Bissot Pauline Collard Anthony Cornélis Alessia Gengou Arnaud Logique et théorie de l'argumentation juridique et politique, Partim 2 Séminaire de lecture, 6h Pr, 20h. Chaïm Perelman - L’Empire Rhétorique 1. Introduction Chaïm Perelman, un philosophe et théoricien du droit belge du XXe siècle, s’est appliqué à rétablir et faire renaître la rhétorique, qui, par définition, est “un ensemble de procédés constituant l'art du bien-dire, de l'éloquence”, dans la pensée contemporaine. La rhétorique, existant depuis l'Antiquité, a connu bien des critiques et interprétations différentes. C’est alors que dans plusieurs de ses ouvrages (L’Empire Rhétorique: Rhétorique et argumentation, Logique juridique. Nouvelle rhétorique,...), Perelman nous donne sa vision de la rhétorique et propose une “nouvelle rhétorique” qui constitue une théorie de l’argumentation. Nous allons exposer comment Chaïm Perelman répond à ces questions: “Est-ce que raisonner, ce n’est rien d’autre que s’incliner devant les évidences, déduire et calculer? Peut-on dire que l’on ne raisonne pas quand on délibère ou quand on argumente? Faut-il prétendre que là où le raisonnement ne nous conduit pas à des conclusions nécessaires ou contraignantes, ou d’une probabilité calculable, l’on se meut entièrement dans l’arbitraire?”, afin de découvrir sa conception de la rhétorique. 2. Réponse aux questions - Est-ce que raisonner, ce n’est rien d’autre que s’incliner devant les évidences, déduire et calculer? Peut-on dire que l’on ne raisonne pas quand on délibère ou quand on argumente? Pour Chaïm Perelman, raisonner, ce n’est pas que s’incliner devant des évidences et calculer. A l’inverse, l’argumentation fait partie intégrante du raisonnement selon lui. Il s’oppose fortement à la vision qu’avaient Socrate et Platon. Ces derniers considéraient que la rhétorique ne pouvait faire partie intégrante du raisonnement, ils considéraient la rhétorique comme une simple utilisation de langage, une technique de l’apparence, se contentant de l’adhésion du public et négligeant la vérité. Pour eux, la rhétorique est donc subordonnée à la philosophie : la philosophie est la recherche de vérités par les intuitions et la rhétorique a pour seul rôle de communiquer et faire admettre ces dernières. 1 Descartes ira encore plus loin que Socrate et Platon, réduisant la rhétorique à l’élocution, l’emploi d’un vocabulaire élaboré et de figures de styles. En essayant d’élaborer une philosophie dont toutes les thèses seraient vraies, évidentes, il bannit complètement toute forme d’argumentation de la philosophie. Perelman, quant à lui, estime que délibérer et argumenter, c’est aussi raisonner. Dès lors, il se rapproche d’Aristote qui a un avis plus nuancé que Platon et Socrate. En effet, Aristote considère que ce sont la délibération et l’argumentation qui peuvent donner une rationalité aux activités pratiques. Il scinde ainsi disciplines pratiques et sciences théoriques : l’intuition garantit la vérité des principes dans les sciences tandis que la discussion et la délibération confèrent une rationalité aux activités pratiques. Cependant, Perelman est moins tempéré qu’Aristote et confère à la rhétorique une importance bien plus grande. Premièrement, il indique que même dans les sciences naturelles la rhétorique a eu une place déterminante. En effet, l’adoption de conventions dans ces disciplines s’est faite via un processus argumentatif, et il en va de même pour les révolutions scientifiques qui résultent de discussions et d’argumentation entre experts. Deuxièmement, il attire notre attention sur le fait que, dans beaucoup d’autres domaines, l’argumentation joue un rôle central car elle est la seule à leur conférer une rationalité. En effet, la religion, la morale, les sciences humaines, la philosophie et le droit ne tirent leur rationalité que de l’appareil argumentatif. D’ailleurs, l’argumentation est primordiale en droit car elle permet de trancher les controverses, la prise de décision étant une nécessité. - Faut-il prétendre que si le raisonnement ne conduit pas à des conclusions nécessaires ou contraignantes, ou d’une probabilité calculable, l’on se meut entièrement dans l’arbitraire ? Selon Perelman, juge et de père de la “nouvelle rhétorique”, lorsqu’un raisonnement n’aboutit pas à une conclusion mathématiquement déductible, il n’est pas pour autant arbitraire. Il y a plusieurs explications à cela : La vie courante est trop complexe pour de la logique formelle pure, il y a donc lieu d’utiliser la rhétorique. Perelman partage la même vision qu’Aristote sur la nécessité de faire une distinction dans l’usage de la logique formelle et de l’argumentation. Selon lui, la complexité de la vie de tous les jours, se basant sur des valeurs et non sur des données, rend la logique formelle incompatible avec des domaines complexes, comme le droit, la morale ou la philosophie. Dans le droit, matière que connaît bien Perelman, “l’application du calcul des probabilités ne peut nous fournir la réponse car les questions de droit sont des questions de décisions”1 Le juge, en tant qu’être humain doué de sentiments et de subjectivité, est essentiel. 1 C. Perelman, Ethique et droit, p. 633. 2 Premièrement, en cas d'ambiguïtés dans le texte de loi, la logique formelle est bien incapable de trouver une solution. C’est le juge, partant de la jurisprudence et de la doctrine, qui remplit ce “vide juridique” afin justement de prendre une décision par rapport à une autre prise auparavant et d’éviter l’arbitraire, en plus d’un contrôle par les organes auquel il est subordonné et qui peuvent revoir ses décisions. Afin de responsabiliser le juge à propos de sa responsabilité dans l’élaboration d’une décision, il lui est demandé de rédiger sa motivation, par laquelle il engage sa responsabilité personnelle. Deuxièmement, à certains égards, la logique formelle rendrait un jugement injuste. En effet, un procès ne peut souvent pas se résumer à un syllogisme juridique, en appliquant une sanction à la lettre pour un cas déterminé. Il y a lieu de prendre en compte toute une série d’autres facteurs - présentés par les avocats sous la forme d’une argumentation - qui font varier la décision finale du juge. Si, le juge était remplacé par une machine à juger, on pourrait parler de rigidité mathématique : elle ne prendrait pas compte de la situation au cas par cas, ni de circonstances exceptionnelles ou de cas de force majeure. Le juge, lui, ne va pas forcément appliquer la loi à la lettre, mais cherche à rendre une décision qui soit juste, raisonnable et équitable. Prenons l’exemple du crash du vol 571 Fuerza Aérea Uruguay de 1972, après lequel les survivants, faute de nourriture, ont dû procéder au cannibalisme. Une machine à juger ne prendrait pas compte de la gravité de la situation et se limiterait à prononcer la peine, alors qu’un juge entendrait la détresse de l’action et son caractère cornélien. La rhétorique est l’antonyme de l’arbitraire Perelman s’oppose à la philosophie de Descartes, qui donne Dieu comme point de départ à son doute méthodique. En cela, la logique formelle est beaucoup plus arbitraire que le débat provoqué par une argumentation ou l’usage de la rhétorique. D’ailleurs, Perelman le confirme dans l’Empire Rhétorique : “supprimons cette garantie que Dieu donne à l’évidence, et, du coup, toute pensée devient humaine et faillible et n’est plus à l’abri de la controverse.”2 Au contraire, la rhétorique, parce que suscitant le débat, et cherchant à convaincre un jury, n’est pas arbitraire. Le rhéteur a en effet besoin d’un auditoire pour exister et lui faire admettre sa thèse. 3. L’avis argumenté du groupe Nous allons dans cette partie développer l’avis argumenté du groupe autour des trois différentes questions adressées. Nous avons décidé de les séparer en deux groupes distinct, les deux premières questions pouvant pour nous, faire l’objet d’une réponse commune. 1) Est-ce que raisonner, ce n’est rien d’autre que s’incliner devant les évidences, déduire et calculer ? Peut-on dire que l’on ne raisonne pas quand on délibère ou quand on argumente ? 2 C. Perelman, L’Empire rhétorique, Rhétorique et argumentation, pp. 189-199 3 Tout d’abord il faut établir ce que l’on considère par « raisonner ». Effectivement si nous prenons le sens aristotélicien du terme raisonnement dans son sens analytique ou encore si nous mettons en parallèle le raisonnement à l’approche cartésienne alors effectivement raisonner se limite à s’incliner devant des évidences et à suivre une logique “more geometrico “ comme Spinoza. Vu que la science serait achevée il n’y aurait plus qu’à la découvrir en mettant de côté toute opinion et toute initiative humaine, érigeant ainsi la raison à un statut divin, ou comme le pensait Socrate, une rhétorique défendable devant les Dieux. Or nous pensons qu’il est une utopie de penser arriver un jour à une théorie du tout liant même les sciences humaines aux sciences dures. Effectivement il est cohérent de vouloir y tendre dans une optique mathématique ou de sciences dures dans l’objectif utopique d’arriver un jour à une vérité absolue ou connaissance pure, nous pensons qu’une logique “more geometrico” ou une approche analytique arrive à ses limites vis à vis de tout ce qui a trait aux sciences humaines et sociales. Effectivement même dans une approche purement cartésienne cette même logique possède ses limites ; même dans les mathématiques, une discipline purement analytique qui se base uniquement sur l’observation et qui se contente de découvrir le réel. La discipline passe par un certain logos et donc une interprétation humaine. Effectivement les chiffres ne sont le signifiant du signifié qu’ils représentent que dans l’esprit des humains, le chiffre « 3 » ne représente rien à celui qui n’a pas coutume d’utiliser les chiffres arabes. De plus la contingence peut également mettre en évidence une limite à cette approche, en mathématiques encore, le choix de l’hypothèse est un choix purement humain qui résulte de la décision de l’individu de sélectionner telle hypothèse plutôt qu’une autre. Pour ce qui est des sciences humaines, sociales ou du droit, cette logique analytique semble atteindre ses limites de manière encore plus apparente. Tout comme Chaïm Perelman nous pensons effectivement qu’il est impossible d’établir une vérité universelle exempte d’interprétation et d’opinion humaine. Dès lors cela replace la rhétorique et la dialectique au centre, les différents paradigmes pour interpréter la société étant incommensurables, il n’existe pas d’interprétation pure de celle-ci (par pure nous entendons divine au sens socratique). Dès lors l’argumentation tout comme la délibération sont au coeur du raisonnement même de ces disciplines. Nous pensons qu’il s’agit de raisonnement même si celui-ci ne permet pas d’atteindre une raison universelle, qui même dans les sciences dures paraît utopique, ou alors faudrait-il supprimer le concept de raison ou de raisonnement, ce qui semble excessif. Effectivement même dans les sciences telles que la physique, les grandes révolutions scientifiques se sont produites par des changements de paradigmes, que les changements soient contingents ou non ils ont tout de même été apportés par une interprétation humaine qui réfutait le paradigme en place. Dès lors il n’est pas envisageable de considérer le fait de raisonner comme s’incliner devant l’évidence, la déduction et le calcul. D’ailleurs cette logique même est contre-productive pour la science elle même car elle n’invite pas à remettre en cause les différents paradigmes et favorise une consolidation de celui en place or la réfutabilité des théories scientifiques participe grandement à ce qui leur donne un caractère scientifique. 4 2) Faut-il prétendre que là où le raisonnement ne nous conduit pas à des conclusions nécessaires ou contraignantes, ou d’une probabilité calculable, l’on se meut entièrement dans l’arbitraire ? Si nous prenons l’exemple de la justice nous pouvons constater que ce n’est pas entièrement le cas. Effectivement, le code Napoléon visait à supprimer tout arbitraire et à transformer les juges en automates qui ne font qu’appliquer la loi. Or la reconnaissance des faits reste de la compétence du juge, avec cette logique seule l’application de la loi après reconnaissance des faits peut être totalement maîtrisée, même cette partie possède sa limite si il existe une fourchette de peines pour les faits. Mais même si cet objectif de suppression d’arbitraire était atteinte elle ne serait pas pour autant forcément préférable. En effet en justice, chaque cas est différent et il existe des effets de contextes, appliquer la même peine sans prendre en compte la spécificité des cas ne semble pas équitable. C’est ainsi que depuis le siècle dernier le juge a pu obtenir une plus grande autonomie et sa marge de manœuvre vis à vis de la loi est généralement largement acceptée bien que encadrée. Néanmoins, nous ne pensons pas qu’il faille prétendre que le raisonnement du juge, bien que non calculable de manière probabiliste se meut entièrement d’arbitraire. Le juge se fie lui même à la loi pour motiver sa décision celle-ci n’étant donc pas arbitraire. Il existe d’ailleurs des instances d’appel ou de cassation visant à annuler la décision du juge si celle-ci s’avérait ne pas respecter la loi, l’homme a donc créé des institutions pour que la justice échappe en partie à l’arbitraire même si celle-ci n’est pas calculable. Mais il est vrai que nous pouvons reporter le problème à la source, et se poser la question de l’arbitraire de la loi et des décisions des législateurs. Et donc nous pouvons revenir à un lien avec deux premières questions sur le raisonnement en science sociale. Les intérêts politiques des législateurs sont-ils arbitraires ou dépendent-ils de différents facteurs quantifiables ou non ? Avec leur caractère humain, dialectique et rhétorique, même si leur raisonnement n’est pas analytique, c’est l’objet de toute une catégorie de sciences (la science politique) qui est une science humaine et que (comme nous l’avons écrit plus haut) nous considérons comme un raisonnement également. Et cette science même étudie son objet pour ne pas rester dans l’arbitraire et pour tenter d’obtenir une vérité même si elle n’est pas absolue, quoi qu’il arrive il y a une tentative de sortir de l’arbitraire donc nous considérons qu’un raisonnement ne conduisant pas à des conclusions nécessaires ou contraignantes, ou d’une probabilité calculable ne se meut pas entièrement d’arbitraire. 5 4. Méthodologie Dès la première réunion, le groupe, composé d’Arnaud Gengou, Anthony Collard, Alessia Cornélis et Pauline Bissot a désigné un texte à travailler, à savoir le quatrième texte du recueil d’extraits choisis, “L’Empire rhétorique”. Ensuite, nous avons créé un groupe via Facebook afin de pouvoir mieux organiser notre travail et rester en communication. Afin de préparer au mieux la prochaine réunion, nous avons divisé le texte en plusieurs parties que chacun devait exploiter afin d’en être maître pour savoir l’expliquer aux autres étudiants. Pauline s’est chargée de la première partie sur les auteurs antiques, Arnaud a traité de la pensée de Descartes, représentant des Modernes, et enfin Anthony a présenté la dernière partie de notre texte, parlant de la pensée de Perelman dans sa “Nouvelle Rhétorique”. Lors du dernier cours du 30/11, nous avons envisagé la préparation du travail final. Pour cela, nous nous sommes mis d’accord sur un premier plan à suivre. Nous avons décidé de faire fusionner les deux premières questions du sujet afin de n’en faire qu’une, et de garder la troisième question indépendante. Ensuite, nous nous sommes réunis le 12/12 afin de répartir notre plan équitablement et d’assigner une tâche à chacun. Alessia se chargera de l’introduction et de la conclusion. Anthony, quant à lui, couvrira les deux premières questions du sujet. Pauline abordera la dernière question et la méthodologie et enfin, Arnaud compilera l’avis argumenté du groupe sur Perelman. Nous nous sommes donnés une date limite pour rendre le travail, à savoir le 17/12, jour auquel nous procéderons à la mise en commun et aux derniers réglages pour rendre notre travail en temps et en heure. Anthony Collard Alessia Cornélis Pauline Bissot Arnaud Gengou 6 5. Conclusion Dans son ensemble, la rhétorique selon Perelman, constitue une théorie de l'argumentation. En effet toute décision, tout débat, toute contestation, toute formulation d’idées nouvelles font appel à l’argumentation et invite à la raison. C’est pourquoi, il considère que tout est argumentation et que celle-ci fait partie intégrante du raisonnement. De plus, elle joue un rôle majeur dans beaucoup de domaine comme dans les sciences humaines, le droit,... car elle leur attribue une rationalité. Par conséquent, la raison, pour Perelman, est rhétorique et argumentative et ne s’atteint pas que en s’inclinant devant des évidences, par la déduction, par le calcul. En outre, prétendre que lorsqu’un raisonnement n’abouti pas à une conclusion mathématiquement déductible, il est arbitraire, est faux. Pour Perelman, la logique formelle ne peut être compatible avec certains domaines complexes comme, par exemple, dans le droit. En effet, les questions de droit étant des questions de décisions, elles ne peuvent trouver leurs réponses dans le calcul. De ce fait, chaque cas traité par le juge, ayant des circonstances, des situations différentes, ne peut se résumer à une même conclusion. C’est pour cela que le juge doit prendre en compte une série de facteurs avant de prendre une décision juste, raisonnable et équitable. Cependant, ce n’est pas parce que le juge agit ainsi qu’il se meut dans l’arbitraire car il se fie tout de même à la loi pour rendre son jugement. Ainsi, le recours à la rhétorique est un outil essentiel lorsque la pensée ne se résume pas à un calcul. 7. Bibliographie Notre travail s’est basé sur le portefeuille d’extraits choisis de Chaïm Perelman associé au cours de Logique et théorie de l’argumentation juridique et politique, Partim 2, dont voici les références : ● ● ● ● C. Perelman, L’Empire rhétorique, Rhétorique et Argumentation C. Perelman, Ethique et droit C. Perelman, “Evidence et preuve”, Justice et Raison C. Perelman, “De l’évidence en métaphysique”, Le Champ de l’argumentation 7