de ces pressions diverses auxquelles il est soumis, des conflits dont il est l'enjeu, des intérêts dont il est involontairement l'instrument. Cette prise de conscience est plus facile dans les périodes de changements rapides techniques, économiques ou politiques. Mais elle provoque alors u n rejet des systèmes de représentations et de valeurs, des images-guides et des modèles sur lesquels le sujet s'appuyait précédemment. L e sujet peut être alors désorienté, soit parce qu'il ne trouve pas d'autres systèmes de valeurs acceptables pour lui, soit parce qu'il ne parvient pas à s'adapter aux nouveaux systèmes de valeurs qui lui sont imposés lorsque les institutions ont été transformées. L'élaboration des projets personnels ne peut pas consister, pour u n sujet, à se débarrasser de tout système de représentations et de valeurs, mais à connaître ceux auxquels il est soumis et à faire u n choix en fonction des situations concrètes qu'il a analysées et des transformations dont il a conscience. Sa part créatrice originale n'existe que dans la mesure o ù il en découvre à la fois les limites et l'efficacité dans u n contexte historique. L a possibilité de faire des projets est alors ce qui donne d u prix à l'existence. N o u s avons été 27 Paul-Henry Chombart de Lauwe frappé de voir l'importance qu'y attachaient des groupes d'ouvriers avec lesquels nous avons entrepris des recherches. L a sécurité de l'emploi était pour eux une nécessité vitale n o n seulement à cause des problèmes matériels de l'existence quotidienne, mais parce que, sans elle, toute formulation d'un projet est rendue impossible1. L'individu qui veut être sujet-acteur est tourné vers l'avenir. Son effort de retour sur sa propre histoire personnelle et de prise de conscience des contraintes qu'il subit ou des manipulations dont il est l'objet lui permet de voir que certaines de ses aspirations lui sont inspirées ou imposées de l'extérieur, mais il peut surtout libérer ses véritables aspirations qui étaient masquées jusque-là par des phénomènes de fausse conscience. A partir d'elles il pourra faire des choix, élaborer des projets, formuler des revendications, prendre des décisions en sachant quelle part de liberté lui est laissée dans ces démarches. L'aboutissement de l'auto-éducation est donc pour l'individu de devenir sujet-acteur conscient, capable de faire des projets et de les réaliser en prenant ainsi sa part personnelle dans une construction collective. A u milieu des nécessités économiques, des contradictions, des conflits, des processus de transformation dans lesquels il est impliqué, le sujet se construit progressivement u n système de représentations et de valeurs qui lui est propre, mais il ne peut le faire qu'en relation avec les systèmes de valeurs de sa société, de sa classe, des groupes dont il partage la vie. U n e de ses aspirations fondamentales est d'ailleurs, nous le savons, une aspiration à la communication. Il est encore partagé à ce point de vue entre u n repli sur son milieu où la communication est plus facile et son désir de faire sauter les barrières qui séparent les classes, les groupes ethniques, les générations2. Au niveau des groupes sociaux L'individu qui cherche à devenir sujet-acteur est donc n o n seulement limité par les nécessités de la production, des conditions économiques, de l'environnement matériel, mais aussi par l'ensemble des rapports i. M . C O M B E , M . P . Z I E G L E R et al., Les effets traumatisants d'un licenciement collectif. (Multigraphié, I973-) 2. L'aspiration à la communication est u n thème qui nous a préoccupé depuis longtemps. L'étude récente de Christine T H O M A S sur L'aspiration à la communication en milieu ouvrier apporte dans ce domaine une confirmation frappante de l'importance qu'elle revêt aujourd'hui. (Centre d'ethnologie sociale, multigraphié, 1974, diffusion restreinte.) 28 Auto-éducation et cultures novatrices sociaux. Ses itinéraires dans la société sont d'abord c o m m a n d é s par des divisions verticales en branches d'activités (dans les secteurs primaire, secondaire, tertiaire, tertiaire supérieur), dont il ne peut pas, la plupart d u temps, franchir les limites sans changer de spécialisation et sans recyclage, et par des divisions horizontales suivant les degrés de qualification et les tranches de revenus. Sur ce quadrillage de fond, il est possible de situer les groupes sociaux auxquels les individus se rattachent : les classes sociales proches des divisions horizontales en « strates », mais qui ne les recouvrent pas exactement (c'est une erreur de beaucoup de sociologues de les avoir pratiquem e n t confondues), les groupes ethniques, les groupes idéologiques et politiques, les Églises, les groupes de défense professionnels tels que les syndicats, les groupes de parenté, les groupes locaux de voisinage, etc. Suivant les sociétés et les m o m e n t s historiques, ces groupes ont une importance plus ou moins grande, mais l'individu qui cherche à prendre conscience de ses limitations et de ses possibilités ne peut éviter de se situer par rapport à eux, de s'orienter dans la vie sociale en tenant compte de leur existence. Cette prise de conscience des groupes sociaux est d'autant plus difficile dans les sociétés industrialisées que les groupes sociaux y sont plus mal définis et qu'ils se réduisent souvent à des milieux sociaux aux limites imprécises dont l'influence n'est pas apparente. C e flou social peut être d'ailleurs entretenu par les groupes d o m i nants qui ont intérêt à masquer les conflits de classes, à maintenir dépendants des travailleurs étrangers, à ne pas donner aux groupes locaux trop d'importance, à limiter l'action des syndicats, à ne pas laisser se former des groupes politiques trop puissants dans l'opposition. L e milieu urbain (et non la c o m m u n e ou le comité local), le milieu professionnel (et n o n le syndicat), le milieu ouvrier (et n o n la classe ouvrière) emprisonnent les individus dans u n e sorte de b r u m e sociale, au milieu de laquelle ils ne peuvent pas se situer avec précision et o ù ils peuvent être facilement manœuvres sans s'en rendre compte. L a relative indépendance des individus à l'égard des castes et des groupes traditionnels corporatifs o u de parenté se caractérise par cette contrepartie d'une lutte de classe voilée dans laquelle la course à la consommation opère c o m m e u n somnifère. L a mobilité sociale peut être u n autre piège dans les itinéraires sociaux des sujets. N o u s savons que les barrières des classes se referment sur les individus qui les ont passées. Les sociétés où la mobilité professionnelle est la plus grande ne sont pas les moins soumises aux catégorisations, aux hiérarchisations, aux rôles imposés 29 Paul-Henry Chombart de Lauwe dans des classes où il n'est possible d'accéder qu'en adoptant les modèles dominants de leurs idéologies. L a connaissance des barrières et des canaux de mobilité est donc une nécessité quotidienne. L'auto-éducation c o m m e n c e par une analyse sociologique. Mais le sujet-acteur n'est pas seulement l'individu. D a n s les milieux sociaux, des groupes se forment ou disparaissent. D'autres, plus stables, tels certains groupes de parenté, survivent aux transformations techniques et économiques ou aux bouleversements des rapports sociaux. Ces groupes, eux aussi, sont des sujets-acteurs si leurs m e m b r e s ont conscience de leur appartenance, conscience des structures et des processus dans lesquels ils sont impliqués. L'autoéducation s'opère donc au niveau des groupes aussi bien qu'au niveau des individus. Elle consiste à développer la prise de conscience des situations, des conditions, des pratiques, des besoins, des systèmes de représentations et de valeurs, des désirs, des aspirations pour permettre au groupe de s'affirmer en tant que tel, de formuler des projets, d'agir à son niveau dans la construction collective. Parmi ces groupes, le rôle moteur des classes sociales a, pour l'auto-éducation et la dynamique culturelle, u n sens particulier. L a distinction marxiste de la classe en soi et de la classe pour soi met en relief les conséquences de la prise de conscience et de la représentation dans les oppositions et les conflits. D a n s la pratique quotidienne et dans les luttes sociales, la prise de conscience s'opère à travers des conflits internes aux groupes et entre les groupes. L'auto-éducation consiste à utiliser ce dynamisme des groupes et à leur permettre, en s'affirmant, d'apporter u n élément original dans la société en permanente transformation. Il n'est pas possible ici d'entrer dans l'étude des méthodes qui peuvent être utilisées. Il suffit de rappeler les mutations successives survenues depuis quelques années dans le travail social, les organisations c o m munautaires, l'animation communautaire, l'animation populaire, qui ont revêtu des formes diverses, se rapprochant de plus en plus d'une véritable animation politique tendant à changer les institutions1. Il n'y a pas de prise de conscience sociale sans prise de conscience politique. L'auto-éducation, au niveau d u groupe c o m m e au niveau de l'individu, est une pédagogie de la décision et d u projet collectifs. C'est une mise en œuvre, au profit de ce projet, des forces existantes ou naissantes dans la dynamique culturelle des groupes. Entre les I. Sur ce point, une thèse récente de notre centre a bien mis en relief ces diverses formes d'intervention. Voir L . G R O U L X , Intervention pédagogique et action populaire. (Inédit.) 3° Auto-éducation et cultures novatrices transformations matérielles dans la production et les mutations institutionnelles qui résultent des révolutions, la dynamique culturelle agit suivant les processus complexes interdépendants que nous avons étudiés, en tenant compte des interférences et des effets de retour, et qui peuvent être analysés dans divers domaines de la vie sociale, suivant le cadre de référence à trois dimensions que nous avons proposé. Cette démarche aurait pour but de faciliter ce que nous appellerons l'élargissement progressif de la prise de conscience. U n groupe engagé dans une action — tel q u ' u n syndicat professionnel, une association d'usagers, u n m o u v e m e n t culturel, une section d ' u n parti politique — se mobilise tout d'abord autour de revendications locales spécifiques. L'utilisation d ' u n cadre de référence peut ensuite lui permettre de situer les actions limitées qu'il entreprend par rapport à u n programme beaucoup plus large de transformation, d'entrer d'une façon constructive dans l'élaboration collective d ' u n plan de transformation institutionnelle. Cet élargissement peut se faire méthodiquement par phases successives, en saisissant l'occasion d'événements qui surviennent dans la vie quotidienne d u groupe et dont la signification peut être recherchée en les reliant à tel ou tel domaine de la société institutionnalisée (première dimension), en s'interrogeant sur la représentation que s'en font les m e m b r e s d u groupe, sur les manipulations dont ils sont l'objet, sur les besoins et les aspirations qui peuvent s'y rapporter, sur les revendications qui peuvent se manifester, sur les projets qui peuvent être élaborés (deuxième dimension), en essayant de comprendre c o m m e n t il est possible de réaliser ces projets dans une transformation institutionnelle dépassant le niveau local (troisième dimension). Il est possible ainsi d'obtenir une plus grande efficacité en permettant à u n groupe de mieux se situer par rapport à d'autres groupes dans une vision d'ensemble, de mener la lutte revendicative d'une manière plus réaliste et de coopérer plus largement à la construction collective des nouvelles institutions. A u niveau des sociétés : transformation et cultures novatrices L'auto-éducation des individus et des groupes n'est concevable que située dans les structures d'ensemble d'une société en tenant compte des données économiques et démographiques, des rapports sociaux et de la dynamique culturelle. L'organisation institutionnelle de la 31 Paul-Henry Chombart de Lauwe transmission sociale par les divers canaux de l'école, de la famille, de l'aménagement de l'espace, de la langue a été longtemps à rencontre de l'auto-éducation, mais, depuis quelques années, les efforts des pionniers ont porté leurs fruits dans des domaines limités. Certains théoriciens poussent trop loin dans ce sens, allant jusqu'à opter pour des solutions idéalistes qui prétendent supprimer d'un coup de baguette magique toute institution scolaire. Si de telles revendications ont u n effet salutaire par leur pouvoir de choc et c o m m e m o y e n de propagande, elles ne peuvent suffire à construire u n programme. N o u s avons essayé de montrer que l'explosion d u désir dans la société pouvait aboutir à des révoltes, mais non à des révolutions constrictives1. C'est pourquoi nous attachons tant d'importance, dans la recherche d'un programme de transformation institutionnelle, à la convergence des désirs et des représentations dans les aspirations, à l'effort de prise de conscience de la dominance et de la manipulation, à l'expression méthodique des revendications, à l'élaboration des projets. Pour surmonter les inégalités, les injustices sociales, les conséquences de la dominance en général, il importe de permettre aux catégories et aux groupes dominés et marginalisés de trouver en e u x - m ê m e s les forces nécessaires pour imposer leur volonté propre dans la prise de décision collective. Suivant l'hypothèse que nous avons proposée, la solution consiste à opposer au processus généralisé de dominance et de manipulation u n processus de dynamique culturelle partant de l'intérieur des groupes. Chaque groupe, chaque milieu, chaque classe sociale a une culture qui lui est propre, mais, en fonction des distinctions que nous avons faites, cette culture n'est pas envisagée ici sous l'angle des traditions à conserver et du patrimoine culturel. Il s'agit, pour les m e m b r e s d'un groupe, de découvrir les possibilités novatrices de leur culture. U n apparent retour en arrière peut permettre à u n groupe de retrouver en luim ê m e les moyens d'apporter dans la société des solutions nouvelles que les techniques « modernes » ne savent plus inventer. L'expression imagée d'Ita Gassel, « la culture joue à saute-mouton », n'est pas, à ce point de vue, u n simple jeu de mots 2 . Les possibilités novatrices se réalisent à travers l'ensemble des processus de la dynamique culturelle dans les pratiques sociales où le rapport entre les conditions i. P . - H . C H O M B A R T D E L A U W E , Pour l'université, Paris, Payot, 1969. 2. I. G A S S E L , intervention aux réunions de la recherche coopérative internationale portant sur les aspirations et les transformations sociales. (Inédit.) 32 Auto-éducation et cultures novatrices imposées et la prise de conscience et les besoins crée une tension stimulante1. Ce qui est vrai pour les groupes, les milieux sociaux, les régions, l'est aussi pour les sociétés. L a colonisation culturelle qui a accompagné la néo-colonisation technique et économique avant ou après la décolonisation politique prolonge au niveau international les processus de dominance et de manipulation. Au-delà des rapports sociaux imposés dans les nouveaux modes de production liés à l'industrialisation, au-delà de l'environnement urbain des grandes agglomérations qui surgissent dans les pays d u tiers m o n d e , les institutions scolaires de ces pays reproduisent celles des pays européens ou nord-américains. Aussi n'est-il pas étonnant de voir les aspirations des parents pour les enfants se réduire à l'acquisition de 1' « instruction », en fonction d u modèle dominant importé de l'extérieur. D a n s une société, dans une région, dans u n milieu social, il importe de découvrir o ù se trouvent les zones dans lesquelles peuvent s'exprimer des cultures novatrices. Contrairement à des affirmations courantes, les milieux techniques avancés ou les cercles intellectuels d'avant-garde ne sont pas nécessairement les seuls terrains privilégiés de la création culturelle. D e s phénomènes de blocage sont d'ailleurs de plus en plus souvent signalés. Ainsi u n ingénieur, dans une étude sociologique, posait la question : « Pourquoi ne crée-t-on plus dans l'industrie d u bâtiment ? »2. D'excellents techniciens sont pris, depuis les grandes écoles jusqu'à lafinde leurs carrières, dans des mécanismes de reproduction au service des intérêts de groupes dominants qui recherchent une efficacité technique de plus en plus grande, mais n o n la création de formes vraiment nouvelles, exprimant les structures sociales en gestation. Par ailleurs, des cercles intellectuels construisent parfois des théories très élaborées, mais peuvent s'enfermer dans des schémas rigides, dans des systèmes fermés et sont incapables de se renouveler. En raison de l'inquiétude croissante ressentie dans la civilisation industrielle, des prophéties pessimistes qui se répandent, de la désorientation des générations montantes devant les contradictions des i. Depuis quelques années la notion de culture des classes sociales, des milieux, des groupes a eu brusquement u n succès inattendu. L e livre de R . H O G G A R T , La culture du pauvre, en est un exemple frappant. (Trad, en français, Éditions de Minuit, 1970.) Sur le plan régional, la recherche de D . M A N D Ó N , Une ville colonisée dans la vie culturelle, réalisée dans notre centre, insiste sur les conflits locaux et les pressions d u pouvoir central. (Thèse E P H E , Paris, 1973, multigraphié.) 2. E . Z B I L B H , thèse de doctorat. (Inédit.) 33 Paul-Henry Chombart de Lauwe sociétés techniquement les plus développées, la recherche de voies nouvelles, rompant avec les « traditions modernistes », peut se faire aux endroits les plus variés, auxquels sont souvent loin de penser les groupes au pouvoir. Les travaux entrepris par un groupe d'ouvriers avec l'aide de chercheurs sur la logique propre à leur milieu et sur une démarche de pensée qui ne suit pas les m ê m e s règles que celle des intellectuels en sont u n exemple. D'autres possibilités d'innovation existent dans les marges urbaines des grandes agglomérations, où la rupture forcée avec les structures sociales et les modèles de comportements traditionnels facilite la création de nouveaux types d'organisation sociale locale dont il serait intéressant de s'inspirer pour la construction de cités nouvelles. Faut-il rappeler aussi les erreurs des techniciens dans leur mépris des formes traditionnelles de culture des pays d u tiers m o n d e , alors qu'il aurait été possible, partant de l'expérience des paysans, de trouver avec eux et grâce à eux des méthodes nouvelles respectant l'équilibre écologique dont les experts chevronnés n'avaient pas vu l'importance ? Faut-il parler encore dans ces m ê m e s pays des innombrables possibilités créatrices dans des arts, dits eux aussi traditionnels, mais capables en fait de se renouveler et de nous faire découvrir des joies inconnues ? Les mouvements de révolte ou d'évasion des communautés de jeunes qui refusent les cadres imposés par les techniques industrielles ont également une signification novatrice. L e désir libéré peut aboutir à des drames, ou tout au moins à de pénibles désillusions dont les comptes rendus d'expériences de vie en groupe sont remplis ; mais, à travers ces refus, ces rejets, ces ruptures, de nouveaux rapports sociaux, de nouvelles formes de communication peuvent apparaître. L'innovation ne suit pas la voie de l'ordre et d u pouvoir établi ; elle est marginale et provocante. L a difficulté réside dans le choix parmi ces ébauches hésitantes d'éléments utilisables pour l'élaboration de projets de transformation. D a n s cette voie difficile de libération de la culture novatrice, l'opposition entre les processus de dominance et la dynamique culturelle se retrouve à chaque instant. L a lutte contre l'impérialisme, l'oppression des groupes dominants, l'ordre traditionnel figé, la marginalisation des groupes les plus faibles ne peut pas être m e n é e sans s'appuyer sur la dynamique culturelle. L a révolution institutionnelle et la transformation de rapports sociaux de production ne sont possibles que si les individus et les groupes, devenant des sujets- 34 Auto-éducation et cultures novatrices acteurs de la transformation, sont capables de taire en e u x - m ê m e s leur propre révolution et de trouver en e u x - m ê m e s les moyens d'action nécessaires. Tout consiste à adapter les techniques et les institutions aux aspirations et aux besoins des h o m m e s et non d'adapter les h o m m e s aux techniques et aux institutions, c o m m e le font trop souvent les technocrates et les éducateurs traditionnels. Mais dénoncer les structures actuelles d'éducation c o m m e des appareils de reproduction sociale et proposer de les détruire ne suffit pas. L a libération d u désir est u n moteur puissant, mais qui tourne à vide. E n reprenant dans les pratiques quotidiennes, dans tous les domaines de la vie sociale, tous les processus d'élaboration culturelle, depuis la perception et la représentation jusqu'à l'élaboration des projets et à la décision en passant par les désirs, les représentations, les aspirations, en référence aux systèmes de valeurs, aux images-guides, aux modèles, il est possible pour les sujets de se préparer à une action. Ils utiliseront pour cela le savoir qui leur vient de la culture acquise n o n c o m m e instrument de pouvoir, mais c o m m e u n ensemble de moyens à critiquer, à recomposer pour construire u n projet de société où les processus de dominance seront constamment dénoncés et où les techniques et l'économie seront utilisées non c o m m e des instruments de pouvoir, mais c o m m e des moyens de libération. 35 Positions / Controverses Les tests à l'école : aide ou obstacle ? Jerrold R . Zacharias Jerrold R . Zacharias (États- Unis d'Amérique). Professeur emeritus au Massachusetts Institute of Technology (MIT). Directeur du Centre de développement de l'éducation à Newton, Mass. A participé de près à l'établissement du Programme de l'enseignement élémentaire des sciences en Afrique. Dans un article intitulé « Les tests d'aptitude ? Essais à l'aveuglette », l'académicien soviétique Arthur V. Petrovski définissait dans cette rubrique même1 les limites d'une certaine conception du développement psychique qu'il voyait pour sa part directement conditionné par l'environnement socio-culturel de l'enfant et par l'éducation même qui lui est donnée et non comme un processus spontané de révélation des capacités d'un être humain. S'appuyant sur des présupposés peu scientifiques, les tests, selon lui, ne sauraient « sonder quelque essence profonde dénommée 'aptitudes mentales' ». Tout en émettant donc les plus fermes réserves sur cette méthode sans fondement scientifique, il affirmait néanmoins, en fin de son article, que c'est là « un débat aussi vieux qu'inachevé ». Le savant américain dont nous publions ci-après les libres propos revient par un autre biais à l'attaque, mais, bien loin d'infirmer les positions de Petrovski, il n'aborde le problème des tests à l'école que pour dénoncer à son tour les obstacles qu'ils multiplient et institutionnalisent sur la voie du renouvellement des méthodes pédagogiques, de la démocratisation et de l'universalisation de la pensée réellement scientifique. Ainsi, le débat sur les tests se poursuit. A nos lecteurs de s'y joindre. L a seule règle de valeur générale que j'aie jamais constatée dans le domaine de l'éducation, c'est qu'il faut de tout pour faire u n m o n d e . Les gens, et surtout les enfants, présentent une telle variété de types, d'âges, de tailles, de goûts, de besoins, de capacités, d'intérêts et d'origines que les écoles qui doivent accueillir des élèves aussi divers se trouvent devant u n e tâche très difficile, sinon impossible. O r les écoles, tout c o m m e le grand public, se sont laissé dominer par u n certain n o m b r e de mécanismes qui imposent l'homogénéité i. Voir Perspectives, vol. II, n° 2,1973, p. 201 et suiv. 37 Perspectives, vol. V , n° 1, 1975 Jerrold R. Zacharias au lieu de la diversité. Parmi ces mécanismes, les pires sont les tests à grande échelle — en particulier ceux qui sont appliqués au niveau des États, à l'échelle nationale ou internationale. Pendant l'été de 1961, une cinquantaine de personnes se sont réunies à l'Endicott House du Massachusetts Institute of Technology, dans la banlieue de Boston. U n e vingtaine d'entre elles venaient d'Afrique tropicale anglophone, de l'est c o m m e de l'ouest. L ' u n e des nombreuses recommandations formulées par l'ensemble d u groupe soulignait avec force que, lorsque nous saurions de quelle manière commencer, nous devrions entreprendre de rénover l'enseignement élémentaire des sciences en Afrique tropicale. Près de quatre années se sont écoulées avant qu'aucun d'entre nous ne pense que nous savions réellement par où commencer le travail qui devait devenirfinalementl'étude sur l'enseignement élémentaire des sciences en Afrique (African primary science study), fruit des efforts concertés de ressortissants de nombreux pays. M ê m e en 1961, il était évident pour nous que les programmes détaillés et les tests détermineraient en fin de compte ce que les écoles offriraient aux enfants. C e fait est apparu plus clairement que cela n'est d'habitude le cas en février 1965, lors d'une réunion de planification consacrée à la réforme de l'enseignement. Je cite mes notes. « Je reviens d'une conférence d'une semaine, qui s'est tenue à K a n o (Nigeria). Il s'agissait d'établir des plans en vue d'apporter éventuellement des changements importants à l'enseignement élémentaire des sciences en Afrique tropicale, avant tout dans la partie anglophone de cette région. L a moitié des soixante participants représentaient l'Afrique; la plupart des autres venaient des ÉtatsUnis d'Amérique et quelques-uns d u R o y a u m e - U n i . » L a réunion prit la forme d'exposés, de démonstrations en classe et de larges débats. Les premiers exposés ont été ceux d u doyen, A . Babs Fafunwa, et de John H . Gitau, qui ont décrit les travaux en cours dans des centres de Nsukka et de Nairobi. E n outre, E . R . Wastnedge et Leonard Sealey ont rendu compte des expériences scolaires entreprises dans le Leicestershire, et Philip Morrison a fait un exposé sur les principes fondamentaux de l'éducation. Je m e n tionne ces interventions parce qu'elles m e viennent à l'esprit en ce m o m e n t . Elles ne constituent en aucune manière une liste exhaustive. » Il y a eu en outre des cours de démonstration. Mike Savage, qui s'occupe de l'étude sur l'enseignement élémentaire des sciences depuis plusieurs années, a eu récemment l'occasion de travailler en Afrique, en liaison avec le centre de Nsukka. Il s'est rendu à K a n o 38 Les tests à l'école : aide ou obstacle ? une quinzaine de jours avant notre réunion et a travaillé avec huit enseignants africains pendant six heures de cours au total. Ces maîtres (qui n'avaient accompli e u x - m ê m e s que dix à douze années d'études) ont appris alors à faire des leçons tirées de l'étude sur l'enseignement élémentaire des sciences, en particulier « Piles et ampoules » et « Les pendules ». Puis, à notre intention, ils ont donné des cours de démonstration à des enfants de K a n o qu'ils n'avaient jamais eu c o m m e élèves auparavant. » Qu'il s'agisse des exposés ou des cours, tous les aspects de ces activités ont été absolument passionnants. Elles n'ont pas seulement servi à l'initiation de ceux des participants à la conférence qui ne connaissaient pas encore l'étude sur l'enseignement élémentaire des sciences ; elles ont contribué aussi à éclaircir les idées de tous ceux d'entre nous qui s'occupent depuis si longtemps de ce genre d'enseignement. U n accord général s'est manifesté sur les principes pédagogiques conçus pour former des h o m m e s et des femmes ayant chacun leur personnalité, au lieu d'une masse indifférenciée, et propres à combattre les effets abrutissants de la routine et d'une mémoire sans intelligence. Sur tous les problèmes pédagogiques, notre accord a été si unanime que nous avons chargé u n seul participant, Leonard Sealey (Royaume-Uni), de rédiger l'exposé des principes pédagogiques. » Voici le rapport de Sealey. « Apprendre à apprendre suppose la perception des problèmes et l'élaboration de stratégies pour les résoudre. Les enfants ne peuvent apprendre u n tel répertoire que si on leur présente — ou on les laisse chercher e u x - m ê m e s — des situations significatives et complexes, mais auxquelles il est possible de faire face. Ces situations doivent être significatives, c'est-à-dire offrir u n intérêt direct pour l'enfant ; elles doivent être suffisamment complexes pour que les enfants désireux de les explorer de façon assez approfondie puissent discerner de nombreux problèmes connexes. Toutefois, il doit être possible de résoudre ces problèmes sans trop s'écarter d u domaine de l'expérience immédiate ; l'ensemble devrait être maniable. » Les enfants doivent avoir à leur disposition des matériaux et u n équipement qu'ils manipuleront et sur lesquels ils réfléchiront. Ils travailleront avec des objets et non avec des symboles. Les symboles viendront plus tard, mais l'échelle temporelle variera pour chaque enfant. Les problèmes sont résolus par des actions et les individus peuvent être dans l'impossibilité de décrire une solution quelconque par des mots ou de la représenter par u n diagramme. Il est nuisible 39 Jerrold R. Zacharias d'exercer des pressions prématurées pour atteindre ces objectifs3 bien qu'ils soient certainement valables à u n stade ultérieur. » A beaucoup d'égards, cette conférence a abouti à des résultats tout à fait remarquables. N o u s avons tous été d'accord pour penser qu'on peut tirer des principes scientifiques de base de la chimie, de la physique, de la biologie, de la technologie, de l'astronomie, o u de toute combinaison de ces disciplines. C'est seulement dans les établissements d'enseignement supérieur qu'on soutient que les différences entre ces disciplines sont voulues par la nature. C'est uniquement à l'université qu'on trouve la deuxième « tour de Babel », la première ayant été abattue par une langue appelée « anglais approximatif ». N o u s avons tous estimé que l'enfant doit apprendre à se poser luim ê m e des problèmes et non se contenter de mémoriser les réponses d'un autre. L a conférence a souhaité voir naître (et a réussi à susciter) u n esprit de coopération internationale n o n seulement parmi les pays anglophones d'Afrique, mais encore avec d'autres nations anglophones d u m o n d e . L'idée, à laquelle nous avons souscrit, que chaque participant doit ajouter quelque chose à la combinaison d'idées, de processus, de sujets et de mécanismes dont se compose le système d'éducation, a été allègrement mise en pratique. L'étude sur l'enseignement élémentaire des sciences en Afrique est bien devenue l'entreprise en c o m m u n que nous avions jugée possible. Il est intéressant de noter que ni les processus d'apprentissage ni les leçons que les enfants entreprennent d'apprendre ne figuraient dans aucun des programmes envisagés en 1965, ce qui nous semblait pouvoir constituer u n obstacle. U n e cinquantaine de leçons ont été élaborées, testées, remaniées, testées à nouveau et sont disponibles pour être étudiées en classe. Pour les classes primaires élémentaires, il existe des leçons intitulées « L e sable sec », « L e sable mouillé », « Les roues ». Pour les classes primaires moyennes et supérieures, nous avons des leçons intitulées « Les graines », « Les petits animaux », « D e m a n d e au fourmi-lion », « Les moustiques », « Les poussins dans la salle de classe », « Les piles et les ampoules pour lampes de poche », « L a fabrication d'une loupe », « L'estimation des nombres », « U n regard scientifique sur le soi », « L a mesure d u temps », « Équilibrage et pesage » et « Les pendules »x. 1. Il est possible d'obtenir des exemplaires de A teacher's guide to the African primary science program en s'adressant au Science Education Program for Africa, P . O . Box M 188, Accra, G h a n a , ou à l'Education Development Center, 55 Chaptel St., N e w t o n , Mass., États-Unis d'Amérique. [Voir également dans Perspectives, vol. IV, n° 1, l'article de Hubert M . D Y A S I , intitulé « L'enseignement intégré des sciences dans les écoles primaires africaines » (N.d.l.r.).] 40 Les tests à l'école : aide ou obstacle ? Néanmoins, tout ce qu'on peut dire à propos de ce genre de travail ne remplace pas son exécution concrète ou son observation en classe. D e toutes les entreprises d'aménagement des programmes scolaires que je connais, l'étude sur l'enseignement élémentaire des sciences en Afrique m e paraît être de loin celle qui a donné les meilleurs résultats. Manifestement, le programme a suscité u n tel intérêt et les élèves ont travaillé avec tant de zèle que personne n'a semblé se préoccuper des programmes détaillés et des tests. (Je crois savoir que ce programme est maintenant suivi, chaque année, par u n million d'élèves environ.) C e programme a été évalué1, mais c'est là une histoire trop longue pour pouvoir être relatée ici. Toutefois, il est utile d'indiquer le type de questions auxquelles voulait répondre l'équipe d'évaluation, et je reproduis ci-dessous, d'après l'étude de M l l e Duckworth, quelques-unes de ces vingt questions. L'enfant peut-il montrer à quelqu'un d'autre ce qu'il a fait, de manière à être compris ? Se creuse-t-il la tête à propos d'un problème et s'efforce-t-il avec ténacité de le résoudre, m ê m e quand ce problème est difficile ? Donne-t-il son opinion lorsqu'il n'est pas d'accord sur ce qui a été dit ? Est-il disposé à changer d'avis sur quelque chose s'il est mis en présence de faits nouveaux ? Crée-t-il des objets ? Se sent-il libre de dire qu'il ne connaît pas telle ou telle réponse ? Parle-t-il de son travail à d'autres m o m e n t s de la journée ? Fait-il des comparaisons entre des choses qui semblent très différentes de prime abord ? Commence-t-il à poser des questions sur des phénomènes courants ? Lui arrive-t-il de répéter une expérience pour voir si elle donne toujours le m ê m e résultat ? S'appuyant fermement sur les succès qu'a remportés le programme d'enseignement élémentaire des sciences en Afrique (African primary science program), l'Education Development Center ( E D C ) 2 a entrepris i. Eleanor D U C K W O R T H , Evaluation of the African primary science program, Newton, M a s s . , Education Development Center, 1970. 2. L'Education Development Center est u n organisme privé à but non lucratif, qui se livre à des travaux de recherche et de développement dans le domaine de l'éducation. Avec le soutien de fondations, de services gouvernementaux, des milieux des affaires et de l'industrie, l ' E D C exécute une large g a m m e de projets aux États-Unis et à l'étranger. Créé en 1967 par la fusion de ¡'Educational Services Inc. (ESI) et de l'Institute for Educational Innovation (IEI), l ' E D C assure actuellement l'exécution d'un certain nombre de projets relatifs à l'aménagement des programmes d'enseignement et au développement de l'éducation. Ces projets, dont le premier a eu pour résultat la création du Physical Science Study Committee en 1956, vont du niveau préscolaire au niveau universitaire. 41 Jerrold R. Zacharias d'élaborer u n nouveau et vaste programme intitulé P r o g r a m m e de mathématiques, dans lequel on tire parti des sciences, de la technologie et des arts, et où l'on se sert de la télévision et de matériel manipulable (A program in mathematics, drawing upon science, technology and the arts, and using television and manipulable materials). E n fin de compte, on disposera notamment de 65 émissions télévisées de trente minutes et d'un matériel d'expérience connexe. A u lieu d'insister sur l'acquisition de simples mécanismes, le p r o g r a m m e mettra l'accent sur l'application des mathématiques à des situations, problèmes et phénomènes réels, en plaçant cette science dans des contextes pratiques et intéressants. E n d'autres termes, nous nous proposons de dispenser u n enseignement portant sur les quantités, au heu de n'enseigner que l'arithmétique et d'autres abstractions mathématiques. U n e pensée quantitative efficace met à contribution deux types différents d'aptitudes. L ' u n e est l'aptitude cognitive à résoudre les problèmes et, en particulier, le don de simplifier les problèmes difficiles. Il existe tout u n ensemble de techniques appelé 1' « heuristique » qui contribue grandement à simplifier une très large g a m m e de problèmes. Avec de la pratique, ces méthodes reviennent à peu près à « fouiller dans son grenier intellectuel », de façon plus ou moins systématique. N o u s avons l'intention d'enseigner ces manières simples de penser qu'utilisent couramment (et parfois sans le savoir) les professionnels travaillant sur des problèmes quantitatifs, et qui s'appliquent aussi à des problèmes généraux et quotidiens. Ces méthodes doivent leur valeur particulière au fait qu'un petit nombre d'entre elles peuvent mener très loin. D a n s les propositions relatives au nouveau programme de l ' E D C , elles sont formulées c o m m e suit : Observation, preuves et bases de la conviction. Ordre de grandeur des quantités significatives et pertinentes ; mesure. Approximation successive ; utilisation des erreurs ; rétroaction et contrôle des processus itératifs. Reductio ad absurdum — aller jusqu'au bout. Pluralité d'approches. Méfiance à l'égard des principes d'exclusion et d'exhaustion ; et sinon ? Élégance intellectuelle ; efficacité intellectuelle ; goût, style et jugement. Symétrie et invariance. Conditions nécessaires et/mais non suffisantes. 42 Les tests à l'école : aide ou obstacle ? Continuité et discontinuité ; particules et quanta ; interpolation ; extrapolation. Analogie — contraste. Inference ; implication et vérification de l'hypothèse ; vérifiabilité ; insolubilité. Unicité, stabilité, conservation. Équivalence, congruence, identité. Point de vue, changement d'échelle, cadre de référence. Rapport signal-bruit ;fluctuationsmineures et majeures. Règles d u jeu arbitraires. Corrélations et interactions. Anthropomorphisme à l'égard d u m o n d e inanimé. Interroger u n ami. L'autre condition de la pensée quantitative est la familiarité avec des notions et des opérations mathématiques particulières et la capacité d'en faire usage. N o u s en avons déterminé cinq, dont l'ensemble forme les rudiments des mathématiques, en ce sens que leur importance pour l'individu est comparable à la nécessité de savoir lire et écrire. Il est indispensable d'assimiler ces éléments si l'on veut exercer une activité professionnelle avec succès à tous les niveaux d'une société industrielle, excepté les plus bas. Cette liste, qui devrait constituer le m i n i m u m irréductible de la formation mathématique, représente, avec certaines méthodes de solution des problèmes, les objectifs d u programme de l ' E D C : i. Compter et ordonner ; le système de numération ; la notation décimale et les puissances de 10 ; les nombres très grands et très petits, c o m m e 6 x io6 et 6 x io-"6. Les opérations arithmétiques avec u n ou, au plus, deux nombres entiers, c o m m e 7 x 6 = 4 2 . (Nous excluons, par exemple, la théorie des ensembles, les systèmes de numération n o n décimaux, les opérations arithmétiques portant sur des fractions compliquées, c o m m e ——|—, les longues multiplications ou divisions.) 2. L e concept de mesure ; les unités de mesure. L a mesure est le lien principal entre les mathématiques et la réalité, car elle nous permet d'exprimer la réalité par des nombres. L'accent sera mis sur le système métrique, mais pas de manière exclusive. 3. L a capacité de faire à première vue des estimations raisonnables ; par exemple, de taille, de position, de temps et de quantité. Sans cela, il est impossible d'utiliser les mathématiques de manière spontanée et intuitive. 43 Jerrold R. Zacharias 4. L e concept de tracé à l'échelle et l'établissement de cartes ; le concept sous-jacent de rapport. 5. Les graphes à une dimension (lignes graduées) et à deux dimensions (coordonnées). Marginalement, pour ainsi dire, nous avons l'intention d'introduire des éléments empruntés à trois grands domaines qui ne font pas habituellement partie d ' u n programme de mathématiques : les sciences, la technologie et les arts. O n peut utiliser des thèmes tirés de ces domaines c o m m e véhicules pour présenter des concepts quantitatifs à l'élève. Ces thèmes peuvent servir d'auxiliaires pédagogiques, d'exemples concrets et appeler l'attention des élèves sur les objectifs quantitatifs. Si l'on veut que les notions mathématiques constituent u n sujet d'études vivant et n o n u n simple ensemble d'exercices formels, il faut les enseigner dans le contexte de situations « réelles ». L a plupart des gens éprouvent des difficultés avec les abstractions qui dépassent u n certain niveau et réagissent souvent beaucoup mieux à des détails bien précis. D e notre point de vue, le meilleur contexte est constitué par les activités humaines où les mathématiques jouent déjà u n rôle naturel et significatif: les sciences, la technologie et les arts. Ces domaines fournissent d'innombrables exemples pour illustrer et expliquer les thèmes quantitatifs enumeres ci-dessus et montrent que les mathématiques font partie d ' u n ensemble plus vaste. E n outre, beaucoup d'éléments empruntés aux sciences, à la technologie et aux arts se prêtent admirablement à une présentation attrayante et peuvent avoir leur intérêt et leur valeur propres. L e programme devrait présenter de temps en temps des thèmes particuliers tirés de ces vastes domaines, selon les occasions, c o m m e retombées des objectifs principaux. Les buts d u programme diffèrent quelque peu de ceux de l'enseignement des mathématiques tel qu'il est dispensé aujourd'hui dans la plupart des écoles. E n général, nous nous intéressons moins à la capacité de faire des calculs compliqués et nous s o m m e s plus soucieux de faire prendre conscience de la manière dont les mathématiques peuvent refléter et représenter des aspects d u m o n d e considéré dans son ensemble. Il peut être extrêmement satisfaisant — et fort utile — de comprendre que les symboles tracés sur le papier expriment vraiment la réalité, ou de reconnaître les concepts mathématiques lorsqu'ils apparaissent dans des situations concrètes. Peu d'enfants aiment les mathématiques ou en parlent. Mais beaucoup plus d'enfants éprouvent une intense curiosité à l'égard d u m o n d e 44 Les tests à l'école : aide ou obstacle ? et des techniques que les experts emploient pour le comprendre. O n peut mettre cet intérêt au service de l'enseignement des mathématiques. D e plus, le programme fournira u n cadre cognitif à l'intérieur duquel les opérations arithmétiques serviront à atteindre des buts plus intéressants et ne seront pas simplement des fins en soi. D a n s une entreprise aussi vaste, il faut garder présents à l'esprit tous les domaines de préoccupation pertinents : négliger l'un quelconque d'entre eux peut limiter ou m ê m e réduire à néant l'efficacité du travail acharné de nombreuses personnes. N o u s avons défini ces domaines c o m m e suit : le système de numération décimale ; la mesure ; l'estimation ; l'établissement de cartes et le tracé à l'échelle ; les graphes ; le contenu « heuristique » ; la télévision ; le matériel à manipuler ; le matériel imprimé ; les films, les bandes vidéo et les diapositives supplémentaires ; les sciences en tant que véhicules ; la technologie en tant que véhicule ; les arts plastiques et la musique en tant que véhicules ; l'application d u p r o g r a m m e dans les écoles ; l'intervention des enseignants à u n stade initial ; leur formation ; les lectures connexes ; l'application d u programme hors des écoles ; les relations entre la communauté et l'école ; le rôle des parents ; la gestion ; les ordinateurs ; les petites machines à calculer ; les tests ; l'évaluation en tant qu'information en retour pour la mise au point d u programme ; l'évaluation d'ensemble. Chacun de ces éléments mériterait u n examen détaillé et séparé. Si je disposais d'assez de place dans le présent article, je proposerais cette liste c o m m e modèle pour la réforme de l'enseignement, de m ê m e que l'étude sur l'enseignement élémentaire des sciences en Afrique. Mais l'un des éléments se détache nettement. Je le considère c o m m e u n bandit aux aguets, prêt à bondir, surtout dans le cas des écoles moyennes et secondaires. Je pense une fois de plus aux tests. Si les tests et les programmes détaillés sont vraiment les traîtres de la pièce, quel en est le héros ? Certainement pas de meilleures méthodes d'évaluation — bien que nous en ayons grand besoin — mais de meilleures manières d'attirer l'attention de l'enfant et de l'inciter à diversifier ses intérêts. E n règle générale, l'idée sousjacente aux tests traditionnels au niveau des États et à l'échelle nationale ou internationale est de découvrir ce que l'élève « ignore », plutôt que de révéler et d'encourager ses talents et ses goûts. E n face de ce genre de tests, u n système scolaire ne peut guère faire autre chose que d'établir et d'adopter u n programme détaillé officiel. D e nombreux participants à la conférence de K a n o sont arrivés avec des programmes détaillés, parce qu'ils éprouvaient le besoin de 45 Jerrold R. Zacharias classer les élèves et supposaient, par conséquent, qu'ils devraient finalement recourir à des tests normalisés. Mais il est impossible de procéder à u n classement utile et significatif, car les caractéristiques cognitives, comportementales et affectives des individus ne peuvent être décrites convenablement que dans u n vaste espace à plusieurs dimensions. Toute opération de ce genre n'a absolument aucun sens si l'on vise à former des individus ayant des compétences et des intérêts divers. Elle n'a de sens que si les tests sont préparés et appliqués en tant qu' « auxiliaires » afin d'aboutir à u n diagnostic. D e u x ensembles d'études d'évaluation internationales ont été publiés récemment : International study of achievement in mathematics: a comparison of twelve countries1 et International studies in evaluation*. Ces études montrent clairement qu'il existe toujours u n profond malentendu sur le problème des tests. E n 1962, Banesh Hoffmann a publié, sous le titre The tyranny of testing, une critique remarquable des méthodes d'application des tests dans laquelle il écrivait : « P e u de gens se rendent compte des effets de la préférence qui est actuellement accordée aux tests à choix multiple. Ces tests sont devenus le facteur dominant dans la recherche pédagogique ; ils constituent l'étalon — voire la définition m ê m e — d u 'progrès'. Q u a n d , par exemple, des éducateurs désirent comparer les mérites de différentes méthodes d'enseignement, ils sont enclins à le faire 'objectivement' et 'scientifiquement' au m o y e n de tests à choix multiple et, dans le processus de sélection naturelle qui s'ensuit, les 'meilleures' méthodes seront vraisemblablement celles qui reflètent les insuffisances des tests. » Les examinateurs plus éclairés sont très conscients des défauts des tests à choix multiple et d u danger qu'il peut y avoir à faire confiance à telle o u telle méthode d'appréciation, à l'exclusion de toutes les autres. Il est triste de constater à quel point leurs mises en garde ont fait peu d'impression sur les gens qui se laissent convaincre par la propagande des auteurs de tests et qui utilisent ces tests mécaniquement, c o m m e s'ils constituaient u n substitut valable au jugement 3 . » 1. Torsten HüSEK (dir. publ.), International study of achievement in mathematics: a comparison of twelve countries, Stockholm, Almqvist and Wiksell, et N e w York, John Wiley and Sons, 1967. 2. L . C . C O M B E R , J. P . K E E V E S , « Science education in nineteen countries » ; A . C . PURVES « Literature education in ten countries » ; et R . L . T H O R N D I K E , « Reading comprehension education infifteencountries », dans International studies in evaluation, Stockholm, Almqvist and Wiksell, et N e w York, John Wiley and Sons, 1973. 3. Banesh H O F F M A N N , The tyranny of testing, p. 215, N e w York, Collier Books, 1962. 46 Les tests à l'école : aide ou obstacle ? D e toute évidence, les créateurs des tests internationaux n'ont guère accordé d'attention à ce que Hoffmann avait écrit. Dans u n chapitre de l'International study of achievement in mathematics rédigé par les professeurs B . S. Bloom et A . W . Foshay, on peut lire le paragraphe suivant : « Il est u n domaine dont la complexité s'est accrue considérablement depuis 1920 : celui du contrôle des connaissances. Il est possible aujourd'hui d'étudier le degré et la nature de l'incompréhension de telle ou telle matière scolaire chez u n élève avec une subtilité précédemment inconnue. Q u a n d ils sont judicieusement conçus et interprétés, les tests objectifs et modernes de connaissances constituent l'un des plus puissants outils dont dispose la recherche pédagogique. Leur utilisation a permis d'aboutir à des conclusions qui dépassent de loin le sens c o m m u n 1 . » Néanmoins, u n examen des tests e u x - m ê m e s révèle leurs défauts : ambiguïté, ennui, irréalité, banalité, subordination à la capacité de lire avec aisance et de trouver rapidement le bon procédé qui permet de gagner du temps pour passer à d'autres problèmes ; de plus, ils sont peu propres à mettre en lumière des résultats exceptionnels. Ils récompensent généreusement l'expérience de ceux qui ont déjà subi des épreuves du m ê m e type. ( C o m m e ils déterminent souvent la scolarité future de l'élève, il existe bien entendu une bonne corrélation avec l'aptitude à faire le m ê m e genre de choses dans le cours ultérieur de l'existence.) Pis encore, les tests ne récompensent pas les capacités eminentes, la marque d u vrai talent, l'intérêt ou m ê m e le génie. D e nombreux élèves se montrent doués pour jouer au plus fin avec ceux qui ont mis au point les tests — talent qui peut être développé avec de la pratique, mais qui n'a pas généralement d'autre utilité. Outre les injustices qui résultent de notes insuffisantes, de fortes pressions s'exercent tant à l'intérieur des écoles que sur elles pour que soient établis des programmes détaillés contraignants, qui étouffent les dons de la plupart des enfants. Certes, je ne sais pas c o m m e n t résoudre ce problème, mais je pense à quelques expériences. Tout d'abord, il faut enfiniravec le secret. A cet égard, je propose qu'on rassemble une énorme collection de sujets d'examen, classés sous diverses catégories et publiés. Puis, lors d'un examen quelconque, l'élève pourra choisir entre plusieurs d'entre eux. C o m m e 1. B . S. B L O O M , A . W . F O S H A Y , « Formulation of hypotheses », dans Torsten H U S E N (dir. publ.), op. cit., p. 65. 47 Jerrold R. Zacharias il aura vu l'ensemble des questions bien à l'avance, il pourra exploiter ses dons particuliers dans les directions qui les montreront sous leur meilleur jour. A vrai dire, c'est ce que nous voulons qu'il fasse. E n deuxième lieu, les tests devraient faciliter u n diagnostic — pour aider l'élève, les parents, l'enseignant, l'école, le système scolaire. N o u s devons donc savoir n o n seulement ce que l'élève a répondu, mais aussi pourquoi il a fait cette réponse. C e n'est pas une tâche impossible à une petite échelle, s'il y a une intervention humaine à chaque étape, dans chaque cas. Mais si l'on soumet des millions d'élèves à des tests, on est tenté de recourir à des dispositifs électroniques. Cette méthode peut se révéler difficile et coûteuse au début, mais nous devons apprendre à l'appliquer. E n troisième lieu, dans le domaine scientifique, la vérification consiste essentiellement à constater qu'une théorie ou u n résultat particulier concorde avec les données fournies par diverses observations. Ainsi, nous ne pouvons vérifier de manière satisfaisante des questions offrant cinq options au m o y e n d'autres questions d u m ê m e type. N o u s ne pouvons vérifier de nouveaux tests d'intelligence au m o y e n de tests plus anciens. A u contraire, nous devons explorer le processus de vérification à l'aide de tous les mécanismes imaginables, ou cesser de nous considérer c o m m e des scientifiques. J'ai souvent dit que les tests sont la gestapo des systèmes d'éducation. C o m m e l'uniformité et la rigidité exigent u n organe d'exécution, j'ai choisi de donner à cet organe u n n o m particulièrement péjoratif. L'arbitraire, le secret, l'intolérance et la cruauté le caractérisent. 48 Pièces pour un dossier L'éducation dans les pays les moins développés Présentation Ethiopie, Guinée, Haïti, Haute-Volta, Laos, LeEn 196c, l'Assemblée générale des Nations Unies demandait au Secrétaire général de «.procéder à un sotho, Malawi, îles Maldives, Mali, Népal, Niger, Ouganda, Rwanda, Samoa-Occidental, Sikkim, examen complet des problèmes spéciaux qui se Somalie, Soudan, République-Unie de Tanzanie, posent aux pays en voie de développement les Tchad, Yemen. moins avancés et de recommander des mesures spéciales à appliquer dans le cadre de la IIe Décennie En 1971, l'Assemblée générale des Nations des Nations Unies pour le développement en vue de Unies approuva cette liste par une résolution spérésoudre ces problèmes ». cifique et demanda aux organisations du système Pour identifier les pays devant entrer dans ce des Nations Unies de tenir pleinement compte des besoins spéciaux de ces vingt-cinq pays lors de l'élagroupe, la Conférence des Nations Unies sur le boration de leurs programmes d'activités et dans la commerce et le développement (UNCTAD) et le sélection des projets à financer. Comité de la planification du développement du Conseil économique et social devaient retenir les En exécution de cette résolution, la Conférence critères suivants : faible revenu individuel, prédo- générale de V Unesco, en 1972, autorisait à son minance d'une agriculture de subsistance, faible tour le Directeur général à y donner suite, mais, niveau d'industrialisation, d'éducation, pénurie de avant d'arrêter une série de mesures concrètes en main-d'œuvre qualifiée, faible organisation admi- faveur des « vingt-cinq », V Unesco compte d'abord nistrative et gouvernementale, infrastructure éco- organiser en 197S une réunion des hauts fonctionnomique inadéquate ou rudimentaire, coût des naires des ministères de l'éducation de ces pays et transports élevé, insuffisance des services de santé,c'est pour préparer cette conférence qu'une réunion enfin, faible superficie de la plupart de ces pays et d'experts s'est tenue à ¡'Unesco en juillet 1974. limites correspondantes de leurs marchés internes. Les experts s'étaient vu confier la tâche d'établir Ces caractéristiques ont servi à dégager trois in- une sélection des thèmes prioritaires pour la réunion des vingt-cinq et d'examiner comment dicateurs principaux : produit national brut de V Unesco pourrait, dans le domaine de l'éducation, 100 dollars des États-Unis d'Amérique ou moins contribuer à la révision des orientations et des per capita ; part de 10 % ou moins de l'industrie modalités de l'aide internationale afin de rendre dans le produit national brut; taux d'alphabétisacelle-ci plus efficace et mieux adaptée aux besoins tion — c'est-à-dire pourcentage des personnes aldes pays les moins développés. phabétisées dans le groupe d'âge de 15 ans et au-dessus — de 20 % ou moins. Sur la base de ces Le débat préliminaire a fait nettement ressortir indicateurs, le Comité pour la planification du qu'il y avait deux manières opposées d'aborder la développement avança le nom des pays suivants question de l'éducation et du développement. Selon comme constituant le noyau le moins développé la première, l'éducation est considérée comme essenparmi les pays en voie de développement : Afghatiellement liée à l'organisation en classes de la sonistan, Bhoutan, Botswana, Burundi, Dahomey, ciété. Partant de cette hypothèse, une conception 50 Perspectives, vol. V, n° 1, 1975 Présentation globale de l'éducation doit être fortement préconisée. Dans la seconde approche, on tend à considérer V'éducation comme une institution distincte dans la société et à présumer, par conséquent, que ses problèmes sont de nature presque exclusivement technique, en sorte que les problèmes du système éducatif sont considérés comme découlant simplement de facteurs tels que la formation des enseignants, les programmes des enseignants, le matériel, etc. Selon les experts, les résultats du système éducatif de chacun des vingt-cinq pays doivent tout d'abord être analysés de manière approfondie, avec recours, s'il le faut, aux principes et aux stratégies proposés dans Apprendre à être. Par là, il s'agira essentiellement d'identifier les raisons de l'échec des systèmes éducatifs des pays les moins développés et de déterminer en quoi les réformes éventuellement opérées ont été impuissantes à redresser la situation. Une évaluation précise des facteurs, tant intérieurs qu'internationaux, qui ont entraîné ces échecs s'impose autant peut-être qu'un sérieux examen parallèle des réformes qui, dans d'autres pays, ont donné de bons résultats. On a estimé d'autre part qu'il était de la plus haute importance d'envisager « globalement » l'éducation et le développement afin de bien comprendre les problèmes qui se posent aux vingt-cinq en matière d'éducation, celle-ci devant être considérée comme partie intégrante du processus plus large de développement national et en tenant compte des liens internationaux. La question de la langue, et plus précisément celle de la langue nationale, a été considérée comme vitale dans tout système éducatif, car elle débouche sur d'autres problèmes majeurs de culture nationale, de manuels, de publications, de diffusion de matériel éducatif, etc. L'éducation rurale — coopératives scolaires, éducation des adultes, alphabétisation et services de vulgarisation des connaissances techniques — devrait occuper une place centrale dans tout développement de l'éducation dans ces pays tout en s'intégrant dans le système éducatif général. Enfin, l'élaboration de programmes d'enseignement, l'éducation des femmes et le perfectionnement du personnel (enseignants et administrateurs) ont été considérés par les experts comme des as- pects essentiels du développement de l'éducation de tout pays. En prévision de la réunion des hauts fonctionnaires des vingt-cinq, dont les débats seront à beaucoup d'égards significatifs, et sans préjuger leurs conclusions et recommandations, Perspectives a tenu à y apporter sa contribution en consacrant un Dossier aux problèmes de l'éducation dans les pays les moins développés. Nous avons donc demandé à quelques spécialistes — dont la plupart vivent au cœur même de ces problèmes — de réfléchir à quelques thèmes qui nous ont paru hautement prioritaires : nature du développement souhaité, voire nécessaire, et réorientation corrélative du système éducatif; stratégie de conjugaison de l'éducation et du travail productif à la lumière d'expériences avortées ou réussies; rôle et économie de la réhabilitation des langues et des cultures nationales dans les systèmes éducatifs; que peut être la contribution de la technologie — sous quelles formes et à quelles conditions — dans le décollage tout à la fois de l'éducation et du développement? quels infléchissements et quelles configurations nouvelles imprimer aux mécanismes traditionnels de l'aide, bilatérale et internationale, pour la rendre plus rapide et plus efficace dans la solution des problèmes éducatifs spécifiques des vingt-cinq ? Autant d'interrogations préalables à toute formulation correcte de la problématique. Quant aux trois derniers articles, chacun à sa manière décrit un effort déjà amorcé; ce qui montre bien, s'il le fallait, que pour être peu développés, ces pays n'en sont pas moins conscients de l'ampleur du défi à relever, qu'ils ont posé des premiers jalons et que, comptant certes sur la coopération internationale, beaucoup parmi eux ont eu la sagesse de compter d'abord sur euxmêmes. A la réflexion et à quelques degrés près, les problèmes que l'on a pensé être spécifiques aux vingtcinq peuvent bien être aussi ceux de beaucoup de pays en développement ; la réponse qui y sera apportée par l'effort conjugué et solidaire des pays eux-mêmes et de la coopération internationale est de la responsabilité de la communauté mondiale tout entière, sans plus de distinction entre développés et sous-développés ni de superlatif, absolu ou relatif. 51 Samir Amin Quelle éducation pour quel développement ? O n ne saurait parler de l'éducation sans se poser la question préalable de sa fonction dans la reproduction sociale. Celle-ci se situe sur deux plans, celui de la production idéologique et celui d u développement des forces productives, et, dans ce double cadre, l'éducation n'est adéquate — efficiente — que dans la mesure où ses fonctions dans la reproduction s'articulent correctement selon les exigences propres d u m o d e de production dominant caractéristique d'une société. Et dès lors que la société ne peut être réduite à son infrastructure, c o m m e n t se définissent les rapports entre celle-ci (l'instance économique) et la superstructure (l'instance politico-idéologique) à laquelle ressortit l'éducation ? Ces rapports ne sont pas identiques d'un m o d e de production à l'autre. Certes, quel que soit le m o d e de production, l'instance économique est déterminante en dernier ressort si l'on accepte cette réalité que la vie matérielle conditionne tous les autres aspects de la vie sociale, c'est-à-dire que le niveau de dévelop- Samir Amin (République arabe d'Egypte). Économiste. Directeur de l'Institut africain de développement économique et de planification (Dakar). A enseigné aux universités de Poitiers et de Vincennes (France). Auteur de plusieurs ouvrages sur l'économie, parmi lesquels on peut citer L'économie d u M a g h r e b ; Trois expériences africaines de développement : le Mali, la Guinée et le G h a n a ; L'accumulation à l'échelle mondiale ; L e développement inégal. 52 Perspectives, vol. V , n° i, 1975 pement des forces productives, en déterminant le volume relatif d u surplus, conditionne la civilisation. Mais il importe de distinguer cette détermination en dernière instance de la dominance de l'instance économique ou de celle d u politico-idéologique. Instance économique et instance idéologique D a n s tous les m o d e s de production précapitalistes, la génération et l'emploi de surplus sont transparents. Les producteurs ne peuvent donc accepter la ponction de ce surplus qu'ils produisent et dont ils se savent être les producteurs que s'ils sont « aliénés » et croient cette ponction nécessaire pour la survie de l'ordre social et « naturel ». L'instance politico-idéologique prend alors nécessairement la forme religieuse et domine la vie sociale. D a n s ces cas, d'ailleurs, si le surplus ponctionné n'est plus utilisé « correctement » — c'est-à-dire pour maintenir, reproduire et développer l'État et la civilisation — s'il est « gaspillé » par des envahisseurs pillards ou u n « mauvais roi », les producteurs se révoltent pour imposer u n « gouvernement juste », l'ordre naturel et les lois divines ayant été violés. Lorsque, d'un autre côté, le maintien et le développement de cet ordre social exigent le bon fonctionnement de groupes sociaux spécifiques, c o m m e la bureaucratie civile ou militaire ou la Quelle éducation pour quel développement ? théocratie au service de la classe État tributaire, ces groupes occupent une place centrale dans l'histoire politique de la société. L'observateur empiriste de l'histoire, quand il croit y voir la résultante de luttes idéologiques (conflits religieux) ou politiques (conflits de clans), est victime de la m ê m e aliénation que la société qu'il étudie. A u contraire, dans le m o d e de production capitaliste, la génération d u surplus est opaque. C'est là certainement, c o m m e l'a signalé M a r x lui-même, l'apport essentiel d u Capital : la transformation de la plus-value en profit. Les « économistes » étroits ont vu dans cette transformation une contradiction formelle (la prétendue contradiction entre le livre I et le livre II du Capital). Cela montre seulement qu'ils sont eux-mêmes victimes de l'aliénation économiste. Car cette transformation fait disparaître l'origine d u profit (la plus-value), fait apparaître le capital (un rapport social) c o m m e une chose (les équipements dans lesquels s'incorpore ce pouvoir social) et dote cette chose d'un pouvoir surnaturel : celui d'être productif. L e qualificatif de « fétichisme » que M a r x attribue à ce processus mérite bien son n o m . A u plan des apparences, dans le m o d e capitaliste, le capital paraît donc productif, c o m m e le travail ; le salaire semble être la rémunération juste d u travail (alors qu'il représente la valeur de la force de travail), c o m m e le profit la compensation de services rendus par le capital (risque, épargne-abstinence, etc.). L a société ne maîtrise plus l'évolution de sa vie matérielle : celle-ci apparaît c o m m e la résultante de lois qui s'imposent à elle c o m m e des lois physiques, naturelles. Les lois économiques — l'offre et la demande de m a r chandises, de travail, de capital, etc. — sont le signe de cette aliénation. C'est pourquoi la science économique sera idéologie — idéologie des « harmonies universelles » — et réduira les lois sociales au statut de lois de la nature indépendante de l'organisation sociale. Si l'instance économique est mystifiée, en revanche, la politique est démystifiée : elle n'est plus religion. L a vraie religion de la société capitaliste, c'est l'économisme, en termes vulgaires le « portemonnaie », c'est-à-dire le consumismo, le culte de la consommation pour elle-même, sans référence aux besoins. L a crise de la civilisation contemporaine se retrouve tout entière ici, dans la mesure où cette idéologie raccourcit l'horizon temporel de la société et lui fait perdre de vue la perspective de son devenir. E n m ê m e temps, la politique devient c h a m p de rationalité affirmée. Les groupes sociaux qui remplissent des fonctions au niveau de cette instance sont naturellement et clairement au service de la société ; ils n'apparaissent à aucun m o m e n t c o m m e ses maîtres1. La crise de l'éducation dans les pays capitalistes C'est à partir de ces prémices que nous pouvons commencer à réfléchir sur le rôle de l'éducation dans la société. Il résulte en effet de ce qui vient d'être proposé pour analyser les rapports entre la superstructure et la base économique de la société que l'éducation des sociétés précapitalistes a pour objet essentiel une formation idéologique de type religieux, seule capable d'assurer la soumission de la société à la ponction d'un surplus transparent. Simultanément l'autre objet de l'éducation, la formation technique des producteurs, est non seulement limité par le niveau réduit des exigences (et largement acquis « sur le tas » dans l'apprentissage d u métier), mais encore soumis à la cosmologie religieuse où la technique c o m m e les sciences de la nature puisent leurs justifications. Pour la reproduction de la classe dominante — oisive — la formation religieuse, considérablement plus poussée, suffit. i. Voir Samir A M I N , Le développement inégal, chap. I et II, Paris, Éditions de Minuit, 1973 ; et « L ' h o m m e et la société », Anthropos (Paris), n° 31-32 (Éloge du socialisme), 1974. Voir aussi J. H A B E R M A S , La technique et la science comme idéologie, Paris, Gallimard, 1973. 53 Samir Amin L e capitalisme a bouleversé radicalement ces conditions et, partant, la place de l'éducation dans la reproduction sociale. Cependant, au XIX e siècle, la reproduction de la bourgeoisie est assurée assez simplement d'une part par l'héritage des fortunes (et la famille), et d'autre part par l'éducation humaniste et élitiste. L e contenu idéologique de cette éducation est clair. Il repose sur une fausse science sociale, qui remplit parfaitement sa fonction. L e développement industriel exige celui des sciences de la nature et leur spécialisation grandissante. Parallèlement, la science sociale doit être aliénée, et, pour cela, on en définit l'objectif en le calquant sur celui des sciences de la nature : la réalité sociale peut être observée de l'extérieur, les lois sociales (notamment économiques) s'imposent c o m m e celles de la nature. L'empirisme et le positivisme sont les philosophies de cette réduction. Dans ces conditions l'éducation sociale d u bourgeois n'a pas pour objet d'accroître sa maîtrise consciente sur la société. A u contraire, cette maîtrise passe par l'aliénation d u bourgeois lui-même, qui doit laisser faire les lois économiques, c o m m e la nature. Cette éducation prépare bien les politiciens du système, qui sont ses idéologues. Parallèlement, l'accélération fantastique d u rythme d u développement des forces productives, due à ce fait essentiel que désormais le progrès est inhérent à la machine économique et non plus externe, exige la formation complémentaire de techniciens, simultanément à la déqualification du travail simple. L'école européenne d u xixe siècle remplit parfaitement cet ensemble de fonctions : l'école primaire pour la formation idéologique (dite « civique ») des masses, tandis que la formation des métiers se perd avec la déqualification d u travail, l'école secondaire et l'université étant réservées à la formation de la bourgeoisie, principalement politicienne, accessoirement technicienne. C'est cette éducation qui est entrée en crise ; et cela, évidemment, à l'échelle mondiale. C'est pourquoi toute une série de manifestations de cette crise sont c o m m u n e s aux pays sous- 54 développés c o m m e aux pays développés, bien que ceux-là offrent, dans ce domaine c o m m e dans les autres, quelques caractères spécifiques. L a base de cette crise c'est d'abord la crise de la base du système. L a centralisation progressive du capital supprime peu à peu la réalité d u marché — fondement objectif de l'aliénation marchande — mais elle en conserve la forme, parce que le moteur d u système — le profit — demeure. Dans ces conditions, le système évolue vers u n nouveau m o d e de production où, la ponction d u surplus redevenant transparente, l'idéologie devient à nouveau instance dominante. C e changement a été décrit par Georges Orwell dans son roman d'anticipation 1984, et analysé par l'école philosophique de Francfort, notamment par H . Marcuse 1 et J. Habermas 2 . E n m ê m e temps la centralisation du capital supprime le capitaliste, en pulvérise les fonctions. L'héritage perd son importance majeure ; la transmission s'opère dans u n cadre institutionnel. D u coup la famille elle-même entre en crise. L'école devrait alors remplir des fonctions plus importantes que jamais, en rapprochant le système de celui d u mandarinat. C e qui correspond bien aux exigences d'une nouvelle société totalitaire, celle de « l'homme unidimensionnel ». Parallèlement, dans le domaine des sciences de la nature et des technologies, la spécialisation n'a plus pour fonction l'efficacité scientifique. Elle remplit une fonction nouvelle, celle de justifier une division d u travail de plus en plus ramifiée, condition d'une hiérarchisation des salaires qui se substitue aux alliances de classes antérieures. Mais cette division d u travail devient dysfonctionnelle, et la révolte contre la division d u travail menace le système à ses racines m ê m e s . Pour se reproduire, le système doit donc poursuivre une mutation idéologique : faire de la science et de la technique une idéo- 1. H . M A R C U S E J L'homme unidimensionnel, Paris, Éditions de Minuit, 1968. 2. J. HABERMAS, op. cit. Quelle éducation pour quel développement ? logie, selon la formulation heureuse de J. H a bermas. Tout le système d'éducation d u xixe siècle est ainsi devenu dysfonctionnel. L'échec du modèle d'éducation emprunté O r c'est précisément à ce m o m e n t m ê m e qu'on tente de l'étendre aux pays sous-développés, en faisant c o m m e toujours l'hypothèse à la Rostow d'un développement linéaire selon lequel ces pays seraient seulement en retard, alors qu'ils sont dominés et façonnés de manière spécifique par cette domination, hier encore brutalement coloniale pour beaucoup d'entre eux, aujourd'hui par des canaux plus subtils de la division internationale inégale d u travail1. L'éducation coloniale avait le mérite d'être cohérente dans sa brutalité cynique. Elle s'assignait deux objectifs : d'une part la destruction du système traditionnel complexe de formation autonome, en vue de déraciner la culture et la conscience nationales, et d'autre part la formation d'une élite de serviteurs subalternes. L'éducation de ce groupe n'avait pour objet principal ni de former une bourgeoisie à l'image de celle de la métropole ni de former les scientifiques et techniciens capables de développer la technologie, mais seulement de produire des individus aliénés par le contenu m ê m e de ce qu'on leur aurait enseigné (volontairement : une langue étrangère, l'histoire de la métropole, etc.), c o m m e l'a si clairement montré A b d o u M o u mouni 2 . N i le contenu de cette éducation ni la quantité d ' h o m m e s formés de cette manière ne devaient permettre un développement auton o m e quelconque de la société. A u début des années soixante, avec l'indépendance, les programmes dans ce domaine s'assignaient pour seul objectif la croissance accélérée de ce type d'éducation. O r il était évident que le coût de cette formation allait devenir exorbitant, pour deux raisons principales au moins. L a première est que l'objectif en matière d'éducation était en avance par rapport aux besoins réels d u progrès économique tel qu'il était envisagé, donc aux moyens du financement local. O n pensait certes qu'en forçant l'éducation on accélérerait le progrès économique ; on rejetait alors implicitement la thèse de la planification de l'éducation parce que celle-ci est nécessairement conservatrice : elle adapte le flux d'éducation aux besoins d u marché. L a seconde raison est que l'école envisagée était celle d u m o n d e développé et que dans cette perspective les maîtres, appartenant à l'élite donnée en modèle, devaient être rémunérés selon des critères leur assurant un style de vie dont le niveau est sans c o m m u n e mesure avec celui des grandes masses rurales et urbaines. O n pensait surmonter ces difficultés, principalement financières, par une aide extérieure massive. Pourtant, m ê m e lorsque les moyens financiers ont permis d'accélérer considérablement les rythmes de ce type de scolarisation, l'échec n'en est pas moins patent et s'est manifesté par divers phénomènes sociaux : exode rural accéléré, chômage de diplômés, en m ê m e temps que l'efficacité de l'éducation allait en diminuant. Dans le domaine de l'éducation c o m m e dans les autres, on avait accepté la thèse conventionnelle d u « sous-développement = tradition = retard ». Les modèles du m o n d e développé devaient donc être imités ici c o m m e le sont les modèles de consommation et les techniques de production. L'aide extérieure devait jouer ici le m ê m e rôle accélérateur que le capital étranger en matière de développement économique, sans remettre en question l'orientation extravertie de celui-ci. O r le modèle m ê m e de la croissance dépendante et extravertie acceptée devait se solder, c o m m e l'histoire l'a démontré, par une très i. W . W . R O S T O W , Les étapes de la croissance, Paris, Éditions du Seuil, i960. Pour une critique, voir Samir A M I N , Le développement inégal, op. cit. 2. Abdou MouMOUNl, L'éducation en Afrique, Paris, Maspero, 1964. 55 Samir Amin grande inégalité dans sa distribution et ses effets. Cette inégalité s'est manifestée d'abord à l'échelle mondiale par l'élargissement du fossé qui sépare les pays développés des pays sousdéveloppés ; ensuite à l'échelle d u tiers m o n d e par la concentration de la croissance dans quelques pays, et m ê m e dans seulement certaines régions de ces pays, et la stagnation de la majorité des pays et des zones; enfin à l'échelle nationale de chacun des pays du tiers m o n d e par l'accentuation des inégalités sociales. E n m ê m e temps le modèle de la croissance dépendante accepté signifiait l'approfondissement de l'intégration dans le système mondial, c'est-à-dire l'accentuation de la transmission des modèles dominants. D e cet échec réel d u développement devait découler celui de l'éducation. D ' u n e part, l'intégration grandissante dans le système mondial allait amplifier les effets de démonstration tandis que, d'autre part, le système économique était de moins en moins apte à satisfaire les espérances éveillées. Ces problèmes sont évidemment c o m m u n s à tous les pays du tiers m o n d e ; mais ils se présentent dans les pays dits les « moins développés » d'une manière particulièrement aiguë d u fait que ces pays ont été les plus grandes victimes d u modèle de développement extraverti. 56 E n m ê m e temps, ici encore plus qu'ailleurs, les incohérences grandissantes par lesquelles le modèle d'éducation emprunté se caractérise à l'échelle mondiale m ê m e , c'est-à-dire par rapport aux exigences d u système dans son centre m ê m e (qui est l'objectif proposé), éclatent d'une manière qui prend les proportions d'une caricature. O n sent alors pourquoi ces pays sont, dans ce domaine c o m m e dans les autres, des « maillons faibles » : les illusions d'une croissance « acceptable » dans le système y sont nécessairement minces. Aussi bien voit-on clairement les grandes lignes tout autant d'une stratégie de développement autocentrée que d'une éducation radicalement différente d u modèle emprunté. L a stratégie doit partir d'une définition directe des besoins des grandes masses, sans référence au modèle européen ; elle doit être nécessairement égalitaire ; elle doit compter essentiellement sur ses propres forces ; elle doit aider à éveiller une capacité d'innovation technologique autonome. A cette stratégie correspondent des formules d'éducation populaires et généralisées, égalitaires, ajustées directement aux besoins des grandes masses par l'association de la théorie et de la pratique, susceptibles de démystifier le modèle de civilisation imité jusqu'ici. Manzoor Ahmed Éducation et travail : éléments pour une stratégie Les systèmes éducatifs laissent visiblement beaucoup à désirer sur le plan de la préparation à l'emploi. Certains phénomènes fort répandus le montrent bien : trop d'élèves veulent poursuivre leurs études à u n niveau supérieur de l'enseignement traditionnel au lieu d entrer dans le m o n d e d u travail ; trop d'élèves comptent trouver u n emploi (avec la rémunération et le prestige qui s'y attachent) d'un type qui n'existe pas ; trop d'élèves ne trouvent pas u n emploi où ils auraient l'occasion d'utiliser leurs compétences ; trop d'élèves enfin ne trouvent absolument aucun emploi rémunéré. Il y a donc u n problème de débouchés à la sortie de l'école et de « chômage des intellectuels ». II est particulièrement inquiétant, surtout, qu'un grand nombre d'adolescents et d'adultes — une large majorité dans les pays les plus pauvres — occupent o u prennent, pour u n salaire de misère, des emplois dans lesquels leur productivité est très faible quand ils ne sont pas purement et simplement en chômage et qu'aucun enseignement susceptible d'influer sur leur productivité et leur rémunération1 ne soit organisé à leur intention. La situation Examinons, tout d'abord, le cadre dans lequel s'inscrit le problème, c'est-à-dire la situation des pays en voie de développement les plus pauvres. Bien que ces pays ne forment pas une catégorie homogène et que toute généralisation puisse être dangereuse, ils ont en c o m m u n certains handicaps naturels et historiques qui ont freiné, à des degrés divers, leur processus de développement 2 . Ces pays sont généralement m a l dotés en richesses naturelles : la terre y est aride (sauf i. Pour un examen du problème de l'emploi dans les pays peu développés sur la base des constatations de missions pilotes organisées dans le cadre d u Programme mondial de l'emploi de T O I T , voir Bureau international Manzoor Ahmed (Bangladesh). Directeur associé des du travail, Strategies for employment promotion, Genève, études sur la stratégie de l'éducation au Conseil intert973» et) en particulier, Richard J O L L Y , Dudley SEERS national pour le développement de l'éducation (CIDE), et Hans S I N G E R , « T h e pilot missions under the world employment programme », et Erik T H O R B E C K E , « T h e Essex, Conn. (États-Unis d'Amérique). A enseigné à employment problem: a critical evaluation of four I L O ¡'Institute of Education and Research, Université de comprehensive country reports ». Dacca. Coauteur de deux ouvrages de la série du CIDE sur l'éducation non institutionnalisée : L ' é d u - 2. Pour une typologie possible du sous-développement, voir Tibor M E N D E , « L'aide dans son contexte », cation périscolaire au service d u développement rural : Perspectives, vol. I V , n° 2 , 1974, p. 212. L a plupart renforcement des possibilités de formation offertes — mais non la totalité — des pays les plus pauvres aux enfants et aux jeunes et Attacking rural poverty: entreraient probablement dans la première catégorie h o w nonformal education can help. que distingue M e n d e (N.d.l.r.). 57 Perspectives, vol. V , n° 1, 1975 Manzoor Ahmed quelques exceptions, c o m m e celle d u Bangladesh), les ressources minérales peu nombreuses et les sources d'énergie limitées. L a densité absolue de la population n'est pas toujours très forte, mais, compte tenu du fait que le milieu naturel de certains de ces pays est inhospitalier, elle est généralement assez élevée par rapport à la superficie des terres exploitables, d'autant plus que les progrès réalisés dans le m o n d e en ce qui concerne la lutte contre les épidémies et la famine ont entraîné u n accroissement considérable de la population. Les économies nationales manquent de dynamisme et sont caractérisées par la coexistence d'un petit secteur moderne à croissance lente et d'un important secteur de subsistance dont une partie reste encore en dehors de toute transaction m o n é taire. Il y a aussi u n petit « secteur informel » — étape méconnue entre le secteur rural de subsistance et le secteur urbain moderne — où ceux qui ont déserté le premier sans pour autant trouver place dans le second gagnent chichement leur vie en se livrant à de menus travaux1. campagnes, où la proportion des enfants qui le terminent est inférieure à 25 % de la population totale de ce groupe d'âge2. D e plus, rien ne permet d'espérer qu'un type quelconque d'enseignement scolaire sera largement offert à la population dans u n avenir prévisible3. D o n c , quoi qu'on fasse pour améliorer (notamment en y introduisant u n enseignement fonctionnel) et multiplier les écoles traditionnelles, et quels que soient les succès ainsi obtenus, la majorité des personnes qui ont le plus besoin d'une aide pour se préparer à gagner leur vie ne seront pas touchées. L e sous-développement des pays les plus pauvres implique que le petit secteur moderne à économie monétaire emploie une faible proportion de la main-d'œuvre, en général moins de 20 % du total, et que le rythme des créations d'emplois y est faible ( m ê m e si les technologies à forte intensité de main-d'œuvre sont encouragées) puisque ce secteur est limité en chiffres absolus. U n e écrasante majorité de ceux qui La structure socio-économique est généralement caractérisée par la rigidité et par des inégalités criantes : le pouvoir est accaparé par une élite, tandis que les besoins des m a s ses et le développement des campagnes sont négligés. L'infrastructure matérielle du développement — moyens de transport et de c o m m u n i cation, ouvrages d'irrigation, centrales électriques — est tout à fait insuffisante. D e m ê m e , l'infrastructure institutionnelle — administration, établissements financiers et de crédit — m a n q u e de vigueur et de personnel compétent. Tous ces facteurs produisent u n grave syndrome de sous-développement dont les nations pauvres souffrent de façon plus o u moins intense. 1. Voir O I T , Employment, incomes and equality: a strategy for increasing productive employment in Kenya, Genève, 1972. 2. Par rapport à cette population, le pourcentage des enfants inscrits dans les écoles de certains pays africains était estimé c o m m e suit en 1970 : Ethiopie, 15 ; G a m bie, 30 ; Libéria, 36 ; Malawi, 39 ; Nigeria, 31 ; O u ganda, 43 ; Sierra Leone, 36 ; Somalie, 9 ; RépubliqueUnie de Tanzanie, 33 (Bureau régional de l'Unesco pour l'éducation en Afrique, Selected statistical data on 35 countries of sub-Sahara Africa, Dakar, 1972). Bien entendu, le taux d'achèvement après abandons serait beaucoup plus faible. E n outre, les statistiques sur le pourcentage d'inscriptions sont généralement gonflées. Voir Philip H . C O O M B S , R o y P R O S S E R , Manzoor A H M E D , L'éducation périscolaire au service du développement rural : renforcement des possibilités de formation offertes aux enfants et aux jeunes, p. 27-29, N e w York, Conseil international pour le développement de l'éducation, février 1973. L'état de sous-développement des nations les plus pauvres implique que le système d'établissements scolaires est encore limité : m ê m e le cycle primaire n'est achevé que par une petite minorité d'enfants — en particulier dans les 58 3. O n lit par exemple dans Uganda thirdfiveyear development plan, p. 328 (document relatif au troisième plan de l'Ouganda) : « Si ... le taux d'accroissement de la population continue c o m m e à présent à s'accélérer progressivement, l'enseignement primaire universel ne deviendra une réalité que plusieurs décennies après la fin de ce siècle, sauf si u n pourcentage disproportionné des ressources du pays est consacré au développement de l'enseignement primaire. » Éducation et travail : éléments pour une stratégie atteignent l'âge de travailler doit trouver place dans l'agriculture et dans d'autres professions rurales et aucun changement fondamental n'interviendra à cet égard dans un avenir prévisible. Aussi efficaces et fructueux que soient les programmes de formation orientés vers le secteur moderne, ils ne peuvent donc guère contribuer par eux-mêmes à résoudre le problème de l'emploi. L e sous-développement des pays les plus pauvres implique aussi que l'économie rurale ne parvient pas à sortir d'un cercle vicieux (faible demande, faible productivité et faible revenu) et qu'elle subit constamment la pression d'une foule toujours croissante de personnes en âge de travailler qui n'ont aucun autre débouché. Cette situation, jointe à de maigres ressources en capital, à une infrastructure institutionnelle insuffisante, à une infrastructure matérielle médiocre, au petit nombre de bons gestionnaires et, souvent, à des politiques qui manquent de nerf, ne laisse aucun espoir de créer des emplois productifs de revenus en se bornant à des actions de formation — m ê m e dans les domaines où former du personnel qualifié est jugé nécessaire et opportun. Trois types de réponses Maintenant que nous avons brossé ce sombre tableau, examinons les efforts déployés pour s'attaquer au problème d u m a n q u e de concordance entre l'enseignement, d'une part, et les emplois que les élèves se voient et comptent se voir offrir, d'autre part. Ces efforts peuvent être groupés en trois catégories principales. Première catégorie : toutes les variantes des réformes visant à réorienter l'enseignement général traditionnel d u premier et d u second degré pour le rendre plus concret et plus fonctionnel, y compris la « ruralisation » de l'enseignement primaire et la « professionnalisation » de l'enseignement secondaire. Deuxième catégorie : développement de l'enseignement pro- fessionnel à proprement parler, avec, outre u n enseignement professionnel et technique traditionnel, des initiatives tendant à assouplir l'enseignement professionnel et à mieux l'adapter aux possibilités d'emploi, d'une part; et une évolution vers une conception moins institutionnalisée et plus informelle de l'enseignement professionnel traditionnel, d'autre part. Troisième catégorie : les actions entreprises pour offrir, surtout dans les zones rurales, à des clientèles qui, jusqu'à présent, ne sont généralement pas touchées par le système éducatif, des possibilités de bénéficier d'un enseignement professionnel ou d'une formation dispensés en dehors des établissements traditionnels. ENSEIGNEMENT GÉNÉRAL FONCTIONNEL Pour autant que nous le sachions, il n'y a eu aucune évaluation internationale systématique des efforts déployés dans un assez grand nombre de pays pour ruraliser les écoles primaires et professionnaliser les écoles secondaires. A en juger par ce que nous avons observé dans plusieurs pays en voie de développement et par la documentation disponible sur des pays déterminés, il semble que ces efforts ne reposent pas sur des conceptions exemptes de tout malentendu. Les réformateurs qui tentent de ruraliser les écoles primaires sont pleins de bonnes intentions, mais ils confondent deux choses différentes r a) donner u n « parfum » rural aux programmes d'enseignement primaire et faire en sorte, en les reliant à l'environnement immédiat des élèves, que ceux-ci s'y intéressent davantage —• ce que toutes les bonnes écoles primaires devraient tâcher de faire ; et b) essayer de transformer les élèves d u primaire en « petits agriculteurs » — ce que les écoles primaires ne sauraient faire et ce à quoi ni les élèves ni leurs parents ne sont préparés. Ces réformateurs oublient une chose : si les jeunes ruraux essaient de fuir vers la ville au lieu de rester dans les campagnes, s'ils cherchent 59 Manzoor Ahmed des emplois ou m ê m e acceptent u n chômage prolongé dans les villes au lieu de devenir agriculteurs ou de choisir d'autres professions rurales, ce n'est pas faute d'avoir été initiés à des modes de culture rationnels — m ê m e s'il en est ainsi — mais parce que les emplois actuellement offerts dans les campagnes, y compris l'agriculture, ne peuvent procurer à la plupart des jeunes un revenu et un niveau de vie raisonnables. A u niveau secondaire également, l'introduction de cours professionnels, à en juger par la documentation disponible, n'a guère contribué à rendre moins aigu le problème de l'emploi des diplômés du secondaire ou à réduire l'afflux des candidats à l'enseignement supérieur. A u lieu de cela, chaque fois qu'un vaste prog r a m m e de professionnalisation a été entrepris, le résultat net obtenu a été u n accroissement substantiel des dépenses d'investissement et de fonctionnement de l'enseignement secondaire. Il est illusoire de tenter de résoudre le problème du marché d u travail et de la croissance économique globale en se bornant à opérer certaines réformes dans l'enseignement scolaire1. Certes, on n'a pas tort d'introduire des éléments fonctionnels dans l'enseignement dispensé par les écoles primaires et secondaires — qui, bien trop souvent, se fonde sur des manuels à apprendre par cœur et sur des programmes rigides sans grand rapport avec la vie de l'élève et la réalité qui l'entoure. La mission la plus importante que les écoles primaires et secondaires peuvent remplir sur le plan de la préparation à la vie productive est de donner aux élèves une bonne instruction générale, de les aider à acquérir les connaissances élémenraires et la tournure d'esprit qui leur permettront de continuer à s'instruire par la suite, de les orienter dans le m o n d e matériel, social et biologique où ils auront à accomplir leur tâche de producteur, de concourir à leur faire adopter des attitudes et à leur inculquer des valeurs qui faciliteront leur insertion dans la société en tant que membres actifs. Dans le cadre de cet ensei- 60 gnement général et pour souligner que gagner sa vie au m o y e n d'un travail productif est u n impératif fondamental, divers éléments fonctionnels devraient trouver place dans les programmes du primaire et du secondaire2. Bien entendu, le problème fondamental qui reste à résoudre est celui-ci : la réorientation de l'enseignement traditionnel laissera de côté la plupart des jeunes des pays pauvres. Il faut donc explorer d'urgence de nouvelles formules, s'efforcer d'offrir au moins un cycle élémentaire d'enseignement général à une population plus large, de manière à répondre à un m i n i m u m de besoins éducatifs, y compris d'éducation fonctionnelle3. D e plus, u n enseignement fonctionnel dispensé dans les écoles primaires et secondaires ou dans le cadre de programmes non traditionnels ne saurait se substituer à la formation professionnelle, ni résoudre le problème de l'accès à u n emploi productif à la sortie de l'école. Tout ce qu'on peut demander à ce type d'enseignement, c'est de bien préparer les élèves à u n enseignement professionnel proprement dit, qui devra leur être dispensé dans des établissements de formation ou en cours d'emploi. RÉFORMES DE L'ENSEIGNEMENT PROFESSIONNEL Tandis que la production des écoles secondaires commençait à dépasser la capacité d'absorption du secteur moderne de l'économie au niveau de rémunération couramment pratiqué, d'imi. Eugene S T A L E Y , Planning occupational education and training for development, N e w Delhi, Orient L o n g m a n , 1970 ; et Philip F O S T E R , « T h e vocational school fallacy in development planning », dans Unesco, Textes choisis sur l'économie de l'éducation, p . 614-633, Paris, Unesco, 1968. 2. Voir Eugene S T A L E Y , Work oriented general education—A proposal for curriculum development at the school stage, B o m b a y , Popular Prakashan, 1973. 3. Pour u n examen des besoins minimaux en éducation et des formules qui pourraient remplacer l'école primaire, voir L'éducation périscolaire au service du développement rural, op. cit. Éducation et travail : éléments pour une stratégie portants déficits en techniciens qualifiés de niveau m o y e n , artisans et autres ouvriers apparaissaient. Pour résoudre ce problème, de nombreux pays en voie de développement se sont empressés de créer des instituts de formation technique et professionnelle conçus sur le modèle des écoles secondaires, avec des enseignants et des élèves à plein temps, des installations qui leur sont propres, des programmes imposés, des examens et des diplômes — et ils sont m ê m e allés parfois jusqu'à tenter d'établir des équivalences entre cet enseignement technique et l'enseignement secondaire général d u point de vue de la durée des études et de la valeur des diplômes. A quelques exceptions près, cette tentative d'élargissement de la formation professionnelle suivant le modèle de l'enseignement traditionnel n'a pas produit de bons résultats. Les problèmes des programmes institutionnalisés d'enseignement professionnel ont récemment été récapitulés dans une étude internationale sur l'enseignement informel en relation avec l'emploi : le coût de ces programmes est trop élevé pour qu'ils puissent toucher plus qu'une petite fraction des jeunes ; il a été très difficile, face à la concurrence d u secteur privé et d'autres organismes publics, de recruter et de garder de bons professeurs spécialisés dans l'enseignement technique ; la formation offerte est souvent mal adaptée aux exigences du marché et aux besoins concrets des employeurs ; les plans d'étude, les méthodes et le matériel, qui d e m e u rent immuables, correspondent de moins en moins aux exigences d'un environnement en pleine transformation et à des conditions de travail qui ne cessent de se modifier ; enfin, il est fréquent qu'une forte proportion de leurs diplômés ne trouvent pas u n emploi où leur formation leur sert effectivement. Dans l'ensemble, les résultats obtenus n'incitent à poursuivre qu'avec beaucoup de circonspection et de discernement l'enseignement professionnel traditionnel au niveau secondaire, surtout dans les zones rurales1. L e bilan des établissements de formation professionnelle à plein temps étant généralement décevant, on a vu se multiplier les initiatives tendant à accorder une plus large place à d'autres formules — cours organisés de façon souple, à temps partiel et de durée variable, dans lesquels les contenus et les méthodes de l'enseignement sont improvisés et adaptés en fonction des possibilités offertes par l'économie locale ; recours accru à l'apprentissage et à la formation en cours d'emploi ; programmes spéciaux combinant, à l'intention des jeunes, la formation et l'enseignement général, etc. Parmi les initiatives de ce type qui ont été passées en revue par le Conseil international pour le développement de l'éducation ( C I D E ) dans le cadre de ses études internationales, figurent des programmes tels que les écoles mobiles de formation professionnelle en Thaïlande, les instituts polytechniques de village au Kenya, les camps de jeunes à la Jamaïque et l'apprentissage associé à une formation institutionnalisée en Colombie. Certes, ces programmes tentent de remédier à bon nombre des insuffisances des établissements traditionnels de formation professionnelle, et se sont souvent révélés plus à m ê m e que ces derniers d'adapter leur formation à la demande de main-d'œuvre et d'aider leurs élèves à acquérir des compétences qu'ils ont ensuite l'occasion d'utiliser effectivement. T o u tefois, ils ont en c o m m u n avec les cours traditionnels de formation certaines caractéristiques qui les empêchent de jouer u n rôle plus que marginal dans la solution d u problème central de la formation professionnelle et de l'emploi : Ces programmes sont dans l'ensemble orientés de manière à répondre aux besoins du secteur moderne. Si le système de formation est plus souple et probablement plus efficace, son contenu est plus ou moins analogue à celui i. Philip H . C O O M B S , Manzoor A H M E D , Attacking rural poverty: how non-formal education can help, p. 144, Baltimore, Johns Hopkins University Press, 1974. 6l Manzoor Ahmed de l'enseignement dispensé dans les établissements de formation aux professions d u secteur moderne. Pour suivre la plupart de ces programmes, il faut avoir préalablement passé u n certain nombre d'années dans une école traditionnelle — ce qui exclut effectivement u n très grand nombre de personnes qui ont besoin d'une formation professionnelle. E n fait, beaucoup de ces programmes ont été institués pour contribuer à résoudre le problème des débouchés à la sortie de l'école et non le problème général de la formation. Il s'agit de programmes entrepris sur une assez petite échelle, de sorte que ceux qui en bénéficient sont peu nombreux par rapport à ceux qui en auraient besoin ; de plus, les possibilités de les développer sont assez limitées. L e m a n q u e de personnel qualifié dont on parle souvent est u n m a n q u e relatif : m ê m e si tous les besoins d u secteur moderne sont satisfaits, le problème global de la formation et de l'emploi n'en demeurera pas moins entier. L e coût de ces programmes est élevé, ce qui contribue aussi à expliquer que leur ampleur reste relativement faible. Bien que leurs coûts unitaires varient largement et que certains d'entre eux soient moins onéreux que les établissements traditionnels, le prix de revient par élève est tel, m ê m e dans le meilleur des cas, qu'il est souvent impossible d'élargir rapidement la portée de ces programmes, à supposer que cela soit justifié par les perspectives d'emploi existantes1. PROGRAMMES PÉRISCOLAIRES DESTINÉS A DES CLIENTÈLES RURALES C o m m e c'était à prévoir, ces programmes diffèrent largement à tous les points de vue : organisation, dimensions, administration, fins éducatives spécifiques. E n général, ils sont axés sur la formation ou le perfectionnement dans des activités, tant agricoles que n o n agricoles, 62 qui ont u n intérêt immédiat pour l'économie du village; ils recourent essentiellement à l'apprentissage par la pratique ; ils tentent d'adapter les contenus et les méthodes aux circonstances locales ; et ils utilisent avec souplesse le personnel, les installations, les terres et les autres ressources disponibles localement pour atteindre leurs objectifs. Les personnes qu'ils touchent n'étant généralement pas passées par l'école primaire, les plans d'études comprennent parfois u n enseignement général élémentaire. O n peut citer c o m m e exemples de tels programmes, les centres d'éducation rurale en Haute-Volta, les clubs de jeunes agriculteurs au D a h o m e y , le programme Promoción Profesional Popular Rural (PPPR) d u S E N A (Servicio Nacional de Aprentizaje) en Colombie, et la formation des tisserands à Sri Lanka. Ces programmes abordent sérieusement, et sous un angle nouveau, le problème de la formation et de la création d'emplois dans les zones rurales reculées. Ils rendent d'utiles services dans ces zones et les participants en tirent u n profit substantiel. Cependant, ils n'apportent pas, eux non plus, une solution viable et effective aux problèmes fondamentaux de l'enseignement professionnel dans les pays les moins développés. Les programmes de la Haute-Volta et d u D a h o m e y , par exemple, tentent d'initier les jeunes à l'agriculture (et de les alphabétiser) dans l'espoir qu'ils seront ensuite capables d'appliquer les techniques qu'ils auront apprises et qu'ils échapperont ainsi au sort des autres habitants de leur village, qui gagnent misérablement leur vie. Toutefois, cette formation n'est pas liée à u n effort systématique et résolu tendant à éliminer les nombreuses contraintes — dans les domaines d u crédit, des engrais, des semences, des marchés, des transports, d u traitement des produits, de l'information, etc. — qui limitent les possibilités d'action de tous les i. Pour u n examen du coût des programmes de formation, voir Attacking rural poverty, op. cit., chap. il. Éducation et travail : éléments pour une stratégie agriculteurs de la région et expliquent la médiocrité de leur rendement 1 . Mais, et c'est là u n signe positif, certains anciens élèves des centres d'éducation rurale de Haute-Volta constituent, c o m m e les agriculteurs formés au D a h o m e y , des coopératives de producteurs — ce qui montre qu'ils ont pris conscience des obstacles fondamentaux à une amélioration de l'agriculture et qu'ils s'efforcent de les surmonter2. L e S E N A - P P P R , lui aussi, offre aux ouvriers et aux campesinos une formation qui s'inscrit dans le cadre des institutions existantes, ce qui contribue à rendre les exploitations agricoles plus rentables en accroissant l'efficacité des travailleurs. L e résultat net est probablement celui-ci : les propriétaires d'haciendas et de plantations s'enrichissent, mais cela ne contribue guère à créer de nouveaux emplois ou à augmenter les gains des ouvriers agricoles. Selon nous, « l'impact semble plus grand lorsque les cours d u S E N A sont organisés de concert avec l'organisme chargé de la réforme agraire ou u n autre organisme qui a élaboré u n plan plus large de développement local dans lequel la formation du S E N A peut s'inscrire. Malheureusement, cela est loin d'être le cas partout3 ». L e programme organisé à l'intention des tisserands de Sri Lanka paraît être vigoureusement et efficacement m e n é , mais le nombre d'habitants des campagnes employés dans cette industrie et celui des stagiaires admis chaque année à participer au programme plafonnent depuis plusieurs années, bien que le gouvernement cherche à accroître sensiblement la production des métiers à tisser. Il semble que les diverses mesures prises par le gouvernement en matière de développement industriel, d'importations et defiscalitén'ont pas rendu les prix suffisamment intéressants pour que l'industrie du tissage rural se développe. D e plus, le salaire de la plupart des tisserands est inférieur au m i n i m u m vital parce que leur rendement est faible et le marché pour leurs produits limité. Cette profession attire donc surtout les femmes qui se contentent d'un salaired'appoint4. U n e des raisons qui expliquent qu'un grand nombre de ces programmes de formation s'intègrent mal à l'économie rurale et y demeurent c o m m e des corps étrangers est qu'ils méconnaissent les processus et les modes d'enseignement de diverses pratiques essentielles qui sont traditionnels dans la région en question. Les garçons et les filles des campagnes commencent très tôt à participer aux travaux quotidiens et apprennent diverses choses dans le cadre de cet apprentissage. O n cherche rarement à explorer les possibilités qu'offrent ces processus autochtones, à les étoffer et à les renforcer, à les élargir et à les perfectionner grâce à l'apport financier et technique indispensable, alors que cela donnerait probablement aux personnes que l'on s'emploie à former une meilleure chance de s'insérer dans l'économie locale que ne le ferait un programme surajouté5. Éléments d'une stratégie Il est évident que les programmes et les approches habituels, tout en remplissant des fonctions utiles, n'abordent pas de front le problème central d u lien entre l'éducation et le travail : il ne suffit pas, en effet, de savoir c o m m e n t enseigner les connaissances pratiques voulues ; il faut aussi trouver des moyens de rattacher i. D e plus, en Haute-Volta, alors que les centres d'éducation rurale débouchent sur une impasse, un segment de la population a accès à un enseignement primaire et secondaire traditionnel avec le prestige et les perspectives que cela comporte. Cet état de choses pose u n grave problème socio-politique. 2. Attacking rural poverty, op. cit., p. 96-99 ; André L E M A Y , « Les clubs de jeunes agriculteurs d u D a h o m e y », dans Une autre éducation pour la jeunesse ? Formation — action pour le développement, Dakar, Bureau régional de l'Unesco pour l'éducation en Afrique, 1972. 3. Attacking rural poverty, op. cit., p. 48. 4. Marga Institute, Nonformal education in Sri Lanka. (Étude préparée pour le C I D E , C o l o m b o , 1974.) 5. C I D E , Concevoir de nouvelles stratégies pour l'éducation des enfants et des jeunes des zones rurales, p. 68 et 69. (Projet de rapport établi pour l'Unicef, mars 1974.) 63 Manzoor Ahmed la formation à l'action entreprise pour accroître le nombre d'emplois, la productivité et le revenu, en particulier dans les zones rurales des pays les moins développés. U n e fois qu'on a pris conscience de cela, l'esquisse d'une stratégie de la formation n'est pas difficile à imaginer. Elle serait fondée sur une nouvelle optique, l'enseignement n'étant plus considéré c o m m e une action isolée, mais c o m m e l'élément essentiel d'un programme de développement qui aurait une incidence directe sur l'accroissement de l'emploi, de la productivité et des revenus dans une zone donnée. N o u s ne parlons pas ici de la relation générale et vague entre l'éducation et le produit national brut ( P N B ) à propos de laquelle on entend souvent dire des banalités ; elle ne saurait en effet justifier une activité éducative quelconque en tant que facteur de développement. Selon la stratégie suggérée, la formation devra, c o m m e les autres éléments de l'enseignement général, s'insérer dans le cadre d'un plan de développement et répondre directement aux exigences précises de ce plan à mesure que son exécution avance. L a dimension, la structure, la qualité, les méthodes et le contenu de l'élément « formation pratique » de l'éducation seraient définis en fonction des emplois et des perspectives de production résultant de l'effort de développement. Aucune formation ne serait dispensée lorsqu'il n'existerait pas déjà des emplois correspondants ou qu'aucun ne serait prévu et que rien ne laisserait espérer que le bénéficiaire de cette formation trouverait d'une manière ou d'une autre u n emploi rémunéré 1 . N o u s ne perdons pas de vue le fait que le développement ne consiste pas seulement à augmenter le nombre d'emplois, la production et les revenus et que l'éducation ne se ramène pas à la formation professionnelle. N o u s ne pourrons qu'effleurer ici certaines des questions que posent le développement général et les stratégies d'éducation. N o u s pensons, toutefois, que les questions d'emploi, de production et de revenu seront au premier plan de tout effort 64 sérieux de développement dans les pays encore peu développés et qu'une conception viable de l'enseignement en fonction du travail déterminera la forme et la valeur d u système d'éducation. U n lien direct peut être établi entre la formation et les autres activités d'éducation, d'une part, et le processus de développement, d'autre part, dans u n certain nombre de perspectives — dans le cadre d'un projet de développement intégré d'une zone, de coopératives de production ou d'une structure communautaire de production c o m m e en Chine et en RépubliqueUnie de Tanzanie. PROJETS DE DÉVELOPPEMENT INTÉGRÉ Les projets de développement rural intégré sont de plus en plus considérés c o m m e u n m o y e n efficace de transformer les campagnes des pays en voie de développement. Ces projets visent à exploiter le potentiel de développement d'une région géographique limitée grâce à une action concentrée et concertée qui implique un diagnostic des possibilités de développement de la région en question et des contraintes dont il faut tenir compte, l'élaboration d'un plan complet comportant u n calendrier et des priorités appropriés et des mesures coordonnées dans tous les domaines où il faut intervenir pour atteindre les objectifs du plan — ces activités étant assorties du mécanisme de planification et d'exécution indispensable et soutenues par une assistance technique et financière. Ces projets peuvent offrir en principe u n cadre idéal pour des programmes de formation professionnelle inspirés d'une conception globale de l'éducation des enfants et des jeunes des campagnes et étroitement liés, en m ê m e temps, au développement économique d'ensemble de i. Il est amplement prouvé qu'on ne peut compter sur les possibilités d'emploi indépendant, en particulier dans les zones les plus déprimées économiquement, sauf si u n plan systématique visant à aider et p r o m o u voir les entreprises individuelles est mis en application. Éducation et travail : éléments pour une stratégie la région. N o u s avons passé en revue plusieurs des projets intégrés qui sont en cours d'exécution — le C A D U (Chilalo Agricultural Development Unit) en Ethiopie, le P A C C A (Prog r a m m e de crédit et de coopérative agricoles) en Afghanistan, et le projet d u Lilongwe (Lilongwe Land Development Programme) au Malawi — et nous avons constaté qu'on se rendait compte qu'il fallait aborder globalement les problèmes que soulève l'éducation des enfants et des jeunes, y compris l'enseignement professionnel, et qu'il était possible d'accroître'l'intérêt pratique et l'efficacité des efforts pédagogiques en les insérant dans le cadre de ces projets. Plusieurs activités de formation sont organisées pour leur personnel, et la vulgarisation agricole est conçue en fonction de leurs objectifs. Toutefois, il reste à mettre au point une approche globale de l'éducation, y compris des programmes d'enseignement professionnel, parce que ces projets ont été mis en route depuis peu de temps, que leurs objectifs et la population visée sont encore restreints, et qu'ils sont soumis à diverses contraintes dues à la situation générale d u pays du point de vue social, économique et politique. Pour prendre l'exemple d u C A D U , le gouvernement, contrairement à ce qu'on espérait, n'a pas mis en application u n plan national de réforme agraire et les inégalités d u régime foncier ont sapé les efforts entrepris. Les gros et riches exploitants se sont vivement opposés au projet. L'autonomie relative d u C A D U a inspiré u n certain ressentiment et les rapports entre la direction d u C A D U et l'administration locale ont parfois été tendus. Dans les circonstances actuelles, il n'est pas certain que des coopératives locales autonomes pourront progressivement assumer nombre des fonctions d u projet, c o m m e il était prévu par le plan1. coopératives de production dont les membres — adolescents et adultes — entreprennent directement des activités productives, apprennent par la pratique, couvrent le coût de leur formation grâce à leur propre production et créent eux-mêmes leurs propres emplois. Patrick V a n Rensburg a conclu de ses années d'expérience d ' u n programme de formation autofinancé au Botswana (programme des « brigades ») que la formation dans le cadre de coopératives de production constitue l'essentiel d'une démarche susceptible d'être imitée ailleurs et d'avoir u n impact appréciable sur l'emploi et le développement en zone rurale. Les coopératives permettraient : a) de trouver des emplois productifs pour des adolescents et des adultes en c h ô m a g e ; b) d'accumuler d u capital grâce aux efforts des participants eux-mêmes ; c) de mettre en c o m m u n les ressources de la population et de collaborer à l'organisation d'entreprises à production diversifiée; d) de former les intéressés aux techniques de production voulues. COOPÉRATIVES DE PRODUCTION 1. Attacking rural poverty, op. cit., p. 96-99. 2. Patrick V A N R E N S B U R G , Report from Swaneng Hill — Education and employment in an African country, Uppsala (Suède), The Dag Hammarskjöld Foundation, 1974- U n autre m o y e n de relier la formation et la création d'emplois consiste à organiser des Rensburg a entrepris à titre expérimental de réorganiser les « brigades » et a constitué des coopératives connues sous le n o m de Boiteko (terme qui correspond en matswana aux expressions « initiative personnelle » et « ne compter que sur soi-même »), dans lesquelles des travaux productifs sont associés à une formation2. Rensburg indique aussi qu'il est tout à fait possible de faire fonctionner des établissements d'enseignement subvenant à leurs propres besoins et se suffisant à eux-mêmes, le travail productif des élèves et des enseignants assurant les ressources nécessaires. Selon lui, ce type d'établissement offre n o n seulement le seul m o y e n possible de rendre l'éducation largement accessible dans les pays pauvres, mais aussi le cadre approprié où peut être dispensé 65 Manzoor Ahmed u n enseignement à la fois professionnel et général qui soit socialement et économiquement valable. Mais l'autofinancement de l'éducation n'est qu'un des deux aspects de la stratégie de Rensburg, l'autre étant la fusion opérée entre l'enseignement et les entreprises de production ; en effet, l'autofinancement de la formation peut faciliter le développement de l'éducation, mais ne suffit pas à assurer aux personnes formées un emploi rémunéré. STRUCTURES COMMUNAUTAIRES DE PRODUCTION D a n s les sociétés socialistes de Chine et de Tanzanie, la structure de production économique de la c o m m u n e et d u village ujamaa facilite l'établissement de liens entre les processus économiques et l'éducation fonctionnelle. Si les démarches particulières suivies dans ces pays tiennent à leur système politique, les autres pays peuvent néanmoins en tirer, sans doute, d'utiles enseignements. L a c o m m u n e populaire rurale chinoise, qui regroupe de quatre mille à cinq mille familles, est l'unité administrative et géographique retenue aux fins d u développement social et économique, de la planification globale, de la mobilisation des ressources et de la répartition des avantages retirés de la production agricole. L e district — qui vient juste au-dessus de la c o m m u n e dans la hiérarchie administrative — est l'unité la plus importante dans le cadre de laquelle est organisée la production industrielle, qui est largement autonome et comprend quatre grandes composantes — la transformation des produits agricoles et marginaux, les industries extractives, les industries manufacturières et les réparations de machines agricoles, et les cinq petites industries : production d'énergie, de ciment, d'engrais chimiques, de fer et d'acier, et de machines. C'est surtout dans le district lui-même que sont trouvées les ressources en capital et la main-d'œuvre indispensables à ces industries. Les dispositions relatives à la forma- 66 tion nécessaire en vue de la production agricole et industrielle et à d'autres types d'enseignement sont prises dans les c o m m u n e s et adaptées dans le cadre d u district à l'action globale de développement de la zone1. E n Tanzanie, trois grands programmes d'éducation fonctionnelle constituent des aspects essentiels de la politique de réorganisation des communautés rurales en villages ujamaa (villages-coopératives comptant sur leurs propres forces) et de développement rural intégré. Ces programmes sont les suivants : centres de formation rurale où sont enseignées l'agriculture, les techniques rurales et l'idéologie politique ; programme d'enseignement relatif au fonctionnement des coopératives et aux principes sur lesquels elles sont fondées ; programmes d'éducation fonctionnelle des adultes (alphabétisation et éléments d'enseignement professionnel)2. MESURES A PRENDRE PARALLÈLEMENT Les approches mentionnées ici à titre d'exemple ne sont évidemment pas parfaites ; ce ne sont pas non plus des recettes susceptibles d'être appliquées telles quelles ailleurs. Elles montrent, en tout cas, à quel point sont complexes les problèmes que posent l'élaboration et l'exécution d'un plan efficace d'éducation en relation i. Michel O K S E N B E R G (dir. publ.), China's development experience, N e w York, Praeger Publishers, 1973 ; voir en particulier Dwight H . PERKINS, « Development of agriculture », et Jon SIGURDSON, « Rural economic planning ». Voir également Hsiang PO L E E , Education for rural development in the People's Republic of China, Essex, Conn., C I D E , 1972. 2. Y . K A S S A M , « The work-oriented approach in adult education for rural development in Tanzania », p. 113125, dans German Foundation for International Development, Work-oriented education for Africa, report of an international conference, Bonn, 1972. Voir également A. H .RWEYEMAMU et B . U . M W A N S A S U (dir. publ.), Planning in Tanzania, background to decentralisation, Nairobi, East African Literature Bureau, 1974. [Voir aussi l'article de Budd L . H A L L , « République-Unie de Tanzanie : l'éducation des adultes c o m m e priorité nationale », Perspectives, vol. IV, n° 4 , p . 550 et suiv. (N.d.l.r.).] Éducation et travail : éléments pour une stratégie avec le travail dans les pays les plus pauvres. Il est clair, également, que de nombreuses réformes doivent être opérées par ailleurs pour qu'un programme conçu selon ces principes soit fructueux. U n programme de formation de masse liée au travail productif exigera des modifications des dispositions qui régissent l'enseignement général. Si l'on admet que l'objectif de l'enseignement primaire universel demeure tout à fait hors de portée et qu'un programme d'éducation en relation avec le travail est réalisable et nécessaire pour la plupart des jeunes, il devient éminemment souhaitable d'instituer u n cycle élémentaire d'enseignement général c o m m e n çant lors de l'adolescence et se poursuivant à temps partiel peut-être pendant trois ou quatre ans, jusqu'au m o m e n t où les jeunes sont prêts pour u n travail productif associé à une formation. N o u s ne pouvons développer ici cette idée ni examiner ses diverses implications. Mais, c o m m e en témoigne l'expérience de la Haute-Volta, il est incontestable que le système scolaire en vigueur devra être modifié et qu'il devra être rattaché à ce nouveau type d'enseignement pour éviter l'apparition de deux systèmes parallèles : un pour les « élites » et l'autre pour les « paysans ». U n programme intégré d'éducation et de développement présuppose que les dirigeants nationaux et les détenteurs d u pouvoir politique se montrent plus sensibles aux besoins des masses et plus résolus à y répondre, et que les objectifs et priorités d u développement soient repensés afin qu'une plus grande part des ressources et des forces vives de la nation soit consacrée à l'amélioration de la situation dans les campagnes. U n tel effort national de développement axé sur les besoins des masses, et s'exerçant surtout dans le cadre de programmes de développement rural intégré, de coopératives locales de production et d'autres types d'entreprises économiques rurales, exigera une large décentralisation des pouvoirs et des responsabilités concernant l'élaboration et l'exécution des plans de développement. Il y a également toute une g a m m e de mesures à prendre dans divers domaines (industrialisation, fiscalité, tarifs douaniers, barème des traitements et qualifications requises dans le secteur public, facilités de crédit,fixationd u prix des principaux produits agricoles, etc.) parce qu'elles influent sur la croissance de l'emploi et sur l'utilisation des ressources humaines de la nation. Il n'est évidemment pas possible d'élaborer et de mettre en œuvre, simultanément et immédiatement, une nouvelle stratégie de l'éducation et les politiques et activités de développement qui doivent être menées parallèlement. Si l'orientation générale et les principaux objectifs peuvent être indiqués, il faudra expérimenter et perfectionner progressivement les programmes e u x - m ê m e s , élaborer les modes opératoires et former le personnel nécessaire, s'assurer que ces projets sont réalisables et peuvent servir de modèles. Les initiatives comparables prises dans d'autres pays seront des témoignages dont on pourra tirer de précieuses leçons. Mais chaque pays devra progresser par lui-même en corrigeant ses propres erreurs, car chaque situation est à certains égards unique et seuls les inconscients peuvent prétendre avoir des réponses toutes prêtes aux questions épineuses qui se posent. 67 Abdou Moumouni Retour aux langues et aux cultures nationales Les problèmes du développement dans les pays du tiers m o n d e — plus particulièrement dans les vingt-cinq pays classés c o m m e les plus pauvres dans le m o n d e — et leurs aspects spécifiquement relatifs à l'éducation préoccupent depuis près de deux décennies tant les responsables politiques et les éducateurs nationaux que la communauté internationale. A la lumière de l'évolution observée dans bien des pays développés (République fédérale d'Allemagne, États-Unis d'Amérique, France, Italie, etc.) aussi bien que dans les pays en voie de développement (Egypte, Iran, Sénégal, T u nisie, etc.) pendant la dernière décennie dans le domaine de l'éducation, il apparaît que, m ê m e dans ceux d'entre eux où traditionnellement le système d'éducation était considéré c o m m e « bien rodé » et « intégré au type de société pour lequel il fonctionnait », une remise en cause de la conception, de l'orientation du contenu des systèmes d'éducation était inévitable et que des changements plus ou moins profonds ont d û être apportés. O n ne saurait s'étonner, dans u n tel contexte mondial, que Abdou Moumouni (Niger). Agrégé de physique. Ancien professeur à Dakar, Conakry, Niamey. A participé à la réforme de l'enseignement en Guinée. Actuellement directeur de l'Office de l'énergie solaire Niamey. Auteur de L'éducation en Afrique (Paris, François Maspero, 1964). 68 Perspectives, vol. V , n° 1, 1975 les problèmes se posent de façon encore plus aiguë dans les pays du tiers m o n d e en général et dans les vingt-cinq les moins développés de manière, pourrait-on dire, exemplaire. Si l'on considère en effet que les objectifs essentiels d'une politique sérieuse de développement économique et social doivent couvrir d'une part le plan social (élévation du niveau de vie, satisfaction des besoins sociaux et culturels, participation de la population à tous les aspects de la vie politique, économique et culturelle du pays) et de l'autre le plan humain (épanouissement de chaque citoyen compte tenu, et compte seulement tenu, de ses potentialités et de ses capacités, liberté d'opinion et possibilité effective d'exprimer cette opinion dans le cadre de structures sociales), le rôle et l'importance de l'éducation dans le sens le plus général (opposée à 1' « instruction » ou à 1' « enseignement ») sont alors capitaux. C e rôle revêt encore plus d'importance quand le modèle de développement mis en œuvre est « autocentré » et non « extracentré » selon l'analyse bien connue de Samir A m i n . Sans chercher à aborder des sujets traités par ailleurs dans ce Dossier, il m'apparaît important de souligner qu'aucune politique autocentrée ne peut être conduite sinon sur une base populaire, ce qui implique non seulement une compréhension par le peuple des objectifs visés, mais aussi de et surtout son soutien et sa participation aux décisions. Retour aux langues et aux cultures nationales A ces différents niveaux, le rôle de l'éducation, tant en ce qui concerne la population adulte et active que les enfants et les adolescents, est manifeste, notamment sous l'angle des méthodes et des moyens. Sur le plan politique, aucun peuple ne peut, de façon durable, accepter des objectifs étrangers à ses aspirations, à sa culture et à sa civilisation, les unes et les autres senties et vécues c o m m e inséparables de l'avenir qu'il entend se préparer. Cela est encore plus évident lorsqu'il s'agit de peuples qui, ayant subi la domination coloniale, n'auront lutté pour conquérir leur indépendance politique que pour se voir à nouveau dominés économiquement et culturellement par l'ancienne puissance dominante par le relais de certaines couches formées et façonnées par l'idéologie coloniale. Sous l'angle économique, aucun développement n'est davantage possible sans choix politique, mais, quand bien m ê m e ce choix correspondrait à une orientation politique soutenue par le consensus populaire, aucune économie fondamentalement basée au départ sur l'agriculture ou sur de rares industries d'extraction ( c o m m e c'est précisément le cas pour la plupart des vingt-cinq pays les moins développés) ne peut progresser sans une élévation de la productivité et de la production, elles-mêmes inséparables d'une élévation du niveau culturel et sanitaire des masses paysannes et d'une juste rémunération des produits agricoles. Enfin, en ce qui concerne plus particulièrement la productivité d u travail et la croissance de la production agricole, aucune couche sociale plus que la paysannerie n'est aussi sensible et attentive à la justice sociale non seulement sous l'aspect économique que l'on vient de signaler mais aussi et surtout sur le plan social et culturel : accès égal à l'école de tous les enfants, accès de tous aux soins médicaux, etc. Cultures et langues nationales et système d'éducation pour le développement Avant d'aborder de façon positive le rôle que pourraient et devraient jouer les cultures et les langues nationales dans le cadre d'un système d'éducation réellement orienté vers le développement économique, social et culturel des populations et impliquant leur participation effective à la vie politique d u pays, il n'est pas inutile d'analyser la situation actuelle tant elle est riche d'enseignements, m ê m e si ces derniers se présentent le plus souvent de façon négative. Il est établi et reconnu que, dans la quasitotalité des pays en voie de développement — et, parmi eux, plus particulièrement dans les vingtcinq qui sont les plus démunis — en dépit d'efforts nationaux allant parfois jusqu'à l'allocation de près de 30 % d u budget national à l'éducation, la situation de celle-ci reste alarmante. Malgré une progression quantitative des effectifs des enseignements primaire, secondaire (général ou technique) et supérieur, les taux de scolarisation correspondants sont stationnaires ou en régression. Pour ce qui est de l'alphabétisation des adultes, la situation est encore plus catastrophique. A u total (et les données statistiques de l'Unesco aussi bien que celles des différents pays le confirment) et dans le cadre des systèmes actuels d'éducation de ces pays, la bataille contre l'analphabétisme, tant chez les enfants et les adolescents que dans la population adulte, est en effet perdue d'avance en Afrique et probablement dans les autres pays d u groupe des vingt-cinq. D e plus, l'impact attendu de l'éducation sur le développement économique, social et culturel des pays en question se révèle dans les faits bien faible, pour ne pas dire pratiquement nul. A l'opposé, de nouveaux phénomènes sociaux sont apparus et qui ne laissent pas d'inquiéter les responsables politiques et la société dans son ensemble : exode des jeunes « diplômés » sans travail, développement de la délinquance juvénile 69 Abdou Moumouni dans les agglomérations urbaines, changement de comportement de la jeunesse par référence aux valeurs de la société « traditionnelle », conflit latent sinon déclaré de générations, etc. Les raisons de cette situation sont souvent analysées en termes purement économiques : coûts élevés de l'éducation et plus particulièrement de la scolarisation à tous les niveaux (primaire, secondaire général et technique, supérieur)1 dus parmi d'autres facteurs à u n rendement très bas (taux élevé d'abandons et de déchets, à tous les niveaux) ; m a n q u e de moyens financiers permettant d'entreprendre les actions d'éducation à une échelle et avec les moyens appropriés ; impossibilité d'assurer, dans le cadre de la situation économique du pays, du travail aux jeunes quittant l'école à tel ou tel niveau de leurs études ; absence de motivation matérielle de la population adulte à l'égard de l'alphabétisation, etc. Pendant ces dernières années, l'incapacité des systèmes d'éducation existants à jouer le rôle qui leur était théoriquement dévolu dans le développement économique, social et culturel du pays où ils sont implantés est apparue avec une netteté de plus en plus grande. D ' o ù le flot de critiques contre une école « inadaptée au contexte », « coupée de la vie du pays et de la société », « improductive et n'orientant les élèves que vers le fonctionnariat », « détruisant les valeurs culturelles et la personnalité nationales et produisant des h o m m e s étrangers à leur société », etc. Ces critiques, qui correspondent généralement à des faits objectifs, sont paradoxalement le fait d'autorités politiques o u m ê m e d'éducateurs qui ont défendu et imposé à leur pays le système d'éducation hérité du régime colonial, sous le couvert de sa valeur universelle, d u refus d'une éducation « au rabais » et de la complexité, notamment sous l'angle politique, des problèmes posés par la mise en œuvre d'un système d'éducation se fondant sur les cultures nationales. Les réformes d u système d'éducation, là où elles ont vu le jour, ont rarement mis en cause l'utili70 sation exclusive de la langue du colonisateur c o m m e langue d'enseignement, d'alphabétisation et des mass media, autrement dit, le fondement m ê m e d u système colonial d'éducation. O n peut affirmer sans crainte d'être contredit qu'il y a actuellement u n malaise profond au niveau de l'éducation, de son contenu, de ses finalités dans la plupart des pays d u groupe des vingt-cinq, malaise qui transparaît à travers les discussions qui y ont actuellement cours sur des thèmes aussi variés que la ruralisation de l'enseignement, l'intégration du travail et de la formation professionnelle au contenu et aux méthodes de l'éducation, la liaison de l'éducation avec la production, la participation des élèves à la production, l'introduction des langues nationales dans l'enseignement, etc. A ce stade de l'analyse, il est indispensable d'examiner, ne serait-ce que sommairement, pourquoi et c o m m e n t la méconnaissance totale des cultures et des langues nationales par les systèmes d'éducation actuellement en place est à la base de la situation que nous venons de décrire. Dans la mesure où, c o m m e l'écrivait Paul Langevin, l'éducation « se doit de former l'être humain à partir de l'enfant, de le préparer et de l'adapter aussi largement que possible à la vie, au contact avec la nature et avec les h o m m e s , à l'action sur les choses d'accord avec les autres h o m m e s »2, il ne s'agit pas seulement de former des paysans « lettrés », des cadres politiques et économiques, des techniciens, mais aussi et surtout des h o m m e s qui, pour agir efficacement sur le milieu naturel et social, se doivent de connaître et de comprendre leur pays, son i. Les estimations de différents experts conduisent aux coûts suivants par élève diplômé dans les pays de l'Afrique de l'Ouest francophone : titulaires du certificat d'études : i million de francs C F A , soit 4 000 dollars environ ; titulaires d u B E P C : 3 millions de francs C F A , soit 12 000 dollars environ ; titulaires du baccalauréat : 6 millions de francs C F A , soit 24 000 dollars environ. 2. Paul L A N G E V I N , La pensée et l'action, Paris, Éditions sociales. Retour aux langues et aux cultures nationales histoire, sa grandeur et ses faiblesses, de comprendre et d'assimiler enfin le génie propre de leur peuple. L'éducation, dans le cadre des systèmes existants et hérités d u système colonial, tend à isoler l'enfant et l'adolescent de leur milieu familial et social par l'utilisation exclusive d'une langue étrangère comprise et parlée par une faible minorité (5 à 10 % de la population dans les villes, beaucoup moins à la campagne). L'enfant et l'adolescent sont en fait constamment aux prises avec deux mondes différents, d'une part celui combien artificiel de l'école, de l'autre celui de la vie familiale et sociale ; d'où une rupture psychologique permanente, un tiraillement et u n dépaysement intellectuels générateurs de complexes, d'instabilité et, pardessus tout, responsables de l'identification insuffisante, voire inexistante, de l'élève avec son milieu social et avec les valeurs de sa culture nationale. Il n'est alors pas étonnant que la société ne se reconnaisse pas dans les h o m m e s produits par le système d'éducation, ni que ceux-ci à leur tour se perçoivent c o m m e en marge de la société et coupés de leur entourage. Toute vie scolaire participe en effet à particulariser et à singulariser l'élève vis-à-vis des autres enfants et adolescents, vis-à-vis de ses parents et des autres adultes. Consciemment ou non s'installe le mythe de la supériorité de la culture étrangère, dont la langue d'enseignem e n t est évidemment le support. L e résultat est alors l'inadaptation au milieu familial et social, l'incompréhension, la m é connaissance quand ce n'est pas l'ignorance de la valeur et de la portée de la culture nationale. L e corollaire naturel d'une telle situation de fait est l'inaptitude, ou une aptitude insuffisante, à agir sur ce milieu social et familial, donc à provoquer les changements requis par les objectifs de développement. D ' o ù les phénomènes socio-culturels signalés plus haut. U n e autre conséquence, généralement peu perçue, réside dans le fait que les systèmes actuels d'éducation, du fait de l'ignorance des cultures et des langues nationales qui les caractérisent, favorisent peu, quand ils ne le freinent pas ou le contrecarrent, le développement de celles-ci et fonctionnent objectivement c o m m e des rouages perpétuant la situation héritée d u régime colonial. Circonstance qui, à la réflexion, n'est pas pour étonner, puisque aussi bien c'était précisément le rôle dévolu aux systèmes d'éducation conçus et implantés par les puissances coloniales. Les adaptations ou réformes apportées depuis l'accession de ces pays à l'indépendance politique n'ont pas fondamentalement modifié cet aspect, du moins tant que la langue d'enseignement est restée celle de l'ancienne puissance coloniale. U n e étude comparée d u coût de l'éducation, d'une part dans les systèmes hérités d u régime colonial, de l'autre dans des systèmes fondés sur l'utilisation d'une ou de plusieurs des langues nationales et sauvegardant les cultures nationales, peut difficilement, au stade actuel, revêtir u n caractère quantitatif. P e u de pays du groupe des vingt-cinq ont en effet entrepris une expérience d u deuxième type et, m ê m e quand c'est le cas, le caractère relativement récent et encore incomplet des systèmes mis en place ne permet pas de disposer de données complètes et définitives. O n peut cependant avoir une représentation qui, bien que n o n chiffrée, n'en permet pas moins de tirer certaines conclusions. L e coût relativement important des investissements initiaux destinés à l'élaboration et à la production d u matériel didactique et pédagogique, notamment lorsque la o u les langues nationales n'étaient pas écrites auparavant, est nettement équilibré par la possibilité d'une utilisation généralisée de ce matériel tant au niveau de la scolarisation des enfants et des adolescents que pour l'alphabétisation des adultes. L'utilisation d'une langue nationale c o m m e langue d'enseignement permet généralement de raccourcir de façon notable la durée de la scolarisation primaire et secondaire, la ramenant généralement de treize à dix o u onze ans 71 Abdou Moumouni en moyenne. Parallèlement, la formation des maîtres du cycle élémentaire exige alors un temps nettement plus court. Enfin et surtout, l'enseignement dans une langue nationale (maternelle ou parlée par l'enfant ou l'adolescent) conduit à u n rendement de loin meilleur, particulièrement pour ce qui est d u cycle élémentaire. E n ce qui concerne l'alphabétisation des adultes, les arguments développés ci-dessus prennent encore plus de force : aucune formation spécialisée ne serait requise du maître d'alphabétisation et celle-ci pourrait alors se développer et être menée à son terme à une grande échelle et en u n temps relativement court (l'exemple de la campagne d'alphabétisation à C u b a en témoigne de façon éclatante). L e coût de l'alphabétisation complète de la population entière du pays et surtout la possibilité effective de la réaliser (contrairement à la situation actuelle qui conduit, sur la base des études faites par l'Unesco dans les documents de travail de différentes conférences africaines1, à conclure que la bataille de l'alphabétisation est d'ores et déjà perdue) se présentent sous u n jour complètement nouveau. U n délai de quelques mois (trois à six) serait amplement suffisant pour l'alphabétisation de base, comparé à celui d'un à deux ans dans le cas de l'utilisation d'une langue étrangère. Mais, fait encore plus décisif, l'impossibilité actuelle d'alphabétiser toute la population ferait place à une possibilité effective de la réaliser dans u n délai très court (deux à quatre ans). Les avantages considérables de l'utilisation d'une langue nationale dans l'alphabétisation des adultes sont évidents sous l'angle d u coût et sont illustrés à contrario par les maigres résultats obtenus dans différents pays (Mali, Sénégal) dans le domaine de l'alphabétisation des adultes ( m ê m e sous sa forme fonctionnelle) depuis près d'une dizaine d'années, malgré l'importance de projets financés par l'aide extérieure (notamment l'Unesco). Les coûts pourraient encore être sensiblement abaissés par une utilisation systématique et judicieuse de 72 matériaux localement disponibles, dans le cadre d'une campagne nationale qui impliquerait le volontariat des alphabétiseurs. L'expérience des universités populaires dans plusieurs capitales africaines (Dakar, Niamey) a établi, sur une échelle certes réduite, que, m ê m e en utilisant une langue étrangère, le coût de l'alphabétisation d'un adulte peut être ramené à u n e s o m m e modique (3 à 4 dollars des États-Unis d'Amérique). Quoi qu'il en soit, on doit remarquer que l'évaluation précise des coûts, en l'absence de toute expérience concrète, ne saurait et ne pourrait être qu'approximative. Par ailleurs, le principe m ê m e de cette évaluation paraît très discutable, d u moins si l'on ne perd pas de vue l'effet multiplicateur — sous l'angle de l'impact sur la vie politique, économique et culturelle d u pays — qui en découle sans pouvoir être directement analysé en termes étroits de « bénéfices quantifiés ». Les conséquences multiples d'une alphabétisation en langues nationales de toute la population adulte d'un pays en voie de développement sont difficiles à cerner : sur le plan économique, les potentialités de progrès de la production et de la productivité dans différents secteurs (agriculture, élevage, artisanat) se transformeraient en possibilités réelles dans un contexte politique adéquat; l'amélioration des conditions de vie matérielle serait alors possible sur cette base (hygiène et santé notamment) de m ê m e qu'un changement important de la vie culturelle du pays (développement des cultures et des langues nationales). L'avenir de l'éducation et ses rapports avec les cultures et les langues nationales L'échec des systèmes d'éducation hérités de la période coloniale (soumis çà et là à des adap1. Notamment, celles d'Addis-Abeba (1961) et de Nairobi (1967). Retour aux langues et aux cultures nationales tarions mineures ou superficielles au niveau des programmes dans certaines matières telles que l'histoire, la géographie, les sciences naturelles) est aujourd'hui u n fait reconnu. Malgré des dépenses locales importantes et une aide extérieure considérable, les résultats après dix à quinze ans d'indépendance sont décevants : Insuffisance qualitative et quantitative des cadres autochtones formés dans tous les d o maines et à tous les niveaux, éloquemment illustrée par le recours sans cesse croissant à l'assistance technique extérieure. Inadaptation dans le meilleur des cas sinon incapacité de ces systèmes d'éducation à trouver une solution aux problèmes concrets posés par le développement économique, social et culturel des pays intéressés ; impact quasi nul de l'éducation sur la vie d u pays ; rendement dérisoire des effortsfinancierset budgétaires consentis. Coexistence de deux systèmes d'éducation : le système « traditionnel » se dégradant (notamment dans les centres urbains) tout en demeurant celui qui influence la quasi-totalité des enfants et des adolescents ; le système de type colonial constituant un îlot assez isolé de la vie d u pays dans ses aspects les plus fondamentaux (économique, social et culturel). Déception de la société tout entière et des espoirs fondés sur l'éducation; naissance et développement de phénomènes socioculturels aberrants (exode rural, délinquance juvénile, coupure entre scolarisés et n o n scolarisés, etc.) et de tensions sociales correspondantes. L'analyse proposée dans les pages précédentes souligne, d'un point de vue négatif, le rôle fondamental de l'adoption d'une langue étrangère c o m m e langue d'enseignement et d u refus de fonder le système d'éducation sur les cultures et les langues nationales. D e façon plus positive, l'expérience de pays c o m m e la République démocratique d u Viêt-nam, C u b a , les républiques socialistes soviétiques d'Asie illustre l'importance de ce choix. Éducation, cultures et langues nationales, développement A supposer que l'orientation générale de la politique et des options économiques soit théoriquement compatible avec u n développement économique et social authentique d u pays, les potentialités correspondantes ne peuvent devenir réalité sans la mise en œuvre préalable d'un système d'éducation en harmonie avec une telle orientation et qui ne réintroduise pas obliquement les valeurs et les options d'une politique néo-coloniale. L'éducation dans son acception complète déborde largement le cadre étroit de l'instruction avec laquelle l'héritage colonial a souvent conduit à la confondre et à l'identifier. Dans toute société, l'éducation consiste n o n seulement en la transmission d u savoir accumulé par les générations antérieures et des méthodes d'acquisition et d'application de ce savoir, mais aussi,, et surtout, en tout u n système complexe de valeurs spirituelles (conception de la vie, comportement social, perception de la nature, de la société et des différentes activités humaines, etc.) qui participent à la définition de la civilisation et de la culture élaborées par cette société. L e vecteur naturel de cette transmission est la langue maternelle de l'enfant et de l'adolescent, dont on sait le rôle important dans la formation psycho-intellectuelle de l'enfant et de l'adolescent et, par voie de conséquence, celle de l'adulte. Dans la mesure où la culture nationale traduit en dernière analyse les résultats de l'élaboration par la société d'un équilibre d'une part entre celle-ci et son milieu naturel, dans le cadre des objectifs qu'elle s'est assignés,, d'autre part des individus au sein de cette m ê m e société, aucun changement impliquant une participation consciente de la société tout entière ne peut être institué sur la base d'une ignorance totale de la culture nationale, mieux, s'il ne s'appuie pas sur tous les éléments de cette culture qui ne sont pas incompatibles ou exclusifs du changement visé. Surtout si l'on ne perd 73 Abdou Moumouni pas de vue la complexité d u processus d u changement, qu'il s'agisse d'un h o m m e ou d'une société. C e n'est en tout état de cause pas l'adoption exclusive d'éléments complètement étrangers au contexte social et culturel d'un peuple qui peut faciliter sa mobilisation en vue de changements, si minimes soient-ils. A moins d'adopter sous l'angle politique et social une orientation de type fasciste, aucune politique démocratique de développement économique et social ne peut donc ignorer les cultures et les langues nationales. Pour être réaliste et efficace, elle devrait m ê m e en faire sa base d'action dans son sens le plus large. E n définitive, c'est l'avenir m ê m e des pays en voie de développement, et singulièrement celui du groupe des vingt-cinq, qui est en fait largement conditionné par la reconnaissance, au niveau d u système d'éducation et de la vie culturelle nationale, de l'importance des langues et des cultures nationales. Mais cette reconnaissance demeurera inopérante tant qu'elle ne se sera pas traduite dans les faits par des décisions claires et une action organisée. A u n premier niveau, l'adoption d'une ou de plusieurs langues nationales véhiculaires c o m m e langue(s) officielle(s) doit constituer la base de départ malgré les difficultés et les problèmes d'ordre politique qu'il faudra résoudre au préalable. L'utilisation systématique des langues nationales dans les actes de la vie civile et administrative favoriserait non seulement une participation plus effective des populations à la vie politique, administrative et à la gestion de leurs propres affaires, mais créerait simultaném e n t les conditions d'un développement rapide d'un enrichissement de ces langues et leur plus grande adaptation à l'expression des concepts de la vie moderne contemporaine, le tout sur une base populaire, infiniment plus riche qu'un monopole de fait exercé par des « spécialistes ». E n m ê m e temps, les langues nationales devraient être adoptées c o m m e langues d'enseignement, à u n premier stade en vue de l'alphabétisation des enfants, des adolescents et des 74 adultes. A u n stade ultérieur et après une expérience vécue de leurs possibilités respectives de développement et de leur dynamisme culturel sur le plan national, l'utilisation d'une ou de plusieurs langues nationales dans tout l'enseignement élémentaire puis secondaire et supérieur serait progressivement généralisée et planifiée. D e nouveaux problèmes seront naturellement à résoudre, notamment : L a transcription quand elle n'existe pas (ce qui est d'ailleurs exceptionnel) des langues nationales en dehors de toute arrière-pensée de néo-colonialisme culturel ; l'alphabet phonétique international constitue une bonne base de départ, quitte à introduire de nouveaux signes graphiques pour des phonèmes particuliers ; l'utilisation des transcriptions déjà effectuées pour telle ou telle langue peut également être d'une aide notable. L'acquisition de l'équipement et d u matériel indispensables d'imprimerie et d'édition. L'élaboration de manuels et autres matériaux didactiques et pédagogiques tant pour les écoles (scolarisation) que pour la campagne d'alphabétisation générale des adultes ; parallèlement la conception et la rédaction de grammaires, de lexiques de base, de dictionnaires, etc., et une étude approfondie des procédés et méthodes d'enrichissement des langues nationales devraient retenir l'attention. L a formation des éducateurs, notamment le recyclage et une formation permanente des maîtres actuels dans le domaine de la linguistique et des problèmes spécifiques à l'utilisation des langues nationales c o m m e langues d'enseignement; la mise en œuvre de nouveaux programmes de formation des éducateurs à différents niveaux avec une souplesse suffisante pour permettre, à tout m o m e n t , de ne pas éliminer les maîtres ayant déjà entamé l'ancienne formation jusqu'à la disparition complète de celle-ci ; formation particulière des cadres de l'alphabétisation. L a réorganisation complète d u système d'éducation sur la base de l'utilisation des langues Retour aux langues et aux cultures nationales nationales c o m m e langues d'enseignement ; la pédagogie de l'enseignement des langues étrangères devra à cet égard être repensée dans ce contexte ; de m ê m e la place faite à différentes étapes de l'implantation du nouveau système devra être précisée en fonction des objectifs de l'enseignement de ces langues de communication extérieure. L a liste précédente est loin d'être exhaustive et permet de comprendre la prudence, sinon le réflexe de « peur de l'aventure », dont font preuve les autorités politiques de la plupart des pays en voie de développement devant les indispensables décisions à prendre lorsqu'il s'agit d u passage des systèmes actuels d'éducation à de nouveaux systèmes qui restitueraient aux langues et aux cultures nationales la place jusqu'ici monopolisée par la langue et la culture des anciennes puissances coloniales. U n e question préalable et fondamentale à tous égards mérite cependant ici une mention particulière : celle de l'alphabétisation des adultes. A u c u n développement des langues et des cultures nationales ne peut s'instaurer sans la participation effective d u peuple, qui demeure en effet le seul gardien et dépositaire de tout le trésor culturel national depuis l'implantation de l'école coloniale. U n e campagne nationale d'alphabétisation des adultes, des adolescents et des enfants non scolarisés constitue la priorité des priorités dans le cadre des actions à entreprendre. Par ailleurs, son organisation, son déroulement, la participation de tous ceux, sans exception, qui savent lire et écrire à sa mise en œuvre, fournissent l'occasion d'une répétition générale et d'une prise de conscience globale de la valeur des langues et des cultures nationales et de leur rôle dans la sauvegarde de l'identité culturelle d'une nation. Pour les participants (maîtres c o m m e élèves), ce pourrait être une occasion unique de renouer des rapports culturels et humains rompus. E n m ê m e temps, les problèmes fondamentaux posés par l'adoption des langues nationales c o m m e langues officielles et d'enseignement peuvent être alors clairement perçus et des amorces de solution trouvées. L'alphabétisation de la population adulte, par ailleurs, crée les conditions de base de la naissance d'une école nouvelle non isolée de la vie sociale et familiale, et où l'enfant scolarisé (dans sa langue maternelle ou une langue parlée autour de lui) cessera d'être singulier à ses propres yeux, à ceux de sa famille et au regard de la société tout entière. E n termes d'avenir, on peut affirmer, face aux résultats des systèmes actuels d'éducation, que les langues et les cultures nationales sont moins menacées qu'on ne le croit. D a n s des pays où la politique linguistique des autorités limite l'accès de l'école à une minorité, où l'analphabétisme, au lieu de reculer, ne fait que progresser et où l'immense majorité de la population est enfermée dans le « ghetto culturel » de langues et de cultures nationales, ce n'est pas leur avenir, mais les conditions de leur développement et de leur épanouissement m ê m e s qui sont en cause. Aujourd'hui elles survivent, attendant le m o m e n t propice pour renaître et revivre. E n revanche, c'est l'avenir des pays en voie de développement (ceux du groupe des vingt-cinq notamment) qui est, lui, bien préoccupant. L a politique culturelle actuelle est une politique de l'autruche, et la perplexité des responsables devant des décisions qui paraissent inévitables ne fait que retarder l'échéance et favoriser, c o m m e on peut l'observer, la stagnation sinon la régression économique et sociale, tant il est vrai qu'aucun développement authentique ne peut prendre place sans la participation consciente de tous, celle-ci supposant une identification de la société aux objectifs du développement, ce qui implique de toute évidence l'existence d'une identité nationale elle-même inconcevable sans identité culturelle. C'est dire que l'avenir politique, économique, social et culturel de nos pays ne peut être de développement tant que les langues et les cultures nationales continueront à être traitées en parias. 75 Henri Dieuzeide Réflexions sur des technologies d'éducation adaptées au développement Je n'ai pas été peu surpris il y a quelques années de voir déballer, dans u n institut de formation des maîtres d'un pays d'Afrique assez peu fortuné, plusieurs caisses d u traditionnel matériel pédagogique du D r Decroly en provenance directe d'Anvers, alors m ê m e que les ethnologues européens étudiaient avec admiration dans la région les jeux mathématiques raffinés auxquels s'adonnaient traditionnellement les tout jeunes enfants. Certes, c'était aux premiers temps de l'indépendance, et les systèmes éducatifs des nouveaux pays africains restaient encore tributaires pour leurs contenus et leurs méthodes des modèles européens importés par le colonisateur. Pour des raisons complexes et souvent évidentes, la situation dans ce domaine semble n'évoluer toutefois que très lentement. L a dépendance à l'égard des modèles coloniaux occidentaux, et en particulier des signes extérieurs de la scolarisation (tableaux noirs, par exemple), demeure très sensible : il semblerait qu'une fois coupés de leurs racines historiques originelles les méthodes c o m m e les contenus tendent à se constituer en d o g m e absolu, et désormais inac- Henri Dieuzeide (France). Ancien directeur du Département de la radiotélévision scolaire au Ministère de l'éducation nationale. Actuellement directeur de la Division des méthodes, matériels et techniques de l'éducation à V Unesco. 76 Perspectives, vol. V , n° I, 1975 cessibles m ê m e à la critique très vive à laquelle ils peuvent être soumis dans leur pays d'origine. U n e évolution vers plus de réalisme est toutefois en cours ; certains montrent de l'impatience à la voir s'exprimer encore de façon m a r ginale à des niveaux très élémentaires, mais il n'est pas indifférent de voir les enseignants d'Afrique occidentale écraser des baies o u broyer des argiles afin d'obtenir des couleurs pour les activités d'expression artistique ou de voir dans les écoles d'Asie d u Sud-Est les m a rionnettes locales ou les ombres chinoises réapparaître pour développer l'expression dans la langue maternelle ou pour apprendre une langue étrangère. Mais ces mouvements dus à des initiatives individuelles sont limités, dispersés, mal connus, inspirés par les nécessités de l'action immédiate, et ne sont généralement ni répertoriés ni diffusés. C'est pourquoi le programme de l'Unesco s'est donné c o m m e première tâche dans ce d o maine de dresser u n inventaire de ces retours des pédagogues aux traditions culturelles locales, c o m m e les utilisations de jeux locaux dans les activités scolaires en Côte-d'Ivoire ou des n u mérations précolombiennes réutilisées dans les écoles d'Amérique latine. U n e vaste collecte est en cours, avec le concours des commissions nationales pour l'Unesco, qui devrait dégager des exemples et peut-être des méthodes par lesquelles l'enseignement serait encouragé à mieux s'appuyer sur les valeurs locales authentiques. Réflexions sur des technologies d'éducation adaptées au développement Il ne s'agit pas de romantiques « robinsonnades », mais d'un m o y e n à employer parmi d'autres pour aider l'école à mieux coller aux réalités d u développement. Il s'inscrit dans le programme plus général de l'Unesco pour assister concrètement les États membres dans leurs efforts, pour adapter méthodes et matériels d'éducation aux conditions spécifiques du développement, qu'il s'agisse de déterminer à quelles conditions fabriquer des matériels éducatifs à partir des matériaux locaux (conformément à l'approche décrite par K . Robinson : « L a fabrication du papier dans les écoles du Cameroun », Perspectives, vol. IV, n° 2, été 1974) ; c o m m e n t remettre en honneur des techniques et les méthodes tombées en désuétude dans les pays européens mais susceptibles d'être utilisées dans le cadre d'un enseignement rénové (les méthodes de l'enseignement mutuel ne fleurissaient-elles pas en Inde bien avant de se développer en Europe au xvin e siècle, avec la révolution industrielle ?) ; comment tirer la leçon de l'implantation rapide de certains matériels avancés dans les pays en voie de développement et des services éducatifs originaux qu'on peut attendre d'une pareille acculturation ( c o m m e la radiodiffusion, qui s'est si bien coulée dans la tradition des cultures orales). D'autres études portent aujourd'hui sur les formules grâce auxquelles des techniques éprouvées ont pu être simplifiées et rendues moins coûteuses m o y e n nant des adaptations successives en chaîne (tel centre de matériel scientifique du Moyen-Orient produit d u matériel analogue au matériel britannique à moitié prix de celui-ci ; or ce m a tériel britannique est lui-même inspiré d'un matériel américain trois fois plus coûteux), ou sur l'identification de techniques pédagogiques nouvelles susceptibles d'être utilisées sans être appuyées sur le matériel trop complexe ou coûteux qui leur a donné naissance dans les pays industrialisés (par exemple le micro-enseignement sans circuit fermé de télévision, ou l'enseignement programmé sans support individuel, c o m m e à l'Université de Baroda en Inde). E n encourageant les États membres dans leur effort de simplification, de dépouillement et d'optimalisation économique, l'Unesco n'entend pas leur suggérer de renoncer nécessairement aux techniques avancées. Bien au contraire, certains développements techniques récents — c o m m e la généralisation des microcircuits en électronique permettant la mise au point de matériels de radio ou de magnétophones peu coûteux, l'apparition des piles solaires pour fournir l'énergie électrique nécessaire à des postes de radio voire à des téléviseurs c o m m e au Niger et, d'une façon générale, les coûts décroissants de fabrication de matériels électroniques — autorisent des espoirs dans ce sens. Il faut constater que, compte tenu des qualités exigées de ceux qui s'y engageraient, cet effort pour adapter, transposer, interpréter l'esprit des matériels existants a donné les résultats les plus significatifs avec les enseignants scientifiques. Avec l'appui de l'Unesco, des centres de développement de matériel scientifique adapté ont vu le jour au Brésil, en Israël, en Thaïlande, aux Philippines, et le Manuel pour renseignement des sciences qui rassemble l'expérience acquise à cette occasion est devenu u n bestseller pédagogique dont les tirages égalent ceux des grands prix littéraires (traduit en 26 langues, la seule édition anglaise s'est vendue à 250000 exemplaires). A mesure qu'il se développe, ce programme s'attache toutefois à ne pas fermer sur ellesm ê m e s ces tentatives pour mettre au point des matériels adaptés aux nécessités pédagogiques, aux contraintes économiques et aux réalités culturelles des pays en voie de développement. Il s'agit aujourd'hui d'examiner comment elles peuvent et doivent s'inscrire dans u n effort plus vaste de la recherche sur le développement en général et sur la mise au point d'alternatives technologiques adaptées au développement, susceptibles de diminuer leur dépendance économique et surtout technologique à l'égard des pays industrialisés. L'éducation, longtemps domaine réservé et intouchable, pourrait ainsi 77 Henri Dieuzeide s'insérer de plus en plus profondément dans le développement national. Il s'agit d'aider les pays en voie de développement à mettre au point de nouvelles solutions éducatives s'appuyant sur des technologies adaptées et qui auraient pour effet d'éviter, d'une part, l'importation massive de systèmes d'enseignement faisant appel à une production industrielle à grande échelle de moyens d'enseignement aussi économiquement insupportable que culturellement inacceptable, et d'éviter, d'autre part, la reproduction indéfinie des systèmes d'enseignement actuels fondés sur des solutions purement artisanales incapables de répondre à la demande éducative exigée par le développement. Modifier dans u n sens plus économique des accessoires pédagogiques conventionnels est immédiatement utile, mais insuffisant à long terme : lorsque des instituts pédagogiques mettent au point des projecteurs de vues fixes qui utilisent l'énergie solaire grâce à des jeux de miroirs, ou réalisent des optiques particulièrement rustiques à partir de culots de bouteilles découpés et polis, il faut constater, sans vouloir minimiser les mérites de leurs créateurs, que ces matériels sont jusqu'ici conçus c o m m e des ersatz rustiques des matériels utilisés dans les pays riches, et s'inscrivent dans la m ê m e perspective pédagogique traditionnelle. D ' o ù la question fondamentale : l'ingéniosité créatrice qui s'exprime ainsi, plutôt que d'apparaître c o m m e une ruse par laquelle se maintiennent des modèles occidentaux, ne pourrait-elle s'exercer sur des technologies susceptibles de fournir la base de nouvelles configurations pédagogiques mieux adaptées au pays ? N'est-ce pas là le problème de l'orientation à donner à l'imagination technologique éparse dans les systèmes éducatifs (et au-dehors) ? Il faut rappeler ici les principes fondamentaux de la technologie éducative : les technologies de communication ou d'organisation devraient être conçues pour servir des « systèmes » qui combinent en u n tout cohérent des m é - 78 thodes adaptées et des contenus appropriés au développement. C'est l'ensemble des intentions, des objectifs et des contenus qui doit avoir u n caractère innovateur et non les seuls matériels pris isolément. U n certain nombre de critères apparaissent déjà au travers des stratégies du développement qui s'élaborent : miser sur l'emploi d'un capital travail plus que d'un capitalfinancier,respecter l'authenticité culturelle dans les formes et dans les contenus, faire appel à l'invention endogène, utiliser les ressources locales. L a généralisation rapide du double point de vue technique (maintenance et fiabilité économique — coût de réalisation et de fonctionnement) et humain (maîtrise facile — possibilité de les améliorer par soi-même) constitue également u n des critères de base. Il est évident que des efforts de recherche et de mise au point, c o m m e l'assistance à l'introduction des innovations pédagogiques à la fois les plus efficaces et les plus acceptables, sont d'abord justifiés pour des secteurs de l'éducation qui intéressent des publics nombreux c o m m e l'enseignement primaire ou l'enseignement des adultes. Toutefois ils ne sont pas exclus à priori de l'enseignement secondaire ni de l'enseignement supérieur non seulement parce qu'ils peuvent souvent y trouver des terrains d'expansion plus favorables, mais parce que l'effet multiplicateur et accélérateur de ces techniques, pour le développement y serait parfois plus sensible qu'ailleurs. U n certain nombre de projets d'assistance aux États membres de l'Unesco devraient permettre de mieux examiner c o m m e n t combiner valablement diverses approches. L ' u n des premiers exemples aura été la tentative d'associer la radio, l'enseignement programmé et l'enseignement mutuel pour la formation des cadres en République de Guinée. Ailleurs, s'agissant de l'éducation préscolaire, certains pays qui n'ont pas les ressources humaines et financières nécessaires au développement de jardins d'enfants et d'écoles maternelles commencent à Réflexions sur des technologies d'éducation adaptées au développement utiliser systématiquement la radio pour guider quotidiennement les mères sur la manière de conduire le développement cognitif et affectif de leurs jeunes enfants par des conseils, mais aussi des émissions de jeux, de chants, d'exercices à écouter avec les enfants. Ailleurs encore, dans le cadre d u développement rural, on voit apparaître des réseaux de télé-enseignement simplifiés fondés sur la radio et comportant à défaut de distribution postale des points de dépôt pour la correction et des séances de travail avec des enseignants itinérants. Afin de mieux aider les États m e m b r e s , u n programme d'encouragement à la recherche, qui permettrait d'identifier les éléments technologiques qui se prêteraient à des combinaisons, est en cours d'élaboration avec les institutions tournées vers les problèmes d'utilisation de ressources locales à des fins pédagogiques (par exemple, modalités de communication et d'apprentissage propres aux sociétés traditionnelles). Ainsi, les institutions de formation des maîtres seront invitées à orienter dans la mesure d u possible les mémoires de fin d'études de leurs étudiants vers ces sujets, les meilleurs mémoires devant être récompensés par des prix et les résultats des travaux diffusés. Par ailleurs, les instituts de technologie et les écoles de formation de techniciens et d'ingénieurs pourront être invités à examiner les aspects techniques et économiques de ces problèmes (par exemple pour la production de matériels et de mobiliers scolaires originaux à partir des ressources locales). Des actions concertées liant par contrat plusieurs instituts de recherche pourront être envisagées, et cette recherche pourra déboucher sur une mobilisation des ressources offertes à la base par les institutions scolaires non seulement pour fabriquer tout ou partie d u matériel et de l'équipement didactiques dont elles ont besoin, mais aussi en fabriquer pour des institutions sœurs. L a formule de 1' « école usine », tentée un été à l'École normale supérieure de Brazzaville pour fabriquer u n ensemble de matériel programmé adapté à l'Afrique centrale dans le cadre d u projet de l'Unesco sur l'enseignement programmé, mériterait sans doute d'être reprise et développée. L e souci de la création et de l'invention locale ne saurait en effet enfoncer les institutions de ces pays dans l'isolement et l'égoïsme. Les aspirations à un nouvel ordre économique international, telles qu'elles s'expriment dans les résolutions des Nations Unies de mai 1974 et de la Conférence générale de l'Unesco en n o v e m bre 1974, et notamment une meilleure association des États intéressés à leur développement, devraient conduire à la généralisation de formules de codéveloppement, c'est-à-dire de mise en c o m m u n de ressources pour les études toujours coûteuses d'intérêt c o m m u n . Ainsi pratiquent déjà les pays Scandinaves pour le matériel didactique : des services nationaux intéressés s'associent pour étudier le contenu de matériels pédagogiques à produire, en procédant à des enquêtes, en lançant des études, en mettant au point des prototypes et des m é thodes de production permettant de tirer parti des ressources locales, chaque pays participant reprenant sa liberté pour décider et produire lui-même le matériel selon les formes qu'il juge les mieux adaptées aux besoins nationaux, le principe essentiel de toute coopération dans ce domaine étant que la responsabilité des contenus est du seul domaine de chaque État. O n ne saurait trop souligner les conséquences positives de ces procédures de développement en c o m m u n pour la formation des chercheurs et des réalisateurs nationaux. C o m m e il ne s'agit pas seulement de susciter des produits originaux mais aussi des infrastructures nouvelles, ces réflexions et ces développements doivent s'inscrire dans des stratégies globales d'assistance technique susceptibles d'aider les États m e m b r e s du « groupe des vingtcinq » à sortir d u dilemme éducatif dans lequel ils sont plongés. Si des combinaisons généralisables de technologies alternatives pouvaient apparaître, elles justifieraient la création d'industries pédagogiques, probablement sous la 79 Henri Dieuzeide forme de sociétés multinationales de production didactique qui leur seraient propres. Serait-il impossible de systématiser la production de pâte à papier à partir de productions végétales locales, c o m m e l'envisage la F A O ? L'impression à bon marché de matériels didactiques, la mise au point de sources d'énergie électrique bon marché pour les matériels audio-visuels (voire la télévision), la mise au point de prototypes de mobilier scolaire susceptibles d'être fabriqués ou montés par les élèves eux-mêmes (voire la modularisation de constructions scolaires adaptées aux conditions et aux besoins de ces pays) appartiennent désormais au domaine du possible. E n substituant une approche délibérément industrielle aux modalités administratives en vigueur en matière d'invention et de production didactique dans les pays d u tiers m o n d e , en favorisant les objectifs et les instruments d'une assistance mutuelle collective et en freinant l'intrusion des apports extérieurs, ne serait-il pas en quelque sorte possible de créer les conditions d'un marché c o m m u n pédagogique, qui viendrait fouetter l'imagination en m ê m e temps qu'il contribuerait tant soit peu au développement économique de la région qui l'organiserait ? Pour trouver toute leur efficacité, de pareilles industries multinationales devraient être assorties de réseaux de distribution nationaux ou multinationaux, gérés par des offices publics ou semi-publics qui auraient pour rôle de recenser les besoins, de planifier la fabrication, de donner l'agrément et d'assurer la maintenance des m a tériels didactiques scientifiques ou audio-visuels qui pourraient être fabriqués et distribués dans le cadre de ces industries pédagogiques multinationales. Dans certains cas, on serait amené à envisager des sociétés de développement conçues selon des schémas d'intégration verticale. Si l'on prend l'exemple de la radio, une telle société comporterait à la fois la production d'appareils de radio simplifiés, la mise en place de réseaux de diffusion robustes etfiableset la constitution de moyens de production des 80 émissions et des documents les accompagnant. Il est frappant de constater qu'en partant d'une intention pratique : faire en sorte que les produits didactiques de base soient accessibles à tous dans une perspective pédagogique cohérente, on retrouve les grands débats sur les techniques « douces », « n o n violentes », « à visage humain » que Perspectives évoquait dans son numéro d'été 1973. C'est dire son caractère exemplaire. U n e réflexion pédagogique qui se placerait ainsi entre l'artisanat traditionnel et le développement industriel avancé, entre l'isolationnisme culturel et la dépendance technologique pourrait être exemplaire poui aider à baliser la voie étroite vers l'utilisation créatrice (et n o n imitative) « d'une imagination technologique qui n'est pas fonction du P N B ». Certains États ou groupes d'États en voie de développement, dont la politique éducative paraît plus volontariste et plus planifiée, paraissent mieux préparés à prendre des décisions globales dans ce domaine et à conduire des actions de création didactique endogène au niveau national ou provincial. Dans d'autres régions où dominent des systèmes plus libéraux, c'est-à-dire souvent plus perméables aux pressions extérieures, c'est au niveau local que des actions plus expérimentales et plus limitées de redistribution de ressources et de réorganisation institutionnelles créeront de l'intérieur les conditions d'une rénovation éducative. A u x uns c o m m e aux autres le programme approuvé par la Conférence générale de l'Unesco voudrait apporter les moyens concrets d'accroître leur capacité à améliorer au moindre coût leurs systèmes éducatifs. C o m m e l'a indiqué le Directeur général de l'Unesco dans le discours de clôture de la dix-huitième session de la Conférence générale : « Certains pays sont tombés dans ce que l'on pourrait appeler des 'pièges technologiques'. E n procédant par imitation, ils ont adopté des techniques qui demandent beaucoup de capitaux, de matériel coûteux et de spécialistes étrangers sans être réellement adaptées à Réflexions sur des technologies d'éducation adaptées au développement leurs besoins. Il serait cependant absurde de rejeter toute innovation venant de l'extérieur ou m ê m e de ne pas recourir à des technologies de pointe chaque fois que les conditions nécessaires sont pleinement remplies. Je pense que l'un des rôles de l'Unesco devrait être justement d'aider les États membres qui le désirent à trouver un juste chemin, notamment en facilitant les échanges d'idées, d'informations et d'expériences, et en contribuant à l'exécution de projets pilotes susceptibles d'extensions. » Certes il ne s'agit pas de prétendre que tout le problème éducatif peut être résolu par la mise au point de configurations originales fondées sur des technologies endogènes. E n pédagogie, ce qui compte c'est le processus non le produit. U n e stratégie d u développement passe nécessairement par la mobilisation des h o m m e s , l'initiative populaire, la responsabilité collective telles que les appelle à grands cris le rapport de la Commission internationale sur le développement de l'éducation (Apprendre à être). Mais encore faut-il prévoir, c o m m e le souligne le m ê m e rapport, d'organiser, de préparer, d'équiper chacun de manière à lui permettre de donner le meilleur de lui-même. Il faut en effet souligner pour conclure que, tout adapté qu'il soit aux conditions scientifiques des pays en voie de développement, cet effort de promotion des technologies appropriées concerne toute la communauté internationale. C'est dans son ensemble qu'elle peut bénéficier des efforts entrepris pour simplifier les procédures d'enseignement et abaisser les coûts. L'éducation n'apparaît-elle pas dans tous les pays (quel qu'en soit le niveau d u développement) c o m m e une zone économiquement déprimée et sous-développée ? Certaines utilisations « écologiques » des moyens avancés, telles qu'elles se font jour dans les pays industrialisés ( c o m m e par exemple la video légère, qui, à la différence du cinéma, ne produit pas de déchets), vont aussi dans le sens d'une nouvelle conception des technologies d'éducation. Il n'est pas exclu que l'on arrive bientôt en matière d'éducation à un renversement du mouvement d'assistance technique des pays en voie de développement vers les pays développés. C'est alors que le beau m o t de solidarité internationale trouverait enfin tout son sens. 8l Francis J. Method Les problèmes posés par l'accroissement de l'aide à l'éducation Depuis quelques années, la réforme de l'aide internationale à l'éducation dans les pays en voie de développement est sérieusement amorcée1. Mais il y a fort à faire et il n'est pas facile de prédire les répercussions à long terme des difficultés économiques récentes et de l'évolution escomptée de l'ordre économique international sur les flux de ressources et le rythme de la réforme. O n a cependant de bonnes raisons de croire que l'interventionnisme et le paternalisme ont fait leur temps ; que les organismes d'aide vont dorénavant accentuer leur tendance à accorder la priorité à des programmes d'éducation moins élitistes, moins soumis aux impératifs économiques, moins conventionnels et plus sociaux; enfin que la réforme et l'innovation éducatives bénéficieront peut-être, dans les pays les moins avancés, d'une aide beaucoup plus importante que les années précédentes. N o u s devons présumer qu'il ne s'agit pas d'un leurre et qu'à mesure que les besoins d'aide à l'éducation des pays les moins avancés seront mieux et plus largement compris, ils pourront être satisfaits2. Si l'aide devait faire Francis J. Method (États-Unis d'Amérique). A travaillé au Nigeria avec le U. S. Peace Corps. De 1970 jusqu'à ces derniers mois, a participé pour la Fondation Ford à des études sur les politiques éducatives en Afrique et aux conférences de Bellagio sur l'éducation et le développement. Auteur, avec H. Ai. Phillips, de International assistance to education in developing countries {à paraître). 82 Perspectives, vol. V , n° 1, 1975 défaut aux priorités et aux activités nouvelles, nos propos seraient totalement vains et sans objet. Il est plus sage de se demander à quoi l'on peut s'attendre si les organismes d'aide consentent effectivement de sérieux efforts pour accroître leur assistance en l'orientant vers des secteurs d'activité nouveaux et des formes d'éducation moins traditionnelles et en lui donnant des modalités nouvelles. Il faut soigneusement peser ce qu'on peut escompter de l'assistance, ce qu'il appartient aux gouvernements bénéficiaires de faire lorsqu'ils entreprennent des réformes avec le concours de ressources extérieures ; il faut s'interroger sur le rôle de l'éducation à l'égard des changements qui intéressent d'autres secteurs ; il faut également s'attacher à mettre en place des mécanismes de coordination, d'administration et de décision qui ne portent pas préjudice aux prérogatives des dirigeants locaux et ne se traduisent pas par une dépendance accrue. Si l'assistance ne repose pas, à l'avenir, sur une stratégie des réformes, éducatives et autres, 1. Sur ce thème de l'aide internationale à l'éducation, o n lira avec fruit Education and development reconsidered: the Bellagio Conference papers, de F . Champion W A R D (ed.), Praeger, 1974. Voir aussi le Dossier de Perspectives, vol. IV, n° 2, 1974. 2. O n enregistre déjà des augmentations considérables ; la politique de l'IDA évolue dans le sens d'une aide accrue à l'éducation dans les pays les moins avancés ; le P N U D et l'Unesco prennent également des mesures particulières en faveur de ces pays. Les problèmes posés par l'accroissement de l'aide à l'éducation qui soit clairement définie et bénéficie d u soutien des autorités locales, elle sera pratiquement condamnée à fournir des ressources toujours accrues pour contribuer à soutenir des systèmes qui seront de plus en plus tributaires de son maintien, et de plus en plus grevés de dettes et assujettis aux contre-courants qui l'accompagnent. L'assistance telle qu'elle se pratiquait naguère est aujourd'hui l'objet de toute une série de critiques : la tentative d'apporter une aide suffisante à l'enseignement dans les pays les moins avancés s'est soldée par u n échec général ; l'aide, quand aide il y avait, a été médiocre et inefficace ; elle n'a pas été orientée vers le niveau d'enseignement, le secteur ou la région qui convenaient ; elle a, d'une manière générale, renforcé la dépendance des pays les moins avancés. Ces critiques n e sont pas dénuées de fondement et la situation présente fait l'objet d'un mécontentement assez général. Cela dit, elles pèchent aussi par excès de généralité ; il est trop tentant et trop facile d'en conclure que si l'assistance avait été conçue dans u n esprit plus audacieux ou plus progressiste, si elle avait été plus généreuse ou subordonnée à moins de conditions... les bénéficiaires auraient évité les difficultés avec lesquelles ils se trouvent aujourd'hui aux prises. Cela est peut-être vrai pour u n certain n o m b r e de pays, mais rien ne prouve que la majorité des pays les moins avancés auraient p u tirer parti d'une aide plus généreuse ou d'une participation plus intense des enseignants étrangers à la conception et à la mise en place de leurs systèmes d'éducation. L'aide à l'éducation risque fort de progresser plus vite que l'art d'utiliser au mieux les ressources extérieures, les experts qualifiés et chevronnés, en nombre de plus en plus grand, et les nouveaux mécanismes d'acheminement et de coordination de l'aide. Si l'on se contente de développer le programme d'assistance sans modifier les priorités, les m o d e s d'action et les structures, les réformateurs se trouveront, d'ici cinq ou dix ans, aux prises avec les m ê m e s diffi- cultés que maintenant, à ceci près qu'elles se poseront avec plus d'ampleur et qu'elles seront moins faciles à résoudre. L'aide internationale à l'éducation fait également l'objet de critiques, plus précises, portant sur les facteurs qui la limitent, la manière dont elle est déterminée et octroyée, le rythme et l'envergure des interventions, et le contexte global dans lequel va s'insérer le projet qui en bénéficie. L e caractère inadapté des systèmes actuels et leur état de dépendance permanente à l'égard de l'assistance extérieure résultent autant des réussites que des échecs de la décennie écoulée. Les critiques d'ordre général formulées ci-après sont centrées sur les problèmes que l'assistance peut faire surgir ; elle s'accompagnent de quelques suggestions sur la manière d'utiliser l'assistance de façon plus efficace. Le fossé entre les autorités locales et les mécanismes extérieurs de planification D a n s la mesure où l'assistance a encouragé les grands projets et les grandes réformes, dans la mesure où elle a encouragé l'application des techniques d'enseignement et de planification les plus modernes, elle a eu tendance à dépasser les possibilités locales de planification et d'administration et, par conséquent, à perpétuer la domination étrangère ou à créer de nouvelles dépendances technologiques. Ces inconvénients risquent plus de se produire dans le cas des pays les moins avancés, qui ont à la fois le potentiel le moins développé et le besoin d'aide le plus grand. Les instances internationales devraient consacrer, de façon absolument prioritaire, une part importante de leur attention au renforcement d u personnel national chargé de planifier et d'administrer les ressources éducatives, y c o m pris l'assistance. C o m m e l'infrastructure est pratiquement inexistante dans certains pays, il s'agira là d'un processus lent, qui demandera 83 Francis J. Method un programme de soutien étalé sur au moins cinq ans, et souvent davantage. C o m m e , de plus, certains organismes d'aide sont mieux à m ê m e que d'autres d'apporter ce soutien, les efforts déployés pour créer une infrastructure locale peuvent être l'occasion d'instaurer une division d u travail plus satisfaisante et une meilleure coordination entre ces organismes. Les organismes d'aide doivent apprendre à travailler au niveau des pays auxquels ils apportent leur soutien, m ê m e s'il leur faut, pour cela, freiner leurs experts les plus qualifiés. Ils doivent tirer parti des experts locaux sans faire de paternalisme mais également sans accabler des fonctionnaires compétents et clairvoyants en leur donnant u n sentiment d'incompétence et d'impuissance. Les institutions internationales pourraient essayer d'adopter u n langage plus simple et moins abstrus. U n éducateur u n peu scrupuleux qui s'efforce de respecter la multitude de buts, d'objectifs et de déclarations qu'on lui propose a nécessairement le sentiment qu'il ne peut pratiquement rien faire alors qu'il y a, au contraire, de sérieuses possibilités d'action. Il est sans grand intérêt de publier des travaux de recherche dont les conclusions sont incompréhensibles pour les dirigeants, ou de fournir des ordinateurs à des pays qui ne possèdent pas de statisticiens et ne disposent m ê m e pas d'un recensement bien fait. Il y a un équilibre extrêm e m e n t difficile à trouver entre l'aptitude croissante des organismes d'aide à fournir une assistance technique de plus en plus perfectionnée et la nécessité de ne pas soustraire aux autorités locales leur pouvoir de contrôle. Lorsqu'on évalue et qu'on planifie u n grand projet ou u n prêt important, il serait fort utile de traduire les analyses techniques en termes accessibles au profane et de produire des documents techniques moins rébarbatifs qui puissent toucher u n plus large public dans le pays concerné. Cela améliorerait la compréhension des aspects techniques et atténuerait la méfiance à l'égard de l'assistance. Les textes des planificateurs témoignent en général, contrairement 84 à ce qu'on croit souvent, d'une qualité, d'un réalisme et d'une ouverture d'esprit surprenants ; malheureusement, ils sortent rarement de l'institution ou d u ministère où ils ont été conçus, de sorte qu'on imagine le pire. Il faut concevoir des mécanismes nouveaux qui permettent d'augmenter le volume des ressources consenties tout en les diffusant davantage et en les adaptant mieux aux besoins locaux. Si l'on veut aider l'enseignement privé ou apporter u n soutien à toute une g a m m e de possibilités extrascolaires qui s'écartent des m é thodes traditionnelles, il faut trouver les moyens de répartir les ressources de façon plus large et plus souple que ne le permettent la plupart des structures ministérielles actuelles. L'aide devrait être versée à une institution au lieu d'être attribuée aux projets, surtout lorsqu'elle est destinée à une quantité de petits projets disséminés. Il est possible de créer des organismes nationaux. L e Conseil pour l'éducation intégrée, de l'État d u plateau de Bénoué, au Nigeria, est, semble-t-il, u n exemple intéressant. O n aura également besoin de mécanismes régionaux ou sous-régionaux. Peut-être pourrait-on s'inspirer en partie d u modèle proposé par le S E A M E S 1 en Asie, dont le réseau d'instituts techniques — c o m m e l ' I N N O T E C H 3 — utilise, pour soutenir u n certain nombre de petits projets et d'études pilotes exécutés dans des pays différents, des « enveloppes » d'aide alimentées par diverses sources d'assistance bilatérale. Il faudrait, en toute priorité, étudier les mécanismes en place et en expérimenter de nouveaux. Il faudrait en outre s'attacher tout particulièrement à trouver les structures, les processus et les modes de représentations adéquats, en veillant à maintenir, sur le plan conceptuel, la i. Southeast Asia Ministers of crétariat des ministres de Sud-Est asiatique). 2. Centre for Innovation and (Centre pour l'innovation et cation). Education Secretariat (Sel'éducation des pays d u Technology in Education la technologie dans l'édu- Les problèmes posés par l'accroissement de l'aide à l'éducation distinction entre les mécanismes de soutien et les orientations d u programme. Cependant, les mécanismes d'aide peuvent facilement avoir des répercussions au niveau des structures de l'administration locale et, c o m m e bien souvent, la réforme peut, sur le plan local, nécessiter la diversification et la décentralisation d u système, il faut veiller à ce qu'il n'y ait pas contradiction entre les mécanismes d'aide et la structure nécessaire pour le système d'enseignement. Sans doute y a-t-il des situations qui appellent une centralisation accrue, mais en ce cas il n'est guère nécessaire de chercher des modalités nouvelles pour accélérer ce genre d'évolution. O n pourrait étudier les moyens de mobiliser de façon plus efficace les ressources techniques dont disposent les pays les moins avancés. Si aucun d'eux ne possède suffisamment d'experts et dans toutes les spécialités voulues, tous, en revanche, ont au moins quelques spécialistes d'une valeur et d'un dévouement souvent exceptionnels. Si les contacts professionnels entre spécialistes des pays les moins avancés pouvaient être facilités et les échanges de personnes développés par-delà les frontières nationales et par-delà celles des disciplines, la plupart de ces pays deviendraient peut-être moins tributaires des équipes d'experts étrangers chargées de procéder aux enquêtes, aux études de préinvestissement et aux études d'évaluation, ils auraient le sentiment de pouvoir négocier d'égal à égal avec les équipes techniques envoyées par les organismes d'aide et, grâce à la multiplication des possibilités de rapports professionnels stimulants et fructueux d'un pays à l'autre, ils seraient peut-être en mesure de retenir u n plus grand n o m b r e de spécialistes hautement qualifiés. La distorsion d e l'ordre de priorité E n fournissant le matériel, le personnel et les crédits en abondance aux tout premiers stades de l'expansion de l'enseignement, l'assistance a généralement eu pour effet d'entraîner une distorsion d u financement local, de conférer trop tôt la prépondérance au secteur de l'éducation, d'accélérer les tendances centralisatrices et de retarder la prise en charge des dépenses ordinaires par l'économie d u pays. Il n'est sans doute pas possible d'éviter entièrement pareille distorsion. Les pays les moins avancés ont u n revenu par habitant inférieur à ioo dollars, u n secteur public peu développé et u n taux de scolarisation infime ; en outre, la majeure partie de la population vit en économie de subsistance et ses contacts avec l'administration sont réduits à leur plus simple expression. Lorsqu'il n'existe pas de mécanisme de planification efficace, ce sont finalement les disponibilités financières qui ont tendance à jouer le rôle déterminant dans l'élaboration des plans. Il arrive que l'aide à l'éducation soit supérieure au budget de l'éducation nationale et dépasse la moitié d u budget de l'État. Lorsqu'on injecte de nouvelles ressources dans u n secteur aussi restreint, qui entretient avec le reste de l'économie des relations aussi précaires, cela ne peut manquer d'affecter, au moins partiellement, les autres priorités. Si l'on aide les pays à développer leur capacité de planifier et de coordonner les ressources, le choix des priorités s'en trouvera facilité. D e plus, à mesure que la planification locale se développera il deviendra de plus en plus nécessaire de coordonner l'aide, ce qui peut se faire de deux façons, soit que le pays bénéficiaire fasse connaître ses besoins et négocie collectivement avec les donateurs, soit que ceux-ci fassent collectivement connaître leurs intérêts et leurs possibilités. Il faut qu'il y ait à la fois planification à l'échelon local et u n certain degré de coordination de l'assistance si l'on veut voir s'instaurer u n véritable dialogue et une association authentique de partenaires. Mais si les organismes d'aide peuvent à la fois contribuer à mettre en place les mécanismes locaux de planification et concourir à la définition 85 Francis J. Method d'une stratégie coordonnée de l'aide, le pays en est, au début, réduit à élaborer ses plans et à former des v œ u x pour que l'aide suive. D a n s u n premier temps, il serait souhaitable que les organismes d'aide s'intéressent davantage à la capacité d'absorption d u système concerné. L e rythme de l'aide, son échelonnement et sa composition ont peut-être autant d'importance que son montant global. Il suffit parfois de deux experts pour doubler l'effectif d'un service. Il se peut qu'une école technique soit le seul établissement du genre et joue de ce fait u n rôle déterminant dans le domaine qui est le sien. Il y a des pays où le nombre des bourses de perfectionnement offertes est supérieur à celui des candidats éventuels. Les organismes d'aide devraient perdre l'habitude de parler des projets qui bénéficient de leur assistance c o m m e s'il s'agissait de leurs propres projets — « projet de la B I R D », « projet de la Fondation Ford », par exemple — et d'agir en conséquence. Q u a n d bien m ê m e le financement serait intégralement assuré par des sources extérieures, et si légitime que soit le désir des organismes d'aide de faire connaître leur action, il doit être clair que le projet qui bénéficie d'une assistance est le projet du ministère compétent ou de tout autre organisme qui reçoit l'assistance. Pour que des priorités puissent être fixées et que puisse être apprécié l'effet global de l'aide, il faut que l'organe de planification ait u n droit de regard sur le projet. Certains ministères sont tout à fait prêts à accepter n'importe quel projet d'assistance, ou à peu près, dès l'instant que celui-ci se traduit par u n accroissement net des ressources d u pays. Les organismes d'aide qui proclament leur volonté d'encourager le choix des priorités gagneraient en crédibilité s'ils donnaient l'assurance que toute aide qui n'aura pas été affectée à u n secteur pourra l'être à u n autre. D ' o ù l'intérêt de la formule de programmation par pays que le P N U D a adoptée. L'Unicef fournit u n excellent exemple d'institution qui allie à des objectifs très nets, sur le plan des program- 86 m e s , une grande souplesse en ce qui concerne les moyens. L a compétence des mécanismes de coordination mis en place ne doit pas se limiter à l'éducation ; elle doit s'étendre aux questions sociales et à la formation dans tous les secteurs. Il serait peut-être nécessaire d'étudier de plus près la possibilité d'un financement direct des dépenses ordinaires. Mais c o m m e ces dépenses sont principalement réglées en monnaie locale, on voit mal c o m m e n t elles pourraient être financées directement par l'assistance au secteur de l'éducation. Leur prise en charge ne saurait vraisemblablement prendre que la forme indirecte d'une remise générale de dettes ou celle d'une contribution en nature — fourniture de papier, etc. Pour s'être traduite par une intervention trop rapide et/ou insuffisamment circonspecte, l'assistance n'a pas toujours su s'adapter aux conditions locales ni accorder l'attention voulue à la création des conditions qui, à commencer par les capacités locales et la compréhension, sont nécessaires si l'on veut entreprendre des réformes efficaces, appropriées et durables. S'il n'est pas de remède infaillible au m a n q u e de circonspection, il est relativement facile d'éviter la précipitation. E n dépit d u nombre considérable d'enseignants qui ont été mis à la disposition de certains des pays les moins avancés, le fait est que, à l'exception d'un très petit nombre de cas c o m m e celui de l'Ethiopie et de la R é p u blique-Unie de Tanzanie, la plupart des organismes manquent de personnel possédant une expérience directe des systèmes d'éducation de ces pays. E n outre, la politique qui consiste à envoyer les experts accomplir de brèves missions dans des pays petits et peu prestigieux avant de les affecter dans des pays plus importants et plus prestigieux ne va guère dans le sens d'une programmation attentive, fondée sur une information suffisante. Si l'on veut que les pays les moins avancés puissent tous bénéficier de grands programmes d'assistance, les personnes Les problèmes posés par l'accroissement de l'aide à l'éducation responsables, qui interviennent dans la détermination des orientations, doivent être n o m mées pour des périodes aussi longues que possible, avec la perspective de pouvoir continuer, à l'expiration de leur mission, à jouer u n rôle dans l'élaboration des programmes de l'organisme d'aide durant une période d'au moins trois ans, et plus si possible. Outre qu'il est probablement impossible de se familiariser avec la situation locale dans u n laps de temps plus court, cette mesure devrait contribuer à réduire la hâte suscitée par la volonté d'obtenir des résultats rapides. La manière la plus sûre d'éviter une programmation défectueuse est peut-être d'amener les organismes d'aide et les pays bénéficiaires à prendre aussi largement que possible conscience de la nécessité de créer les conditions préalables. Avant d'allouer de nouvelles ressources en grande quantité ou d'accorder leur soutien à de nouvelles orientations importantes, les organismes d'aide devraient s'assurer que trois conditions au moins sont réunies : existence d'un plan d'ensemble témoignant d'un certain accord sur les objectifs et les priorités ; existence d'une structure administrative et d'un effectif suffisant de personnel local compétent ; existence d'une base permettant de se donner les moyens d'entreprendre les recherches fondamentales nécessaires, notamment la collecte des données démographiques élémentaires. Pour les organismes d'aide, poursuivre sur leur lancée sans se livrer au préalable à une étude sectorielle et/ou à de nouveaux travaux de planification reviendrait purement et simplement à développer leur action selon les modalités traditionnelles, et à bâtir sur la base fragile et mal connue qu'offre le système en place. Il ne s'agit pas, bien entendu, que ce principe fournisse un prétexte pour refuser une aide ; ce qu'il faut, c'est comprendre que si les conditions é n u m é rées plus haut ne sont pas réunies, il importe de s'employer, en priorité, à les réaliser. Vers une assistance novatrice Pour avoir voulu observer de façon trop rigide les normes internationales ou celles qui étaient en vigueur dans les anciennes métropoles, l'assistance a eu tendance à mettre en place ou à renforcer des systèmes qui, si excellents qu'ils puissent paraître au regard de ces normes, n'en sont pas moins élitistes, restrictifs et coûteux, et ne répondent que d'une façon tout à fait marginale aux besoins locaux. U n e autre critique qu'on peut formuler, et qui se rattache à la précédente, est que le souci étant d'obtenir le m a x i m u m d'impact et la rentabilité la plus élevée en m ê m e temps que la plus immédiate pour les s o m m e s investies dans l'éducation, l'aide a surtout été allouée à l'enseignement supérieur, à l'enseignement secondaire général, à la formation technique et, plus récemment, à la formation des enseignants. O n n'a pas fait grand-chose en faveur de l'enseignement rural, de l'enseignement primaire, de l'éducation des adultes, de l'éducation compensatoire pour les minorités négligées et les femmes, de la vulgarisation et des autres formes de diffusion d u savoir. Ces diverses activités ont reçu moins de 10 % d u volume global de l'aide à l'éducation. Cependant il faut se garder d'interpréter ce fait uniquement c o m m e l'indice d'un préjugé ou d'un m a n q u e d'intérêt de la part des organismes d'aide. Si ces divers secteurs n'ont pas bénéficié d'une aide plus substantielle, il y a à cela plusieurs raisons, et c'est précisément à l'égard de ces formes d'éducation que les partisans de priorités nouvelles risquent d'aller trop loin. L a plupart des formes d'éducation qui sont moins traditionnelles, plus localisées et moins institutionnalisées ont relativement moins besoin d'aide extérieure, la plupart des dépenses étant consacrées à la rémunération du personnel local et à l'achat de matériaux locaux peu coûteux. Exception faite de certains conseillers et experts particulièrement importants, des transports, d u papier et peut-être de certain 87 Francis J. Method matériel de reproduction ou matériel éducatif, on voit mal ce qui justifierait une aide de type classique substantielle. U n e aidefinancièregénéreuse peut être utile, mais en général les services d'enseignants, principal élément de l'aide à l'éducation, ne sont guère utilisables. Lorsqu'il a été fait appel à une aide étrangère considérable pour soutenir une action dont le but était d'étendre la portée des systèmes d'enseignement, les projets ont souvent été conçus de manière à permettre l'emploi de ressources pouvant être obtenues de l'extérieur. Ces projets se caractérisent par des coûts unitaires élevés et une dépendance permanente à l'égard des matériels importés et des experts étrangers, ce qui interdit pratiquement leur financement par le pays bénéficiaire. Sans doute n'était-ce pas là le but recherché, mais tel est le résultat. Les organismes d'aide seront certainement invités à fournir ce genre d'aide à l'éducation à l'avenir et la plupart d'entre eux donneront, selon toute probabilité, une réponse positive à ces demandes d'aide. Pour qu'ils soient moins tentés d'accorder — et les gouvernements de solliciter — des ressources pour des activités faiblement prioritaires ou inappropriées, il faudrait que les uns ou les autres puissent toujours se référer à des estimations assez précises des autres activités qui nécessitent, elles aussi, une aide et qui sont plus urgentes ; l'une des tâches à entreprendre à cet égard est de préciser le type, l'importance et les sources éventuelles de l'aide nécessaire pour l'éducation de masse, à l'exception des besoins de personnel. Il y a beaucoup à faire sur le plan régional ou international ; sans se limiter aux pays les moins avancés, ces efforts n'en seront pas moins fort utiles pour aider ceux-ci à réformer l'enseignement. L e système des Nations Unies fournit, sur ce plan, deux exemples instructifs : celui du Bureau international d'éducation (BIE) qui a mis en route u n service international d'information et d'études sur l'innovation éducative dont l'objet est de faciliter l'échange d'informations sur les innovations prometteuses ; celui 88 de l'Institut international de planification de l'éducation (IIPE). L'exemple de l'International Extension College est également intéressant; cette institution apporte, en effet, une aide technique à la réalisation de plusieurs programmes de vulgarisation dans les pays africains les moins avancés. L'une des meilleures façons de favoriser indirectement l'apparition d'optiques nouvelles à l'égard de l'éducation est d'aider à mettre en place des moyens de recherche et de développement. Les aspects des réformes qui ont des répercussions politiques et culturelles doivent é m i n e m m e n t relever des autorités locales. L'intervention des organismes extérieurs ne peut se traduire que de façon indirecte par u n soutien au développement local des institutions et des ressources en personnel compétent. Il y a beaucoup de pays où l'assistance n'a pas toujours reçu u n accueil favorable, sauf lorsqu'elle était destinée aux niveaux supérieurs, économiquement productifs, d u système scolaire à l'occidentale. Souvent les problèmes éducatifs, les groupes de population, les problèmes sociologiques et les questions techniques dont on demande instamment aux organismes d'aide de s'occuper sont précisément ceux pour lesquels ces organismes sont le plus démunis, faute d'avoir suffisamment d'expérience, de familiarité avec les problèmes et d'experts disponibles ; faute aussi d'avoir une marge de m a nœuvre suffisante laissée par les autorités locales. Les organismes d'aide se trouveront confrontés à deux types de problèmes, les uns d'ordre technique — rentabilité et pédagogie — les autres d'ordre politique : choix de la langue d'enseignement, questions de caractère culturel et religieux. Mais lorsque les autorités locales manifestent le désir de recevoir une aide pour ce genre d'activité, elles l'obtiennent, semblet-il ; c'est ainsi que la Banque mondiale et l'Unesco accordent une assistance technique pour l'enseignement islamique en Mauritanie. U n e grande partie des arguments sur l'éducation non traditionnelle, l'éducation perma- Les problèmes posés par l'accroissement de l'aide à l'éducation nente, etc., qui sont exposés dans les publications actuelles sur l'innovation pédagogique sont trop récents pour être pleinement assimilés. Quoique les formes n o n traditionnelles d'éducation aient jusqu'à présent bénéficié d'une aide mesurée, une bonne part de l'expérience acquise repose sur les études de cas effectuées dans les pays les moins avancés. Il faudrait continuer à inventorier ces études ; des ressources extérieures pourraient utilement contribuer à hâter l'échange d'expériences entre pays. Enfin, certaines des activités éducatives qu'on encourage actuellement les organismes d'aide à soutenir n'ont pas p u l'être parce qu'elles ne rentrent dans le domaine de compétence que d'un très petit nombre de ces organismes. L a plupart des organismes d'aide ont une marge de m a n œ u v r e à peine supérieure à celle des ministères avec lesquels ils collaborent. Sauf à trouver le m o y e n de sortir de la capitale, de s'écarter des grands axes, de s'éloigner des grandes villes et d'échapper à l'emprise de l'administration, il est très difficile d'atteindre les masses rurales. Certains secteurs ne pourront pas bénéficier d'une aide, c'est u n fait, tant que les autorités ne s'y intéresseront pas de façon active et n'élaboreront pas elles-mêmes leurs programmes. E n outre, si l'on cherche à atteindre des zones nouvelles en étendant le système, on risque fort de n'obtenir, au lieu de l'innovation si souvent réclamée, qu'une pure et simple extension de l'enseignement traditionnel. Il est fort à craindre, par exemple, que les pouvoirs publics, en concentrant leur aide à l'éducation extrascolaire, l'éducation villageoise traditionnelle, l'enseignement religieux, la formation en cours d ' e m ploi, et à toutes les autres formes d'enseignement original, n'aboutissent à l'élévation des coûts, à l'uniformisation des programmes, à la normalisation progressive des nouveaux systèmes et à la destruction de cette originalité, de cette diversité et de cette souplesse qui avaient initialement paru dignes d'intérêt. L à encore, il faut faire très attention au mécanisme de l'assistance et à l'institution qui l'achemine. Il n'est pas évident qu'un transfert de ressources rapide et massif en direction des pays les moins avancés suffise à résoudre leurs problèmes fondamentaux. Il se pourrait fort bien qu'un programme d'assistance élargi n'ait pas plus d'effet que le programme actuel. L'impact et l'utilité de l'aide seront d'autant plus grands qu'elle sera mieux adaptée à l'appareil politique et administratif local. Cet appareil luim ê m e échappe à l'influence directe des organismes d'aide. Et pourtant si l'on ne parvient pas à trouver le m o y e n de développer les cadres de direction et de renforcer les capacités a d m i nistratives et techniques d u pays, les organism e s d'aide en seront réduits à soutenir des réformes impossibles à appliquer parce q u e mal conçues, parce que le pays ne possède pas le potentiel suffisant et parce que la réforme n'y bénéficie pas d'une compréhension et d'un soutien suffisants. E n l'absence de plans d'enseignement n o u veaux et de stratégies améliorées pour la mise en œuvre des ressources extérieures, l'assistance ne peut guère que maintenir et accroître son soutien aux activités qui en bénéficient dès maintenant. Si le pays ne possède pas de dirigeants capables d'initiative, les organismes se trouveront devant l'alternative d'avoir soit à cesser toute aide, soit à lui conserver le style qu'elle a eu par le passé. E n fait, si les éducateurs locaux ne cherchent pas activement à prendre des initiatives et des responsabilités nouvelles, l'assistance élargie risque d'être utilisée au service d'activités qui, si les restrictions budgétaires étaient plus sévères, n'auraient bénéficié d'aucune aide. Les organismes d'aide semblent convaincus de la nécessité de se montrer plus souples et plus coopérants avec les autorités locales, d'instaurer u n nouveau style de collaboration, et de connaître clairement les choix politiques locaux. Ils s'attachent de plus en plus à aider au développement des capacités locales d'administration, de planification et de recherche soit en assurant la formation d u personnel 89 Francis J. Method nécessaire et en soutenant les programmes locaux de planification et de recherche, soit, de façon plus directe, en donnant leur appui aux études sectorielles et aux travaux de planification. Cependant, ce qui reste caractéristique de la situation actuelle c'est qu'il y a peu de pays qui aient mis au point soit pour leur propre usage, soit pour assigner u n ordre de priorité aux demandes d'aide extérieure, des plans d'éducation clairement définis. O r c'est aux éducateurs et aux planificateurs des pays bénéficiaires qu'il incombe plus que jamais de préciser leurs besoins en matière d'assistance et d'assurer la coordination et l'exécution des projets. Passer de la quantité à la qualité Il y a certes des secteurs et des aspects de l'éducation qui n'ont pas bénéficié d'une aide suffisante et où u n surcroît d'assistance pourrait être utile ; c'est le cas de l'aménagement des programmes, de la production de matériel éducatif o u encore d u développement de l'infrastructure de l'administration et de la planification. E n revanche, il y a des catégories d'aide qui paraissent dorénavant trop coûteuses, injustifiées, prématurées, ou inadaptées au financement externe et qui ne doivent pas bénéficier à l'avenir d'une priorité élevée dans les programmes d'assistance — fourniture massive d'enseignants étrangers pour les établissements d u premier et d u second degré, techniques onéreuses c o m m e la télévision, universités et institutions très spécialisées qui, si excellentes soient-elles, entraînent des dépenses disproportionnées aux besoins des autres secteurs de l'éducation. Si, par u n miracle de diplomatie ou de technocratie, les spécialistes, les h o m m e s politiques et les administrateurs concernés pouvaient se mettre d'accord sur les projets qu'il convient de développer et ceux qu'il faut réduire, ceux qu'il faut mettre sur pied et ceux se auxquels il faut mettre u n terme, il est probable qu'on parviendrait, au bout d u compte, à u n volume comparable, à peu de chose près, à celui des programmes d'assistance technique actuels. L'essentiel, c'est que l'aide à l'éducation bénéficie d'ores et déjà d'une priorité élevée dans la plupart des programmes nationaux — puisqu'elle représente environ le tiers de l'aide globale — et sert déjà à couvrir une fraction anormalement élevée des dépenses d'éducation dans la plupart des pays les moins avancés. Dans plusieurs cas l'assistance, évaluée au coût normal des facteurs, dépasse les budgets nationaux de l'éducation. Il est peu probable que l'aide à l'éducation augmente beaucoup, que ce soit en valeur relative ou en valeur absolue, tant qu'il n'y aura pas u n accroissement substantiel de l'aide globale aux pays les moins avancés ou u n déplacement des priorités nationales se traduisant par une utilisation accrue des ressources locales pour l'expansion d u secteur de l'éducation et par une plus grande aptitude à utiliser l'assistance technique. Q u a n d bien m ê m e l'aide augmenterait en valeur absolue, il est peu probable que dans les pays les moins avancés la fraction affectée à l'éducation augmente. C e qui est vraisemblable, c'est que si l'aide accordée à ces pays s'accroît, ce seront plutôt les secteurs autres que l'éducation qui en bénéficieront. C'est bien ce qui se passa, d'ailleurs, en ce qui concerne les 35 millions de dollars affectés par le P N U D pour des mesures spéciales destinées aux pays les moins avancés durant la période comprise entre 1973 e t I97<>- Il semble que ces affectations spéciales se soldent par une extension des programmes nationaux, autrement dit qu'elles permettent d'entreprendre des programmes de plus grande envergure, mais dont le contenu n'a guère changé. U n petit nombre de pays ont bien ajouté à leurs programmes quelques projets éducatifs, qui visent à créer, à renforcer o u à soutenir des établis- Les problèmes posés par l'accroissement de l'aide à l'éducation sements d'enseignement général ou technique. Mais pour la plupart les nouveaux projets sont de type tout à fait classique ; ils ne concernent pas l'éducation et ne sont pas spécialement conçus pour les pays les moins avancés. Dans la liste des 150 projets qui ont été élaborés dans le cadre des programmes à m o y e n terme et à long terme pour les six pays de la région soudano-sahélienne, il est question d'irrigation, de construction de puits, de construction de routes, de reconstitution du cheptel, de services d'hygiène et de santé... et il a fallu quelques objections de la part d u Secrétariat pour que les problèmes d'éducation et de formation soient pris en considération. A supposer que les diverses mesures spéciales proposées pour les pays les moins avancés se traduisent effectivement par u n accroissement net des flux d'aide, on peut escompter u n accroissement immédiat de la valeur monétaire de l'aide à l'éducation dans ces pays, mais à long terme il faut s'attendre à une baisse relative de cette aide qui, de 30 à 35 % au total, devrait se rapprocher des 10 à 15 % que les pays en voie de développement consacrent actuellement aux dépenses d'éducation et de formation. Il se peut m ê m e que l'aide à l'éducation baisse en valeur absolue si, d'ici là, les pays arrivent à réduire certains besoins d'assistance particulièrement coûteux, notamment leurs besoins de professeurs étrangers non spécialisés pour le second degré. Il faudra suivre de près cette évolution. Les modalités et la composition de l'assistance seront probablement de meilleurs indices de progrès que les fluctuations d u volume global de l'assistance ou de la fraction consacrée à l'éducation. Il est important de faire une distinction entre les réductions d'aide consécutives aux difficultés que les donateurs peuvent éprouver à réunir des fonds et celles qui résultent d'une diminution et/ou d'une modification des besoins. E n tout état de cause, il ne faut pas oublier qu'une réduction de l'aide peut être l'indice que des progrès ont été réalisés à l'échelon local et que les priorités ont changé, tandis qu'inversement une augmentation peut indiquer une accentuation de l'enracinement des méthodes traditionnelles et une aggravation de la dépendance. L a tendance à croire qu'il y a équation entre progrès et croissance risque malheureusement de se traduire par une multiplication de résolutions exhortant les organismes d'aide à atteindre des objectifs numériques à des dates fixes ; et les statisticiens de mesurer consciencieusement le progrès d'après le niveau de l'aide par habitant, exprimé en pourcentage d u P N B ou d u budget national de l'éducation ; quant aux analystes, ils partiront de l'hypothèse que, dès l'instant où l'on s'en tient à l'indice, le signe « plus » signifie progrès, le signe « moins » dérapage. Pour les donateurs, la façon la plus c o m m o d e d'augmenter leur aide, c o m m e on les y exhorte, sera de persévérer dans les formes d'assistance à la fois coûteuses et traditionnelles — bourses, experts, matériaux de construction, ordinateurs, papier... Autre problème lié à celui qui est évoqué plus haut : on s'attend à ce qu'une partie au moins des ressources des pays de l ' O P E P soit affectée à l'aide au développement soit par le truchement de la Banque mondiale ou d u P N U D , soit dans le cadre de nouveaux accords bilatéraux ou par le biais de fonds spéciaux. Plusieurs suggestions sont à l'étude et l'un ou l'autre de ces mécanismes devrait, selon toute vraisemblance, fournir des ressources nouvelles. L a difficulté réside dans la pénurie de personnel d'assistance technique nécessaire pour aider à concevoir et exécuter les projets additionnels. M ê m e en partant d u principe que le personnel d'exécution devrait être en majeure partie c o m posé de nationaux, on ne peut se soustraire à la nécessité de faire appel à de nombreux experts étrangers. Sans eux, il est fort à craindre que les nouvelles ressources ne se traduisent purement et simplement par u n complément d'aide substantiel aux projets traditionnels. Il y a trois solutions qui permettent d'éviter cet 91 Francis J. Method inconvénient, et le mieux est de les combiner. E n premier lieu, si l'aide autre que celle qui serait fournie par les pays de l ' O P E P contribuait à développer la capacité des pays à planifier et réaliser e u x - m ê m e s le développement de l'éducation nationale, y compris à déterminer et obtenir l'assistance dont ils peuvent avoir besoin, les nouvelles formes d'assistance trouveraient alors u n cadre dans lequel elles pourraient s'épanouir. E n second lieu, la mise en œuvre des ressources nouvelles devrait, lorsque c'est possible, faire appel à la compétence technique d u groupe de la Banque mondiale et des programmes d'assistance c o m m e ceux d u P N U D / U n e s c o , qui reposent sur le principe de la programmation par pays. Cela peut se faire m ê m e si les ressources nouvelles ne sont pas effectivement fournies par l'intermédiaire des organismes précités. E n troisième lieu, une partie de l'assistance peut servir utilement à financer certains apports qui exigent surtout de gros investissements et des crédits extérieurs (matériaux de construction, papier, combustibles, moyens de transport, etc.). L'aide doit-elle augmenter de façon substantielle ? L a question est controversée ; en tout cas critiquer les objectifs numériques n'équivaut nullement à prendre position contre le principe de la croissance. D è s l'instant où les besoins sont formulés de façon explicite et où ils sont incorporés au plan, l'assistance ne risque guère de fausser les priorités, ni l'offre de susciter la demande. Cela dit, il faut résister à la tentation des objectifs quantitatifs et s'employer essentiellement à mettre en place des capacités d'analyse, des moyens pour identifier et définir les besoins, et des mécanismes nouveaux pour acheminer l'aide. Pour l'assistance, le critère de la réussite n'est certes pas son augmentation pure et simple : c'est la mesure dans laquelle elle a ou n o n contribué à résoudre u n problème. Lorsqu'on en est à la programmer, il faut définir les 92 besoins en fonction des buts à atteindre et n o n du volume des ressources à y consacrer ; ainsi on préférera toujours : A une augmentation de l'aide en devises étrangères une assistance qui permettra de réduire les dépenses en devises qu'exige l'effort d'éducation ; A la fourniture d'enseignants ou de spécialistes en plus grand nombre, une aide qui contribuera à remédier à la pénurie d'enseignants ou de spécialistes ; A une assistance de caractère technologique (télévision, etc.), une aide qui permettra d'étendre les services éducatifs à une région géographique plus vaste ou à une plus large couche de la population ; A la fourniture de services consultatifs, u n e aide qui favorise l'instauration d'une planification et d'une gestion compétentes ; A une aide à l'enseignement technique supérieur, une assistance qui vise à éliminer la pénurie de techniciens de niveau m o y e n . Il se peut (encore n'est-ce pas sûr) que cette attitude aboutisse, tout compte fait, à des recommandations et à des projets assez peu différents de ce qui se faisait auparavant ; mais, et ce serait là u n élément nouveau, ils seraient orientés vers des objectifs acceptés, ce qui permettrait d'ailleurs de réviser le programme au fur et à mesure de son exécution, en fonction des besoins locaux. Les problèmes d'ordre politique, structurel et technique sont plus difficiles à résoudre q u e la pénurie de ressources. Si les ressources sont définies en fonction d u système au sein duquel elles seront utilisées, les solutions seront peut-être plus réalistes, quoique plus difficiles à mettre en œuvre, que si elles sont subordonnées à la mobilisation de ressources suffisantes pour s'attaquer aux problèmes par les méthodes traditionnelles. Les ressources classiques (crédits ¿ matériel et équipement ; main-d'œuvre qualifiée) sont tout bonnement insuffisantes et la situation n'est pas près de s'améliorer. Quant aux choix politiques et au sens technique, c'est Les problèmes posés par l'accroissement de l'aide à l'éducation peut-être ce qu'il y a de plus rare en fait de ressources ; en revanche, c'est aussi ce qu'il y a de moins cher. Les organismes d'aide pourraient m ê m e , c o m m e M . Joseph Ki-Zerbo en avait fait la suggestion en juillet 1974 1 , traiter les choix et les volontés de réforme affirmés par les bénéficiaires c o m m e u n investissement représentant une partie de la contribution exigée en contrepartie des dépenses consenties en faveur d u programme. Si les éducateurs se mettent à repenser leur pédagogie et les politiciens leurs choix, si l'on assigne de nouvelles priorités aux stratégies d u développement, on s'apercevra peut-être que les problèmes ne sont pas insolubles et que les ressources nécessaires ont toujours été disponibles. Si, en revanche, on s'en tient aux solutions traditionnelles, il faut bien admettre, si dur que cela puisse être, que les problèmes économiques et sociaux des pays les moins avancés, à commencer par les problèmes de l'enseignement, sont loin de pouvoir être « résolus ». Les solutions, quelles qu'elles soient, viendront beaucoup plus de l'action des dirigeants politiques des pays intéressés que de l'intervention de l'aide étrangère. O n peut demander aux organismes étrangers d'assister, d'alimenter, de soutenir, de coopérer ; il n'est pas en leur pouvoir de diriger, il ne leur appartient pas de décider. Les organismes internationaux ont de toute évidence un rôle créateur, stimulant, directeur à jouer. Cependant, si les pays qu'ils aident n'ont pas chez eux les dirigeants, le soutien dévoué et les capacités techniques nécessaires pour concevoir et mettre en œuvre leurs propres solutions, ce ne sont pas les mesures de réorganisation internationale, les beaux discours et les discussions de technocrates qui pourront changer véritablement la situation. 1. Réunion préparatoire d'experts pour la réunion de hauts fonctionnaires des ministères de l'éducation des vingt-cinq pays les moins développés, Paris, 8-12 juillet 1974. 93 Khamphao Phonekeo Le défi laotien : une éducation non « polluante » baines riches d'Occident non seulement n'a pas toujours apporté le progrès escompté, mais endosse sans doute une assez lourde responsabilité dans le déséquilibre croissant de ces pays. L'école occidentale, imprudemment transplantée en Afrique et en Asie, a souvent davantage propagé l'idéal de la consommation que celui de la production ; elle a conduit à l'abandon des cultures populaires nationales et locales vivantes au profit d'une culture en conserve petitebourgeoise, urbaine et cosmopolite, encourageant ainsi l'exode vers des villes qui offraient consommation et culture cosmopolite. Les exam e n s ont suscité l'arrivisme, la ruée vers les administrations, le mépris du travail manuel ; les programmes, académiques et intellectuels, ont généralement négligé la formation personnelle, familiale et sociale. C'est ainsi que l'école conventionnelle héritée du colonialisme — puissamment aidée par la publicité commerciale, l'importation des produits étrangers de consommation, etc. — a été largement responsable de troubles graves et, bien loin de favoriser u n développement harmonieux, l'a parfois assez sérieusement compromis. N o n seulement l'éducation inadaptée coûte très cher, mais elle peut mettre en danger les équilibres de base d'une société. N o n qu'il faille fermer l'école ou supKhamphao Phonekeo (Laos). Directeur de l'enseigneprimer les moyens de communication de masse, ment secondaire. Ancien conseiller culturel et délégué permanent auprès de l'Unesco. Ancien directeur de mais, de m ê m e que l'on cherche aujourd'hui des l'enseignement primaire et de l'éducation des adultes formes d'énergie matérielle qui ne comproau Ministère laotien de l'éducation. Auteur de plusieurs mettent pas l'air et l'eau, il faudrait chercher Personne ne met plus en doute l'importance de l'éducation qui, ouvrant aux masses une participation active à la vie politique, professionnelle et culturelle, engage l'ensemble de la société dans la voie du progrès socio-économique. Il s'agit là, bien sûr, de l'éducation réellement adaptée aux besoins de tel ou tel pays et respectueuse de ses équilibres, car autant certaines actions éducatives peuvent, à un m o m e n t donné et dans une société donnée, être bénéfiques, autant certaines autres peuvent être nuisibles ; et telle éducation qui a fait merveille dans u n pays peut fort bien en « empoisonner » un autre. L'erreur des années cinquante fut de croire et de faire croire aux pays dits « en développement » qu'il leur suffisait d'augmenter le nombre des écoles, des élèves, des professeurs et des années d'études pour assurer le développement. Telles furent, on le sait, les thèses qui triomphèrent aux conférences de Karachi en i960 et d'Addis-Abeba en 1961 ; elles coûtèrent cher au tiers m o n d e . L a multiplication, dans les pays ruraux très pauvres de l'Asie et de l'Afrique, d'écoles empruntées aux sociétés ur- études sur l'éducation au Laos. 94 Perspectives, vol. V, n° i, 1975 Le défi laotien : une éducation non « polluante » pour les pays en développement une éducation non « polluante ». Pour illustrer cette position, je prendrai pour exemple le Laos, qui était demeuré jusque vers 1950 relativement intact et qui constitue par conséquent un cas assez typique pour l'étude de la « pollution » et des mesures susceptibles d'y remédier. Avec une superficie voisine de celle de la Grande-Bretagne, le Laos compte seulement 3 millions d'habitants. C e sous-peuplement, d û au taux élevé de mortalité, s'il n'est guère favorable au développement, a eu cependant une conséquence bénéfique : il y a suffisamment de terre pour tous en sorte qu'il n'y a jamais eu, du moins dans les zones rurales, de lutte sociale pour la possession de la terre, qui appartenait à celui qui la cultivait. Les villages vivaient dans une autarcie presque complète, ignorant l'usage de l'argent et pratiquant entre leurs membres une économie de dons qui s'harmonisait parfaitement avec la religion du pays : le bouddhisme du Petit Véhicule dont la philosophie de l'impermanence des choses et de la réalité très relative de la personne s'allie très bien à une économie de subsistance apparentée au c o m m u n i s m e primitif. Ensemble elles contribuèrent à créer une culture peu voyante mais très vivante et à laquelle participe activement la totalité de la population. D e plus, ne disposant pas de ressources naturelles exceptionnelles qui pourraient le signaler à la convoitise extérieure, le Laos, peu exploitable, est resté peu exploité et, jusqu'à la guerre d'Indochine, son intégrité culturelle était donc demeurée à peu près intacte. Est-ce à dire que le Laos est u n paradis qu'il faudrait soigneusement protéger des souillures de la civilisation moderne ? Assurément non. L e paysan laotien est une victime de choix du paludisme, le taux de mortalité des enfants en bas âge est exceptionnellement élevé ; et le « confort » des villages laisse beaucoup à désirer. Il serait ridicule d'empêcher les masses rurales d'accéder à une meilleure situation matérielle, sous prétexte de préserver le charme de leur folklore ! Mais est-il vraiment impossible d'enrayer la maladie sans détruire la culture laotienne ? N ' y a-t-il pas m o y e n de créer, sans bouleversements, u n confort rural tropical à base des ressources existant localement et dans le cadre de la vie traditionnelle ? Est-il exclu de dessiner pour u n pays non occidental une voie de développement qui continue et renforce son développement antérieur ? Bref, est-il illusoire d'espérer créer une civilisation moderne à base rurale tropicale sans tout emprunter à l'Occident industriel et urbain ? Tel est le défi jeté aux responsables de la société laotienne et, tout particulièrement, à ses éducateurs : pourrons-nous élaborer et mettre en œuvre u n type d'éducation qui nous permette de nous développer selon nos besoins réels tout en sauvegardant ce qu'il y a de positif dans notre culture ? Quel système d'éducation correspond à u n tel objectif ? Tout d'abord l'expérience a démontré que le système de l'époque coloniale ne pouvait offrir une solution permanente aux problèmes de l'éducation laotienne. Il est assez évident, par exemple, que l'histoire européenne, la philosophie occidentale ne sont pas, pour un adolescent laotien, la meilleure introduction à la culture de son pays, qui n'est pas seulement une autre culture mais encore une culture d'un type différent : moins académique, moins intellectuelle et incomparablement plus populaire. Acquérir une culture différente de la sienne constitue certes u n enrichissement, mais à la condition que l'on domine déjà la sienne propre. L e danger de l'aliénation culturelle pour le tiers m o n d e est l'un des plus graves qui soient. Elle c o m m e n c e par l'aliénation linguistique, dont l'Unesco du reste a fréquemment signalé les méfaits. Il est déjà assez difficile pour u n enfant de s'initier aux systèmes s y m boliques complexes que sont l'alphabet et les chiffres ; le faire dans une langue étrangère augmente encore cette difficulté, car l'enfant doit ensuite faire simultanément front à deux systèmes symboliques nouveaux. D e manière générale, l'enseignement dans une langue 95 Khamphao Phonekeo étrangère a été marqué dans notre pays par u n retard très net dans l'acquisition des connaissances. Les élèves d u primaire, d u secondaire, de l'enseignement normal, voire d u supérieur, consacraient le meilleur de leurs efforts à essayer de dominer la langue française et, alors m ê m e qu'ils apprenaient les mathématiques ou la physique, ils étaient arrêtés par la barrière linguistique avant m ê m e d'aborder les difficultés de la science. O r les emprunts que le Laos a faits au système occidental dépassent de beaucoup les problèmes de culture et de langue. N o u s avons tendance à penser, par exemple, que la division entre enseignements primaire, secondaire et supérieur correspond à une réalité universelle. Est-ce bien sûr ? N'est-ce pas là seulement le fait d'une évolution historique particulière à l'Occident ? L a distinction entre enseignement général et enseignement professionnel est-elle, elle aussi, une nécessité absolue ou renvoiet-elle à une situation sociale et économique particulière à u n m o m e n t défini de l'histoire de l'Occident ? Est-il évident que l'enseignement primaire doive commencer à six ans et se terminer aux environs de onze ou douze ans, trop tôt selon nous pour que l'adolescent puisse entreprendre une carrière professionnelle ? Mais par ailleurs est-il nécessaire que l'ensemble des études soient si longues (entre seize et dix-huit ans pour l'ensemble du primaire, d u secondaire et d u supérieur) ? N'est-ce pas là u n luxe pour pays riches ? Depuis son indépendance en 1949, le Laos se débat dans u n système d'éducation qui n'est pas fait pour lui. L e système scolaire introduit à l'époque coloniale et qui correspondait aux besoins de la situation (formation d'une petite classe de fonctionnaires, interprètes, comparadores qui assuraient la liaison entre les administrateurs de la métropole et la population) s'avère totalement inefficace lorsqu'on veut l'utiliser pour l'éducation des masses : l'acquisition de la langue étrangère ne sert plus à rien tout en coûtant des efforts gigantesques, la connaissance 96 de la culture étrangère devient anecdotique et, surtout, la durée des études, leur structure, leur nature ne correspondent plus aux besoins ni aux ressources d u Laos. Il est par exemple hors de question d'étendre prochainement une scolarité primaire de six années à l'ensemble de la population. E n insistant sur u n enseignement primaire de six ans, on ne ferait pratiquement qu'exclure les masses de l'éducation. Bien plus, dans le contexte socio-économicoculturel, rester six ans à l'école revient à traîner et, par conséquent, apprendre à être inutile; trop souvent, après six années de scolarité et u n certificat d'études l'enfant est totalement coupé du travail traditionnel et, c o m m e il n'existe pas suffisamment d'emplois productifs dans les secteurs modernes, il n'est plus bon qu'à continuer indéfiniment des études jusqu'à obtenir, dans le meilleur des cas, u n poste de fonctionnaire avec u n salaire très inférieur à ce que son diplôme lui permet d'espérer. Ainsi, l'école conventionnelle, bien loin de favoriser le développement, enlève-t-elle des bras à la production de base pour gonfler artificiellement les administrations. U n tel système ne peut évidemment pas subsister, mais lorsqu'il songe à le remplacer u n pays en développement doit éviter u n certain nombre de pièges. Tout d'abord, il n'y aurait aucun sens, bien sûr, à changer de langue et de système étrangers ; cela peut sembler aller de soi, mais les pays d u tiers m o n d e sont bien souvent l'objet de sollicitations orientées en ce sens accompagnées d'alléchantes promesses d'aide matérielle; y céder serait sauter de la poêle dans le feu ; y céder à moitié, c'est-à-dire mélanger les systèmes étrangers, serait simplement augmenter la confusion. U n e autre tentation, venant elle aussi de l'extérieur, est celle des techniques miracles. « Vous n'avez pas de professeurs et, si vous en aviez, vous n'auriez pas d'argent pour les payer. L a radio ou la télévision peuvent vous assurer à meilleur compte l'enseignement et l'information de toute la population de votre pays. » C'est Le défi laotien : une éducation non « polluante » vrai en théorie, mais l'expérience semble indiquer que dans la pratique il est encore bien plus difficile pour u n petit pays de concevoir, de préparer et d'implanter u n système d'éducation à distance qu'un système scolaire conventionnel. Je ne nie pas que la télévision puisse être la formule de l'avenir, mais, pour u n pays d u club des pauvres c o m m e le Laos, adopter « actuellement » la solution télévisionnelle signifierait confier la totalité de son éducation à l'étranger, dès lors que les nationaux ne sont pas, pour le m o m e n t , en mesure de mettre sur pied u n tel système. Mais, m ê m e si la télévision éducative pouvait être gérée par des nationaux, je doute qu'elle puisse être actuellement la meilleure formule pour u n pays c o m m e le Laos. E n effet, ce dont nos masses ont besoin, ce n'est pas tellement de connaissances ou d'informations mais de confiance en elles-mêmes. Il faudrait que dans les villages la population discute et réfléchisse en c o m m u n , qu'elle identifie u n objectif simple, qu'elle en entreprenne en c o m m u n la réalisation, en u n m o t qu'elle se persuade qu'elle est une force et qu'elle peut faire quelque chose d'ellem ê m e , sans orientation ni aide d u dehors. U n système d'information au niveau national peut être u n apport précieux pour aider les populations à prendre conscience de leurs forces, de leur volonté, de leurs objectifs ; mais imaginer qu'il puisse à lui seul créer le changement, c'est faire Terreur habituelle des technocrates qui croient pouvoir développer les pays pauvres avec de l'argent, des modèles d'institutions et des idées toutes faites. L a télévision et la radio sont des instruments puissants, et elles peuvent apporter une aide complémentaire extrêmement utile; mais on ne saurait les présenter c o m m e des remèdes miracles qui dispenseraient la population d'entreprendre l'effort premier de réflexion et d'action c o m m u n e . Il faut donc renoncer à vouloir troquer le système scolaire conventionnel occidental contre d'autres, également tout faits et importés. L a seule solution aux problèmes d'éducation des pays pauvres ne peut venir que d'eux-mêmes, c'est donc à eux, et à eux seuls, que revient la tâche de trouver le système d'éducation qui convient à leur situation. C'est à cette exigence d'une solution proprement nationale que correspond la réforme d'éducation préparée et promulguée en 1962, lors d'une période d'union nationale. Les traits principaux en sont une « laocisation » progressive de tous les niveaux et de toutes les branches d'enseignement, une orientation radicale vers la pratique et l'utilisation systématique des ressources locales. Parmi les réalisations de la réforme de 1962, on peut citer : les centres ruraux d'éducation communautaire ( C R E C ) , les collèges F a n g u m et l'Université nationale. C o m m e dans la plupart des pays pauvres, les ressources financières actuelles d u Laos ne lui permettent pas de scolariser la totalité des enfants dans le système conventionnel académique de six années. Refusant une politique du tout ou rien, la réforme de 1962 crée dans chaque village un centre rural d'éducation communautaire qui doit être, à la fois, une école primaire du premier cycle (trois ans), u n centre de jeunesse et u n centre d'éducation de base des adultes. L e C R E C peut être soit une école de pagode avec pour professeur le moine, soit, là où n'existe pas de pagode, une école rurale construite à l'initiative des villageois avec u n maître local enseignant à mi-temps, choisi et entretenu par eux. L e programme d'études des C R E C est le village m ê m e ; il s'agit essentiellement de faire comprendre aux enfants le m o n d e qui les entoure, de leur faire saisir concrètement ce qui, dans leur village, nécessite des améliorations simples, de les amener à amorcer eux-mêmes ces améliorations. C'est donc au travers des problèmes du village pris c o m m e « centre d'intérêt » que l'enfant apprendra à lire, écrire et compter ; c'est à partir d u village qu'il va acquérir les premières idées d'histoire, de géographie, de sciences naturelles, de technique et d'économie pratiques. Cinq ans après le lancement de la réforme, 1 222 C R E C ont été créés dans les 97 Khamphao Phonekeo zones rurales du Laos, souvent à l'initiative des paysans eux-mêmes. Ce mouvement prometteur fut malheureusement arrêté par la reprise des hostilités sur le territoire laotien, qui compte actuellement moins de 900 C R E C où les programmes tendent souvent à retomber dans ceux de l'école conventionnelle. Les collèges F a n g u m , quant à eux, sont des établissements d'enseignement secondaire c o m plet, où l'enseignement est donné entièrement en langue laotienne et où une partie relativement importante de l'horaire (huit heures sur trentetrois) est consacrée à l'apprentissage d'une technique : agriculture, commerce, industrie ou arts ménagers. Il existe actuellement cinq collèges F a n g u m ; u n sixième est en construction et la capacité totale en sera de 3 000 élèves, soit la moitié environ des effectifs de l'enseignement secondaire. Enfin le gouvernement, suivant les prévisions de la loi de 1962, a créé en 1973 une Université nationale qui réunit toutes les écoles supérieures (médecine, droit et pédagogie) qui existaient précédemment. La création de l'université n'est assurément pas u n geste de prestige; elle correspond au désir de former sur place les cadres supérieurs d u pays. « E n effet, les études à l'étranger, lit-on dans le texte de la réforme de 1962. risquent toujours de couper gravement l'étudiant d u milieu où il aura ensuite à exercer. Il est très important, pour u n pays en développement, que les cadres supérieurs aient une claire conscience des problèmes sociologiques d u pays. O n orientera donc les programmes de culture générale de toutes les facultés ... vers la sociologie historique du Laos et de l'Extrême-Orient, et vers les problèmes posés par les changements de structure économique. » Les centres ruraux d'éducation c o m m u n a u taire, les collèges F a n g u m et l'Université nationale constituent, sans aucun doute, autant de pas dans le bon chemin. Il ne faudrait pas cependant nous leurrer. L e système scolaire conventionnel cosmopolite menace sans cesse 98 de « récupérer » les nouvelles institutions nationales. J'ai déjà signalé qu'il y avait tendance à introduire dans les C R E C les programmes de l'école primaire traditionnelle aux dépens de l'étude active d u village et de sa vie. Dans les collèges F a n g u m et dans l'enseignement supérieur aussi, les modèles étrangers gênent considérablement le développement d'un enseignement indépendant et, par conséquent, approprié à nos besoins ; malgré les efforts de changement, l'enseignement purement théorique a encore beaucoup trop d'importance par rapport à l'enseignement pratique, le seul qui convienne à u n pays pauvre c o m m e le nôtre ; surtout, on semble oublier qu'instruire les élèves n'est pas tout, mais que le plus important est de les former pour qu'ils acceptent de mettre leur instruction au service d u peuple. E n résumé, m ê m e nos institutions nationales nouvelles sacrifient encore beaucoup trop aux idées et aux coutumes de l'étranger. Or, encore une fois, ce qui peut être parfaitement approprié pour l'étranger est catastrophique pour nous ; nous n'avons nul besoin de jeunes gens instruits si ces jeunes gens quittent leur village au lieu de le faire profiter de leur instruction, s'ils veulent tous entrer dans une administration au lieu d'exercer des métiers utiles, s'ils pensent d'abord à profiter de leurs études pour s'enrichir aux dépens d u peuple au lieu de le servir. Il est clair, d'après ce qui précède, que pour un petit pays une réforme nationale de l'éducation n'est pas chose aisée. Il faut rester vigilant et prévenir les dangers d'adultération possible de l'éducation nationale. A cet effet, il faut se fixer quelques principes simples et clairs, obtenir que ces principes soient acceptés de tous les responsables d u pays et ne jamais en dévier quelles que puissent être les difficultés. Le premier principe que je proposerai est de partir non pas d'un modèle d'éducation quelconque mais des besoins immédiats d u pays. Si je prends u n ou plusieurs modèles étrangers et que je cherche à les adapter à m o n pays, je Le défi laotien : une éducation non « polluante » suis perdu. D e tels modèles correspondent à des situations et à des besoins si radicalement différents des nôtres que pour les adapter il faudrait les changer si complètement qu'il n'en resterait rien. Mais, alors, pourquoi partir d'un modèle qu'il faut aussitôt complètement changer ? Oublions donc les modèles (structures, programmes, méthodes et moyens) et cherchons plutôt à définir nos besoins. N o n pas nos besoins pour u n avenir lointain, mais les plus simples et les plus immédiats. Quelles fonctions vitales ne sont pas ou sont mal assurées dans le pays, telles que l'hygiène, l'agriculture, le commerce, l'artisanat, et comment l'éducation pourrait-elle y remédier ? Quels sont les spécialistes qui manquent et c o m m e n t pourrait-on les former au mieux et au plus vite ? Si l'on adopte ce point de vue, tout devient moins compliqué ; on n'a plus honte de ce qu'on est i on ne cherche plus à rivaliser avec les pays riches d'Europe ou d ' A m é rique ; on élimine des programmes tout ce qui n'est pas immédiatement utile, et l'on accorde toute l'importance et tout le temps qu'il faut aux vraies priorités. Par exemple, si je veux former des instituteurs pour les C R E C , je ne chercherais pas à leur enseigner autre chose que ce qu'ils auront à enseigner aux villageois : lire, écrire, compter, quelques principes simples d'hygiène, d'agriculture, d'élevage et de commercialisation, quelques grandes idées pratiques de civisme et de politique ; je ne leur enseignerais pas non plus de la pédagogie c o m pliquée ; je leur demanderais par contre de bien connaître le village, d'être capables d'apprendre des villageois, de vivre et de travailler avec eux ; il ne faudrait donc pas enseigner aux maîtres des C R E C plus qu'ils n'ont besoin de savoir, mais insister sur les problèmes pratiques réels, en l'occurrence la connaissance approfondie du village et des villageois. Autre exemple : dans l'enseignement secondaire au Laos, on consacrait autrefois un nombre d'heures important à l'étude de la littérature française ; tout le m o n d e voit bien aujourd'hui que celle-ci n'est pas u n sujet d'étude approprié à u n jeune Laotien et c'est pourquoi on rec o m m a n d e d'y substituer la littérature laotienne ou, peut-être, la culture de l'Extrême-Orient en général. Mais, m ê m e ainsi, ne continue-t-on pas à suivre, en le traduisant, le modèle étranger ? L'étude de l'histoire de la littérature, de la culture convient peut-être aux sociétés très avancées ; elles ne sont pas très utiles au Laos, où la culture populaire est encore vivante, et surtout leur priorité, face à tant d'autres besoins plus immédiats, est tout à fait secondaire. D e s matières de ce genre, imitées de l'étranger mais ne répondant à aucun besoin évident, doivent être impitoyablement éliminées. E n revanche, il est très important que nos jeunes intellectuels prennent conscience des problèmes sociaux, économiques et culturels du Laos ; le temps gagné sur la littérature, la philosophie, l'histoire anecdotique de pays étrangers pourrait être judicieusement consacré à l'éducation sociale et civique tant théorique (groupes de discussion) que pratique (organisation et exécution de tâches d'utilité publique) ; tel est bien, d'ailleurs, l'esprit de la réforme de 1962. E n conclusion sur ce premier point, le système d'éducation doit répondre rigoureusement aux besoins du pays, m ê m e s'il doit s'écarter considérablement des systèmes d'éducation occidentaux les mieux acceptés à travers le m o n d e . L a deuxième idée, complémentaire de la précédente, est qu'il faut renoncer délibérément à ce qu'on ne peut pas convenablement réaliser, à u n m o m e n t donné, avec les ressources h u maines et matérielles du pays. Par exemple, si nous n'avons pas de professeurs nationaux pour mettre sur pied u n enseignement universitaire de type européen, nous devons oublier l'université européenne et nous attacher à ce que, actuellement, nous s o m m e s capables de mener à bien nous-mêmes. Si nous nous concentrons aujourd'hui sur des objectifs modestes que nous pourrons réaliser seuls au lieu de chercher à imiter les autres et à viser ce qui dépasse 99 Khamphao Phonekeo nos moyens (et qui, de toute évidence, nous rend tributaires des autres), nous aurons d'une part accompli tout de suite quelque chose de réel bien que modeste, d'autre part posé u n jalon à partir duquel il nous sera possible d'aller plus loin. Si nous avions appliqué ce principe, jamais nous n'aurions cherché à avoir en 1950 u n enseignement secondaire d u niveau du baccalauréat français, enseignement pour lequel nous étions obligés de faire appel à des professeurs étrangers qui, naturellement, enseignaient dans leur langue, ce qui obligeait les candidats aux études secondaires à apprendre d'abord une langue étrangère, avec pour conséquences u n enseignement primaire sans rapport avec les besoins élémentaires de la p o pulation, une rupture entre l'école et les m a s ses, etc. Sans doute, nos bacheliers et licenciés auraient-ils été moins nombreux aujourd'hui, mais, en contrepartie, notre système d'éducation eût été certainement plus sain et plus utile. L e troisième principe consisterait à refuser fermement toute aide qui impose u n modèle. E n matière d'éducation, en effet, il est très rare que les donateurs, bilatéraux ou internationaux, offrent seulement de l'argent, des équipements, quelques professeurs ou moniteurs pour former des nationaux pendant une brève période dans u n domaine déterminé. Presque toujours l'aide proprement dite, l'aide potentiellement utile, est inextricablement liée à u n modèle d'éducation qui correspond rarement aux besoins et à la situation du pays. Souvent, le pays est soumis ainsi, par le biais des aides, à la pression de plusieurs systèmes d'éducation, différents, mais contradictoires. Il en résulte une dangereuse confusion et, pis encore, toutes sortes de distorsions. Pour ne pas perdre une aide matérielle, le pays se lance dans des projets qui sont peu utiles parce que sans lien organique avec l'ensemble d u système national et qui, une fois passés sous la responsabilité nationale, périclitent et échouent faute de moyens. Il importe, par conséquent, de ne pas se laisser tenter et d'être persuadé qu'une 100 aide qui introduit u n modèle étranger (que ce soit un modèle de structure, de programmes, de méthodes ou de moyens)finittoujours par coûter beaucoup plus cher qu'elle ne rapporte et que, loin d'être u n raccourci de progrès dans l'éducation, elle se révèle généralement être une impasse. A u lieu de solliciter et d'attendre les aides étrangères, il vaut beaucoup mieux chercher à exploiter intensivement les ressources nationales. C'est là m o n quatrième principe. Cela est clair, par exemple, pour les constructions scolaires. A u Laos, on peut construire avec des matériaux locaux (bois, bambous, claies tissées, briques, tuiles) des écoles sur pilotis, avec de larges terrasses, presque pas de murs fixes, et qui sont bien plus confortables, compte tenu d u climat, que les écoles faites de ciment importé et de tôles ondulées ; de plus, elles s'harmonisent beaucoup mieux avec le paysage et m o n trent aux enfants et à leurs parents que notre manière de vivre est tout aussi bonne, voire meilleure pour nous, que celle d'importation. O n peut en dire autant du mobilier et de l'équipement ; il n'est pas besoin pour enseigner la physique, la chimie ou la biologie dans les écoles d'importer de coûteux laboratoires ; beaucoup d'instruments peuvent être réalisés sur place, avec des matériaux locaux, notamment par les écoles techniques et professionnelles. Mais il faut aller plus loin encore dans cette voie ; quand u n pays n'a pas de professeurs « qualifiés » (au sens international), cela ne signifie nullement qu'il m a n q u e totalement d'éducateurs, mais simplement que ses éducateurs sont différents ; il ne faut pas rêver aux professeurs que l'on n'a pas, mais utiliser au mieux les éducateurs que l'on possède, m ê m e s'ils ne répondent pas aux critères du modèle international; il faut seulement leur demander de faire ce qu'ils connaissent bien. C'est ainsi que dans ses centres ruraux d'éducation c o m m u nautaire le Laos a utilisé les moines des pagodes bouddhistes. L e moine — qui a fait v œ u de pauvreté — ne coûte rien à la communauté ; Le défi laotien : une éducation non « polluante » de plus, il est dévoué, respecté et donc écouté ; il n'est peut-être pas expert en sciences, mais il sait lire et écrire, et ce qu'on sait on peut toujours l'enseigner ; il connaît toutes sortes d'arts utiles pour les villageois et surtout il peut vraiment enseigner la solidarité et la sagesse. Il y a ainsi, dans tous les pays, à défaut de professeurs « qualifiés », une quantité de professeurs « naturels » : les vieillards, les mères de famille dont les enfants sont déjà grands, et, pour tout dire, l'ensemble de la population qui, si on sait l'utiliser, a sûrement quelque chose à apporter à la jeunesse. D a n s tous les pays, la communauté offre d'inépuisables ressources éducatives ; au lieu de garder les yeux fixés sur l'extérieur, sachons utiliser toutes ces ressources nationales. Cela nous conduit au cinquième principe qui est celui de la participation. Il est faux de penser qu'on peut importer le développement socio-économique de l'étranger ; pas davantage ne peut-on transférer le développement, c o m m e u n paquet tout fait, des villes aux campagnes. L e développement naît sur place, sinon ce n'en est pas u n . Tout le problème est d'amener la population à s'intéresser à son propre développement, à prendre l'initiative des actions susceptibles d'y conduire. L'éducation, précisément, est l'art de faire participer les jeunes et les adultes à leur propre éducation, c'est-à-dire à leur développement. U n pays ne saurait donc emprunter à u n autre l'idée de son éducation ; c'est à chaque pays que revient la tâche de penser ses problèmes et de trouver les solutions appropriées. L e développement de l'éducation ne peut commencer que par une réflexion nationale sur l'éducation. Mais cette réflexion, pour être fructueuse, ne saurait être le privilège des seuls fonctionnaires de haut rang ; il faut que toute la population y participe. E n conséquence, on ne devrait jamais apporter une école toute faite à u n village ; il conviendrait que, tout d'abord, des éducateurs de base spécialement préparés prospectent les villages, étudient les besoins des paysans, leur expli- quent ce qu'est u n centre rural d'éducation communautaire et les avantages qu'ils peuvent en tirer, examinent avec eux l'aide qu'ils souhaiteraient obtenir pour la construction et l'équipement de l'école, la collaboration que le village pourrait apporter à l'enseignement, etc. L'éducation doit, dès le départ, commencer c o m m e une entreprise collective d u village à laquelle tous les villageois soient associés et non pas c o m m e une institution imposée par l'État. Il faudra ensuite que les enfants eux aussi participent activement à la direction de la vie scolaire. L a loi de 1962 prévoit en effet que dans chaque classe les élèves soient encouragés à se constituer en m o u v e m e n t de jeunesse. « Les mouvements de classe, prescrit la loi, auront la responsabilité de la propreté, de l'ordre et de la décoration de la classe, de la conservation d u matériel, de l'observation des règles d'hygiène, de la discipline en l'absence du maître, des jeux et promenades, de l'organisation des équipes dans les centres d'intérêt, des parties de jardin, de pépinière ou de poulailler scolaires qui reviennent à la classe, de la correspondance avec les écoles amies. D a n s les classes à maître unique, les plus grands participeront à l'instruction des plus petits. » A cause des fâcheuses traditions de l'école conventionnelle, bien souvent renforcées par celles de l'enseignement normal, à cause des routines administratives et des résistances de toutes sortes, il est rare que la loi de 1962 soit pleinement appliquée. Mais nous n'avons pas renoncé à ce qu'elle le soit, parce que nous croyons qu'elle correspond à l'esprit d u peuple laotien et à ses besoins réels. « L'éducation, est-il écrit au tout début de notre loi de 1962, est la transmission de la société de génération en génération ; c'est aussi la préparation des individus et des communautés à l'avenir... » L'éducation est intimement liée à la structure de la société. O n ne peut donc greffer n'importe quel système d'éducation sur loi Khamphao Phonekeo n'importe quelle société sans risque de déséquilibre. C o m m e l'équilibre écologique, l'équilibre culturel est chose fragile qu'il est très facile de détruire et très difficile de rétablir. Sans doute la plupart de ceux qui croyaient nous apporter l'éducation (mais qui, en fait, nous apportaient seulement des systèmes d'éducation inassimilables) voulaient-ils nous aider ; ils auraient p u cependant faire beaucoup de mal, car une éducation étrangère est aussi « polluante » en son genre que les gaz d'automobiles, 102 les eaux usées de l'industrie ou les emballages indestructibles de la société de consommation. C'est là u n fait d'observation dont les pays d u tiers m o n d e et, tout d'abord, les plus pauvres parmi eux, devront prendre pleinement conscience avant de construire, e u x - m ê m e s , une éducation « propre », c'est-à-dire à la fois endogène et « non polluante » et qui, tout en respectant leur style de vie, les conduise non pas vers u n progrès anonyme mais vers le développement de ce qu'ils sont. Dibya Deo Bhatt Mohammad Mohsin La refonte du système d'éducation au Népal L e nouveau plan d'éducation d u Népal, reproduit dans u n document intitulé Système national d'éducation igyi-içj6, vise à une refonte totale des structures. L'intégration nationale et le développement des ressources humaines en sont les deux objectifs majeurs, mais le plan est complet et ne laisse dans l'ombre aucun aspect de la réforme de l'enseignement. Il se veut orienté vers l'action ; à ce titre, il vise très nettement d'une part à développer les capacités des élèves et à leur faire acquérir des attitudes saines, et d'autre part à instaurer des liens étroits entre l'éducation et le travail. L e plan obéit à des orientations politiques bien définies. L e but recherché est « la coordination des différents intérêts politiques et sociaux et la fusion des traditions multilingues en une nationalité unique ». L e plan cherche également à modifier l'enseignement « afin que celui-ci réponde mieux aux impératifs de la politique démocratique indépendante de tout parti des Panchayats1 et de la reconstruction nationale planifiée ». L e plan, qui évoque les aspects égalitaires de l'enseignement, s'efforce aussi d'instaurer des liens concrets avec les différents secteurs de l'économie nationale. D a n s l'enseignement secondaire, c'est l'enseignement professionnel qui est mis en vedette. Les inscriptions à l'université doivent être déterminées en fonction des besoins de main-d'œuvre d u pays, ce qui est bien difficile à réaliser dans une société qui attache beaucoup de prix aux diplômes élevés. L e plan stipule en outre que les différents sous-systèmes éducatifs qui fonctionnent au Népal doivent être unifiés. Il a pour but de faciliter la mobilité socio-économique à la fois en remaniant tout le système d'enseignement — qui doit être structuré en unités autonom e s — et en insufflant aux programmes d'études une orientation nettement pratique. C o m p t e tenu de ces exigences, les auteurs d u plan ont jugé très important de décentraliser l'enseignement, afin de créer des écoles dans les régions rurales et d'améliorer les chances d'accès à l'éducation des élèves doués qui proviennent d'horizons socio-économiques défavorisés o u de régions sous-développées. Remaniement des structures L e plan définit de façon précise la durée et les finalités des différents degrés de la pyramide Dibya Deo Bhatt (Népal). Président du Comité éducative : l'enseignement de la botanique à l'Institut scientifique i. Enseignement primaire (durée : trois ans). Dr de de l'Université de Tribhuvan. D r Mohammad Mohsin (Népal). Membre taire du Comité national de l'éducation. et secréi. Assemblées locales (N.d.l.r.). IO3 Perspectives, vol. V , n° I, 1975 Dibya Deo Bhatt et Mohammad Mohsin Objectif : enseigner aux enfants à lire et à écrire. 2 . Premier cycle de l'enseignement secondaire (de la quatrième à la septième année d'études). Objectif : former la personnalité des élèves. 3. Deuxième cycle de l'enseignement secondaire (de la huitième à la dixième année d'études). Objectif : dispenser u n enseignement professionnel pour former des travailleurs qualifiés. 4 . Enseignement supérieur : a) Premier cycle (certificate). Objectif : former des techniciens ; b) Deuxième cycle (diploma). O b jectif : former des cadres moyens ; c) Troisième cycle (degree). A u Népal c o m m e dans d'autres pays en voie de développement, les enfants constituent une fraction importante de la main-d'œuvre rurale. Très tôt, ils s'occupent des animaux domestiques et se voient confier quantité de tâches ménagères, ce qui explique les taux alarmants d'abandon en cours d'études et de déperdition des effectifs que l'on constate dans les écoles primaires des régions rurales. Ces écoles n'ont généralement q u ' u n o u deux instituteurs et dépendent la plupart d u temps des finances locales, avec tout ce que cela comporte d'aléas sur le plan de la stabilitéfinancière.Pour beaucoup de maîtres, l'enseignement devient une activité à temps partiel, u n tremplin qui leur permet d'accéder à des fonctions plus élevées. D a n s ces conditions, les écoles rurales fonctionnent de façon irrégulière et insuffisante et elles assurent u n nombre de jours de classe très inférieur aux normes généralement admises. Afin d'augmenter la scolarisation des petits Népalais, pour qui l'école primaire représentera la seule possibilité d'instruction de toute leur existence, le plan prévoit de développer considérablement l'infrastructure de l'enseignement primaire. L ' u n des moyens d'en accroître au m a x i m u m l'efficacité et de minimiser la déperdition scolaire consiste à allonger la durée des cours et des journées de classe et à les rendre plus attrayants. D'autre part pour que les 104 élèves puissent achever leurs études primaires avant d'entrer dans la vie professionnelle, le plan ramène à trois ans la durée des études primaires. Durant ces trois années, les élèves doivent essentiellement apprendre à lire, à écrire et à compter. Avant que le plan entre en vigueur dans u n district, o n regroupe tous les établissements existants conformément à u n schéma directeur et l'on m e t en place une commission de l'enseignement au niveau d u district. Depuis la mise en route de la réforme, l'État paie les traitements des instituteurs à 100 % et ceux des professeurs des écoles professionnelles à 75 % . O n a rédigé toute une série de manuels nouveaux que les élèves peuvent se procurer pour u n prix modique. Si la durée de la scolarité primaire a été ramenée de cinq à trois ans durant la période d'application d u plan (1971-1976), le taux de scolarisation doit doubler pour passer de 32 à 64 % . Si l'on élargit donc la base de la pyramide scolaire, seuls 40 % des élèves de l'enseignement primaire auront une chance de passer dans l'enseignement secondaire. Les planificateurs espèrent que la réduction des taux d'abandon en cours d'études ne réduira pas les chances des élèves qui désirent aller jusqu'au bout de leurs études secondaires. L e premier cycle d u second degré s'étend désormais sur quatre ans. Son principal objectif est de développer les connaissances fondamentales et d'établir u n lien entre l'enseignement et le travail en donnant à l'enseignement une orientation préprofessionnelle axée sur les prestations de service, et en ménageant une place importante aux activités appliquées : modelage, confection d'objets simples en b a m b o u , réalisation de certaines tâches familiales traditionnelles, tricot, acquisition et application des rudiments de l'agronomie, dans le cadre des horaires normaux. Des programmes simples et attrayants sont mis au point pour que ces objectifs deviennent réalité. L e deuxième cycle de l'enseignement secondaire consiste en u n enseignement intégré La refonte du système d'éducation au Népal de trois ans (de la huitième à la dixième année d'études). L e plan prévoit que la moitié des élèves qui parviennent au terme d u premier cycle de l'enseignement secondaire doivent passer dans ce second cycle, qui se divise en trois branches : enseignement professionnel, enseignement général, sanscrit. L'apprentissage d'un métier et la participation régulière des élèves à des tâches pratiques deviennent partie intégrante de l'éducation et constituent, de fait, l'élément le plus important dans les trois sections. Les élèves qui désirent opter pour l'enseignement général ou l'étude d u sanscrit sont tenus de choisir une formation professionnelle qui occupera 20 % de leur emploi d u temps global. L a formation pratique prend évidemment plus de place encore dans l'enseignement professionnel, où elle arrive à occuper 43 % de l'emploi d u temps. L'enseignement professionnel se présente plutôt c o m m e une « orientation » que c o m m e une formation proprement dite dans lesfilièresenseignement général et sanscrit, à la différence de lafilièreenseignement professionnel, où l'accent est véritablement mis sur la formation. besoins de main-d'œuvre liés au plan de développement national. Lorsque l'université a absorbé les établissements privés (une quarantaine environ), elle a embauché tout le personnel enseignant que ceux-ci employaient le gagnant, par là m ê m e , à la cause d u plan. Les programmes d'études visent u n double objectif : faire des étudiants des citoyens plus utiles en leur enseignant l'art d'appliquer les règles de la pensée scientifique à la compréhension et à la solution des problèmes ; les préparer à accéder au niveau d'études supérieures. L e plan dispose que les programmes et les enseignements doivent être conçus dans u n esprit interdisciplinaire. Chaque enseignement constitue u n ensemble spécifique qui accorde une importance particulière à la matière choisie par l'étudiant c o m m e discipline principale. Chaque ensemble comprend également d'autres disciplines qui ont u n rapport avec la matière principale. Avec le nouveau système, l'année universitaire se divise en deux semestres. Les étudiants sont jugés sur de courtes épreuves et des examens de fin de semestre. L'importance de l'évaL'Université Tribhuvan, qui se composait luation interne varie de 20 à 50 % selon l'enseijusqu'à présent de quelques collèges et d ' u n gnement. Auparavant les étudiants devaient petit campus central situé à Kirtipur — près de passer u n examenfinalau bout de deux ans, et Katmandou, la capitale — possède désormais le taux d'échec était élevé, atteignant 90 % dans un statut fédératif et assume la responsabilité certaines disciplines. L e nouveau système d'évade tous les enseignements postsecondaires. Les luation devrait certainement permettre d ' a m é activités de l'université sont réparties entre liorer le rendement des étudiants. L'enthou13 instituts représentant près de 90 campus siasme qu'il suscite est néanmoins mitigé de répartis sur l'ensemble d u territoire. L'univerquelque appréhension. Il y a notamment une sité compte à l'heure actuelle u n effectif de fraction d u corps enseignant qui craint de 20 000 étudiants environ. voir l'enseignement universitaire se dégrader. A Les structures de l'enseignement supérieur l'heure actuelle, l'université tente de résoudre le n'ont pratiquement pas changé ; on distingue toujours quatre niveaux : certificate, diploma, problème en envoyant des coordonnateurs inspecter les travaux des différents campus. degree et recherche. C e qui a radicalement changé, c'est l'orientation et la structure des enseignements correspondant aux divers niveaux. Les programmes prévus accordent une importance considérable aux applications et à la pratique ; ils ont été aménagés en fonction des 105 Di bya Deo Bhatt et M o h a m m a d Mohsin U n nouveau rôle pour les enseignants Le service national du développement L e plan attache une importance considérable aux problèmes des enseignants. « U n e priorité particulière devrait, stipule-t-il, être accordée aux programmes visant à proposer aux enseignants une profession sûre qui les incite à faire carrière dans l'enseignement et leur ménage des augmentations de salaires satisfaisantes. » L e programme de formation des enseignants s'est élargi grâce à l'ouverture de nouveaux campus et à une formule de recyclage rapide des maîtres en exercice. Les programmes de formation des enseignants et des formateurs d'enseignants sont en cours de remaniement. Les maîtres à plein temps qui n'ont pas u n niveau de qualification suffisant bénéficient de dispositions et de facilités spéciales destinées à leur permettre d'accéder à u n niveau d'enseignement ou de formation supérieurs en suivant soit des cours de brève durée, soit des cours d u matin ou du soir. Les enseignants des écoles ont maintenant des barèmes de salaires qui soutiennent avantageusement la comparaison avec ceux d'autres professions, tant et si bien que les écoles normales reçoivent déjà davantage de demandes d'inscription. Grâce au service national d u développement, l'expérience d u travail fait dorénavant partie intégrante d u nouveau système d'éducation. Cette mesure a été prise « pour amener les jeunes Népalais à participer activement à la tâche d u développement national ». E n vertu des dispositions de la nouvelle loi sur l'université, les étudiants qui préparent le diploma ou le degree sont tenus de servir un an dans une région rurale à la fin de leur première année d'études. Ils peuvent effectuer cette année de service dans l'une des quatre branches admises : éducation, agriculture, hygiène et santé, construction. Les étudiants volontaires peuvent recevoir u n salaire mensuel de 200 roupies qui vient s'ajouter à d'autres avantages — santé, fournitures, etc. E n obligeant les étudiants de l'université à servir dans les régions rurales, le gouvernement espère les gagner à la cause du développement économique et, en particulier, les décider à travailler dans les régions les plus retardées d u pays. Pour l'instant, ce système n'a pas dépassé le stade des expériences pilotes. U n certain nombre de mesures ont été prises pour transformer graduellement le rôle du maître et faire de lui non plus celui qui dispense un enseignement ex cathedra, mais celui qui facilite et stimule l'acquisition des connaissances. Afin de susciter une participation accrue au processus d'enseignement/apprentissage, on attache davantage d'importance aux techniques d'observation. L e plan a mis tout le m o n d e de l'enseignement en effervescence : le fait qu'il ait déjà c o m m e n c é à bouleverser le statu quo est u n résultat encourageant. 106 Quoiqu'on ait assisté à une explosion de l'enseignement au Népal, il existe encore des disparités considérables entre les régions et, aussi, entre les différentes couches de la population. U n exemple : sur 10 887 grades universitaires officiellement décernés, plus de la moitié l'ont été à des étudiants originaires de la vallée de Katmandou. L e Teraï oriental, qui est une région économiquement prospère, compte 791 diplômés, contre 17 seulement dans la région d u Karnali, zone montagneuse qui englobe tout l'ouest d u Népal. Ces disparités régionales sont d'autant plus lourdes de conséquences que les personnes qui ont fait des études et acquis une qualification professionnelle m o n trent peu d'empressement pour aller travailler dans les régions reculées du pays. Ainsi, en 1968, sur u n total de 326 médecins diplômés on n'en La refonte du système d'éducation au Népal comptait pas moins de 126 qui exerçaient à Katmandou. O r , alors m ê m e que les diplômés répugnent à aller s'installer dans les régions rurales, le sous-emploi parmi eux, notamment parmi les techniciens, c o m m e n c e à augmenter de façon spectaculaire. C e fait explique la création d u service national d u développement. Éducation permanente L e Népal connaît u n taux élevé de croissance démographique qui s'explique par divers facteurs : la population est relativement jeune; les mariages précoces sont encore très répandus dans les zones rurales et la fécondité est élevée, l'infrastructure de la santé ayant été considérablement renforcée et développée dans le pays. Aussi, le Népal devra-t-il redoubler d'efforts pour seulement suivre le rythme de croissance de la population d'âge scolaire. Cela signifie que, longtemps encore, seule une fraction relativement modeste de la population nationale pourra profiter d u système scolaire. Pour que notre programme de développement des ressources humaines soit efficace dans le contexte actuel, il faut qu'il soit complété par u n programme judicieux et vaste d'éducation extrascolaire. O n envisage pour cela de mobiliser le personnel enseignant et de tirer parti de l'infrastructure scolaire, mais l'élaboration d'un programme détaillé en est encore à ses débuts et beaucoup reste encore à faire. Il est trop tôt pour prédire les résultats des réformes de l'enseignement. E n effet, le plan lui-même n'est mis en œuvre que par phases successives. Il n'est entré en vigueur que dans 17 districts sur 75 et c'est seulement à la fin de 1976 que le nouveau système s'appliquera à la totalité du territoire. L a principale source de difficultés réside dans la pénurie d'enseignants qualifiés. E n revanche, m ê m e si l'infrastructure matérielle — locaux scolaires, laboratoires, m a tériels, salles de lecture, manuels — a été lente à être mise en place, l'expérience des deux dernières années est très encourageante. E n fin de compte, tout système doit faire ses preuves, les résultats qu'il permet d'obtenir importent plus que les arguments invoqués en sa faveur. Si l'on considère l'éducation c o m m e une aventure — pour l'acquisition de compétences, de connaissances et d'attitudes — le plan d'éducation du Népal offre théoriquement tous les moyens de mener cette aventure à bien. Il apparaît essentiellement c o m m e une tentative honnête de libérer le système d'éducation des séquelles du passé et de se tourner résolument vers l'avenir. 107 Cyril A . Rogers Une université au service de trois nations L'université, c o m m e l'origine latine de son n o m l'indique, a notamment pour fonction de dispenser savoir et érudition. Mais, au-delà de cette mission, elle a aussi pour tâche plus i m m é diate de servir la nation (ou les nations) dont elle fait partie. E n fait, dans les pays en voie de développement, la pression de l'immédiat est parfois telle qu'elle ne laisse guère de place à la poursuite de buts plus lointains. N o m b r e de nations nouvelles, lorsqu'elles ont accédé à l'indépendance, étaient presque totalement d é m u nies de personnels de niveaux m o y e n et supérieur capables d'assurer la bonne marche d'une économie souvent fragile. Tel était le cas des trois pays qui contribuent au développement de l'Université d u Botswana, du Lesotho et d u Swaziland. Le contexte L'histoire de ces trois nations présente des traits c o m m u n s . Placées sous la protection d'une m ê m e puissance, le Royaume-Uni, elles se sont trouvées, de ce fait, dotées d'un type de gouver- nement, d'une administration et d'un régime juridique analogues. Ces analogies ont subsisté après l'indépendance et l'on retrouve dans chaque pays la séparation d u politique et de l'exécutif, caractéristique d u parlementarisme britannique. Les peuples en revanche sont différents, tant d'un pays à l'autre qu'à l'intérieur de chacun d'eux. Il y a bien une nation basotho et une nation swazi, mais le Botswana abrite des populations diverses. Sur le plan géographique, leur diversité est extrême; on passe des sables brûlants d u Kalahari aux hauts plateaux noyés de brume d u Swaziland et aux cimes neigeuses du Lesotho. Les trois pays ont certes en c o m m u n les éléments d'une administration que leur a léguée le Royaume-Uni. Sur le plan constitutionnel,, toutefois, ils sont différents puisque deux d'entre eux sont des royaumes et le troisième une république. M ê m e hétérogénéité en ce qui concerne les systèmes sociaux. C'est ainsi que dans le royaume d u Lesotho la terre est e n dernier ressort propriété de la monarchie, ce qui n'est pas le cas dans le royaume d u Swaziland ni dans la République d u Botswana. E n outre, le régime juridique fondé à la fois sur le droit romain et sur le droit hollandais donne lieu, dans son application pratique, à des interprétations différentes dans les trois pays. Cyril A. Rogers (Royaume-Uni). Vice-recteur de l'Université du Botswana, du Lesotho et du Swaziland. A enseigné à plusieurs universités dans différentes régions du monde. Ancien doyen de la Faculté de l'éducation et recteur adjoint de l'Université de Zambie. 108 Perspectives, vol. V , n° i, 1975 U n e université au service de trois nations Les services c o m m u n s Les exemples de pays entretenant une étroite collaboration et partageant des services c o m m u n s ne manquent certes pas, tant à l'époque précoloniale qu'à une époque plus récente. O n peut citer à cet égard l'exemple de l'Afrique occidentale et celui de l'Afrique orientale, qui disposent d ' u n réseau assez complexe de services c o m m u n s . L e Botswana, le Lesotho et le Swaziland ont toutefois ceci de particulier que leur université est le seul service qu'ils aient en c o m m u n . C'est là u n point dont l'importance, déjà certaine à l'heure actuelle, ne fera, selon moi, que croître encore à l'avenir. L e conseil de l'université, qui comprend, outre des universitaires, des membres des trois gouvernements, constitue u n lieu de rencontre où les secrétaires permanents à l'éducation et aux finances et leurs conseillers peuvent avoir des échanges de vues réguliers sur des questions qui intéressent les trois pays. L'importance des contacts qui s'établissent ainsi entre ces pays ne doit pas être sous-estimée. Les réunions officielles d u conseil et de ses comités, et les nombreuses réunions de caractère officieux plus o u moins directement liées aux activités d u conseil donnent aux trois gouvernements l'occasion de réfléchir à leur rôle stratégique dans l'évolution ultérieure de l'Afrique australe. D e m ê m e le Comité des subventions à l'université (University Grants Committee), organe tripartite, offre aux trois gouvernements la possibilité d'assigner des objectifs c o m m u n s à la lutte qu'ils m è nent pour se doter de la main-d'œuvre qui leur fait défaut. Une université dans chacun des trois pays L'université était à l'origine une institution catholique, le Collège Pie X I I , fondé à R o m a (Lesotho) en 1945 ; elle était donc d'inspiration fortement religieuse. E n 1964, le collège devint une institution laïque indépendante, au service des trois pays d'Afrique australe qui s'acheminaient alors vers leur indépendance ; mais que l'université fût située tout entière au Lesotho n'était pas u n témoignage suffisamment tangible de sa volonté de servir les deux autres pays relativement éloignés. Aussi la décision fut-elle prise de marquer la présence de l'université au Botswana et au Swaziland. A u cours des trois dernières années, cette présence s'est affirmée c o m m e une force matérielle et intellectuelle puissante au service d'un développement accéléré. Je doute en fait qu'aucune autre université possède autant de campus répartis dans des nations politiquement indépendantes et distinctes. A u Swaziland, par exemple, l'université a cinq campus où travaille u n personnel de haut niveau. A u m o m e n t de sa création, le Collège Pie XII comptait quatre professeurs et cinq étudiants, ce taux d'encadrement, idéal certes aux yeux des anciens Grecs, l'était beaucoup moins d u point de vue d ' u n économiste contemporain. Actuellement, pour les trois pays, le corps enseignant se compose de 140 personnes et le nombre des étudiants à plein temps et à temps partiel atteint le chiffre record de 1 100. Les facultés existantes ont été créées en fonction, d'une part, des besoins avérés des trois pays et, d'autre part, des ressources que l'université peut consacrer à leur fonctionnement. C e sont les suivantes : agriculture, éducation, lettres, sciences sociales et économiques, sciences exactes et naturelles. Sans négliger les autres disciplines, l'université attache une importance primordiale à l'enseignement de l'agriculture et à la formation pédagogique. Pour autant qu'on puisse prévoir l'avenir, il semble bien en effet que la vie de la majorité de nos citoyens sera liée d'une façon o u d'une autre à la terre ; par ailleurs, le droit fondamental à l'éducation exige qu'on s'attache à la formation pédagogique. E n outre, pour aider les trois gouvernements, des fonds ont été rassemblés pour la création d ' u n institut de gestion d u développement. Celui-ci, 109 Cyril A . Rogers qui fonctionne d'ores et déjà, a notamment pour objectif d'aider les gouvernements à former les éléments d'une fonction publique sans laquelle aucune nation n'est véritablement indépendante. La prise de décisions C o m m e dans la plupart des autres universités, les décisions incombent en dernier ressort au conseil de l'université, où siègent des représentants des gouvernements. Toute mesure d'ordre matériel, académique ou professionnel intéressant l'un quelconque des pays participant à la gestion de l'université doit être approuvée par les trois gouvernements. L'optique régionale dans laquelle chacun des trois gouvernements aborde toujours les questions intéressant l'université est u n facteur déterminant pour leur développement accéléré. Mais la prise de décisions est compliquée, on le comprendra sans peine, par le fait que les nombreux donateurs qui contribuent au financement de l'université doivent tomber d'accord sur une politique c o m m u n e . Cela aussi est important pour l'université. Et il faut bien admettre que le recteur doit parfois faire preuve de beaucoup de diplomatie, notamment lorsqu'il s'agit pour lui de signer, en tant que représentant autorisé des trois gouvernements, des accords avec les donateurs au n o m de l'université. L a structure complexe de l'université, dont les différents campus sont disséminés sur le territoire de trois pays, a rendu nécessaire la création d'un groupe de responsables qui veille à la fois à la formulation des plans à long terme pour le développement de l'université et à l'exécution des décisions prises par le conseil. Il n'est pas déraisonnable, en effet, de penser qu'aucune université dans une région en voie de développement ne peut se développer de façon satisfaisante en l'absence d'un plan cohérent et continuellement remis à jour prévoyant no les dépenses d'investissement et les coûts de fonctionnement correspondants. Le budget L e budget de fonctionnement de l'université, établi sur une base triennale, est essentiellement, mais non pas intégralement, financé par les trois gouvernements selon une formule qui tient compte du nombre d'étudiants de chaque pays et d u nombre d'enseignants de chaque campus. Bien que l'économie nationale des trois pays soit loin d'être prospère et que l'un d'entre eux figure m ê m e sur la liste des pays les moins avancés établie par l'Organisation des Nations Unies, les gouvernements subventionnent généreusement une institution en laquelle ils ont foi et sur laquelle reposent en grande partie leurs espoirs de développement. L e budget d'investissement de l'université est toutefoisfinancéselon une formule qui pourrait bien être unique. Il est en effet entièrement alimenté par des subventions ou des prêts provenant de sources extérieures. C'est le lieu de mentionner quelques-uns des principaux donateurs : le Canada, le Royaume-Uni, les États-Unis d'Amérique, les pays nordiques, les Pays-Bas et la France. Les grandes fondations internationales, Carnegie et Ford par exemple, fournissent aussi leur appui. L'enseignement de niveau moyen et l'enseignement technique Lors du vaste mouvement qui a porté leurs pays à l'indépendance, de nombreux dirigeants africains se sont engagés à assurer l'accès de tous à l'enseignement primaire. D e la m ê m e façon, tous les pays qui se sont consacrés à l'édification de la nation se sont sentis tenus de fonder des universités. Trop souvent, cependant, les besoins vitaux des nations nouvelles en matière d'enseignement m o y e n et technique U n e université au service d e trois nations se sont trouvés négligés. Trop souvent aussi les universités se sont révélées inaptes ou peu disposées à agir pour pallier la pénurie de personnel de niveau m o y e n et de techniciens. L'Université d u Botswana, d u Lesotho et d u Swaziland a fondé son action sur la conviction que la totalité de l'enseignement postsecondaire lui incombe, qu'il s'agisse de cycles d'études de deux, trois, quatre ou cinq ans. D e ce fait, à mesure que l'université se développera, son enseignement prendra la forme d'une pyramide très large à la base — préparation aux diplômes et certificats de niveau m o y e n — et très étroite au sommet, c'est-à-dire au niveau de la préparation aux grades universitaires supérieurs. E n u n premier temps, tous les établissements de formation pédagogique du Botswana et d u Swaziland (cinq en tout) ont été rattachés à l'université, de m ê m e que tous les services de formation et de recherche agricoles du Swaziland, qui dépendaient précédemment d'un ministère. L'orientation d e la recherche L'université et les gouvernements reconnaissent le droit des universitaires à entreprendre des recherches de leur choix. Les ressources financières dont elle dispose étant limitées, l'université a toutefois fixé u n certain nombre d e critères pour leur affectation. U n professeur d'université qui souhaite étudier la circulation de la monnaie romaine au siècle premier de l'ère chrétienne est entièrement libre de le faire, mais l'université ne financera pas ses travaux. L e s besoins d u Botswana, d u Lesotho et d u Swaziland en matière de recherche, notamment dans les secteurs qui intéressent l'économie des trois pays, sont d'une urgence telle que les fonds publics doivent leur être consacrés en priorité. Il ne suffit pas que ces pays survivent au sein de l'Afrique australe, il faut aussi qu'ils prospèrent et pour cela que leur économie soit solide. L'université estime qu'il est opportun et souhaitable que les fonds publics dont elle dispose aillent à la recherche en faveur d u développement économique. III Tendances et cas Recherche de nouvelles méthodes d'enseignement en Tchécoslovaquie Bogumir Kujal E n République socialiste de Tchécoslovaquie est actuellement appliqué u n programme à long terme de réorganisation progressive de tout le système de formation et d'éducation, parallèlement au développement de la société socialiste et à la révolution scientifique et technique. Les bases scientifiques en avaient été élaborées par les instituts de pédagogie, avec la participation de la direction de l'enseignement. Il s'agissait d'adapter graduellement et de plus en plus la formation et l'éducation au développement de la société socialiste, au progrès de la science, de la technique, de la culture, de la production et de l'économie, aux intérêts et aux besoins des individus, d'en poursuivre la démocratisation et d'élever le niveau d'instruction de tous les membres de la collectivité. A l'heure actuelle, les institutions pédagogiques tchécoslovaques s'efforcent de résoudre le problème difficile qui consiste à mettre au point u n système à long terme de formation et d'éducation correspondant au programme établi. A l'Institut de pédagogie Jan A m o s K o m e n s k y , de l'Académie des sciences tchécoslovaque, sont étudiés certains problèmes théoriques du futur système de formation et d'éducation et certaines questions méthodologiques que posent la mise au point et l'application pratique de ce système. Des études préparatoires et diverses recherches ont permis de déterminer les bases scientifiques d'un plan d'ensemble d u futur enseignement scolaire socialiste en Tchécoslovaquie. L'une de ces études portait sur des méthodes nouvelles D r Bogumir Kujal (Tchécoslovaquie). Professeur à l'Institut de pédagogie Jan Amos Komensky de l'Académie des sciences tchécoslovaque. et plus efficaces d'éducation scolaire socialiste. Cette étude s'inspire de l'idée que l'enseignement scolaire suppose u n processus complexe d'apprentissage, essentiel pour le développement général et harmonieux de l'individu. C e processus doit être considéré non pas isolément, mais en liaison avec les multiples formes de stimuli sociaux et d'influences intrinsèques d u milieu. L'enseignement a pour but de transmettre un ensemble de connaissances théoriques et pratiques, de développer les facultés de cognition et d'activité pratique (en particulier de création), d'éveiller la curiosité, d'inculquer une conception scientifique du m o n d e , la morale, le sens esthétique, les qualités professionnelles et physiques socialistes. Avant que les recherches n'aient c o m m e n c é , deux questions ont été examinées. Il s'agissait tout d'abord de définir la notion d' « efficacité » dans une telle éducation scolaire. O n considère c o m m e critère essentiel de l'efficacité de l'enseignement la qualité et le volume des changements qui se produisent chez les élèves dans l'ensemble de leurs connaissances, de leurs aptitudes, capacités et qualités, ces changements étant considérés tant d u point de vue d u développement général et harmonieux de l'individu qu'en fonction des besoins et des exigences modernes d'une collectivité socialiste. L e temps qu'exige l'enseignement est aussi u n critère important d'efficacité. D ' u n e manière générale, on peut dire qu'un enseignement dont les résultats se manifestent par certains changements quantitatifs et qualitatifs est d'autant plus efficace qu'il a nécessité moins de temps. A cet égard toutefois, le processus éducatif, dans l'école socialiste, se distingue par une grande complexité et de grandes variations. Certaines IIS Perspectives, vol. V , n° i, 1975 Tendances et cas recherches montrent qu'il serait possible de réduire la durée de l'apprentissage de notions et de connaissances simples, tandis que l'apprentissage de l'ensemble des notions et connaissances, le développement des capacités, la formation de certaines qualités, par exemple le développement d'une conception scientifique du m o n d e , de ses qualités morales, etc., exigent des méthodes complexes, l'effort personnel des élèves et la solution de divers problèmes ; et cela prend u n temps assez long. Néanmoins, les expériences et les recherches qui ont été faites en U R S S et dans d'autres pays (voir, par exemple, les études expérimentales de L . V . Zankov, de D . B . Elkonine, de V . V . D a vidov, etc.) montrent qu'il serait possible de faire des économies de temps dans l'enseignement (par exemple, les études primaires des enfants de sept à dix ans pourraient durer trois ans au lieu de quatre), compte pleinement tenu de la santé des enfants. U n autre critère d'efficacité est le nombre des élèves et la structure de l'effectif scolaire. U n enseignement donnant certains résultats en u n certain temps pour un grand nombre d'élèves est indiscutablement plus efficace qu'un enseignement donnant les m ê m e s résultats dans le m ê m e temps pour u n plus petit nombre d'élèves. Mais on ne saurait évidemment appliquer ce critère sans tenir compte aussi de la structure de l'effectif des élèves, qui peut être homogène ou hétérogène. E n outre, l'efficacité de l'enseignement doit être mesurée en fonction des efforts qui y sont consacrés. Pour l'évaluer, il importe de tenir compte des conditions dans lesquelles s'opère l'apprentissage : capacités des élèves, degré de fatigue, possibilité de concentration de l'attention, etc. O n étudie aussi certains critères c o m m e les efforts que doivent déployer les maîtres (hygiène du travail des enseignants) et les efforts accomplis par la société dans son ensemble pour assurer l'enseignement. L a seconde question qui a été étudiée avant que n'aient commencé les recherches concernait les théories avancées par divers auteurs pour 114 accroître l'efficacité de l'enseignement : celles du pédagogue tchécoslovaque O . Khlup relatives au matériel didactique de base, celles de la structuration des disciplines (du psychologue américain J. S. Bruner et de ses collègues), celle de l'enseignement axé sur des problèmes concrets (du pédagogue polonais W . O k ó n ) , celle de l'enseignement par l'exemple (des auteurs de la République fédérale d'Allemagne M . W a genschein, H . Heimpel, etc.), la théorie et la pratique de l'enseignement programmé (des auteurs américains B . F . Skinner, N . A . C r o w der ; des chercheurs soviétiques L . V . Zankov, A . N . Leontiev, P . J. Halperine, etc.), la théorie et la pratique de l'enseignement actif (des psychologues et pédagogues soviétiques L . V . Zankov, D . B . Elkonine, V . V . Davidov et d'autres), etc. Après l'analyse critique de ces théories pédagogiques et d'autres encore, nos recherches se sont concentrées sur la conception d u matériel didactique de base et sur celle de l'enseignement actif, qui soulignent l'importance du développement général et harmonieux de la personnalité dans la société socialiste et accordent une grande attention à la sélection et à la structure d u matériel d'enseignement, d u point de vue de l'état actuel et d u développement futur de la science, ainsi qu'aux objectifs, aux m é thodes, à la nature et à la structure de l'enseignement correspondant et aux principes de la science pédagogique soviétique concernant la formation et le développement des élèves. Compte tenu de ces questions et des objectifs assignés à l'enseignement en Tchécoslovaquie, on a peu à peu élaboré un système expérimental pour l'enseignement des mathématiques et de la langue maternelle en deuxième, troisième et quatrième année d u premier cycle, de l'école expérimentale rattachée à l'Institut de pédagogie Jan A m o s Komensky de l'Académie des sciences. Cet enseignement vise surtout à dispenser de bonnes connaissances théoriques et pratiques, considérées non pas isolément, imis dans leurs rapports et leurs liens mutuels, et à déve- Tendances et cas lopper les facultés de cognition et d'activité pratique (en particulier de création), le désir d'apprendre et de savoir, certaines idées concernant la conception scientifique d u m o n d e , la morale socialiste et certains aspects d u sens esthétique et des qualités professionnelles et physiques de l ' h o m m e socialiste. L e matériel d'enseignement s'inspirait de ces objectifs. Il se distingue notamment par son caractère plus scientifique (tout en étant employé, bien entendu, parallèlement au matériel d'enseignement empirique), par sa répartition en catégories logiques plus larges, établies en fonction de notions et de principes plus généraux, par le fait que le développement des connaissances pratiques s'appuie intimement sur l'enseignement théorique, etc. O n a tenu compte et tiré parti des facilités qu'offrait l'école expérimentale et l'on a préparé en conséquence le matériel didactique nécessaire. L e premier groupe d'élèves était normal (hétérogène), et l'enseignement était dispensé par des maîtres expérimentés. O n s'est attaché à élaborer soigneusement des méthodes d'enseignement répondant aux o b jectifs visés et au matériel d'enseignement, à la situation actuelle et nouvelle et aux conceptions progressistes de la psychologie pédagogique et d u développement de l'élève. O n peut considérer, en s o m m e , que ces méthodes se situent à quatre niveaux. L a plus générale d'entre elles vise à donner au processus d'enseignement une orientation conforme aux principes qui inspirent le matériel didactique et aux lois générales de l'activité mentale des enfants. Les méthodes plus concrètes d u deuxième niveau sont en premier lieu les exercices de rédaction, le travail personnel des élèves et son évaluation ; elles font déjà appel à certains éléments d u troisième niveau, à savoir l'enseignement axé sur des problèmes, l'enseignement programmé, etc. Enfin, les méthodes les plus concrètes ont trait aux modes d'organisation de l'éducation : l'enseignement collectif, pour toute la classe (ce qui constitue la base de l'éducation), l'enseignement en petits groupes et l'enseignement individualisé. Tout ce travail de recherche a permis d'élaborer et de vérifier expérimentalement une n o u velle méthode d'enseignement dite « méthode de progression parallèle ». Elle peut se résumer ainsi : au niveau de l'information, on passe de certaines notions générales et complexes à des notions correspondantes d'un caractère particulier et partiel qui se précisent et que l'élève assimile peu à peu dans leurs relations et leurs liens mutuels (relations d u général au particulier, d u tout à la partie), et toujours par rapport à une notion générale ou une notion correspondant à une entité déterminée. Les élèves assimilent ainsi les notions de base à u n niveau plus élevé que par les méthodes d'enseignement actuelles. Pour expliquer ce qu'est cette méthode de progression parallèle par rapport à la méthode mécanique (cumulative) généralement employée à l'heure actuelle, nous donnerons quelques exemples concrets. E n Tchécoslovaquie, dans les écoles d'enseignement général d u premier degré, le cours d'arithmétique, en deuxième année, comporte l'étude successive des quatre opérations : addition, soustraction, multiplication et division, et c'est après cela seulement que l'on montre c o m m e n t ces opérations se relient les unes aux autres ; en particulier, c'est lorsqu'il s'agit de résoudre des problèmes que se précise le sens général des opérations arithmétiques. Avec la méthode de progression parallèle, au contraire, on fait comprendre aux élèves, par des explications qui sont à leur portée, la signification et le fonctionnement des quatre opérations à la fois, en s'appuyant sur leur théorie. D è s le début, les élèves apprennent à résoudre des problèmes et à choisir l'une de ces opérations, à justifier ce choix par la théorie, à les comparer entre elles et à découvrir ce qui les relie. Cette première étape d'application parallèle de la méthode dure peu et revêt plutôt le caractère d'une préparation, d'une introduction au nouveau matériel didactique. C'est en s o m m e l'ossature de l'édifice qu'il s'agit de construire. Après cette première étape, on passe 115 Tendances et cas à la deuxième (progressive) dans laquelle les élèves étudient d'une manière de plus en plus approfondie les diverses opérations arithmétiques et s'en servent soit pour faire des calculs, soit pour résoudre des problèmes, en s'appuyant toujours, bien entendu, sur la théorie de chacune d'elles. Ces deux étapes alternent constamment l'une avec l'autre : les élèves résolvent des problèmes qui les familiarisent avec les quatre opérations (en s'appuyant sur leur théorie), ils les comparent entre elles pour en découvrir les liens, et le m a x i m u m de temps est consacré à l'étude de chacune des quatre opérations, compte tenu naturellement de leurs rapports mutuels. Les élèves arrivent ainsi à comprendre peu à peu la nature et le rôle des diverses opérations, à se servir de l'une ou de plusieurs d'entre elles pour résoudre les problèmes, et à en acquérir finalement une connaissance approfondie. Les deux étapes de ce processus d'apprentissage s'imbriquent constamment, se complètent l'une l'autre. Il en va de m ê m e pour l'enseignement de la langue maternelle, en ce qui concerne par exemple le thème « la proposition et ses diverses formes ». Selon la méthode mécanique (cumulative) employée jusqu'ici, on étudie d'abord, par exemple, la forme narrative de la proposition, ensuite la forme interrogative et finalement la forme imperative ; les comparaisons entre elles se font peu à peu et souvent n'arrivent m ê m e pas à faire comprendre les diverses formes de la proposition. C'est c o m m e si l'on prenait des briques pour construire une maison dont le plan ne serait pas établi. Avec cette méthode, les élèves acquièrent des notions isolées qui ne s'inscrivent pas dans une structure déjà appréhendée. L a méthode de progression parallèle, elle, permet de familiariser l'élève dès le début avec la notion générale qu'implique le thème « la proposition et ses diverses formes ». O n lui explique ce que sont les diverses formes de la proposition en s'appuyant sur leur théorie. Il apprend à les comparer, à les distinguer, etc. Ensuite, il acquiert une connaissance plus ap116 profondie d'abord de la proposition narrative, puis des propositions interrogative et imperative et, sur la base d'éléments théoriques, il apprend à les assembler et à les écrire avec la ponctuation exacte, à en faire des unités syntaxiques plus longues selon u n schéma donné, etc. Les élèves apprennent à observer intelligemment, à c o m parer, à classifier, à concevoir dans l'abstrait ou, au contraire, dans le concret. D e là, ils passent à l'étude d'une notion plus générale des diverses formes de la proposition, étude qui se situe, bien entendu, à u n plus haut niveau. Ils ne se familiarisent pas seulement avec u n ensemble de bonnes connaissances théoriques et pratiques : dès la première année d'enseignement général, ils assimilent parfaitement les méthodes qui leur permettent d'apprendre et de bien réussir à observer, comparer, classifier, abstraire, généraliser et concrétiser. Ils apprennent aussi à utiliser dans la pratique leurs connaissances de telle façon que, lorsqu'on leur propose un problème, ils comprennent la nature et le but d'un tel exercice, s'appuient pour le résoudre sur les notions qu'ils ont apprises, font les opérations nécessaires et en vérifient le résultat, afin de savoir dans quelle mesure ils ont progressé et tiré parti de leur acquis. C'est d'une manière analogue que sont abordés des sujets tels que l'unité syntaxique et ses parties, la proposition et ses parties, les parties du discours, etc. D e plus, le matériel d'enseignement comporte un petit nombre de sections, qui sont intégrées grâce à des notions et des principes de caractère plus général. Ces notions et principes, qui constituent l'objet de l'enseignement pour toute l'année scolaire, font partie intégrante d u matériel didactique. Les élèves acquièrent ainsi des connaissances non pas isolées, mais liées les unes aux autres dans u n ensemble logique. E n m ê m e temps, ils s'initient aux méthodes d'apprentissage et d'assimilation, ce qui contribue tant au développement des facultés de cognition et d'activité pratique qu'à celui de la personnalité. Telle est la dynamique fondamentale de l'en- Tendances et cas seignement ; l'orientation générale du processus d'enseignement est déterminée par le contenu logique d u matériel d'enseignement et les lois de l'activité mentale des élèves. Certaines recherches ont eu lieu en U R S S , fondées sur les thèses de I. P . Pavlov, qui attribuait une grande importance, dans la formation des connaissances, à l'action exercée sur le système nerveux non pas graduellement, mais simultanément, par des phénomènes interdépendants et qui a montré le rôle considérable que peuvent jouer dans la cognition certaines associations lorsque deux phénomènes liés dans la réalité agissent simultanément sur le système nerveux. L'auteur de l'une des études m e n tionnées plus haut, se fondant sur cette thèse, déclare qu'en vue d'accroître l'efficacité d u processus éducatif on a admis c o m m e hypothèse que, lorsqu'il s'agit de disciplines apparentées et de certaines disciplines voisines, d'excellents résultats peuvent être obtenus par l'étude simultanée, et non successive, consécutive, de matières liées entre elles. C e qui précède montre que nos recherches ont élargi la possibilité d'une étude parallèle de toutes les matières s'articulant sur une méthode progressive pour former une unité dialectique. L a méthode de progression parallèle exigeait le recours à des moyens précis tels que les exercices de rédaction, le travail personnel des élèves et l'évaluation. Tous ces moyens ont été étroitement liés pour former un tout. Les élèves acquéraient ainsi de nouvelles connaissances théoriques et pratiques sous la direction d u maître. L'enseignement était organisé de telle manière que l'évaluation était faite soit collectivement sous la direction d u maître, soit seulement par le maître, soit mutuellement par les élèves, soit enfin individuellement par chacun des élèves. Les élèves étaient ainsi amenés à considérer que l'évaluation faisait partie intégrante de leurs études. Les méthodes plus concrètes mentionnées ci-dessus ont permis d'organiser aussi bien u n enseignement axé sur des problèmes qu'un enseignement programmé. L a principale forme de l'enseignement était le cours collectif, complété de temps en temps par des études en petits groupes. L e travail personnel des élèves permettait au maître de venir en aide à ceux qui en avaient besoin. Pendant toute la durée de cet enseignement expérimental, les résultats en étaient observés et notés en détail. O n appliquait constamment les critères qui caractérisent l'efficacité de l'enseignement à l'école socialiste. O n tenait compte du fait que l'éducation doit améliorer la santé des enfants, contribuer à la formation chez les élèves d'une conception scientifique d u m o n d e et de la morale socialiste, et leur apprendre à se livrer à u n travail systématique. A u cours et à la fin des études avaient lieu des examens écrits, et aussi des examens oraux par petits groupes d'élèves, afin de vérifier n o n seulement le volume et la qualité des connaissances théoriques et pratiques acquises, mais aussi le niveau de certaines facultés de cognition et d'activité pratique. Les résultats de cette évaluation ont fait l'objet d ' u n travail statistique et de démonstrations dans certains cas et ont été comparés avec les résultats d'examens analogues organisés dans des classes témoins, où d'excellents maîtres avaient enseigné les m ê m e s matières dans des conditions à peu près semblables, mais dont le matériel d'enseignement était différent notamment d u point de vue d u niveau théorique, et, surtout, où étaient appliquées des méthodes d'enseignement traditionnelles (c'est-à-dire m é caniques, « cumulatives »). L a comparaison a révélé une différence appréciable entre les classes expérimentales et les classes témoins et a permis d'arriver à la principale conclusion que, dans les classes expérimentales, tous les élèves faisaient des progrès et que les différences entre élèves étaient moindres dans l'apprentissage des principales matières obligatoires, alors que les élèves doués dépassaient de beaucoup les objectifs des classes correspondantes des écoles d'enseignement général. Les recherches menées par l'Institut pédagogique Jan A m o s K o m e n s k y n'ont encore porté 117 Tendances et cas que sur un petit nombre de classes de deuxième, notions et des principes d'ordre plus général ; troisième et quatrième année d'enseignement on utilise u n ensemble cohérent de méthodes, général d u premier degré. Leurs résultats sont se situant à différents niveaux. exposés dans notre ouvrage intitulé Certains L e passage de l'ancien système d'enseigneproblèmes théoriques et pratiques à résoudre pour ment au nouveau, qui implique l'emploi de la accroître l'efficacité de l'enseignement (publié àméthode de progression parallèle, sera certaiPrague, par l'Institut de pédagogie Jan A m o s nement u n processus long et très compliqué. K o m e n s k y de l'Académie des sciences tchécoDiverses écoles recourent déjà à certains éléslovaque, en 1970) ; ils ont été étudiés ensuite ments de cette méthode, mais celle-ci ne pourra dans u n second livre : Le système d'éducation et de s'appliquer dans son ensemble qu'après u n reformation dans la République socialiste tchécoslo- maniement complet d u système d'enseignevaque et certains des problèmes théoriques et pra- ment. Bien entendu, cela ne va pas sans soulever tiques que posent les recherches dans ce domaine des problèmes et des difficultés. C o m m e il s'agit (publié par le m ê m e institut en 1972). Les résuld'un changement radical des méthodes d'entats de cette expérience ont été mis à profit seignement employées jusqu'ici, cette méthode dans plusieurs écoles d'enseignement général de impose au maître, au début, u n assez gros effort Tchécoslovaquie (Teplice), où l'enseignement d'assimilation du nouveau matériel pédagogique réorganisé en conséquence a donné des résulet de ses divers éléments de compréhension de tats tout aussi satisfaisants. leurs relations ainsi que des notions et principes de base. A u premier stade de son application, la L a méthode pédagogique que nous avons méthode de progression parallèle provoque dans ainsi mise à l'essai apporte des changements l'esprit des enfants u n état quelque peu chaoassez substantiels dans l'enseignement. D è s le tique ; mais cet état se dissipe peu à peu et, au début, les élèves se trouvent plongés dans u n stade suivant, apparaissent manifestement des vaste ensemble de disciplines, cherchent à résultats favorables. Il peut fort bien arriver s'y orienter, acquièrent des connaissances théoque le premier stade prenne trop de temps et riques et pratiques intégrées dans u n système qu'on consacre trop peu d'attention au stade le déterminé, développent leurs facultés cogniplus important, celui de l'étude progressive de tives et prennent u n vif intérêt à l'étude. certains éléments d u matériel didactique, dans E n particulier dans la première étape, l'enseileurs rapports avec d'autres éléments et avec les gnement leur inspire en quelque sorte u n sentinotions et principes de base. Quoi qu'il en soit, ment d'attente, éveille en eux le désir d'approon est en droit de penser que si les intéressés fondir des questions de plus en plus complexes. sont rationnellement orientés dans u n ensemble Cette méthode n'est que l'un des éléments d u de plus en plus important de matériel d'enseinouveau système d'enseignement : de nouveaux gnement nouveau, cela permettra, m ê m e dans objectifs sont assignés à la formation et à l'édule contexte des méthodes pédagogiques actuelles, cation ; le matériel didactique revêt un caractère d'améliorer la qualité de l'enseignement. plus théorique ; sa structure s'appuie sur des 118 Tendances et cas Le baccalauréat international Gérard Renaud L e baccalauréat international (BI) n'est pas d'abord u n examen. Si son appellation m ê m e m e t l'accent sur la sanction d'un cycle d'études, c'est avant tout u n nouveau type de formation que ses promoteurs ont recherché : u n type de formation adapté aux données d u m o n d e contemporain, à la mobilité internationale et surtout aux conditions de l'éducation permanente. Les deux dernières décennies ont profondém e n t transformé l'univers physique, intellectuel et moral ; il en est résulté dans bien des cas une situation de crise, en tout cas de malaise, dans les rapports entre l'école et la société. « Les techniques et les structures que les générations successives avaient mises au point pour transmettre les connaissances et le savoir-faire propres à chaque société des aînés aux plus jeunes, des pères auxfilscessent en grande partie d'être efficaces, au point que le rôle m ê m e et les fonctions traditionnelles de l'action éducative font l'objet d'évaluations et d'examens critiques et que, de plus en plus, l'éducation se trouve contrainte à rechercher de nouvelles voies1. » Cette mutation est particulièrement sensible au niveau d u passage de la vie scolaire à la vie professionnelle o u universitaire, c'est-à-dire grosso modo au groupe d'âge 16-19 a n s L a genèse d u baccalauréat international est liée à cette mise en question d u fait qu'elle s'est peut-être manifestée plus tôt dans les écoles à vocation internationale. L a mobilité des effectifs, Gérard Renaud (France). Ancien professeur aux lycées de Rome, Rabat et Monaco et à l'École internationale de Genève, Gérard Renaud est directeur de l'Office du baccalauréat international depuis 196J. la comparaison o u l'affrontement entre des p é dagogies différentes, la rapidité de circulation des idées, ont été autant de facteurs qui ont fait de ces établissements des terrains d'innovation d'autant plus c o m m o d e s qu'ils sont moins liés aux structures nationales traditionnelles. Mais, surtout, il y a eu le poids déterminant des pays nouvellement indépendants qui, par volonté de se soustraire aux modèles traditionnels inadaptés à leurs propres besoins o u tout simplement parce qu'ils abordaient avec u n regard neuf les problèmes de l'éducation, ont orienté la recherche dans des voies originales, notamment celle de l'interdisciplinarité. L e baccalauréat international a pris corps petit à petit autour d'expériences limitées qui, par suite de l'intérêt rencontré auprès des maîtres c o m m e des élèves, se sont développées d'elles-mêmes jusqu'à former u n système structuré mais constamment ouvert sur de nouvelles formes. L'aspect « examen » n'a de sens que dans la mesure o ù les institutions postsecondaires restent elles-mêmes attachées à une sélection par le contrôle des connaissances et des aptitudes. Face à cette nécessité imposée d u dehors, il fallait d u moins essayer d'en transformer les modalités. U n e révolution en ce domaine eût été une erreur ; mieux valait partir de structures relativement traditionnelles pour les faire évoluer progressivement, en y instillant u n esprit et u n contenu nouveaux. D ' u n e façon générale, les créateurs d u B I ont pris pour objectifs ceux que requiert l'éducation permanente puisqu'il est désormais bien clair que les frontières de la scolarité éclatent, 1. Paul L E N G R A N D , Introduction à l'éducation permanente, p. 13, Paris, Unesco, 1970. HC Perspectives, vol. V , n° 1,1975 Tendances et cas qu'il n'est plus question pour u n adolescent de considérer sa formation terminée à partir d'un certain âge ou d'un certain bagage, et qu'au-delà des connaissances il faut se préoccuper des aptitudes et peut-être encore plus des attitudes. L e système pédagogique d u B I vise donc essentiellement à créer chez l'étudiant la motivation qui lui permette dans l'immédiat de relier ce qu'il apprend à l'école à tout ce que la vie lui enseigne et d'approfondir les domaines pour lesquels il a des goûts et des aptitudes, mais surtout qui le rende capable à plus long terme de s'adapter aux changements parce qu'il aura « appris à apprendre ». Quelles que soient les origines des jeunes, la mission de l'éducateur est de les aider à devenir davantage eux-mêmes en développant leur conscience, leur réflexion et leur expression. C o m m e n t se présentent le contenu et la m é thode du BI face à l'inventaire de ces besoins ? Avant de répondre à cette question, il faut replacer l'opération dans son déroulement chronologique qui fera ressortir l'évolution m ê m e de ses objectifs. Historique et objectifs C'est aux environs de l'année 1962 qu'il faut situer les premières ébauches de ce qui allait devenir le baccalauréat international. L'extension croissante des migrations familiales depuis la dernière guerre mondiale commençait alors à mettre sérieusement en lumière les disparités des systèmes nationaux dont les premières victimes étaient les enfants déplacés. D u m ê m e coup, il apparaissait que des programmes et des méthodes conçus pour une communauté nationale s'adaptaient mal aux besoins sociopédagogiques d'une communauté internationale. U n certain nombre d'enseignants ont mis en c o m m u n leurs préoccupations et proposé des ébauches de solution. E n 1962, l'Association des écoles internationales a reçu de l'Unesco u n contrat pour étudier l'application de formules 120 novatrices dans le domaine de l'enseignement des sciences humaines. Il en est résulté d'abord la construction d'un programme d'histoire contemporaine, sanctionné par u n examen expérimental à partir de 1964. L'intérêt témoigné à cette initiative par plusieurs universités, dont Harvard, incita ses promoteurs à étendre leurs investigations à d'autres domaines, et finalement à envisager un cursus général répondant aux préoccupations mentionnées ci-dessus. D e proche en proche, s'est constitué un cadre pédagogique sanctionné par u n diplôme susceptible d'être reconnu c o m m e titre d'accès à l'enseignement supérieur dans les différents pays. L'Office d u baccalauréat international (OBI) a été créé en 1965 c o m m e fondation de droit suisse établie à Genève et a obtenu le statut d'organisation non gouvernementale en relations officielles avec l'Unesco. Sa mission était de gérer l'expérience pilote, sous la responsabilité d'un conseil international et avec le concours de subventions émanant de gouvernements et de fondations. L a période de 1965 à 1969 a été consacrée à l'élaboration détaillée d u curriculum, au cours d'une centaine de réunions et séminaires auxquels ont participé des experts des différentes régions d u m o n d e . A u fur et à mesure de leur élaboration, les programmes ont été soumis à une première mise en application expérimentale dans u n réseau d'écoles pilotes à travers le m o n d e , cependant que des négociations étaient menées avec les gouvernements et universités en vue d'accords provisoires de reconnaissance du BI. Celui-ci a été mis en application officielle et complète pour la première fois en 1970. A u cours des quatre sessions de 1970 à 1973, plus de 2 0 0 0 candidats appartenant à 68 nationalités différentes se sont présentés soit au diplôme complet, soit le plus souvent à des certificatsmatières. L e but d u B I est en effet non seulement de constituer u n titre d'admission à l'université, mais d'offrir aux étudiants une g a m m e Tendances et cas d'études correspondant à leurs besoins et à leur orientation professionnelle. Si les objectifs initiaux étaient donc liés aux besoins pédagogiques des élèves migrants, ils se sont depuis lors étendus aux services que serait susceptible de rendre à divers pays u n « laboratoire pédagogique » travaillant dans une perspective internationale. D e u x consultants de la Fondation Ford, le D r Frank Bowles — qui, en 1964, avait effectué pour l'Unesco une vaste étude, Accès à l'enseignement supérieur. Étude internationale de l'admission à l'université, mettant en relief les divergences des systèmes nationaux — et le D r Ralph Tyler, soulignent en 1967 « que le projet ne doit pas être regardé simplement c o m m e une réponse aux problèmes des écoles internationales, mais c o m m e l'occasion d'expériences et de recherches en matière de programmes et d'examens, susceptibles d'avoir une influence novatrice sur les systèmes nationaux. Les écoles internationales pourraient servir de laboratoires vivants pour de telles innovations, que les responsables des systèmes nationaux seraient peut-être heureux de voir expérimentées, m ê m e s'ils ne peuvent les introduire à l'échelle nationale1. » E n février 1967, la première conférence de Sèvres consacre les orientations d u BI et précise le rôle que celui-ci peut jouer sur le plan de la coopération internationale en matière d'harmonisation des programmes et des méthodes d'évaluation. II se crée effectivement, à partir de cette période, tout u n réseau d'échanges entre l'OBI et des organismes pédagogiques nationaux et internationaux. L'Université d'Oxford, pour sa part, apporte à l'opération un concours actif, le directeur de son département d'éducation devient directeur d u projet et elle offre u n siège au Centre de recherche de l'OBI, qui va travailler en étroite collaboration avec l'administration de Genève. L'opération qui avait débuté dans le cadre des écoles internationales va s'étendre d u côté des établissements qui, à l'intérieur des sys- tèmes nationaux, veulent créer dans des sections pilotes une ouverture pédagogique. C'est le cas des deux lycées français de Sèvres et de Saint-Germain, d u Goethe G y m n a s i u m de Francfort, d u Söborg G y m n a s i u m de Copenhague. Elle s'étend par ailleurs dans les pays d u tiers m o n d e : en Iran, au Liban, en Uruguay, au Nigeria, en République-Unie de Tanzanie, en Colombie. A u cours de l'année 1972/73, des démarches en vue d'étudier les possibilités d'introduire le B I en remplacement d u système traditionnel sont faites par le gouvernement de Maurice et par celui de Malte. L'État de Porto Rico et le Mexique, pour leur part, délèguent des experts à l'OBI pour étudier l'implantation d u B I dans la zone des Caraïbes. Les plus récentes admissions apportent une dimension nouvelle à l'expérience, en ce sens qu'il s'agit de collèges de further education en Grande-Bretagne. Ces établissements publics sont ouverts à des personnes de tout âge à partir de seize ans, et en particulier à des étudiants d u tiers m o n d e désireux d'acquérir les qualifications nécessaires pour accéder à l'enseignement supérieur ou professionnel. L e premier de ces collèges à participer au B I a présenté à la session de 1973 u n groupe de candidats dont le plus âgé avait trente-neuf ans. Environ la moitié du groupe était composé de non-Britanniques. L a fin de la période expérimentale d u B I touche à son terme ; elle avait été fixée à la période 1969-1975. C o m m e prévu, une Conférence d'évaluation, destinée à faire le bilan de cette période et à envisager les formes que pourrait prendre l'opération à l'avenir, s'est tenue à Sèvres en avril 1974, avec la participation d'experts des différentes parties d u m o n d e dont la liste avait été établie par le Secrétariat de l'Unesco. Cette conférence a témoigné u n vif intérêt pour l'expérience réalisée et exprimé la recommandation que l'opération soit à l'avenir 1. Rapporté par A . D . C . P E T E R S O N , The international baccalaureate, p. 14, Londres, Harrap, 1972. 121 Tendances et cas largement étendue, notamment dans les pays d u tiers m o n d e . Il est hautement souhaitable qu'elle passe désormais sous contrôle intergouvernemental, et l'instance qui a été jugée la plus propre à assurer u n tel contrôle, en m ê m e temps qu'une diffusion adéquate, est l'Unesco. D e s démarches sont d'ores et déjà effectuées dans ce sens. Contenu pédagogique LE P R O G R A M M E CADRE L e programme cadre des deux dernières années •d'études secondaires se présente ainsi : i. Langue A (langue maternelle ou langue d'enseignement + littérature mondiale en traduction). 2 . Langue B (niveau d'une première langue étrangère). 3. Étude de l'homme (options : histoire, géographie, économie, philosophie, anthropologie générale, anthropologie sociale). 4. Sciences expérimentales (options : physique, chimie, biologie, sciences physiques, études scientifiques générales). 5. Mathématiques. 6. A u choix : une deuxième langue A ou B , une langue classique, une deuxième option d u groupe 3 ou du groupe 4 , mathématiques complémentaires, arts plastiques, musique, ou u n programme propre à l'établissement et approuvé par l'OBI. Trois des six matières, au choix d u candidat, doivent être présentées en « option forte », c'est-à-dire selon u n programme qui, sans être spécialisé, est du niveau de l'accès en faculté. Les trois autres sont présentées en « option moyenne ». A ces six disciplines faisant l'objet d'un exam e n , s'ajoutent deux éléments importants. C h a que étudiant postulant le diplôme du BI doit : a) recevoir une formation dans une ou plusieurs disciplines artistiques, auxquelles il consacre 122 environ l'équivalent d'un après-midi par semaine ; b) suivre u n cours sur la théorie de la connaissance. ESPRIT DE L'ENSEIGNEMENT Il n'est pas possible d'entrer ici dans le détail concernant chaque matière. Bornons-nous à dire que, d'une façon générale, l'accent est mis sur la formation d u jugement et du raisonnement, non sur le volume des connaissances. C o m m e il s'agit d'un enseignement international, deux éléments ont été pris en considération : Dans les disciplines humanistes (lettres, sciences de l'homme, disciplines artistiques), il y a tout naturellement une ouverture sur les diverses cultures, sans toutefois que cela aboutisse à une sorte de généralisme hybride. Il est extrêmement important que l'étudiant se sente enraciné dans u n patrimoine culturel et cela est essentiellement la fonction d u cours de langue A . Chaque établissement dispose d'un large choix d'auteurs et d'oeuvres, mais ce programme doit être prolongé par une étude de la littérature mondiale en traduction où, à travers quelques œuvres de l'héritage c o m m u n de l'humanité, l'occasion est donnée de dépasser le cadre étroit d'une seule littérature. L e programme de langue B , pour sa part, donne une large place à la vie et à la civilisation, car il s'agit non seulement de s'initier à u n m o y e n de communication et à une culture mais de pénétrer dans la vie de tous les jours d'un autre peuple. Sans passer en revue tous les programmes, mentionnons seulement celui d'histoire : l'histoire mondiale contemporaine y est traitée non pas sous forme d'un vaste panorama des cinquante dernières années mais à travers quelques thèmes tels que les problèmes économiques de l'entre-deux-guerres, le développement de la culture technologique ou les relations Est-Ouest après 1945 ; mais cette étude est accompagnée d'une histoire systé- Tendances et cas matique limitée à l'une des grandes régions du m o n d e , de façon qu'il y ait u n équilibre des perspectives. D a n s l'ensemble des disciplines, les constructeurs des programmes ont gardé présente à l'esprit la diversité des origines et des formations des élèves d'écoles internationales. C'est pourquoi, à côté d ' u n tronc c o m m u n , il y a en général, et notamment dans les matières scientifiques et mathématiques, des parties optionnelles permettant à chaque établissement d'insister sur certains éléments. Q U E L Q U E S É L É M E N T S PARTICULIERS La « sixième matière » Afin de donner à chaque établissement u n m o y e n de personnaliser le p r o g r a m m e international, le règlement réserve u n e place à u n cours de son choix, en fonction de ses objectifs particuliers, de l'intérêt manifesté par les étudiants, des moyens d'enseignement dont il dispose, etc. E n pareil cas, l ' O B I prend l'avis d'experts sur le p r o g r a m m e qui lui est soumis et, si cet avis est favorable, sous réserve éventuellem e n t de quelques correctifs, le cours est accepté c o m m e composante d u diplôme d u B I . Il fait alors l'objet d'une évaluation interne. L'expérience a montré l'intérêt puissant de cette innovation. Il arrive fréquemment q u ' u n professeur se sente plus à l'aise dans la construction et le développement d'un p r o g r a m m e dont il a eu l'initiative, en réponse à u n appel qu'il perçoit chez ses élèves, que dans les cours d u p r o g r a m m e officiel. C'est ainsi qu'on a v u la création de cours d'études marines, d'études de l'environnement, de physique de l'univers, d'arts de la scène, de photographie, de pensée politique, etc. Il arrive que le contenu de ces cours permette de les présenter non c o m m e « sixième matière », mais c o m m e l'une des options d u groupe « étude de l ' h o m m e » o u d u groupe « sciences expérimentales ». D e plus, il faut noter que, s'il est assez difficile en général d'instaurer des cours interdisciplinaires en partant des matières traditionnelles, ces programmes originaux offrent de grandes facilités à cet égard, d u fait qu'ils partent de motivations déterminées et de moyens concrets en personnel et en matériel. La présentation d'un mémoire D a n s plusieurs matières, le p r o g r a m m e d'option forte prévoit u n travail de recherche personnelle sur u n thème choisi librement par le candidat, en tenant compte des conseils de ses professeurs. C e travail donne lieu à la rédaction d ' u n mémoire qui peut prendre des formes assez diverses : en géographie, il s'agit d ' u n rapport sur u n travail effectué sur le terrain ; en anthropologie, d'une double enquête sociologique ; en littérature, il peut consister soit en l'étude d ' u n aspect particulier d'une œuvre, d ' u n auteur ou d'une période, soit en une œuvre de création, telle que nouvelle, pièce de théâtre, p o è m e , etc. L e but est d'encourager le travail indépendant, n o t a m m e n t en vue de l'enseignement supérieur, et d'entraîner l'étudiant à collationner des sources, à les exploiter et à construire une argumentation cohérente. La théorie de la connaissance O n aura remarqué que la philosophie est u n e option dans le groupe « étude de l ' h o m m e ». Les experts d u B I ont néanmoins estimé q u e , pour tous les étudiants, il était extrêmement i m portant de réserver u n e place à la réflexion philosophique dans le p r o g r a m m e d'enseignement. L e cours n'a pas pour but d'ajouter de n o u velles connaissances, fût-ce sous forme de synthèse, à celles que l'étudiant acquiert dans les autres disciplines, mais de l'inviter à u n e mise en question de ces connaissances et, d'une façon plus générale, de l'expérience qu'il a acquise jusque-là. L a théorie de la connaissance ne consiste pas 123 Tendances et cas en une élude de textes philosophiques pour eux-mêmes, elle invite seulement les étudiants — et les maîtres — à se poser des questions sur les fondements des divers modes de connaissance. Cette réflexion conduira l'étudiant à une modestie intellectuelle, en lui faisant découvrir les limites de toute connaissance. Il comprendra que les opinions o u les croyances ne sont pas des connaissances et ne conduisent pas à des vérités. Par là m ê m e , cette réflexion, en développant en lui l'esprit critique dans la saine acception d u terme, aura une incidence sur sa conduite personnelle, notamment dans les domaines o ù il est le plus fortement motivé : politique, morale, religion. L a réflexion à laquelle le conduira la théorie de la connaissance lui fera prendre conscience de ce qu'est l'honnêteté intellectuelle, laquelle est une des formes de l'honnêteté morale. L a théorie de la connaissance est à bon droit considérée c o m m e la clé de voûte de la formation préparant au BI. Par la discipline de pensée qu'elle requiert, elle rend l'étudiant apte à assimiler avec fruit l'enseignement qui lui est donné dans l'esprit qui a présidé à l'élaboration des programmes. Méthodes d'évaluation L e procès des examens, s'appuyant essentiellement sur leur caractère aléatoire, a suffisamment été fait pour qu'il soit nécessaire d'y insister. L ' O B I en est parfaitement conscient. Devait-il prendre résolument le parti de la contestation et dessiner u n type de formation ignorant et excluant les examens ? L'entreprise n'eût pas été dénuée de sens puisque le but fondamental était initialement d'assurer aux élèves mobiles une scolarisation leur donnant suffisamment de souplesse intellectuelle pour aborder ensuite les filières de leur choix. E n fait, aussi longtemps que la société exigera que les futurs juristes, médecins, ingénieurs et experts-comptables soient titulaires de diplômes 124 d'aptitude professionnelle, les études devront être sanctionnées par des examens. L a question est moins de savoir s'il faut ou non des examens que de savoir ce que l'on entend évaluer et mesurer. A partir d u m o m e n t où les objectifs — de l'enseignement d'abord, de l'évaluation ensuite — sont nettement définis, les méthodes passent au second plan. L ' O B I s'est donc attaché à établir pour chaque discipline une taxonomie et adapter à chaque objectif visé u n type d'évaluation, en cherchant sinon à éliminer, du moins à réduire, le caractère aléatoire de l'examen par une diversification des modes de contrôle. Partout o ù la chose a été possible, l'OBI a établi, pour u n e m ê m e discipline, des épreuves multiples et complémentaires, de façon à pouvoir apprécier sous différents angles les compétences d u candidat. Ainsi en langue B , il existe cinq épreuves : la compétence linguistique est contrôlée par des tests objectifs, la culture littéraire et la créativité par une composition, l'aptitude à l'analyse par u n commentaire de texte n o n étudié ; à ces épreuves écrites s'ajoute une épreuve orale par enregistrement (cassette), portant elle-même sur divers éléments spécifiés, et u n test auditif. A u total, cette démultiplication, offrant au candidat l'occasion de manifester ses diverses ressources et de compenser des défaillances éventuelles, permet de dessiner u n profil assez exact de ses performances. Avant de décerner la notefinale,l'examinateur en chef tient compte en outre de l'évaluation interne fournie par l'établissement sur chacun de ses candidats dans chacune des matières présentées. LES TESTS OBJECTIFS L e principe est de décomposer les qualités et les connaissances que l'examen doit révéler en unités mesurables qui peuvent être évaluées séparément et objectivement. Dans ce genre d'épreuve, on ne demande pas Tendances et cas au candidat de formuler dans son propre langage la totalité d'une réponse à une question générale (ce qui est le cas dans les épreuves du type composition), mais de répondre à une question bien déterminée soit en inscrivant dans les blancs d'un questionnaire la réponse qu'il estime correcte (questions à réponse brève), soit en choisissant sa réponse parmi plusieurs qui lui sont proposées (questions à choix m u l tiple, en abrégé q . c . m . ) . Seul le second type est réellement objectif; aucune interprétation de la réponse ne peut intervenir, au point que le questionnaire peut être corrigé par une machine ou par une personne non compétente dans la branche. Dans le premier type, il reste une marge d'appréciation de la pertinence de la réponse inscrite par le candidat, à moins qu'une programmation ait déterminé les diverses réponses acceptables. Les q.c.m. ont souvent été jugées à partir d'exemples simplistes et déformants. E n fait, chaque question ou, pour reprendre la terminologie en usage, chaque item est construit selon une grille de spécifications en fonction des divers éléments à évaluer. L'ensemble donne lieu à u n prétest sur une assez large population scolaire non concernée par l'examen du B I mais d'un niveau complet. Les items sont alors étalonnés en fonction de leur coefficient de validité d'une part, defiabilitéd'autre part. Ceux qui ne sont pas pertinents et ne présentent pas de valeur discriminatoire sont éliminés. Il convient donc de se méfier de toute appréciation subjective des items : certains paraissent trop faciles, mais il en faut quelques-uns pour permettre m ê m e aux candidats les plus faibles d'arriver à u n score minimal et à tous d'être « mis en confiance » ; certains paraissent trop difficiles, mais ils n'ont été retenus que s'il a été démontré qu'ils permettaient de discriminer les meilleurs candidats. U n item ne peut pas être apprécié au juger ; seule l'analyse démontre ou infirme sa valeur. D'autre part, il serait faux de croire que les q . c . m . ne permettent de contrôler que des connaissances, et surtout des connaissances élémentaires. Les réponses fausses qui sont proposées ne sont pas purement et simplement fausses ; elles obéissent à une certaine logique et sont plausibles dans une certaine mesure. Dans de nombreux cas, ces épreuves ont pour but de contrôler lafinessed'observation et d'interprétation, la subtilité et la rapidité d u raisonnement. L'ORAL SUR CASSETTE A u cours des premières années d'expérience, il est apparu rapidement que, parmi tous les types d'épreuves, l'examen oral traditionnel poserait des problèmes budgétaires insolubles en raison de la dispersion géographique des écoles participantes et de la difficulté de trouver dans chaque cas des examinateurs locaux répondant aux critères de sélection de l'OBI. Par ailleurs, les études effectuées dans u n certain nombre de pays sur lafiabilitédes divers modes d'évaluation font toutes apparaître que l'examen oral face à face est de toutes les m é thodes la moinsfiableparce que la plus entachée de subjectivité et qu'elle est d'autre part celle où l'examinateur — souvent à son insu — ne résiste pas à la tentation de la parole et croit évaluer plus qu'il n'évalue effectivement. Pour ces deux raisons conjuguées, l'OBI a mis au point une méthode de contrôle oral sous forme d'enregistrement sur cassettes magnétiques, ne nécessitant qu'un équipement très simple. Cette méthode a naturellement d û être corrigée et mise au point sur plusieurs années. Outre ses avantages pédagogiques d'objectivité correspondant à une situation de contrôle, elle permet à l'examinateur de choisir et d'échelonner ses moments d'écoute dans les conditions les plus favorables, de réécouter au besoin et de prendre l'avis d'un collègue (alors que dans l'oral face à face la situation est momentanée et caduque), de s'attacher, à chaque nouvelle écoute de la m ê m e cassette, à des éléments différents de l'évaluation ; du côté du candidat, 125 Tendances et cas l'opération, à condition bien sûr qu'elle fasse en cours d'année l'objet d'un entraînement approprié, exige de lui qu'il construise u n exposé cohérent sans se contenter de bribes de phrases, en écho à l'interlocuteur, telles qu'on les trouve fréquemment dans l'oral traditionnel, qu'il s'entraîne à une elocution nette, qu'il entende au besoin son propre enregistrement et fasse son autocritique. Sans doute y a-t-il dans les écoles c o m m e chez les examinateurs — et pour des raisons diverses — une certaine nostalgie d u dialogue. Mais il faut remarquer que dans certaines m a tières le dialogue intervient sous forme de l'intervention d'un professeur chargé de transmettre et, au besoin, d'éclairer les questions, à condition que toutes ces interventions soient enregistrées. Certains examinateurs regrettent d'ailleurs plus qu'ils n e souhaitent ces interventions, le professeur égarant bien souvent u n candidat dont l'exposé était bien amorcé. Il faut également remarquer que l'examen face à face est maintenu en langue A , là où le dialogue est le plus approprié. L e candidat a donc affaire à des types divers d'examen oral, ce qui n'est que justice, de façon à ne pas avantager plusieurs fois celui qui se montre brillant ou au contraire pénaliser celui qui est timide dans l'une ou l'autre situation. LES TESTS AUDITIFS E n langue B , l'oral sur cassette permet de contrôler essentiellement l'élocution d u candidat, en m ê m e temps que ses compétences littéraires ; sa faculté de compréhension auditive n'intervient que pour une faible part à l'occasion d'un court dialogue, où, c o m m e dans les examens oraux traditionnels, il est difficile de déterminer dans quelle mesure il a compris clairement ou deviné en partie ce que lui dit son interlocuteur dont l'expression, les gestes, l'intonation l'aident à interpréter la parole. L'oral sur cassette a donc besoin d'être c o m plété par une autre épreuve, le test auditif, qui 126 consiste à écouter une bande enregistrée (l'écoute est ordinairement répétée deux fois) avec réponse immédiate aux questions qui s'y rapportent. A la différence de l'oral sur cassette, qui est individuel, le test auditif se fait par groupes de 12 à 15. L'enregistrement consiste en conversations, lecture d'un texte (bulletin de nouvelles, par exemple), d'une histoire, etc. L e questionnaire est conçu de façon à évaluer, sous forme, de tests objectifs (q.c.m. et questions à réponse brève), des nuances de l'audition et de la compréhension, et cela dans des conditions, rigoureusement identiques pour tous les candidats. Il y a là assurément u n excellent instrument discriminatoire. LES FILMS SCIENTIFIQUES Il s'agit d'une méthode visuelle analogue à l'épreuve auditive décrite ci-dessus. Elle a pour but de compléter, et non de remplacer, l'évaluation des travaux pratiques de sciences o ù l'accent est mis sur l'aptitude au travail expérimental. Les séquences projetées sont construites de façon à permettre de contrôler la. finesse d'observation et l'aptitude à interpréter les observations effectuées (identifications et utilisation d'appareils, expériences de laboratoire,, observations dans la nature, etc.). L e film est soit un enregistrement au m a g n é toscope, soit u n film à boucle permettant plusieurs projections récurrentes sans interruption et permettant également l'arrêt sur image. C o m m e pour le test auditif, les candidats, doivent répondre à un questionnaire se rapportant aux séquences qu'ils viennent de voir.. L'ÉVALUATION INTERNE N o u s entendons par là celle qui est faite par l'établissement auquel appartient le candidat soit sous forme ponctuelle, soit le plus souvent sous forme de contrôle continu. Actuellement, l'OBI y a recours pour l'éva- Tendances et cas luation des éléments suivants : théorie de la connaissance, activités artistiques autres que celles faisant l'objet d'une option pour le diplôme, programmes spéciaux proposés par l'établissement et acceptés par l'OBI, travaux pratiques de sciences expérimentales. Pour ceux-ci, par exemple, le professeur procède à u n certain nombre d'évaluations périodiques dont il consigne les résultats, pour chaque candidat, selon u n certain nombre de rubriques (travail théorique, manipulation, observation, montage, interprétation, présentation des résultats) et selon des critères et instructions fournis par l'OBI. Dans chaque cas intervient, sous une forme ou une autre, une « modération » par les examinateurs de l'OBI ; on en trouve le détail dans le guide général, sous les règlements et programmes appropriés. A cela s'ajoute le dossier scolaire du candidat, pris en considération par l'examinateur en chef dans chaque discipline avant l'attribution de la note finale. Les autres éléments qui pourraient, sans difficulté, s'ajouter à ceux qui viennent d'être cités sont les suivants : programme de littérature mondiale complétant dans chaque établissement le programme de langue A ; partie « vie et civilisation » d u programme de langue B ; étude de documents en histoire ; travail sur le terrain en géographie ; mémoires dans les disciplines où ils figurent au programme. Dans la plupart des cas, le professeur de l'élève dispose de beaucoup plus d'éléments de jugement que l'examinateur externe. L e système d u B I ne se présente certainement pas c o m m e la solution miracle en matière de pédagogie et de docimologie. Il est avant tout une tentative — une tentative qui jusqu'à présent semble avoir assez bien réussi, à en juger par les témoignages des utilisateurs, maîtres et étudiants, aussi bien que les universités ayant accueilli les premières volées de candidats. L'intérêt existe, l'évolution de la formule reste ouverte. L'organisation a simplement besoin de trouver le statut qui, à la suite de l'expérience, permette à celle-ci de devenir une réalité opérationnelle au service des divers pays qui désirent l'utiliser en vue de favoriser la compréhension internationale. Parmi les écoles participantes figurent les Collèges d u M o n d e U n i dont le premier chaînon, établi au pays de Galles depuis 1952, a été l'un des établissements pionniers d u B I . Leur but est de faire vivre en communauté internationale des jeunes des pays les plus divers — la plupart étant des boursiers nationaux — pendant les deux années préparatoires à leur vie professionnelle ou universitaire. Il y a là u n exemple de ce que peut être à l'avenir une éducation sans frontières où, sans rien perdre de leurs patrimoines culturels respectifs, les jeunes participent aux m ê m e s activités intellectuelles, manuelles, sociales et sportives. D e ces collèges, U Thant disait en 1971 : « Les vieilles notions de nationalisme sont longues à mourir ; les générations futures appellent des conceptions nouvelles et élargies leur permettant de penser tout naturellement en fonction de leurs responsabilités de citoyens du m o n d e . Dans ce sens, les Collèges du M o n d e U n i contribuent à u n travail de pionnier d'une grande importance. » Ces quelques lignes résument ce que l'OBI s'est efforcé de réaliser et souhaite pouvoir continuer de faire au service de la compréhension internationale. 127 Tendances et cas Télévision éducative et i de l'enseignement en El Salvador1 John K . Mayo, Robert C . Hornik et Emile G . McAnany L a République d'El Salvador, en Amérique centrale, est l'un des pays du inonde dont la superficie est la plus faible et la population la plus dense. Il compte environ 3 500 000 habitants et sa population s'accroît de 3,5 % par an ; aussi ses ressources limitées doivent-elles être réparties de plus en plus chichement d'une année à l'autre. L'agriculture est le pilier de l'économie et, bien que la production agricole n'ait cessé de s'améliorer, il a fallu au cours des dernières années augmenter considérablement le volume des importations de denrées alimentaires de base. Malgré cela, la majorité de la population souffre de carences en calories et en protéines, c o m m e le révèle l'étude la plus récente sur la nutrition2. Toute une série de problèmes économiques et sociaux c o m m u n s aux pays d u tiers m o n d e viennent se greffer sur la pression démographique. Il ressort de l'étude la plus récente d u régime foncier que la majeure partie des terres productives appartient à moins de 2 % des propriétaires3. Ceux-ci ont une grande influence économique et politique. Leurs vastes domaines produisent les principales cultures d'exportation — le café et le coton — et ils emploient des milliers de travailleurs agricoles. Environ 60 % de la population active se consacre à l'agriculture mais, en raison d u caractère saisonnier d u travail, la plupart des ouvriers agricoles sont sous-employés. Origine de la réforme de l'éducation L a réforme de l'éducation est apparue au gouvernement c o m m e une priorité importante au cours de la dernière décennie, et les dirigeants d'El Salvador ont décidé que seule une révision radicale d u système d'enseignement et la création de nouvelles possibilités de formation permettraient au pays de résoudre ses pressants problèmes économiques et sociaux, tout en se ménageant une place plus grande dans le c o m merce mondial. Pour tenter de trouver une solution aux n o m breux problèmes hérités des administrations précédentes et pour moderniser u n système d'enseignement dont les objectifs et les m é thodes ne répondent plus aux besoins d'El Salvador, u n plan systématique de réforme de l'éducation portant pratiquement sur tous les aspects d u problème a été formulé en 1968. Il s'agit d'opérer les réformes suivantes : réorganisation du Ministère de l'éducation ; large recyclage des enseignants ; révision des programmes d'enseignement ; élaboration de nouveaux guides des enseignants et de nouveaux manuels pour les élèves ; amélioration d u système de contrôle scolaire en remplaçant les inspecteurs 1. Le présent article s'appuie sur quatre années de recherches sur le terrain conduites en El Salvador par les auteurs, ainsi que par le D r Wilbur Schramm et le D r Henry T . Ingle, aux termes d'un contrat avec l'Academy for Educational Development et la U . S . Agency for International Development. 2. Banque interaméricaine de développement5 Social Progress Trust Fund, neuvième rapport annuel, John K. Mayo, Robert C. Hornik et Emile O. McAnany Washington, 1969. (États-Unis d'Amérique) enseignent à ¡'Institute for3. República de El Salvador, Ministerio de Economía, Communication Research de la Stanford University Dirección General de Estadística y Censos, Anuario en Californie. Estadístico, 1968, San Salvador, 1968. 128 Perspectives, vol. V , n° 1, 1975 Tendances et cas par des « conseillers pédagogiques » ; élaboration de programmes plus divers de formation technique pour les élèves des classes 10 à 12 ; construction d'un très grand nombre de nouvelles salles de classe ; suppression des droits de scolarité dans les classes 7 à 9 ; organisation de classes alternées et réduction des horaires, de manière à accroître les effectifs d'élèves ; adoption d'un nouveau système d'évaluation c o m portant des modifications des politiques en matière de notation et de contrôle de la progression des élèves ; mise en place d'un système national de télévision éducative ( T V E ) pour les classes 7 à 9. Certaines de ces innovations ont été mises en œuvre immédiatement, étant entendu que la plupart d'entre elles nécessiteraient une réorganisation, des expérimentations et des ajustements supplémentaires, et que les changements les plus importants ne pourraient être introduits que progressivement. L e calendrier de la réforme, étalé sur cinq ans, est néanmoins très rigoureux. La télévision et son rôle d e catalyseur L a T V E a tout de suite occupé le devant de la scène parce qu'elle exerce une influence puissante et décisive sur le contenu des autres réformes et, en particulier, sur la cadence à laquelle elles sont appliquées. Lorsque ces autres réformes commencèrent à prendre corps, la Division de la télévision éducative, avec le concours de la U . S . Agency for International Development, produisait déjà 19 programmes hebdomadaires à l'intention des écoles secondaires (classes 7 à 9). Les responsables de la réforme ayant insisté pour que l'enseignement télévisé ne débute pas avant que des changements aient été opérés dans les programmes, la formation des enseignants et le système d'inspection, des pressions se sont exercées sur d'autres divisions d u ministère pour que le calendrier concernant la télévision soit respecté. Les Salvadoriens comprirent que, s'il fallait compter sur la télévision pour améliorer la qualité de l'enseignement secondaire, les leçons ainsi diffusées devaient correspondre à u n plan d'études remanié. C o m m e l'a dit le ministre de l'éducation : « L e programme d'enseignement actuel est archaïque et ne répond pas aux besoins réels du pays. L a télévision n'étant qu'un instrument au service d u programme, la qualité de l'ensemble d u système d'éducation dépend de la qualité d u programme. L'introduction effective de la T V E exige à tout le moins l'élaboration de programmes nouveaux et mieux conçus1 ». Ainsi, dès la mise en route de la réforme, il a été largement tenu compte de la télévision lors d u remaniement d u prog r a m m e des classes 7 à 9. Après avoir introduit la télévision éducative et élaboré un programme révisé dans toutes les écoles secondaires d u premier cycle, les planificateurs du ministère décidèrent que les maîtres devraient modifier radicalement leurs m é thodes traditionnelles d'enseignement. Pour faciliter la transition, on institua u n cours de recyclage d'une année et le système d'inspection scolaire s'écarta de sa vocation étroite pour emprunter une voie plus ouverte et plus positive axée sur l'observation et l'orientation pédagogiques dans la salle de classe. Enfin, les nouveaux programmes et les nouvelles m é thodes d'enseignement firent apparaître la nécessité d'un meilleur matériel pédagogique tant pour les maîtres que pour les élèves, qui fut initialement élaboré et distribué par la Division de la télévision éducative. L a T V E a sans conteste été la plus spectaculaire et la plus commentée de toutes les réformes de l'enseignement. L a presse publia des articles rappelant c o m m e n t le projet avait pris corps et relatant les efforts d u gouverne1. República de El Salvador, Plan quinquenal 1968-1972, Sector Educación (DT N" 659), San Salvador, Consejo Nacional de Planificación y Coordinación Económica ( C O N O P L A N ) , 1968. I29 Tendances et cas ment pour mettre en place u n nouveau studio et installer des postes de télévision dans les écoles. L a publicité faite à la T V E fit passer inaperçus d'autres changements importants opérés dans le système d'enseignement. E n 1970, u n échantillon de parents interrogés sur la réforme de l'éducation ne purent, pour la plupart, citer que la télévision. Enfin, la T V E est l'élément de la réforme qui a nécessité la plus large part d'assistance technique étrangère. Parmi la quarantaine de conseillers étrangers qui travaillèrent au projet de réforme avec leurs homologues salvadoriens, plus de trente participaient d'une façon ou d'une autre aux activités relatives à la T V E . Cette concentration des moyens a permis au projet de se développer sur sa lancée et à la T V E de conserver sa situation privilégiée. L'expérience salvadorienne donne à penser que, pour être u n instrument efficace de changement, les grandes innovations en matière d'éducation c o m m e la télévision ne peuvent pas être purement et simplement plaquées sur les structures traditionnelles, mais plutôt s'accompagner de multiples changements dans d'autres secteurs d u système d'éducation. A u fur et à mesure de la mise en œuvre de la réforme, la plupart des responsables salvadoriens ont exprimé l'opinion que celle-ci n'aurait p u être réalisée si la télévision n'avait pas joué u n rôle de catalyseur. Effets de la T V E sur les élèves E n 1968, lorsque le processus de réforme a été engagé, 20 000 élèves environ fréquentaient les classes 7, 8 et 9 (premier cycle d u secondaire) des écoles publiques. L'effectif des établissements privés s'élevant à 23 000 élèves, cela représentait au total moins d u quart des adolescents de treize à quinze ans, c'est-à-dire en âge d'être admis dans ces trois classes. E n 1973, le nombre des élèves de ce niveau était passé à plus de 65 000. Compte tenu des 26 000 élèves 130 inscrits dans des écoles privées, les effectifs de ces trois classes atteignaient 34 % de la population de treize à quinze ans. L a très forte augmentation d u taux de fréquentation scolaire provoquée par la suppression des droits de scolarité s'est assortie d'une modification du profil social des classes, le nombre des élèves issus de milieux pauvres et ruraux ayant nettement augmenté. D e 1969 à 1972, une équipe d'évaluation composée de chercheurs salvadoriens et de la Stanford University fit subir régulièrement à trois groupes (A, B , C ) d'élèves d u secondaire des tests d'aptitude générale et d'aptitude à la lecture ainsi que des tests de niveau en mathématiques, sciences naturelles et sciences sociales. L e groupe A , qui était entré en classe 7 en 1969, comprenait des élèves qui suivaient u n enseignement s'appuyant sur la télévision et d'autres éléments de la réforme et des élèves suivant un enseignement de type traditionnel. Les groupes B et C , entrés en classe 7 en 1970 et 1971 respectivement, étaient composés uniquement d'élèves des classes nouvelles. Ces groupes furent divisés en deux sous-groupes : ceux bénéficiant de la T V E et ceux n'en bénéficiant pas. E n l'espace de trois années, les premiers obtinrent des notes supérieures de 15 à 25 % à celles des seconds dans les tests d'aptitude générale, et cela indépendamment de leur origine socio-économique et de leur personnalité. Pour les tests d'aptitude à la lecture, les deux groupes étaient à peu près à égalité. Les tests de niveau ont donné des résultats plus variables : ce sont tantôt les élèves bénéficiant de la T V E qui l'emportent sur les autres, et tantôt l'inverse. E n additionnant les résultats des tests pour les trois années (deux années pour le groupe C ) , on s'aperçut toutefois que, dans toutes les matières, les élèves bénéficiant de la T V E arrivaient en tête. E n mathématiques, ils avaient l'avantage dans les trois classes. Pour les sciences sociales et naturelles, leur succès était imputable à des résultats particulièrement brillants de la classe 7, ce qui fit pencher Tendances et cas la balance en leur faveur malgré de moins bonnes performances dans les classes 8 et 9. A u début de la réforme, aucun critère n'a été fixé pour juger de l'efficacité de l'enseignement. Personne, au Ministère de l'éducation ni dans aucune des organisations extérieures fournissant une assistance technique, n'a tenté de préciser quelle s o m m e de connaissances supplémentaires justifierait les investissements consentis dans tant de programmes novateurs. Néanmoins, la réforme de l'éducation et, en particulier, son élément T V E , ont réussi à donner aux élèves u n bagage plus solide. Les tests ont nettement montré que l'enseignement à l'aide de la T V E est, dans la plupart des cas, sensiblement mieux assimilé que l'enseignement sans T V E . Les classes nouvelles dotées de la T V E , de maîtres recyclés, d'un prog r a m m e remanié et de matériels d'enseignement modernes se sont révélées beaucoup plus propices à l'étude que les classes traditionnelles ou les classes utilisant tous les éléments de la réforme, sauf la télévision. L e rassemblement de données sur les connaissances acquises a été complété par des enquêtes périodiques sur les attitudes et les aspirations des élèves. U n e majorité d'entre eux se sont déclarés favorables à la T V E tout au long des quatre années de l'enquête sur les attitudes. L'enthousiasme initial diminuait toutefois quelque peu à mesure que les élèves progressaient de la classe 7 à la classe 9. Ce sont les attitudes à l'égard de l'enseignement de l'anglais qui ont été modifiées le plus favorablement par la T V E : cette matière, peu aimée des élèves des classes sans T V E , est considérée c o m m e intéressante dans les classes avec T V E . Les enfants défavorisés ou assez peu doués accueillent mieux les leçons télévisées que leurs camarades plus privilégiés. Les élèves estiment que des études poussées sont en El Salvador la condition de la réussite. Plus de 90 % des élèves interrogés dans chacun des trois groupes souhaitent poursuivre leurs études au-delà de la classe 9 et 50 % envi- ron espèrent obtenir u n grade universitaire. C o m p t e tenu d u taux élevé de chômage dans le pays et d u très petit nombre d'emplois bien rémunérés de niveau m o y e n , il n'est pas étonnant que tant d'adolescents aspirent à entrer à l'université. Ils savent que les meilleurs postes iront à ses diplômés et que la meilleure garantie de considération et de mobilité sociales est u n bon emploi. Leurs aspirations, dans cette m e sure, doivent être tenues pour réalistes, mais elles paraissent irréalistes si l'on considère les chances qu'elles ont de se concrétiser. Faute d'avoir recueilli des données à ce sujet avant 1969, il n'a malheureusement pas été possible de déterminer si la réforme a beaucoup modifié les aspirations des élèves. Toutefois, les données rassemblées au cours des quatre années d'enquête ont valeur d'avertissement : sur le double plan de l'enseignement et de l'emploi, les aspirations des élèves ont atteint un tel niveau qu'elles poseront dans l'avenir un véritable problème aux planificateurs d'El Salvador. Effets de la T V E sur les maîtres U n effort concerté a été entrepris, dans le cadre de la réforme, pour recycler tous les maîtres du secondaire afin que leur enseignement, fondé sur u n programme remanié et le nouveau système de T V E , puisse être pleinement efficace. O n a constaté que les maîtres commençaient à faire moins de place aux cours magistraux et aux exercices de mémoire au profit de méthodes plus actives ; ils posaient davantage de questions obligeant les élèves à réfléchir, les encourageaient à poser eux aussi des questions, à donner leur opinion et à entreprendre des travaux personnels. Ces constatations ont été faites assez souvent pour pouvoir en conclure que la mentalité des enseignants a évolué. O n peut dire que l'engouement des maîtres pour la télévision, très vif en 1969, avait sensi- 131 Tendances et cas blement diminué à lafinde 1972. Ils d e m e u rèrent néanmoins en majorité favorables à son emploi dans leurs classes. Malgré des désaccords avec les fonctionnaires d u ministère sur la façon dont certains changements avaient été opérés, la plupart d'entre eux approuvaient les objectifs et les principes de la réforme de l'éducation. Faut-il conclure de la baisse d'enthousiasme constatée chez les enseignants au cours des quatre premières années d'application de la réforme qu'on a eu tort de dépenser tant d'argent pour leur recyclage ? L a réponse à cette question dépend de l'idée qu'on se fait des griefs des maîtres. Ceux-ci ne s'en prenaient nullement à la T V E elle-même ni à la réforme proprement dite mais plutôt aux mauvaises conditions de travail (classes de plus en plus surchargées, classes alternées épuisantes, insuffisance d u matériel pédagogique) et à la modicité persistante de leur traitement. Il n'est pas étonnant, dans ces conditions, qu'ils soient insatisfaits et qu'ils se soient mis deux fois en grève. Problèmes d'intégration bureaucratique Ces grèves montrent bien la gravité des problèmes qui se posèrent lorsque les enseignants et l'administration furent obligés d'accepter des méthodes et des politiques qu'ils n'avaient pas élaborées eux-mêmes. Bien entendu, certains changements sefirentplus que d'autres « en douceur ». C'est ainsi qu'un nouveau prog r a m m e d'enseignement secondaire fut mis en place sans causer d'émoi. Les nouvelles politiques en matière de promotion furent acceptées mais pas intégrées aussi complètement dans le système. L a fermeture de nombreuses écoles normales provoqua de l'irritation bien que cette décision ait eu pour effet de réduire le chômage des enseignants et que les vifs éloges dont le programme centralisé de recy132 clage des maîtres a finalement été l'objet aient beaucoup contribué à lui valoir leur adhésion. L a transformation des inspecteurs en conseillers pédagogiques est l'aspect de la réforme qui a soulevé le plus de difficultés. Il s'agissait là d'une innovation radicale et les inspecteurs s'y sont opposés parce qu'ils y voyaient une atteinte à leur autorité et à leur prestige. Les bureaucrates d u Ministère de l'éducation s'y sont également opposés parce qu'ils n'exerçaient à ce sujet, au début, aucun contrôle direct. Il semble qu'on ait commis une erreur en plaçant u n corps d'inspecteurs dans la Division de la T V E et non dans les départements d u ministère directement chargés des établissements scolaires et des enseignants. Malgré ces difficultés, l'expérience salvadorienne fait nettement apparaître les avantages qu'il y a à charger des autochtones de développer tous les aspects d'un nouveau système de T V E au lieu de faire appel à des étrangers. A u bout de trois années, la T V E s'implanta plus solidement, les spécialistes locaux expérimentés de la télévision s'affirmèrent davantage, et les perspectives de continuation et d'expansion d u système étaient meilleures que dans d'autres pays qui avaient compté sur des experts étrangers pour la production des émissions et l'enseignement télévisé. E n revanche, cette expérience met aussi nettement en relief les inconvénients d'un recours aussi large à u n personnel local mais inexpérimenté pour la réalisation des émissions. La qualité inégale des leçons télévisées est peut-être le défaut majeur d u projet et l'un des principaux griefs des maîtres. L a conclusion qui semble s'en dégager est la suivante : si un pays veut « apprendre par la pratique » (ce qui a des avantages à long terme), il doit, avant de commencer ses émissions, se donner le temps de former des équipes de production, leur laisser acquérir de l'expérience, tester et remanier autant de programmes que possible. L'expérience salvadorienne donne aussi à penser qu'on évite bien des problèmes en intro- Tendances et cas duisant la télévision dans une seule classe à la fois au lieu de plusieurs. Il a également été possible en El Salvador d'expérimenter la T V E pendant une année dans 32 classes pilotes avant de l'étendre à tout le système scolaire. A la fin de cette année (1969), les producteurs p u rent remanier et améliorer la grande majorité des programmes pour la classe 7 avant qu'ils ne soient diffusés dans toutes les écoles du pays. Les systèmes de T V E ne se développent jamais aussi aisément et aussi rapidement qu'on le voudrait et El Salvador n'a pas fait exception à la règle. O n s'est en effet aperçu que, c o m m e dans tous les autres pays, il fallait plus de temps que prévu pour mettre en place un appareil administratif capable de concevoir et d'exécuter une aussi vaste réforme de l'éducation. Coût et efficacité de la T V E dans le cadre de la réforme augmentent proportionnellement à leur n o m bre. Les dépenses fixes totales par année (calculées sur la base d'une période de vingtcinq années d'exécution d u projet en fonction d'hypothèses précisées dans le texte de la réforme) ont été évaluées à 1,1 million de dollars. Sur cette s o m m e , 800000 dollars environ ont été fournis par le gouvernement salvadorien, le reste étant constitué par des subventions de l ' U S A I D et d'autres institutions étrangères. A u x dépenses fixes, il convient d'ajouter les dépenses variables qui se montent environ à 1,10 dollar par élève et par an. Ainsi, en 1972, avec 48 000 élèves inscrits, la T V E a coûté au gouvernement 17,75 dollars par élève, son coût total (y compris les prêts et subventions de l'extérieur) étant de 24,35 dollars. Connaissant le nombre d'élèves effectivement inscrits au cours des sept premières années de mise en œuvre du projet, une projection des inscriptions pour les vingt-cinq premières années permet d'évaluer le coût m o y e n par élève pendant n'importe quelle partie de cette période. O n savait qu'un nombre assez restreint d'élèves bénéficierait du projet au cours des premières années, mais que ce nombre ne cesserait d'augmenter par la suite. O n a calculé que, pendant ces vingt-cinq années, le coût annuel m o y e n par élève serait de 17 dollars. L'introduction de la T V E s'est assortie d'une augmentation d u nombre des élèves par classe (de 35 à 45) et d'un alourdissement de la tâche du professeur (40 % d'heures supplémentaires d'enseignement), les salaires augmentant de 20 % seulement. Les recherches sur l'efficacité et le coût de l'utilisation par El Salvador de la T V E et d'autres éléments clés de la réforme de l'éducation ont donné les résultats suivants : Les effectifs des classes 7, 8 et 9 ont triplé de 1968 à 1973 (de 19 104 à 65 390 élèves). L e traditionnel goulet d'étranglement entre les classes 6 et 7 s'est de ce fait u n peu desserré, de sorte que près de 60 % des élèves entrés en classe 6 en 1971 sont passés en classe 7 en 1972. L e nombre d'abandons et de redoublements dans les trois classes a diminué après l'entrée en vigueur de la réforme. Cette efficacité accrue tient aussi bien à des normes moins rigoureuses qu'à l'amélioration de la qualité de l'enseignement. Conclusions et implications L e coût d u système T V E comporte deux éléments : les dépenses fixes (équipement des Compte tenu des résultats des quatre premières studios, coûts de production, etc.) qui sont années, quelles conclusions générales peut-on indépendantes d u nombre des jeunes spectirer de l'expérience de T V E en El Salvador ? tateurs, et les dépenses variables (récepteurs Et ces conclusions sont-elles valables pour d'aude télévision, manuels scolaires, etc.) qui tres pays ? 133 Tendances et cas L a réforme de l'éducation, et en particulier le système de T V E , a donné en El Salvador les résultats escomptés par le plan initial de cinq ans. L e goulet d'étranglement dans l'enseignement secondaire s'est desserré et le n o m bre d'élèves passant en classe 7 a augmenté chaque année. U n plus grand pourcentage de ces élèves venait de milieux défavorisés et l'on s'attendait à ce que la plupart d'entre eux achèvent la classe 9. Grâce surtout à la T V E , l'accroissement des effectifs n'a pas provoqué de baisse de niveau. C'est en fait le contraire qui s'est produit ; les élèves ont plus appris après la réforme et avec la T V E que dans le système traditionnel. Bien que la T V E ait été incontestablement une innovation coûteuse pour El Salvador, le Ministre de l'éducation a réussi à réduire quelque peu la dépense en augmentant le nombre des heures d'enseignement des maîtres et celui des élèves par classe. C o m p t e tenu de l'augmentation prévue des inscriptions, le coût de l'enseignement par élève sera finalement moindre avec la réforme et la T V E que si la réforme avait été introduite sans modifier les effectifs des classes traditionnelles et la charge de travail des maîtres. Davantage d'élèves, une meilleure assimilation des connaissances et u n coût égal ou moindre par élève : ce sont là des résultats appréciables qui ne laissent pas d'impression- 134 ner. C o m m e n t El Salvador a-t-il réussi là où tant d'autres pays ont échoué totalement ou partiellement ? L'expérience salvadorienne souligne qu'on a intérêt à concevoir la T V E ou toute autre technique d'enseignement en fonction de besoins très généraux. L a T V E n'a pas été plaquée sur des structures traditionnelles mais coordonnée avec d'autres transformations importantes du système d'éducation. L a T V E a néanmoins joué u n rôle de catalyseur dans la réforme parce qu'elle a bien mis en lumière la nécessité de changements dans de nombreux domaines. Lorsque le gouvernement décida d'investir dans la T V E , il a paru normal de réviser les programmes afin que les leçons télévisées utilisent les toutes dernières méthodes d'enseignement et véhiculent les connaissances les plus modernes. D e m ê m e , il a fallu préparer les maîtres à l'introduction de la T V E dans les classes. O n a donc mis sur pied u n vaste programme de recyclage à leur intention. Processus identique pour la réforme d u système d'inspection et d'évaluation et la fourniture de nouveaux m a tériels pédagogiques aux maîtres et aux élèves. Tous ces changements n'ont pas été des réussites mais il n'est certes pas facile de transformer les systèmes scolaires nationaux et les ministères de l'éducation. Notes et comptes rendus Le cycle de base de l'éducation : une préoccupation croissante de l'Unesco Lors d'une réunion convoquée au Secrétariat de l'Unesco à Paris en juin 19743 des experts ont constaté qu'il existe dans de nombreux pays d u m o n d e une tendance croissante à l'institution d'un « cycle de base de l'éducation » et ont cherché à identifier les principaux problèmes que ce m o u v e m e n t soulève. Sous la pression des faits — car il est manifeste, d'une part, qu'un nombre accru de personnes souhaitent pouvoir acquérir un m i n i m u m d'instruction et, d'autre part, qu'il faudrait faire des dépenses énormes pour répondre à cette demande — de nombreux éducateurs et économistes ont été amenés à réexaminer les structures et les méthodes de l'éducation fondamentale. Ils ont surtout remis en cause la durée de l'expérience scolaire prévue pour tous et les objectifs que cette éducation scolaire est censée atteindre. Bien que de nombreux pays aient tendance à allonger le cycle d'études fondamental, suivant ainsi le modèle de développement des nations industrielles les plus avancées, bien des esprits critiques semblent douter que cette tendance permette de répondre adéquatement aux besoins des enfants et des jeunes d'aujourd'hui. Il est naturel que l'Unesco s'intéresse vivement à cette question. E n effet, l'Organisation prend une part active au développement de l'éducation depuis l'adoption à Addis-Abeba, en 1961, d'une déclaration qui a fait date en faveur de l'enseignement primaire universel. A u cours des dix dernières années, l'Unesco a contribué à la création ou au développement des écoles normales de nombreux pays et elle a fourni une assistance technique en vue de la construction d'innombrables autres établissements scolaires dans le m o n d e entier. Après une décennie de si grands progrès, il semble donc opportun que l'Organisation réexamine le modèle de scolarisation qu'elle a contribué à mettre en place. L a réunion d'experts de juin 1974 s'insérait dans tout u n ensemble d'activités. E n mars de la m ê m e année, l'Unesco avait organisé une réunion sur « le développement psychologique de l'enfant et ses conséquences pour le processus éducatif ». Il s'agissait de passer en revue la s o m m e des connaissances actuelles sur le développement de l'enfant en vue de réformer les structures et le contenu traditionnels de l'éducation primaire. Les participants devaient en outre examiner le résultat des travaux de Philip C o o m b s et d u Conseil international pour le développement de l'éducation, exposé dans l'ouvrage intitulé New paths to learning (1973), ainsi que les rapports (non publiés) des réunions de Bellaggio sur l'éducation de base. Ajoutons que l'Unesco poursuit son examen des structures de l'éducation puisqu'elle a organisé en décembre 1974 une réunion sur les rapports entre les structures de l'enseignement secondaire et l'entrée dans le m o n d e d u travail. E n d'autres termes, la réunion sur le cycle de base de l'éducation s'inscrivait dans u n ensemble d'efforts coordonnés visant à favoriser les échanges de vues et la réflexion sur l'organisation des services scolaires dans le m o n d e entier. Dix-sept experts ont pris part, à titre personnel, à la réunion de juin 1974. U s avaient pour tâche essentielle de préciser ce que recouvre la notion de cycle de base de l'éducation. Jusqu'à présent, les systèmes d'éducation se sont caractérisés par la superposition et la succession de plusieurs degrés : primaire, secondaire (subdivisé souvent lui-même en u n premier et u n second cycle) et supérieur. D e s barrages efficaces existant entre ces divers niveaux, chaque degré était plus ou moins autonome et fermé sur lui-même. Pour progresser de bas en haut d u système, il fallait maîtriser à chaque stade l'aspect théorique de la formation donnée. L a plupart des élèves échouaient et abandonnaient assez vite cette sorte de « course d'obstacles », bien avant d'avoir satisfait leurs besoins fondamentaux et de pouvoir ainsi continuer d'euxm ê m e s à se développer. Il semble également certain que le succès dépendait autant d u milieu social de l'élève que de ses aptitudes intellectuelles. Ainsi les établissements scolaires ont joué le rôle fondamental d'instruments de sélection sociale. E n outre, au sein de l'enseignement, les études théoriques ont assurément joui de plus de prestige et de ressources que les études professionnelles et techniques destinées à répondre aux besoins des nombreux élèves entrant dans le m o n d e d u travail à la sortie de l'école. D ' o ù une séparation des élèves en diverses filières reposant souvent sur la classe sociale, système considéré dans bien des pays c o m m e antidémocratique et préjudiciable aux intérêts de la plupart des jeunes. Q u a n d l'orientation vers l'enseignement général ou vers l'enseignement professionnel se fait très tôt, le jeune n'a pas le temps de développer toutes I35 Perspectives, vol. V , n° 1, 1975 Notes et comptes rendus ses capacités de surmonter ses handicaps initiaux et de se mesurer équitablement avec les enfants plus précoces ou plus favorisés par le sort que lui. Cependant, l'idée que la totalité des jeunes doit acquérir une vaste g a m m e de connaissances générales est de plus en plus reconnue. Les experts ont admis que de nombreux pays tendent à allonger sans cesse pour tous les enfants la durée d u « tronc c o m m u n » d'études n o n spécialisées, pour faire face à la prolifération continue des connaissances et aux exigences d'éducation toujours plus fortes au sein d u public. Bien des gens considèrent que la promotion sociale et la réussite matérielle sont liées au nombre total d'années d'études scolaires. Pourtant, les pays en voie de développement se sont aperçus que l'institution de l'enseignement primaire universel est une tâche beaucoup plus ardue et coûteuse qu'ils ne le pensaient. D e nombreux pays vont à l'heure actuelle jusqu'à consacrer u n tiers de leur budget annuel à l'éducation sans être encore en mesure de toucher la totalité des enfants. N o m b r e de nations n'ont tout simplement pas les ressources nécessaires pour scolariser la totalité des enfants. Tout développement supplémentaire de l'éducation ne pourrait se faire qu'aux dépens d'autres services sociaux et d'autres programmes publics qu'il est impossible de sacrifier o u de réduire. C'est pourquoi certains pays se posent des questions fondamentales sur les crédits à allouer à la scolarisation et sur le m o d e de répartition des crédits qui serait le plus bénéfique pour les enfants et pour la nation. Les experts ont estimé qu'il y a de multiples façons de tirer le plus grand parti possible de ressources limitées, qui diffèrent selon les traditions culturelles, les aspirations des élèves, les besoins des divers secteurs économiques, etc. II n'est donc pas utile de rechercher u n cycle de base universellement applicable. Chaque pays, ou parfois m ê m e chaque région, devrait adopter sa propre solution etfixerle contenu, les méthodes et les structures qui correspondent à ses propres besoins. L e problème est détablir u n cycle d'éducation qui puisse donner u n bagage suffisant à la majorité des élèves pour qui il constitue toute l'instruction tout en assurant une préparation adéquate à la minorité des élèves qui poursuivront leurs études. Cette tâche est relativement aisée pour les trois ou quatre premières années d'études mais elle devient de plus en plus difficile à mesure que la g a m m e des aptitudes et des résultats s'accroît. L'établissement d'un programme d'études adapté à tous les enfants exigera sans doute l'adoption de méthodes pédagogiques nouvelles qui permettent à chaque élève de progresser à son propre rythme. L e cycle de base doit se définir en fonction des 136 capacités, des connaissances de mécanismes et des comportements que les jeunes d'une région donnée doivent développer o u acquérir pour mener une vie satisfaisante. Cette éducation doit être donnée malgré les contraintes imposées par les pénuries de ressources et de personnel et elle doit toucher, dans u n large esprit démocratique, la totalité des enfants. Il ne faudrait pas croire que l'acquisition de ces éléments de base ne peut se faire que dans le cadre de l'éducation scolaire. Certains participants à la réunion ont déclaré que le recours à des méthodes extrascolaires (émissions de radio ou de télévision, organisation de groupes d'études, etc.) pourrait permettre de diffuser une bonne part des connaissances de base indispensables. Ces voies parallèles peuvent être offertes à ceux qui n'ont pas la possibilité de fréquenter l'école ou qui ne s'adaptent pas à son enseignement, c'est-àdire, notamment, aux adolescents et aux adultes qui n'ont pas acquis les mécanismes indispensables pour mener une vie active et satisfaisante. Ainsi, la notion de cycle de base de l'éducation ne se confond pas avec l'idée traditionnelle de premier degré d'éducation o u enseignement primaire. C e cycle devrait être u n processus souple adapté aux besoins particuliers des différents publics desservis, aisément accessible aux diverses catégories de gens qui veulent apprendre, tirant pleinement parti des moyens d'éducation de la collectivité — et plus particulièrement des locaux de travail — et apprenant avant tout aux intéressés à enrichir en permanence leurs connaissances et à progresser tout au long de leur vie. Les experts ont estimé que le principal objectif d u cycle de base est d'aider l'élève à prendre en charge sa propre existence, à faire face à son environnement et à apprendre à imprimer sa marque sur le m o n d e . Chacun doit prendre confiance en lui-même à mesure qu'il acquiert davantage de compétence, de savoirfaire et de pouvoir de compréhension. Chacun doit se rendre compte qu'il peut tenir tête aux forces sociales, économiques et politiques qui s'exercent sur lui. Chacun doit se sentir soutenu par la compréhension de la culture qui lui est transmise et des possibilités que lui offre toute existence d ' h o m m e . Il est clair que le cycle de base doit fournir à chacun un certain n o m b r e d'outils fondamentaux de la connaissance ; il faut apprendre à lire, à écrire et à communiquer efficacement avec autrui. Il faut aussi s'initier au langage et à la logique des mathématiques et acquérir les fondements de la pensée scientifique et des méthodes de résolution des problèmes. Il faut enfin avoir une base morale sur laquelle fonder ses décisions et avoir été initié à l'idée de beauté o u d'appréciation esthétique et à l'idée de création. Notes et comptes rendus E n d'autres termes, l'élève qui termine le cycle de base doit pouvoir : a) connaître ses points forts, être à m ê m e de les développer et entrevoir ce qui fait le caractère unique de sa personnalité ; b) jouer u n rôle productif dans le m o n d e d u travail ; c) agir sur son environnement pour améliorer la qualité de la vie en coopérant avec les autres m e m b r e s de sa collectivité ; d) se maintenir en bonne santé physique et conserver son équilibre affectif ; e) être disposé et prêt à continuer à se cultiver personnellement en participant activement à l'éducation permanente. Il faut donc concevoir, au m o m e n t où l'on établit les programmes d'études, des expériences d'apprentissage qui conduisent les sujets vers les buts recherchés. Les participants à la réunion ont procédé à des échanges de vues sur divers processus possibles sans parvenir à u n accord total. Certains experts ont m a n i festement tenté de mettre au point u n ou des modèles, afin de préciser ou de simplifier les tâches complexes qu'implique la conception de programmes d'études en vue d'objectifs spécifiques. Cependant, cet effort de rationalisation est extrêmement difficile et prête à controverse. E n outre — et cela est apparu clairem e n t quel que soit le processus suivi pour l'établissement des programmes d'études — il ne faut pas escompter aboutir à u n type de p r o g r a m m e uniforme. Puisque les objectifs d u cycle de base varient selon le lieu considéré, les programmes d'études qui doivent permettre d'atteindre ces objectifs doivent varier eux aussi. Si l'on songe à mettre en place u n cycle de base de l'éducation, il faut obligatoirement prévoir le recours à des maîtres compétents. Seul u n personnel dévoué, qui comprend l'objectif recherché et qui a suffisamment de talent pour organiser les différentes étapes nécessaires à l'apprentissage, pourra mener les élèves vers les buts esquissés plus haut. Les enseignants doivent savoir c o m m e n t se fait le développement physique et psychologique de l'enfant ; ils doivent aussi être capables d'établir avec leurs élèves des rapports chaleureux et ouverts. Les experts participant à la réunion ont estimé qu'il peut être nécessaire de recourir à des pédagogies différentes selon les élèves. Ainsi, la formation des maîtres, tant avant leur entrée en service qu'en cours d'exercice, est l'un des éléments critiques de tout effort de conception et de mise en place d'un cycle de base de l'éducation. Pour renforcer l'action de l'enseignant, surtout si sa formation n'est pas parfaite, il peut être utile de faire appel aux autres ressources humaines de la collectivité. Il a été suggéré d'obtenir le concours des étudiants les plus âgés, des parents ou des personnes d u troisième âge pour rendre l'influence d u maître plu& efficace. L e milieu d'apprentissage de l'enfant peut être enrichi par l'utilisation des ressources de la collectivité, et par exemple des lieux de culte, des bibliothèques et des lieux de travail, lorsque les dispositions voulues peuvent être prises et la coordination avec les programmes scolaires assurée. Certains experts, ont souhaité que les adultes de la collectivité participent activement à la définition des objectifs d u cycle de base de l'éducation, ainsi qu'aux décisions sur le fonctionnement des écoles locales. Plusieurs experts ont souligné que la rechercheopérationnelle doit être l'un des éléments clés de l'élaboration d u cycle de base de l'éducation. O n a souligné qu'il importe de faire des recherches sur la psychologie de l'apprentissage, sur les méthodes et le matériel qui donnent envie d'apprendre, sur les résultats obtenus par les élèves et sur la mesure dans laquelle les objectifsfixésont été atteints. Cependant, c o m m e on peut prévoir qu'il sera difficile, dans des. pays o ù les ressources sont limitées, d'assurer à la recherche le personnel et le soutien logistique nécessaires, il convient peut-être de mettre surtout l'accent sur la mise au point de méthodes simplifiées qui permettent d'obtenir suffisamment d'informations sans, développer exagérément les recherches coûteuses. A cette idée d'assurer à tous u n cycle de base d'instruction, il faut associer étroitement l'idée d e donner à chacun la possibilité de rentrer dans le cycle des études si pour une raison ou une autre il a d û le quitter avant de les avoir achevées. Il faut donc avoir suffisamment de souplesse pour pouvoir accueillir des. publics d'âge différent soit dans des classes reliées, aux établissements traditionnels d'enseignement, soit dans des groupes organisés de manière moins scolaire. Il faudra également établir parallèlement des. possibilités d'études n o n scolaires à temps partiel pour répondre aux besoins des adultes qui veulent parfaire leur instruction. Certains participants à la réunion ont estimé qu'il' importait moins de fixer la durée d u cycle de base que d'en définir les objectifs et d'en établir le prog r a m m e d'études. E n effet, le cadre traditionnel de l'éducation scolaire n'est peut-être pas le mieux adapté à l'organisation efficace d u cycle de base. L a scolarisation selon l'horaire traditionnel, qui prévoit de 4 à 6 heures d'études par jour, 5 jours par semaine, pendant 30 à 36 semaines par an, n'est pas la seule manière de s'instruire. Peut-être serait-il possible d'accueillir davantage d'enfants, avec les m ê m e s effectifs et les m ê m e s moyens matériels, si l'on adoptait des démarches nouvelles. Par exemple, pourquoi n e pas prévoir une demi-journée d'études scolaires intensives ? Pourquoi ne pas alterner tout au long d e l'année la présence à l'école et la présence au lieu d e 137 Notes et comptes rendus travail o u l'étude extrascolaire ? Pourquoi ne pas aller à l'école 3 jours par semaine seulement pendant u n plus grand n o m b r e de semaines par an ? L'expérimentation de ce genre de structures différentes pourrait conduire à de nouveaux m o d e s d'apprentissage, en rapport avec la fréquence de l'enseignement, la durée totale des heures de classe et le coût global de l'instruction. (En Asie, le Centre régional d'innovations éducatives fait des expériences de cette nature en vue de dispenser une éducation primaire de faible coût.) D a n s cette optique et étant donné l'importance croissante des modes d'apprentissage n o n scolaires, il n'est peut-être pas exact de parler en n o m b r e d'années quand on veut assigner une durée au cycle de base de l'éducation. Aujourd'hui encore, l'expression « année scolaire » recouvre des réalités si variées que six « années d'études » dans u n pays peuvent être égales à trois années dans u n autre. L a répartition des ressources entre les différents besoins pédagogiques est une autre question difficile et qu'il convient d'examiner. Quelle est en effet la part d u total qu'il faut allouer au cycle de base, à l'éducation secondaire, à l'enseignement supérieur, à l'éducation extrascolaire et à l'éducation préscolaire ? T o u s ces secteurs rivaux ont des raisons valables de réclamer une part des maigres ressources disponibles! L a réponse à la question posée est d'ordre plus politique que technique mais les participants ont estimé que les besoins des jeunes enfants, c'est-àdire des enfants d'âge préscolaire ou des enfants de l'école primaire, avaient souvent été relativement négligés par rapport à ceux des élèves de l'enseignement secondaire et des étudiants de l'enseignement supérieur. E n outre, l'éducation donnée en dehors de l'école ne reçoit souvent aucun appui. Il pourrait donc être fort nécessaire de réaménager quelque peu les priorités. Il convient enfin de se demander à quel âge les études donnent les meilleurs résultats. A supposer qu'un pays puisse offrir quatre années de scolarisation à temps complet à tous ses enfants, quel est le meilleur âge de fréquentation scolaire et quelle est la meilleure manière de passer ces « années » ? L'élève et sa famille peuvent-ils prétendre avoir voix au chapitre lorsque la décision est prise ? Peut-être la « meilleure » solution pour u n pays donné devrait-elle être déterminée par des recherches empiriques. Il est clair qu'il pourrait être avantageux de revoir les pratiques traditionnelles qui consistent à scolariser les enfants dès l'âge de six o u sept ans jusqu'à dix ou onze ans. L e débat, auquel ont procédé les experts internationaux invités à cette réunion sur les problèmes d'organisation d'un cycle de base de l'éducation, a fait apparaître la nécessité de compléter grandement l'information disponible. Il faut en savoir davantage sur les rapports entre l'apprentissage de l'enfant à l'âge préscolaire et son degré de préparation à l'école. Il faut déterminer quels sont les savoir-faire que les enseignants d u cycle de base devront posséder. Il importe de faire u n recensement beaucoup plus vaste des méthodes permettant d'atteindre les différentes catégories d'élèves et d'évaluer les modifications cognitives et affectives que l'apprentissage entraîne avec le temps chez celui qui apprend. Il conviendrait enfin de mieux connaître les aménagements de l'espace, d u mobilier et d u matériel qui favorisent au m a x i m u m l'apprentissage des enfants. Il faut donc faire d'urgence des travaux de recherche opérationnelle dans ces domaines et dans bien d'autres encore. L'obtention de données supplémentaires et d'aperçus concrets sur les processus de l'apprentissage conduiront peut-être à l'adoption de méthodes pédagogiques nouvelles qui mettront les jeunes en mesure de mener une vie plus enrichissante. Le Programme asiatique de copublication U n programme asiatique de coopération internationale pour la publication de livres illustrés en couleurs et destinés aux enfants semble appelé à un large essor dans toutes les régions en voie de développement, où la pénurie de textes de lecture de haute qualité et 138 d'un prix modique — livres scolaires ou autres — sévit avec persistance. E n 1974, les premiers ouvrages parus au titre de ce programme, deux volumes de Folktales from Asia, ont été publiés en anglais et seront ultérieurement traduits dans la langue nationale Notes et comptes rendus des États participants ; dans les pays où l'anglais est une des langues principales, des éditions en langue anglaise seront produites sur place. L e Centre culturel asien de l'Unesco et le Centre de T o k y o 1 pour la promotion d u livre, qui patronnent ce projet, produisent, avec l'aide de l'Unesco, desfilmsen couleurs qui sont mis à la disposition des États participants, de manière à réduire les prix de revient et à assurer le respect des normes internationales. Ces deux centres contribuent également, sous la forme d'une aide à la fois rédactionnelle etfinancière,à la production d'éditions nationales de la série. L e Programme asiatique de copublication, qui s'appelait autrefois Programme asiatique pour la production en c o m m u n de textes de lecture, est issu de la campagne mondiale pour la promotion du livre et de la lecture, dont le couronnement a été l'Année internationale d u livre (1972). Celle-ci avait été précédée par un cycle de réunions régionales sur la promotion et la diffusion du livre, qui ont rassemblé des experts d'Asie, d'Afrique, d'Amérique latine et des États arabes. L a première de ces réunions régionales, qui s'est tenue à Tokyo en mai 1966, a conduit à la création d u Centre de Tokyo pour la promotion d u livre qui, avec le concours de la Commission nationale japonaise pour l'Unesco et de l'Association des éditeurs de livres japonais, assure maintenant la formation de personnel et apporte une assistance technique aux industries de l'édition, encore embryonnaires, d u continent asiatique. C'est de cette idée originale de coopération régionale en matière de promotion d u livre qu'est né le Programme asiatique de copublication. A la première réunion d'experts sur l'établissement d'un programme de production en c o m m u n de matériel de lecture pour l'Asie, qui s'est tenue à T o k y o en août 1970, il a été décidé d'aider les pays dépourvus de moyens modernes de production de livres à publier les types d'ouvrages qu'il leur est le plus difficile de produire, à savoir les ouvrages illustrés de manière attrayante et pouvant répondre aux besoins des nouveaux alphabètes, tels les enfants qui quittent l'école à un âge précoce. Il a été décidé qu'on s'occuperait, dans u n premier temps, de publier en c o m m u n des livres pour enfants de moins de treize ans, en donnant la priorité aux sujets relatifs aux humanités, à la culture et à la science. Pendant l'Année internationale d u livre, à titre de projet pilote, deux livres japonais pour enfants, d'une part un récit intitulé Taro and his friends et d'autre part About blood, explication simplifiée de la circulation sanguine, ont été publiés en anglais et dans les éditions nationales tirées à 500 exemplaires chacune, par le Centre de T o k y o pour la promotion d u livre. L a composition typographique dans les langues nationales a été assurée par les 14 pays d'Asie participants, tandis que la mise au point rédactionnelle et la production proprement dite incombaient au Centre de T o k y o , avec le concours de l'éditeur de la version japonaise originale, Fukuikan Shoten, de T o k y o . Ces livres ont reçu une large diffusion dans les pays participants, en particulier par l'entremise des écoles. E n Afghanistan, par exemple, About blood a été distribué dans les écoles, en province c o m m e dans la capitale. U n essai auquel on a procédé dans la cinquième classe d'une école primaire de Kaboul, a donné des résultats positifs, grâce à la participation animée d'enfants qui, ayant eu le livre, avaient été frappés de la manière vivante dont le sujet était traité. E n Iran, l'édition expérimentale a été distribuée à 78 bibliothèques pour enfants par l'Institut pour le développement intellectuel des enfants et des jeunes adultes. E n République de Corée, en République khmère, au Laos, au Népal, au Pakistan, aux Philippines, à Sri Lanka, en Thaïlande et au Viêt-nam, les livres ont été distribués à certaines écoles et bibliothèques pour enfants spécialement sélectionnées. L'opinion générale a été que ces deux ouvrages pilotes constituaient d'excellents textes de lecture non seulement pour les enfants, mais également pour les parents et les maîtres qui en font la lecture aux enfants. A la suite de cette phase expérimentale, et encouragés par son succès, les pays participant au Prog r a m m e asiatique de copublication ont produit Folktales from Asia. Chaque pays de la région a proposé deux histoires en anglais dont la mise au point définitive a été assurée par le Centre culturel asiatique de l'Unesco et le Centre de Tokyo pour la promotion du livre. D e s histoires ont été envoyées pour les premiers volumes par les pays suivants : Bangladesh, République de Corée, Inde, Indonésie, Iran, Japon, République khmère, Laos, Malaisie, Népal, Pakistan, Philippines, Singapour, Sri Lanka, Thaïlande et Viêt-nam. Il a été décidé de les publier pour c o m mencer en anglais, en deux volumes contenant chacun huit histoires illustrées. L e prototype de langue anglaise étant sous presse, des experts de 17 pays en voie de développement et du Japon se sont réunis à T o k y o en juin 1974 pour mettre au point les plans définitifs de production et de diffusion des éditions nationales de Folktales from Asia, et pour choisir des sujets pour les volumes suivants de la série. Il a été décidé de poursuivre la publication de contes populaires et de préparer une nouvelle collection de Festivals of Asia ; la publication I. L'éditeur japonais, Shoichi N o m a , qui a mis sur pied le Centre de Tokyo pour la promotion du livre en Asie, vient de se voir décerner le premier Prix international du livre pour services exceptionnels rendus à la cause du livre. I39 Notes et comptes rendus en anglais du livre 3 des Folktales et de Festivals a été prévue pour le mois de juin 1975. D e nombreux participants responsables nationaux de l'élaboration et de la sélection de manuels et d'autres genres de matériel pédagogique représentaient le secteur éducatif de leurs pays respectifs. Depuis lors, le comité central de rédaction comprend des représentants d u Laos, d u Pakistan, de Sri Lanka et de l'Inde. Il est apparu que, dans de nombreux pays en voie de développement d'Asie, ces livres pour enfants, d'un aspect attrayant, permettraient de parer à des besoins urgents. D a n s les pays où l'industrie de l'édition en est encore à ses débuts, la priorité a été accordée aux manuels scolaires, alors que les livres conçus pour les petits enfants sont rares, pour ne pas dire inexistants. Beaucoup de pays manquent d'auteurs pouvant écrire des livres pour enfants, et n'ont pas d u tout d'auteurs qui s'en fassent une spécialité. Les États participants ont examiné les divers moyens de diffuser les livres publiés sous les auspices d u Programme asiatique de copublication. E n République de Corée, par exemple, la publication d u premier volume coïnciderait avec la semaine annuelle d u livre et la diffusion en serait assurée dans les régions où il y a de nombreuses écoles élémentaires. E n ce qui concerne les Philippines, le Département de l'éducation choisirait probablement une édition en langue anglaise de Folktales from Asia pour les petits écoliers philippins. L e Département des publications pédagogiques de Sri Lanka se chargerait de publier une édition en cinghalais. L'édition en langue thaï paraîtrait dans le cadre d u Programme de lecture extérieure pour les enfants sous les auspices de la Section de promotion du livre, Division des manuels, Département des techniques pédagogiques du Ministère de l'éducation. A u Viêt-nam également, le gouvernement, par l'intermédiaire de son Ministère de la culture, de l'éducation et de la jeunesse, se chargerait de la publication et de la diffusion des livres. Plusieurs pays ont manifesté l'intention d'imprimer ces livres en bichromie plutôt qu'en quadrichromie, pour des raisons financières. Les auteurs, éducateurs et éditeurs se sont aperçus qu'en travaillant ensemble, en unissant leurs talents et leur savoir-faire, ils arrivaient, pour u n moindre coût, à u n résultat supérieur à celui qu'aucun d'eux aurait p u obtenir à lui seul. C e travail a déjà inspiré des initiatives analogues dans d'autres régions. E n Amérique latine, u n séminaire sur les ouvrages pour enfants s'est tenu à Buenos Aires, en avril 1974, pour examiner la possibilité de lancer u n programme de copublication d'ouvrages pour les enfants d u souscontinent. E n Afrique, u n éditeur d u Cameroun, o ù doit s'ouvrir u n centre régional de promotion d u livre, a c o m m e n c é , avec l'aide de l'Unesco, à rechercher, avec ses collègues des États voisins, les m o y e n s d'établir u n programme africain. S'il est certain que les méthodes techniques mises au point pour l'Asie serviront de guide à d'autres projets régionaux, les institutions qui patronnent l'entreprise espèrent également que les critères, dont ils sont convenus pour le Programme asiatique de copublication, constitueront u n modèle universel pour la production et la publication de matériel de lecture. U n tel matériel doit représenter la culture nationale ; il doit inspirer aux enfants le respect des valeurs humaines, avoir un attrait universel et n'être offensant pour aucun groupe humain. Role de I enseignement supérieur dans l'éducation permanente : un colloque L'éducation permanente est l'un des problèmes majeurs de la seconde moitié d u XX e siècle. L a m a nière de diriger et d'organiser son développement est une question qui se pose de plus en plus souvent aux institutions nationales et internationales, dans leur action en faveur de la culture et de l'éducation. Plus de 80 grandes réunions nationales et internationales, 270 publications importantes, dont 50 ont été diffusées par l'Unesco, et 8 périodiques ont été consacrés à ce problème au cours des dix dernières années. 140 Les participants à la dix-septième session de la Conférence générale de l'Unesco, tenue à Paris en 1972, ont longuement examiné le problème d e l'éducation permanente. Conformément à une résolution adoptée à cette session, un colloque de l'Unesco sur le rôle de l'enseignement supérieur dans l'éducation permanente a eu lieu à M o s c o u d u 18 au 20 juin 1974. Quinze experts de différents pays y ont assisté ainsi que des observateurs d u Secrétariat d e l'Unesco, de l'Association internationale des universités, de la Fédération internationale syndicale d e Notes et comptes rendus l'enseignement, d u Comité de la coopération scientifique et technique d u C A E M (Conseil d'assistance économique mutuelle), d u Conseil de l'Europe, d u Bureau international d u travail et d'autres organisations nationales et internationales. Les délégués ont examiné les liens existant entre la structure des divers systèmes d'enseignement supérieur et le concept d'éducation permanente, les méthodes pédagogiques, les programmes d'études, la formation des enseignants et le rôle de la recherche fondamentale et appliquée. C e colloque a permis de préciser le concept d'éducation permanente, laquelle concerne les individus de tout âge dans le cadre de l'éducation scolaire et extrascolaire. Pour des raisons sociales autant que pédagogiques, l'éducation des adultes est considérée c o m m e u n aspect important de l'éducation permanente. Les participants ont souligné la nécessité de préparer les élèves dès le début de leur formation à l'édu- cation permanente et mis l'accent sur les liens entre la formation initiale et la formation ultérieure des élèves et sur la nécessité de préciser les conditions d u passage d'une forme d'éducation à l'autre. Ils ont jugé insuffisante la coopération internationale actuelle en matière d'éducation permanente et estimé indispensable la création de structures régionales et internationales dans le domaine de l'enseignement en vue de développer l'éducation permanente. O n a soulevé à ce propos la question de l'internationalisation des programmes, de la poursuite d'une politique cohérente en matière d'équivalence des diplômes, et de la nécessité de repenser les méthodes pédagogiques. L'enfant, l'adolescent et l'adulte devraient être le sujet et n o n pas l'objet d u processus éducatif. U s sont en droit de participer à la définition des objectifs, des méthodes et des critères d'évaluation d u processus d'éducation qui les intéressent au premier chef. Revue de publications Nutrition—A priority in African development. Sous la direction de B o Vahlquist, Almqvist and Wiksell Informationsindustri A B , Uppsala — Fondation D a g Hammarskjöld. Alan Berg. The nutrition factor—Its role in national development, Washington, T h e Brookings Institution, 1973. L'idée était autrefois très répandue que c'était à l'agriculture et aux services de santé de résoudre les problèmes de nutrition ; mais il est de plus en plus évident, de nos jours, que cette tâche exige la contribution et la collaboration de domaines spécialisés tels que la sociologie, les sciences économiques, l'économie domestique, l'éducation et l'anthropologie sociale. L'expérience pratique enseigne qu'abondance de nourriture ne sert à rien si l'individu ne sait pas en faire u n choix et u n usage convenables ; elle enseigne qu'il ne suffit pas au consommateur d'avoir u n p o u voir d'achat suffisant s'il ne sait quels aliments acheter pour satisfaire ses besoins propres en matière de nutrition ; elle montre que la lutte contre la malnutrition et la sous-alimentation ne produit pas d'effet durable si l'individu ne sait c o m m e n t se prémunir contre la réapparition de la malnutrition ; elle enseigne enfin qu'il ne suffit pas d'assurer l'abondance de nourriture et le pouvoir d'achat si l'environnement et les facteurs sociaux et psychologiques qui sont liés aux problèmes d'alimentation et de nutrition ne favorisent pas le développement de régimes et de pratiques alimentaires rationnels et acceptables. Si donc on veut résoudre les problèmes d'alimentation et de nutrition, le concours de certaines disciplines spécialisées s'impose, et l'éducation a u n rôle de premier plan à jouer. Il convient de noter à cet égard que l'expression « éducation nutritionnelle » intéresse plusieurs domaines : la médecine — éducation nutritionnelle d u personnel médical, l'agriculture — éducation d u personnel agricole, enfin le système scolaire en général, qui nous intéresse ici au premier chef. Toutefois, ce n'est que depuis peu que les questions de nutrition attirent l'attention des responsables des orientations et des plans en matière d'éducation, alors que depuis longtemps déjà se faisait sentir avec une insistance croissante la nécessité d'une action préventive à long terme, par l'éducation, concernant les questions de nutrition. Les auteurs des deux ouvrages dont il est rendu compte ici font œuvre de pionnier en essayant d'élaborer une conception interdisciplinaire de l'action en vue d'une meilleure nutrition. Les éducateurs trouveront qu'une place restreinte est faite à l'enseignement de la nutrition, sans aucun doute, parce 141 Notes et comptes rendus que la prise de conscience d u rôle important qui lui revient dans l'ensemble des efforts déployés pour améliorer la nutrition est toute récente et parce que les programmes éducatifs de valeur dont des leçons peuvent être tirées sont assez peu nombreux. D e plus, la notion d'éducation, telle que l'envisagent ces deux publications, a souvent été confondue avec celle de communication d'information. L a c o m munication transmet des données de fait ou des connaissances. L'éducation, en revanche, comprend un large éventail d'activités concertées dans lesquelles s'établissent des rapports entre enseignant et enseigné tant sur le plan cognitif que sur les plans affectif et psychomoteur. Chacune de ces publications est écrite par des spécialistes qui ont p u observer directement, pendant de longues années, les répercussions de la malnutrition et de la sous-alimentation sur le développement des individus, la capacité de production et le bien-être en général. E n outre, ces ouvrages sont d'autant plus intéressants et enrichissants, par rapport à ce qui a été écrit précédemment sur ce sujet, qu'ils commencent par u n exposé sur la malnutrition dont les conséquences, telles qu'elles peuvent se manifester tout au long de la vie, sont examinées d u point de vue clinique. Ainsi, écrits à l'intention de non-spécialistes, ils placent d'emblée le lecteur au cœur d u problème et permettent de définir de façon judicieuse et rationnelle les rapports entre nutrition et développement. Nutrition—A priority in African development est un rapport du séminaire D a g Hammarskjóld consacré à ce sujet ; à la session d'ouverture, le directeur général d u S I D A a posé clairement le problème : « S'attaquer à l'analphabétisme sans s'attaquer en m ê m e temps à la malnutrition et à la sous-alimentation qui diminuent la capacité d'apprendre semble sans espoir, pour ne pas dire plus. Il n'est pas rentable de développer u n service général de santé sans commencer par le c o m m e n c e m e n t , c'est-à-dire par bâtir le corps humain, c'est perdre son temps que d'accroître la production alimentaire sans préserver la valeur réelle des aliments couramment produits. Enfin, il est vain d'investir dans l'emploi sans a m é liorer en m ê m e temps la capacité potentielle de la main-d'œuvre et le sconditions de nutrition. » O n s'est donc accordé à penser, au séminaire D a g H a m m a r s k jöld, que la nutrition, tâche prioritaire d u développement, est aussi une tâche humanitaire et que c'est une humanisation d u processus de développement qui est indispensable. Après la déclaration liminaire sur la malnutrition humaine, le rapport d u séminaire examine des types très divers d'interventions, classiques o u n o n , destinées à remédier à la malnutrition et à la sous-ali- 142 mentation : production alimentaire, traitement des produits alimentaires, réglementation d u commerce, prise en considération des questions de nutrition dans les programmes de santé publique et dans les systèmes de communication. L e dernier chapitre d u rapport, relatif à l'intégration de diverses interventions, telle que la pratiquent, suivant en cela la m o d e actuelle, les administrations nationales et les organismes internationaux, ne conclut pas par une recommandation d'intégration et de coordination. D a n s ce chapitre, le D r Göran Ohlin, professeur d'économie à l'Université d'Uppsala, note, en formulant les conclusions sur lesquelles se sont accordés les participants au séminaire, que « la coordination est trop souvent à l'origine de confusions et constitue parfois u n b o n m o y e n de garantir que rien ne sera fait. Bien des résultats ont été obtenus sans que des dispositions soient prises dans ce sens et les délibérations d u séminaire ne permettent de formuler sur ce point aucune recommandation de portée générale ». Cela seulement semble clair : il faudra qu'il y ait dans tous les départements intéressés des services, o u au moins des individus, qui seront les moteurs d'un programme intégré, mais n o n nécessairement coordonné. Après des chapitres exposant le problème de la malnutrition et ses rapports avec le développement, Alan Berg dans The nutrition factor, analyse les relations entre la nutrition et l'accroissement de la population. Sa thèse est qu'une meilleure nutrition peut, à court terme, avoir pour effet d'accroître le taux de natalité mais que, à long terme, d u fait que plus d'enfants survivent et qu'il en faut moins, par conséquent, pour assurer le soutien économique, elle aura pour effet d'abaisser le taux de natalité. Son chapitre sur les relations entre la situation nutritionnelle et la croissance économique corrobore à nouveau l'idée que la croissance économique et l'accroissement d u revenu par habitant n'améliorent pas automatiquement la situation des groupes vulnérables sur le plan de la nutrition. U n e redistribution des revenus est nécessaire, ainsi que d'autres interventions. U n autre chapitre fort intéressant a trait aux programmes d'alimentation, dont les programmes de repas scolaires constituent u n élément majeur. C e s programmes, malgré leurs attraits, sont aux yeux des spécialistes de la nutrition ceux qui prêtent le plus à controverse. Après avoir énuméré leurs avantages et leurs inconvénients, Alan Berg analyse la question de façon pertinente et très concrète. D a n s les deux derniers chapitres, particulièrement dans celui qui est consacré aux leçons à tirer de l'expérience indienne, Berg décrit plusieurs techniques d'intervention n o n classiques, et souligne, en se Notes et comptes rendus référant à son expérience, l'idée qu'il est plus facile et plus rapide d'obtenir des transformations en m o d i fiant les conditions extérieures, par exemple en enrichissant les aliments, qu'en modifiant les comportements humains, par exemple grâce à l'information et à l'éducation. C o m m e dans le rapport du séminaire D a g Hammarskjôld, le problème de la coordination des interventions au niveau interministériel et à d'autres niveaux est examiné. Alan Berg invite à adopter une approche nouvelle, hardie, analytique et systématique à l'égard des problèmes de nutrition : il faut prendre conscience de leur importance, s'engager à faire quelque chose pour les résoudre et appliquer largement les décisions prises. Tout en s'exprimant énergiquement, dans son dernier chapitre, sur les questions d'administration, il laisse la porte ouverte à la créativité et à l'initiative pour la solution de ces problèmes. Emmy H O O K H A M Division de l'enseignement préuniversitaire des sciences et de la technologie, Unesco William T A Y L O R (ed.), Research perspectives in education, Londres, Routledge and K e g a n Paul, 1973. 238 p . Prix 3,25 livres. L e développement rapide qu'ont connu ces dernières années les programmes d'éducation, dans les pays développés c o m m e dans les pays en voie de développement, se traduit par une relative abondance d'ouvrages sur la recherche pédagogique. Toutefois, la plupart de ces livres portent principalement sur les techniques de recherche et rendent compte essentiellement d'études psychologiques de caractère e m pirique. Research perspectives in education est u n livre exceptionnel en ce sens qu'il se propose une tâche plus fondamentale. Il se préoccupe au premier chef des concepts qui fondent la recherche en matière d'éducation ainsi que de l'organisation et de la gestion de cette recherche, en partant d u principe que « la recherche pédagogique doit être envisagée de façon beaucoup plus large, surtout si l'on veut qu'elle ait une influence tant au stade de l'élaboration d'une politique de l'éducation qu'à celui de la pratique éducative » (p. ix). L e livre est la s o m m e d'un certain nombre de travaux effectués par d'éminents spécialistes de l'éducation et de la recherche. Ces travaux sont résumés dans neuf contributions réparties entre trois grandes parties. L a première partie traite des ressources, de l'organisation et de la dotation en personnel de la recherche pédagogique. L e professeur William Taylor procède à une analyse détaillée des conditions préalables d'une recherche efficace. Ces conditions sont, selon lui, l'existence d'un ensemble d'idées politiques, sociales et pédagogiques créant u n climat favorable à la recherche, celle de ressources financières et humaines appropriées, et de « structures adéquates » (p. 8) à l'intérieur desquelles les ressources peuvent être réparties. Ces structures, au n o m b r e de quatre, doivent permettre : a) de définir l'orientation et les priorités des programmes de recherche pédagogique ; b) definanceret de contrôler les travaux de recherche et de développement dans le domaine de l'éducation ; c) de mener à bien des travaux de recherche offrant les garanties voulues d'emploi et de carrière aux chercheurs ; d) de transmettre des informations sur les travaux de recherche en cours ainsi que les résultats des travaux menés à bien aux dirigeants, aux administrateurs, aux enseignants et à tous les autres personnels auxquels ces travaux s'adressent. C'est en fonction de ces données que le professeur Taylor analyse ensuite les politiques en matière de subventions pratiquées par les principaux organismes d'aide à la recherche au R o y a u m e - U n i . Venant compléter l'article d u professeur Taylor, celui d u professeur Hàrnqvist décrit les activités de recherche pédagogique menées hors d u R o y a u m e - U n i . U n e série d'exemples concernant surtout les États-Unis et les pays Scandinaves permet au professeur H à r n q vist de traiter de façon très complète des objectifs, des programmes, d u contenu et des méthodes de la formation en matière de recherche pédagogique sur le comportement. L a deuxième partie d u livre se compose de cinq articles sur l'apport des diverses disciplines à la recherche pédagogique. L a philosophie aide le chercheur à clarifier ses idées. Ainsi, en appelant l'attention sur l'utilisation de termes dont l'emploi n'est régi par aucun critère bien défini, le philosophe peut faire gagner au chercheur u n temps considérable, que ce dernier eût peut-être passé à vérifier des hypothèses conceptuellement peu claires. L a psychologie fournit des techniques d'appréciation des résultats et d'interprétation des données, tandis que la sociologie, qui sensibilise les esprits à l'importance des facteurs sociaux pour le développement des aptitudes, contribue à rendre plus explicites les rapports entre l'éducation et les autres grandes institutions sociales. 143 Notes et comptes rendus L a troisième partie d u livre se compose de deux articles qui situent la recherche pédagogique par rapport aux connaissances dont on dispose concernant l'éducation, d'une part, et par rapport à l'élaboration et à l'application de la politique en matière d'éducation, d'autre part. Trois domaines essentiels dans lesquels la recherche doit se poursuivre au R o y a u m e Uni sont également analysés : l'organisation interne des établissements scolaires, l'organisation du système scolaire et la répartition des ressources. L'une des critiques les plus évidentes qu'on peut adresser à cet ouvrage est de ne pas accorder à la recherche active, d u moins à première vue, l'importance qu'elle mérite. L a recherche active est u n des principaux produits des innovations actuelles qui visent à faire entrer dans la salle de classe l'expérimentation en matière de programmes d'études. C'est le type de recherche menée par les praticiens — enseignants et administrateurs — soucieux de trouver des solutions aux problèmes auxquels ils se heurtent en classe. U n ouvrage sur les perspectives de la recherche pédagogique ne saurait ignorer ni la différence entre ce type de recherche et la recherche traditionnelle ni l'apport de la recherche active à l'aménagement et à l'amélioration des plans d'étude. L a partie rédigée par le professeur Härnqvist traite de manière exhaustive des objectifs de la formation de chercheurs et de ses diverses modalités. Sans doute le m a n q u e d'espace ne lui a-t-il pas permis d'y indiquer dans quelle mesure les expériences qu'il analyse répondent, sur le plan des programmes, d u contenu et des méthodes, aux objectifs recherchés. E n outre, le professeur Härnqvist s'appuie principa- lement sur des expériences tentées aux États-Unis et dans les pays Scandinaves. O n est amené à se demander si les exemples qu'il donne renseignent suffisamment les milieux intéressés du R o y a u m e - U n i sur ce que le professeur Taylor appelle « l'expérience internationale dans ce domaine, notamment en ce qui concerne la formation de spécialistes de la recherche pédagogique... » (p. 42). Malgré ce qui vient d'être dit, l'ouvrage réussit largement à mettre en appétit ceux qui sont curieux de savoir comment sont déclenchés, soutenus et menés les travaux de recherche et de développement en matière d'éducation. Peut-être u n des mérites les plus notables de l'ouvrage est-il de faire admettre c o m m e incontestable la nécessité pour les représentants des diverses disciplines ayant u n lien direct avec l'éducation de coopérer dans le domaine de la recherche pédagogique s'ils veulent trouver des réponses précises aux questions qui se posent dans ce domaine. Par l'élégance de son style, la clarté avec laquelle les concepts et les idées de base sont exposés et l'actualité de son sujet, Research perspectives in education a les qualités voulues pour séduire le lecteur et lui fournir une motivation. Il est donc vivement recommandé, non seulement au personnel enseignant mais aussi à tous ceux que la recherche en matière d'éducation intéresse. 'Tunde O K U N R O T I F A Faculté de pédagogie Université d'Ibadan, Ibadan (Nigeria). Philip H . C O O M B S et Manzoor A H M E D . Attacking rural poverty. How nonformal education can help. Baltimore, Johns Hopkins University Press, 1974. 3,95 dollars. (Publication de la Banque mondiale.) L'importance fondamentale des zones rurales des pays en voie de développement et des millions d'individus qui y vivent commence maintenant à recevoir l'attention qu'elle mérite. Dans la plupart de ces pays, non seulement la population rurale dépasse de beaucoup la population des zones urbaines, mais on peut aussi raisonnablement prévoir que, malgré les migrations vers les villes, elle continuera à augmenter pendant toute la durée d u XX e siècle. L'avenir de la plupart des habitants des zones rurales, et en particulier des jeunes, passe donc obligatoirement par une vie et des emplois ruraux. L a qualité de cette vie et les possibilités qu'elle peut offrir dépendent dans la plupart des cas des modalités et du rythme I44 de la mise en valeur des ressources agricoles et des autres ressources de base des campagnes. L a vie des habitants des zones urbaines dépend elle aussi, dans une mesure non négligeable, d'une croissance régulière et soutenue de la productivité agricole et rurale. Il n'est guère contestable que les populations rurales de nombreux pays reçoivent, depuis des années, une part anormalement faible des ressources limitées, d'origine nationale ou extérieure, affectées au développement. O n reconnaît généralement aujourd'hui qu'il faut remédier rapidement à ce déséquilibre dans l'intérêt d u progrès de tout le pays et d'une répartition plus équitable de la richesse et des services. L a crise de plus en plus aiguë causée par la pénurie Notes et comptes rendus alimentaire mondiale et la hausse accélérée des coûts de l'alimentation, ainsi que les graves difficultés qu'éprouvent la plupart des pays en voie de développement à créer des emplois pour leur population en expansion rendent ce besoin d'autant plus pressant. L'éducation a manifestement une contribution très importante à apporter aux efforts déployés à l'échelon national pour résoudre ces problèmes critiques. Cependant, les responsables de l'éducation doivent e u x - m ê m e s faire face à d'énormes difficultés. Voici c o m m e n t la situation, particulièrement en ce qui concerne l'éducation en milieu rural, est résumée par le directeur d u Département de l'éducation de la Banque mondiale dans sa préface à l'ouvrage qui nous intéresse : bien que l'éducation « absorbe une part élevée et croissante des budgets nationaux... les améliorations sensibles de la qualité des systèmes institutionnels d'éducation demeurent rares et excessivement difficiles à réaliser... le nombre des analphabètes a régulièrement augmenté en valeur absolue. M ê m e si les moyens matériels et le personnel enseignant étaient suffisants et si des réformes fondamentales des structures et des programmes étaient réalisées, il est douteux que l'éducation de type institutionnel telle qu'elle est conçue à l'heure actuelle puisse satisfaire n o m b r e des besoins de développement les plus cruciaux. D a n s la plupart des pays en voie de développement, par exemple, une proportion très élevée de la population travaille dans l'agriculture, souvent au m i n i m u m vital. D a n s ce domaine, n o n seulement le besoin d'une productivité accrue est particulièrement aigu, mais l'alphabétisme et la possession d'autres compétences essentielles sont exceptionnellement rares, chez les adultes c o m m e chez les enfants. Si l'on veut accroître la productivité, favoriser les perspectives de développement global et améliorer la structure de la répartition des revenus, il faut trouver u n m o y e n de répondre aux besoins fondamentaux de la population en matière d'éducation ». A son avis, le vaste domaine que constitue l'éducation périscolaire peut fournir u n élément i m portant de la solution dans la mesure où il est possible de l'organiser et de le renforcer de façon qu'il apporte une réponse efficace aux besoins pressants d u développement rural. C'est dans ce contexte qu'il a été demandé au Conseil international pour le développement de l'éducation ( C I D E ) de procéder à une étude indépendante de ce domaine dans son ensemble. L a publication dont il est rendu compte ici en est le résultat. E n fait, deux études plus o u moins parallèles ont été faites. L a deuxième, qui a u n caractère complémentaire et a été menée sous les auspices de l'Unicef1, portait plus précisément sur les problèmes particuliers des enfants et des jeunes ruraux. Bien que l'objectif le plus immédiat de l'étude ait été de fournir au groupe de la Banque mondiale une évaluation de la situation actuelle et d u potentiel futur de l'éducation périscolaire pour le développem e n t rural, le but poursuivi à plus long terme par la publication d u présent rapport est manifestement de réunir u n ensemble de faits et d'expériences destinés à fournir une base d'action aussi large et solide que possible aux planificateurs, administrateurs et autres personnes qui ont à connaître des problèmes complexes et difficiles qui se posent en la matière. L'étude s'adresse essentiellement aux personnes qui, dans les pays en voie de développement, sont responsables de la formulation et de la mise en œuvre des politiques de développement rural, tant sur le plan national que sur le plan régional. C'est pourquoi elle devrait présenter u n intérêt et une utilité considérables non seulement pour les planificateurs et les administrateurs de l'éducation, mais aussi pour tous ceux qui participent directement aux aspects complémentaires essentiels d u progrès rural — agriculture, santé et nutrition, emploi, industrie et commerce, information et autres services. E n fait, c'est là le fond d u rapport : si l'on veut q u ' u n progrès réel soit accompli, il faut que tous ces secteurs parviennent à une relation harmonieuse et opèrent c o m m e une équipe bien intégrée. Pour des raisons pratiques, la présente étude s'est généralement limitée aux projets et programmes visant à accroître l'emploi, la productivité et le revenu familial dans les zones rurales en améliorant les connaissances et les compétences des exploitants agricoles, des travailleurs agricoles, des artisans ruraux et des petits entrepreneurs. Toutefois, les auteurs précisent dès le départ qu'ils ont adopté une conception très large et dynamique d u développement rural et qu'ils ne se préoccupent pas uniquement des moyens d'accroître la production agricole et d ' a m é liorer les compétences techniques. Ces objectifs sont plutôt conçus c o m m e s'inscrivant dans u n processus complexe et permanent d'élévation d u niveau global de la vie familiale et communautaire et de l'activité économique rurales en tant qu'éléments intégrants d u développement national. Les auteurs voient dans l'agriculture le fondement d u processus de développement, et dans l'amélioration régulière de la capacité de production et d u rendement de la terre le catalyseur dont dépendent beaucoup d'autres aspects de ce processus. L'éducation, sous tous ses aspects, est pour eux le facteur clé de la mobilisation des ressources humaines pour le changement et le progrès car, sans le soutien massif d'une population informée, les autres investissements seront inutiles. I. Voir : New paths to learning for rural children and youth, rédigé pour l'Unicef par le Conseil international pour le développement de l'éducation, 2 dollars. 145 Notes et comptes rendus Q u e faut-il entendre par éducation périscolaire ? Les responsables de l'étude ont adopté une approche purement pragmatique vis-à-vis de ce qui pourrait constituer le thème d'une discussion académique sans fin. Tout d'abord, ils identifient l'éducation à la totalité des divers processus d'apprentissage plutôt qu'à u n système de scolarisation institutionnalisé. Ils sont d'accord en cela avec ceux qui font maintenant valoir que l'éducation doit être considérée c o m m e u n processus permanent. Ils jugent en outre logique de ranger les divers types d'éducation dans trois grandes catégories qui n'ont nullement u n caractère exclusif : "L'éducation scolaire englobe l'ensemble des systèmes nationaux d'éducation, d u préscolaire aux études universitaires supérieures. Ces systèmes sont généralement fortement institutionnalisés. TJ éducation périscolaire est considérée c o m m e « u n processus permanent par lequel chaque personne acquiert et accumule des connaissances, des c o m p é tences, des attitudes et des notions à partir d'expériences quotidiennes et de contacts avec l'environnement — chez elle, dans son travail, dans ses loisirs... ». Uéducation extrascolaire est considérée, aux fins de la présente étude, c o m m e « toute activité éducative systématique et organisée se situant hors d u système scolaire et visant à faire bénéficier de certains types d'apprentissage des groupes particuliers de personnes, adultes o u enfants ». C o m m e préliminaire à la planification de cette étude et pour déterminer ce qui pourrait être raisonnablement considéré c o m m e u n échantillon représentatif de programmes d'éducation extrascolaire dans les pays en voie de développement, les auteurs se sont entretenus avec des représentants des gouvernements, des institutions internationales, des fondations et de nombreux autres organismes qui s'emploient à aider l'éducation dans les pays concernés. U n examen complet des ouvrages, rapports de projets et autres documents pertinents a aussi été entrepris. Enfin, pour fournir la « matière première » sur laquelle fonder une analyse systématique et critique, les auteurs ont choisi quelque 25 programmes qui ont fait l'objet d'études détaillées rédigées par des m e m b r e s de l'équipe de recherche d u C I D E ; ceux-ci se sont également rendus sur place. Cette large étude de nombreux types de programm e s d'éducation extrascolaire pour les zones rurales a permis de discerner cinq principaux types d' « approche », dont chacun fait l'objet d'un chapitre d u rapport : 1. programmes de vulgarisation agricole; 2. programmes de formation agricole ; 3. formation à des emplois non agricoles ; 4 . approche individualiste d u développement rural ; 5. approche intégrée du développement agricole. 146 Il faut admettre que, dans de nombreux cas, les programmes étudiés contiennent des éléments qui échappent à la catégorie dans laquelle ils sont rangés. L a formation des agriculteurs, par exemple, est souvent conçue et organisée c o m m e une partie intégrante des programmes de vulgarisation agricole. Cette façon de traiter u n choix de projets divers a néanmoins permis d'établir les grandes caractéristiques et les conceptions fondamentales de chaque type d'approche et d'examiner ses forces et ses faiblesses. Chaque programme fait l'objet, sous la rubrique appropriée, d'une description portant sur les aspects suivants : contexte, organisation, objectifs, clientèle, contenu de l'enseignement, gestion et personnel. L'impact et les résultats du programme sont évalués. Les auteurs examinent les problèmes rencontrés lors de la mise en œuvre d u programme ; ils en étudient aussi le coût, lorsqu'ils disposent à cet égard de données fiables. O n se heurte à de nombreuses difficultés lorsqu'on essaie de tirer des conclusions générales d'un groupe aussi hétérogène de projets, situés dans u n contexte géographique, économique et social aussi large. U n certain n o m b r e de projets ont été lancés il y a de nombreuses années alors que les plus récents en sont encore à la phase initiale. Il est notable, par exemple, que la majorité des projets de développement agricole intégré soit d'origine fort récente. O n pourrait raisonnablement affirmer que l'approche dont ils procèdent doit beaucoup aux enseignements tirés des expériences antérieures de vulgarisation, menées dans une optique plus étroite. L a lecture d u compte rendu de ces projets revêt beaucoup d'intérêt pour tous ceux qui se préoccupent du développement agricole et rural dans les pays les plus pauvres du m o n d e . L e peu de progrès accomplis, souvent après des débuts très encourageants, est extrêmement décevant à certains égards. E n revanche, certains programmes, qui ont bénéficié d'un appui financier relativement limité, ont pourtant réussi à capter l'intérêt d u public, mobilisant largement les bonnes volontés et exerçant une influence réelle. Souvent, des programmes lancés avec une aide extérieure substantielle ont dépéri dès lors que cette aide a pris fin. Il faut que tous les intéressés comprennent que des programmes d'éducation novateurs exigent presque à coup sûr beaucoup de temps et une évaluation et des remaniements très sérieux avant de devenir entièrement viables. U n e des leçons les plus importantes qui se dégage des diverses monographies est peut-être la nécessité de lier chaque programme d'éducation aux autres facteurs essentiels entrant en ligne de compte lorsqu'il s'agit de mettre en pratique ce qui a été appris. L'artisan qui est formé à un travail dans une communauté rurale, par exemple, Notes et comptes rendus n'a pas seulement besoin d'être techniquement c o m p é tent. Souvent il gère lui-même sa petite affaire et a besoin d'une aide pour obtenir du crédit et des matériaux. Il a aussi besoin de conseils et d'aide en matière de gestion et dans d'autres domaines s'il veut réussir à s'établir. D e nombreuses considérations analogues valent dans le cas des petits exploitants agricoles. Cinq autres chapitres sont consacrés à u n examen en profondeur d'une série de problèmes fondamentaux jugés essentiels quant à la formulation de politiques et de programmes d'éducation extrascolaire plus rationnels et mieux intégrés, dans le contexte du développement rural et national. Il n'est pas étonnant que les auteurs envisagent certains changements radicaux et de grande portée. Ils jugent fondamentale une plus grande coopération entre les responsables de l'éducation et de la formation et les autres personnes s'occupant des nombreux services, officiels et n o n officiels, qui participent au développement rural. D e tous les facteurs qui peuvent déterminer le succès ou l'échec d'un P r o g r a m m e , le plus important est la qualité d u personnel, sa compétence et son dévouement. U n e grande attention est donc consacrée aux questions touchant le recrutement, la formation professionnelle et le soutien technique des vulgarisateurs, des enseignants et des personnes qui assurent des services complémentaires dans les zones rurales. U n e fois qu'on a formé le personnel qui convient, il est indispensable de le retenir en créant des possibilités de carrière et des conditions d'emploi conformes à ses responsabilités et à l'importance vitale de son travail au niveau communautaire. D a n s de nombreux cas, il existe u n large fossé entre l'enseignement et la recherche agricoles et les besoins réels des petits agriculteurs et de la société dans laquelle ils vivent. Les auteurs sont convaincus de la nécessité de réformer tout le système d'enseignement agricole et ses relations avec la recherche pour ce qui est de satisfaire les besoins réels d u développement agricole. D a n s le m ê m e ordre d'idées, les auteurs considèrent que la formation professionnelle des artisans et des petits entrepreneurs a été trop étroitement calquée sur les modèles de formation technique, urbaine et industrielle. U n e refonte visant à rendre les programmes de formation professionnelle dans les zones rurales beaucoup plus conformes aux besoins constatés dans chaque zone et c o m m u n a u t é ainsi qu'aux possibilités éventuelles en matière d ' e m ploi semble souhaitable à de nombreux égards. Les auteurs formulent diverses suggestions tendant à améliorer les technologies de l'éducation extrascolaire : utilisation des mass media et de textes et matériels pédagogiques mieux adaptés aux besoins, emploi accru, dans les cas qui s'y prêtent, de méthodes et de moyens d'auto-instruction. Il ressort de leur étude de l'économie de l'éducation extrascolaire que les recherches dans ce domaine demeurent à peu près inexistantes à ce jour et que les organisateurs de programmes n'ont que très rarement entrepris de suivre systématiquement les personnes formées et de déterminer dans quelle mesure cette formation a facilité leur carrière ultérieure. D e s exemples sont fournis pour illustrer combien le coût peut être élevé par rapport aux résultats lorsqu'une proportion sensible des personnes formées n'embrassent pas la profession à laquelle la formation reçue les destinait. C o m m e on peut s'y attendre, étant donné l'importance que les auteurs attachent à la nécessité d'une intégration plus efficace, ils plaident énergiquement pour l'adoption d'une approche systématique de la planification, de l'organisation et de la gestion globales de tous les services participant au développement rural. C'est là u n objectif sans nul doute très souhaitable en théorie, mais très difficile à atteindre en pratique, surtout lorsque les différents ministères concernés sont, inévitablement, en concurrence pour obtenir des crédits parcimonieusement distribués. Pourtant, si l'on veut obtenir de bons résultats, il faut manifestement trouver une formule viable de coopération effective, ce qui peut prendre beaucoup de temps et d'efforts. D a n s le domaine particulier de l'éducation, certaines mesures sont possibles qui pourraient contribuer de façon particulièrement sensible à l'instauration souhaitée d'une coopération complète et efficace. L a première serait la création de centres de formation et de développement multidisciplinaires aux niveaux appropriés, qu'il s'agisse du district ou d u village. L e personnel des divers ministères concernés (agriculture, santé, coopératives, etc.) dispenserait les cours, mais tout le m o n d e — enseignants et étudiants — utiliserait les m ê m e s moyens matériels. D e m ê m e , les services très étroitement liés au développement agricole et rural — crédit, coopératives, commercialisation et transformation, matériel et fournitures — seraient placés à des positions stratégiques de façon à faire partie intégrante d u programme d'ensemble. U n e seconde mesure propre à faciliter u n grand n o m b r e de ces réformes indispensables — elle déborde toutefois quelque peu le cadre de cette étude — consisterait à créer des universités rurales qui, par leur enseignement, leurs activités de recherche et leurs fonctions extérieures contribueraient grandement à d o n ner aux habitants des zones rurales ce qui leur fait le plus cruellement défaut : l'enthousiasme, les connaissances, le sentiment de leur dignité et u n e motivation valable. D'aucuns considéreront certainement les conclusions de cette étude c o m m e des critiques plutôt sévères à l'endroit de ceux qui ont planifié et exécuté I47 Notes et comptes rendus n o m b r e des programmes en question. O n peut aussi penser qu'en dernière analyse c'est aux intéressés e u x - m ê m e s de juger plutôt qu'à des gens qui tirent l'essentiel de leurs renseignements de rapports et de comptes rendus de missions. Souvent aussi, il existe u n large fossé entre les vues et l'expérience des personnes qui travaillent dans les administrations centrales et celles des personnes qui sont appelées par leurs fonctions à travailler sur le terrain, très loin des capitales. Ces deux catégories de personnes ont bien entendu u n rôle essentiel à jouer, mais ceux qui ont travaillé de nombreuses années au niveau du village considéreront vraisemblablement avec une certaine réserve les propositions nouvelles impliquant des bouleversements radicaux. C e conservatisme inné du paysan, qui va souvent de pair avec une grande sûreté de jugement, est peut-être une des meilleures raisons d'offrir de bonnes possibilités en matière d'éducation aux enfants (garçons etfilles)des zones rurales de façon qu'ils puissent progressivement jouer u n rôle prépondérant dans tout le processus qui fait l'objet de cet ouvrage. E n attendant, beaucoup devraient être reconnaissants aux auteurs de l'effort qu'ils ont fait pour étudier d'une manière objective et systématique le secteur de l'éducation périscolaire et la contribution très importante qu'on pourrait mettre ce secteur en mesure d'apporter si o n lui accordait les possibilités et l'appui qu'il mérite. Les monographies et l'importante bibliographie présenteront sans aucun doute une utilité et u n intérêt considérables pour tous ceux qui se préoccupent d u développement rural dans les pays les plus pauvres du m o n d e . D'autre part, l'ouvrage pourrait aussi être utile, en tant que source de références et d'idées, à ceux qui dispensent u n enseignement aux étudiants et aux planificateurs d u développement dans ce domaine spécialisé. Il serait surprenant que cette étude initiale n'incite personne à faire d'autres recherches, en particulier dans les pays en voie de développement e u x - m ê m e s . E n effet, il appartient aux peuples et aux gouvernements de ces pays de décider de leur avenir et de la façon dont ils s'emploieront à réaliser leurs aspirations et leurs objectifs nationaux. Il leur appartient aussi de décider quelles formes d'aide extérieure ils accepteront dans cette tâche considérable et de longue haleine. Il faut espérer que, c o m m e le souhaitent les auteurs de l'ouvrage, celui-ci apportera une contribution sérieuse à une réflexion et à une action nouvelles concernant de vieux problèmes. Professeur Fergus B . W I L S O N Université de Cambridge (Royaume-Uni) Jacqueline C A M B O N , Richard D E L C H E T , Lucien L E F È V R E . Anthologie des pédagogues français contemporains, Paris, Presses Universitaires de France, 1974. Ayant pour principe le choix, c'est-à-dire la préférence et le refus, toute anthologie est une œuvre personnelle et, par conséquent, ambiguë. Analyser une anthologie revient donc à analyser les goûts et les opinions de son auteur. Les textes d'ordinaire dispersés ou difficilement accessibles, une fois assemblés, arrivent à constituer u n ensemble nouveau, toujours utile. Mais l'absence d'autres textes, par conséquent refusés, fait naître chez le lecteur l'idée d'un choix différent, tout aussi personnel, évidemment. Trois chercheurs français, Jacqueline C a m b o n , Richard Deichet et Lucien Lefèvre, ont préparé cet ouvrage qui a pour ambition de présenter les pédagogues français contemporains. L'anthologie qui compte plus de 380 pages, regroupe les textes de 28 auteurs dont l'œuvre a été déterminante dans différents domaines de l'éducation entre 1930 et 1970. Certains d'entre eux produisent encore, d'autres sont disparus. Parmi les textes présentés se trouvent aussi ceux dont les auteurs appartiennent à la géné- 148 ration qui a c o m m e n c é à écrire dans les années soixante. C'est dire que leur œuvre n'est pas achevée et qu'ils ne font qu'ouvrir u n nouveau chapitre de la pédagogie française. C'est ainsi que les auteurs présents dans l'anthologie appartiennent au moins à trois générations. Les 28 aperçus contenant des indications sur l'auteur et précisant les critères d u choix dans ses écrits ont été groupés dans l'ordre alphabétique des auteurs, opération c o m m o d e pour l'éditeur peut-être mais assurément compliquée pour le lecteur qui cherche une orientation intellectuelle. L'anthologie est précédée d'une introduction expliquant les principes de sélection et l'idée générale d u livre. Les auteurs choisis sont des pédagogues dans le sens propre d u terme : « T o u s ont enseigné ou enseignent encore, que ce soit dans u n ordre d'enseignement ou un autre, depuis le niveau préscolaire jusqu'à l'université... Ils traitent essentiellement les problèmes scolaires qui concernent l'enfant et l'adolescent. » Notes et comptes rendus L e principe de la contemporanéité des auteurs en question ne paraît cependant pas clairement. Les années 1930-1970 embrassent en effet plusieurs p é riodes importantes, avec la coupure de la guerre qui pesa lourdement sur la vie intellectuelle de toute l'Europe. L a date de 1930 ne signifie rien en ellem ê m e et n'est justifiée par aucun argument. O n pourrait songer à une structure chronologique pour une telle anthologie et qui serait basée soit sur les m o m e n t s historiques d'ordre général, soit sur les courants intellectuels dans les pays de langue française. D a n s un cas c o m m e dans l'autre une structure de ce genre devrait être expliquée par une étude bien plus importante qu'une simple introduction, et qui permettrait de regrouper les auteurs selon les idées énoncées. Les anthologies sont d'ordinaire la lecture préférée de gens peu spécialisés qui cherchent u n aperçu global et une introduction dans u n certain domaine du savoir. L e lecteur de celle-ci aura de la peine à s'orienter dans les générations intellectuelles auxquelles appartiennent les auteurs en question, à repérer les filiations et les interdépendances et à suivre la genèse de leurs idées. O n aurait préféré une anthologie présentant les pédagogues français dans u n ordre intellectuel. Les auteurs semblent être conscients de ce problème quand ils constatent dans leur introduction que les auteurs retenus « se succèdent par ordre alphabétique ce qui entraîne des voisinages parfois déconcertants mais facilite la recherche pour l'utilisateur de l'ouvrage ». M ê m e si certains pédagogues se sont en effet exprimés dans différents d o maines de la pédagogie, une répartition de leur œuvre aurait été plus instructive qu'un ordre accidentel dirigé par le seul alphabet. L e second principe d u choix est le principe national, ou plutôt linguistique. O n a inclus dans l'anthologie les pédagogues de langue française, y compris, à côté des Français, des Belges et des Suisses : Buysé, Dottrens, Piaget, Roller parmi lesquels m a n que visiblement le n o m de Clausse. O n peut cependant se demander si la langue décide d u caractère d'une théorie pédagogique. Toute pédagogie est faite de l'ensemble des idées et des expériences marquées par l'histoire et par la culture nationales, par des événements d'ordre social et politique. Les particularités de la culture française sont généralement connues et semblent décisives aussi bien pour la formation proposée que pour la pratique éducative et ses conséquences. L e fonctionnement d u système scolaire français en fournit bien des exemples. C'est dire que l'anthologie des pédagogues français aurait p u être plus « purement » française. Mais, m ê m e si l'on admet le point de vue exposé dans l'introduction — quand il s'agit des auteurs « dont les idées animent toujours b o n n o m b r e de mouvements éducatifs, qui ont e u x - m ê m e s vécu les grands problèmes d'éducation à notre époque, qui ont parfois devancé et annoncé les événements et les bouleversements des dernières années » — o n ne peut manquer de s'étonner de l'absence d'Edouard Claparède, d'Ovide Decroly, d'Adolphe Ferrière, d'Emile Jacques-Dalcroze. Les auteurs pourraient rétorquer que ce sont là pédagogues appartenant à une autre génération. Certes. Mais une anthologie aussi ambitieuse aurait pu commencer par les racines, par le grand patrimoine intellectuel qui, m ê m e brièvement évoqué, aurait mieux fait comprendre les idées contemporaines. E n tout état de cause, les Belges et les Suisses auraient été à leur place dans l'ouvrage si on les avait groupés dans u n chapitre c o m m u n consacré à leur pays d'origine. Reste que l'essentiel de l'anthologie concerne la pédagogie française. Elle est représentée par des n o m s aussi prestigieux que Hubert, Berger, Freinet, Debesse, Chateau, Mialaret qui tous ont marqué les m o m e n t s intellectuels, ainsi que par d'autres qui comptent davantage pour les activités pratiques visant le renouveau d u système éducatif. L a pédagogie française, bien que différenciée par la personnalité et par les préoccupations des différents auteurs semble cependant présenter quelques particularités globales sensibles à travers les textes de l'anthologie. L a première ressortit aux riches traditions de la psychologie française et fait en sorte que la pédagogie est très souvent en France une psychopédagogie. D e s auteurs c o m m e Debesse, Mialaret, Piaget, Wallon ont reçu une formation psychologique et restent très sensibles à cette orientation. L'autre particularité est l'aspect pratique : Bourjade, Gros, Gai, M m e H a tinguais sont des n o m s connus surtout dans le domaine de l'expérience et justifient l'opinion, chère aux Français, sur l'unité de la pédagogie et de l'éducation. D a n s ce groupe d'animateurs, de « militants » pourrait-on dire, m a n q u e le n o m de Paul Langevin incidemment évoqué à côté de celui de Wallon. L'esprit de la pédagogie française dépasse largement le cadre de la psychopédagogie et de l'administration. L'anthologie le signale à plusieurs reprises. L'aspect interdisciplinaire de cette pédagogie, reconnu dans l'introduction, demanderait à être mieux mis en évidence par rapport à la philosophie et à la sociologie. Pour bon nombre de pédagogues français, le n o m d'Alain par exemple est devenu presque le symbole d u maître-formateur. L'anthologie aurait pu lui consacrer davantage d'attention, parmi les autres créateurs de la pensée moderne. O n sait, d'autre part, quelle était l'influence d'un Emile Durkheim dans le milieu éducatif. Durkheim c o m m e Alain sont des symboles d'une certaine orientation de 149 Notes et comptes rendus pensée, d'un modèle de la formation humaine et à ce titre avaient leur place dans l'anthologie. D'autres idées majeures ont vu le jour en France, celles qui mettent l'accent sur les liens existant entre l'éducation et la culture, l'éducation et les grands courants de la civilisation moderne. Certes, D u m a zedier, Fourastié, Morin n'appartiennent pas à la pédagogie dans le sens scolaire, mais notre époque est assurément ouverte aux idées de la société éducative, l'éducation permanente et met en évidence les particularités de la formation humaine à travers la participation culturelle, les activités sociales et professionnelles. Ces idées naissent au cours des discussions menées par les chercheurs appartenant aux disciplines les plus diverses et tendent à modifier l'ancien style de pensée et la pédagogie en cessant de l'identifier au système scolaire, m ê m e modernisé. L'exemple de Lobrot est à cet égard caractéristique. Mais sans que l'on sache pourquoi, ses idées restent absentes de l'anthologie où d'autre part u n chapitre aurait p u être consacré à la pédagogie de l'environnement, à celle de la créativité et à la pédagogie des travailleurs. Bref, on aurait p u faire voir au lecteur que la pédagogie française est ouverte aux grands problèmes de la vie moderne et par là contribue à l'élargissement de la notion de l'éducation. Toute anthologie, disions-nous, est utile mais aucune n'est entièrement satisfaisante. Il faut le répéter ici pour cette anthologie des pédagogues français. L e grand volume sur la pédagogie française, analysant tout à la fois la problématique éducative sous l'angle philosophique, sociologique, psychologique et, bien entendu, pédagogique reste encore à élaborer. Irène W O J N A R Université de Varsovie (Pologne) Quelques publications récentes de l'Unesco La formation continue des ingénieurs C o m p t e rendu du séminaire F E A N I - U n e s c o Helsinki, 21-24 août 1972 (Collection « Études sur la formation des ingénieurs », 3) (Mixte anglais-français) 24 x 15,5 c m , 200 p . , tabl. 1974 ( I S B N 92-3-0011-41-X) N e w trends in integrated science teaching. Vol. III : Education of teachers préparé par P . E . R i c h m o n d , maître de conférence en éducation, Université de Southampton (Royaume-Uni) 2 7 x 2 1 c m , 227 p . , ill., tabl. 1974 ( I S B N 92-3-101190-1) (Disponible en anglais seulement) 30 francs 30 francs L e séminaire, qui a donné l'occasion de rassembler le matériel présenté dans cette étude, a passé en revue l'état actuel et les tendances de la formation continue des ingénieurs. Il a identifié et discuté u n certain n o m b r e de problèmes c o m m u n s et fait des recommandations pour une action future au niveau régional et international. D e s analyses complètes de la situation dans certains pays ont été incluses dans l'ouvrage ; elles concernent l'Australie, l'Inde, le Japon, l ' U R S S et les États-Unis d'Amérique. D'autre part, elles sont complétées par des résumés de la situation dans quinze pays européens. 150 L'ouvrage prend appui sur les résultats de la conférence d u C I U S qui s'est tenue à l'Université de Maryland (États-Unis), d u 3 au 13 avril 1973, sur le thème : « L a formation des maîtres pour l'enseignement intégré des sciences — L'enseignement des sciences pour la société d'aujourd'hui ». C o m p o s é des textes édités des documents de travail, ainsi que d'une bibliographie exhaustive préparée à l'usage des m e m b r e s de la conférence, le livre est divisé en sections sur la formation des maîtres pour l'enseignement intégré des sciences ; la formation préprofessionnelle et continue ; les moyens d'améliorer les programmes d'enseignement des sciences et d'en évaluer les résultats ; et la relation entre sciences/ Notes et comptes rendus formation des maîtres et les grands problèmes de la société. Chaque section se termine par u n c o m m e n taire sur les discussions et les résultats des groupes de travail. Educational innovation in India par Chitra Naik, directeur d u Département d'éducation dans l'État de Maharashtra (Inde). Étude préparée pour le Centre asien d'innovation en matière d'éducation et de développement (IBE : « Experiments and Innovations in Education », II Asian Series). 21 x I4,s c m , 50 p . 1974 ( I S B N 92-3-101196-7) (A paraître en français) 6 francs Les innovations dans le système d'éducation indien, en particulier dans l'État de Maharashtra, sont examinées en relation avec la mobilisation des ressources, les changements de structures, l'amélioration du curriculum, l'introduction de nouvelles techniques et le développement de la fonction enseignante. Nouvelles d'organisations et de fondations internationales L a Fondation Ford. L e Nigeria et d'autres pays de l'Afrique de l'Ouest souffrent d'une très grave pénurie de personnel qualifié, notamment dans les domaines liés au développement. L a Fondation a pris récemment plusieurs mesures en vue d'y remédier. 1. L e Programme de bourses pour l'Afrique de l'Ouest, qui a bénéficié, pour u n an, d'un crédit supplémentaire de 250 000 dollars, a été lancé par la Fondation en 1972 pour assurer la formation universitaire dans les domaines de l'agriculture, de l'éducation et de la recherche, de la planification et de la gestion d u développement, de la population et de la santé. L a Fondation a accordé u n total de 112 bourses d'études, aux États-Unis principalement mais aussi au Canada, en Europe et dans des instituts internationaux de recherche en matière d'agriculture aux Philippines et au Mexique. Les bénéficiaires, qui sont originaires d u Nigeria, du Zaïre, d u Ghana et de nombreux pays francophones d'Afrique de l'Ouest, sont tenus de retourner dans leur pays à la fin de leurs études. 2. L e Nigeria met de plus en plus l'accent sur la formation sur place, et grâce à u n crédit supplémentaire de 214 000 dollars réparti sur deux ans, il pourra continuer à assurer à l'Institut d'administration de l'Université d'Ife u n cours de perfectionnement pour les fonctionnaires chargés de la planification économique. L e cours, qui entre dans sa troisième année, vise essentiellement à donner à ces fonctionnaires une connaissance pratique des pro- blêmes d u pays et à leur inculquer les principes économiques fondamentaux de la planification, d u financement et de la gestion d u développement économique. A u cours des années soixante, la Fondation a permis à l'Institut, en lui fournissant une aide d'un million de dollars environ, de devenir l'un des principaux centres assurant la formation de fonctionnaires. 3. A u Zaïre, où l'accent est mis de plus en plus sur la réforme de l'enseignement, l'Université nationale d u Zaïre vient de créer u n centre de recherches interdisciplinaires en matière de développement de l'éducation pour mener à bien les recherches en sciences sociales nécessaires à l'élaboration de la politique nationale en matière d'éducation. U n e aide de 100 000 dollars sera accordée pour la formation des chercheurs et pour des études sur l'innovation et le développement en matière d'éducation. E n assurant cette formation aux maîtres diplômés de la Faculté de pédagogie de l'université, le centre espère réduire les besoins de formation supérieure à l'étranger. L a Fondation a en outre accordé récemment des subventions pour les projets suivants : Gouvernement d u Soudan : 83 14s dollars répartis sur dix-huit mois pour le développement de l'enseignement des sciences et des mathématiques. L e Centre pour les sciences et les mathématiques de l'Université américaine de Beyrouth aidera le Ministère de l'éducation du Soudan à améliorer ses programmes et ses matériels pédagogiques pour l'enseignement primaire et l'enseignement m o y e n . 151 Notes et comptes rendus Institut national des sciences d u comportement et des recherches sur l'opinion (Mexique) : 210 000 dollars répartis sur deux ans pour procéder à l'évaluation de Plaza Sésamo, programme de télévision en langue espagnole destiné aux enfants et ressemblant à Sesame Street. Fédération panaméricaine des associations d'écoles de médecine : 113 740 dollars supplémentaires répartis sur deux ans pour la Division de la population de cette fédération, qui apporte son concours à l'enseignement et à la recherche en matière de démographie, de biologie de la reproduction et de planification familiale dans toute l'Amérique latine. Centre d'études sociologiques d u Paraguay : 75 000 dollars supplémentaires répartis sur trois ans pour la recherche, la formation, les publications et le développement des bibliothèques. L e centre fait des études sur les problèmes de population, l'éducation, l'histoire sociale, les questions politiques et socio-économiques. Université Haïlé-Sélassié I er (Ethiopie) : 49s 000 dollars supplémentaires répartis sur deux ans pour des travaux sur le développement rural, y compris des travaux de recherche, des publications, des bourses, des services de consultants, la création d'une bibliothèque et la constitution d'un fonds dont l'utilisation sera laissée à la discrétion d u président. P r o g r a m m e inter-américain de linguistique et d'enseignement des langues (Mexique) : 40 000 dollars répartis sur deux ans pour des réunions consacrées à l'élaboration de projets de recherches et pour la formation en matière de linguistique moderne et d'enseignement des langues dans les pays suivants : Bolivie, Equateur, Pérou et Mexique. Centre international pour l'agriculture tropicale (Colombie) : 750 000 dollars supplémentaires pour u n an. L e centre, qui est l'un des huit établissements internationaux d'enseignement et de recherche agricoles à recevoir une aide de la Fondation et d'un groupe d'autres donateurs, se concentre plus particulièrement sur la production de fourrage pour bovins, de manioc, de féveroles, de maïs, de riz et sur la production porcine ; 86 000 dollars répartis sur deux ans pour aider à la mise sur pied d'un centre de documentation sur les questions économiques pour l'agriculture en Amérique latine. Conseil international pour le développement de l'éducation : 400 000 dollars supplémentaires pour u n an pour des études et une aide concernant les stratégies de l'éducation applicables aux pays en voie de développement et la planification et l'administration des systèmes d'enseignement supérieur dans les pays développés ; 85 000 dollars 152 répartis sur dix-huit mois pour rechercher c o m ment les universités d'Asie, d u Moyen-Orient» d'Afrique et d'Amérique latine pourraient contribuer davantage au développement de leurs pays ; 25 000 dollars répartis sur u n an pour organiser, à l'intention d'universitaires américains et étrangers, u n séminaire qui doit se tenir dans le courant de l'été à l'Aspen Institute of Humanistic Studies et traiter de l'évolution des rapports entre l'université et la société dans les pays développés et dans les pays en voie de développement. Université de Khartoum (Soudan) : 278 000 dollars répartis sur trois ans pour la recherche et l'enseignement dans les facultés d'agriculture, de sciences économiques et de sciences sociales, et ¡'Institute of African and Asian Studies. Makerere University (Ouganda) : 300 000 dollars répartis sur deux ans pour des bourses de hautes études en agriculture et pour financer le séjour d'un professeur invité en économie rurale. Consultants en Afrique de l'Ouest : 275 000 dollars supplémentaires répartis sur deux ans pour les services d'experts en matière d'agriculture, d e planification et de gestion du développement, d'éducation, d'administration publique et de population. Planification et développement de l'éducation en Afrique orientale : 250 000 dollars supplémentaires pour u n an pour les services d'experts et d e consultants en matière de planification de l'université, la formation à l'étranger d'administrateurs tanzaniens de l'éducation et des conférences et stages d'études. Recherche pédagogique au Brésil : 342 000 dollars pour u n projet de deux ans administré par la Fondation, qui permettra de continuer à financer des bourses individuelles de recherches et des bourses d'études supérieures à l'étranger, les services de consultants et u n comité consultatif brésilien. Enseignement des langues au Moyen-Orient : 265 000 dollars répartis sur dix-huit mois pour des recherches et des expériences en matière d'enseignement de l'anglais et de l'arabe. Les fonds serviront à assurer les frais de consultants, à financer des travaux de recherche et la formation d'enseignants arabes ainsi que des conférences. Institut panafricain pour le développement (Genève) : 255 000 dollars supplémentaires répartis sur deux ans pour la formation de fonctionnaires chargés d u développement rural, de planificateurs et de m o n i teurs dans les centres de l'institut au C a m e r o u n . U n e partie des crédits servira à financer des travaux de recherche, des publications et des bourses ainsi qu'à aider le Centre de recherche appliquée de l'institut. Notes et comptes rendus L'Agence canadienne de développement international (ACDI) a accordé récemment des subventions : A u Conseil canadien des Églises pour fournir de l'aide dans les domaines de l'éducation, de la santé et de l'agriculture à la République de la Guinée-Bissau, État nouvellement indépendant. L a première m o i tié de la s o m m e sera versée durant l'année financière 1974-1975, et la seconde en 1975-1976. L'indépendance de la Guinée-Bissau (600 000 habitants), située sur la côte occidentale de l'Afrique, a été reconnue par le Canada le 12 août après l'entente intervenue entre le gouvernement portugais et le P A I G C mettantfinau conflit armé sur ce territoire ; A l'Université d u Botswana, Lesotho et Swaziland ( U B L S ) pour augmenter et améliorer son prog r a m m e de formation. U n e première subvention d'un montant de 80 000 dollars servira à offrir u n cours d'introduction aux étudiants inscrits au diplôme postsecondaire en sciences. L e cours qui a duré trente jours en 1973-1974 sera prolongé à huit semaines durant les trois années subséquentes. C e cours, ouvert à 130 étudiants, permettra de diminuer le nombre d'échecs constatés chez les élèves de sciences de l ' U B L S . U n e deuxième subvention, échelonnée sur sept ans, permettra d'octroyer des bourses de formation à 336 étudiants répartis également entre les trois pays. Les bourses d'une durée de quatre ans, et d'une valeur maximale de 1 000 dollars par étudiant seront réservées aux étudiants de premier cycle dans les domaines de l'administration, de l'économie, de l'éducation, des mathématiques et des sciences, de l'agriculture et de l'enseignement. R e n c o n t r e d e la S ID (Society for International Development). Plus de 600 experts en développement international se sont réunis à Abidjan (Côte-d'Ivoire), du 11 au 16 août 1974, pour discuter des dangers de la confrontation entre les pays riches et les pays pauvres. L a conférence avait été organisée par la Société internationale pour le développement, qui réunit des experts de pays développés aussi bien que de pays en voie de développement. Les participants ont travaillé en ateliers sur des sujets tels que : la crise de l'énergie ; les attitudes psychologiques face a u développement ; le problème mondial de la population ; de nouvelles perspectives en matière de développement rural et régional ; l'éducation et la formation dans u n m o n d e changeant et interdépendant ; la coopération géographique et sectorielle entre pays en développement. Banque œcuménique pour le développement. U n e trentaine d'investisseurs ont promis plus d'un million de dollars pour financer la création d'une « société coopérative pour le développement » mise en avant par le Conseil œcuménique des Églises. E n gestation depuis u n an, ce projet de « banque œcuménique » a été relancé par le conseil lors de la réunion de son comité central tenue à Berlin-Ouest du 11 au 18 août 1974. L e but de cette nouvelle société coopérative serait de « promouvoir la croissance économique, la justice sociale et la possibilité de se suffire à soi-même dans les communautés pauvres d u m o n d e , et cela en accord avec les principes moraux et sociaux d u Conseil œcuménique des Églises ». I53 Notes et comptes rendus Livres reçus A K H U R S T , B . A . L'évaluation de l'aptitude intellectuelle. H O N O R É , Serge. Les parents et l'école : comment colNeuchâtel (Suisse), Delachaux & Niestlé, 1973. laborer. Paris, L e Centurion, 1974. 18 francs. 162 p . , diagr. (Version originale : Assessign intel(Parents et enfants.) lectual ability, Londres, Teach Yourself Books, K O U R G A N O F F , Vladimir. La face cachée de l'université. 1970.) Paris, Presses Universitaires de France, 1972. B E C H E L O N N I , Giovanni. Política cultúrale et regioni : 305 p . , index. 32 francs. Intervento pubblico e sociología del campo cultúrale. L A D D , Dwight R . Change in educational policy: Milan, Edizioni di Communitá, 1972. 296 p . self-studies in selected colleges and universities. N e 3 200 lires (Centro Studi della Fondazione Adriano York, M c G r a w Hill, 1970. Vlll+231 p . , index. Olivetti, Quaderni di studi regionali, 2.) 5,95 dollars (Carnegie Commission on Higher B E R S E T , Augustin. Pour une orientation morale non Education.) directive des grands adolescents. Paris, L e Centurion, L A W L O R , John (ed.). Higher education: Patterns of 1974. 174 p . , bibliogr. 19 francs. (Éduquer auchange in the 1970s. Londres, Routledge & Kegan jourd'hui.) 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Paris, François Maspero, 1972. 428 p . C O N Q U E T , André. Comment se cultiver aujourd'hui. 36 francs. (Série pédagogique.) Paris, L e Centurion, 1973. 112 p . , illus. 12 francs. P L A T O N , Georges. La pensée pédagogique de Célestin Preinet. Toulouse, Edouard Privat, 1974. 320 p . , (Formation humaine.) index, bibliogr. 36 francs. (Collection « Nouvelle C O P E L A N D , James. Pour l'amour d'Anne. Paris, Éditions Fleurus, 1974. 131 p . (Trad, de l'édition recherche ».) originale, For the love of Ann, 1973.) S E R R A N I , Donatello (ed.). La via italiana alle regioni. Milan, Edizioni di Communitá, 1972. 226 p . D ' A E T H , Richard. Youth and the changing secondary school. H a m b o u r g , Unesco: Institute for Education, 2 000 lires. 1973- 72 p . , bibliogr., annexes. 10,50 marks. S H O R T , Edward. Education in a changing world. L o n D O T T R E N S , Robert. La crise de l'éducation et ses dres, Pitman Publishing, 1974. 148 p . 1,80 livre ; remèdes. Neuchâtel (Suisse), Delachaux & Niestlé, broché 1,00 livre. (Pitman Education Library.) 1971. 171 p . (Actualités pédagogiques et psychoT O M I A K , J. J. The Soviet Union, Newton Abbot (Royaume-Uni), David & Charles, 1972. 144 p . , logiques.) G O O D M A N , Paul. La contre-éducation obligatoire. Paris, bibliogr., index. 2,50 livres. (World education Éditions Fleurus, 1972. 179 p . , notes et références, series.) tabl. (Collection « Éducation et société », n° 3.) W A L L , David. The charity of nations: the political economy of foreign aid. Londres, Macmillan, 1973. H A I G H , Gerald. Out-of-school activities. Londres, Pitm a n Publishing, 1974. 163 p . , illus. 1,60 livre ; V+181 p . , tabl., bibliogr., index. 3,95 livres. broché 0,80 livre. (Pitman Education Library.) W I L L I A M S , N o r m a n . Le développement de l'enfant. Paris, Éditions Fleurus, 1974. 127 p . , diagr. (Titre H O L T , John. What do I do monday? Londres, original, Child development, publié à Londres par Pitman Publishing, 1974. 318 p . , 2,00 livres ; broché 1,20 livre. (Pitman Education Library.) Heinemann, 1969.) 154 Publications de l'Unesco : agents généraux AFRIQUE D U S U D : Van Schaik's Bookstore (Pty.) Ltd. Libri Building, Church Street, P . O . Box 724, P R E TORIA. A L B A N I E : N . Sh. Botimeve Nairn Frasheri, T I R A N A . A L G É R I E : Institut pédagogique national, 11, rue AliHaddad (ex-rue Zaâtcha), A L G E R ; Société nationale d'édition et de diffusion ( S N E D ) , 3, boulevard Zirout Youcef, A L G E R . R É P U B L I Q U E D E C O R É E : Korean National Commission for Unesco, P . O . Box Central 64, S E O U L . C O S T A R I C A : Librería Trejos, S.A., apartado 1313, S A N JOSÉ ; Teléfonos : 2285 y 3200. C Ô T E - D ' I V O I R E : Centre d'édition et de diffusion africaines, B.P. 4541, A B I D J A N P L A T E A U . C U B A : Instituto Cubano del Libro, Centro de Importación, Obispo 461, L A H A B A N A . D A H O M E Y : Librairie nationale, B . P . 294, P O R T O N O V O . A L L E M A G N E (RÉP. FÉD.) : Verlag Dokumentation, Postfach D A N E M A R K : Ejnar Munksgaard Ltd., 6 N0rregade, 1165 148, Jaiserstrasse 13, 8023 M Ü N C H E N - P U L L A C H . « Le Courrier », édition allemande seulement : BahrenfelderK0BENHAVN K . Chaussee 160, H A M B U R G - B A H R E N F E L D . C C P 27 66 50. R É P U B L I Q U E DOMINICAINE : Librería Dominicana, calle Pour les cartes scientifiques seulement : G E O Center, Mercedes 45-47-49, apartado de correos 656, S A N T O D 7 STUTTGART 80, Postfach 800830. DOMINGO. ANTILLES FRANÇAISES : Librairie « A u Boul' Mich », 1, rue É G Y P T E : Librairie Kasr El Nil, 38, rue Kasr El Nil, Perrinon, et 66, avenue du Parquet, 972 F O R T - D E - F R A N C E L E CAIRE ; National Centre for Unesco Publications, (Martinique). i Talaat Harb Street, Tahrir Square, C A I R O . A N T I L L E S NÉERLANDAISES : G . C . T . Van Dorp & C o . (Ned. E L S A L V A D O R : Librería Cultural Salvadoreña, S.A., Edificio Ant.) N . V . , W I L L E M S T A D (Curaçao, N . A . ) . San Martín, 6. a calle Oriente n.° 118, S A N S A L V A D O R . A R G E N T I N E : Editorial Losada, S.A., Aisina 1131, B U E N O S E Q U A T E U R : Casa de la Cultura Ecuatoriana, Núcleo del AIRES. Guayas, Pedro Moncayo y 9 de Octubre, casilla de correo 3542, G U A Y A Q U I L . AUSTRALIE : Publications : Educational Supplies Pty. Ltd., E S P A G N E : Toutes les publications : Ediciones IberoameriBox 33, Post Office, B R O O K V A L E 2100, N . S . W . Périodicanas, S.A., calle de Oñate 15, M A D R I D 20 ; Distribución ques ; Dominie Pty. Ltd., Box 33, Post Office, B R O O K V A L E de Publicaciones del Consejo Superior de Investigaciones 2100, N . S . W . Sous-agent : United Nations Association Científicas, Vitrubio 16, M A D R I D 6 ; Librería del Conof Australia (Victorian Division), 5th Floor, 134-136 sejo Superior de Investigaciones Científicas, Egipcíacas Flinders St., M E L B O U R N E 3000. 15, BARCELONA. A U T R I C H E : Verlag Georg Fromme & Co., Arbeitergasse I_ 7) 1051 W I E N . « Le Courrier » seulement : Ediciones Liber, apartado 17, BELGIQUE : Jean D e Lannoy, 112, rue du Trône, B R U X E L O N D Á R R O A (Viscaya). LES 5 ; C C P 708 23. É T A T S - U N I S D ' A M É R I Q U E : Unipub, A Xerox Education B I R M A N I E : Trade Corporation no. (9), 550-552 Merchant Company, Box 433, Murray Hill Station, N E W Y O R K , Street, R A N G O O N . N . Y . 10016. BOLIVIE : Los Amigos del Libro : casilla postal 4415, ETHIOPIE : National Commission for Unesco, P . O . Box L A P A Z ; casilla postal 450, C O C H A B A M B A . 2996, A D D I S A B A B A . BRÉSIL : Fundaçâo Getúlio Vargas, Serviço de Publicaçoes, F I N L A N D E : Akateeminen Kirjakauppa, 2 Keskuskatu, caixa postal 21120, Praia de Botafogo 188, Río D E HELSINKI. JANEIRO (Guanabara). F R A N C E : Librairie de l'Unesco, 7, place de Fontenoy, B U L G A R I E : Hemus, Kantora Literatura, bd. Rousky 6, 75700 PARIS ; C C P 12598-48. SOFIJA. G H A N A : Presbyterian Bookshop Depot Ltd., P . O . Box 195, A C C R A ; Ghana Book Suppliers Ltd., P . O . Box 7869, C A N A D A : Information Canada, O T T A W A (Ont.). LibraiA C C R A ; T h e University Bookshop of Ghana, A C C R A ; ries : 640 Ouest, rue Sainte-Catherine, M O N T R É A L n r The University Bookshop of Cape Coast ; The Univer(Qué.) ; 1683 Barrington St., H A L I F A X (N.S.) ; 393 Porsity Bookshop of Legon, P . O . Box 1, L E G O N . tage Ave., W I N N I P E G (Manitoba) ; 171, rue Slater, G R È C E : Anglo-Hellenic Agency, 5 Koumpari Street, O T T A W A (Ont.) ; 221 Yonge St., T O R O N T O (Ont.) ; A T H I N A I 138. 800 Granville St., V A N C O U V E R (B.C.). G U A T E M A L A : Comisión Guatemalteca de Cooperación con C H I L I : Editorial Universitaria, S.A., casilla 10220, S A N la Unesco, 6. a calle 9.27, zona I, apartado postal 244, TIAGO. GUATEMALA. C H Y P R E : « M A M », Archbishop Makarios 3rd Avenue, P.O. Box 1722, NICOSIA. H A Ï T I : Librairie a A la Caravelle », 36, rue Roux, B.P. m , C O L O M B I E : Librería Buchholz Galería, avenida Jiménez de PORT-AU-PRINCE. Quesada 8-40, apartado aéreo 49-56, B O G O T Á ; DistriliH A U T E - V O L T A : Librairie Attie, B . P . 64, O U A G A D O U G O U ; Lia s brosLtda., carrera 4. , n.° 36-119 y 36-125, C A R T A G E N A ; brairie catholique « Jeunesse d'Afrique », O U A G A D O U G O U . J. Germán Rodríguez N . , calle 17, 6-59, apartado H O N G - K O N G : Swindon Book C o . , 13-15 Lock Road, nacional 83, G I R A R D O T (Cundinamarca) ; Le « Courrier » KOWLOON. seulement : Editorial Losada Ltda., calle 18A, n.° s 7-37, H O N G R I E : Akadémiai Könyvesbolt, Váci u. 22, B U D A P E S T apartado aéreo 58-29, apartado nacional 931, B O G O T Á . V ; A . K . V . Konyvtárosok Boltja, Népkoztársaság utja Sous-dépôts : Edificio La Ceiba, oficina 804, M E D E L L Í N ; 16, B U D A P E S T V I . os Calle 37, n. 14-73, oficina 305, B U C A R A M A N G A ; Edificio I N D E : Orient Longman Ltd. : Nicol Road, Ballard Estate, Zaccour, oficina 736, C A L I . B O M B A Y I ; 17 Chittaranjan Avenue, C A L C U T T A 13 ; 36A C O N G O : Librairie populaire, B . P . 577, BRAZZAVILLE. Anna S alai, Mount Road, M A D R A S 2 ; B-317 Asaf Ali Road, N E W D E L H I I; 8O/I Mahatma Gandhi Road, B A N G A LORE-560001; 3-5-820 Hyderguda, HYDERABAD-500001. Sous-dépôts : Oxford Book and Stationery Co., 17 Park Street, C A L C U T T A 16, et Scindia House, N E W D E L H I ; Publications Section, Ministry of Education and Social Welfare, 72 Theatre Communication Building, Connaught Place, N E W D E L H I I. INDONÉSIE : Indira P . T . , Jl. Dr. Sam Ratulangie 37, JAKARTA. IRAK : McKenzie's Bookshop, Al-Rashid Street, B A G H D A D ; University Bookstore, University of Baghdad, P . O . Box 75, B A G H D A D . IRAN : Commission nationale iranienne pour l'Unesco, avenue Iranchahr Chomali n° 300, B.P. 1533, TÉHÉRAN. Kharazmie Publishing and Distribution C o . , 229 Daneshgahe Street, Shah Avenue, P . O . Box 14/1486, TÉHÉRAN. REYKJAVIK. ISRAËL : Emanuel Brown, formerly Blumstein's Bookstores : 35 Allenby Road et 48 Nachlat Benjamin Street, T E L A V I V ; 9 Shlomzion Hamalka Street, JERUSALEM. ITALIE : L I C O S A (Librería Commissionaria Sansoni S.p. A . ) , via Lamarmora 45, casella postale 552, 50121 FIRENZE. JAMAÏQUE : Sangster's Book Stores Ltd., P . O . Box 366, 101 Water Lane, K I N G S T O N . J A P O N : Maruzen Co. Ltd., P . O . Box 5050, T O K Y O I N T E R NATIONAL, MONTE-CARLO. M O Z A M B I Q U E : Salema & Carvalho Ltda., caixa postal 192, BEIRA. N I C A R A G U A : Librería Cultural Nicaragüense, calle 15 de Septiembre y avenida Bolivar, apartado 807, MANAGUA. NIGER : Librairie Mauclert, B.P. 868, NIAMEY. NIGERIA : The University Bookshop of Ife ; The University Bookshop of Ibadan, P . O . Box 286, IBADAN ; T h e University of Nsuka ; The University Bookshop of Lagos ; The Ahmadu Bello University Bookshop of Zaria. N O R V È G E : Toutes les publications : Johan Grundt T a n u m , Karl Johans gate 41/43, O S L O I. « Le Courrier » seulement : A / S Narvesens Litteraturtjeneste, Box 6125, O S L O 6. IRLANDE : The Educational Company of Ireland Ltd., Ballymount Road, Walkinstown, D U B L I N 12. ISLANDE : Snaebjörn Jonsson & Co., H . F . , Hafnarstraeti 9, KENYA M O N A C O : British Library, 30, boulevard des Moulins, 100-31. : T h e E S A Ltd., P . O . Box 30167, N A I R O B I . R É P U B L I Q U E K H M Ê R E : Librairie Albert Portail, 14, avenue Boulloche, P H N O M - P E N H . K O W E Ï T : T h e Kuwait Bookshop Co. Ltd., P . O . Box 2942, KUWAIT. L I B A N : Librairies Antoine A . Naufal et Frères, B.P. 656, BEYROUTH. LIBÉRIA : Cole and Yancy Bookshops Ltd., P . O . Box 286, MONROVIA. R É P U B L I Q U E ARABE L I B Y E N N E : Agency for Development of Publication and Distribution, P . O . Box 34-35, TRIPOLI. L I E C H T E N S T E I N : Eurocan Trust Reg., P . O . Box 5, S C H A A N . L U X E M B O U R G : Librairie Paul Brück, 22, Grand-Rue, LUXEMBOURG. M A D A G A S C A R : Commission nationale de la République malgache, Ministère de l'éducation nationale, T A N A N A R I V E . MALAISIE : Federal Publications Sdn Bhd., Balai Berita, 31 Jalan Riong, K U A L A LUMPUR. N O U V E L L E - C A L É D O N I E : Reprex, S A R L , B . P . 1572, NOUMÉA. NOUVELLE-ZÉLANDE : Government Printing Office, Government Bookshops : Rutland Street, P . O . Box 5344, A U C K L A N D ; 130 Oxford Terrace, P . O . Box 1721, CHRISTCHURCH ; Alma Street, P . O . Box 857, H A M I L T O N ; Princes Street, P . O . Box 1104, D U N E D I N ; Mulgrave Street, Private Bag, W E L L I N G T O N . O U G A N D A : Uganda Bookshop, P . O . Box 145, K A M P A L A . PAKISTAN : The West-Pak Publishing Co. Ltd., Unesco Publications House, P . O . Box 374, G . P . O . , L A H O R E . Showrooms : Urdu Bazaar, L A H O R E , et 57-58 Murree Highway, G/6-1, ISLAMABAD. Pakistan Publications Bookshop : Sarwar Road, R A W A L P I N D I ; Mirza Book Agency, 65 Shahrah Quaid-e-azam, P . O . Box 729, LAHORE-3. P A R A G U A Y : Melchor Garcia, Eligió Ayala 1650, A S U N C I Ó N . P A Y S - B A S : N . V . Martinus Nijhoff, Lange Voorhout 9, ' S - G R A V E N H A G E . Systemen Keesing, Ruysdaelstraat 71-75, A M S T E R D A M . P É R O U : « Le Courrier » seulement : Editorial Losada Peruana, apartado 472, L I M A . Autres publications : Distribuidora Inca, S.A., Emilio Althaus 470, Lince, casilla 3115, L I M A . PHILIPPINES : The Modern Book Co., 926 Rizal Avenue, P.O. Box 632, M A N I L A . P O L O G N E : Osrodek Rozpowszechniania Wydawnictw Naukowych P A N , Palac Kultury i Nauki, W A R S Z A W A . P O R T U G A L : Dias & Andrade Ltda., Livraria Portugal, rua do Carmo 70, LISBOA. RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE A L L E M A N D E : Librairies inter- nationales ou Maison Buchhaus Leipzig, Postfach 140, M A L I : Librairie populaire du Mali, B.P. 28, B A M A K O . LEIPZIG. M A L T E : Sapienza's Library, 26 Kingsway, V A L L E T T A . M A R O C : Toutes les publications : Librairie « Aux belles ima- R É P U B L I Q U E - U N I E D U C A M E R O U N : L e Secrétaire général de la Commission nationale de la République fédérale ges », 281, avenue M o h a m m e d - V , R A B A T (CCP 68-74). « Le Courrier » seulement (pour ¡es enseignants) : C o m -du Cameroun pour l'Unesco, B.P. 1061, Y A O U N D E . R H O D É S I E D U S U D : Textbook Sales (PVT) Ltd., 67 Union mission nationale marocaine pour l'Unesco, 20, Zenkat Avenue, SALISBURY. Mourabitine, R A B A T (CCP 324-45). R O U M A N I E : I.C.E. LIBRI, Calea Victoriei nr. 126, P . O . M A U R I C E : Nalanda Co. Ltd., 30 Bourbon Street, P O R T LOUIS. M E X I Q U E : Sauf pour les périodiques : C I L A (Centro Interamericano de Libros Académicos), Sullivan 31 bis, M É X I C O 4, D F . Box 134-135, BUCUREÇTI. Abonnements aux périodiques : Rompresfilatelia, Calea Victoriei nr. 29, B U C U R E S T I . R O Y A U M E - U N I : H . M . Stationery Office, P . O . Box 569, L O N D O N , S E I , 9 N H . Government bookshops : London, Belfast, Birmingham, Bristol, Cardiff, Edinburgh, Manchester. S É N É G A L : La Maison du livre, 13, avenue Roume, B.P. 2060, D A K A R ; Librairie Clairafrique, B.P. 2005, D A K A R ; Librairie « Le Senegal », B.P. 1594, D A K A R . S I N G A P O U R : Federal Publications Sdn Bhd., Times House, River Valley Road, SINGAPORE 9. S O U D A N : Al Bashir Bookshop, P . O . Box 1118, KHAR- P R A H A 1. Pour la Slovaquie seulement : Alfa Verlag, Publishers, Hurbanovo nam. 6, 893 31 BRATISLAVA. T H A Ï L A N D E : Suksapan Panit, Mansion 9, Rajdamnern Avenue, BANGKOK. T O G O : Librairie évangélique, B.P. 378, L O M É ; Librairie du Bon Pasteur, B.P. 1164, L O M É ; Librairie moderne, B.P. 777, L O M É . TUNISIE : Société tunisienne de diffusion, 5, avenue de Carthage, T U N I S . T U R Q U I E : Librairie Hachette, 469 Istiklal Caddesi, BeyoTOUM. glu, I S T A N B U L . SRI LANKA : Lake House Bookshop, Sir Chittampalam U R S S : Mezhdunarodnaja Kniga, M O S K V A G-200. Gardiner Mawata, P.O. Box 244, C O L O M B O 2. S U È D E : Toutes les publications : A / B C . E . Fritzes Kungl. U R U G U A Y : Editorial Losada Uruguaya, S.A./Librería Losada, Maldonado 1092, M O N T E V I D E O . Hovbokhandel, Fredsgatan 2, Box 16356, 103 27 V E N E Z U E L A : Librería del Este, avenida Francisco de STOCKHOLM 16. « Le Courrier a seulement : Svenska FN-Förbundet, Miranda 52, Edif. Galipan, apartado 60337, C A R A C A S . R É P U B L I Q U E D U V I Ê T - N A M : Librairie-papeterie XuânSkölgränd 2, Box 150 50, S-104 65 STOCKHOLM. Thu, 185-193, rue T u - D o , B.P. 283, S A I G O N . SUISSE : Europa Verlag, Rámistrasse 5, Z Ü R I C H ; Librairie Y O U G O S L A V I E : Jugoslovenska Knjiga, Terazije 27, B E O Payot, 6, rue Grenus, 1211 G E N È V E II. G R A D ; Drzavna Zalozba Slovenije, Mestni Trg. 26, R É P U B L I Q U E ARABE SYRIENNE : Librairie Sayegh, Immeuble Diab, rue du Parlement, B.P. 704, D A M A S . LJUBLJANA. R É P U B L I Q U E - U N I E D E T A N Z A N Œ : Dar es Salaam BookZAÏRE : La Librairie, Institut national d'études politiques, shop, P . O . Box 9030, D A R ES S A L A A M . B.P. 2307, K I N S H A S A ; Commission nationale de la T C H É C O S L O V A Q U I E : S N T L , Spalena 5 I , P R A H A I (ExposiRépublique du Zaïre pour l'Unesco, Ministère de l'édution permanente). Zahranícni literatura, 11 Soukenicka, cation nationale, K I N S H A S A . BONS DE LIVRES DE L'UNESCO Utilisez les bons de livres de l'Unesco pour acheter des ouvrages et des périodiques de caractère éducatif, scientifique ou culturel. Pour tout renseignement complémentaire, veuillez vous adresser au Service des bons de l'Unesco, 7, place de Fontenoy, 75700 Paris. Revue internationale de pédagogie Institut de l'Unesco pour l'éducation, H a m b o u r g Numéro spécial Vol. XX, jV° 4,1974 LIFELONG E D U C A T I O N A N D LEARNING STRATEGIES edited by R . H . Dave (Unesco Institute) and P . Lengrand (France) Main articles: T h e changing goals of education in the perspective of lifelong learning (C. O . Houle) D e l'enseignement à l'apprentissage (R. H . Dave et P . Lengrand) Learning styles and lifelong education (R. Wroczynski) Media et matériels pédagogiques dans le contexte de l'éducation permanente (F. M . de Sanctis) Reorientation of teacher education in the framework of lifelong education (G. Agoston and J. Nagy) Communications: Reinforcement in lifelong socialization and learning (J. Shaffer) Humanistic education for lifelong learning (H. C . Lyon) Trends and problems in the development of recurrent education in Sweden (J. Bengtsson) Community colleges in the United K i n g d o m (A. K . Stock) Book reviews and Bibliography Abonnement : 40florins(frais de port en plus) Martinus Nijhoff Lange Voorhout 9-11 La Haye (Pays-Bas) P O U R vous A B O N N E R à l'édition anglaise ou française de Perspectives, il vous suffit de remplir la formule ci-dessous et de l'envoyer par la poste, accompagnée d'un chèque ou d'un mandat dans votre monnaie nationale , à l'agent général pour votre pays dont l'adresse figure dans la liste donnée en fin de numéro (pour connaître le tarif de l'abonnement dans votre monnaie nationale, consultez l'agent général). Vous pouvez également envoyer le bon de c o m m a n d e à l'Unesco, P U B / C , 7, place de Fontenoy, 75700 Paris (France), en y joignant la s o m m e correspondante sous forme de bons internationaux de livres Unesco, de mandatposte international ou de chèque libellé en une monnaie convertible quelconque. A l'agent général pour m o n pays (ou à l'Unesco, P U B / C , 7, place de Fontenoy, 75700 Paris, France) : Je désire souscrire u n abonnement d'un an (4 numéros) à Perspectives D Édition anglaise Ci-joint, en paiement, la s o m m e de . D Édition française (Prix, frais de port inclus : 32 F ) (Pour connaître le tarif de l'abonnement en monnaie locale, consultez l'agent général pour votre pays.) Nom Adresse (Prière d'écrire à la machine ou en majuscules d'imprimerie) Signature Para suscribirse a la edición en español de « Perspectivas » puede cumplimentarse el impreso que aparece at pie, enviándolo por correo a Santillana S . A . de Ediciones, calle Elfo 32, Madrid-27. Deseo suscribirme por u n año (4 números) a la revista « Perspectivas. Revista trimestral de educación ». D • Adjunto la cantidad de 350,- ptas. por la suscripción (gastos de envío incluidos) Deseo cursen instrucciones para realizar el cobro en m i país, en moneda nacional. Nombre Dirección (Se ruega escribir a máquina o con letras de imprenta) Firma Dans les numéros précédents Vol. IV, n° 2, été 1974 Malcolm S. Adiseshiah L'éducation et le travail productif en Inde William Douglas Wall L'apport de la psychologie de l'enfant aux sciences de l'éducation POSITIONS/CONTROVERSES Gérald Antoine U n e formation continue à l'usage des professeurs d'université Asher Deleon « Apprendre à être » : Pont-ils bien lu ? Alain Girard L'immigration dans les pays industrialisés Hélène Gratiot Alphandéry U n cadre pour la recherche Alexandre Castanheira et Niangané Ladji D e u x travailleurs migrants parlent... Monica Boye-Meller Cercles d'études pour les familles en Suède Sitki Bilmen L'organisation de classes spéciales expérimentales Patricia Heffernan-Cabrera Programme d'éducation bilingue en Californie OUVERTURE D ' U N DOSSIER : L'AIDE INTERNATIONALE POUR LE DÉVELOPPEMENT DE L'ÉDUCATION René Maheu Crise ou mutation de l'aide internationale ? Tibor Mende L'aide dans son contexte Juan Gomez Millas L'éthique du développement John Hilliard Vers une stratégie de l'AID en matière d'éducation D e la crise des systèmes éducatifs à la réorientation de l'aide (Journées d'études de la Société internationale pour le développement) Lars-Olof Edström Perspectives Scandinaves de l'aide à l'éducation Oto Denes L a coopération pour le développement de l'éducation : la contribution yougoslave William J. Platt L e développement de l'éducation et le système des Nations Unies TENDANCES ET CAS Jean Thomas L a rénovation de l'enseignement de la langue maternelle en France N. M . Mechkov Tendances actuelles de l'enseignement supérieur en Biélorussie Bakari Kamian Éducation et culture en Afrique. Contribution à la révision des objectifs d'Addis-Abeba T E N D A N C E S ET CAS Jean Livescu L e développement de l'université en Roumanie Jöran Mueller L a photocopie dans les écoles de Suède Kenneth Robinson L a fabrication du papier dans les écoles d u Cameroun POSITIONS/CONTROVERSES Darcy Ribeiro Repenser l'université en Amérique latine Louis Emmerij A propos d'une conférence de l'Unesco : quels sont les liens entre l'enseignement secondaire, la formation et l'emploi ? PIÈCES POUR U N DOSSIER : PRATIQUE DE L'INNOVATION EN ÉDUCATION Présentation Nicolas Bodart L e développement : contrainte ou cadre pour l'éducation Michel Debeauvais L e succès de la notion d'innovation — un essai d'interprétation des textes Uladislao Gàmez Solano, Carlos E. Oliveira Costa Rica : Plan national de développement de l'éducation Budd L. Hall République-Unie de Tanzanie : l'éducation des adultes c o m m e priorité nationale Abderrahmane Remili Algérie : les instituts de technologie Anne Corbett Angleterre : un réseau national d'institutions pour l'innovation A P E I D : u n exemple de stratégie régionale Sylvain Lourié Éducation et société : une problématique d u changement PIÈCES POUR UN DOSSIER : où EN EST L'ÉDUCATION DES TRAVAILLEURS MIGRANTS ? Amadou-Mahtar M'Bow Problèmes et perspectives Francis Blanchard Panorama mondial des mouvements migratoires T E N D A N C E S ET C A S Martine Mauriras-Bousquet U n e technique pédagogique d'avenir : les jeux de simulation Norman W. Beswick D e nouveaux rôles pour les bibliothèques scolaires en Grande-Bretagne Jean-Pierre Clerc L a radio éducative rurale au Sénégal Vol. IV, n° 3, automne 1974 Mikhail A. Prokofiev Vers l'enseignement secondaire généralisé en U R S S Victor L. Urquidi Les ressources humaines des pays en voie de développement Vol. I V , n° 4 , hiver 1974 Amadou Mahtar M'Bovi Message à Perspectives Helmut Klein L a recherche psychopédagogique et les décisions de politique éducative Musari Al-Rawi Politique de l'éducation pour le développement national POSITIONS/CONTROVERSES André Salifou Contre la balkanisation de l'université en Afrique Enrique Gonzales Torres et al. Quelle éducation périscolaire ? A propos du rapport C o o m b s